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14/11/1960 | CEDH | N°332/57

CEDH | AFFAIRE LAWLESS c. IRLANDE (N° 1)


COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE LAWLESS c. IRLANDE (No. 1)
(Requête no 332/57)
ARRÊT
STRASBOURG
14 novembre 1960
En l'affaire "Lawless",
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément aux dispositions de l'article 43 (art. 43) de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (ci-après dénommée "la Convention"), et des articles 21 et 22 du Règlement de la Cour, en une Chambre composée de:
M.  R. CASSIN, Président
et de  MM.  G. MARIDAKIS
E. RODENBOURG

R. McGONIGAL, membre d'office,
G. BALLADORE PALLIERI
E. ARNALDS
K.F. ARIK, Juges,
P....

COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE LAWLESS c. IRLANDE (No. 1)
(Requête no 332/57)
ARRÊT
STRASBOURG
14 novembre 1960
En l'affaire "Lawless",
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément aux dispositions de l'article 43 (art. 43) de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (ci-après dénommée "la Convention"), et des articles 21 et 22 du Règlement de la Cour, en une Chambre composée de:
M.  R. CASSIN, Président
et de  MM.  G. MARIDAKIS
E. RODENBOURG
R. McGONIGAL, membre d'office,
G. BALLADORE PALLIERI
E. ARNALDS
K.F. ARIK, Juges,
P. MODINOS, Greffier,
rend l'arrêt suivant sur les exceptions préliminaires et questions de procédure soulevées par le mémoire de la Commission et le contre-mémoire du Gouvernement irlandais ainsi que par les conclusions prises en audience publique:
PROCEDURE
Le 13 avril 1960, le Secrétaire de la Commission européenne des Droits de l'Homme (ci-après dénommée la "Commission") a transmis au Greffier de la Cour une demande de la Commission en date du 12 avril 1960, déférant à la Cour l'affaire introduite devant la Commission, en vertu de l'article 25 (art. 25) de la Convention, par une requête datée du 8 novembre 1957 de Gérard Richard Lawless, ressortissant de la République d'Irlande, contre le Gouvernement de ladite République.
La demande, qui se réfère à la déclaration faite par le Gouvernement de la République d'Irlande en vertu de l'article 46 (art. 46) de la Convention européenne des Droits de l'Homme le 18 février 1953, ainsi qu'aux pouvoirs conférés à la Commission par les articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) de la Convention, a été transmise, conformément à l'article 32 du Règlement de la Cour, au Gouvernement irlandais le 14 avril 1960. Par application de l'article 21, paragraphe 2 du Règlement, le Greffier a, en outre, invité ledit Gouvernement à lui faire savoir, dans les trente jours, s'il désirait comparaître comme Partie dans cette affaire. Comme prévu à l'article 32, paragraphe 1 in fine du Règlement, le Greffier a informé, également le 14 avril 1960, le Comité des Ministres du dépôt de la demande.
Par télégramme du 12 mai 1960, confirmé par lettre en date du même jour, le Gouvernement irlandais a fait savoir au Greffier qu'il désirait comparaître comme Partie au procès relatif à l'affaire "Lawless" et qu'il avait désigné comme son agent M. T. Woods, Représentant permanent d'Irlande au Conseil de l'Europe.
A la suite de cette communication, Lord McNair, Président de la Cour, a procédé, en présence du Greffier adjoint, le 18 mai 1960 à Londres, au tirage au sort des noms de six juges appelés à siéger dans la Chambre susmentionnée, M. Richard McConigal, juge élu de nationalité irlandaise, siégeant d'office, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention. La composition de la Chambre a été notifiée par le Greffier le 23 mai 1960 aux juges et à l'agent du Gouvernement irlandais, ainsi que le 24 mai au Président de la Commission.
Après avoir recueilli, conformément à l'article 35, paragraphe 1 du Règlement, l'opinion de l'agent de la Partie ainsi que des délégués de la Commission au sujet de la procédure à suivre, le 1er juin 1960 à Strasbourg, le Président de la Chambre, par ordonnance en date du même jour, a fixé au 30 juin 1960 le terme du délai pour le dépôt du mémoire de la Commission, et au 20 août 1960 le terme du délai pour le dépôt du contre-mémoire du Gouvernement irlandais. A la demande de la Partie, le terme de ce dernier délai a été reporté au 30 août 1960, et ceci en vertu d'une ordonnance du Président de la Chambre en date du 16 août 1960. Le mémoire et le contre-mémoire - l'un et l'autre soulevant essentiellement des exceptions préliminaires et questions de procédure - ont été présentés aux dates prévues. Conformément à l'article 35, paragraphe 3, du Règlement de la Cour, le mémoire de la Commission a été transmis aux juges et à l'agent du Gouvernement irlandais, le 30 juin 1960, le contre-mémoire a été communiqué aux juges et aux délégués de la Commission, le 30 août 1960. En ce qui concerne les exceptions préliminaires, l'affaire se trouve donc en état depuis le 30 août 1960.
Une audience publique a été tenue les 3 et 4 octobre 1960, à laquelle ont comparu:
- pour la Commission:
M. C.H.M. Waldock, Président
de la Commission, délégué principal,
M. C.Th. Eustathiades, Vice-Président,
et
M. S. Petren, Membre
de la Commission, délégués adjoints,
- pour le Gouvernement irlandais, Partie:
M. T. Woods, Représentant permanent
auprès du Conseil de l'Europe, agent, assisté de
MM. A. O'Keeffe, Attorney-General d'Irlande,
S. Morrissey, Barrister-at-Law, Legal Adviser,
Ministère des Affaires étrangères,
P. Reuter, Professeur
à la Faculté de Droit de Paris,
A.J. Hederman, Barrister-at-Law, conseils,
et de
MM. D. O'Donovan, Chief State Solicitor,
P. Berry, Assistant Secretary-General,
Department of Justice.
A cette audience, la Cour a entendu, en leurs déclarations, réponses et conclusions, pour la Commission: M. C.H.M. Waldock, délégué principal; pour le Gouvernement irlandais: M.A. O'Keeffe, Attorney-General.
La Cour a, les 3 et 4 octobre 1960, limité les débats aux exceptions préliminaires et questions de procédure.
EN FAIT
La demande de la Commission - à laquelle se trouve joint le rapport établi par la Commission conformément aux dispositions de l'article 31 (art. 31) de la Convention - a pour objet de soumettre l'affaire G.R. Lawless à la Cour afin que celle-ci puisse décider si les faits de la cause révèlent ou non, de la part du Gouvernement défendeur, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention.
Ainsi qu'il ressort de la demande et du mémoire de la Commission, M. Lawless allègue dans sa requête une violation de la Convention à son égard, par les autorités de la République d'Irlande, du fait de sa détention sans jugement du 13 juillet au 11 décembre 1957 dans un camp de détention militaire situé sur le territoire de la République d'Irlande, en exécution d'une ordonnance prise par le ministre de la Justice en vertu de l'article 4 de la Loi de 1940 modifiant la Loi relative aux atteintes à la sûreté de l'État. Les pouvoirs spéciaux d'arrestation et de détention conférés par cette loi aux ministres de l'État auraient été mis en vigueur le 8 juillet 1957 sur la base d'une proclamation publiée par le gouvernement irlandais le 5 juillet 1957.
La Commission, après avoir déclaré la requête recevable, le 30 août 1958, l'a examinée conformément à la procédure prévue aux articles 28 et 29 (art. 28, art. 29) de la Convention. Un règlement amiable n'ayant pu intervenir, la Commission a établi le rapport prévu à l'article 31 (art. 31) de la Convention. Ledit rapport a été adopté par la Commission le 19 décembre 1959, la majorité ayant été d'avis qu'il n'y a pas eu de violation de la Convention de la part du Gouvernement irlandais et qu'aucune suite ne devait être donnée à la demande de dommages intérêts formulée par le requérant.
Après avoir transmis ledit rapport au Comité des Ministres du Conseil de l'Europe le 1er février 1960, et ceci conformément à l'article 31, paragraphe 2 (art. 31-2) de la Convention, la Commission, à sa séance du 1er avril 1960, a décidé de se prévaloir de la faculté qui lui est offerte aux articles 44 et 46 (art. 44, art. 46) de la Convention et de déférer l'affaire Lawless à la Cour pour décision définitive.
A l'appui de sa décision, la Commission a fait valoir, dans son mémoire, qu'un avis formulé par elle en vertu de l'article 31 (art. 31) de la Convention sur le point de savoir si les faits constatés révèlent une violation de celle-ci, ne mettait pas fin au litige. La Commission a, en effet, souligné qu'aux termes de l'article 32, paragraphe 1 (art. 32-1) de la Convention, si l'affaire n'est pas déférée à la Cour, c'est au Comité des Ministres qu'il incombe de prendre, par un vote à la majorité des deux tiers, une décision sur la question de savoir s'il y a eu ou non violation de la Convention.
Or, en raison de l'importance fondamentale des problèmes juridiques, qui se posent dans cette affaire - notamment en ce qui concerne les questions relevant de l'article 15 (art. 15) de la Convention – la Commission a jugé opportun de la soumettre à la Cour, sans pour autant modifier sa propre opinion à ce sujet telle qu'elle a été consignée dans le rapport.
A la réunion tenue, conformément à l'article 35, paragraphe 1, du Règlement de la Cour, le 1er juin 1960, ainsi que dans son mémoire du 27 juin 1960, la Commission a fait savoir que, conformément à l'article 76 de son Règlement intérieur, elle avait, le 13 avril 1960 - donc après avoir déféré la présente affaire à la Cour - transmis le rapport au requérant en l'invitant à soumettre à la Commission ses observations. En transmettant le rapport au requérant, la Commission a souligné que ce document devait rester secret et que le requérant n'avait pas la faculté de le publier.
L'article 76 du Règlement de la Commission est ainsi libellé:
"Lorsqu'une affaire portée devant la Commission en vertu de l'article 25 (art. 25) de la Convention est déférée, ensuite à la Cour, le Secrétaire de la Commission en avise immédiatement le requérant. Sauf décision de la Commission en sens contraire, il lui communique également, en temps utile, le rapport de la Commission, en l'informant qu'il a la faculté de présenter à la Commission, dans un délai fixé par le Président, ses observations écrites sur ledit rapport. La Commission décide de la suite à donner à ces observations."
Dans son mémoire, la Commission a souligné qu'elle était prête "à communiquer à la Cour les observations du requérant sur le rapport, en tant que document concernant le dossier de l'affaire". Toutefois, au lieu de faire cette communication de sa propre initiative, elle a cru devoir, à ce stade préliminaire de la procédure, demander à la Cour l'autorisation de déposer le mémoire contenant les observations du requérant en tant que document soumis par la Commission.
Au cours de la procédure écrite, les conclusions ci-après ont été prises en ce qui concerne la procédure seulement:
par la Commission, dans son mémoire:
"Plaise à la Cour:
(1) d'autoriser la Commission à lui soumettre les observations du requérant sur son rapport comme l'un des documents de la Commission concernant l'affaire;
(2) d'une manière générale, de donner des instructions quant au droit de la Commission de lui communiquer les observations du requérant sur les questions qui se posent dans la présente procédure."
par le Gouvernement irlandais, dans son contre-mémoire:
"Qu'il plaise à la Cour:
(1) de se refuser à connaître de la présente affaire, à moins que la Commission n'établisse que, entre le 19 décembre 1959 et le 1er février 1960, elle n'a nullement examiné la question de la saisine de la Cour;
(2) de se refuser à retenir l'affaire tant que n'aura pas été justifié le délai de transmission du rapport de la Commission au Comité des Ministres et au Gouvernement;
(3) de déclarer que toute publication du rapport par la Commission en dehors des cas expressément autorisés par la Convention, constitue un acte contrevenant aux obligations imposées à la Commission par la Convention;
(4) de décider de ne pas retenir les observations du requérant sur le rapport de la Commission et sur les questions qui se posent dans la présente procédure par les motifs:
(a) que la Commission n'a fourni aucun argument en faveur de leur recevabilité;
(b) que le fait de retenir de telles observations constituerait un moyen oblique d'amender la Convention;
(c) que ces observations n'ont pu être formulées qu'à la suite de la non-observation, par la Commission, de son obligation de secret;
(d) que, en l'état de la procédure, ces observations sont hors de propos;
(5) de déclarer que l'interprétation correcte de la Convention n'autorise pas la Commission à agir comme elle l'envisage à l'article 76 de son Règlement intérieur".
A l'audience du 3 octobre 1960, la Commission a présenté les conclusions suivantes:
A. Quant à l'exception portant sur la compétence de la Cour:
Plaise à la Cour de rejeter les exceptions préliminaires formulées contre la compétence de la Cour au paragraphe 4 du contre-mémoire du Gouvernement défendeur.
B. Quant à l'exception concernant la publication du rapport:
Plaise à la Cour de décider que les dispositions de l'article 76 du Règlement intérieur de la Commission et la communication au requérant par la Commission de son rapport sur la présente affaire relèvent de la compétence conférée à la Commission par la Convention, et de rejeter l'exception préliminaire formulée au paragraphe 5 du contre-mémoire présenté par le Gouvernement défendeur.
C. Quant à l'exception concernant le rôle du requérant dans la procédure devant la Cour:
Plaise à la Cour:
(a) de permettre à la Commission de lui transmettre les observations écrites du requérant sur le rapport de la Commission;
(b) de donner telles directives qu'elle peut juger appropriées quant au droit de la Commission de communiquer à la Cour les observations du requérant en ce qui concerne les questions surgissant au cours de la présente procédure;
(c) de rejeter les conclusions formulées au paragraphe 6 du contre-mémoire du gouvernement défendeur."
A l'audience du 3 octobre 1960, l'agent du Gouvernement irlandais, tenant compte des explications fournies par le délégué de la Commission au cours de sa plaidoirie orale, a retiré les exceptions préliminaires figurant sous les numéros 1 et 2 du contre-mémoire de son Gouvernement.
Les conclusions suivantes, portant sur les exceptions préliminaires et les questions de procédure soulevées en la présente instance, ont été prises par l'agent du Gouvernement irlandais, à l'audience du 4 octobre 1960:
"Qu'il plaise à la Cour:
(1) de déclarer que toute publication du rapport par la Commission en dehors des cas expressément autorisés par la Convention constitue un acte contrevenant aux obligations imposées à la Commission par la Convention;
(2) de décider de ne pas recevoir les observations du requérant sur le rapport de la Commission;
(3) de décider de ne pas recevoir les observations formulées d'autre part par le requérant sur les questions qui se posent dans la présente procédure;
(4) de déclarer que l'interprétation correcte de la Convention n'autorise pas la Commission à agir comme elle l'envisage à l'article 76 de son Règlement intérieur".
EN DROIT
Considérant qu'en réponse aux questions de procédure soulevées par la Commission dans son mémoire, le Gouvernement irlandais s'est conformé aux prescriptions de l'article 46 du Règlement de la Cour en formulant ses exceptions préliminaires et objections de procédure dans le contre-mémoire qui constitue la première pièce de la procédure écrite déposée par cette Partie; qu'à l'audience du 3 octobre 1960, la Cour a pris acte de ce que l'agent du Gouvernement irlandais a retiré les exceptions préliminaires figurant aux paragraphes 1 et 2 des conclusions prises par ce Gouvernement dans son contre-mémoire; que, d'autre part, le Gouvernement irlandais n'a pas maintenu, dans ses conclusions prises à l'audience du 4 octobre, les objections qu'il avait soulevées au paragraphe 7 de son contre-mémoire, relatives à la forme interrogative des conclusions prises par la Commission sur le fond de l'affaire; qu'il n'y a donc plus lieu pour la Cour de se prononcer sur ces questions;
Considérant, au vu des conclusions finales prises par la Commission et par le Gouvernement irlandais à l'audience des 3 et 14 octobre 1960, que la Cour n'est appelée à se prononcer que sur les trois questions suivantes:
(i) L'article 76 du Règlement de la Commission est-il, en général, contraire à la Convention?
(ii) La Commission pouvait-elle, après avoir déféré l'affaire à la Cour, communiquer son rapport à G.R. Lawless, requérant, dans les conditions énoncées par le délégué de la Commission, sans contrevenir aux prescriptions de la Convention?
(iii) La Cour devrait-elle, soit sur l'initiative de la Commission prise de plano, soit après autorisation donnée par elle à la Commission, recevoir par l'intermédiaire de celle-ci communication des observations écrites du requérant Lawless sur le rapport de la Commission ou sur les questions surgissant au cours de la présente procédure?
(i) Sur la prétendue contradiction "in genere" entre l'article 76 du Règlement de la Commission et la Convention
Considérant que, parmi les moyens préliminaires soulevés par le Gouvernement irlandais au sujet du déroulement de la procédure devant la Cour, celui qui figure au paragraphe 4 des conclusions finales de ce Gouvernement tend à ce que la Cour se prononce, de manière générale, sur la conformité de l'article 76 du Règlement de la Commission avec les dispositions de la Convention;
Considérant que la Convention a, par son article 19 (art. 19), institué la Commission ainsi que la Cour "afin d'assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties Contractantes de la Convention"; que, pour la sauvegarde des droits de l'homme, elle a confié à chacun de ces deux organes des fonctions déterminées; qu'elle a doté la Commission d'attributions différant dans le temps; que dans la phase initiale de la procédure - principalement couverte par les dispositions du titre III de la Convention - la Commission reçoit essentiellement une mission indépendante d'enquête, de conciliation et éventuellement d'initiative pour saisir la Cour; qu'à la vérité, une fois la Cour saisie d'une affaire, la Commission devient principalement une aide de la Cour et est associée au fonctionnement de celle-ci, mais que même dans cette phase de la procédure, elle exerce des attributions qui dérivent directement de la Convention et ne sont pas fixées par la Cour;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble des règles régissant les pouvoirs de la Cour que celle-ci ne peut interpréter les dispositions de la Convention de manière abstraite, mais seulement en fonction du cas déterminé qui lui est déféré; qu'en effet, aux termes de l'article 45 (art. 45) de la Convention, la compétence de la Cour "s'étend à toutes les affaires concernant l'interprétation et l'application de la Convention"; que la portée de cette disposition est précisée et délimitée par d'autres dispositions de la Convention, à savoir: (a) l'article 47 (art. 47) aux termes duquel "la Cour ne peut être saisie d'une affaire qu'après la constatation, par la Commission, de l'échec du règlement amiable et dans le délai de trois mois prévu à l'article 32 (art. 32)"; (b) l'article 53 (art. 53) en vertu duquel seules les Hautes Parties Contractantes qui sont "parties au litige" sont liées par les décisions de la Cour;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la Cour n'a pas compétence pour prendre des décisions telle que l'annulation d'un article du Règlement de la Commission, produisant des effets à l'égard de tous les intéressés à la Convention, compétence qui ressemblerait au pouvoir soit de rendre des arrêts de règlement, soit d'émettre des avis consultatifs; que dès lors la Cour ne peut entrer dans l'examen d'un problème qui lui est posé d'une manière générale par les deux concluants;
Considérant, néanmoins, que dans l'exercice de ses fonctions, la Cour a le devoir de veiller au respect de la Convention dans le cas déterminé qui lui est déféré et, éventuellement, de relever les irrégularités qui auraient pu être commises ainsi que de refuser l'application dans ledit cas de toute disposition réglementaire ou autre, prise en contravention avec la Convention; qu'à ce titre la Cour doit entrer dans l'examen du moyen particulier qui suit;
(ii) Sur la communication, par la Commission, de son rapport à G.R. Lawless
Considérant qu'il a été établi, au cours de la procédure, que la Commission a transmis, un jour après avoir saisi la Cour de la présente affaire, soit le 13 avril 1960, le rapport qu'elle avait rédigé, conformément à l'article 31 (art. 31) de la Convention, à G.R. Lawless, requérant;
Considérant que le Gouvernement irlandais a soutenu: que la Commission, en donnant connaissance de son rapport à G.R. Lawless, a violé les dispositions de la Convention; qu'aux termes de l'article 31 (art. 31) de la Convention, il est expressément interdit aux États Contractants de publier le rapport de la Commission; qu'il en est de même pour le Comité des Ministres, sauf si la Partie contractante mise en cause n'a pas adopté les mesures donnant satisfaction à la décision du Comité des Ministres; que si l'affaire est déférée à la Cour, le rapport reste sous la sauvegarde de la Cour et demeure secret, à moins que la Cour n'en autorise expressément la publication; que les États Contractants s'étant, en vertu de la Convention, imposé de garder secret le rapport de la Commission, celle-ci, qui tire uniquement sa compétence de l'adhésion volontaire des États à la Convention, ne peut corrélativement bénéficier de la liberté de publier le rapport au moment qui lui conviendrait et de le communiquer à qui elle jugerait bon de le faire; que, sinon, les États Contractants se trouveraient placés dans une position inférieure à celle de la Commission quant à l'obligation du secret; que le fait que les auteurs de la Convention n'ont pas inséré une disposition interdisant formellement à la Commission de publier le rapport, n'est pas du à un simple hasard; qu'aux termes de la Convention, l'individu n'a aucun rôle à remplir, ni devant le Comité des Ministres, ni devant la Cour; qu'une fois le rapport adopté par la Commission, l'individu "disparaît" de la procédure;
Considérant que la Commission, afin de justifier la communication du rapport au requérant, a soutenu: que les États Contractants, sous réserve des dispositions expresses de la Convention, ont conféré à la Commission les pouvoirs nécessaires pour l'exécution effective de la tâche qui lui est confiée par l'article 19 (art. 19) de la Convention; que notamment celle-ci ne contient aucune disposition interdisant à la Commission de publier ou de communiquer à quiconque son rapport lorsqu'elle estime qu'une telle publication ou communication est nécessaire à l'accomplissement de sa tâche; qu'en l'espèce, la Commission a transmis le rapport à G.R. Lawless, après que la Cour avait été saisie de l'affaire, et ce afin d'être en mesure de présenter l'affaire objectivement à la Cour; qu'en transmettant le rapport au requérant, la Commission a pris en considération que l'affaire avait été introduite devant elle par le requérant;
Considérant que, de l'avis de la Cour, la procédure suivie devant elle dans une affaire engagée selon les règles de la Convention se distingue de la procédure en vigueur devant la Commission ou encore devant le Comité des Ministres;
Considérant que les procédures visées par les dispositions du titre III de la Convention ont un caractère secret; que la procédure devant la Commission, à laquelle le requérant est associé, se déroule à huit clos en vertu de l'article 33 (art. 33); que, lorsque la Commission a transmis son rapport au Comité des Ministres et aux États intéressés, ceux-ci sont privés, par l'article 31, alinéa 2 (art. 31-2), de la faculté de le publier;
Considérant que, dès que l'affaire a été soumise à la Cour conformément aux dispositions de l'article 48 (art. 48) de la Convention, la procédure acquiert un caractère judiciaire; que, dans toute société démocratique au sens du Préambule et des autres dispositions de la Convention, la procédure devant un organe judiciaire doit avoir un caractère contradictoire et public; que ce principe fondamental se trouve consacré, en ce qui concerne les juridictions nationales de caractère civil et pénal, par l'article 6 (art. 6) de la Convention; qu'en outre, le titre IV de la Convention régissant l'organisation et la compétence de la Cour n'édicte aucune disposition analogue à celle de l'article 33 (art. 33) prescrivant que la Commission siège à huis clos; qu'au surplus, la Cour elle-même a confirmé à l'article 18 de son Règlement que l'audience devant elle est publique, "à moins que la Cour n'en décide autrement en raison de circonstances exceptionnelles"; qu'enfin il est prévu, à l'article 51 dudit Règlement, que l'arrêt de la Cour "est lu en audience publique"; qu'ainsi la procédure devant la Cour a un caractère public;
Considérant, il est vrai, que ce caractère public de la procédure concerne les débats à l'audience et le texte de l'arrêt, et que les autres documents de la procédure ne peuvent être publiés, conformément à l'article 52 du Règlement, qu'en vertu d'une autorisation expresse de la Cour, mais que cette dernière disposition ne saurait faire échec au caractère contradictoire de la procédure et n'exclut pas la communication, assortie d'une interdiction de publication faite soit par la Commission, soit par une des Parties, des pièces écrites du dossier aux personnes physiques ou morales directement intéressées au litige; qu'il y a donc lieu de distinguer entre, d'une part, la publication des pièces écrites qui doit faire l'objet d'une autorisation de la Cour, et, d'autre part, la communication desdites pièces au requérant, laquelle ne requiert aucune autorisation semblable;
Considérant, en l'espèce, que le requérant, G.R. Lawless, bien qu'il ne soit pas habilité à saisir la Cour, à comparaître juridiquement devant elle, ou encore à formuler des conclusions par un représentant choisi par lui, est cependant directement intéressé à la procédure qui se déroule devant la Cour; qu'il ne faut pas perdre de vue que le requérant est l'initiateur de l'instance engagée devant la Commission; que, dans le cas ou la Cour reconnaîtrait le bien fondé de ses griefs, il pourrait être directement affecté par toute décision que la Cour serait amenée à prendre en vertu de l'article 50 (art. 50) de la Convention, sur le fond de l'affaire; que l'article 38 de son
Règlement autorise la Cour à entendre toute personne dont la déposition lui parait utile à l'accomplissement de sa tâche, ce que, par ailleurs, le Gouvernement irlandais et la Commission reconnaissent;
Considérant que la Commission, en communiquant à G.R. Lawless son rapport, n'a pas manqué d'attirer expressément son attention sur le caractère confidentiel de ce document en lui faisant défense de le publier;
Considérant que, compte tenu de ce qui précède, la Cour est d'avis qu'en vertu de la Convention, la Commission a la faculté de communiquer au requérant, avec interdiction de publication, son rapport ou partie de ce rapport ou un sommaire de ce rapport chaque fois que pareille communication lui parait utile; qu'en conséquence, dans la présente affaire, la Commission n'a pas, en communiquant son rapport à G.R. Lawless, requérant, dépassé les limites de ses pouvoirs;
(iii) Sur la soumission par la Commission à la Cour des observations du requérant concernant le rapport de la Commission ou d'autres questions surgissant au cours de la procédure
Considérant que la Commission demande à la Cour l'autorisation de lui soumettre, comme document du dossier, les observations que le requérant a faites sur le rapport de la Commission après en avoir reçu communication dans les conditions susmentionnées; que la Commission, d'une manière générale, demande à la Cour "de donner telles directives qu'elle peut juger appropriées quant au droit de la Commission de communiquer à la Cour les observations du requérant en ce qui concerne les questions surgissant au cours de la présente procédure"; que la Commission, tout en reconnaissant que le requérant n'est pas Partie au procès devant la Cour, a fait valoir que sa demande tend à soumettre à la Cour les observations du requérant sur les points essentiels de la procédure le concernant; que la Commission invoque certains précédents empruntés à la procédure d'avis consultatif suivie devant la Cour permanente de Justice internationale, et, après elle, devant la Cour internationale de Justice, procédure au cours de laquelle ont été prises en considération des observations formulées par des individus et soumises aux susdites juridictions par l'intermédiaire des organisations internationales ayant sollicité l'avis consultatif, bien qu'en vertu du Statut de ces juridictions, les États aient seuls qualité pour se présenter devant elles; qu'en outre, la Commission invoque l'ensemble des dispositions de la Convention, et notamment la version anglaise de l'article 44 (art. 44), pour soutenir que les auteurs de la Convention n'ont pas eu l'intention de dissocier complètement l'individu (requérant devant la Commission) de la procédure devant la Cour, mais ont simplement voulu lui interdire de porter lui-même une affaire devant la Cour;
Considérant que le Gouvernement irlandais soutient que si la Cour acceptait de recevoir de la Commission les observations du requérant, ce fait constituerait une violation des dispositions de la Convention, notamment de son article 44 (art. 44) aux termes duquel, dans la version française, seules les Hautes Parties Contractantes et la Commission ont qualité pour se "présenter" devant la Cour; que, d'autre part, si la Commission était autorisée à soumettre les observations du requérant comme un document émanant d'elle, son impartialité et son objectivité seraient mises en cause; que le Gouvernement irlandais a fait valoir, au surplus, qu'une transmission des observations du requérant à la Cour offrirait à l'individu des possibilités d'utiliser la procédure à des fins de propagande contre son propre Gouvernement;
Considérant qu'il n'y a pas lieu pour la Cour d'entrer dans un examen approfondi des précédents invoqués par la Commission au sujet du rôle de l'individu devant d'autres juridictions internationales; que, sans méconnaître la valeur des précédents invoqués, la Cour doit tenir compte du fait qu'aucun des exemples cités ne concernait le cas de griefs formulés par un individu contre l'État dont il est le ressortissant; que la présente affaire a son origine dans une requête soumise à la Commission par G.R. Lawless contre l'État dont il est le ressortissant; que, dès lors, il convient de rechercher la réponse aux questions posées dans les particularités de la procédure instituée par la Convention; qu'en effet, en vertu de l'article 44 (art. 44) de la Convention, seuls les États Contractants et la Commission ont le droit de saisir la Cour ainsi que de comparaître juridiquement devant elle; que, toutefois, la Cour doit avoir notamment égard au devoir lui incombant de sauvegarder les intérêts de l'individu qui ne peut être Partie devant elle; que la procédure organisée devant la Cour, est tournée vers des fins qui concernent le requérant; qu'il est dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice que la Cour puisse connaître et, le cas échéant, prendre en considération le point de vue du requérant; qu'à cette fin elle dispose: dans tous les cas et en premier lieu, du rapport de la Commission lequel fait nécessairement état, même si elle ne les fait pas siennes, des allégations de fait ou des prétentions de droit du requérant; en second lieu, des observations écrites ou orales des délégués et conseils de la Commission qui, en vertu de sa mission d'intérêt général, a le droit, même si elle ne les prend pas à son compte, de faire état devant la Cour, sous sa propre responsabilité, des considérations du requérant en tant qu'élément propre à éclairer celle-ci; qu'en troisième lieu la Cour peut encore entendre le requérant en vertu de l'article 38 de son
Règlement et qu'elle a encore le droit, à titre de mesure d'instruction, soit d'inviter d'office la Commission, soit d'autoriser celle-ci, sur sa demande, à lui soumettre les observations du requérant concernant le rapport ou toute autre question déterminée ayant surgi au cours des débats;
Considérant, en l'espèce, qu'il y a lieu de donner acte à la Commission de sa demande tendant à être autorisée à soumettre les observations du requérant sur le rapport, mais que la Cour, n'ayant pu encore aborder l'examen du fond, ne dispose pas, en l'état, d'éléments suffisants pour lui permettre de statuer sur cette demande; qu'elle se réserve d'y statuer au moment opportun;
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Donne acte au Gouvernement irlandais du retrait des exceptions préliminaires formulées aux alinéas 1 et 2 des conclusions de son contre-mémoire et de ses objections soulevées au paragraphe 7 de son contre-mémoire;
Par 6 voix contre 1,
écarte les objections de procédure formulées aux paragraphes 1, 3 et 4 des conclusions finales dudit Gouvernement;
déclare qu'à ce stade, il n'y a pas lieu d'autoriser la Commission à lui transmettre les observations écrites du requérant sur le rapport de la Commission;
Décide, à l'unanimité, de passer à l'examen du fond de l'affaire.
Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Conseil de l'Europe, à Strasbourg, le quatorze novembre mil neuf cent soixante.
R. CASSIN
Président
P. MODINOS
Greffier
M. Maridakis, juge, se prévalant du droit que lui confère l'article 50, paragraphe 2 du Règlement de la Cour, joint à l'arrêt l'exposé de son opinion dissidente.
OPINION DISSIDENTE DE M. G. MARIDAKIS
D'après l'article 28 (art. 28) de la Convention, la Commission, afin d'établir les faits, procède à un examen contradictoire de la requête avec les représentants des parties et, s'il y a lieu, à une enquête.
D'après l'article 31 (art. 31), si une solution n'a pu intervenir, la Commission rédige un rapport dans lequel elle constate les faits et formule un avis sur le point de savoir si les faits constatés révèlent, de la part de l'État intéressé, une violation des obligations ... Les opinions de tous les membres de la Commission sur ce point peuvent être exprimées dans ce rapport.
D'après l'alinéa 2 de ce même article 31 (art. 31-2), le rapport est transmis au Comité des Ministres; il est également communiqué aux États intéressés, qui n'ont pas la faculté de le publier. Par "communiquer" on entend, au sens et aux fins de la Convention, délivrer une copie exacte du rapport au Comité des Ministres et aux États intéressés.
On peut déduire de ces dispositions:
(1) Que la Commission a pour juridiction d'établir les faits.
(2) Qu'à cette fin elle procède à un examen contradictoire de la requête avec les représentants des Parties et, s'il y a lieu, à une enquête.
(3) Qu'elle rédige un rapport dans lequel elle constate les faits et formule un avis ...
(4) Qu'elle transmet le rapport au Comité des Ministres.
(5) Qu'elle communique également le rapport aux États intéressés, qui n'ont pas la faculté de le publier.
Il ressort de ces dispositions combinées que la juridiction de la Commission, en tant qu'organe chargé d'établir les faits et de rédiger un rapport, cesse dès que ce rapport est transmis au Comité des Ministres.
Dès ce moment commence à courir le délai de trois mois dans lequel, conformément à l'article 32 (art. 32) de la Convention, la Commission peut saisir la Cour.
La disposition de l'article 76 du Règlement de la Commission, aux termes duquel, lorsqu'une affaire est déférée à la Cour, le Secrétaire de la Commission communique également, en temps utile (?) au requérant le rapport de la Commission, contrevient à la Convention. Si, après la transmission du rapport au Comité des Ministres, la Commission n'a plus les pouvoirs qu'elle tire des articles 28 et 31 alinéa 1 (art. 28, art. 31-1), à plus forte raison ne conserve-t-elle plus aucun pouvoir après que l'affaire a été déférée à la Cour par application de l'article 48 (art. 48) de la Convention. A partir de ce moment, l'affaire, dans son ensemble, appartient à la Cour. Si la Cour estime que seul le requérant pourrait les éclaircir, la Cour, en tant que juge souverain de l'affaire, a la faculté de convoquer le requérant et de l'entendre conformément à l'article 38 du Règlement de la Cour.
D'après l'article 76 précité du Règlement de la Commission, le requérant a la faculté de présenter à la Commission ses observations écrites sur ledit rapport et la Commission décide de la suite à donner à ces observations.
Or, d'après l'article 28 (art. 28) de la Convention, la Commission procède à un examen contradictoire et, s'il y a lieu, à une enquête.
Par conséquent, dès lors que la Commission accomplit sa tâche suivant la procédure précitée et que, d'autre part, elle ne peut modifier son rapport après qu'elle l'a transmis au Comité des Ministres, et qu'au surplus l'affaire a été déférée dans son ensemble à la Cour, par quelle voie sera-t-il possible à la Commission de donner suite aux observations du requérant sur ledit rapport? Si la Commission présente ces observations simplement en tant qu'elles lui furent soumises par le requérant, elle n'a point qualité pour le faire puisque, d'après l'article 19 (art. 19) de la Convention, elle agit et se tient au-dessus des parties. Si elle adopte ces observations pour les présenter comme siennes, il en résulte que le requérant se présente, devant la Cour, sous le couvert de la Commission. Or, l'article 44 (art. 44) de la Convention prescrit que "seules les Hautes Parties Contractantes et la Commission ont qualité pour se présenter devant la Cour".
Ainsi libellé, cet article implique un sens plus profond. Il signifie que la Cour n'est pas instituée pour trancher un différend entre le requérant et l'État auquel il reproche d'avoir violé en sa personne les obligations assumées en vertu de la Convention. Il signifie que la Cour agit en organe de haute surveillance, afin d'assurer l'ordre européen tel qu'il est institué par la Convention. (Voir Statut du Conseil de l'Europe, article 1er, (b).)
Telle étant l'idée que la Convention se fait de la tâche dévolue à la Cour, il est naturel que la comparution du requérant devant ce tribunal soit exclue. Si le droit de comparaître devant la Cour était accordé au requérant, il est évident que la procédure qui se déroulerait devant la Cour risquerait de dégénérer en un simple procès entre le requérant et l'État incriminé, alors que, dans l'esprit de la Convention, la Cour est instituée, non pas pour statuer sur des différends, mais "afin d'assurer le respect des engagements résultant de la présente Convention" (article 19) (art. 19).
C'est ainsi seulement que s'explique et se justifie la disposition de l'article 31, alinéa 2 (art. 31-2) de la Convention, d'après laquelle le rapport de la Commission n'est communiqué qu'aux États intéressés. Le requérant est bien la personne qui prétend avoir été lésée par l'État, mais son allégation ne fait que donner l'occasion - et il n'en saurait être autrement - d'examiner si l'État respecte ou non les obligations découlant de la Convention. Ainsi s'explique aussi la disposition de l'alinéa 2 du même article 31 (art. 31-2), selon laquelle les États n'ont pas la faculté de publier le rapport qui leur est communiqué, ainsi que la disposition de l'alinéa 3 de l'article 32 (art. 32-3), d'après laquelle la publication du rapport est interdite même au Comité des Ministres.
Mais, si ni les États auxquels le rapport est communiqué ni le Comité des Ministres n'ont la faculté de publier le rapport, à plus forte raison la Commission n'est-elle pas en droit de le faire. Or, en substance, c'est publier le rapport que de le communiquer au requérant comme le prévoit l'article 76 du Règlement de la Commission.
La disposition de la Convention qui interdit la publication du rapport répond à un objet important. Lorsqu'un État est accusé d'avoir enfreint les obligations qu'il a assumées en vertu de la Convention, le prestige de cet État s'en trouve atteint. Les auteurs de la Convention ont estimé nécessaire de sauvegarder le prestige de l'État pendant la durée de la procédure. Aussi ont-ils interdit la publication du rapport, qui contient les opinions des membres (article 31) (art. 31) et ne fait que préparer l'appréciation définitive que la Convention réserve à la Cour et, le cas échéant, au Comité des Ministres.
L'unité de la procédure est un principe général qui s'applique à toute procédure. En vertu de ce principe, la valeur à donner aux observations du requérant sur le rapport de la Commission appartient exclusivement à la Cour.
Or, la disposition de l'article 76 du Règlement de la Commission selon laquelle la Commission décide de la suite à donner aux observations du requérant est contraire à ce principe puisqu'elle confère à la Commission un pouvoir discrétionnaire incompatible avec les pouvoirs qui incombent à la Cour, seule souveraine de l'affaire.
Par les motifs qui précèdent, l'article 76 du Règlement de la, Commission contrevient à la Convention.
Toutefois, de ce que la Commission ne possède pas le pouvoir de communiquer le rapport au requérant, il ne s'ensuit pas que ce dernier ne doit pas en prendre connaissance au cours de la procédure contentieuse.
Du moment que le requérant accuse un des États contractants de la Convention d'avoir violé les obligations qui en découlent pour cet État, il est conforme à l'équité et aux principes généraux du droit qu'aucun moyen lui permettant de prendre connaissance du rapport ne lui soit dénié. Or, ce moyen ne peut être que celui par lequel le Greffier de la Cour inviterait le requérant à lire le rapport en sa présence. Et, au cas ou le requérant demanderait à formuler des observations, il appartient à la Cour, et à elle seule, de déterminer les formes dans lesquelles ces observations devront lui être présentées.
Cette manière de voir ne procède pas d'une interprétation de la Convention faite in abstracto. Elle n'a pas davantage pour effet d'aboutir à une annulation, prononcée par cette Cour, de l'article 76 du Règlement de la Commission. Les conclusions de la Commission, aussi bien que celles introduites par le Gouvernement irlandais, invoquent toutes les deux l'article 76 du susdit Règlement. Mais on ne peut apprécier le bien-fondé de ces conclusions sans rechercher si l'article 76 est conforme à la Convention ou s'il y contrevient. Et il est évident que cette question ne peut être tranchée que par l'interprétation du texte de la Convention.
Il est vrai que la Cour n'a point le pouvoir de déclarer nul et non avenu la disposition de l'article 76 du Règlement de la Commission. Mais il est également hors de doute qu'elle a le pouvoir en même temps que le devoir de refuser d'appliquer toute disposition de ce Règlement qui, dans l'opinion de la Cour, est contraire à la internes, fait un devoir au juge de ne point appliquer la disposition légale qui se trouve en contradiction avec la Constitution ou celle, simplement réglementaire, qui contrevient à une loi formelle.
En procédant, dans ce but, à l'interprétation de la Convention, il est clair que la Cour n'émet point un avis consultatif détachable du jugement du litige qui lui a été déféré: elle étaye purement et simplement sur l'interprétation de la Convention le raisonnement sur lequel elle fonde la solution proprement dite du litige et des questions préliminaires ou incidentes, ce qui est l'objet même de sa juridiction aux termes de l'article 45 (art. 45).
ARRÊT LAWLESS c. IRELANDE (No.1)
ARRÊT LAWLESS c. IRELANDE (No.1) 
ARRÊT LAWLESS c. IRELANDE (No.1)
ARRÊT LAWLESS c. IRELANDE (No.1)
ARRÊT LAWLESS c. IRELANDE (No.1)
OPINION DISSIDENTE DE M. G. MARIDAKIS
ARRÊT LAWLESS c. IRELANDE (No.1)
OPINION DISSIDENTE DE M. G. MARIDAKIS


Synthèse
Formation : Cour (chambre)
Numéro d'arrêt : 332/57
Date de la décision : 14/11/1960
Type d'affaire : Arrêt (Question de procédure)
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (incompatibilité) ; Questions de procédure rejetées

Parties
Demandeurs : LAWLESS
Défendeurs : IRLANDE (N° 1)

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1960-11-14;332.57 ?

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