EN FAIT
Considérant que les faits de la cause peuvent se résumer ainsi:
Le requérant, ressortissant autrichien né le 27 juillet 1910 à Vienne, est actuellement détenu au pénitencier de Stein.
La procédure pénale a été introduite contre le requérant parce qu'il s'était attribué abusivement le titre universitaire de "docteur" dans une demande de certificat de bonne conduite. Köplinger était soupçonné d'avoir falsifié des documents personnels. Il a été dénoncé au Parquet de Vienne le 10 juillet 1957 et une information (Vorerhebungen) a été ouverte. Le 24 septembre 1957, il a été entendu une première fois par le Juge d'instruction. A la suite de nombreuses autres plaintes portées contre le requérant, le Tribunal Correctionnel régional de Vienne a décidé, sur réquisition du Parquet, le 3 mai 1958 d'ouvrir l'instruction de l'affaire. Le Juge d'instruction a décerné le 31 août 1959 un mandat d'arrêt. En raison de la gravité de la peine à laquelle le requérant devait s'attendre et d'assez nombreux séjours à l'étranger, Köplinger était suspect de vouloir prendre la fuite; le danger de récidive, d'autre part, apparaissait réel en raison des condamnations antérieures subies par Köplinger (dangers de fuite et de récidive, article 175 paragraphe 1er alinéas 2 et 4 du Code de procédure pénale autrichien). Le 4 septembre 1959, Rudolf Köplinger a été arrêté et mis en détention préventive.
Contre cette mesure le requérant a porté plainte le 5 septembre 1959. Cette plainte a été rejetée par décision du 7 septembre 1959 rendue par la Chambre du Conseil du Tribunal correctionnel régional de Vienne.
D'après le requérant, l'instruction préparatoire a été close en décembre 1959 et le dossier a été transmis au Procureur conformément à l'article 112 paragraphe 1er du Code autrichien de procédure pénale. En vertu de cette disposition, le Procureur est alors obligé dans les quinze jours qui suivent "ou bien d'établir l'acte d'accusation auprès le Juge d'instruction ou bien lui retourner le dossier en déclarant qu'il ne découvre pas de raisons pour des poursuites ultérieures". Le Procureur, toutefois, aurait renvoyé le dossier pour compléter l'instruction préparatoire (cf. l'article 112 paragraphe 3 du Code en question).
Le 5 janvier 1960, le requérant a formulé, selon l'article 191 du Code de procédure pénale, une demande de libération sur parole. Le Juge d'instruction a rejeté cette demande par décision du 12 janvier 1960.
Le 10 février 1960, le Juge d'instruction, après la clôture de l'instruction, a remis le dossier au Parquet de Vienne pour le dépôt des réquisitions. Le même jour, le Juge d'instruction a adressé au Tribunal de District d'Innsbruck une demande d'entraide judiciaire qui a été satisfaite le 18 février 1960. Egalement le 10 février 1960, l'Office du Gouvernement provincial de Vienne a sollicité la remise de l'acte de faillite qui se trouvait dans le dossier; ledit acte a été rendu le 15 mars 1960 au Tribunal correctionnel régional. Dans la suite, le Parquet a reçu encore des documents annexes qui sollicitaient de sa part, les 22 février, 11 mars et 19 mai 1960, le dépôt de réquisitions supplémentaires, après quoi le dossier a été mis définitivement à la disposition du Parquet à partir du 24 mai 1960. Selon le requérant, le Juge d'instruction a demandé par lettre du 20 mai 1960 au Parquet "de mener à une bonne fin l'examen de l'affaire dans les meilleurs délais". Le rapporteur compétent du Parquet a rédigé jusqu'au 30 septembre 1960 l'acte d'accusation comprenant 159 pages dactylographiées. Ensuite un dossier séparé a été constitué au sujet du requérant concernant les articles 35 et 38 a) de la Loi pénale financière; il a été transmis au Parquet de Vienne pour le dépôt de nouvelles réquisitions. En outre, la procédure pénale introduite contre Herbert Manhart, Raoul Konitz et Karl Kühne a été disjointe. Lorsque l'acte d'accusation a été notifié au requérant et a acquis un caractère exécutoire, le Juge d'instruction a remis le dossier le 14 décembre 1960 au Président compétent pour la fixation de l'audience conformément à l'article 210 du Code de procédure pénale.
Plusieurs faits ont été classés et l'éditeur Kühne se prétendant lésé par un de ces faits, a introduit une demande subsidiaire (Subsidiarantrag) qui a été rejetée le 3 février 1961. Lorsque le dossier a été renvoyé au Juge d'instruction, il l'a retransmis le 10 février 1961 au Président compétent. Celui-ci a fixé, le 20 juin 1961, l'audience à la période du 15 septembre au 6 octobre 1961. Le même jour (20 juin 1961) Me Walter Haindl a été désigné d'office pour représenter le requérant. L'avocat, qui était auparavant mandaté par le requérant, a renoncé à ce mandat le 1er mars 1961. Köplinger n'aurait jamais vu Me Haindl et quelques jours plus tard, Me König se serait présenté au requérant l'informant qu'il assumerait désormais sa défense. Comme Me König devait partir en vacances à l'époque à laquelle l'audience avait été fixée, Me Jakob Berger a été nommé le 28 août 1961. Ce dernier, bien que de bonne volonté, mais assez âgé et souffrant, n'aurait pu, d'après le requérant, se préparer correctement pour les débats, faute de temps.
Les débats devant le Tribunal correctionnel régional, constitué comme Tribunal d'Echevins (Schöffengericht), ont duré du 15 septembre au 13 octobre 1961, date du jugement. Le requérant a été reconnu coupable du crime d'escroquerie (articles 197, 200, 201 d) et 203 du Code pénal), du crime de tentative de gestion infidèle (articles 8 et 205 c)), du crime de banqueroute frauduleuse (article 205 a)) du délit tombant sous le coup de l'article 114 de la Loi générale sur les assurances sociales et du crime de complicité d'escroquerie (articles 5, 197 et 199 a)). Il a été condamné à neuf ans de réclusion rigoureuse, la détention préventive du 4 septembre 1959 au 13 octobre 1961 étant imputée sur la durée de la peine. En même temps, la mise sous surveillance policière a été autorisée.
Le Président a terminé le 23 mars 1962 la rédaction de la sentence écrite. Le 3 mai 1962 une grosse du jugement a été remise à l'avocat d'office, Me Gottfried Weidenfeld, désigné par le tribunal dès le 25 octobre 1961 pour le développement des recours interjetés par le requérant, c'est-à-dire un pourvoi en cassation et un appel (Nichtigkeitsbeschwerde und Berufung). Le développement écrit des recours devait être présenté dans les quinze jours. Comme Me Weidenfeld ne connaissait pas l'affaire, le requérant a voulu lui soumettre ses conclusions par écrit et Me Weidenfeld aurait demandé aussitôt au Juge d'instruction de donner l'autorisation au requérant. Le Juge ayant acquiescé à ladite demande, le requérant aurait reçu le 7 mai de papier. Lorsque l'avocat a visité deux jours plus tard le requérant dans la prison, celui-ci a voulu emporter ses conclusions écrites au parloir, mais l'agent de surveillance ne l'aurait pas permis. A chacune des visites ultérieures, on se serait assuré que le requérant n'emportait point son mémoire écrit. Comme le requérant devait remettre tous les soirs vers 16 h. 30 papier et crayon, il n'aurait pu travailler les soirs. Me Weidenfeld a néanmoins introduit le pourvoi en cassation dans le délai légal et l'audience devant la Cour Suprême a été fixée au 17 octobre 1962. On aurait informé le 14 septembre 1962 le requérant qu'un autre avocat Me Kollmann,a été désigné pour sa présentation à l'audience. Le 3 octobre 1962, on aurait notifié au requérant que le bureau de Me Musil a été chargé de la défense. Le requérant a été représenté devant la Cour Suprême par Me Alexander Koch.
Le 17 octobre 1962, la Cour Suprême a statué sur les deux recours du requérant après une audience publique, après audition du Juge rapporteur et après avoir entendu les explications de l'avocat et du représentant de la Procurature Générale. La Cour a rejeté le pourvoi en cassation. Sur un point cependant, la décision contestée a été annulée (le fait d'escroquerie se rapportant à la Société Elektrizitäts-, Gas- und Wirtschafts-Trust, reg. Vaduz) et la Cour Suprême a ramené la peine à huit ans. Les autres points du jugement de première instance ont été confirmés. Quant à l'appel, le requérant a été renvoyé aux termes de l'arrêt de la Cour Suprême (mit seiner Berufung wird der Angeklagte auf diese Entscheidung verwiesen).
Par son arrêt, la Cour Suprême a aussi imputé sur la peine du requérant la détention préventive subie au Tribunal régional de Nuremberg-Furth du 30 novembre 1953 au 14 décembre 1953. En outre, par décision du 13 novembre 1962, la détention subie par Köplinger du 13 octobre 1961 (jugement du Tribunal correctionnel régional) au 22 octobre 1962, a été également imputée sur sa peine. La fin de la détention est prévue pour le 21 août 1967.
Rudolf Köplinger se plaint d'une violation des dispositions suivantes: - Article 5 paragraphe 1 c, paragraphe 3, paragraphe 4 et Article 6 paragraphe 1 de la Convention. Sa détention préventive aurait dépassé un délai "raisonnable". D'autre part, sa demande de libération a été rejetée en séance non publique après audition du Procureur, mais en l'absence de l'inculpé ou de son avocat. - Article 6 paragraphe 3 b) et c) de la Convention, du fait du changement fréquent et la nomination prétendument tardive des avocats d'office, et en raison des difficultés qu'il a rencontrées dans la préparation de sa défense, notamment en présentant son pourvoi en cassation. - Article 13 de la Convention, parce qu'on ne peut mettre en cause l'appréciation des preuves de la première instance dans un pourvoi en cassation.
Le requérant demande la réparation du préjudice prétendument subi.
Arguments des Parties
Considérant que les arguments présentés par les Parties dans leurs observations écrites et explications orales peuvent se résumer ainsi:
Quant à la violation alléguée de l'article 5 paragraphe 1 c de la Convention
Le Gouvernement défendeur a objecté au grief en question que le requérant n'a pas fait usage du droit de recours qui lui était offert selon l'article 114 du Code de procédure pénale. Le requérant n'a donc pas épuisé, sur ce point, les voies de recours internes conformément à l'article 26 de la Convention.
Le requérant a relevé qu'à son avis les motifs donnés dans le mandat d'arrêt pour son arrestation ne se justifiaient point au regard du droit autrichien et de la disposition susmentionnée. Il reconnaît d'avoir omis d'attaquer la décision du 7 septembre 1959 devant la Cour d'Appel. Toutefois, on n'aurait pu espérer un autre résultat devant cette juridiction, car la Cour, tout comme la Chambre du Conseil, n'examine le recours qu' "après audition du Ministère Public". Par ailleurs, le Juge d'instruction aurait affirmé qu'un tel recours ne saurait que retarder la procédure.
Quant à la violation alléguée de l'article 5 paragraphe 3 de la Convention
Le Gouvernement défendeur a fait valoir qu'en ce qui concerne la longueur de la détention préventive le requérant n'a pas non plus épuisé les voies de recours internes. En effet, il n'a pas attaqué la décision du 12 janvier 1960, par laquelle le Juge d'instruction a rejeté une demande de libération. Le requérant aurait pu former un recours auprès de la Chambre du Conseil et, ensuite, auprès de la Cour d'Appel.
En outre, l'appréciation du "délai raisonnable" de l'article 5 paragraphe 3 est une question de fait qui appelle une réponse tenant compte des circonstances particulières (le représentant du Gouvernement renvoie, sur ce point, à la jurisprudence de la Commission). Il ne fait aucun doute que la présente affaire est très complexe. Au surplus, la durée de la détention préventive a été imputée sur la peine du requérant, de sorte qu'il a subi, pour une grande part, sa peine de huit ans dans les conditions de la détention préventive qui sont considérablement moins dures que celles de la détention répressive. Enfin, le délai de quinze jours visé à l'article 112 paragraphe 1 du Code de procédure pénale n'est pas un délai de forclusion. Le grief du requérant est dépourvu de justification, d'autant plus que le Parquet de Vienne a tout mis en oeuvre de son côté, dans la mesure du possible, pour que le dépôt final des réquisitions intervienne le plus tôt possible.
Le requérant a soutenu que sa détention préventive a dépassé un "délai raisonnable". Sur de nombreux points, les poursuites ont été arrêtées après des laps de temps considérables. Par la complexité d'une affaire on ne saurait d'autre part excuser une détention prolongée. On ne peut négliger les conséquences fâcheuses d'une longue détention préventive pour le jugement final, car des préjugés peuvent se former chez certains juges. En outre, le requérant fait observer qu'après la remise du dossier par le Juge d'instruction au Procureur, celui-ci doit, selon l'article 112 paragraphe 1 du Code de procédure pénale, établir dans les quinze jours l'acte d'accusation ou retourner le dossier expliquant qu'il ne voit aucun motif de nouvelles poursuites. Or, plus de six mois se sont écoulés jusqu'à l'établissement de l'acte d'accusation. Enfin, la possibilité de l'imputation de la détention préventive sur la durée de la peine ne modifie pas l'obligation contenue dans l'article 5 paragraphe 3 de la Convention. Le requérant conteste aussi l'exactitude de l'affirmation du Gouvernement défendeur selon laquelle les conditions de la détention préventive sont moins dures que celles de la détention répressive.
Quant à la violation alléguée de l'article 5 paragraphe 4 de la Convention
Le Gouvernement défendeur a relevé tout d'abord que, selon l'article 25 de la Convention, seuls les faits au sujet desquels un requérant se prétend victime peuvent donner lieu à un examen par la Commission. A cet égard, les représentants du Gouvernement défendeur ont rappelé que le requérant n'avait pas affirmé dans ses observations écrites se fonder sur l'article 5 paragraphe 4 de la Convention. D'autre part, au cours de l'audience, l'avocat du requérant a déclaré, à un moment donné de ne pas vouloir alléguer une violation de l'article 5 paragraphe 4.
Quoi qu'il en soit, le Gouvernement a soutenu que la présence d'un représentant du Parquet à la Chambre du Conseil, lors de l'examen de la demande de libération du requérant, ne viole pas le principe de l'"égalité des armes". En effet, la position du Parquet dans la procédure pénale autrichienne ne saurait être comparée avec celle de l'inculpé. Alors que dans le système juridique anglo-américain, l'accusateur et l'accusé sont des parties adverses et que le tribunal ne doit statuer que d'après les éléments de preuve apportés par les parties, c'est une autre forme de procédure d'accusation qui s'est constituée en Autriche. Le tribunal ne peut pas, il est vrai, introduire ou poursuivre une procédure pénale sans qu'une demande soit déposée par un plaignant habilité à le faire, mais après le dépôt d'une demande de poursuite, l'instruction n'est pas le fait des parties, mais celui du tribunal. La procédure est donc régie par le principe inquisitoire selon lequel il appartient au tribunal de rechercher d'office la vérité.
L'acte d'accusation déposé par le Procureur a l'avantage de bien cerner le sujet de la plainte et d'offrir au Tribunal une base sûre pour sa décision. De plus, les buts de la procédure pénale (vérité, justice et sécurité juridique) sont aussi les buts de l'activité du Parquet. Celui-ci doit aussi considérer toutes les circonstances qui sont à la décharge de l'inculpé (article 3 du Code de procédure pénale). Par ailleurs, le Parquet est habilité, par exemple, à interjeter également en faveur de l'accusé un appel ou un pourvoi en cassation. Il est d'autre part tenu (cf. l'article 354 du Code susmentionné) d'informer le condamné, lorsqu'il en a connaissance, de toute circonstance qui peut justifier une demande en révision.
Enfin, le Gouvernement a renvoyé, sur ce point, aux observations qu'il avait formulées dans les affaires Matznetter (No 2178/64), Stögmüller (No 1602/62) et Neumeister (No 1936/63).
Le requérant s'est plaint du rejet de sa demande de libération, formulée pendant sa détention préventive, en séance non publique après audition du Procureur, mais en son absence et en l'absence de son avocat. A cet égard, Köplinger a invoqué expressément dans sa requête introductive l'article 5 paragraphe 4 de la Convention. Dans ses observations écrites, par lesquelles il a répondu aux observations écrites du Gouvernement défendeur, le requérant a maintenu ce grief sans pourtant se fonder sur la disposition susmentionnée. Enfin, l'avocat du requérant a, au cours de l'audience contradictoire devant la Commission, développé le grief concernant le manque de l'"égalité des armes" entre le Parquet d'une part et l'inculpé et son défenseur d'autre part. A ce sujet, il a d'abord invoqué l'article 5 paragraphe 4, mais déclaré ensuite ne pas vouloir se fonder sur cette disposition.
D'après Me Stern le grief en question concerne toute la procédure préliminaire et ne saurait être restreint à l'examen des demandes de libération formulées par l'inculpé (Haftprüfungsverfahren). La défense ne bénéficie pas d'une position égale à celle du Parquet. Me Stern reconnaît que même le Procureur a le devoir de veiller au respect des droits de l'inculpé. Toutefois, il a qualité d'une partie au procès (Parteistellung). Les deux parties ne peuvent exercer avec la même efficacité leur influence sur la marche de la procédure. En ce qui concerne les demandes de libération que l'inculpé formule pendant sa détention préventive, Me Stern rappelle qu'elles sont examinées après audition du Procureur et en l'absence de l'inculpé. En outre, le défenseur n'a pas le droit de consulter librement le dossier avant l'établissement de l'acte d'accusation; le Juge d'instruction peut exclure de cette consultation certaines pièces. D'autre part, le défenseur ne peut s'entretenir avec son client qu'en présence du Juge d'instruction ou d'un fonctionnaire. De manière générale, Me Stern affirme que tant du point de vue des faits de la cause qu'en ce qui concerne la qualification juridique, le résultat du procès est en quelque sorte fixé, sous une influence prépondérante du Parquet, bien avant l'ouverture des débats. Il est alors très difficile pour la défense d'exercer une influence décisive sur le cours ultérieur du procès.
Quant à la violation alléguée de l'article 6 paragraphe 3 b et c de la Convention
Le Gouvernement défendeur a soutenu qu'en ce qui concerne la période de détention du requérant, antérieure à la mise en accusation, les dispositions de l'article 6 paragraphe 3 de la Convention ne s'appliquent pas. A partir de la notification de l'acte d'accusation par contre l'inculpé peut s'entretenir avec son défenseur hors de la présence d'un fonctionnaire du Tribunal et tous deux ont le droit de consulter les pièces du dossier (cf. l'article 45 paragraphe 2 du Code de procédure pénale).
Quant à la consultation du dossier (Akteneinsicht) et le contrôle des entretiens entre avocat et inculpé (Sprechkontrolle) durant la période antérieure à la mise en accusation, le barreau a critiqué dans le passé les autorités judiciaires d'interpréter trop strictement les règles régissant la matière (article 45 paragraphe 1 du Code susmentionné). En conséquence, le Ministère de la Justice a promulgué des arrêtés qui ont, d'après les représentants du Gouvernement, assoupli les règles en question, notamment l'arrêté du 3 août 1954. Si par le passé l'application des règles susmentionnées a été une source de critiques de la part du barreau, ces plaintes ne sont point justifiées actuellement, car la pratique a changé radicalement.
En ce qui concerne le temps dont l'accusé dispose pour se préparer aux débats, l'article 221 du Code de procédure pénale prescrit, entre la convocation et l'audience principale, des délais minimum de trois et huit jours respectivement selon qu'il s'agit des débats devant le Tribunal d'Echevins ou devant la Cour d'Assises. En règle générale cependant, le délai accordé est plus long.
Le requérant s'est plaint, en particulier, des difficultés qu'il a rencontrées pour le développement de son pourvoi en cassation. A cet égard il faut rappeler que l'autorisation d'écrire, accordée à temps à Köplinger, n'implique pas nécessairement que les notes préparées par lui ne soient pas soumises au contrôle des autorités pénitentiaires. Cette censure n'est pas une entrave à la défense; elle n'a pas empêché le requérant d'exercer son droit de se pourvoir en cassation. Le Gouvernement se réfère, sur ce point, à la jurisprudence de la Commission, notamment la décision du 19 septembre 1961 sur la recevabilité de la requête No 960/60 (Recueil 8, page 135). Le requérant avait toute liberté d'adresser ses notes à son avocat d'office, pas l'intermédiaire de la direction du pénitencier. En outre, devant les difficultés alléguées, le requérant aurait pu, à tout moment et directement, s'adresser au Président du Tribunal. Il n'a donc pas utilisé tous les recours, mais les griefs sont, en tout état de cause, mal fondés.
Enfin, en ce qui concerne le changement des avocats d'office, le Gouvernement relève que l'article 6 paragraphe 3 c ne donne aucun droit à la désignation d'un avocat pour l'ensemble de la procédure. Il n'est même pas nécessaire que la défense soit assurée par un avocat. Elle peut aussi être assurée par un autre juriste. Le Gouvernement se réfère, sur ce point, à la décision sur la recevabilité de la requête No 509/59 (Annuaire III, page 175). En tout état de cause, la désignation des avocats d'office incombait, en l'espèce, au conseil de l'ordre des avocats (article 42, paragraphe 2 du Code de procédure pénale) sur lequel les tribunaux ne sauraient exercer aucune influence.
Le requérant a relevé qu'il n'a pas eu le temps et les facilités nécessaires pour préparer sa défense. Il n'a pas été assisté efficacement par les avocats qui lui avaient été désignés d'office. Ceux-ci ont changé trop fréquemment et n'ont souvent pas pu étudier cette affaire complexe en raison de leur nomination tardive.
Me Stern a rappelé qu'avant l'établissement de l'acte d'accusation la défense ne peut librement consulter le dossier et les entretiens entre l'avocat et son client sont surveillés. Alors que le Parquet peut à tout moment de la procédure consulter le dossier, le Juge d'instruction peut interdire à la défense de consulter certaines pièces du dossier. Il est vrai que l'inculpé peut interjeter contre une telle mesure un recours devant la Chambre du Conseil. Toutefois, celle-ci décide alors, après consultation du Procureur. D'autre part, l'instruction de l'affaire est suspendue en attendant le résultat d'un tel recours. Or, les délais prolongent inévitablement la détention de l'inculpé qui, de ce fait, hésitera à exercer le recours en question.
Après l'établissement de l'acte d'accusation seulement, l'accusé peut discuter le résultat de l'instruction préparatoire avec son avocat. Celui-ci ne peut alors que difficilement modifier le résultat de la procédure préliminaire auquel on est arrivé sous l'influence prépondérante du Procureur et du Juge d'instruction. L'avocat de l'accusé peut, le cas échéant, essayer de s'arranger avec le Président du Tribunal devant lequel les débats doivent se dérouler, pour obtenir une extension du temps pour la préparation aux débats. Toutefois, il ne peut l'exiger en droit autrichien, même s'il a été nommé tardivement.
Le requérant n'a pas bénéficié des facilités nécessaires notamment en ce qui concerne la présentation des recours qu'il avait interjetés contre le jugement du 13 octobre 1961. Les communications d'un détenu avec son avocat passent pas la censure des autorités pénitentiaires et des entretiens personnels d'une certaine longueur ne sont pas autorisés. En l'occurence, il a été difficile à l'avocat, chargé du développement des recours dans un délai de quinze jours, d'exercer une influence sur les résultats de la procédure qui avait alors duré quatre années.
Quant à la violation alléguée de l'article 13 de la Convention
Le Gouvernement défendeur a fait valoir que le droit de recours n'est accordé, selon l'article 13 de la Convention, que pour la violation de droits garantis. Le requérant ne prétendait pas avoir été lésé par le jugement de première instance dans un droit protégé par la Convention. L'article 13 ne s'applique donc pas. Aucune disposition de la Convention n'accorde un droit de recours en ce qui concerne les questions de fait. Le Gouvernement se réfère sur ce point à la décision no 277 (Annuaire I, page 219).
De manière générale, le Gouvernement défendeur a allégué que le requérant avait moins l'intention de se plaindre devant la Commission des prétendus vices de procédure, mais de demander un nouvel examen de son cas. Or, le droit de recours devant la Commission ne saurait être exercé dans le but d'attaquer une condamnation passée en force de chose jugée.
Le requérant a allégué qu'un pourvoi en cassation n'est point un recours effectif, étant donné qu'une grande partie du jugement de première instance - l'appréciation des preuves - ne peut plus être attaquée.
EN DROIT
Quant à la violation alléguée de l'article 5 paragraphe 1 c (art. 5-1-c) de la Convention
Considérant d'abord que l'article 5 paragraphe 1 c de la Convention prévoit: "1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: a) ... b) ... c) s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci;".
Considérant ensuite que le requérant a été arrêté le 4 septembre 1959 en vertu d'un mandat d'arrêt décerné par le Juge d'instruction et qu'il a été placé en détention préventive; que la plainte formulée par le requérant contre cette mesure a été rejetée le 7 septembre 1959 par la Chambre du Conseil du Tribunal correctionnel régional de Vienne et que le requérant n'a pas attaqué cette décision;
Considérant enfin que la Commission, aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, "ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus"; que le requérant a omis d'introduire, conformément à l'article 114 du Code de procédure pénale autrichien; qu'au surplus, l'examen du dossier ne permet de discerner, en l'état, aucune circonstance particulière qui ait pu dispenser le requérant, selon les principes de droit international généralement reconnus en la matière, d'épuiser les voies de recours internes; qu'il appert, dès lors, que le requérant n'a pas valablement épuisé les voies de recours internes (article 27 paragraphe 3 (art. 27-3) de la Convention);
Qu'en tout état de cause l'examen du dossier ne permet de dégager, en l'état, aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention, et notamment par l'article 5 paragraphe 1 c (art. 5-1-c); qu'en conséquence, le grief dont il s'agit doit être repoussé pour défaut manifeste de fondement (article 27 paragraphe 2 (art. 27-2));
Quant à la violation alléguée de l'article 5 paragraphe 3 (art. 5-3) de la Convention
Considérant d'abord que l'article 5 paragraphe 3 (art. 5-3) de la Convention prévoit: "Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) (art. 5-1-c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience."
Considérant en second lieu que le requérant a formulé, le 5 janvier 1960, une demande tendant à sa libération et que le Juge d'instruction a rejeté cette demande par décision du 12 janvier 1960;
Considérant ensuite que le requérant n'a pas attaqué la décision du Juge d'instruction devant la Chambre du Conseil et, le cas échéant, devant la Cour d'Appel, conformément aux articles 113 et 114 du Code de procédure pénale autrichienne.
Que la Commission a décidé que le présent grief doit être examiné indépendamment du problème que pose l'article 5 paragraphe 4 (art. 5-4) dans la présente requête; que la Commission a estimé d'autre part que le système de recours prévu en Autriche en la matière satisfait aux exigences définies à l'article 26 (art. 26) de la Convention; qu'au surplus, l'examen du dossier ne permet de discerner aucune circonstance particulière qui ait pu dispenser le requérant, selon les principes de droit international généralement reconnus en la matière d'épuiser les voies de recours internes;
Qu'il appert, dès lors, que le requérant n'a pas valablement épuisé les voies de recours internes et qu'il échet donc de rejeter la requête, à cet égard, en vertu de l'article 27 paragraphe 3 (art. 27-3) de la Convention;
Quant à la violation alléguée de l'article 5 paragraphe 4 (art. 5-4) de la Convention
Considérant d'abord que l'article 5 paragraphe 4 (art. 5-4) de la Convention prescrit: "Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale."
Considérant d'autre part que le requérant s'est plaint du rejet de sa demande de libération le 7 septembre 1959 par la Chambre du Conseil, en séance non publique après audition du Procureur, mais en son absence et en l'absence de son avocat; que même si le requérant n'a pas, sous ce rapport, invoqué à tous les stades de la procédure devant la Commission une violation de l'article 5 paragraphe 4 (art. 5-4) de la Convention, la Commission relève qu'elle est compétente d'examiner au besoin d'office le grief du requérant sous l'angle de l'article 5 paragraphe 4 (art. 5-4);
Considérant enfin que la Commission estime qu'au stade actuel de la procédure on ne peut exclure l'hypothèse que l'absence d'"égalité des armes" entre le Ministère Public et la défense pendant la procédure relative aux demandes de libération présentées par des détenus en vertu du droit autrichien, ait pu entraîner, au détriment du requérant, une violation de l'article 5 paragraphe 4 (art. 5-4) de la Convention; que dans ces circonstances la question du non-épuisement des voies de recours internes ne se pose pas par rapport à l'article 5 paragraphe 4 (art. 5-4); qu'il s'ensuit que cette partie de la requête ne saurait être rejetée pour défaut manifeste de fondement;
En ce qui concerne l'article 6 paragraphe 1 (art. 6-1) de la Convention
Considérant qu'en vertu de l'article 6 paragraphe 1 (art. 6-1) de la Convention "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ... dans un délai raisonnable, par un tribunal ... qui décidera ... du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle."
Considérant, bien que le requérant n'ait pas expressément fondé sa requête sur cette disposition de la Convention, que la Commission a décidé d'examiner d'office la présente requête sur ce point et qu'elle a été d'avis que le problème qui surgit quant au "délai raisonnable" visé dans la disposition susmentionnée, se révèle dans la présente affaire suffisamment complexe pour que sa solution doive relever de l'examen du fond; que la requête ne saurait, dès lors, être rejetée, sous ce rapport, pour défaut manifeste de fondement;
Quant à la violation alléguée de l'article 6 paragraphe 3 b (art. 6-3-b) de la Convention
Considérant que l'article 6 paragraphe 3 b (art. 6-3-b) de la Convention prescrit: "Tout accusé a droit notamment à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense."
Considérant que la Commission estime qu'au stade actuel de la procédure on ne peut écarter l'hypothèse que le requérant, à partir du moment où il se trouvait en état d'inculpation, n'ait pas pleinement bénéficié des droits garantis par l'article 6 paragraphe 3 b (art. 6-3-b) de la Convention, et notamment en ce qui concerne les restrictions apportées aux communications du requérant avec ses défenseurs et leurs possibilités de suivre le cours de l'instruction; que les griefs du requérant relatifs à la disposition susmentionnée de la Convention ne sauraient, dès lors, être repoussés pour défaut manifeste de fondement;
Quant à la violation alléguée de l'article 6 paragraphe 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention
Considérant d'abord que l'article 6 paragraphe 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention prescrit: "3. Tout accusé a droit notamment à: a) ... b) ... c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;".
Considérant d'autre part que le requérant s'est prétendu victime d'une violation de ladite disposition du fait du changement fréquent des avocats qui avaient été désignés d'office;
Considérant ensuite, pour autant que les griefs du requérant se dirigent contre son avocat, que la Commission, aux termes de l'article 19 (art. 19) de la Convention, a pour seule tâche d'assurer le respect des engagements résultant de celle-ci pour les Hautes Parties Contractantes, c'est-à-dire pour les Etats membres du Conseil de l'Europe qui ont signé la Convention et déposé leur instrument de ratification; que l'article 25 paragraphe 1er (art. 25-1) stipule, de son côté, que la Commission ne peut être valablement saisie par une personne physique, une organisation non gouvernementale ou un groupe de particuliers que si le requérant se prétend victime d'une violation, par l'un des Etats contractants, des droits reconnus dans la Convention et que cet Etat ait accepté la compétence de la Commission en la matière; qu'il ressort clairement de ces prescriptions que la Commission n'a pas compétence, ratione personae, pour connaitre des violations de la Convention imputées aux simples particuliers; qu'il s'ensuit que la requête est donc, sur ce point, incompatible avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 27 paragraphe 2 (art. 27-2) (cf. la requête No 1599/62, Annuaire Volume 6, pages 348, 366);
Considérant enfin, pour autant que le requérant se plaindrait de l'ordre des avocats qui était, en l'occurrence, responsable pour la désignation des divers avocats qui ont assisté le requérant, que l'on pourrait se demander si la requête ne se heurte pas au même chef d'irrecevabilité; qu'il n'y a cependant pas lieu, en l'espèce, de se prononcer sur ce point;
Considérant d'autre part, dans la mesure où le grief susvisé pourrait donner lieu à la question de savoir si les tribunaux intéressés ont manqué à leur devoir d'assurer au requérant une assistance adéquate, de sorte que sa cause n'aurait pas été entendue équitablement au sens de l'article 6 paragraphe 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention, que l'examen du dossier ne permet de dégager en l'état, même d'office, aucune apparence de violation dudit droit; qu'il s'ensuit que la requête est, sous ce rapport, manifestement mal fondée au sens de l'article 27 paragraphe 2 (art. 27-2) de la Convention;
Quant à la violation alléguée de l'article 13 (art. 13) de la Convention
Considérant d'abord que l'article 13 (art. 13) de la Convention prescrit: "Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles."
Considérant d'autre part que le requérant a allégué une violation de ladite disposition du fait qu'on ne peut mettre en cause l'appréciation des preuves de la première instance dans un pourvoi en cassation;
Considérant enfin qu'aux termes de son article 1er (art. 1), la Convention garantit uniquement "les droits et libertés définis (en son) Titre I"; que tout grief formulé par une personne physique, une organisation non gouvernementale ou un groupe de particuliers doit avoir trait, selon l'article 25 paragraphe 1 (art. 25-1), à une atteinte alléguée à ces droits et libertés, faute de quoi son examen échappe à la compétence ratione materiae de la Commission; que le droit au bénéfice du double degré de juridiction pour les questions de fait ne figure pas, en tant que tel, parmi lesdits droits et libertés, ainsi d'ailleurs que la Commission l'a constaté dans certaines décisions antérieures (cf. par exemple la décision du 20 décembre 1957 sur la recevabilité de la requête No 277/57, Annuaire I, page 219); que la requête est donc, sous ce rapport, incompatible avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 27 paragraphe 2 (art. 27-2);
Par ces motifs
1. déclare la requête recevable quant à la violation alléguée des articles 5 paragraphes 4 (art. 5-4) et 6, paragraphes 1 et 3 c (6-1, 6-3-c) de la Convention;
2. déclare la requête irrecevable quant au surplus.