-------------------------------- (1) Vu la publicité donnée à ces requêtes par les requérants eux-mêmes, le texte intégral des faits est reproduit ci-dessous. --------------------------------
EN FAIT
Considérant que les faits des trois causes dont il s'agit peuvent se résumer ainsi:
Le premier requérant, né en 1932, est à la fois propriétaire et directeur des "Editions de l'Indépendant" et du journal de ce nom; il a épousé en 1958 Lucienne Koolen, seconde requérante. Tous deux possèdent la nationalité belge.
I. Requête N° 1420/62 (Octave-Jean de Buck c/Belgique)
O.J. de Buck commence par retracer les circonstances qui ont engendré la situation litigieuse (cf. le paragraphe A infra "Historique"); il précise qu'il ne les inclut point dans sa plainte, car les procédures civiles les concernant demeurent pendantes devant les juridictions belges. Le requérant expose ensuite les faits qui l'ont directement incité à saisir la Commission (cf. le paragraphe B infra, "La situation litigieuse").
A. Historique
1. Le 1er janvier 1955, la société anonyme Ediver, fondée en 1951 à Verviers et inscrite au registre du commerce de cette ville sous le N° 3407, conclut avec les "Editions de l'Indépendant" un contrat qui leur confiait pour dix ans la régie publicitaire du "Courrier" de Verviers et son supplément hebdomadaire, "Le Courrier de Malmédy". La seule clause de cessation anticipée figurait à l'article 5, ainsi libellé: "Le présent contrat cessera de plein droit dans le cas où Ediver cesserait d'éditer le ou les journaux susdits."
2. Le 28 avril 1955, les "Editions de l'Indépendant" reçurent une lettre émanant non pas de la société anonyme Ediver, mais d'une société en nom collectif Ediver dont la constitution n'avait pas été notifiée à de Buck, qui d'ailleurs ne remarqua rien à l'époque. Cette lettre contenait pourtant les mots "le contrat qui nous lie". A partir de cette date, toute la correspondance d'Ediver fut assurée par la société en nom collectif, la société anonyme observant un mutisme complet. Il semble aussi que ladite société ait pris en charge l'édition du "Courrier" et du "Courrier de Malmédy", du moins si l'on en juge d'après le papier à en-tête utilisé. Beaucoup plus tard, il se révéla que la création de la société en nom collectif résultait d'un acte sous seing privé du 14 décembre 1954. L'acte de constitution parut à "l'Annexe du Moniteur belge" du 7 janvier 1955, à l'exception de l'article concernant les apports à la nouvelle société. Cet article, qui ne figurait que dans l'acte sous seing privé, indiquait que le Baron Louis Zurstrassen, Président du Conseil d'administration de la société anonyme, et son frère Edouard Zurstrassen apportaient chacun 490.000 FB, tandis qu'un troisième apport provenait de la société anonyme Ediver. La société en nom collectif Ediver fut dissoute le 20 novembre 1956. Il n'en reste pas moins que les deux sociétés, qui poursuivaient un but identique et possédaient des bureaux communs, coexistèrent pendant presque deux ans et que la seconde était étroitement liée à la première par sa composition. Selon de Buck, de telles pratiques étaient de nature à semer le trouble dans l'esprit des cocontractants desdites sociétés.
3. Après une longue période de silence, la société anonyme resurgit soudain sur la scène. Le 13 mars 1956, elle avisa les "Editions de l'Indépendant" que "le contrat de régie liant Ediver" - sans précision - "aux Editions de l'Indépendant (expirerait) le 31 mars 1956", en vertu de son article 5, Ediver "cessant à cette date d'éditer le journal Le Courrier et son hebdomadaire Le Courrier de Malmédy" qui, "à partir du 1er avril, (seraient) imprimés sur les presses du journal Vers l'Avenir à Namur". Peu après, de Buck devait apprendre que le 7 mars 1956, avait été fondée la "Société anonyme Le Courrier", censée éditer dorénavant "Le Courrier" et le "Courrier de Malmédy". Il soutient que cette société qui partageait les locaux des deux sociétés Ediver, avait pour seule raison d'être de fournir un motif de résiliation du contrat sur la base de l'article 5. Néanmoins, l'acte qui la constituait ne fut publié à l'Annexe du Moniteur belge que le 24 mars 1956. Le requérant en déduit qu'au 13 mars 1956, la création de la nouvelle société ne lui était pas opposable; la société anonyme Ediver se serait donc rendue coupable d'une rupture abusive de contrat. Dès le 15 mars 1956, les "Editions de l'Indépendant" notifièrent à la direction du "Courrier" qu'elles considéraient la lettre du 13 mars comme nulle, de sorte que le contrat de régie devait continuer à produire ses effets. Vers le milieu du mois de mars 1956, le journal "Vers l'Avenir" aurait invité les clients des "Editions de l'Indépendant" à lui confier à l'avenir leurs rubriques de publicité.
4. Le 9 avril 1956, les "Editions de l'Indépendant" enjoignirent à la société anonyme Ediver, par exploit d'huissier, d'établir laquelle des deux sociétés éditait réellement "Le Courrier" et "Le Courrier de Malmédy" à l'époque de la rupture. Aucune suite ne devait être donnée à cette demande, plusieurs fois réitérée, jusqu'en 1958. Le 3 novembre 1958, cependant, l'avocat d'Ediver, Me Hemeleers, produisit deux conventions prétendument passées le 20 décembre 1954 et le 1er mars 1956: par la première, la société anonyme cédait à la société en nom collectif le droit au nom et à l'édition des deux journaux; par la seconde, la société en nom collectif cédait à son tour ce même droit à la société anonyme "Le Courrier". Le conseil du requérant, Me Hamaide, fit alors expertiser ces deux contrats par deux experts assermentés, MM. Mertene (belge) et Michaud (français), qui arrivèrent l'un et l'autre à la conclusion qu'il s'agissait de pièces "presque sûrement sinon totalement, du moins partiellement apocryphes" (termes empruntés à l'expertise de M. Michaud).
5. Le 26 avril 1956, la Société anonyme Ediver somma les "Editions de l'Indépendant" de régler sans retard les décomptes des trois mois qui avaient précédé la rupture. Toute tentative d'arrangement amiable s'étant révélée vaine, l'avocat consulté par les "Editions de l'Indépendant" écrivit à la société anonyme Ediver le 2 juin 1956, insistant sur le caractère abusif de la rupture intervenue et signalant que son client se réservait d'engager les actions appropriées. Le 13 juin 1956, la société en nom collectif refit une brève apparition: elle envoya au requérant, sur du papier à son en-tête, un relevé des rubriques publicitaires insérées dans "Le Courrier" depuis la rupture. De Buck y voit la confirmation de ce que la société en nom collectif s'estimait créancière des 178.125 FB exigés par la société anonyme. Il n'a jamais contesté être débiteur de cette somme - qui correspond à la part (60 %) des bénéfices publicitaires allouée à la société éditrice - mais considère que seule la société en nom collectif, éditrice des journaux à la date de la rupture, en est la créancière. Le 16 juin 1956, le montant litigieux fut réclamé par la société anonyme qui ajoutait: "Votre carence nous met dans l'obligation de suspendre le contrat conformément à l'article 1184 du Code Civil." Le requérant souligne que cette suspension n'avait pas d'objet, puisque la société anonyme avait rompu le contrat dès le 13 mars 1956. La lettre du 16 juin impliquerait donc la reconnaissance du caractère abusif de cette rupture.
6. Le 9 juillet 1956, la société anonyme Ediver lança contre les "Editions de l'Indépendant" une sommation-assignation en paiement de 178.125 FB. La première Chambre du Tribunal de Commerce de Bruxelles, saisie de l'affaire, devait tenir audience le 19 juillet 1956. L'avocat des "Editions de l'Indépendant", Me Gilmant, demanda toutefois une remise, ses conclusions n'étant pas prêtes. L'avocat de la partie adverse, Me Hemeleers, y consentit à une condition: la somme litigieuse fut versée à un compte ouvert le 23 juillet 1956, avec clause d'affectation spéciale, auprès de la Banque de Bruxelles; ce compte devait rester bloqué aussi longtemps qu'il n'aurait pas été statué sur l'action reconventionnelle que les "Editions de l'Indépendant" se proposaient d'introduire contre la société anonyme Ediver (cf. le paragraphe 10 infra).
7. Le 1er octobre 1958, cependant, la Banque de Bruxelles informa de Buck qu'une saisie-arrêt avait été pratiquée sur ledit compte; or, à cette date, l'action reconventionnelle, intentée le 23 novembre 1956, n'avait donné lieu qu'à un jugement de première instance (cf. le paragraphe 10 infra). Le requérant en déduit que la saisie-arrêt violait la clause d'affectation spéciale qui figurait dans le document d'ouverture de compte. Aussi a-t-il porté plainte pour abus de confiance, le 30 mai 1959, contre les avocats Gilmant et Hemeleers, signataires de ce document (apparemment par voie de citation directe). Le 22 juin 1960, la deuxième Chambre du Tribunal de Bruxelles a constaté qu'un simple particulier ne pouvait valablement déclencher l'action publique contre Me Hemeleers, qui possédait la qualité de juge suppléant; elle a en outre débouté le requérant de son action contre Me Gilmant. La quatrième Chambre de la Cour d'Appel de Bruxelles a confirmé cette décision le 28 mars 1961, et la Cour de Cassation repoussé le pourvoi de De Buck le 18 avril 1963.
8. Entre-temps, le Tribunal de Commerce de Bruxelles (cf. le paragraphe 6 supra) avait condamné les "Editions de l'Indépendant", le 8 décembre 1956, à payer 178.125 FB à la société anonyme Ediver. Les "Editions de l'Indépendant" attaquèrent ce jugement - exécutoire par provision nonobstant appel - au moyen d'un appel qui fut déclaré recevable le 27 février 1958. Le 14 novembre 1958, la Cour d'Appel de Bruxelles aurait décidé de surseoir à statuer en raison de la plainte déposée la veille par le requérant (cf. le paragraphe 11 a) infra). Plus récemment, la société Ediver aurait cherché à obtenir de la Cour un arrêt de biffure, avec la complicité de l'avoué de De Buck, Me Straetmans. Une audience était fixée pour le 16 octobre 1963; le requérant n'en indique pas le résultat.
9. Le 10 juillet 1957, la société anonyme Ediver avait assigné les "Editions de l'Indépendant" en présentation de caution, afin d'assurer l'exécution du jugement du 8 décembre 1956 qui prévoyait pareille offre de caution. La première Chambre du Tribunal de Commerce de Bruxelles tint audience à ce sujet le 11 juillet 1957. La veille, l'avocat des "Editions de l'Indépendant", Me Thys, s'était déchargé de son mandat de sorte que De Buck ne fut pas en mesure de formuler de conclusions. En conséquence, l'audience fut remise à quinzaine. La première Chambre du Tribunal de Commerce rendit son jugement le 29 juillet 1957; elle accepta l'offre de caution de la société Ediver, ce qui devait permettre, ultérieurement, la saisie-arrêt susmentionnée (paragraphe 7 supra). Le Tribunal considéra comme contradictoires les débats du 11 juillet; dans ses attendus, il fit état de conclusions "lues" par le défendeur à cette date. Le jugement du 29 juillet 1957 renfermerait donc une fausse affirmation qui, aux yeux du requérant, l'entache de nullité.
10. Le 23 novembre 1956, les "Editions de l'Indépendant" avaient assigné la société anonyme Ediver en exécution des clauses du contrat du 1er janvier 1955 (cf. le paragraphe 7 supra). Le requérant n'aurait réussi à trouver un avocat, Me Goldberg, que le 11 décembre 1957. Comme une audience devait se dérouler le lendemain devant le Tribunal de Commerce de Bruxelles, Me Goldberg écrivit au Président pour en solliciter la remise. Or, le Tribunal passa outre; quand le débat au fond s'engagea, le requérant quitta la salle et le jugement fut prononcé par défaut, à son encontre, le 12 décembre 1957. Les "Editions de l'Indépendant" firent opposition au moyen d'un exploit signifié le 4 février 1958. Le 28 février 1959, la sixième Chambre du Tribunal de Commerce décida de surseoir à statuer, par application de l'article 4 du Code d'instruction criminelle (cf. le principe "le criminel tient le civil en état").
B. La situation litigieuse
11. A la suite des circonstances relatées plus haut, le requérant porta plainte, avec constitution de partie civile:
a) le 13 novembre 1958, pour escroquerie, contre le Baron Louis Zurstrassen, le Comte Michel de Borchgrave d'Altena et M. Mathieu Dubois, administrateurs de la société anonyme Ediver;
b) le 26 novembre 1958, pour tromperie, infraction à la législation sur la publication ou la distribution d'écrits sans indication vraie du nom et du domicile de l'auteur ou de l'imprimeur, faux et usage de faux, contre ces trois mêmes personnes et contre quatre administrateurs de la société en nom collectif Ediver, quatre administrateurs de la société anonyme "Le Courrier" et contre l'administrateur délégué de la société anonyme "La Presse catholique dans la province de Namur", éditrice du journal "Vers l'Avenir";
c) le 9 novembre 1959, contre les trois administrateurs susnommés pour escroquerie, faux et usage de faux en matière de fondation de sociétés.
12. En ce qui concerne la plainte du 13 novembre 1958, la Chambre du Conseil du Tribunal de première instance de Bruxelles releva, dans une ordonnance du 16 décembre 1958, que l'action publique ne pouvait être valablement mise en mouvement contre le Baron Zurstrassen, membre du Sénat, sans l'autorisation de ce dernier, du moins durant la session parlementaire. Quant aux deux autres inculpés, elle estima que les faits allégués représentaient une simple tentative d'escroquerie, non punissable selon la loi, de sorte qu'il n'y avait pas lieu à poursuites. Sur appel de De Buck, la Chambre des Mises en Accusation de Bruxelles confirma cette ordonnance le 12 mai 1959; le 19 octobre 1959, la Cour de Cassation rejeta le pourvoi de l'intéressé. Le cas du Baron Zurstrassen fut repris pendant l'intersession du Parlement: la Chambre du Conseil du Tribunal de première instance rendit une ordonnance de non-lieu le 21 novembre 1959; sur appel du requérant, la Chambre des Mises en Accusation décida, le 13 mars 1960, de surseoir à statuer pour le motif que deux autres plaintes dirigées contre la même personne et se rapportant aux mêmes faits se trouvaient en cours d'instruction; le 20 juin 1960, la Cour de Cassation jugea qu'il s'agissait là d'une mesure préparatrice et d'instruction et, partant, déclara irrecevable le pourvoi de De Buck.
13. Au sujet de la plainte du 26 novembre 1958, la Chambre du Conseil du Tribunal de première instance de Bruxelles rendit, le 9 avril 1960, une ordonnance de non-lieu que la Chambre des Mises en Accusation confirma le 17 janvier 1961.
14. Le même jour, la Chambre des Mises confirma également l'ordonnance du 21 novembre 1959 (cas du Baron Zurstrassen, paragraphe 12 in fine supra) et décida qu'il n'y avait pas lieu à poursuites dans la troisième affaire (plainte du 9 novembre 1959), qu'elle avait jointe aux deux autres.
15. Le 26 janvier 1961, De Buck a formé contre l'arrêt du 17 janvier 1961 (paragraphes 13 et 14 supra) un pourvoi en cassation qui a été rejeté le 13 novembre 1961. Il reprochait à la Chambre des Mises, tout d'abord, d'avoir prononcé la jonction de causes dont l'une n'avait connu qu'un "semblant d'instruction", portant sur des faits étrangers aux chefs d'accusation, et l'autre n'avait pas été instruite du tout. La Cour de Cassation a relevé que cette circonstance, "fût-elle constante, n'exclurait pas l'existence entre les deux causes d'un lien de connexité justifiant leur jonction". Le requérant avançait un second moyen tiré de la violation de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810. Sur ce point, la Cour de Cassation a noté que l'arrêt du 17 janvier 1961 émanait de magistrats différents, à l'exception d'un seul, de ceux qui avaient sursis à statuer le 13 mars 1960 (paragraphe 12 in fine supra); elle en a déduit que l'arrêt "manquait en droit". De Buck alléguait aussi la violation: - de l'article 97 de la Constitution, "en ce que l'arrêt n'avait pas répondu aux conclusions du demandeur relevant de manière précise les éléments de fait et de droit constituant des charges justifiant le renvoi des inculpés défendeurs devant la juridiction de jugement, ou tout au moins la surséance jusqu'à l'accomplissement d'actes d'instruction complémentaires"; - de l'article 127 du Code d'instruction criminelle, en ce que la Chambre des Mises avait statué malgré l'absence d'instruction ou sur la base d'une procédure incomplète; - des articles 228 et 462 du même Code, en ce que la Chambre des Mises avait négligé de procéder à un complément d'information (expertise d'écritures, etc. ...) et de prescrire la saisie des pièces arguées de faux ainsi que du matériel ayant servi à la forger; - des droits de la défense dans le chef du requérant (demandeur), en ce que la partie adverse avait déposé et invoqué, à l'audience du 13 décembre 1960, des documents qui n'avaient pas été empêché de les examiner et d'y répliquer. Il s'agissait notamment des relevés des sommes dues par De Buck (178.125 FB), les relevés adressés par le requérant au journal "Le Courrier", portaient des timbres fiscaux annulés au moyen du cachet à date du bénéficiaire du décompte, à savoir la société en nom collectif Ediver. Ils fournissaient donc, d'après De Buck, la preuve décisive que le véritable créancier dudit montant n'était point la société anonyme Ediver. La Cour de Cassation a estimé que ces divers moyens, concernant la décision de non-lieu, n'étaient pas recevables. Le requérant faisait valoir, enfin, que l'arrêt du 17 janvier 1961 n'avait pas statué sur l'infraction prétendue à l'article 229 du Code pénal (publication d'imprimés sans l'indication vraie du nom et du domicile de l'auteur ou de l'imprimeur), pour le motif qu'elle ne se trouvait mentionnée dans aucune des constitutions de partie civile de De Buck et que le Ministère public n'en avait pas saisi le juge d'instruction. Or, De Buck considère que sa plainte dénonçait bel et bien cette infraction de la manière la plus explicite. La Cour de Cassation a également repoussé ce moyen, car "un plaignant qui ne s'est pas constitué partie civile devant le juge d'instruction du chef de l'une des infractions par lui dénoncées est sans qualité pour faire grief à la Chambre des Mises en Accusation, statuant sur les pièces du dossier qui lui était soumis, de n'avoir pas ordonné d'office des poursuites du chef de cette infraction".
16. Le 17 avril 1961, le requérant a porté plainte auprès du juge d'instruction de Verviers, avec constitution de partie civile, contre MM. Louis Zurstrassen, Michel de Borchgrave d'Altena, Mathieu Dubois et Edouard Zurstrassen, pour escroquerie, faux et usage de faux; cette plainte avait trait aux documents utilisés devant la Chambre des Mises en Accusation de Bruxelles le 13 décembre 1960 (cf. le paragraphe 15 supra.). Le 13 mars 1962, la Chambre du Conseil du Tribunal de Première instance de Verviers a déclaré irrecevable ladite constitution de partie civile, estimant que seul le Procureur Général près la Cour d'Appel de Bruxelles avait qualité pour demander la réouverture de l'instruction clôturée par l'arrêt du 17 janvier 1961 (cf. les paragraphes 13 et 14 supra.). Sur appel du requérant, la Chambre des Mises en Accusation de la Cour d'Appel de Liège a confirmé cette décision le 7 décembre 1962. Le 10 décembre 1962, Me Ghilain, avoué, a introduit un pourvoi en cassation pour le compte de De Buck. Dans son mémoire ampliatif, déposé le 19 décembre, ce dernier a reproché à l'arrêt a quo de se fonder sur une motivation "vague" et insuffisante, inspirée par une jurisprudence contestable; il a invoqué différents articles du Code d'instruction criminelle (notamment les articles 22, 27, 29 et 63), combinés avec l'article 97 de la Constitution. La Cour de Cassation paraît ne pas avoir encore statué.
17. Le requérant souligne d'autre part, que la société anonyme Ediver, sans attendre le résultat des procédures pénales engagées contre ses administrateurs, a exécuté une série de saisies: saisie du compte établi auprès de la Banque de Bruxelles (cf. le paragraphe 7 supra.), saisie et vente du mobilier de De Buck sur la place publique de Schaerbeeck (22 janvier 1959), saisie des comptes courants postaux du requérant en Belgique (9 mars 1959) et au Grand-Duché de Luxembourg (cf. la décision sur la recevabilité de la requête n° 1482/62, saisie du compte courant postal des "Services bruxellois de Publicité, l'Indépendant - Schaerbeeck" (janvier 1963). En 1959, la société anonyme Ediver a assigné De Buck, son "associé" Gemand et "Les Editions de l'Indépendant", qualifiées de "Société en nom collectif de fait", en validation de deux de ces saisies, à savoir celles des 30 septembre 1958 (Banque de Bruxelles) et 9 mars 1959 (compte courant postal, Bruxelles). De Buck et Gomand ont plaidé, en substance: - que le second n'était point l'associé du premier, mais le directeur commercial des "Edition de l'Indépendant"; - que ces dernières, propriété exclusive du seul De Buck, n'avaient jamais constitué et ne constitueraient jamais une société en nom collectif, même "de fait"; - que la demande, pour être valable, devait émaner de la société en nom collectif, Ediver. - que De Buck et Gomand avaient eux-mêmes des créances à faire valoir contre Ediver. Le Tribunal de Première instance de Bruxelles n'en a pas moins donné gain de cause à Ediver le 11 mai 1959. De Buck et Gomand ayant attaqué ce jugement, la Deuxième Chambre de la Cour d'Appel de Bruxelles l'a confirmé le 19 juin 1963; elle a estimé, entre autres: - que les éléments en sa possession révélaient l'existence d'une société de fait entre De Buck et Gomand; - que les deux saisies-arrêts litigieuses reposaient sur le jugement du 8 décembre 1956 (paragraphe 8 supra.) qui, bien que frappé le 29 mars 1957 d'un appel qui demeurait pendant, était exécutoire par provision; - que De Buck et Gomand n'apportaient pas la preuve de l'extinction de leurs obligations envers Ediver (par voie de paiement, etc. ...); - que, dans le cadre limité d'une instance en validation de saisie, la Cour n'avait pas à rechercher si la créance en question appartenait à la société en nom collectif Ediver plutôt qu'à la société anonyme, ni si les appelants avaient de leur côté des créances contre l'intimée.
Le 22 août 1959, par ailleurs, De Buck a intenté une action en dommages-intérêts contre deux huissiers de justices, MM. Daiwir et De Valck, coupables selon lui d'avoir commis diverses irrégularités à l'occasion de la vente de ses meubles le 22 janvier 1959 ("sabotage", "agissements arbitraires" et "violation de domicile"). Débouté le 22 juin 1960 par la Deuxième Chambre du Tribunal de Première instance de Bruxelles, le requérant a interjeté appel; la Cinquième Chambre de la Cour d'Appel de Bruxelles a confirmé ce jugement, par défaut, le 20 octobre 1961 puis, sur opposition, le 23 décembre 1961 (itératif défaut). Le 14 février 1963, la Cour de Cassation a repoussé le pourvoi formé par De Buck contre ces deux arrêts (cf. la requête n° 1957/63, sur laquelle la Commission n'a pas encore statué).
18. Après l'échec de ses plaintes pénales, l'intéressé fut poursuivi pour dénonciation calomnieuse et condamné à six mois de prison, il se cache depuis lors (cf. le paragraphe II infra, faits relatés dans la requête n° 1477/62).
C. Les griefs du requérant
19. Le requérant allègue, tout d'abord, que sa plainte du 13 novembre 1958 (paragraphe 11 a) supra.) n'a donné lieu à aucune instruction. Dans les conclusions qu'il présenta à la Chambre des Mises en Accusation, il demandait que fût expertisée la comptabilité de chacune des deux sociétés Ediver; il ne fut point tenu compte de cette demande. A ce propos, De Buck cite certaines affirmations du Conseiller qui fit rapport à la Cour d'Appel de Bruxelles, à l'audience du 22 mars 1963, au sujet de son appel contre la condamnation visée au paragraphe précédent. Ce magistrat aurait déclaré: "d'après le dossier, il semble en effet qu'aucun devoir d'instruction n'ait été fait"; il aurait signalé en outre, dans la procédure antérieure, une série d'"anomalies" et de "hasards", tout en précisant: "on ne voit nulle part la répercussion possible de ces anomalies sur les intérêts de De Buck".
20. En ce qui concerne la plainte du 26 novembre 1958 (paragraphe 11 b) supra.), le même Conseiller-rapporteur aurait retenu que le photographe Gossiaux, censé avoir photographié les deux contrats dont deux experts avaient reconnu le caractère apocryphe (paragraphe 4 in fine supra.), "avait donné des explications qui n'étaient peut-être pas entièrement convaincantes". Le requérant reproche à la Chambre du Conseil et à la Chambre des Mises en Accusation d'avoir ajouté foi à ces "explications", contraires selon lui à toutes les lois de la photographie: sur la "photographie" du contrat du 1er mars 1956, on cherche en vain le nom de famille de l'un des signataires, qui pourtant figure très nettement sur l'original. De Buck estime avoir démontré sans peine, en photographiant ce document au greffe très mal éclairé du Tribunal de Bruxelles, que la complète disparition d'un mot sur une reproduction photographique - par ailleurs excellente - était absolument anormale. Aussi s'étonne-t-il que ni la Chambre du Conseil, ni la Chambre des Mises en Accusation n'aient cru devoir soumettre à une contre-expertise les pièces qu'il arguait formellement de faux en s'appuyant sur l'opinion, déjà citée, de deux experts.
21. Le requérant fait également grief à la Chambre du Conseil et à la Chambre des Mises de ne pas avoir relevé le caractère illégal et frauduleux de la constitution simultanée de deux sociétés homonymes, et de s'être contentées de la "justification" fournie par l'avocat de ces sociétés, d'après lequel la seconde société avait été créée en vue de l'octroi de "crédits" ou de "faveurs fiscales". De l'avis du requérant, il ne s'agit pas là d'une justification mais d'un demi-aveu qui aurait dû inciter la Chambre du Conseil, puis la Chambre des Mises, à s'intéresser de plus près aux entreprises des deux sociétés Ediver.
22. De Buck prétend en outre que ses avocats, Me Briomont et Me Preiser, ayant rendu visite au juge d'instruction Preuveneers, le 8 février 1960, pour l'inviter à provoquer une expertise des pièces entachées de faux, s'attirèrent la réponse suivante: "Que voulez-vous que je fasse, quand le Procureur du Roi tient le non-lieu en mains?" Le 15 février 1960, Me Briomont adressa au juge Preuveneers, à ce sujet, une lettre de protestation qui contenait un passage ainsi libellé: "Lors de l'entrevue que vous avez bien voulu m'accorder le 8 février dernier, je me suis permis de m'étonner que, précédemment, certains devoirs d'instruction demandés par la partie civile n'avaient pas été exécutés. Vous m'avez répondu que le juge d'instruction était lié par le non-lieu du Procureur du Roi? Je vous ai fait part que je ne partageais pas votre sentiment à ce sujet, m'appuyant sur une doctrine et une jurisprudence abondantes."
23. Le requérant dénonce, de surcroît, l'attitude que la Chambre du Conseil aurait adoptée envers lui à l'audience du 21 novembre 1959 (paragraphe 12 in fine supra.): on lui aurait indiqué qu'il "n'était plus partie litigeante" bien qu'il eût été dûment convoqué. De Buck n'en aurait pas moins insisté pour remettre ses conclusions, mais le Ministère Public l'aurait averti qu'il indisposerait le Président de la Chambre. Ce dernier lui aurait effectivement déclaré: "Oui, vous m'indisposez".
24. Le requérant reproche aussi à la Chambre des Mises en Accusation d'avoir autorisé ses adversaires à verser au dossier une pièce décisive inconnue de lui, et d'en avoir fait état à l'audience du 13 décembre 1960 (paragraphe 15 supra.).
25. De Buck allègue enfin que les juridictions qui ont instruit ses plaintes se sont laissé abuser par les fonctions parlementaires et les titres de noblesse du Baron de Zurstrassen et de ses amis. L'avocat de ses adversaires, Me Hemeleers, n'aurait du reste pas hésité à lancer à la Chambre du Conseil l'apostrophe que voici: "N'oubliez pas, Messieurs, que vous avez affaire à un groupe extrêmement puissant!".
26. Le requérant se prétend victime de la violation: - des articles 6 et 14 de la Convention, en ce que la justice belge l'aurait traité de façon inique et partiale et n'aurait pas craint de prendre en considération l'origine sociale et la fortune de ses adversaires; - de l'article 8 de la Convention, en ce que la condamnation prononcée contre lui (paragraphe 18 supra.) l'aurait obligé à s'enfuir et à vivre séparé de sa jeune femme (cf. infra., au sujet de la requête n° 1477/62); - de l'article 1er du premier Protocole additionnel, en ce qui concerne les saisies litigieuses.
D. L'objet de la demande
27. De Buck réclame quinze millions de francs belges de dommages-intérêts. Il exige en outre que l'Etat belge lui restitue les doubles de ses dossiers, retenus depuis l'arrêt de la Cour de Cassation du 13 novembre 1961, et cesse de le poursuivre en attendant la décision de la Commission.
II. Requête N° 1477/62 (Octave-Jean De Buck c/Belgique)
A. La situation litigieuse
28. Le 11 mars 1959, le Baron Louis Zurstrassen, le Comte Michel de Borchgrave d'Altena et M. Mathieu Dubois, ainsi que Me Albert Parisis et le Baron Philippe de Thysebaert, ont déclaré se constituer partie civile contre O.J. De Buck pour dénonciation calomnieuse (cf. supra, paragraphes 11 et suivants). Le requérant désirait confier la défense de ses intérêts à Me Robert Goffin, avocat, mais celui-ci lui a répondu, le 23 mars 1962: "Sans que je doive consulter sur la matière, il m'apparaît d'une manière indiscutable qu'il m'est impossible de vous défendre, car le système d'attaque que vous avez choisi me paraît incompatible avec l'intervention d'un avocat qui devrait se solidariser avec ce qui a été fait. Il est certain que vous vous êtes coupé tous les ponts derrière vous; cela est si évident qu'il me semble qu'aucun avocat ne puisse être sans une grave responsabilité à vos côtés."
29. Le 16 mai 1962, la 21ème Chambre du Tribunal de Première instance de Bruxelles, jugeant en matière de police correctionnelle, a condamné De Buck à six mois de prison et à dix mille francs d'amende, ainsi qu'à des dommages-intérêts envers chacun des plaignants (350.000 FB au total). Elle a statué par défaut, l'intéressé n'ayant pas comparu et n'ayant pas réussi à s'assurer le concours d'un avocat. Le requérant a formé opposition, mais en vain (jugement du 4 juin 1962, défaut itératif). Il a ensuite interjeté appel; la 14ème Chambre de la Cour de Bruxelles a confirmé le jugement a quo, elle aussi par défaut, le 27 avril 1963. Le 30 mai 1963, la même Chambre a déclaré non avenue l'opposition de De Buck, ce dernier ayant, sans motif valable, omis de se présenter. Le 26 juin 1963, le requérant a introduit un pourvoi en cassation contre les arrêts des 27 avril et 30 mai 1963, dont le second lui avait été signifié le 18 juin 1963. Dans son mémoire ampliatif, déposé le 5 juillet 1963, il a invoqué les droits de la défense, la Convention européenne et les articles 6 (égalité des Belges devant la loi) et 18 (liberté de la presse) de la Constitution. La Cour de Cassation paraît ne pas s'être encore prononcée.
B. Les griefs du requérant
30. Le requérant fait grief à la justice belge: - de n'avoir pas respecté "la litispendance devant la Commission européenne des Droits de l'Homme" en lui infligeant une peine en dépit de l'introduction de sa requête; - de ne pas lui avoir restitué ses dossiers malgré une sommation adressée au Procureur Général par voie d'huissier.
De Buck allègue la violation: - de l'article 3 de la Convention, "en ce qu'il est incontestable que la situation morale à laquelle est réduit le requérant, ne saurait manquer d'avoir sur son physique des répercussions inévitables"; - de l'article 5 paragraphe 1, première phrase, en ce que le Ministère Public l'aurait menacé de le faire interner dans un établissement de Défense sociale; - de l'article 5 paragraphe 1 a), en ce que les décisions litigieuses, prononcées avant que la Commission ait achevé de s'occuper de la présente requête, n'émaneraient pas de tribunaux "compétents"; - de l'article 6, paragraphes 1 et 3 b) à d), en ce que le requérant n'a pas bénéficié de l'assistance d'un avocat et a été condamné, sans nouvel examen, sur la base de l'instruction pénale qui s'est terminée par l'arrêt du 13 novembre 1961 (paragraphe 15 supra); - de l'article 8, en ce que le jugement "injuste" du 16 mai 1962 l'aurait obligé à prendre la fuite, le forçant ainsi à s'éloigner de sa femme et, partant, à ne pas mener une vie de famille normale; - de l'article 13, en ce que la magistrature belge l'aurait privé du recours effectif dont il aurait dû disposer: la Belgique ne possédant pas de Conseil Supérieur de la Magistrature, De Buck n'a pu s'adresser qu'au Ministre de la Justice et à S.M. le Roi Baudouin, du reste sans résultat; - de l'article 14, en ce que ses juges auraient attaché plus d'importance à la position sociale de ses adversaires qu'à l'exactitude de ses accusations ("justice de classe"); - de l'article 17, en ce que l'Etat belge aurait enfreint avec persistance divers articles de la Convention; - de l'article 10 de la Convention et de l'article 1er du premier Protocole additionnel, en ce que la condamnation attaquée aurait à dessein, créé une situation de fait qui empêcherait De Buck d'éditer librement "L'Indépendant", journal "impartial" dont il est propriétaire et dont il tirait ses ressources.
C. L'objet de la demande
31. Le requérant réclame: - la "mise à néant" de la condamnation litigieuse; - l'arrêt des multiples vexations auxquelles il serait en butte, et ce pour cause de litispendance; - la réparation du préjudice matériel et moral prétendument subi, soit une somme forfaitaire de 250.000 FB plus 2.000 FB par jour de retard à compter du 16 mai 1962 (publicité donnée au jugement du Tribunal correctionnel, impossibilité d'exercer sa profession, dépenses supplémentaires dues à la nécessité d'abandonner provisoirement son foyer, etc.).
III. Requête N° 1478/62 (Lucienne Koolen, épouse d'O.J. De Buck, c/Belgique)
A. La situation litigieuse
32. La requérante renvoie la Commission, à ce sujet, aux requêtes N° 1420/62 et N° 1477/62 de son mari (cf. supra).
B. Les griefs de la requérante
33. La requérante considère que les faits dénoncés par O.J. De Buck lui ont causé un préjudice direct et personnel dont elle est fondée à se plaire.
Elle se prétend, en particulier, victime de la violation: - de l'article 3 de la Convention, en ce que le jugement du 16 mai 1962 aurait jeté le discrédit sur le ménage et déclenché une campagne de presse diffamatoire et déshonorante; - de l'article 5 paragraphe 1, première phrase, en ce que la menace d'internement proférée par le Ministère Public (cf. supra) affecterait la sûreté de Lucienne Koolen et non point seulement d'O.J. De Buck; - de l'article 5 paragraphe 1 a), en ce que ledit jugement émanerait d'un tribunal incompétent (cf. supra); - de l'article 5 paragraphe 5; - de l'article 6, paragraphes 1 et 3 b) à d), dont l'inobservation par les tribunaux belges aurait fait d'elle la femme d'un proscrit; - de l'article 8, car la requérante, "à la suite des agissements arbitraires de l'appareil judiciaire belge", n'aurait plus de vie privée et familiale, ni même de domicile conjugal, et aurait perdu l'espoir de mettre des enfants au monde à bref délai; - de l'article 10: depuis la fuite de son mari, la requérante aurait assumé la charge de l'édition du journal "L'Indépendant", mais les autorités belges tenteraient de l'en empêcher en lui réclamant des frais judiciaires souvent supérieurs à la normale; - des articles 13, 14 et 17, pour les raisons exposées dans la requête N° 1477/62 (cf. supra); - de l'article 1er du premier Protocole additionnel, en ce que les atteintes portées au patrimoine d'O.J. De Buck (impossibilité d'exercer sa profession, saisies, etc. ...) obligeraient la requérante, mariée sous le régime de la séparation de biens, à utiliser ses derniers propres pour assurer la subsistance du ménage.
C. L'objet de la demande
34. La requérante réclame: - la "mise à néant" de la condamnation litigieuse; - l'arrêt des multiples vexations auxquelles elle serait en butte, et ce pour cause de litispendance; - la réparation du préjudice matériel et moral prétendument subi, soit une somme forfaitaire d'un million de francs belges, plus mille francs belges par jour de retard à compter du 16 mai 1962.
EN DROIT
Quant à la requête N° 1478/62 (Lucienne Koolen c/Belgique)
Considérant qu'aux termes de l'article 25 paragraphe 1 (art. 25-1) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, "la Commission peut être saisie d'une requête adressée au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers, qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties Contractantes des droits reconnus dans la ... Convention, dans le cas où la Haute Partie Contractante mise en cause a déclaré reconnaître la compétence de la Commission dans cette matière";
Que la Commission a déjà constaté que, par "victime", le texte précité vise non seulement la ou les victimes directes de la violation alléguée, mais encore toute victime indirecte à qui cette violation causerait un préjudice ou qui aurait un intérêt personnel valable à obtenir qu'il y soit mis fin (cf., entre autres, la décision sur la recevabilité de la requête N° 282/57, Annuaire I, page 166);
Que la requérante, épouse d'O.J. De Buck, peut raisonnablement prétendre qu'elle est une victime, directe ou indirecte selon le cas, des violations qu'elle dénonce; que l'on pourrait tout au plus en douter pour ce qui est de la méconnaissance alléguée du premier Protocole additionnel, la requérante étant mariée sous le régime de la séparation de biens; que la Commission relève cependant que si, d'après l'article 1536 du Code civil belge, la femme séparée de biens "conserve l'entière administration de ses biens meubles et immeubles, et la jouissance libre de ses revenus", l'article 1537 précise que "chacun des époux contribue aux charges du mariage, suivant les conventions contenues en leur contrat et, s'il n'en existe point à cet égard, la femme contribue à ces charges jusqu'à concurrence du tiers de ses revenus"; que, dès lors, les atteintes éventuellement portées au patrimoine du requérant se répercutent, au moins dans une certaine mesure, sur les biens propres de la requérante et non pas seulement sur son niveau de vie;
Considérant toutefois que la présente affaire apparaît étroitement liée aux requêtes N° 1420/62 et N° 1477/62; que la Commission a, du reste, prononcé la jonction de ces trois plaintes en vertu de l'article 39 de son Règlement intérieur; que la requête N° 1478/62 pose donc les mêmes problèmes de recevabilité que les requêtes N° 1420/62 et N° 1477/62 et, partant, appelle la même décision de la part de la Commission;
Quant aux requêtes N° 1420/62 et N° 1477/62 (Octave-Jean De Buck c/Belgique) ... Que, de même, les ordonnances des 16 décembre 1958, 21 novembre 1959, 9 avril 1960 (Chambre du Conseil du Tribunal de Première instance de Bruxelles) et 13 mars 1962 (Chambre du Conseil du Tribunal de Première instance de Verviers), ainsi que les arrêts d'appel et de cassation des 12 mai 1959, 13 mars 1960, 17 janvier 1961 (Chambres des Mises en Accusation de la Cour d'Appel de Bruxelles), 7 décembre 1962 (Chambre des Mises en Accusation de la Cour d'Appel de Liège), 19 octobre 1959, 20 juin 1960 et 13 novembre 1961 (Cour de Cassation) (cf. les paragraphes 12 à 16 supra), n'avaient pas à apprécier, et n'ont pas apprécié le "bien-fondé d'une accusation en matière pénale dirigée contre (De Buck)", au sens du paragraphe 1er de l'article 6 (art. 6-1);
Que les plaintes du requérant, il est vrai, allaient de pair avec autant de constitutions de partie civile; que, dans cette mesure, les juridictions énumérées ci-dessus se trouvaient saisies de "contestations sur (les) droits ... de caractère civil" que De Buck invoquait à l'encontre de ses adversaires (article 6 paragraphe 1 (art. 6-1));
Que la Commission constate, cependant que lesdites juridictions n'ont point "décidé" de ces contestations (article 6 paragraphe 1 (art. 6-1)); qu'en effet, les "Editions de l'Indépendant" avaient introduit le 23 novembre 1956, près de deux ans avant le dépôt de la première plainte pénale de De Buck, une action civile contre la société anonyme Ediver: que cette action avait trait, pour l'essentiel, aux contestations susvisées; qu'elle demeure pendante devant le Tribunal de Commerce de Bruxelles, dont la Sixième Chambre a rendu, le 28 février 1959, un jugement de surséance fondé sur l'article 4 du Code d'instruction criminelle (cf. le paragraphe 10 supra); que les ordonnances de non-lieu prononcées au sujet des différentes plaintes du requérant n'empêchent point ce dernier d'inviter le Tribunal de Commerce à vider la surséance et à statuer, car elles ne possèdent pas l'autorité de la chose jugée sur le plan du droit civil ou commercial (cf., entre autres, De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, 1936, Tome III, N° 1005, et la jurisprudence qui s'y trouve citée); que l'article 6 paragraphe 1 (art. 6-1) de la Convention s'appliquerait sans nul doute à la procédure de ce tribunal et, le cas échéant, des juridictions supérieures;
Qu'il appert par conséquent que la requête N° 1420/62 est, à cet égard, irrecevable à la fois pour incompatibilité avec les dispositions de la Convention, défaut manifeste de fondement et non-épuisement des voies de recours internes (article 27 paragraphes 2 et 3 (art. 27-2, 27-3));
Considérant par ailleurs, quant à la violation de l'article 1er du premier Protocole additionnel (P1-1) qui, aux yeux du requérant, résulte des saisies opérées par la société Ediver sur la base du jugement du 8 décembre 1956 (cf. les paragraphes 7, 8, 17 et 26 in fine supra), que ledit article 1er se dirige essentiellement contre la confiscation arbitraire de la propriété; qu'il n'affecte pas, en principe, les voies et moyens propres à assurer l'exécution forcée des décisions judiciaires qui tranchent les litiges opposant les particuliers entre eux; que cette matière, en raison de son importance, aurait certainement fait l'objet d'une réglementation quelconque dans le premier Protocole additionnel si les Etats Contractants avaient voulu la placer dans le cadre de la protection du droit de propriété, telle que l'organise l'article 1er dudit Protocole (P1-1); que le texte même de l'article 1er, ainsi que les travaux préparatoires, montrent que les Etats Contractants n'ont pas eu pareille intention; que la Commission constate, dans le même sens, que pas un seul de ces Etats n'a formulé de réserve (article 64 (art. 64) de la Convention) au sujet des voies d'exécution qui étaient et sont prévues par le droit interne de chacun d'eux; qu'en adoptant une autre interprétation de l'article 1er (art. 1), la Commission aboutirait à la conclusion absurde que les Etats Contractants ont réalisé une véritable révolution juridique dans le domaine dont il s'agit, et ce sans discussion ni restriction aucune (cf., mutatis mutandis, la décision du 19 décembre 1957 sur la recevabilité de la requête N° 323/57, Annuaire I, pages 246 - 247); qu'il s'ensuit que la requête N° 1420/62 est, à cet égard, incompatible avec les dispositions de la Convention (article 27 paragraphe 2 (art. 27-2));
Considérant enfin, quant aux autres griefs de l'intéressé, que l'examen des dossiers N° 1420/62 et N° 1477/62 ne permet pas de dégager l'apparence d'une violation des droits et libertés définis dans la Convention, y compris les nombreux articles auxquels se réfère De Buck;
Qu'en particulier, la 21ème Chambre du Tribunal de Première instance de Bruxelles (jugements des 16 mai et 4 juin 1962) et la 14ème Chambre de la Cour d'Appel de la même ville (arrêts des 27 avril et 30 mai 1963) avaient assurément compétence, au sens de l'article 5 paragraphe 1 a) (art. 5-1-a) de la Convention, pour frapper De Buck d'une peine privative de liberté, car l'introduction de la requête N° 1420/62, le 11 mai 1962; n'a créé aucune "litispendance" qui leur fût opposable; que la saisine de la Commission ne produit pas d'effet suspensif et que la Commission n'a pas le pouvoir de prescrire des mesures conservatoires (cf. la décision sur la recevabilité de la requête N° 297/57, Annuaire II, page 213), mais seulement la faculté d'en suggérer; que loin d'obliger les juridictions nationales à attendre, pour s'acquitter de leur tâche, que la Commission ait accompli la sienne, la Convention consacre en principe la solution inverse (article 26 (art. 26) et assigne un rôle avant tout subsidiaire au mécanisme de garantie collective qu'elle instaure; ... Que le grief concernant l'article 8 (art. 8) de la Convention ne se justifie pas davantage; qu'en effet, le requérant a quitté son foyer de sa propre initiative; que si, de surcroît, il ne s'était pas soustrait jusqu'ici à l'exécution de sa peine, il aurait subi, durant son emprisonnement, des limitations à l'exercice des droits énoncés au paragraphe 1er de l'article 8 (art. 8-1), limitations qui, sauf abus éventuel, eussent été compatibles avec le paragraphe 2 (art. 8-2) du même article; ... Par ces motifs, déclare irrecevables les requêtes N° 1420/62 et N° 1477/62 et, par voie de conséquence, la requête N° 1478/62.