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12/07/1966 | CEDH | N°2213/64

CEDH | X. au nom de A., B., C. et D. contre la REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE


EN FAIT
Considérant que les faits de la cause peuvent se résumer ainsi:
M. X, né le ... 1891 à Karlsruhe et domicilié à Erlangen avait déjà introduit deux requêtes, la première (No 185/56) en son propre nom et la deuxième (No 1285/61) au nom de Mmes D et A.
I. La requête No 185/56 a été déclarée irrecevable le 28 septembre 1956 pour les motifs suivants: - Incompétence ratione temporis quant aux faits survenus avant le 3 septembre 1953; - Défaut manifeste de fondement quant aux procédures judiciaires litigieuses; la Commission a en outre inséré la formule dite de

"4e instance".
II. La requête No 1285/61 a été déclarée irrecevable pour les ...

EN FAIT
Considérant que les faits de la cause peuvent se résumer ainsi:
M. X, né le ... 1891 à Karlsruhe et domicilié à Erlangen avait déjà introduit deux requêtes, la première (No 185/56) en son propre nom et la deuxième (No 1285/61) au nom de Mmes D et A.
I. La requête No 185/56 a été déclarée irrecevable le 28 septembre 1956 pour les motifs suivants: - Incompétence ratione temporis quant aux faits survenus avant le 3 septembre 1953; - Défaut manifeste de fondement quant aux procédures judiciaires litigieuses; la Commission a en outre inséré la formule dite de "4e instance".
II. La requête No 1285/61 a été déclarée irrecevable pour les motifs suivants: - Incompétence ratione temporis; - Non-épuisement des voies de recours internes.
III. La présente requête a été introduite le 28 novembre 1963 par X pour: - A, née le ... 1901 à Braunschweig, de nationalité allemande, sans profession, domiciliée à Erlangen (République Fédérale d'Allemagne); - B, né le ... 1915 à Berlin, de nationalité israélienne, commerçant, domicilié en Israël; - C, né le ... 1923 à Berlin, de nationalité israélienne, commerçant, domicilié en Israël; - D, née le ... 1919 à Berlin, de nationalité britannique, sans profession, domiciliée en Angleterre.
Maîtres P. et A. E, avocats du barreau de Strasbourg, ont informé le Secrétaire de la Commission, par lettre du 27 avril 1964, qu'ils ont été constitués par M. X pour soutenir la requête devant la Commission. Les avocats des requérants ont présenté la requête comme suit:
1. Les requérants sont pour 1/3 les héritiers légaux de Monsieur F. Z. qui est décédé en 1938 sans enfants et qui avait été le seul héritier de son épouse T. Z. M. F. Z. était, avec 25 % des parts, commanditaire dans la société en commandite "F. T. K.G. Karlsruhe Baden", qui avait pour objet la gestion d'une imprimerie et édition de la "... Presse". L'entreprise fut accaparée en 1934 par le parti national-socialiste et fut mise dans les mains d'un éditeur nommé H.
Conformément à la loi militaire sur les restitutions (Rückerstattungsgesetz, R.E.G.), Zone américaine, la demande de restitution à la société a été formulée en 1948 au nom de tous les associés, y compris les requérants, qui y figuraient sous la dénomination anonyme: Parents dans la Zone de l'Est, sans adresses connues. La spoliation au préjudice de la société fut admise et le droit à restitution reconnu.
Les associés dans les mains desquels se trouvaient 75 % du capital de la société, ont alors conclu une transaction avec les propriétaires actuels de l'imprimerie, le "... druck", M. H éditeur, et le ...verlag Karlsruhe. Cette transaction, conclue par 75 % des anciens associés pour la totalité du capital de la société, a été homologuée par ordonnance de la Wiedergutmachungskammer I près le Tribunal de Grande Instance de Karlsruhe datée du ... 1949. Elle peut être considérée (d'après l'article 15 R.E.G. alinéa 3 ajouté par loi du 3.7.1950) dans ses effets comme une décision des autorités compétentes pour la restitution des biens spoliés.
Toutefois, cette transaction a été conclue sans le concours des détenteurs des autres 25 % des parts du capital social, lesquels n'étaient ni avertis de la procédure, ni représentés lors de la transaction. Les droits élémentaires des requérants ont ainsi été violés.
2. Malgré toutes les démarches entreprises depuis 1957, les requérants n'ont pas réussi à entrer en possession de leur propriété dont ils ont été spoliés en la personne de leur de cujus, M. F. Z. Ils n'ont non plus obtenu l'application de la transaction conclue en 1949 sans leur participation à leur égard.
Il y a violation de la loi pour plusieurs raisons:
a) Les associés réunissant 75 % des parts de la société qui ont déclaré la spoliation et qui ont conclu la transaction en 1949, ont fait de fausses indications. Ils connaissaient parfaitement les associés du groupe Z représentant les autres 25 % des parts. La preuve en est fournie par le texte même du jugement de la Rückerstattungskammer du tribunal de Grande Instance de Karlsruhe du ... 1961 où on nomme dans les motifs page 7 une personne appartenant à ce groupe, la "Wirtschaftsprüferin S. Z.".
Et pourtant les autres associés ont fait état dans leur déclaration de "parents habitant la zone de l'Est, sans adresses connues", au lieu d'indiquer au moins le nom de Z qu'ils connaissaient bien. Ils ont en outre conclu la transaction de 1949 pour la totalité du capital social sans mentionner le groupe Z et sans aucune réserve en sa faveur. Le domicile des représentants de ce groupe à Leipzig leur était connu et ceux-ci auraient pu être avertis. De mauvaise foi, ils n'ont rien fait à ce sujet et ont donné des indications insuffisantes voire fausses. Ils étaient par conséquent passibles des peines prévues à l'article 75 (1b) de la loi R.E.G. (peine de prison et amende).
Au lieu de les poursuivre, les autorités et tribunaux compétents pour le règlement de la restitution des biens spoliés ont entériné leur attitude et ont ignoré les droits des requérants.
b) Le Service compétent (Amt für gesperrte VermÖgen des Landes Baden) pour la sauvegarde des intérêts des personnes spoliées n'a pas fait valoir les droits des absents, ni fait de réserves en faveur des requérants. Au contraire, il a participé à la deuxième spoliation dont ils ont fait l'objet par la transaction de 1949. Or, les requérants en auraient dû être avertis en vertu de l'article 61 R E G.
En outre un curateur pour les absents aurait dû être nommé, par exemple en la personne de l'avocat S à Karlsruhe, qui était connu pour défendre les intérêts du groupe Z.
Enfin, il aurait dû être fait appel à un organisme qui a été créé aux Etats-Unis sous le nom de "I R S O" (Jewish Restitution Successor Organisation) comme "Nachfolgeorganisation", et dont le but était d'entrer en possession de valeurs appartenant à des juifs qui étaient momentanément introuvables.
Une inscription dans le livre foncier en faveur des requérants n'a pas davantage eu lieu.
On voit que toute une série d'illégalités ont été commises pour éliminer les requérants de leurs droits de propriété. L'article 9 de la loi R.E.G.a été violé. Les requérants estiment donc que la transaction de 1949 à laquelle ils n'ont pas pris part, n'épuise pas leurs droits à réparation. La transaction leur est inopposable. Toutefois ils sont prêts à conclure une transaction aux mêmes conditions. Les associés ayant conclu la transaction en 1949 ont reçu 39 % au lieu de 75 % du capital. Les requérants auraient donc à recevoir 13 % au lieu des 25 % qu'ils représentent. C'est seulement en englobant aussi les requérants que la transaction de 1949 pourrait devenir légale et valable.
3. Les principes de la Convention ont été violés à plusieurs points de vue:
a) D'après l'article 6 de la Convention toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable. Bien que leur existence ait été connue des autorités des 1948, celles-ci ont ignoré les requérants jusqu'en 1957, moment où ils ont eux-mêmes saisi les tribunaux. Jusque là leurs intérêts n'ont pas été pris en considération par les autorités qui devaient pourtant sauvegarder leurs intérêts d'après l'article 61 R.E.G. Ce n'est qu'en 1961 qu'enfin le Tribunal de Grande Instance de Karlsruhe a rendu un jugement par lequel il déboutait les requérants.
b) D'après l'article 1 du Protocole Additionnel à la Convention toute personne a droit au respect de ses biens et nul ne peut être privé de sa propriété si ce n'est pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les requérants ont été spoliés de leurs biens aussi bien en 1934 par le régime nazi qu'en 1949 par les autorités responsables de la restitution des biens spoliés, à la suite de la transaction validée par les autorités judiciaires (ordonnance de la Wiedergutmachungskammer I du Tribunal de Grande Instance de Karlsruhe du ... 1949, par laquelle cette transaction a acquis la force d'une décision, transaction qui a exclu les requérants de leurs parts représentant 25 % du capital social).
c) L'article 14 de la Convention prévoit la jouissance des droits sans aucune distinction fondée par exemple sur la race, la religion, la fortune, etc. ... Les requérants ont été privés par les autorités responsables de leur fortune, tandis que les mêmes autorités ont fait dédommager les autres associés de la société "F. T. K.G. Karlsruhe/Baden". Cette différence de traitement est inadmissible.
d) L'article 7 alinéa 2 de la Convention se réfère au principe de la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission criminelle.
Cette sanction est prévue également par l'article 75 R E G. Malgré ce texte les associés qui ont immédiatement agi pour obtenir la restitution des biens spoliés et qui ont porté à cette occasion des indications fausses et prêtant à la confusion, n'ont pas été sanctionnés. Il est rappelé qu'en indiquant qu'il y avait encore "des parents en zone de l'Est", sans préciser de quelles personnes il s'agissait, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, ils se sont rendus coupables d'un délit. D'autre part, les autorités responsables n'ont pas fait les réserves qui s'imposaient et surtout n'ont pas même essayé d'élucider le point de savoir qui étaient les personnes aussi vaguement désignées.
e) L'article 6 de la Convention donne à toute personne le droit à ce que sa cause soit examinée par un tribunal impartial. Or, les droits des requérants ont été examinés par les autorités judiciaires de manière telle que leur impartialité peut être mise en doute. Les tribunaux ont d'une part reconnu et enregistré la transaction conclue en 1949 entre un groupe d'anciens associés (75 %) et les gérants actuels du fonds. Ils ont par là même reconnu l'existence de la spoliation. Par contre, en les déboutant par la suite de leur demande, ils ont refusé aux requérants de reconnaître la spoliation. Il y a là une contradiction flagrante qui ne trouve pas d'explication en droit. Les tribunaux de première et deuxième instance ont en effet débouté les requérants, en leur refusant de reconnaître la spoliation admise vis-à-vis du groupe T. Le tribunal de dernière instance les a déboutés sans indiquer de motifs du tout. Les motifs indiqués par les 2 premières instances prouvent une méconnaissance totale de la situation réelle. Une juridiction impartiale ne pouvait faire une discrimination entre les droits du groupe T et ceux du groupe Z.
4. Les conditions de l'article 26 de la Convention sont remplies. La présente affaire a été l'objet des décisions suivantes: - Décision (Beschluss) de la Rückerstattungskammer du Tribunal de Grande Instance de Karlsruhe du ... 1961; - Arrêt de la Cour d'Appel de Karlsruhe du ... 1963; - Arrêt du "Oberstes Rückerstattungsgericht", (Supreme Restitution Court) 3ème Chambre, à Herford du ... 1963.
Le délai de six mois prescrit par l'article 26 de la Convention a été respecté, la décision de la Cour Suprême des Restitutions date du ... 1963 et la requête a été introduite par M. X en date du ... 1963.
EN DROIT
Considérant tout d'abord que certains faits de la cause, y compris l'allégation des requérants d'avoir été "spoliés de leurs biens aussi bien en 1934 par le régime nazi qu'en 1949 par les autorités responsables de la restitution des biens spoliés", remontent à une époque antérieure à l'entrée en vigueur de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (3 septembre 1953) et du premier Protocole additionnel (13 février 1957) à l'égard de la République Fédérale d'Allemagne; que, dans cette mesure, l'examen de la requête échappe à la compétence ratione temporis de la Commission, car ladite Convention, selon les principes de droit international généralement reconnus, ne régit, pour un Etat contractant déterminé, que la période postérieure à son entrée en vigueur à l'égard de cet Etat;
Considérant enfin que l'examen des actes et des omissions allégués de la Cour d'Appel et de la Cour Suprême des Restitutions, échappe à la compétence de la Commission et que la Commission se réfère, sur ce point, à sa jurisprudence (cf. la décision du 10 juin 1958 sur la recevabilité de la requête No 235/56, Annuaire II, page 257);
Que la Commission rappelle que la Cour Suprême des Restitutions est un tribunal international qui ne relève ni de la juridiction, ni des pouvoirs et du contrôle souverains de la République Fédérale d'Allemagne; qu'en conséquence, la Commission a décidé que la République Fédérale d'Allemagne n'est pas responsable en droit des actes ou des omissions allégués de la Cour Suprême des Restitutions;
Qu'en ce qui concerne, d'autre part, la Cour d'Appel, la Commission estime de même que la République Fédérale d'Allemagne n'est pas responsable en droit d'une décision fautive éventuelle de cette juridiction; qu'une décision de cette juridiction est en l'occurrence considérée comme couverte par la décision au ressort supérieur de la Cour Suprême des Restitutions, dont les arrêts ne peuvent, aux termes de la Convention, être mis en cause par la Commission;
Qu'il s'ensuit que la Commission n'a pas compétence, ratione personae, pour connaître des violations de la Convention imputées aux juridictions susmentionnées; que la requête est donc, sur ce point, incompatible avec les dispositions de la Convention (article 27 paragraphe 2 (art. 27-2)).
Par ces motifs, déclare la requête IRRECEVABLE.


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 2213/64
Date de la décision : 12/07/1966
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION


Parties
Demandeurs : X. au nom de A., B., C. et D.
Défendeurs : la REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1966-07-12;2213.64 ?

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