EN FAIT
Considérant que les faits de la cause peuvent se résumer comme suit:
Le requérant, de nationalité allemande, est juge en disponibilité. Il est né en 1907 et, au moment de l'introduction de sa requête, était domicilié à Erlangen (Bavière).
Par décision (Beschluss) du .. mars 1953, le Tribunal cantonal (Amtsgericht) de Ratisbonne a prononcé l'interdiction du requérant pour cause de maladie mentale.
Peu après, une procédure d'internement, basée sur la loi bavaroise du 30 avril 1952 sur l'internement (Verwahrungsgesetz), fut ouverte contre lui. L'internement fut prononcé le .. juin 1953 par le Tribunal cantonal de Regenstauf. La veille, soit le .. juin 1953, le requérant avait été conduit par un agent de la force publique à la clinique (Heil- und Pflegeanstalt) de Ratisbonne. Au cours du trajet, l'agent aurait déclaré faussement au requérant qu'il le conduisait devant le juge dirigeant la procédure d'internement pour y être entendu.
La décision d'internement mentionne que le requérant aurait notamment menacé le gendarme A. d'un couteau de cuisine et tenté d'allumer des incendies dans sa propre cuisine. Le requérant conteste ces faits et allègue que le juge a omis d'en vérifier l'exactitude.
Le requérant recourut contre la décision d'internement auprès du Tribunal régional (Landgericht) de Ratisbonne, en offrant de prouver la fausseté des faits indiqués ci-avant. Le Tribunal régional ne donna pas suite à cette offre de preuve et, le .. septembre 1953, confirma la décision entreprise.
Le requérant se pourvut alors auprès de la Cour Suprême de Bavière (Oberstes Landesgericht), qui déclara son recours irrecevable le ... octobre 1953, parce qu'il n'avait pas été soumis au contreseing du greffe d'un tribunal compétent ou d'un avocat.
Le requérant s'adressa encore à la Cour Constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht). Le .. janvier 1954, son recours fut déclaré irrecevable pour non-épuisement des voies de recours antérieures. Comme, entre-temps, la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales était en vigueur à l'égard de la République Fédérale d'Allemagne, le requérant introduisit une demande tendant à la révision (Wiederaufnahme) de la procédure d'internement. Sa demande était fondée sur l'article 6, par. 1, de la Convention. Elle fut rejetée, en dernier lieu par la Cour Suprême de Bavière, le .. février 1955, au motif que l'interdit interné ne pouvait agir qu'à l'occasion de l'examen judiciaire biennal de l'internement, prévu à l'article 8, par. 1, de la loi bavaroise sur l'internement.
Ces examens judiciaires semblent avoir eu lieu régulièrement au cours des années qui suivirent et l'internement du requérant fut maintenu.
La dernière en date de ces procédures s'ouvrit en 1964. Par décision du .. juillet 1964, le Tribunal cantonal de Ratisbonne prescrivit, une fois de plus, le maintien de l'internement. Le tribunal se fondait principalement sur une expertise du Dr. G., datée du .. juillet 1964, dont il ressortait que le requérant pouvait encore constituer un danger pour lui-même et pour autrui et présenter des réactions imprévisibles une fois libéré.
Contre cette décision, le requérant recourut au Tribunal régional de Ratisbonne. Ce dernier commença par commettre un nouvel expert, en la personne du Dr W. Sur la base du rapport de ce dernier, le tribunal, tout en constatant que les conditions de l'internement étaient toujours réunies, ordonna que le requérant fût mis en liberté à l'essai sous la surveillance de son tuteur et à condition de se soumettre à un examen médical tous le deux mois. Cette décision fut rendue le .. février 1966.
N'étant pas satisfait de cette décision, le requérant fit mentionner au procès-verbal de l'audience une déclaration de recours.
Il recourut effectivement auprès de la Cour Suprême de Bavière, mais fut débouté par arrêt du .. juillet 1966. La Cour, après avoir rappelé qu'elle était liée par les constatations de fait du Tribunal régional, déclarait ne discerner dans la décision de ce dernier aucune apparence de violation de la loi, notamment en ce qu'il n'avait pas été donné suite aux nouvelles offres de preuve du requérant. Celui-ci avait en effet proposé l'audition de divers témoins, pour tenter d'établir l'inexistence de certains faits retenus par les experts comme significatifs de son état mental.
Le requérant saisit alors une nouvelle fois la Cour Constitutionnelle fédérale. En date du .. octobre 1966, le comité de trois juges prévu à l'article 93 a de la loi sur la Cour Constitutionnelle rejeta le recours comme tardif dans la mesure où il était dirigé contre la décision d'interdiction du requérant, et comme manifestement mal fondé pour le surplus. Après avoir rappelé que la compétence de la Cour Constitutionnelle se limite à l'arbitraire et aux violations des droits fondamentaux, les juges constataient que la décision de la Cour Suprême de Bavière était irréprochable à cet égard; ils ajoutaient, par ailleurs, qu'un recours constitutionnel ne pouvait être fondé sur les dispositions de la Convention.
Le requérant semble avoir compris que son recours avait été déclaré irrecevable au seul motif qu'il était fondé sur la Convention. Il écrivit alors à l'un des juges ayant participé à la décision du ... octobre 1966, en attirant son attention sur le fait qu'il s'était aussi, et en premier lieu, réclamé de la loi fondamentale (Grundgesetz) et émettait l'hypothèse que son mémoire de recours aurait pu être falsifié. Ce juge lui répondit, le .. février 1967, que son mémoire original avait été scrupuleusement examiné et que, pour le surplus, lui-même n'était pas autorisé à commenter les motifs de la décision du .. octobre 1966.
Devant la Commission le requérant se plaint, en premier lieu, de toute la procédure d'examen de son internement, qui s'est déroulée de 1964 à 1966, c'est-à-dire des décisions rendues - le .. juillet 1964 par le Tribunal cantonal de Ratisbonne - le .. février 1966 par le Tribunal régional de Ratisbonne - le .. juillet 1966 par la Cour Suprême de Bavière - le .. octobre 1966 par la Cour Constitutionnelle fédérale
Il se plaint également de toute la procédure relative à son internement, en 1953, notamment à partir de la décision rendue par le Tribunal régional de Ratisbonne le .. septembre 1953, soit après l'entrée en vigueur de la Convention à l'égard de la République Fédérale d'Allemagne.
Le requérant se prétend victime de violations répétées de l'article 6, alinéa 3, litt. a et d, éventuellement de l'article 5, alinéa 4, ainsi que de l'article 14, combiné à l'article 5 de la Convention.
Il estime en effet que les termes "accusation en matière pénale" (article 6, alinéa 1) et "accusé" (Article 6, alinéa 3) visent non seulement les procédures pénales proprement dites, c'est-à-dire relatives à la répression des infractions aux dispositions d'un Code pénal, mais aussi toute les procédures aboutissant à une privation de liberté. Il serait contraire à l'article 14 de la Convention d'établir des distinctions, quant aux garanties judiciaires dont jouissent les personnes détenues, entre les différents cas de privation de liberté prévus à l'article 5, alinéa 1. Cette conséquence résulte déjà, selon le requérant, du fait que l'alinéa 4 de l'article 5 s'applique à tous les cas de détention énumérés à l'alinéa 1 du même article.
Le requérant déduit de ce qui précède que, lors de son internement en 1953 et lors de chaque examen judiciaire ultérieur de son internement, notamment au cours des années 1964 à 1966, les tribunaux étaient tenus de se conformer aux prescriptions de l'article 6 de la Convention.
Ainsi, le Tribunal cantonal de Ratisbonne, lors de la procédure ayant abouti à sa décision du .. juillet 1964, aurait violé l'article 6, alinéa 3, lettre a, de la Convention, en ce qu'il n'a pas donné connaissance au requérant, avant la décision, de l'expertise du Dr. G. du .. juillet 1964.
En outre, le requérant relève les violations suivantes de l'article 6, alinéa 3, lettre d :
a) Par le Tribunal régional de Ratisbonne (décision du ... septembre 1953), ce tribunal (comme, d'ailleurs, le juge de première instance) ayant refusé d'entendre les témoins nommés par le requérant aux fins d'établir qu'il n'avait pas menacé d'un couteau de cuisine le gendarme A. et ayant refusé de constater sur place l'absence de traces de débuts d'incendies dans la cuisine du requérant.
b) Par le Tribunal cantonal de Ratisbonne (décision du .. juillet 1964), ce tribunal ayant refusé d'entendre les témoins nommés par le requérant pour établir l'inexistence de certains faits retenus par le Dr. G., expert, comme significatifs de son état mental, et notamment:
aa) qu'il aurait réellement été attaqué le ... septembre 1951 par deux bandits à F. près Munich et que cette agression n'est pas le fruit de son imagination;
bb) qu'au cours de son internement, il aurait réellement souffert de maladies du tube digestif et que les nombreuses plaintes qu'il a formulées à ce sujet n'étaient pas l'effet de sa prétendue hypocondrie;
cc) qu'au cours de son internement, on avait réellement tenté du lui faire absorber un produit toxique et que cette allégation ne résulte pas d'une manie de l'empoisonnement.
c) Par le Tribunal régional de Ratisbonne (décision du ... février 1966), pour les mêmes motifs, le requérant ayant repris les mêmes moyens devant cette juridiction.
d) Par la Cour Suprême de Bavière (décision du .. février 1966) et par la Cour Constitutionnelle fédérale (décision du .. octobre 1966), pour avoir entériné les décisions précédentes. D'une manière générale, le requérant estime qu'il appartenait aux tribunaux de vérifier, même d'office, l'exactitude des faits mentionnés par les experts. Il leur reproche en particulier d'avoir adopté la thèse des experts selon laquelle le requérant pouvait présenter des réactions imprévisibles une fois libéré; il s'agissait en effet de l'expression d'une simple opinion personnelle et non de la relation d'un fait certain.
Le requérant demande à la Commission:
Préalablement: - de lui permettre d'obtenir communication de tous les rapports d'expertises rédigés à son sujet et de les discuter; - d'ordonner l'apport du dossier relatif à son recours à la Cour Constitutionnelle Fédérale (décision du .. octobre 1966) pour en vérifier l'intégrité, notamment celle de son mémoire de recours.
Principalement: - d'ordonner la révision de toute la procédure relative à son internement, notamment de celle qui a abouti à sa mise en liberté à l'essai, cette révision devant se dérouler conformément aux dispositions de la Convention.
EN DROIT
Considérant, pour autant que le requérant se plaint de son interdiction, prononcée par le Tribunal cantonal de Ratisbonne le ... mars 1953 et de la procédure ayant abouti à son internement, dans la mesure où celle-ci s'est déroulée avant le 3 septembre 1953, que ces faits remontent à une époque antérieure au 3 septembre 1953, date à laquelle la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales est entrée en vigueur à l'égard de la République Fédérale d'Allemagne; que, dans cette mesure, l'examen de la requête échappe à la compétence ratione temporis de la Commission, car ladite Convention, selon les principes de droit international généralement reconnus, ne régit, pour un État Contractant déterminé, que la période postérieure à son entrée en vigueur à l'égard de cet Etat;
Considérant, pour autant que le requérant se plaint de la procédure ayant abouti à son internement, dans la mesure où celle-ci s'est déroulée après le 3 septembre 1953, et pour autant qu'il se plaint des procédures d'examen judiciaire biennal de son internement qui se sont déroulées avant l'année 1964, que la Commission, selon l'article 26 (art. 26) in fine de la Convention, ne peut être saisie que "dans le délai de six mois, à partir de la date de la décision interne définitive"; qu'en ce qui concerne l'internement proprement dit, la dernière décision mentionnée par le requérant est celle de la Cour Suprême de Bavière, du ... février 1955; qu'en ce qui concerne les procédures d'examen judiciaire biennal antérieures à celle qui s'est déroulée au cours des années 1964 à 1966, la Commission doit admettre, à défaut d'indications du requérant, que la date de la décision interne définitive se situe avant l'année 1964; que, dans un cas comme dans l'autre, plus de six mois se sont écoulés entre ces décisions et l'introduction de la requête devant la Commission; qu'en outre, la Commission ne discerne aucune circonstance particulière susceptible d'avoir interrompu ou suspendu le délai dont il s'agit; qu'il appert, dès lors, que la requête est tardive à cet égard (Article 27 par. 3) (art. 27-3);
Considérant, dans la mesure où le requérant se plaint des conditions à l'observation desquelles sa mise en liberté à l'essai a été subordonnée par le Tribunal régional de Ratisbonne dans sa décision du ... février 1966, que l'article 5, par. 1, litt. e) (art. 5-1-e), de la Convention autorise "la détention régulière ... d'un aliéné" (en anglais "lawful detention ..."); qu'a fortiori, ledit article (art. 5-1-e) ne s'oppose pas à ce que la liberté d'un aliéné fasse l'objet, comme en l'espèce, de restrictions régulières moins graves que la détention; que l'internement du requérant avait été ordonné en application des dispositions de la loi bavaroise du 30 avril 1952 sur l'internement (Verwahrungsgesetz) et que sa mise en liberté conditionnelle a été ordonnée à l'occasion d'un examen judiciaire de l'internement, selon l'article 8, par. 1, de ladite loi; que la Commission constate, d'autre part, que le requérant n'a apporté aucun élément pouvant indiquer qu'il aurait été l'objet de quelque mesure arbitraire de la part des autorités nationales; que l'existence d'une disposition légale en droit interne, d'une part, l'absence de mesure arbitraire, d'autre part, permettent d'exclure toute apparence de violation de l'article 5, par. 1, litt. e) (art. 5-1-e), de la Convention; qu'en conséquence, il échet de rejeter la requête, sur ce point, en application de l'article 27, par. 2 (art. 27-2), pour défaut manifeste de fondement;
Considérant, dans la mesure où le requérant se plaint de la procédure ayant abouti à la décision du Tribunal régional de Ratisbonne du ... février 1966, que la question peut se poser de savoir si le droit d'un aliéné interné à obtenir sa mise en liberté, le cas échéant sans restrictions, constitue un "droit de caractère civil", au sens de l'article 6, par. 1 (art. 6-1), de la Convention; que, si l'on admet cette hypothèse, la procédure relative à la mise en liberté doit être conforme au principe du "procès équitable", énoncé par ledit article (art. 6-1); que le contenu de ce principe ne saurait toutefois être considéré comme absolument invariable, quelle que soit la nature des litiges auxquels il s'applique; qu'en particulier, lorsqu'il s'agit de statuer sur le bien-fondé de l'internement ou de la mise en liberté d'un aliéné, il peut s'imposer, dans l'intérêt de ce dernier, de ne pas lui donner personnellement connaissance de tous les éléments à base desquels l'autorité compétente sera appelée à former sa conviction; qu'en conséquence, dans le cas d'espèce, le fait que le requérant n'ait pas eu connaissance des rapports d'expertise des Dr. G. et W. pouvait se justifier pour préserver l'état de sa santé mentale et ne constitue pas une atteinte au principe du "procès équitable", dans la mesure où il s'applique à la procédure dont il s'agit, compte tenu des développements qui précèdent, relatifs au contenu de ce principe;
Considérant que le même grief du requérant doit être examiné également sous l'angle de l'article 5, par. 4 (art. 5-4), de la Convention; que la Commission a déjà eu l'occasion de reconnaître qu'on pouvait soutenir que la garantie visée à l'article 5, par. 4 (art. 5-4), impliquait l'observation de certains principes fondamentaux de procédure pour le recours visé par cette disposition (Requête No 1850/63, KÖPLINGER c/Autriche, Recueil de décisions de la Commission, vol. 19, p. 71; Requête N° 1936/63, NEUMEISTER/Autriche, Recueil de décisions de la Commission, vol. 14, p. 38; Requête No 2178/64, MATZNETTER c/Autriche, Annuaire vol. VII, page 330); que la Cour européenne des Droits de l'Homme, il est vrai, dans son arrêt du 27 juin 1968 (Affaire NEUMEISTER, publications de la Cour, série A) a déclaré que le mot "tribunal", figurant à l'article 5, par. 4 (art. 5-4), impliquait seulement que l'autorité appelée à statuer devait avoir un caractère judiciaire, mais qu'il ne se rapportait aucunement à la procédures à suivre (loc. cit. p. 44); que cependant, dans l'affaire susmentionnée, la Cour avait en vue les recours dirigés contre les détentions préventives, qui s'inscrivent dans le cadre d'une procédure pénale; que les procédures relatives à la mise en liberté d'un aliéné sont d'une nature différente, exigent d'autres investigations et, généralement, ne requièrent pas la même célérité, de sorte qu'on peut persister à soutenir qu'elles doivent être entourées de certaines garanties, en d'autres termes que certains éléments de la notion de "procès équitable" doivent y trouver application; qu'à l'occasion de l'examen de la présente requête sous l'angle de l'article 6, par. 1 (art. 6-1), la Commission a déjà relevé que le fait que le requérant n'ait pas eu personnellement connaissance des rapports d'expertise médicale ne constituait pas une atteinte au principe du "procès équitable", tel qu'il doit être compris lorsqu'il s'agit de l'internement ou de la mise en liberté d'un aliéné;
Considérant que l'examen du dossier ne permet donc de discerner, en l'état, aucune apparence de violation des droits et libertés reconnus dans la Conventions, et notamment dans ses articles 6, par. 1 (art. 6-1), ou 5, par. 4 (art. 5-4); qu'il échet par conséquent de rejeter la requête, sur le point considéré, en application de l'article 27, par. 2 (art. 27-2), pour défaut manifeste de fondement;
Par ces motifs, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.