EN FAIT
Considérant que les faits de la cause peuvent se résumer ainsi:
Le requérant, docteur en droit de nationalité belge, né en 1927, se trouve actuellement détenu à Amsterdam.
Le 27 août 1965, il aurait été arrêté à Amsterdam sous la suspicion d'avoir commis une infraction dont il ne spécifie pas la nature. Il aurait été détenu sur la base d'un mandat d'arrêt provisoire (bevel tot inverzekeringstelling) jusqu'au 31 août; à cette date a été rendue une décision ordonnant sa détention préventive (bevel tot bewaring).
Une demande introduite par le requérant en vue de l'annulation de la décision du 31 août a été rejetée, le 3 septembre, par le Tribunal (Arrondissementsrechtbank) d'Amsterdam qui, en se référant aux motifs énoncés dans la décision antérieure, a autorisé le maintien du requérant en détention préventive pour la durée de trente jours. Sur appel du requérant, la Cour d'Appel (Gerechtshof) d'Amsterdam a confirmé, le 17 septembre 1965, la décision du Tribunal en ajoutant comme motif que l'existence d'un danger de fuite ressortait du fait que X était ressortissant belge et avait son domicile en Belgique. Un pourvoi en cassation introduit par le requérant a été déclaré irrecevable, le 16 novembre 1965, par la Cour Suprême (Hoge Raad) pour le motif que la loi néerlandaise ne prévoit pas un pourvoi en cassation dans le cas d'espèce.
Le 24 septembre 1965, le Tribunal a prescrit le maintien du requérant en détention pendant trente jours à compter du 6 octobre; une nouvelle prolongation a été ordonnée par le même Tribunal le 2 novembre.
Le requérant affirme qu'il n'a pas commis l'infraction dont il est soupçonné mais déclare comprendre que la question de sa culpabilité échappe à l'examen de la Commission. Par contre, il se plaint devant celle-ci d'avoir été privé de sa liberté d'une manière non conforme à la loi néerlandaise et, par conséquent, contraire à la Convention; il invoque à ce sujet l'article 5 paragraphe 1 c) qui exige, dans sa version anglaise, que l'arrestation et la détention soient "lawful". Il précise ses griefs de la façon suivante:
1. D'après l'article 59, quatrième alinéa, du Code de Procédure pénale (Wetboek van Strafvordering), une copie de tout mandat d'arrêt provisoire (bevel tot inverzekeringstelling) doit être remise à l'intéressé sans délai. En l'espèce, le requérant n'aurait pas reçu un tel document et n'aurait donc pas eu la possibilité de contrôler si le mandat satisfaisait aux exigences des alinéas précédents du même article. 2. D'après l'article 61, deuxième alinéa, du Code de Procédure pénale, un interrogatoire doit intervenir au plus tard six heures après l'arrestation. Or, le requérant aurait été illégalement détenu, sans interrogatoire, jusqu'au 30 août. 3. Il ressort de l'article 64 du Code de Procédure pénale et de certains textes s'y rattachant que la détention préventive ne peut être ordonnée que si certaines conditions bien précises se trouvent remplies. En outre, les motifs doivent être nettement exposés dans toute décision autorisant la détention préventive, et il en va de même, suivant l'article 79 du Code, de toute décision rejetant une demande de libération provisoire. X fait valoir que la décision du Tribunal en date du 3 septembre n'indiquait pas suffisamment les motifs de la détention et que, pour remédier à cet état de choses, la Cour d'Appel a invoqué dans son arrêt un fait qui, d'après lui, ne constituait pas un motif valable, à savoir la nationalité et le domicile du requérant.
4. L'article 80 du Code de Procédure pénale prévoit la possibilité d'une mise en liberté provisoire sous conditions. Le requérant aurait sollicité le bénéfice de pareille mesure, mais la Cour d'Appel n'aurait pas statué sur sa demande.
5. X allègue que la décision du Tribunal datée du 24 septembre était illégale, car: - le Tribunal ne pouvait pas déterminer, dès le 24 septembre, si des motifs de nature à justifier son maintien en détention existeraient le 6 octobre, date à laquelle la décision a pris effet; - le Tribunal n'était pas compétent pour statuer, la Cour Suprême (Hoge Raad) étant alors saisie d'une requête du requérant. X fait valoir que les effets de la décision du 24 septembre, autorisant trente jours de détention, ne pouvaient s'étendre au-delà du 23 octobre et que, de ce fait, il a été détenu sans fondement légal à partir de cette date jusqu'au 2 novembre, date à laquelle une nouvelle décision a été rendue. 6. Bien que, d'après l'article 30 du Code de Procédure pénale, un inculpé ait le droit de prendre connaissance du dossier le concernant, le "juge-commissaire" (rechter-commissaris) aurait laissé sans réponse un écrit par lequel le requérant avait demandé l'autorisation de consulter le dossier relatif à sa cause.
7. X allègue que la loi néerlandaise est contraire à la Convention en ce qu'elle ne prévoit pas un pourvoi en cassation contre une décision qui confirme une détention préventive (voir l'article 445 du Code de Procédure pénale); il en déduit qu'une personne peut se trouver privée de sa liberté de façon irrégulière et illégale, sans que la Cour Suprême ait qualité pour juger de la légalité de la détention.
Le requérant allègue la violation de l'article 5 paragraphes 1, 2, 3 et 4 de la Convention; il invite la Commission à entreprendre les démarches appropriées auprès des autorités néerlandaises.
EN DROIT
Considérant, tout d'abord, que le requérant allègue, d'une manière générale, que sa détention était illégale et qu'à ce sujet il invoque l'article 5 paragraphe 1 c) (art. 5-1-c) de la Convention qui, dans sa version anglaise, dispose qu'une détention préventive n'est conforme à la Convention qu'à condition d'être "lawful";
Qu'en l'espèce, il ressort du dossier qu'il y a eu, conformément au droit néerlandais, une procédure judiciaire relative à la détention préventive de X et que les autorités judiciaires ont pris leurs décisions en se basant sur la loi néerlandaise;
Qu'il y a lieu d'ajouter que la Commission n'a pas qualité pour examiner si, au cours de la procédure devant les juridictions néerlandaises, le droit interne a été correctement interprété et appliqué par les autorités judiciaires sauf si, exceptionnellement, en interprétant et appliquant le droit interne, ces autorités avaient agi de mauvaise foi, car, dans ce cas, la détention en question ne serait pas "lawful" au sens de l'article 5 paragraphe 1 c)(art. 5-1-c); qu'en l'espèce, le requérant n'a pas apporté un commencement de preuve à l'appui d'une telle hypothèse;
Qu'il s'ensuit que la détention préventive de X a été "lawful" au sens de l'article 5 paragraphe 1 c) (art. 5-1-c) de la Convention et que la requête, sous ce rapport, est manifestement mal fondée (article 27 paragraphe 2 (art. 27-2) de la Convention);
Considérant qu'il y a lieu d'examiner plus en détail les sept griefs précis exposés par le requérant;
Considérant que X se plaint d'abord de ce que les autorités ne lui ont pas remis une copie du mandat ordonnant son arrestation (premier grief); qu'il ne prétend cependant pas que les autorités avaient manqué de l'informer des raisons de son arrestation; que l'article 5 paragraphe 2 (art. 5-2) de la Convention dispose que "toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle"; que, par contre, la Convention n'exige pas que cette information soit donnée dans une forme particulière; qu'à ce sujet, la Commission se réfère à sa jurisprudence antérieure (voir les décisions sur la recevabilité des requêtes No 1211/61, X. contre les Pays-Bas, Annuaire V, page 224, et 1216/61, X. contre la République Fédérale d'Allemagne, Recueil des Décisions 11, page 1);
Considérant que X se plaint de ce qu'il n'a été interrogé que trois jours après son arrestation (deuxième grief); que, d'après l'article 5 paragraphe 3 (art. 5-3) de la Convention, toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) de l'article 5 (art. 5-1-c), "doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires"; que ni ce paragraphe, ni aucune autre disposition de la Convention ne donne à un détenu le droit d'être interrogé dans un délai particulier;
Considérant que X prétend également que la décision du Tribunal d'Amsterdam en date du 3 septembre 1965 n'indiquait pas suffisamment les motifs de sa détention et que, de son côté, la Cour d'Appel avait invoqué un fait qui ne constituait pas un motif valable de cette détention (troisième grief); que la Commission fait observer, à ce sujet, que la Convention, tout en exigeant qu'une personne arrêtée soit informée des raisons de son arrestation (article 5 paragraphe 2 (art. 5-2)), n'exige pas que ces raisons soient exposées dans le texte de la décision autorisant la détention; que la Commission constate, en outre, qu'il n'y a, en l'espèce, aucune raison de douter de l'existence de motifs valables de la détention satisfaisant aux exigences de l'article 5 paragraphe 1 c) (art. 5-1-c) de la Convention;
Considérant que le requérant se plaint de ce qu'il n'ait pas été mis en liberté provisoire sous conditions (quatrième grief); que la Commission a déjà constaté que la détention de X était conforme à l'article 5 paragraphe 1 c) (art. 5-1-c) de la Convention; qu'il s'ensuit que le refus des juridictions internes d'ordonner sa mise en liberté provisoire ne saurait constituer une violation de la Convention;
Considérant que X s'en prend également à la décision rendue le 24 septembre 1965 par le Tribunal d'Amsterdam et ordonnant son maintien en détention pour la durée de trente jours, à partir du 6 octobre 1965 (cinquième grief); qu'à ce sujet, l'examen du dossier ne permet de dégager l'apparence d'aucune violation de la Convention; qu'en particulier, le fait que la décision du Tribunal n'a pris effet que le 6 octobre, ne saurait être considéré comme contraire à la Convention; que les affirmations du requérant ne permettent pas non plus de conclure qu'il était détenu en violation de la Convention à partir du 24 octobre, car le Tribunal avait autorisé son maintien en détention pendant trente jours à compter du 6 octobre;
Considérant, par conséquent, quant aux cinq premiers griefs, que l'examen du dossier ne permet de dégager, en l'état, aucune apparence de violation de l'article 5 (art. 5) de la Convention; qu'il y a donc lieu de repousser cette partie de la requête pour défaut manifeste de fondement (article 27 paragraphe 2 (art. 27-2) de la Convention);
Considérant, pour autant que X se plaint de ce que le juge compétent n'ait pas répondu à une demande d'autorisation de consulter le dossier, que la Commission, aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention, "ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus"; qu'en l'espèce, il ne ressort pas du dossier que X se soit adressé, au sujet de ce grief, aux organes judiciaires compétents en la matière; qu'il n'a par conséquent pas épuisé les voies de recours dont il disposait en droit néerlandais; qu'au surplus, l'examen du dossier ne permet de discerner, en l'état, aucune circonstance particulière qui ait pu dispenser le requérant, selon les principes de droit international généralement reconnus en la matière, d'épuiser les voies de recours internes; qu'il appert, dès lors, que le requérant n'a pas valablement épuisé les voies de recours internes (article 27 paragraphe 3 (art. 27-3) de la Convention);
Considérant, enfin, pour autant que le requérant se plaint de l'absence, en droit néerlandais, d'un pourvoi en cassation contre certaines décisions relatives à la détention préventive, qu'aux termes de son article 1er (art. 1), la Convention garantit uniquement "les droits et libertés définis (en son) Titre I"; que tout grief formulé par une personne physique, une organisation non gouvernementale ou un groupe de particuliers doit avoir trait, selon l'article 25 paragraphe 1 (art. 25-1), à une atteinte alléguée à ces droits et libertés, faute de quoi son examen échappe à la compétence ratione materiae de la Commission; que le droit à se pourvoir en cassation ne figure pas, en tant que tel, parmi lesdits droits et libertés; que la Commission fait observer qu'en l'espèce, la procédure suivie satisfait aux exigences de l'article 5 paragraphe 4 (art. 5-4) de la Convention, car il ressort du dossier que le requérant a pu introduire un recours devant un tribunal; que la requête est donc, sous ce rapport, incompatible avec les dispositions de la Convention (article 27 paragraphe 2 (art. 27-2));
Par ces motifs, déclare la requête irrecevable.