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06/04/1967 | CEDH | N°2689/65

CEDH | DELCOURT contre la BELGIQUE


EN FAIT
Vu la décision partielle (1) que la Commission a rendue sur la recevabilité de la présente requête, le 7 février, 1967, et par laquelle elle a déclaré irrecevables la plupart des griefs du requérant (griefs de 1 à 11) et invité, conformément à l'article 46, alinéa 1 in fine de son Règlement Intérieur, les parties à lui donner des explications orales sur la recevabilité des griefs 12 et 13 (cf. décision du 7 février 1967 Document 6049 06.2/31) en ces termes: "Considérant que le requérant affirme que le 21 juin, 1965, alors qu'il était accompagné de trois genda

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EN FAIT
Vu la décision partielle (1) que la Commission a rendue sur la recevabilité de la présente requête, le 7 février, 1967, et par laquelle elle a déclaré irrecevables la plupart des griefs du requérant (griefs de 1 à 11) et invité, conformément à l'article 46, alinéa 1 in fine de son Règlement Intérieur, les parties à lui donner des explications orales sur la recevabilité des griefs 12 et 13 (cf. décision du 7 février 1967 Document 6049 06.2/31) en ces termes: "Considérant que le requérant affirme que le 21 juin, 1965, alors qu'il était accompagné de trois gendarmes, il constata que "la Cour de Cassation délibérait en Chambre de Conseil sur son cas en présence de l'avocat général Dumon qui avait requis le rejet des pourvois de l'exposant"; que, sur ce point, la Commission s'est assurée qu'aux termes de l'arrêté du Prince-Souverain en date du 15 mars 1815 contenant règlement organique de la procédure de cassation, le Ministère public prend des conclusions, auxquelles le demandeur ne peut répondre, devant la Cour de Cassation belge et a le droit d'assister, sans voix délibérative, à la délibération de cette Cour, lorsqu'elle n'a pas lieu à l'instant et dans la salle même d'audience; qu'ainsi est posée la question de savoir si la présence du magistrat du Ministère public prend des conclusions, auxquelles le demandeur ne peut répondre organique de la procédure de cassation, le Ministère public prend des conclusions, auxquelles le demandeur ne peut répondre, devant la Cour de Cassation belge et a le droit d'assister, sans voix délibérative, à la délibération de cette Cour, lorsqu'elle n'a pas lieu à l'instant et dans la salle même d'audience; qu'ainsi est posée la question de savoir si la présence du magistrat du Ministère public au délibéré de la Cour est compatible avec le principe de l'égalité des armes et, par conséquent, avec l'article 6, paragraphe 1 de la Convention; que la Commission se réfère, sous ce rapport, à sa jurisprudence antérieure (cf. affaires Ofner et Hopfinger, respectivement No 524/59 et 617/59); qu'elle estime toutefois ne pas être en mesure de se prononcer, en l'état actuel de la cause, sur la recevabilité du grief susmentionné; ---------------------------------------------------------- (1) Recueil de décisions, Volume 22, page 48 et suivantes. ----------------------------------------------------------
13. Considérant que le requérant affirme que pendant toute la procédure devant les juridictions belges, il n'a pas eu l'assistance gratuite d'un interprète, bien qu'il ne connaisse pas la langue néerlandaise; que la Commission relève que, bien que ce grief n'ait pas été soulevé devant la Cour de Cassation, la question se pose néanmoins de savoir si le Tribunal de Bruges d'abord, et la Cour d'Appel de Gand ensuite, n'auraient pas dû désigner d'office un interprète, conformément à l'article 332 du Code d'instruction criminelle belge et à l'article 6, paragraphe 3 c) de la Convention; que la question se pose également de savoir si la Cour de Cassation n'aurait pas dû soulever d'office le moyen de la nullité résultant de la non-application de ces dispositions; que la Commission estime, qu'en l'état actuel, elle n'est pas en mesure de trancher cette question;"
Historique de la Procédure devant la Commission
Considérant que la procédure devant la Commission peut se résumer ainsi:
Par lettre du 14 février 1967, le Secrétaire de la Commission a informé les parties de la décision que la Commission avait prise le 7 février 1967. L'audience orale sur les points susvisés a été fixée pour le 5 avril 1967. Les conseils que le requérant avait indiqués ayant manifesté l'opinion de ne plus représenter M. Delcourt devant la Commission, celui-ci a, le 22 mars ... 1967, demandé l'assistance judiciaire gratuite devant la Commission, aux termes de l'Addendum au Règlement Intérieur sur l'assistance judiciaire gratuite. La Commission a, les 3 et 4 avril 1967, examiné la demande du requérant. Elle a décidé de tenir l'audience orale pour la date fixée, même en l'absence des représentants du requérant; elle a décidé ensuite, pour ce qui est de la demande d'assistance judiciaire formulée par le requérant, de lui demander certaines précisions, avant de pouvoir statuer sur ladite demande.
A comparu devant la Commission à la date prévue Me Jan de Meyer, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Louvain et avocat au Barreau de Malines, Agent et Conseil du Gouvernement du Royaume de Belgique. La Commission a entendu le Conseil du Gouvernement belge en ses moyens et conclusions et lui a posé différentes questions (articles 53 et 63, combinés, du Règlement Intérieur). Le compte rendu intégral des débats se trouve reproduit au Document 6311 06.2/31. L'audience s'est terminée le 5 avril 1967. La Commission a pris aussi en considération, avant de mettre l'affaire en délibéré, une lettre du requérant datée du 31 mars 1967 résumant, entre autres, la position de celui-ci sur les deux points retenus pour l'audience orale. Après en avoir délibéré les 5 et 6 avril, 1967, la Commission a adopté, le 6 avril, la présente décision.
Arguments des Parties
Considérant que les arguments présentés par les parties, tant par écrit que lors de l'audition orale du Conseil du Gouvernement défendeur, peuvent se présenter ainsi:
I. Quant à la présence du Ministère public au délibéré de la Cour de Cassation
A. "L'argumentation du Conseil du Gouvernement défendeur a été la suivante:
Selon l'article 37 de l'arrêté du Prince-Souverain du 15 mars 1815 contenant le règlement organique de la procédure en cassation, le Ministère public auprès de cette Cour n'est pas partie en cause, même en matière pénale. Pour cette raison même, il a, en vertu de l'article 39 du même arrêté, le droit d'assister à la délibération, sans toutefois y avoir voix délibérative."
Article 37
Même en matière criminelle, le Procureur général près la Cour ne peut être considéré comme partie; il ne donne que des conclusions, à moins qu'il n'ait demandé lui-même la cassation. Dans ce cas il présente son réquisitoire qui, déposé au greffe, est remis sans autre formalité au rapporteur désigné par le premier président, et distribué ensuite avec le rapport entre les membres du Parquet." "Article 39
La Cour jugera autant que possible séance tenante. En matière de cassation, le Ministère public a le droit d'assister à la délibération lorsqu'elle n'a pas lieu à l'instant et dans la salle même d'audience, mais il n'a pas voix délibérative." Cette situation, définie par l'arrêté de 1815, est différente de celle du Ministère public auprès des juridictions inférieures. La présence du Ministère public aux délibérations de ces juridictions est interdite par l#article 88 du décret du 30 mars 1808 contenant règlement pour la police et la discipline des Cours et Tribunaux. Cet article a été modifié ultérieurement par une loi du 19 avril 1949, qui a précisé que cette interdiction était prescrite à peine de nullité [texte de l'article 88 modifié]:
Article 88
Le Procureur général, ni aucun membre du Ministère public, n'assisteront aux délibérations des juges, lorsqu'ils se retirent à la Chambre du Conseil pour délibérer de la sentence, ce à peine de nullité de la décision." La disposition de l'arrêté de 1815 relative à la présence du Ministère public au délibéré de la Cour de Cassation n'a fait, depuis lors, l'objet d'aucune contestation sur le plan doctrinal; elle est reproduite sans aucun commentaire dans les ouvrages relatifs à la procédure criminelle. La question fut toutefois soulevée lors des travaux préparatoires de la loi 1949, modifiant l'article 88 précité du décret du 30 mars 1808. Le législateur belge se prononça, à ce moment, pour le maintien de la présence du Ministère public au délibéré de la Cour de Cassation. Les motifs s'en trouvent exposés dans le rapport fait par M. Philippart au nom de la Commission de la Chambre des représentants: on reconnut le bien-fondé des considérations qui avaient été développées à ce sujet par M. Cornil, Procureur général auprès de la Cour de Cassation, dans une lettre du 13 mai 1948, adressée à M. Struye, Ministre de la Justice. Si, à la Cour de Cassation, le magistrat du Parquet assiste au délibéré avec voix consultative, c'est que, comme l'écrivait M. Cornil dans cette lettre, "devant la Cour de Cassation, ne se pose plus qu'une question de droit, pour l'examen de laquelle le Procureur général près la Cour de Cassation n'est point partie en cause. Au répressif, ce sont les procureurs généraux près les trois Cours d'Appel, l'auditeur général près la Cour militaire ou les procureurs du Roi qui sont demandeurs ou défendeurs et produisent des mémoires parce qu'ils exercent l'action publique; le Procureur général près la Cour de Cassation n'exerce pas l'action publique; il n'est ni demandeur ni défendeur et est, dans ses conclusions, aussi indépendant vis-à-vis de l'accusation que vis-à-vis de la défense."
Récemment, le Parlement belge a été une nouvelle fois amené à examiner le problème, dans le cadre des discussions relatives à la réforme judiciaire. Le Procureur général Hayoit de Termicourt établit à cette occasion une note dans laquelle il exposait le sens de la présence du Ministère public au délibéré de la Cour de cassation. Il rappelait qu'"à la différence du Ministère public près les Cours d'Appel et près les Tribunaux de première instance, le Procureur général près la Cour de Cassation n'est pas investi de l'action publique", qu'"il ne dispose même d'aucun droit de commandement sur les Procureurs généraux des Cours d'Appel, ne pouvant ni leur ordonner d'agir au civil ou de poursuivre au criminel, ni leur interdire 'agir" et que "même lorsqu'il se pourvoit dans l'intérêt de la loi, ce recours ne peut infliger aucun grief aux parties". Dès lors, "l'assistance du Procureur général à la délibération ne saurait mettre en cause l'indépendance des juges à l'endroit de la partie poursuivante, ni soit mettre une partie au procès dans une situation privilégiée, soit porter atteinte à son droit de défense".
Par ailleurs, le Procureur général exposait, dans cette même note, l'utilité de cette présence du Ministère public, en précisant en même temps la mission que celui-ci est appelé à accomplir auprès de la Cour: "Le rôle du Ministère public au cours de la délibération n'est pas de provoquer une décision de rejet là où la Cour entendrait accueillir un pourvoi ou inversement. L'assistance du Ministère public concerne essentiellement la motivation de la décision. Les termes des arrêts de la Cour doivent être soigneusement choisis. C'est que la plupart des arrêts de la Cour contiennent généralement l'énonciation d'une règle dont le champ d'application déborde le cas d'espèce. Signaler à la Cour les conséquences que pourrait avoir, dans d'autres domaines, l'expression que le texte de l'arrêt envisagé donne à la règle, ou encore les difficultés d'interprétation que cette expression pourrait soulever ou enfin la discordance entre cette expression et celle qui est contenue dans d'autres arrêts énonçant la même règle, telle est la mission du Ministère public près la Cour pendant la délibération."
La Commission du Sénat se prononce clairement pour le maintien de la situation existante; un amendement qui avait été introduit par un nombre du Sénat et qui tendait à interdire la présence du Ministère public au délibéré de la Cour de Cassation, du moins dans les affaires intéressant l'Etat, fut retiré par son auteur. En réalité, la présence du Ministère public au délibéré de la Cour de Cassation ne porte atteinte, en aucune manière, au principe de l'"égalité des armes", puisque le Procureur général et les avocats généraux établis auprès de cette Cour, sont absolument indifférents au problème de la culpabilité du prévenu: ils n'ont qu'à veiller, autant que la Cour elle-même, à une exacte et fidèle application de la loi et au maintien de l'unité de la jurisprudence.
Ils sont aussi étrangers que la Cour elle-même aux actions publiques que soutiennent, devant les juridictions qui examinent le fond des affaires, les officiers du Parquet établis auprès de ces juridictions; ils n'en sont solidaires, à aucun point de vue. Ils ne sont pas les adversaires des prévenus condamnés ou acquittés au fond: ils n'ont pas à se préoccuper et ne se préoccupent pas en fait de faire adopter une solution qui leur soit défavorable ou favorable. Ils sont, autant que la Cour de Cassation elle-même, les censeurs des jugements et arrêts déférés au contrôle de celle-ci: ils le sont en toute indépendance et en toute impartialité. Ils assistent la Cour dans l'accomplissement de sa mission et leur présence à ses délibérations est donc tout indiquée."
Répondant à des questions que la Commission lui avait posées, le Conseil du Gouvernement défendeur a développé son argumentation, en y apportant des précisions sur les points suivants:
Rapports entre le Ministère public auprès de la Cour de Cassation et le Ministère public auprès des tribunaux qui statuent du fond.
Le Conseil a soutenu qu'aux termes de l'article 154 de la loi d'organisation judiciaire de 1869: "Le Ministre de la Justice exerce sa surveillance sur tous les officiers du Ministère public; le Procureur Général près la Cour de cassation, sur les Procureurs généraux près les Cours d'Appel et ces derniers exercent leur surveillance sur les Procureurs du Roi et leurs substituts." ... "La surveillance qu'en vertu de ce texte [...] le Procureur Général de la Cour de Cassation exerce sur les Procureurs généraux des Cours d'Appel et, à travers ces Procureurs généraux, sur l'ensemble des officiers du Ministère public du Royaume, est une surveillance d'ordre purement, exclusivement doctrinale." ... "Cela signifie que le Ministère public près la Cour de Cassation ne dispose d'aucun droit d'injonction à l'égard des membres du Ministère public établie auprès des juridictions du fond. Seul le Ministre de la Justice peut adresser des instructions et des injonctions aux Procureurs Généraux des Cours d'Appel et, à travers ceux-ci, à l'ensemble des officiers du Ministère public qui exercent leurs fonctions auprès des juridictions du fond et qui sont soumis, en tant que Procureurs du Roi, substituts ou avocats généraux, à l'autorité du Procureur Général de leur ressort, c'est-à-dire du Procureur Général de la Cour d'Appel dont ils relèvent. Ces liens s'établissent donc directement entre le Ministre de la Justice et les trois Procureurs Généraux des Cours d'Appel du Royaume. Ce n'est pas le Procureur Général de la Cour de cassation qui donne les instructions, les injonctions aux trois Procureurs Généraux; il ne peut le faire, cela ne le concerne pas il y a uniquement l'autorité du Ministre de la Justice qui s'exerce directement et immédiatement sur les trois Procureurs Généraux des Cours d'Appel." "Au fond, ce n'est donc qu'à l'égard des officiers du Ministère public établis auprès des juridictions du fond que joue pleinement la règle formulée dans l'article 1er du Titre VIII du décret sur l'organisation judiciaire des ... et ... 1790, toujours en vigueur en Belgique, article qui comporte ceci: "Les officiers du Ministère public sont agents du pouvoir exécutif auprès des tribunaux. Leurs fonctions consistent à faire observer, dans les jugements à rendre, les lois qui intéressent l'ordre général, et à faire exécuter les jugements rendus." ... "Il n'y a pas de relation hiérarchique, au sens de l'existence d'un pouvoir de donner des ordres, des injonctions, d'imposer une ligne de conduite déterminée, de prescrire qu'une action publique soit intentée ou qu'elle ne le soit pas, il n'existe pas de relation hiérarchique de ce genre entre le Ministère public de la Cour de Cassation et les Ministères publics des juridictions du fond, alors que tout-cela, ce pouvoir hiérarchique, existe certainement entre le Procureur Général de la Cour d'Appel et les membres du Parquet d'Appel, les membres des Parquets de Première instance et les officiers du Ministère public qui exercent leurs fonctions auprès des tribunaux de police. Dans ces éléments-là du Ministère public, il y a un pouvoir hiérarchique, ce qui permet au Ministre de la Justice, aux Procureurs Généraux et à ceux qui sont leurs subordonnés de donner chaque fois des instructions précises à leurs subordonnés, à ceux qui se trouvent, à leur tour, sous leur autorité. ... "En réalité, le Ministère public auprès de la Cour de Cassation ne sert que comme ce que l'on a pu appeler une boîte aux lettres, à l'instant où les dossiers montent des Parquets des Cours d'Appel ou des Parquets de Première instance vers la Cour de Cassation, lorsqu'un pourvoi est introduit auprès de cette Cour (article 424 du Code d'instruction criminelle). "Le magistrat chargé du Ministère public près la Cour ou le tribunal qui a rendu l'arrêt ou le jugement attaqué remettra sans désemparer le dossier au Procureur Général près la Cour de Cassation, qui inscrira immédiatement la cause au rôle général." ...
Rapports entre le Gouvernement et le Ministère Public auprès de la Cour de Cassation
Se référant ici aussi à la disposition de l'article 154 de la loi d'organisation judiciaire de 1869 (cité ci-dessus), le Conseil tient à préciser, tout d'abord, que la manière selon laquelle s'exerce la surveillance est d'ordre purement doctrinal. Il n'y a pas, en règle générale, et sauf certaines exceptions, de pouvoir d'injonction de la part du Ministre de la Justice à l'égard des membres du Parquet de la Cour de Cassation. "En principe, tout se passe entre le Ministre de la Justice et le Procureur Général de la Cour de Cassation comme entre le Procureur Général de la Cour de Cassation et les Procureurs Généraux des Cours d'Appel, mais il y a quelques exceptions, il y a quelques cas particuliers. Dans certains cas, des relations de caractère particulier s'établissent entre les officiers du Ministre public de la Cour de Cassation et le Gouvernement. Il y a des cas dans lesquels le Ministère public auprès de la Cour de Cassation intente certaines actions. Il y en a qu'il intente lui-même de sa propre initiative, sans attendre que des instructions lui soient données par le Ministre de la Justice, il y en a aussi que le Procureur Général de la Justice, et il y en a aussi que le Procureur Général de la Cour de Cassation intente selon les instructions et en vertu des instructions que le Ministre de la Justice a pu lui donner."
Ces cas sont, pour l'essentiel, la dénonciation d'excès de pouvoir et des délits commis pas les juges dans l'exercice de leurs fonctions, les recours dans l'intérêt de la loi, les actions disciplinaires. Il y a aussi le cas des poursuites contre un Ministre. Dans tous ces cas, où le Procureur Général ou l'un de ses avocats généraux soutiennent une action publique devant la Cour de Cassation, ceux-ci peuvent invoquer l'adage qui s'applique aussi à tous les autres membres du Parquet: "La plume est serve et la parole est libre".
De plus, toujours dans les cas énumérés ci-dessus, le Ministère public reste absent de la délibération parce qu'alors il est partie en cause (cf. article 37 de l'arrêté du Prince-Souverain de 1815). Et le Conseil conclut sur ce point en ces termes: "Dès lors, le Procureur Général et les avocats généraux, dans la logique même de cette autre position qu'ils ont lorsqu'ils intentent l'action, ne participent pas au délibéré. Dans ces cas-là, ils ne sont présents puisqu'ils sont parties. La chose est logique. Leur place n'est pas à la délibération lorsqu'ils sont parties au procès, comme la place des membres du Ministère public auprès des Cours d'appel et des tribunaux de Première Instance n'est pas à la délibération puisqu'ils sont toujours, eux, parties en cause."
Quant à la possibilité d'introduire un appel devant la Cour de Cassation
Sur ce point, le Conseil a soutenu que "la réponse est négative. C'est impossible. Tout d'abord, l'article 95 de la Constitution décide que la Cour de Cassation ne connaît pas du fond des affaires, sauf ce qui est statué à l'égard des Ministres; c'est la seule exception, c'est le seul cas dans lequel la Cour de Cassation connaît du fond, et encore ce n'est pas en appel, c'est en première et en dernière instance que le Ministre est jugé par la Cour de Cassation. En dehors de cette hypothèse, il n'est pas possible que la Cour de Cassation statue au fond, et plus particulièrement qu'elle statue sur un appel" (cf. article 15 et article 17 de la loi du ... 1832, loi organique de l'ordre judiciaire).
Quant aux éléments écrits et oraux dans la procédure devant la Cour de Cassation
Le Conseil a soutenu que "Elle est en partie écrite, en partie orale."
Les éléments écrits du dossier à la Cour de Cassation sont: "L'acte de pourvoi, la requête ou le mémoire dans lequel les parties, plus particulièrement la partie demanderesse, expose les moyens de son pourvoi et les arguments qu'elle croit pouvoir invoquer. Et l'on trouvera notamment aussi dans cette partie écrite de la procédure le mémoire du Ministère public de la Cour d'Appel qui a intenté le pourvoi en cassation." "Ce n'est pas au Procureur Général de la Cour de Cassation qu'il incombe d'établir des mémoires pour l'accusation, puisqu'il n'a rien à voir avec l'accusation. Le mémoire doit venir d'en bas, du Procureur Général près la Cour d'appel, ou éventuellement, du Procureur du Roi près le Tribunal de Première Instance, si celui-ci a pu directement porter l'affaire devant la Cour de Cassation. Encore un autre élément écrit: c'est le rapport du conseiller-rapporteur, rapport absolument objectif, dans lequel aucune opinion n'est exprimée, qui se borne à résumer les éléments de l'affaire, les arguments des parties et qui, éventuellement, peut rectifier des erreurs de fait, mais ne peut pas prendre position sur les solutions à donner aux questions posées. Dans le cas, éventuellement, où le Ministère public près la Cour de Cassation agit dans les quelques cas exceptionnels dont j'ai parlé longuement il y a quelques instants, on trouvera aussi dans la partie écrite de la procédure le réquisitoire du Procureur Général près la Cour de Cassation."
Cette partie achevée, on passe à la phase orale, l'audience devant la Cour de Cassation: "D'abord celle-ci entend le rapport du conseiller-rapporteur, ensuite ont lieu les plaidoiries des parties, d'abord celle de la partie demanderesse, ensuite celle de la partie défenderesse, enfin viennent les conclusions du Ministère public, l'avis final rendu en toute indépendance et en toute impartialité par le Procureur Général près la Cour de Cassation pour l'avocat général, et c'est après cela que la Cour se retire pour délibérer."
Dans cette procédure, l'égalité des armes est rompue au détriment non pas du prévenu, parce qu'il est toujours là ou il y est toujours représenté, mais elle est rompue au détriment du Ministère public auprès de la Cour d'Appel ou, en général, auprès de la juridiction du fond d'où vient l'affaire. Lui est seul à ne pas être présent. Il n'est là que par le mémoire qu'il a pu introduire. Mais en dehors de ce mémoire, il disparaît de la procédure et il est alors exposé à apprendre, après coup, que le Ministère public près la Cour de Cassation a eu une attitude totalement différente sur les problèmes de droit qui ont été jugés par cette Cour, de l'attitude qu'il avait, lui, et qu'il a peut-être exposée dans son mémoire. Voilà la seule partie qui reste absente au procès pénal, arrivé au stade de la procédure en cassation. C'est le Ministère public, le véritable Ministère publique, celui qui a jusqu'alors intenté l'action publique, qui reste en dehors de la Cour, qui ne vient pas, qui n'a pas le droit de venir se défendre devant la Cour de Cassation." En ce qui concerne le problème posé par la présente requête, le Conseil observe que: "D'après les mentions de l'arrêt rendu dans l'affaire Delcourt, il n'est fait mention que du rapport et des conclusions: "Oui, M. le Conseiller de Bersacques en son rapport et sur les conclusions de M. Dumon, avocat général. Il n'est pas fait mention expressément dans l'arrêt de la Cour de Cassation de plaidoiries qui auraient été faites par les conseils de Delcourt".
Mais comme le requérant affirme avoir vu l'avocat général Dumon qui se rendait pour délibérer, "il est donc probable qu'en fait l'inculpé était présent à l'audience, mais qu'il n'était pas assisté à cette audience par ses avocats, alors qu'il a toujours été assisté par eux en Première Instance à la plupart des audiences et, de même, au moins à l'une des audiences de la Cour d'Appel". Le Conseil du Gouvernement belge conclut au rejet de la requête, sur ce point, comme étant manifestement mal fondée.
B. Sur les points considérés, le requérant a dans la lettre du 31 mars 1967 (reproduite au Document 17.564 06.2/31) émis l'avis suivant: "La présence du Magistrat du Ministère Public lorsque la Cour de Cassation délibère sur les pourvois portés devant elle est incompatible avec le principe de l'égalité des armes et c'est en conséquent en violation avec l'article 6 de la Convention. Pour moi, à mon avis, l'Etat belge devrait modifier la loi concernant ce point, soit en autorisant la défense d'être également présente aux délibérations de la Cour de Cassation, soit d'interdire la présence du Ministère public auxdites délibérations afin que la Cour ne soit pas influencée par la présence de l'un ou l'autre partie."
II. Quant à la non-désignation d'un interprète lors des audiences consacrées à l'affaire
A. L'argumentation du Conseil du Gouvernement défendeur a été la suivante: "Le requérant n'a jamais, à aucun moment de la procédure consacrée à son affaire en Belgique, réclamé l'assistance d'un interprète. Il n'a pas non plus introduit à ce propos le moindre recours de droit interne. N'ayant pas fait usage des voies de recours internes dont il pouvait disposer, il ne peut donc plus invoquer ce moyen devant la Commission européenne des Droits de l'Homme.
En réalité, sa requête est aussi, sur ce point, manifestement mal fondée.
Le volumineux dossier de l'affaire est composé, pour une très large part, de pièces établies en langue française et comporte, pour le surplus, les traductions en français des pièces établies en langue néerlandaise qui ont pu être produites à l'appui des accusations portées contre le requérant. Par ailleurs, ce dossier comprend de très nombreuses lettres et notes de celui-ci, qui démontrent qu'il avait une connaissance très exacte et complète des inculpations et des éléments avancés contre lui et qu'il savait très bien de quoi il s'agissait. S'il n'a jamais demandé l'assistance d'un interprète, c'est qu'il n'en avait pas réellement besoin. Ayant séjourné longtemps dans une région de langue néerlandaise, il avait sans doute une connaissance suffisante de cette langue pour comprendre ce qu'on pouvait dire à son sujet. Et, dans la mesure où il ne pouvait s'exprimer lui-même en néerlandais, ses juges comprenaient tous parfaitement ce qu'il pouvait leur dire en français. C'est d'ailleurs aussi en français que la plupart des témoins cités aux audiences publiques ont été entendus. N'est-il pas remarquable enfin qu'au cours des six audiences que le Tribunal de Bruges consacra, du 19 mai au 21 septembre 1964, à l'affaire du requérant, aucun incident de caractère linguistique ne fut soulevé par celui-ci ni par son conseil, Me De Wulf? C'est que l'application faite à l'intéressé des règles relatives à l'emploi des langues en matière judiciaire ne lui portait aucun grief.
Si vraiment le requérant ne pouvait comprendre que difficilement les procédures engagées contre lui ou s'il lui semblait qu'il ne pouvait s'exprimer parfaitement en néerlandais, il lui aurait suffi de demander, conformément à l'article 23 de la loi du ... 1935, que la procédure ait lieu en français. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait lorsqu'il pouvait le faire, au moment où il fut traduit devant le Tribunal de Bruges? Et ne l'ayant pas fait, pourquoi n'a-t-il pas, du moins, demandé l'assistance d'un interprète, conformément à l'article 6, paragraphe 3, e), de la Convention et à l'article 32 de la loi du 15 juin 1935?
On conçoit difficilement qu'il puisse à présent, auprès de la Commission européenne des Droits de l'Homme, se plaindre de ne pas avoir bénéficié d'avantages ou de facilités qu'il a négligé de solliciter, que personne n'avait à lui octroyer d'office et dont, en fait, il n'avait pas vraiment besoin."
La Commission a posé deux questions au Conseil du Gouvernement belge. Les réponses de celui-ci ont été pour l'essentiel les suivantes:
Sur la question de savoir si Delcourt s'était exprimé en français devant le Tribunal de Bruges
Le Conseil a soutenu que "Il y a d'abord la procédure en Chambre du Conseil qui a lieu le ... 1964, c'est-à-dire la procédure où la Chambre du Conseil décide du renvoi devant le Tribunal correctionnel. La réponse à la question [...] est très claire; elle est donnée, pour la Chambre du Conseil, par la décision elle-même qui se termine par la phrase que voici, qui est établie en néerlandais: [...]. "Il a été fait usage de la langue néerlandaise pour la procédure, pour les réquisitions du Ministère public et pour les plaidoiries. Delcourt a cependant obtenu l'autorisation de présenter personnellement sa défense en français." Je constate, par ailleurs, que lors de cette comparution devant la Chambre du Conseil, Delcourt était sans avocat, mais la seconde prévenue, Z., était assistée, elle, par Me Cant, avocat à Bruges. Voilà donc pour la Chambre du Conseil. La situation est très claire. La Chambre du Conseil a autorisé le prévenu à présenter sa défense en français. Il y a ensuite la procédure qui a été suivie devant le Tribunal correctionnel de Bruges. Pour autant que de besoin, je [...] signale que dans l'intervalle entre le 17 avril 1964 et la date à laquelle l'affaire commence à passer devant le Tribunal de Bruges, à partir de l'audience du 19 mai, il y a deux longues lettres de Delcourt adressées en français au Président et au Procureur du Roi, pour demander, le 8 mai, la remise de son affaire, sans faire allusion à un facteur linguistique quelconque. Il a écrit en français pour dire qu'il n'a pas eu le temps de préparer sa défense, que ses avocats n'ont pas eu le temps et que, par conséquent, il faudrait remettre l'affaire. Le 19 mai commence donc l'examen de l'affaire devant le Tribunal de Première Instance de Bruges. Ici, nous pouvons constater avec certitude que trois témoins ont été entendus en français."
En ce qui concerne la langue qui a été employée par Delcourt lui-même, le Conseil a fait valoir que: "Constamment, tous les actes de cette procédure devant le Tribunal de Bruges reproduisent chaque fois fidèlement la phrase: "La langue de la procédure est le néerlandais." Six fois de suite, la feuille d'audience nous indique que tout s'est passé en néerlandais, conformément d'ailleurs à la loi. Il est fait mention toutefois de deux interventions expresses de Delcourt. En dehors du renvoi général à l'article 190 du Code d'instruction criminelle, qui prévoit que les parties doivent être interrogées, etc., ce qui constitue une référence générale, qui n'indique pas avec précision ce qui s'est passé, nous avons la mention de deux interventions expresses de M. Delcourt, l'une se situant le 23 juin, l'autre se situant le 24 juin. Il s'agit d'abord, le 23 juin, de ceci: Me De Wulf, avocat à Bruges et conseil de l'accusé Delcourt, demande la parole et, l'ayant obtenue, demande qu'une enquête complémentaire soit faite au sujet de la date à laquelle le gros lot a été payé; il promet, en outre, de déposer des conclusions écrites à ce sujet: la feuille d'audience ajoute que "le prévenu Delcourt se joint aux déclarations de son conseil, Me De Wulf ...". De même, dans la feuille d'audience du 24 juin il est écrit: "Le premier prévenu est entendu en ses moyens de défense, développés en néerlandais par Me De Wulf, avocat à Bruges, qui dépose des conclusions tendant à faire ordonner une nouvelle instruction relative au fait que Delcourt aura obtenu ou n'aura pas obtenu un gros lot de la Loterie française. Le prévenu Delcourt à ce sujet, dépose une lettre et demande expressément que l'affaire soit remise." C'est la deuxième fois qu'il est fait mention d'une intervention explicite de Delcourt. Nous nous trouvons ainsi devant un dilemme. Ou bien - comme le semblent indiquer implicitement les feuilles d'audience qui comportent chaque fois à la première page la phrase rituelle: "La procédure se fait en néerlandais" - Delcourt a fait ses déclarations en néerlandais, d'après ce qui résulte implicitement de ces feuilles d'audience, ou bien les feuilles d'audience sont sur ce point inexactes ou incomplètes, et les déclarations ont été faites en français. Mais dans ce cas-là, il n'y a pas de problème véritable, semble-t-il, parce que dans cette hypothèse Delcourt aurait fait usage d'un droit qu'il a en vertu de l'article 31 de la loi sur l'emploi des langues en matière judiciaire, disposition qui prévoit ce qui suit: "Dans tous les interrogatoires de l'information et de l'instruction, ainsi que devant les juridictions d'instruction et les juridictions de jugement, l'inculpé fait usage de la langue de son choix pour toutes ses déclarations." Par conséquent, il est probable que Delcourt se soit exprimé en français lors de ses interventions devant le Tribunal de Bruges. Il est normal de le supposer, puisqu'il a fait constamment usage de la langue française dans ses déclarations reproduits dans les pièces écrites qui figurent au dossier et qui sont nombreuses." "Le Tribunal de Bruges dans son jugement constate, in fine, à la page 14 (traduction): "Entendu les deux prévenus en leurs réponses et en leur défense, le tout en néerlandais." Seulement, cela fait suite à d'autres constatations: "Entendu les déclarations orales des témoins présents à l'audience; entendu le Ministère public dans son résumé de l'affaire et dans ses conclusions tendant, notamment, à la mise à la disposition du Gouvernement du prévenu Delcourt"; puis, "entendu les deux prévenus et leurs réponses et moyens de défense, le tout en néerlandais". Donc, d'après la feuille même du jugement, d'après le texte même du jugement, il aurait été fait usage par Z et par Delcourt de la langue néerlandaise; ... "Delcourt a toujours écrit en français toutes les lettres et toutes les notes qu'il a transmises, notamment pour demander des confrontations, pour demander l'audition de témoins, la production de certaines pièces: tout cela est écrit en français. Il avait fait usage du droit constitutionnel qu'ont tous les Belges de se servir librement de la langue de leur choix.
Evidemment, les autorités publiques ne jouissent pas de cette liberté. Delcourt, lui, a fait constamment usage de cette possibilité qu'il avait d'écrire en français."
De plus, le Conseil tient à ajouter: "qu'à la Cour d'appel il est fait mention explicitement, dans la feuille d'audience et dans l'arrêt, que le prévenu a fait usage de la langue française.
Tout d'abord, à la feuille d'audience de la Cour d'appel de Gand, lors de la séance du 27 janvier 1965, il est constaté que le prévenu Delcourt a été entendu en ses moyens de défense, présentés en langue française à sa demande, car il ne connaît pas la langue néerlandaise, et que le prévenu a déposé une farde contenant deux sous-fardes, lesquelles contiennent respectivement une note de 44 pages, et huit pièces justificatives, qu'il a déposées à l'appui des exposés qu'il a faits verbalement. Ces pièces justificatives ont été, depuis lors renvoyées à l'intéressé. Delcourt, à ce moment-là, est intervenu personnellement pour développer certains arguments après que son avocat, Me De Wulf, ait plaidé l'affaire. Ensuite, dans l'arrêt de la Cour d'appel de Gand, il est précisé, à la page 16 et à la page 17, qu'ont été entendus le conseiller rapporteur, l'avocat général, la prévenue Z, le prévenu Delcourt et son avocat, le tout en néerlandais, à l'exception des déclarations du prévenu Delcourt, qui, à sa demande, s'est exprimé en langue française, prétendant ne pas connaître la langue néerlandaise. Enfin, à la page 17, il y a un dernier considérant avant le dispositif: "considérant qu'il ne peut être tenu compte de la note d'audience déposée par Delcourt et rédigée en langue française, contrairement à l'article 24 de la loi du 15 juin 1935".
La Cour d'appel rejette la note d'audience des débats, parce que cette note n'est pas établie dans la langue de la procédure." ...
Quant aux conditions d'applicabilité de l'article 332 du Code d'instruction criminelle
Le Conseil du Gouvernement défendeur a soutenu, tout d'abord, que cet article est inapplicable à la présente affaire. En effet, cet article fait partie du Titre II du Livre II du Code d'instruction criminelle, titre qui est, d'après son intitulé, relatif aux "affaires devant être soumises au jury".
Le Conseil a ajouté que pour les besoins de la présente affaire, il faut prendre en considération l'article 32 de la loi du 15 juin 1935. "Article 32: "Les témoins sont entendus et leurs dépositions sont reçues et consignées dans la langue de la procédure, à moins qu'ils ne demandent à faire usage d'une autre langue. Si les magistrats ou les agents chargés de l'audition des témoins ne connaissent pas cette langue, ou si l'inculpé le demande, il est fait appel à un traducteur juré. Les frais de traduction sont à la charge du Trésor."
En ce qui concerne cet article, le Conseil a soutenu en outre que "C'est là l'article qui était applicable, et c'est d'après cet article que précisément, lors de l'audition en français des trois témoins, le Tribunal de Bruges a constaté tout d'abord que le prévenu comprenait le français, langue autre que celle de la procédure et a constaté en outre que tous les membres du Tribunal comprenaient également le français.
Cet article 32 s'insère dans une série de dispositions où vous avez d'abord l'article 31 auquel je me suis déjà référé il y a un instant: "Dans tous les interrogatoires de l'information et de l'instruction, ainsi que devant les juridictions d'instruction et les juridictions de jugement, l'inculpé fait usage de la langue de son choix pour toutes ses déclarations. Il en est de même pour la partie civilement responsable. Si les agents chargés de l'information ou le Parquet, ou le magistrat-instructeur, ou les susdites juridictions ne connaissent pas la langue dont il est fait usage par l'inculpé, ils font appel au concours d'un traducteur-juré. Les frais de traduction sont à la charge du Trésor."
Voilà donc la disposition ou les dispositions qui gouvernent la matière. Mais je souligne que, d'après l'article 32, c'est à l'inculpé qu'il incombe de demander qu'on fasse appel à un traducteur-juré, donc à un interprète." Sur la question de savoir si le pourvoi en cassation est possible pour non-observation de ces dispositions, le Conseil a ajouté que "En effet, le pourvoi en cassation est possible en Belgique à propos de l'inobservation de toutes les dispositions légales quelles qu'elles soient. On peut toujours invoquer, à l'appui d'un pourvoi en cassation, les moyens déduits de la violation des dispositions linguistiques. D'ailleurs, c'est à propos de certains autres articles de la loi sur l'emploi des langues en matière judiciaire que Delcourt a formulé plusieurs de ses moyens de cassation, mais il n'a jamais formulé un moyen de cassation, mais il n'a jamais formulé un moyen de cassation relatif à la non-désignation de l'interprète."
En outre, aux termes de l'article 40 de la loi précitée "les règles qui précèdent sont prescrites à peine de nullité. Celle-ci est prononcée d'office par juge".
Il s'ensuit, d'après le Conseil du Gouvernement défendeur que "Il incombe aux juridictions belges de constater d'office la nullité des actes de procédure qui ont été faits en violation des règles de la loi sur l'emploi des langues. Seulement, cette règle est assouplie par la disposition de l'alinéa 2 de l'article 40: "Cependant, tout jugement ou arrêt contradictoire qui n'est pas purement préparatoire couvre la nullité de l'exploit et des autres actes de procédure qui ont précédé le jugement ou l'arrêt."
Ainsi, la législation belge - [...] tout en étant assez sévère en matière linguistique, tend à éviter que les irrégularités d'ordre linguistique puissent être trop facilement invoquées, après coup, après que la procédure soit déjà engagée trop loin. C'est la raison pour laquelle un jugement ou un arrêt contradictoire qui n'est pas purement préparatoire couvre, d'après cet article 40, la nullité de l'exploit et des autres actes de procédure qui ont précédé le jugement ou l'arrêt. Cette règle limite dans une certaine mesure la possibilité du pourvoi en cassation. Elle oblige les parties à veiller sur place et immédiatement au respect des lois linguistiques. Les règles de la loi sur l'emploi des langues en matière judiciaire sont très sévères et sont très précises, mais il incombe précisément au prévenu de faire en sorte qu'à temps, il aiguille la procédure dans la voie qui doit être suivie d'après cette loi."
Le Conseil on conclut que deux possibilités s'ouvraient dans la présente affaire. Le requérant aurait pu, en premier lieu, demander que la procédure soit française. Ensuite, il y avait une deuxième possibilité: "c'était que le Tribunal de Bruges, en vertu de la loi, aurait pu constater qu'il était, lui en mesure de faire la procédure en français, puisqu'en fait, pratiquement, dans la région de langue néerlandaise, les juges de la génération qui est actuellement encore en fonction dans les administrations et les tribunaux comprennent tous le français et sont tous capables de s'exprimer en français. La procédure aurait pu être faite en français à Bruges même. Pourquoi Delcourt ne l'a-t-il pas demandé? Il pouvait avoir, non seulement un interprète, mais toute la procédure en français s'il l'avait demandé. Et ne l'ayant pas demandé, après cela évidemment avant que la nullité ne soit couverte, il pouvait demander l'interprète. Il n'avait qu'à le demander d'après l'article 32 de la loi sur l'emploi des langues en matière judiciaire."
En conclusion, d'après le Conseil du Gouvernement défendeur, le requérant "aurait dû demander l'assistance d'un interprète et l'on aurait dû la lui accorder. Si on avait refusé de la lui accorder, sans ses conclusions, qui auraient pu être prises par écrit, il y aurait eu là un jugement préparatoire qui aurait été déjà susceptible d'être attaqué".
Sur la question de savoir si - ainsi que le requérant l'allègue - Me De Wulf a effectivement, devant le Tribunal correctionnel de Bruges, fait une demande en vue de l'octroi au requérant de l'assistance d'un interprète
Sur ce point, le Conseil du Gouvernement défendeur a répondu en ces termes: "je constate d'abord que rien de tout cela ne figure ni aux feuilles d'audience ni au jugement. Les feuilles d'audience sont ici, il n'y a pas de trace d'une demande ni de Delcourt ni de Me De Wulf tendant à la désignation d'un interprète. Second élément de la réponse: Me De Wulf a présenté des conclusions signées par Delcourt sur un point relativement peu important, c'est-à-dire à propos du gros lot de 1.000.000 de nouveaux francs français que le prétendument Delcourt aurait gagné et qui lui aurait donné le crédit nécessaire pour faire face à ses obligations. A propos de cet élément qui ne constitue qu'un détail, dans la masse des faits qui font l'objet de la procédure, on a présenté une page et demie de conclusions écrites. Comment se fait-il que pour un élément beaucoup plus important, la désignation d'un interprète qui, d'après ce que Delcourt nous dit maintenant, était nécessaire pour qu'il comprenne ce dont il s'agit, on n'ait pas pris de conclusions écrites? C'était bien la moindre des choses. Il aurait suffi d'une conclusion de quatre lignes pour constater que Delcourt ne connaissant pas suffisamment la langue néerlandaise demandait, en vertu des articles 31 et 32, qu'un interprète soit désigné. Cela n'a pas été fait."
B. En ce qui concerne cet aspect de la requête, le requérant a, dans sa lettre du 31 mars 1967 précitée, observé que "- Je ne connais pas la langue flamande. Je vous ai même fait parvenir une attestation de Monsieur l'Aumônier de la Prison de Bruges le confirmant. Avec ma requête, j'ai mis en annexe les photocopies de mes diverses demandes de procédure française et de traduction de mon dossier. Une fois, lors des audiences de juin 1963, mon avocat de l'époque, Maître De Wulf de Bruges, a déposé des conclusions en flamand protestant contre la disparition de documents du dossier et demandant à nouveau l'audition des témoins et que les devoirs demandés par la défense soient enfin faits.
Etant donné que le Tribunal m'avait refusé la procédure française, les conclusions de Me De Wulf doivent être rédigées en langue flamande.
C'est lui qui les a rédigées et comme je les ai signées à la Prison de Bruges, j'ai demandé avant de les signer à Monsieur l'Aumônier de la Prison de Bruges de me traduire en français ce que mon avocat avait écrit dans ses conclusions en flamand. Je me permets de vous communiquer ce point au cas où le défenseur de la Belgique montrerait lesdites conclusions pour faire croire que je connais la langue flamande.
Ceci dit, revenons au fond du second point. Ne connaissant pas la langue flamande, je devais avoir la procédure française comme me l'autorisent les articles de la loi du 15.6.1935 (Loi belge).
Vu que le Tribunal ne m'accordait pas cette procédure française, on devait m'accorder d'office un traducteur comme l'ordonne l'article 332 du Code d'instruction criminelle belge et l'article 6 (3) (e) de la Convention. Il est vrai que mes avocats devant la Cour de Cassation se sont attaqués à la procédure française de la loi du 15.6.1935.
Il est vrai que mes avocats n'ont pas invoqué l'article 332.
Pourquoi ne l'ont-ils pas invoqué devant la Cour? Sans doute parce que si le Tribunal ne renvoyait pas mon affaire devant une juridiction d'expression française, comme le prévoit cette loi du 15.6.1935, ledit Tribunal devait d'office me désigner un traducteur comme l'ordonnent l'article 332 et l'article 6 (3) (e) de la Convention.
Le Tribunal de Bruges savait que je ne connais pas le flamand et vu qu'il ne m'accordait pas la procédure française, il devait me donner un interprète. Cela n'a pas été fait, donc l'article 6 (3) (c) de la Convention n'a pas été respecté et, en vertu de l'article 332 du Code d'instruction criminelle belge, mon jugement est nul.
La Cour d'appel de Gand savait que je ne connaissait pas le flamand.Je le leur ait écrit et dit assez souvent. Ils devaient donc me donner un traducteur, ce qui me fut refusé et à nouveau au degré d'appel, l'article 6 (3) (e) de la Convention n'a pas été respecté. Et en vertu de l'article 332 du Code d'instruction criminelle belge, l'arrêt de la Cour d'appel de Gand est nul.
Devant la Cour de Cassation, j'ai demandé à nouveau la procédure française lors de la signature de mon pourvoi. Sachant que je ne connais pas la langue flamande, la Cour de Cassation, Chambre flamande, devait me donner un interprète vu que j'assistais à l'audience.
En outre, elle devait soulever elle-même le non-respect de l'article 332, vu que telle est la mission de la Cour de Cassation."
EN DROIT
Considérant que le requérant affirme que, le ... 1965, alors qu'il était accompagné de trois gendarmes, il constata que "la Cour de Cassation délibérait en Chambre du Conseil sur son cas en présence de l'avocat général Dumon, qui avait requis le rejet des pourvois de l'exposant"; que le requérant allègue, de ce fait, une violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales;
Qu'en effet, aux termes de l'article 39 de l'arrêté du Prince-Souverain du 15 mars 1815, contenant règlement organique de la procédure de cassation, le Ministère public près la Cour de Cassation prend, devant cette juridiction, des conclusions auxquelles le demandeur ne peut répondre; qu'il a, en outre, le droit d'assister, à titre consultatif, mais sans participer à la décision, à la délibération de cette Cour, dans les cas où cette délibération n'a pas lieu à l'instant même dans la salle d'audience; qu'ainsi se trouve posée la question de savoir si la présence du magistrat du Ministère public au délibéré de la Cour est compatible avec le principe de l'égalité des armes et, par conséquent, avec l'article 6, paragraphe 1 (art. 6-1) de la Convention; que la Commission se réfère, sous ce rapport, à sa jurisprudence antérieure (cf. Affaires Ofner et Hopfinger, respectivement No 524/59 et 617/59 dans Annexe III pages 323 - 355 et 371 - 393).
Considérant que l'article 27, paragraphe 2 (art. 27-2) de la Convention, s'il oblige la Commission à déclarer "irrecevables" les requêtes individuelles qu'elle estime "manifestement mal fondées", ne l'autorise pas pour autant à rejeter, dès le stade de l'examen de leur recevabilité, celles dont le mal-fondé ne tombe pas sous le sens;
Que la Commission estime que cet aspect de l'affaire mérite un examen plus approfondi, car elle n'a pas été à même de constater pour ce grief, en l'état actuel de la procédure, le défaut manifeste de fondement;
Considérant ensuite que le requérant affirme que, pendant toute la procédure devant les juridictions belges, laquelle ce serait déroulée en néerlandais, il n'a pas eu l'assistance gratuite d'un interprète, bien qu'il ne connût pas cette langue; que le requérant allègue, de ce fait, une violation de l'article 6, paragraphe 3 e) (art. 6-3-e) de la Convention; que, toutefois, la Commission, aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention, "ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus";
Que la Commission relève que, selon la législation belge, le requérant aurait pu demander l'assistance d'un interprète devant les tribunaux belges; que le requérant n'a pas apporté la preuve qu'il a soulevé le moyen en question ni en première instance, ni en appel, ni en cassation;
Que le requérant n'a, par conséquent, pas épuisé les voies de recours dont il disposait en droit belge; qu'au surplus, l'examen du dossier ne permet de discerner, en l'état, aucune circonstance particulière qui ait pu dispenser le requérant, selon les principes de droit généralement reconnus en la matière, d'épuiser les voies de recours internes; qu'il appert, dès lors, que le requérant n'a pas valablement épuisé les voies de recours internes (article 27, paragraphe 3 (art. 27-3) de la Convention);
Par ces motifs 1. déclare la requête irrecevable quant au grief relatif à la non-assistance d'un interprète devant les juridictions belges;
2. déclare la requête recevable quant au grief relatif à la présence du Ministère public au délibéré de la Cour de Cassation.


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 2689/65
Date de la décision : 06/04/1967
Type d'affaire : Decision (Finale)
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 35-2) MEME QU'UNE REQUETE SOUMISE A UNE AUTRE INSTANCE


Parties
Demandeurs : DELCOURT
Défendeurs : la BELGIQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1967-04-06;2689.65 ?

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