COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE DE BECKER c. BELGIQUE
(Requête no 214/56)
ARRÊT
STRASBOURG
27 mars 1962
En l’affaire "De Becker",
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément aux dispositions de l’article 43 (art. 43) de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (ci-après dénommée "la Convention") et des articles 21 et 22 du Règlement de la Cour, en une Chambre composée de:
M. R. CASSIN, Président
et de MM. A. VERDROSS
G. MARIDAKIS
A. ROSS
T. WOLD
K.F. ARIK
Baron L. FREDERICQ, Juge ad hoc, Juges
M. P. MODINOS, Greffier
rend l’arrêt suivant:
PROCEDURE
1. Le 29 avril 1960, la Commission européenne des Droits de l’Homme (ci-après dénommée: "la Commission") a saisi la Cour d’une demande datée du 28 avril 1960, déférant à la Cour l’affaire introduite devant la Commission le 1er septembre 1956, par une requête (article 25 de la Convention) (art. 25) du Sieur Raymond De Becker, ressortissant belge, contre le Gouvernement du Royaume de Belgique. La demande, à laquelle était joint le rapport établi par la Commission (article 31 de la Convention) (art. 31) a été présentée à la Cour dans le délai de trois mois prévu aux articles 32-1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention.
En portant l’affaire devant la Cour, la Commission s’est référée, d’une part, à la déclaration par laquelle le Gouvernement belge a reconnu, le 5 juillet 1955, la juridiction de la Cour (article 46 de la Convention) (art. 46) et, d’autre part, aux pouvoirs conférés à la Commission par l’article 48-a (art. 48-a) de la Convention.
Conformément à l’article 32 du Règlement de la Cour, la demande de la Commission a été transmise au Gouvernement belge le 29 avril 1960. Par application de l’article 21-2 du Règlement, le Greffier a, en outre, invité ledit Gouvernement à lui faire savoir, dans les trente jours, s’il désirait comparaître comme Partie dans cette affaire. Comme prévu à l’article 32-1 in fine du Règlement, le Greffier a informé, également le 29 avril 1960, le Comité des Ministres du dépôt de la demande.
2. Par lettre du 19 mai 1960, le Gouvernement belge a fait savoir au Greffier qu’il acceptait de comparaître comme Partie au procès et qu’il avait désigné comme son agent M. Anthony Gomrée, magistrat délégué au Ministère de la Justice à Bruxelles.
3. Avant que la Chambre appelée à connaitre de la présente affaire fût constituée, M. Henri Rolin, juge élu de nationalité belge, et, à ce titre, appelé en vertu de l’article 43 (art. 43) de la Convention à siéger d’office dans la Chambre, a fait savoir au Président de la Cour qu’il se voyait "obligé, à cause de certaines circonstances particulières, de se récuser".
Le Président ayant accepté cette récusation et en ayant informé le Gouvernement belge, ce dernier a désigné en qualité de juge ad hoc, conformément à l’article 23-1 (ancien) (1) du Règlement, le baron Louis Fredericq, recteur honoraire de l’Université de Gand. Les noms des autres six juges appelés à siéger dans la Chambre ont été désignés par tirage au sort (article 21-3 ancien 1 du Règlement), auquel le Président de la Cour a procédé, en présence du Greffier, le 20 juin 1960.
La composition de la Chambre a été notifiée le 22 juin 1960 aux juges, à l’agent du Gouvernement belge ainsi qu’au Président et aux Délégués de la Commission.
4. Après avoir recueilli, conformément à l’article 35-1 du Règlement, l’opinion de l’agent de la Partie ainsi que des Délégués de la Commission au sujet de la procédure à suivre, le 6 octobre 1960, le Président de la Chambre, par ordonnance en date du même jour, a imparti à la Commission, pour le dépôt de son premier mémoire, un délai de six semaines à partir de la date du prononcé de l’arrêt de la Cour sur les exceptions préliminaires soulevées dans l’affaire "Lawless", et au Gouvernement belge, pour le dépot de son contre-mémoire, un délai de deux mois à partir de la date de réception du mémoire de la Commission.
L’arrêt dans l’affaire "Lawless" ayant été rendu le 14 novembre 1960, le mémoire de la Commission a été déposé le 22 décembre 1960. Après avoir reçu le 3 janvier 1961 le mémoire de la Commission, l’agent du Gouvernement belge a soumis le 3 mars 1961 le contre-mémoire de son Gouvernement.
5. Une première audience publique a été tenue le 3 juillet 1961. Les débats ayant été renvoyés à une nouvelle audience, la Commission et le Gouvernement belge ont déposé d’autres pièces écrites, à savoir:
- la Commission, le 23 août 1961, un document en date du 21 août 1961, contenant de nouvelles conclusions,
- le Gouvernement belge, le 20 septembre 1961, également de nouvelles conclusions.
Une deuxième audience publique a été tenue le 5 octobre 1961; à cette audience, la Cour a clôturé les débats sous réserve de les rouvrir ultérieurement le cas échéant.
Le 7 octobre 1961, la Cour a été informée par le Secrétaire de la Commission que R. De Becker, requérant devant la Commission, avait remis le 5 octobre 1961, une note aux Délégués de la Commission aux termes de laquelle "il se déclare désormais sans intérêt à poursuivre l’affaire et se désiste de l’affaire".
Conformément à l’invitation, qui lui a été adressée au cours de l’audience du 5 octobre, le Gouvernement belge a soumis à la Cour le 16 octobre 1961 une note de délibéré complétée par une note additionnelle dudit Gouvernement en date du 18 décembre 1961 (déposée au Greffe de la Cour le 20 décembre 1961). La Commission, pour sa part, a soumis le 22 janvier 1962 de nouvelles conclusions écrites datées du 15 janvier 1962. En conséquence, le Président de la Chambre a décidé la réouverture des débats par ordonnance du 24 janvier 1962. Par la suite, le Gouvernement belge a déposé le 15 février 1962 de nouvelles conclusions en réponse aux conclusions déposées par la Commission le 25 janvier 1962.
Une troisième audience publique a été tenue le 19 février 1962 à laquelle la clôture des débats a été prononcée.
Aux audiences publiques tenues en cette affaire ont comparu:
- pour la Commission:
M. C. Th. Eustathiades, délégué principal
M. L. J. C. Beaufort (aux audiences du
3 juillet 1961 et du 19 février 1962 seulement)
M. F. Castberg (à l’audience du 5 octobre 1961 seulement)
Mme G. Janssen-Pevtschin, délégués adjoints.
- pour le Gouvernement du Royaume de Belgique, Partie:
M. A. Gomrée, agent (aux audiences du 3 juillet 1961
et du 5 octobre 1961 seulement)
M. J. Van Ryn, conseil (agissant en qualité d’agent
à l’audience du 19 février 1962)
M. Dassesse, conseil (aux audiences du 3 juillet 1961
et du 5 octobre 1961 seulement).
Au cours des audiences publiques, la Cour a entendu, en leurs déclarations, réponses et conclusions:
- pour la Commission:
M. C. Th. Eustathiades, délégué principal
- pour le Gouvernement belge:
M. J. Van Ryn, conseil.
FAITS
I
1. Le sieur Raymond De Becker, journaliste et écrivain de nationalité belge, réside actuellement à Paris. Le Conseil de Guerre de Bruxelles, statuant contradictoirement le 24 juillet 1946, le condamna à mort pour avoir, du 13 juin 1940 au 5 octobre 1943, collaboré avec les autorités allemandes en Belgique sous diverses formes et à divers titres, principalement dans l’exercice de ses fonctions de rédacteur en chef du quotidien Le Soir (articles 66, 113, 117 et 118 bis du Code pénal belge).
De Becker fut notamment reconnu coupable d’avoir "participé à la transformation par l’ennemi d’institutions ou organisations légales, ébranlé en temps de guerre la fidélité des citoyens envers le Roi et l’État" et "servi la politique ou les desseins de l’ennemi"; d’avoir "sciemment dirigé, pratiqué ..., provoqué, aidé ou favorisé une propagande dirigée, contre la résistance à l’ennemi ou à ses alliés ..."; d’avoir, par ses écrits, "provoqué directement à commettre le crime de, étant Belge, porter les armes contre la Belgique" ou ses alliés "en accomplissant sciemment pour l’ennemi des tâches de combat, transport, travail ou surveillance qui incombent normalement aux armées ennemies ou à leurs services, avec la circonstance que ... la provocation a été suivie d’effet", et d’avoir, "soit directement, soit par intermédiaire ou en cette qualité, fourni aux ennemis de l’État des secours en soldats ou hommes".
Ce jugement entraîna pour De Becker, entre autres, la déchéance des droits énumérés à l’article 123 sexies du Code pénal belge.
2. Sur appel de De Becker, la Cour Militaire de Bruxelles, tout en retenant les faits et l’intention coupable, admit l’existence de circonstances atténuantes, à savoir l’opposition du condamné aux "visées annexionnistes et séparatistes" de l’occupant, opposition qui lui avait valu d’être arrêté en 1943 et déporté en Allemagne pendant deux ans. Par son arrêt du 14 juin 1947, la Cour transforma la peine de mort en détention à perpétuité. Elle confirma le jugement entrepris pour le surplus, en ce compris les déchéances comminées par l’article 123 sexies.
3. Les déchéances de droits civils et politiques, en matière d’infractions contre la sûreté extérieure de l’État, ont été introduites au Code pénal belge par l’arrêté-loi du 6 mai 1944. Cet arrêté-loi disposait à son article 2:
"Les dispositions suivantes sont ajoutées au chapitre II du titre 1er du livre II du Code pénal:
1. Un article 123 sexies rédigé comme suit:
Celui qui a été condamné à une peine criminelle pour infraction ou tentative d’infraction, prévue au chapitre II du livre II du titre 1er du Code pénal ou aux articles 17 et 18 du Code pénal militaire, commise en temps de guerre, est de plein droit frappé à perpétuité de l’interdiction:
(a) Des droits énumérés à l’article 31 du Code pénal en ce compris les droits de vote et d’élection;
(b) Du droit d’être inscrit sur l’un des tableaux de l’ordre des avocats, sur une liste des avocats honoraires ou sur une liste des avocats stagiaires;
(c) Du droit de participer à quelque titre que ce soit à un enseignement donné dans un établissement public ou privé;
(d) Du droit d’être rémunéré par l’État en qualité de ministre d’un culte;
(e) Du droit de participer à quelque titre que ce soit à l’exploitation, à l’administration, à la rédaction, à l’impression ou à la diffusion d’un journal ou de toute publication;
(f) Du droit de participer à la direction ou à l’administration de toute manifestation culturelle, philanthropique et sportive, ou de tout divertissement public;
(g) Du droit de participer à l’exploitation, à l’administration ou d’une manière quelconque à l’activité de toute entreprise ayant pour objet les spectacles de théâtre, la cinématographie ou la radiodiffusion;
(h) Du droit d’exercer la fonction d’administrateur, de commissaire, de gérant ou de fondé de pouvoirs dans une société anonyme, une société en commandite par actions, une société coopérative ou une union de crédit; la fonction de préposé à la gestion d’un établissement belge, prévu par l’article 198, alinéa 2, des lois coordonnées sur les sociétés commerciales; la profession d’agent de change, d’agent de change correspondant ou de réviseur de banque, la profession de banquier, les fonctions de gérant, administrateur, directeur ou fondé de pouvoirs d’une banque telle qu’elle est définie par l’arrêté royal no 185 du 9 juillet 1935, les fonctions de préposé à la gestion des sièges d’opérations en Belgique des banques étrangères visées par l’article 6 de l’arrêté royal no 185 du 9 juillet 1935;
(i) Du droit de participer à un titre quelconque à l’administration, la gérance ou la direction d’une association professionnelle ou d’une association sans but lucratif;
(j) Du droit d’être dirigeant d’une association politique.
2. Un article 123 septies rédigé comme suit:
Est frappé de plein droit de la suspension de l’exercice des droits de vote, d’élection et d’éligibilité, celui qui a été condamné à une peine correctionnelle de huit jours au moins, pour infraction ou tentative d’infraction visée à l’article 123 sexies.
L’incapacité cesse dix ans après la condamnation, si la peine est inférieure à un mois, et vingt ans après la condamnation si la peine est d’au moins un mois d’emprisonnement.
Si la peine correctionnelle est supérieure à un an d’emprisonnement, la personne condamnée sera privée en outre, de plein droit, de l’exercice des autres droits visés à l’article 123 sexies.
La suspension de l’exercice de ces autres droits cesse dix ans après la condamnation si la peine est inférieure à trois ans d’emprisonnement et vingt ans après la condamnation, si celle-ci est d’au moins trois ans d’emprisonnement."
4. Le rapport au Conseil pour l’Arrêté-loi du 6 mai 1944 contient les motivations suivantes:
"L’article 2 prévoit aussi l’interdiction et la suspension de l’exercice de certains droits pour ceux qui ont été condamnés pour crimes ou délits contre la sûreté extérieure de l’État.
Ces interdictions et suspensions consécutives à toute condamnation pour infraction contre la sûreté extérieure de l’État constituent des mesures de sauvegarde à l’égard de ceux qui ont contribué à mettre la Patrie en danger. Elle les écarte, pour une durée qui varie suivant la gravité de l’infraction, de toutes les activités de la vie nationale dans lesquelles leur action ou leur influence pourrait renouveler ce danger ...".
"... Ainsi, à la différence de l’interdiction ou de la suspension des droits prévus aux articles 31 et suivants du Code pénal, celles qui sont prévues à l’article 2, 1o et 2o (123 sexies et 123 septies) du projet ne sont pas des peines. Elles sont une mesure de nature civile, née de la loi elle-même.
Les droits, dont l’exercice est interdit à perpétuité ou suspendu, sont énumérés dans l’article 2, 1o (123 sexies).
Les paragraphes (b), (c), (d), (e), (f), sauvegardent le patrimoine spirituel, culturel et scientifique de la nation ..."
5. Un premier amendement à la disposition susmentionnée fut apporté par l’article 10 de l’arrêté-loi du 19 septembre 1945, qui avait pour objet d’accentuer la sévérité des mesures en supprimant, dans l’article 123 sexies, les mots "à une peine criminelle", et en abrogeant l’article 123 septies. Cette disposition fut ainsi libellée:
"1. Les mots "à une peine criminelle" sont supprimés dans l’alinéa 1er de l’article 123 sexies du Code pénal. L’interdiction édictée audit article tel qu’il est ainsi modifié résulte de plein droit de toute condamnation prononcée depuis le 27 août 1939.
2. L’article 123 septies du Code pénal est abrogé."
C’est sous l’empire de cette disposition que De Becker a été jugé et condamné.
6. En 1950, la peine de détention perpétuelle infligée à De Becker fut, par voie de grâce, ramenée à dix-sept ans.
Le 22 février 1951, De Becker bénéficia d’une mesure de libération conditionnelle: il souscrivit une "déclaration" aux termes de laquelle il s’engageait volontairement à s’installer en France dans le délai d’un mois; il promit également de s’abstenir de toute activité politique. Après sa libération, il s’établit à Paris.
Par la suite, De Becker sollicita vainement, à plusieurs reprises, la levée de l’interdiction de résidence et des déchéances professionnelles dont il se trouve frappé en vertu de l’article 123 sexies du Code pénal. De Becker réussit cependant à fixer en Belgique son domicile légal.
II
7. Le 1er septembre 1956, De Becker introduisit devant la Commission une requête dirigée contre la Belgique.
Dans sa requête, De Becker a soutenu en premier lieu que les déchéances dont le frappe l’article 123 sexies du Code pénal belge enfreignent les dispositions de deux articles de la Convention. Elles violeraient d’abord l’article 7 (art. 7) de la Convention, qui consacre le principe de la légalité des délits et des peines: l’article 123 sexies a été introduit par un arrêté-loi rétroactif. En empêchant le requérant d’exercer sa profession de journaliste et d’écrivain, elles méconnaîtraient en outre l’article 10 (art. 10), qui garantit à toute personne le droit à la liberté d’expression. De façon générale, elles seraient contraires à la dignité de l’homme, car elles aboutiraient à ne laisser au requérant que quatre solutions inacceptables: ne point exprimer sa pensée, ou l’exprimer sous un pseudonyme, ou l’exprimer à l’étranger en renonçant à toute diffusion en Belgique, ce que les éditeurs pourraient difficilement envisager, ou enfin passer outre et encourir de ce fait les peines définies à l’article 123 nonies du Code pénal. Selon cet article, en effet, "celui qui, en dépit de l’interdiction résultant de l’application de l’article 123 sexies ... fait, soit directement, soit par interposition de personne, usage de l’un des droits énumérés à cet article, est puni d’un emprisonnement d’un an à trois ans" ainsi que d’une amende.
De Becker s’est plaint, d’autre part, de ce qu’il a appelé son exil de fait. Cet "exil de fait", que ne prévoient ni la loi, ni la Constitution belges, résulte uniquement des termes du permis de libération conditionnelle du 22 février 1951. Le requérant le considérait comme incompatible avec l’article 5 (art. 5) de la Convention, d’après lequel "toute personne a droit à la liberté et à la sûreté", et avec l’article 9 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, lequel proclame que "nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ni exilé". De Becker affirmait en outre n’avoir contracté l’engagement de résider à l’étranger que sous la contrainte morale, c’est-à-dire devant le risque d’un refus de libération et parce qu’on lui avait laissé entrevoir la perspective d’une levée rapide de cette mesure. De même, il n’aurait respecté cet engagement jusqu’ici que pour ne pas se voir réincarcérer. Or, ledit "exil de fait" dure maintenant depuis plusieurs années et, les autorités belges ne se montrant pas prêtes à y mettre fin, pourrait légalement se prolonger jusqu’au 14 juillet 1973, date de la libération définitive du requérant.
De Becker revendiquait, par conséquent, la reconnaissance:
- du droit de résider en Belgique;
- du droit d’exprimer sa pensée par tous les moyens légaux, conformément à l’esprit de la Convention (notamment de l’article 17) (art. 17).
Il demanda à la Commission d’inviter le Gouvernement belge, de préférence dans le cadre d’un règlement amiable au sens de l’article 28-b (art. 28-b) de la Convention, à abolir les mesures incriminées et, pour autant que cette abolition nécessiterait certaines initiatives de caractère législatif, à décider la suspension provisoire desdites mesures.
III
8. La Commission, après avoir déclaré la requête irrecevable pour autant qu’elle concernait le grief de "l’exil de fait" ainsi que la question de la compatibilité de l’article 123 sexies du Code pénal belge avec l’article 7 (art. 7) (prohibant les lois pénales rétroactives) de la Convention, a décidé le 9 juin 1958 de retenir, comme recevable, telle partie de la requête qui avait pour objet de contester la compatibilité de l’article 123 sexies du Code pénal belge avec l’article 10 (art. 10) de la Convention, et ce en ce qui concerne la période postérieure au 14 juin 1955.
La Commission a reconnu en effet:
- quant à sa compétence ratione temporis, que le requérant se trouvait placé dans une situation continue antérieure sans doute, par son origine, à l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de la Belgique (14 juin 1955), mais qui s’est prolongée après cette date, les déchéances incriminées frappant De Becker "à perpétuité";
- que les voies de recours internes (article 26 de la Convention) (art. 26) avaient été épuisées;
- que le délai de six mois institué par l’article 26 (art. 26) de la Convention ne s’appliquait pas en l’espèce; et, enfin,
- que le grief relatif à la compatibilité de l’article 123 sexies du Code pénal belge avec l’article 10 (art. 10) de la Convention n’était pas manifestement mal fondé (article 27-2 de la Convention) (art. 27-2).
9. La Commission a examiné la partie de la requête déclarée recevable, selon la procédure prévue aux articles 28 et 29 (art. 28, art. 29) de la Convention. Un règlement amiable n’ayant pu intervenir, la Commission a établi le rapport prévu à l’article 31 (art. 31) de la Convention.
10. Il résulte de ce rapport, ainsi que du premier mémoire déposé au cours de la présente procédure, que la Commission avait à examiner essentiellement les quatre questions suivantes:
(a) La compatibilité de l’article 123 sexies du Code pénal belge avec les prescriptions de la Convention doit-elle s’apprécier par rapport à l’article 10 (art. 10) de cette Convention, ou plutôt par rapport aux articles 2 à 7 (art. 2, art. 3, art. 4, art. 5, art. 6, art. 7)? Autrement dit, l’article 10 (art. 10) est-il applicable en la matière?
(b) Dans l’affirmative, les alinéas (e), (f) et (g) de l’article 123 sexies cadrent-ils avec l’article 10 (art. 10) de la Convention?
(c) S’il y a violation de l’article 10 (art. 10), est-elle couverte par l’article 15 (art. 15), ou
(d) par l’article 17 (art. 17) de la Convention?
11. Sur la première de ces questions, la Commission a, dans son rapport (paragraphe 263), formulé à l’unanimité l’avis "que c’est à l’article 10 (art. 10), et non aux articles 2, 5 et 4 (art. 2, art. 5, art. 4), qu’il y a lieu de se référer en vue de déterminer si l’article 123 sexies est ou non compatible avec les dispositions de la Convention".
En ce qui concerne la deuxième question qui s’est posée à elle, la Commission, par onze voix contre une, a exprimé l’avis "que les paragraphes (e), (f) et (g) de l’article 123 sexies, pour autant qu’ils affectent la liberté d’expression, ne se justifient pas pleinement au regard de la Convention, qu’ils soient considérés comme instituant des sanctions pénales ou des mesures préventives de sûreté publique. Ils ne se justifient pas en ce que la privation de la liberté d’expression qu’ils prévoient en des matières autres que politiques est infligée rigidement et à perpétuité, sans qu’il soit envisagé de l’assouplir si, avec le temps, le moral de la nation et l’ordre public sont restaurés et le maintien en vigueur de cette incapacité particulière cesse d’être une mesure "nécessaire dans une société démocratique", au sens de l’article 10, paragraphe 2 (art. 10-2) de la Convention".
Au sujet de la troisième et de la quatrième des questions susmentionnées, la Commission a été unanime à estimer que, ni l’article 15 (art. 15), ni l’article 17 (art. 17) de la Convention ne s’appliquaient en l’espèce.
IV
12. Dans sa demande introduisant l’instance devant la Cour, en date du 28 avril 1960, la Commission a souligné qu’au cours de la procédure qui s’est déroulée devant elle, le Gouvernement belge avait, à plusieurs reprises, mentionné l’existence de propositions et de projets de lois tendant à amender l’article 123 sexies ou à en atténuer l’application.
Le Gouvernement belge a fourni à la Cour des renseignements complets à ce sujet et a versé au dossier les documents parlementaires y afférents.
Il résulte de l’ensemble de cette documentation que, dès 1948, des projets ou propositions de lois ont été soumis au législateur belge en vue d’adoucir la portée des déchéances prévues à l’article 123 sexies.
13. C’est ainsi que la loi du 14 juin 1948 (article 10) a apporté des modifications à l’article 123 sexies, lesquelles, revenant sur la loi de 1945, avaient pour objet de ne frapper désormais des déchéances prévues à cet article que les personnes condamnées à des peines criminelles.
En outre, cette même loi de 1948 a introduit un article 123 septies ainsi rédigé:
"Les cours et tribunaux pourront déchoir en tout ou en partie, à perpétuité ou à temps, des droits énumérés à l’article précédent, les condamnés correctionnels pour infraction ou tentative d’infraction visée audit article".
14. L’article 5 de la Loi du 29 février 1952 a apporté une nouvelle modification en limitant l’application de l’article 123 sexies aux personnes condamnées "à une peine criminelle dépassant une privation de liberté de cinq ans", et en précisant que l’article 123 septies ne s’appliquait dorénavant qu’aux personnes frappées, soit d’une peine correctionnelle, soit d’une peine criminelle ne dépassant pas cinq ans.
15. Par la suite, de nouvelles initiatives furent prises dans un esprit d’apaisement, soit par le Gouvernement belge, soit au sein du Parlement, en vue d’adoucir le système des déchéances professionnelles introduit par l’article 123 sexies du Code pénal belge.
Le 15 janvier 1957, le Parlement fut saisi d’un projet de loi – appelé "projet Lilar" du nom du ministre qui en fut l’initiateur - qui avait notamment pour objet de reconsidérer l’article 123 sexies "pour porter remède à des situations qu’il n’est pas souhaitable de prolonger".
Au cours des travaux parlementaires, ce projet fut amendé à plusieurs reprises.
16. La Commission européenne des Droits de l’Homme a adopté son rapport relatif à l’affaire De Becker le 8 janvier 1960. Le 1er février 1960, le rapport a été transmis au Comité des Ministres.
Alors que le "projet de loi Lilar" était à l’examen au Parlement belge, la Commission, liée par les articles 32 et 47 (art. 32, art. 47) de la Convention, a saisi la Cour, le 28 avril 1960, tout en soulignant dans sa demande que des travaux parlementaires tendant à amender l’article 123 sexies étaient en cours en Belgique.
17. Dans la mémoire qu’elle a adressé à la Cour le 22 décembre 1960, la Commission, après avoir exposé l’avis formulé par elle sur cette affaire, a mentionné qu’aucun renseignement nouveau n’avait été porté à sa connaissance en ce qui concerne les travaux parlementaires belges relatifs au projet de loi tendant à amender l’article 123 sexies.
La Commission a néanmoins souligné "qu’il appartiendra à la Cour de tenir compte, le cas échéant, des événements qui pourraient se produire en Belgique dans le domaine législatif".
C’est sous cette réserve et dans ces conditions que la Commission, dans son mémoire du 22 décembre 1960, a pris les conclusions suivantes:
"Plaise à la Cour de décider:
(a) si la compatibilité de l’article 123 sexies du Code pénal belge avec les prescriptions de la Convention doit s’apprécier par rapport à l’article 10 (art. 10) ou par rapport aux articles 2 à 7 (art. 2, art. 3, art. 4, art. 5, art. 6, art. 7), c’est-à-dire si l’article 10 (art. 10) est ou non applicable en la matière;
(b) dans l’affirmative, si les alinéas (e), (f) et (g) de l’article 123 sexies sont ou non compatibles avec l’article 10 (art. 10) de la Convention;
(c) à supposer qu’il y ait violation de l’article 10 (art. 10), si cette violation est ou non couverte par l’article 15 (art. 15)
ou
(d) par l’article 17 (art. 17) de la Convention."
18. Le Gouvernement belge, de son côté, après avoir réaffirmé le point de vue qu’il avait défendu devant la Commission, tout au long de la procédure, savoir que l’article 123 sexies est pleinement compatible avec les dispositions de la Convention, a conclu, dans son contre-mémoire du 27 février 1961,
"qu’il plaise à la Cour de prononcer la compatibilité de l’article 123 sexies du Code pénal belge avec les prescriptions de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales".
19. Le "projet de loi Lilar", repris en 1960 sous l’impulsion du ministre de la Justice Vermeylen, a abouti en 1961 à la loi du 30 juin portant modification de l’article 123 sexies du Code pénal belge.
Cette loi, pour autant qu’elle concerne le cas De Becker, est ainsi libellée:
30 juin 1961
Loi relative à l’épuration civique
SECTION 1
Modifications au Code pénal et au Code pénal militaire
Article 1er. Les articles 123 sexies, septies, octies et nonies du Code pénal sont remplacés par les dispositions suivantes:
Article 123 sexies, paragraphe 1er
Par dérogation aux articles 31 et 32, les jugements ou arrêts de condamnation à la peine de mort, aux travaux forcés ou à la détention perpétuelle ou extraordinaire pour infraction ou tentative d’infraction prévue au chapitre II du titre I du livre II du Code pénal, commises en temps de guerre, ne prononceront pas à charge des condamnés l’interdiction des droits qui y sont visés, mais entraîneront de plein droit la déchéance à perpétuité: 1o des droits énumérés audit article 31 en ce compris les droits de vote, d’élection, d’éligibilité;
6o du droit de participer à quelque titre que ce soit à l’exploitation, à l’administration, à la rédaction, à l’impression ou à la diffusion d’un journal ou de toute publication dans les cas où cette participation a un caractère politique;
7o du droit de participer à la direction ou à l’administration de toute manifestation culturelle, philanthropique et sportive ou de tout divertissement public dans les cas où cette participation a un caractère politique;
8o du droit de participer à l’exploitation, à l’administration ou d’une manière quelconque à l’activité de toute entreprise ayant pour objet les spectacles de théâtre, la cinématographie ou la radiodiffusion dans les cas où cette participation a un caractère politique;
Paragraphe 2
Les déchéances pourront être prononcées pour une durée de dix à vingt ans si la peine est la réclusion ou la détention ordinaire et pour une durée de cinq à dix ans si la peine est correctionnelle. La durée des déchéances fixée par le jugement ou l’arrêt de condamnation courra du jour où la condamnation contradictoire ou par défaut aura acquis force de chose jugée.
Article 123 septies, paragraphe 1er
Les condamnés frappés de déchéance par application de l’article 123 sexies pourront demander restitution des droits énumérés sous 6o à 9o à condition:
1o qu’ils ne soient pas détenus en exécution de la peine, ni fugitifs ou latitants;
2o qu’ils se soient acquittés des peines pécuniaires prononcées contre eux et se soient libérés des restitutions, dommages-intérêts et frais auxquels ils ont été condamnés; toutefois, le tribunal peut affranchir de cette condition le condamné qui justifie s’être trouvé dans l’impossibilité de se libérer, soit à raison de son indigence, soit à raison de toute autre cause qui ne lui est pas imputable;
3o que depuis le jour où la déchéance a pris cours se soit écoulé un délai de vingt ans si le condamné a été frappé de la déchéance à perpétuité, de dix ans s’il a été frappé de la déchéance de dix à vingt ans à la suite d’une condamnation à la réclusion ou à la détention ordinaire, et de cinq ans s’il a été frappé d’une déchéance de cinq à dix ans à la suite d’une condamnation à une peine correctionnelle.
Paragraphe 2
La demande est adressée par lettre recommandée au procureur du Roi du domicile ou de la résidence de l’intéressé et, si celui-ci n’a en Belgique ni domicile, ni résidence certaine, à celui de l’arrondissement de Bruxelles.
Le procureur du Roi prend toutes informations qu’il juge nécessaires et porte la demande devant le tribunal de première instance.
L’intéressé comparait devant le tribunal siégeant en chambre du conseil soit en personne, soit par un avoué ou par un avocat porteur des pièces sur simple convocation à lui adressée, sous pli recommandé à la poste, par le procureur du Roi.
Cette convocation contient l’indication de la chambre du tribunal devant laquelle la demande sera portée et des jour et heure de la comparution. Il y aura au moins un délai de huit jours entre la notification et le jour de la comparution. La remise du pli recommandé à la poste vaut notification.
Si, sur la notification, l’intéressé ne comparait pas soit en personne, soit par avoué, soit par avocat porteur des pièces, le tribunal peut, avant de statuer sur la demande, ajourner la cause en vue de permettre au ministère public de lui adresser une nouvelle convocation.
Le dossier du ministère public est déposé au greffe du tribunal huit jours au moins avant l’audience fixée. La procédure se poursuit à l’audience comme en matière correctionnelle.
Le jugement rendu sur la demande est sans appel.
Si la demande est rejetée en tout ou en partie, elle ne peut être renouvelée avant l’expiration de deux années depuis la date de la décision judiciaire.
Paragraphe 3
La restitution des droits dont les condamnés avaient été déchus par application du précédent article, n’a d’effet que pour l’avenir.
Article 123 octies
Article 123 nonies
Article 2
Article 3. La loi du 14 juin 1948 relative à l’épuration civique et celle du 29 février 1952 la modifiant sont abrogées.
SECTION 2
Mesures temporaires
Article 4. Sont maintenues, dans les limites indiquées ci-après, les déchéances de droits civils et politiques encourues antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente loi pour faits commis entre le 26 août 1939 et le 15 juin 1949:
Paragraphe 1er
Il est mis fin aux déchéances de droits civils et politiques qui ont été encourues soit en vertu des alinéas 1 ou 2 de l’article 1er de l’arrêté-loi du 19 septembre 1945 relatif à l’épuration civique, soit par une inscription sur les listes de l’auditeur militaire en vertu de cet arrêté-loi ou de la Loi du 14 juin 1948, soit en vertu de l’article 7 de cet arrêté-loi ou de l’article 7, alinéa premier, de cette loi.
Paragraphe 2
Paragraphe 3
Paragraphe 4
Paragraphe 5
Les condamnés à une peine privative de liberté dépassant vingt ans, pourront demander aux tribunaux la restitution totale ou partielle des droits énumérés sous 6o à 9o du paragraphe 1er de l’article 123 sexies du Code pénal.
La recevabilité de cette demande est subordonnée aux conditions prévues au paragraphe 1er de l’article 123 septies du Code pénal et la procédure est celle du paragraphe 2 dudit article.
Paragraphe 6
Pour l’application des mesures temporaires, sont assimilées aux peines visées ci-dessus les peines supérieures réduites à ces taux par voie de grâce.
Paragraphe 7
Les déchéances prévues aux litteras (e), (f) et (g) de l’article 123 sexies du Code pénal, telles qu’elles étaient libellées avant l’entrée en vigueur de la présente loi, ne sont maintenues que pour autant que la participation qui y est visée ait un caractère politique; la déchéance prévue au littera (h) est supprimée.
Paragraphe 8
Les dispositions prévues par les paragraphes précédents font cesser pour l’avenir tous les effets de ces déchéances; toutefois, elles ne restituent aux intéressés ni les titres, grades, fonctions, emplois et offices publics dont ils ont été destitués, ni la qualité d’avocat, d’avocat stagiaire ou d’avocat honoraire dont ils ont été privés".
20. Au cours de l’audience publique du 3 juillet 1961, l’agent du Gouvernement belge a maintenu que, sous sa forme ancienne, l’article 123 sexies se justifiait pleinement et que les critiques de De Becker n’étaient pas fondées. L’agent du Gouvernement belge a soutenu, en outre, que la Cour devait considérer l’affaire sur la base de la Loi du 30 juin 1961 et que nul ne pouvait contester que, par l’effet des mesures temporaires prévues par ladite loi, De Becker avait obtenu la satisfaction qui était le mobile de son action. Même dans le domaine de l’expression de sa pensée politique, De Becker avait la possibilité de s’adresser aux tribunaux ordinaires de son pays pour être relevé de ce résidu de déchéance dont il demeurait frappé. Dès lors - de l’avis du Gouvernement belge - le requérant était sans intérêt à voir poursuivre les fins de sa requête.
En conséquence, l’agent du Gouvernement belge a pris, à l’audience du 3 juillet 1961, les nouvelles conclusions suivantes:
"Plaise à la Cour,
1. Constater qu’en l’état actuel de la législation belge, le requérant De Becker est sans intérêt à voir poursuivre les fins de sa requête;
2. Constater que la compatibilité de l’article 123 sexies du Code pénal belge avec les prescriptions de la Convention doit s’apprécier, tant pour le passé que pour l’avenir, en tenant compte des dispositions de la Loi du 30 juin 1961;
3. Dire qu’il n’existe aucune incompatibilité entre ledit article 123 sexies et les prescriptions de la Convention."
21. Les débats ayant été renvoyés, la Commission a déposé, le 21 août 1961, un mémoire dans lequel elle a formulé ses vues sur la Loi du 30 juin 1961.
Dans ce mémoire, la Commission - tout en maintenant son point de vue selon lequel l’article 123 sexies ancien ne se justifiait pas pleinement au regard de la Convention - arrivait à la conclusion que la Loi du 30 juin 1961, pour autant qu’elle s’appliquait à De Becker, donnait au moins satisfaction à la partie de la requête que la Commission avait déclarée recevable.
Dans son mémoire du 21 août 1961 et à l’audience du 5 octobre 1961, la Commission a pris les conclusions suivantes:
"Plaise à la Cour, tout en entérinant l’avis formulé par la Commission au sujet de l’ancien article 123 sexies du Code pénal belge, constater que les limitations maintenues par la Loi du 30 juin 1961 dans le domaine de la liberté d’expression, dans la mesure où elles s’appliquent à M. De Becker ne dépassent point le cadre des "formalités, conditions, restrictions ou sanctions" qu’autorise l’article 10, paragraphe 2 (art. 10-2) de la Convention."
22. A l’audience du 5 octobre 1961, l’agent du Gouvernement belge a souligné à son tour qu’il y avait identité de vues entre la Commission et le Gouvernement belge quant à la compatibilité avec la Convention de l’article 123 sexies du Code pénal belge, complété et remplacé par la loi du 30 juin 1961, loi au sujet de laquelle, a-t-il rappelé, le travail parlementaire avait commencé dès 1952. L’agent belge a reconnu que l’avis de la Commission avait "contribué à ce travail législatif".
Au sujet du passé, l’agent du Gouvernement belge a soutenu qu’il n’y avait plus lieu que la Cour statuât sur la demande de la Commission concernant l’article 123 sexies ancien, que ce fût pour entériner l’avis de la Commission sur ce point, ou que ce fût pour l’infirmer comme l’avait précédemment demandé le Gouvernement belge.
L’agent du Gouvernement belge a précisé encore qu’il n’y avait plus en Belgique une seule personne à qui les dispositions de l’article 123 sexies ancien fussent applicables.
Toujours selon l’avis de l’agent du Gouvernement belge, la Commission ne pouvait insister pour que la Cour se prononce sur le passé qu’en partant de l’hypothèse que la modification législative du 30 juin 1961 était intervenue tardivement. Or, selon cet argent, le rôle de la Cour n’était pas de contrôler si cette modification était ou non intervenue à temps. Si, cependant, la Cour ne partageait pas ce point de vue, le Gouvernement belge devait avoir l’occasion de répondre aux considérations par lesquelles la Commission justifierait son avis.
Les conclusions prises par l’agent du Gouvernement belge à l’audience du 5 octobre 1961 étaient ainsi libellées:
"Plaise à la Cour,
Écartant toutes conclusions autres, plus amples ou contraires,
Dire qu’il n’existe aucune incompatibilité entre l’article 123 sexies du Code pénal belge, complété et remplacé par la loi du 30 juin 1961, et les prescriptions de la Convention;
Pour ce qui concerne l’article 123 sexies ancien du même Code, constater qu’il n’y a plus lieu, en l’état de la cause, de statuer sur une demande quelconque à ce sujet."
23. A la même audience du 5 octobre 1961, la Commission a maintenu qu’en demandant à la Cour d’entériner son avis sur l’effet de l’application de l’article 123 sexies ancien au requérant, elle invitait la Cour à constater que De Becker avait été victime d’une violation de l’article 10 (art. 10) de la Convention entre l’entrée en vigueur de celle-ci à l’égard de la Belgique et la promulgation de la Loi du 30 juin 1961.
La Commission a conclu:
"Plaise à la Cour:
De dire si, pendant tout ou partie de la période comprise entre l’entrée en vigueur de la Convention (14 juin 1955) et celle de la Loi du 30 juin 1961, le requérant a ou non été victime d’une violation de l’article 10 (art. 10) de la Convention".
24. Après l’audience du 5 octobre 1961, De Becker faisait parvenir à la Commission une note par laquelle il déclarait, entre autres, qu’il considérait que "l’action qu’il a entreprise auprès de la Commission européenne des Droits de l’Homme, en vue de se voir restituer le droit de libre expression dont le privait l’ancien article 123 sexies du Code pénal belge, a été satisfaite par le vote par le Parlement belge de la Loi du 30 juin 1961", loi dont il reconnaissait qu’elle "ouvre à chacun la possibilité de recouvrer la totalité de son droit de libre expression, y compris dans des matières politiques". De Becker, à la fin de cette note, "se déclare désormais sans intérêt à poursuivre l’affaire et se désiste de sa requête". Le 7 octobre 1961, la Commission a fait parvenir à la Cour le texte de cette note.
25. La Commission a adressé à la Cour, le 22 janvier 1962, une note datée du 15 janvier 1962, intitulée "Révision des conclusions de la Commission d’après la lettre du requérant en date du 5 octobre 1961". Eu égard à la situation nouvelle résultant de la lettre du 5 octobre 1961 de De Becker, la Commission a, dans cette note, déclaré, entre autres, que ni les intérêts généraux de l’ordre public européen, ni les intérêts particuliers de la personne en cause dans la présente affaire ne lui faisaient obligation de demander à la Cour de décider si De Becker avait été ou non victime d’une violation de la Convention durant la période qui s’était écoulée entre l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de la Belgique et l’entrée en vigueur de la Loi du 30 juin 1961. La Commission a donc souligné qu’elle désirait retirer la demande présentée lors de l’audience du 5 octobre 1961 pour inviter la Cour à se prononcer sur cette question.
Les conclusions finales de la Commission formulées dans la note susmentionnée ont été ainsi rédigées:
"La Commission estime qu’en la présente affaire elle doit se borner à soumettre à la Cour son avis, qui est le suivant:
1. Si la Cour devait estimer qu’en l’état actuel de l’affaire, il convient de mettre un terme à la procédure et de rayer l’affaire du rôle, en faisant valoir que les intérêts du requérant ont reçu satisfaction, la Commission, estimant que les dispositions actuelles du Code pénal belge applicables à M. De Becker sont conformes à la Convention, ne manifesterait pas l’intention de s’opposer à une telle solution;
2. Si, toutefois, la Cour devait estimer que le problème général de l’interprétation et de l’application de la Convention, sur laquelle l’attention a été attirée ci-dessus, est d’une nature telle qu’il convient que la Cour se prononce sur la compatibilité avec la Convention des dispositions de l’article 123 sexies du Code pénal belge, modifié et complété par la Loi du 30 juin 1961 et tel qu’il est actuellement applicable à M. De Becker, la Commission demanderait alors à la Cour de dire:
(a) si la compatibilité de l’article 123 sexies du Code pénal belge, tel que le modifie et le complète la Loi du 30 juin 1961, doit s’apprécier par rapport à l’article 10 (art. 10) ou par rapport aux articles 2 à 7 (art. 2, art. 3, art. 4, art. 5, art. 6, art. 7), c’est-à-dire si l’article 10 (art. 10) est ou non applicable en la matière;
(b) dans l’affirmative, si les alinéas (e), (f) et (g) de l’article 123 sexies amendé sont ou non compatibles avec l’article 10 (art. 10) de la Convention;
et lorsqu’elle se prononcera sur ces questions, plaise à la Cour:
(a) de confirmer, par les motifs exposés au paragraphe 263 du rapport de la Commission, l’avis selon lequel les pouvoirs reconnus aux États par les articles 2 à 7 (art. 2, art. 3, art. 4, art. 5, art. 6, art. 7) de la Convention, d’infliger des sanctions pénales et d’appliquer des mesures préventives ne constituent pas en eux-mêmes une justification suffisante de la privation de liberté d’expression en matière politique actuellement imposée à M. De Becker en vertu de l’article 123 sexies et de la Loi du 30 juin 1961; en outre, de dire que c’est aux dispositions de l’article 10 (art. 10) qu’il convient de se référer pour apprécier la compatibilité avec la Convention de cette limitation apportée à la liberté d’expression du requérant;
(b) de confirmer, par les motifs exposés dans le mémoire de la Commission en date du 21 août 1961, l’avis suivant lequel "les limitations maintenues par la loi du 30 juin 1961 dans le domaine de la liberté d’expression, dans la mesure où elles s’appliquent à M. De Becker, ne dépassent point le cadre des "formalités, conditions, restrictions ou sanctions" qu’autorise l’article 10, paragraphe 2 (art. 10-2) de la Convention"."
26. Le Gouvernement belge a, à son tour, déposé le 15 février 1962 une note où il déclarait partager l’avis de la Commission selon lequel l’affaire pouvait être rayée du rôle de la Cour. Il soutenait d’autre part que, contre toute attente, la Cour retenait néanmoins l’affaire pour jugement, la différence d’opinion entre la Commission et le Gouvernement belge au sujet de la compatibilité de la nouvelle loi avec les articles 2 à 7 (art. 2, art. 3, art. 4, art. 5, art. 6, art. 7) de la Convention, plutôt qu’avec l’article 10 (art. 10), ne pourrait donner lieu qu’à un débat purement académique, la Commission et le Gouvernement belge se rejoignant pour estimer que "les limitations maintenues par la Loi du 30 juin 1961 dans le domaine de la liberté d’expression, dans la mesure où elles s’appliquent à De Becker, ne dépassent point le cadre des formalités, conditions, restrictions ou sanctions qu’autorise l’article 10, paragraphe 2 (art. 10-2) de la Convention".
Le Gouvernement belge a, par conséquent, demandé à la Cour:
"Plaise à la Cour,
Écartant toutes conclusions autres, plus amples ou contraires,
En ordre principal: rayer l’affaire du rôle;
Subsidiairement: dire qu’il n’existe aucune incompatibilité entre les prescriptions de la Convention et l’article 123 sexies du Code pénal belge, modifié et complété par la Loi du 30 juin 1961 et tel qu’il est actuellement applicable à De Becker."
27. A l’audience du 19 février 1962 et en ce qui concerne tout particulièrement la demande de radiation de l’affaire du rôle, l’agent du Gouvernement belge s’est prononcé pour la radiation, cette solution lui paraissant logique et raisonnable si l’on tenait compte de ce que la procédure organisée devant la Cour était tournée vers des fins concernant le requérant; l’arrêt ne devait donc comporter aucune appréciation sur le fond.
28. De son côté, le Délégué principal de la Commission a fait valoir, à cette même audience, qu’il était difficile de prononcer la radiation si la Cour éprouvait des doutes quant à la compatibilité d’une déchéance perpétuelle de la liberté d’expression politique avec l’article 10 (art. 10) de la Convention. Or, malgré le recours judiciaire prévu en son article 4, paragraphe 4, la Loi du 30 juin 1961 n’écartait pas complètement la possibilité d’une telle déchéance perpétuelle. Si donc, la Cour n’était pas absolument convaincue de la licéité de cette restriction particulière à la liberté d’expression, la nouvelle Loi du 30 juin 1961 continuerait à poser certains problèmes sur le terrain de l’article 10 (art. 10) de la Convention et, en pareil cas, la Cour pourrait légitimement hésiter à rayer l’affaire du rôle, nonobstant la déclaration de "désistement" de De Becker du 5 octobre 1961.
Le Délégué principal de la Commission a ajouté qu’à ce sujet la lettre du 5 octobre 1961 de De Becker ne pouvait entrer seule en ligne de compte, bien qu’elle constitua un élément d’appréciation d’une grande importance. Aux yeux de la Commission, cette déclaration ne liait ni la Commission, ni la Cour. Si, toutefois, la Commission envisageait la radiation, elle le faisait en raison de sa propre conviction que la nouvelle législation belge, telle qu’elle s’appliquait à De Becker, ne se trouvait plus en conflit avec la Convention.
En outre, le Délégué principal de la Commission a exprimé le souhait que la Cour, si elle rayait l’affaire du rôle, évitât, dans la motivation de sa décision, de donner l’impression qu’une affaire portée devant la Cour devenait sans objet du seul fait que l’individu, auteur de la requête devant la Commission, déclarait se désister.
29. En conclusion, le Délégué principal et l’agent du Gouvernement belge ont repris, à l’audience du 19 février 1962, leurs conclusions finales respectives exposées aux paragraphes 25 et 26 ci-dessus.
SUR LA DEMANDE DE RADIATION:
1. Considérant que la Cour a été saisie de l’affaire par la Commission à la suite du rapport établi par celle-ci conformément à l’article 31 (art. 31) de la Convention; que la demande de la Commission se rapporte à la requête de De Becker, qui se prétendait notamment victime d’une violation par le Gouvernement belge de son droit à la liberté d’expression reconnu dans la Convention, droit que méconnaîtrait l’article 123 sexies du Code pénal belge à lui appliqué, en l’empêchant d’exercer sa profession de journaliste et d’écrivain;
2. Considérant que, depuis l’échange des premiers mémoires entre la Commission et le Gouvernement belge devant la Cour, deux événements sont intervenus, savoir en premier lieu la promulgation, en date du 30 juin 1961, de la Loi belge relative à l’épuration civique, modifiant entre autres l’article 123 sexies du Code pénal belge, et, en second lieu, la lettre adressée, le 5 octobre 1961, à la Commission, dans laquelle De Becker, constatant que son action devant la Commission a été satisfaite par la loi du 30 juin 1961, se déclare "sans intérêt à poursuivre l’affaire et se désiste de sa requête";
3. Considérant qu’en ce qui concerne la Loi du 30 juin 1961, la Commission a constaté, dans ses conclusions finales, "que les limitations maintenues par la Loi du 30 juin 1961 dans le domaine de la liberté d’expression, dans la mesure où elles s’appliquent à M. De Becker, ne dépassent point le cadre des "formalités, conditions, restrictions ou sanctions" qu’autorise l’article 10, paragraphe 2 (art. 10-2) de la Convention";
4. Considérant, quant à la lettre de De Becker, que la déclaration y contenue, émanant d’un particulier à qui la Convention n’accorde pas le droit de saisir la Cour (articles 44 et 48 de la Convention) (art. 44, art. 48), ne peut avoir les caractères juridiques et ne saurait produire les effets d’un acte de désistement dans la présente procédure, tel qu’il est visé à l’article 47 du Règlement; qu’elle ne lie pas non plus la Commission à laquelle il appartenait, dans l’exercice de sa mission d’intérêt général, d’en faire état si elle estimait se trouver en présence d’un élément propre à éclairer la Cour;
5. Considérant que la Commission a porté à la connaissance de la Cour, le 7 octobre 1961, la déclaration qu’elle venait de recevoir de De Becker, mais qu’elle a tenu à affirmer à l’audience du 19 février 1962 que, si elle envisageait la radiation de l’affaire du rôle de la Cour, c’est, indépendamment de cette déclaration, qu’à ses yeux la Loi belge du 30 juin 1961 cadre avec les exigences de la Convention, bien que la distinction entre une participation à caractère politique et une participation à caractère non politique à diverses activités de publication puisse faire surgir certains problèmes d’interprétation; que, dans ses conclusions finales, la Commission a formulé l’avis "que si la Cour devait estimer qu’en l’état actuel de l’affaire, il convient de mettre un terme à la procédure et de rayer l’affaire du rôle, en faisant valoir que les intérêts du requérant ont reçu satisfaction, la Commission, estimant que les dispositions actuelles du Code pénal belge applicables à De Becker sont conformes à la Convention, ne manifesterait pas l’intention de s’opposer à une telle solution";
6. Considérant enfin que, dans ses conclusions finales, la Commission a retiré la demande qu’elle avait présentée à l’audience du 5 octobre 1961, concernant le point de savoir si le requérant avait été ou non victime d’une violation de la Convention durant la période écoulée entre le 14 juin 1955, date d’entrée en vigueur de la Loi du 30 juin 1961;
7. Considérant que, de son côté, le Gouvernement belge, dans ses conclusions finales, s’est rallié à l’avis de la Commission et qu’il a demandé à la Cour, en ordre principal, "de rayer l’affaire du rôle";
8. Qu’en ce qui concerne le retrait, par la Commission, de sa demande visant la période entre le 14 juin 1961, le Gouvernement belge l’a approuvé tout en maintenant que l’article 123 sexies ancien du Code pénal belge n’a jamais été en contradiction avec les dispositions de la Convention;
9. Considérant qu’ainsi les deux comparants ont, au jour de la clôture des débats, présenté à la Cour des conclusions finales qui, tout en étant formulées différemment, sont concordantes en ce qu’elles tendent à la radiation de l’affaire; qu’il résulte de l’ensemble des faits et conclusions relatés ci-dessus que la procédure ouverte devant la Cour n’a plus d’objet, à la suite de la modification de l’article 123 sexies par une loi de l’État belge, Partie à ce procès, et que, dès lors, il y a lieu, en vertu des principes généraux, de donner suite à la demande de radiation du rôle;
10. Considérant cependant que la Cour a été investie par l’article 19 (art. 19) de la Convention d’une responsabilité générale, afin d’assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties Contractantes de la Convention; qu’à ce titre et pour les cas spéciaux, soit de désistement de la Partie requérante (article 47, paragraphe 1 du Règlement de la Cour), soit de règlement amiable survenu en cours d’instance (article 28 de la Convention et article 47, paragraphe 3 du Règlement de la Cour) (art. 28), il a été prévu qu’avant de rayer une affaire du rôle, la Cour a le devoir d’exercer un contrôle, après avoir pris l’avis de la Commission, et qu’elle ne peut prononcer, le cas échéant, la radiation que par arrêt motivé;
11. Qu’il est vrai que les dispositions ci-dessus visées ne couvrent pas directement le cas de l’espèce où la demande de radiation a été formulée de part et d’autre - sur la base d’une loi de l’État belge, Partie, loi reconnue par la Commission comme conforme aux exigences de la Convention - mais qu’elles consacrent des applications particulières du devoir de contrôle incombant à la Cour;
12. Qu’il y a donc lieu pour la Cour de vérifier si aucun élément de nature à compromettre, en la personne de De Becker, le respect des Droits de l’Homme, tels que les a reconnus la Convention, ne s’oppose à la radiation de l’affaire et n’oblige la Cour à décider - comme dans le cas prévu à l’article 47, paragraphe 2 de son Règlement – de poursuivre d’office l’examen de l’affaire nonobstant les dernières conclusions du Gouvernement belge et de la Commission; que la Cour doit vérifier successivement s’il y a lieu pour elle de poursuivre l’examen de l’affaire:
(a) sur la question de savoir si De Becker a été victime d’une violation de la Convention durant la période qui s’est écoulée entre l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de la Belgique et l’entrée en vigueur de la Loi du 30 juin 1961;
(b) sur la liberté d’expression de De Becker, au regard des dispositions de l’article 123 sexies du Code pénal, telles qu’elles ont été libellées par la Loi du 30 juin 1961;
13. Considérant, en ce qui concerne la première question, qu’il n’y a pour la Cour aucun motif de ne pas faire droit aux demandes concordantes formulées par la Commission et le Gouvernement belge tendant à ce que cette question ne soit pas examinée au fond; qu’en effet, s’il a subsisté jusqu’à l’audience du 5 octobre 1961 incluse une divergence de vues - déjà relatée dans la partie "faits" du présent arrêt - entre la Commission et le Gouvernement belge était demeuré pleinement justifié depuis la ratification de la Convention par la Belgique, la modification entre-temps intervenue du texte de cet article a eu pour conséquence d’enlever tout intérêt, autre qu’histoire, à cette divergence; que la Commission et le Gouvernement belge l’ont bien compris ainsi, comme l’établissent leurs conclusions finales; qu’au surplus. De Becker, dans la lettre du 5 octobre 1961, dont rien ne permet de penser qu’elle n’exprime pas la libre volonté de son auteur et où il s’est déclarée "sans intérêt à poursuivre l’affaire", n’a fait aucune réserve ou demande de réparation concernant le passé; que, des lors, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu pour elle de statuer sur cette question;
14. Considérant, en ce qui concerne la question relative à la liberté d’expression de De Becker au regard des dispositions de l’article 123 sexies du Code pénal belge, telles qu’elles lui sont applicables en vertu de la Loi du 30 juin 1961, que le Gouvernement belge a fait valoir qu’en l’état actuel de la législation, le requérant était sans intérêt à voir poursuivre les fins de sa requête et qu’il n’existait aucune incompatibilité entre l’article 123 sexies et les prescriptions de la Convention; que, dès le 5 octobre 1961, donc avant toute déclaration de De Becker, la Commission, convaincue de cette compatibilité; a demandé à la Cour de constater que "les limitations maintenues par la Loi du 30 juin 1961 dans le domaine de la liberté d’expression, dans la mesure où elles s’appliquent à De Becker, ne dépassent pas le cadre des formalités, conditions; restrictions ou sanctions" qu’autorise l’article 10, paragraphe 2 (art. 10-2) de la Convention; qu’à son tour, De Becker a, dans sa lettre du 5 octobre 1961 adressée à la Commission, reconnu que la Loi belge du 30 juin 1961 "ouvre à chacun la possibilité de recouvrer la totalité de son droit de libre expression, y compris en des matières politiques"; qu’incidemment la Cour observe, sans que cela ait un rapport avec sa décision, qu’une telle reconnaissance est d’autant plus significative qu’elle émane d’une personne qui avait été condamnée pour avoir trahi son pays et pour avoir servi les desseins d’un ennemi dont la victoire aurait marqué l’anéantissement de la liberté d’expression et rendu irréalisable tout instrument international sauvegardant les droits de l’homme;
Considérant, il est vrai, que malgré la "conviction profonde" affirmé par elle touchant la conformité de la législation belge avec la Convention, en ce qui concerne la liberté d’expression de De Becker, la Commission a formulé l’avis que la nouvelle loi semble poser une question présentant une importance générale quant à l’interprétation et à l’application de la Convention, à savoir la mesure dans laquelle et les conditions dans lesquelles un individu peut être privé de son droit à la liberté d’expression en matière politique en vertu d’une sanction pénale ou d’une mesure préventive; que, pour ce motif, la Commission a plutôt suggéré que demandé la radiation de cette partie de l’affaire, afin de respecter le droit d’appréciation de la Cour;
Mais considérant que, bien qu’un particulier auteur d’une requête devant la Commission n’ait aucun droit d’action devant la Cour, nul ne saurait oublier l’origine d’une affaire portée devant la Cour, comme en l’espèce, par la Commission qui avait été saisie en vertu de l’article 25 (art. 25) de la Convention, sur l’allégation d’une violation des droits d’un particulier, requérant, résultant de l’application à son égard de dispositions législatives en vigueur dans son pays; que la Cour n’est point appelée, en vertu des articles 19 et 25 (art. 19, art. 25) de la Convention, à statuer sur un problème abstrait touchant la compatibilité de cette loi avec les dispositions de la Convention, mais sur le cas concret de l’application d’une telle loi à l’égard du requérant et dans la mesure où celui-ci se trouverait, de ce fait, lésé dans l’exercice de l’un des droits garantis par la Convention;
15. Considérant, dès lors, que dans l’hypothèse où l’application de la nouvelle loi belge soulèvent des problèmes d’interprétation, il n’appartiendrait pas à la Cour - alors que dans le cas présent, la radiation de l’affaire demandée et par l’État belge, Partie, et par la Commission n’est pas de nature à porter préjudice aux libertés fondamentales de l’auteur de la requête initiale - de statuer d’office sur ces problèmes;
16. Considérant, en définitive, qu’aucune circonstance particulière de la cause ne justifie le maintien de l’affaire De Becker au rôle à l’encontre des conclusions concordantes de la Commission et du Gouvernement belge, et que, partant, il n’y a pas lieu de poursuivre d’office l’examen de l’affaire;
17. Qu’il n’y a pas lieu; dès lors, d’examiner les conclusions subsidiaires soit de la Commission, soit du Gouvernement belge;
18. Par ces motifs,
LA COUR
Par 6 voix contre 1,
Décide de rayer l’affaire de son rôle.
Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au siège de la Cour à Strasbourg, le vingt-sept mars mil neuf cent soixante-deux.
R. Cassin
Président
R. Modinos
Greffier
M. A. Ross, juge, se prévalant du droit que lui confère l’article 50, paragraphe 2 du Règlement de la Cour, joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.
R.C.
P.M.
OPINION DISSIDENTE DE M. A. ROSS
Je regrette vivement de ne pouvoir, dans l’affaire actuellement portée devant la Cour, partager l’opinion de la majorité de mes collègues, et j’estime donc qu’il est de mon devoir de joindre à l’arrêt l’expression suivante de mon opinion dissidente.
1. Comme le précise l’arrêt rendu par la Cour, l’affaire a été portée devant la Commission à la suite d’une requête introduite en date du 1er septembre 1956 par Raymond De Becker contre la Belgique. Après que la Commission eût déclaré cette requête recevable, pour autant qu’elle avait pour objet de contester la compatibilité de l’article 123 sexies du Code pénal belge avec l’article 10 (art. 10) de la Convention, et cela en ce qui concerne la période postérieure au 14 juin 1955, la Commission, en l’absence d’un règlement amiable, a rédigé le rapport prévu à l’article 31 (art. 31) de la Convention. Comme le prescrit cet article (art. 31), ledit rapport a été transmis au Comité des Ministres le 1er février 1960. Par une requête en date du 28 avril 1960, transmise à la Cour le 29 avril 1960, c’est-à-dire dans le délai de trois mois à dater de la transmission qui est fixé au paragraphe 1 de l’article 32 (art. 32-1) de la Convention, la Commission a déféré l’affaire à la Cour par application de l’article 48 (art. 48) de la Convention.
2. Il résulte des articles 25 à 32 et 48 (art. 25, art. 26, art. 27, art. 28, art. 29, art. 30, art. 31, art. 32, art. 48) de la Convention que, dans un cas comme celui-ci, la procédure permettant d’assurer le respect des engagements souscrits par les États Parties à la Convention est la suivante. Si la requête, ou une partie de la requête, est déclarée recevable et si une solution n’a pu intervenir, la Commission rédige un rapport dans lequel elle constate les faits et formule un avis sur le point de savoir si les faits constatés révèlent, de la part de l’État intéressé, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention (article 31) (art. 31). La décision définitive est donc prise selon l’une des deux procédures prévues: "Si, dans un délai de trois mois à dater de la transmission au Comité des Ministres du rapport de la Commission, l’affaire n’est pas déférée à la Cour par application de l’article 48 (art. 48) de la Convention, le Comité des Ministres prend, par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité, une décision sur la question de savoir s’il y a eu ou non une violation de la Convention" (article 32, paragraphe 1) (art. 32-1). Il ne fait pas de doute que par le mot "affaire" employé dans cet article (art. 32-1), il faut entendre la question de savoir s’il y a eu violation de la Convention, autrement dit, pour reprendre la formule plus explicite de l’article 31 (art. 31), "si les faits constatés révèlent, de la part de l’État intéressé, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention".
Il s’ensuit donc que, lorsqu’une affaire est déférée à la Cour par la Commission, comme il a été fait en l’espèce, la Cour doit se prononcer sur la question de savoir "s’il y a eu une violation de la Convention". Ce devoir, découlant directement de la Convention, ne saurait être annulé ou modifié par aucune mesure de la Commission ou de l’État intéressé; il ne peut l’être que par application du Règlement de la Cour ou des principes généralement reconnus qui régissent l’administration de la justice, compte tenu des fins précisées de la Convention.
Comme il est rappelé ci-dessus, la Commission formule, dans son rapport, un "avis sur le point de savoir si les faits constatés révèlent, de la part de l’État intéressé, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention" (article 31, paragraphe 1) (art. 31-1). En l’espèce, la Commission a, au paragraphe 263 de son rapport du 8 janvier 1960, émis l’avis "que les alinéas (e), (f) et (g) de l’article 123 sexies, pour autant qu’ils affectent la liberté d’expression, ne se justifient pas pleinement au regard de la Convention". Si cette opinion est interprétée au sens de l’article 31 (art. 31) de la Convention, elle ne peut signifier qu’une chose, à savoir que la Commission a été d’avis que les faits constatés révèlent, de la part de l’État intéressé, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention.
3. Dans son Mémoire du 22 décembre 1960, la Commission a donc demandé à la Cour de décider si les paragraphes mentionnés sont compatibles avec la Convention. En outre, après le vote de la Loi belge du 30 juin 1961, la Commission a, dans ses conclusions du 21 août 1961 ainsi qu’à l’audience du 5 octobre 1961, maintenu sa décision de demander à la Cour de déclarer expressément que le requérant avait été victime d’une violation de l’article 10 (art. 10) de la Convention pendant la période comprise entre l’entrée en vigueur de celle-ci (14 juin 1955) et l’entrée en vigueur de la Loi du 30 juin 1961. En ce qui concerne la loi révisée, la Commission a demandé à la Cour "de constater que les limitations maintenues par la Loi du 30 juin 1961 dans le domaine de la liberté d’expression, dans la mesure où elles s’appliquent à M. De Becker, ne dépassent point le cadre des "formalités, conditions, restrictions ou sanctions" qu’autorise l’article 10, paragraphe 2 (art. 10-2) de la Convention".
C’est seulement le 15 janvier 1962 que, dans un document intitulé "Révision des conclusions de la Commission, d’après la lettre du requérant en date du 5 octobre 1961", la Commission a exprimé le désir de retirer, sous réserve de l’approbation de la Cour, sa conclusion précédente dans laquelle elle demandait à la Cour de décider si De Becker avait ou non été victime d’une violation de la Convention au cours de la période antérieure aux modifications législatives du 30 juin 1961. Comme la Commission estimait en outre qu’après cette date la situation juridique du requérant n’était pas contraire aux dispositions de la Convention, elle a, poursuivant son raisonnement jusqu’à son terme logique, déclaré qu’elle ne voulait pas faire opposition à une décision de la Cour de mettre fin à la procédure.
Comme on le voit, entre le 5 octobre 1961 et le 15 janvier 1962, la Commission a changé d’avis quant à son désir de voir la Cour statuer sur la question de savoir s’il y avait eu violation de la Convention en raison des conditions légales en vigueur quand elle fut saisie de l’affaire. Pour motiver son changement d’attitude, la Commission s’est référée à la lettre du 5 octobre 1961 par laquelle le requérant avait déclaré considérer que la nouvelle loi correspondait grosso modo à la Convention et qu’il se désistait donc de sa requête. Diverses expressions utilisées à ce propos par la Commission ont montré qu’elle ne prétendait pas avoir le droit de demander que la procédure prît fin. Il s’agissait là, était-il précisé, d’une décision qui appartenait à la Cour et non à la Commission.
4. Cela étant, il y a lieu de se demander si la Cour a l’autorité nécessaire pour mettre fin à la procédure et, dans l’affirmative, si elle se trouve dans des conditions raisonnables et valables pour se prononcer dans ce sens et rayer l’affaire du rôle.
Tout d’abord, il y a lieu de constater que si, dans ses conclusions du 13 février 1962, le Gouvernement belge a prié la Cour de rayer l’affaire du rôle, le fait est en soi sans conséquence. Il me paraît évident qu’aucun désir ou aucune conclusion formulée en ce sens par l’État accusé d’avoir violé la Convention ne saurait justifier l’arrêt de la procédure.
Si, en l’espèce, il y a donc motif de mettre fin à la procédure, ce motif ne peut résider que dans le retrait de la requête à la suite de l’amendement apporté à la législation belge par la Loi du 30 juin 1961. On pourrait soutenir que l’État accusé ayant, après que l’affaire eût été portée devant la Cour, pris des mesures en vue de modifier la situation légale dont s’est plaint le requérant et celui-ci s’était lui-même déclaré satisfait des mesures prises, il n’y a plus de litige entre le requérant et l’État intéressé et que, pour cette raison même, il convient, conformément aux principes généralement reconnus pour l’administration de la justice, de mettre fin à la procédure.
Je ne puis partager ce point de vue qui, à mon sens, repose sur une mauvaise interprétation des faits et se fonde sur des principes de procédure qui ne sont pas applicables à la Cour.
Pour bien comprendre le problème, il est nécessaire d’analyser la situation, en distinguant deux circonstances et leurs conséquences éventuelles.
5. Tout d’abord, on peut se demander si, du fait qu’un État accusé d’avoir violé la Convention entreprend, après que l’affaire a été portée devant la Cour, d’amender la législation incriminée, il s’ensuit automatiquement que la question soumise à la Cour doit être résolue sur la base de la législation amendée. Ladite question se posant de toute manière, que le requérant s’estime ou ne s’estime pas satisfait du nouvel état de choses, il y a lieu de répondre par la négative. A mon avis, il découle de l’esprit même de la Convention que le requérant a droit à ce qu’une décision soit rendue sur la question que la Commission a décidé de porter devant la Cour. Quels que soient les changements qui peuvent intervenir après que la Cour a été saisie, le requérant peut avoir en droit un intérêt légitime - par exemple pour motiver une instance en dommages et intérêts - à ce qu’il soit statué sur la situation juridique qui existait antérieurement aux modifications apportées à la législation.
6. En second lieu se pose la question de savoir si un retrait de la requête peut raisonnablement autoriser la Cour à mettre fin à la procédure, notamment lorsque le retrait est motivé par une amélioration de la situation juridique du requérant, modification dont il déclare qu’elle satisfait ses intérêts.
On aurait pu répondre de manière positive à cette question si la Cour avait pour fonction de statuer sur des réclamations émanant de particuliers et dont il serait loisible aux requérants de modifier les termes au cours de la procédure. Mais tel n’est pas le cas. Aux termes de la Convention, la Cour a pour mission "d’assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties Contractantes de la Convention" (article 19 de la Convention) (art. 19). De ce fait, le droit de comparaître devant la Cour n’est pas reconnu au requérant. Sa requête peut seulement amener la Commission à procéder à une enquête; si celle-ci permet d’étayer raisonnablement la plainte formulée et qu’un règlement amiable n’intervient pas, la Commission peut soumettre la question soit au Comité des Ministres, soit à la Cour, qui statueront en dernier ressort. Quand la procédure a été poussée jusqu’à ce point, l’intérêt public exige que soit tranchée la question de savoir s’il y a eu ou non violation, que le requérant tienne ou non à ce que la procédure soit poursuivie.
En l’espèce, le retrait de la requête n’implique nullement que l’intéressé soit revenu sur les accusations formulées contre l’État défendeur. Le requérant n’a jamais reconnu que sa situation juridique antérieure au 30 juin 1961 ne constituait pas une violation de la Convention; il a uniquement déclaré qu’une décision sur cette question n’offrait pas pour lui d’intérêt. Le Gouvernement belge n’a jamais admis qu’il s’était rendu coupable d’une violation de la Convention, que ce soit avant ou après les modifications apportées à la législation. La question que la Commission a portée devant la Cour continue donc de se poser et l’intérêt public exige qu’elle soit réglée.
Il est vrai que la Convention enjoint à la Commission de se mettre à la disposition des parties intéressées en vue de parvenir à un règlement amiable de l’affaire qui s’inspire du respect des Droits de l’Homme, tels que les reconnaît la Convention; il est vrai aussi que, aux termes du règlement de la Cour, un règlement amiable peut intervenir même après que la Commission a saisi la Cour d’une affaire (article 47, paragraphe 3). Si la Commission parvient à obtenir un règlement amiable avant d’avoir transmis son rapport, il n’est pas statué sur la question de savoir s’il y a eu ou non violation de la Convention (article 30 de la Convention) (art. 30). Si la
Cour est déjà saisie de l’affaire, elle peut la rayer du rôle (article 47 du Règlement, paragraphe 3).
Ce serait toutefois une erreur de supposer que, dans la présente affaire, il est intervenu un règlement amiable, ou quoi que ce soit d’analogue. Quand l’article 28 (art. 28) de la Convention (ainsi que l’article 47, paragraphe 3 du Règlement de la Cour) mentionne un règlement amiable de "l’affaire", il se réfère manifestement à l’affaire qui fait l’objet de la requête (dans la mesure où celle-ci a été déclarée recevable). Si, grâce aux bons offices de la Commission, les parties parviennent à un accord au sujet de la plainte, il semble raisonnable d’interrompre la procédure. Dans le cas présent, toutefois, il n’y a pas eu un tel accord quant aux griefs exposés dans la requête. La plainte faisant l’objet de la requête de De Becker avait trait à sa situation juridique avant la Loi du 30 juin 1961 et, sur ce point, il n’est pas intervenu d’accord. De Becker a déclaré lui-même qu’il ne s’intéressait pas à la poursuite de l’affaire – ce qui est tout autre chose qu’un accord mutuel.
En outre, pour des raisons générales tenant à la bonne administration de la justice, on doit se garder d’attacher trop d’importance au retrait d’une requête. Le particulier qui introduit une requête contre un État, notamment s’il en est ressortissant, est forcément placé dans une situation d’infériorité. Tout désistement de sa part qui n’est pas le résultat d’un règlement amiable obtenu par les bons offices de la Commission sera suspecté d’avoir été influencé par la position d’infériorité où il se trouve vis-à-vis de l’État dont il est ressortissant. Cette considération n’est pas invalidée du fait qu’en la présente affaire les circonstances n’impliquent aucune raison de mettre en doute la sincérité et spontanéité du retrait.
Si l’on pouvait prendre en considération les circonstances particulières d’un cas, il est certain que la Cour serait presque toujours obligée d’accepter un désistement, étant donné qu’il serait impossible de prouver qu’il y a eu pression et déplacé d’exprimer des soupçons à cet égard et d’en tirer argument.
En outre, il n’est pas douteux, à mon avis, que l’acceptation par la Cour d’un désistement ne peut manquer de faire une impression désagréable sur l’opinion publique, notamment si le retrait fait suite à des mesures prises par l’État défendeur. Elle peut engendrer chez qui n’est pas pleinement informé des faits l’idée que l’État défendeur, se sentant coupable et craignant une décision défavorable de la Cour, a fait une manoeuvre de dernière heure pour inciter le requérant à se désister. Aussi injustifié qu’il soit, le sentiment qu’un État en cause puisse renverser la situation au détriment de la Cour et esquiver ses responsabilités porterait le plus grand préjudice à l’autorité de la Cour et au prestige de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.
7. C’est pourquoi j’estime que la Cour aurait tort de mettre fin à l’action intentée, même si elle est habilitée à le faire.
En fait, je doute que la Cour en ait le pouvoir. A mon avis, il est évident que les dispositions relatives au désistement contenues dans l’article 47 du Règlement de la Cour ne s’appliquent pas à la situation actuelle. Ce point de vue est partagé en outre par la Commission et par la majorité des membres de la Cour. Une telle prérogative ne pourrait donc puiser son origine que dans les principes généralement reconnus de la procédure judiciaire. Toutefois, ces principes sont différents selon qu’il s’agit d’une procédure en droit civil ou en droit pénal. Aucun de ces principes ne s’applique à la procédure devant la Cour, procédure qui ne peut être identifiée ni avec une procédure civile, ni avec une procédure pénale; la procédure devant la Cour revêt un caractère spécial, notamment quand il s’agit, comme en l’occurrence, d’une requête introduite par un particulier contre son propre pays. Je suis donc porté à croire que des principes généraux de procédure judiciaire, non reconnus par le Règlement de la Cour, ne sauraient être invoqués pour mettre fin à la procédure.
Dans ces conditions, je ne puis que conclure, contrairement à l’avis de la majorité de mes collègues, qu’il n’y avait pas lieu de rayer l’affaire De Becker du rôle de la Cour.
1 Tel qu'adopté par la Cour le 18 septembre 1959; c'est seulement le 25 octobre 1961 que cette disposition du Règlement a été révisée.
ARRÊT DE BECKER c. BELGIQUE
ARRÊT DE BECKER c. BELGIQUE
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OPINION DISSIDENTE DE M. A. ROSS
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