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09/07/2025 | CJUE | N°T-188/24

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Compagnie générale des établissements Michelin contre Commission européenne., 09/07/2025, T-188/24


 ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

9 juillet 2025 ( *1 )

« Concurrence – Ententes – Procédure administrative – Décision ordonnant une inspection – Article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003 – Objet et but de l’inspection – Obligation de motivation – Indices suffisamment sérieux – Protection de la vie privée – Contrôle juridictionnel »

Dans l’affaire T‑188/24,

Compagnie générale des établissements Michelin, établie à Clermont-Ferrand (France), représentée par Mes E. Sarrazin, J. Br

ousseau et J.-P. Gunther, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. T. Baumé, N. Cam...

 ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

9 juillet 2025 ( *1 )

« Concurrence – Ententes – Procédure administrative – Décision ordonnant une inspection – Article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003 – Objet et but de l’inspection – Obligation de motivation – Indices suffisamment sérieux – Protection de la vie privée – Contrôle juridictionnel »

Dans l’affaire T‑188/24,

Compagnie générale des établissements Michelin, établie à Clermont-Ferrand (France), représentée par Mes E. Sarrazin, J. Brousseau et J.-P. Gunther, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. T. Baumé, N. Cambien et M. Domecq, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mmes A. Marcoulli, présidente, V. Tomljenović et L. Spangsberg Grønfeldt (rapporteure), juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

– la requête déposée au greffe du Tribunal le 8 avril 2024,

– les premières mesures d’organisation de la procédure du 16 décembre 2024 et les réponses de la requérante et de la Commission, déposées au greffe du Tribunal, respectivement, le 16 et le 20 janvier 2025,

– les secondes mesures d’organisation de la procédure du 4 février 2025 et les réponses de la requérante et de la Commission, déposées au greffe du Tribunal, respectivement, le 21 et le 19 février 2025,

à la suite de l’audience du 5 mars 2025,

rend le présent

Arrêt

1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Compagnie générale des établissements Michelin, demande l’annulation de la décision C(2024) 243 final de la Commission, du 10 janvier 2024, lui ordonnant, ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil (affaire AT.40863 – Hoops) (ci-après la « décision attaquée »).

I. Antécédents du litige

2 La requérante est active, notamment, dans la fabrication ainsi que dans la vente de pneus pour les voitures et les camions dans l’Espace économique européen (EEE) et dans le monde entier.

3 Le 10 janvier 2024, dans le cadre d’une enquête ouverte d’office, la Commission européenne a adopté la décision attaquée qui ordonnait à la requérante de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).

4 L’article 1er de la décision attaquée est ainsi libellé :

« [La requérante est tenue] de se soumettre à une inspection concernant [son] éventuelle participation à des accords ou des pratiques contraires à l’article 101 [TFUE] et [à] l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen. Les accords et/ou pratiques concertées suspectés [auraient] trait à la coordination entre les principaux fabricants de pneus des prix (notamment des prix de gros) pour les pneus neufs de remplacement pour les voitures et les camions dans l’EEE. Les accords et/ou
pratiques concertées suspectés inclu[eraient] l’utilisation intentionnelle des communications publiques des entreprises pour s’informer mutuellement de leurs futures intentions et stratégies tarifaires respectives afin d’influencer leurs politiques respectives de prix. Cette inspection peut avoir lieu dans n’importe quel local de [la requérante], et en particulier dans les locaux sis [en] France. »

5 À l’article 2, paragraphe 2, de la décision attaquée, la Commission rappelle le pouvoir de saisie documentaire conféré à ses inspecteurs lors du déroulement de l’inspection. L’article 3 de la décision attaquée précise que l’inspection peut débuter le 30 janvier 2024 ou peu après.

6 La motivation pertinente de la décision attaquée est mentionnée dans les considérants suivants :

« (2) La Commission dispose d’informations suggérant que les principaux fabricants de pneus dans l’EEE, dont [la requérante], [auraient] participé et pourraient encore participer à des accords anticoncurrentiels et/ou des pratiques concertées quant à la coordination des prix (notamment des prix de gros) des pneus neufs de remplacement pour les voitures et les camions vendus dans l’EEE.

(3) En particulier, selon les informations dont dispose la Commission, les fabricants de pneus, dont [la requérante], auraient échangé des informations commercialement sensibles (y compris par des canaux publics accessibles à tous), sur leurs intentions et stratégies tarifaires respectives de façon à influencer leurs politiques respectives de prix.

(4) Ce comportement aurait commencé au moins en [année mentionnée], mais il ne [pourrait] être exclu qu’il aurait commencé plus tôt, et serait toujours en cours [(ci-après la « période principale »)]. Des éléments indique[raient] une coordination préalable concernant ces produits au moins [au cours d’une période antérieure] [(ci-après la « période antérieure », laquelle précède de plusieurs années la période principale)].

(5) Les preuves en possession de la Commission indique[raient] que [l]e comportement concerne les pneus neufs de remplacement pour les voitures et les camions en vente dans l’EEE.

[...]

(8) [...] Dans chaque entreprise, les dirigeants et un nombre restreint de personnels de confiance, dont ceux qui aident à la préparation en interne des déclarations publiques de l’entreprise, [seraient] susceptibles d’avoir une connaissance claire de l’existence des accords de coordination suspectés et de leur objet, motifs et fonctionnement exacts. [...] Étant donné que les accords restrictifs et pratiques concertées sont des atteintes au droit de la concurrence de l’UE, pouvant donner lieu à
des sanctions pécuniaires, il y a un risque que, si des informations ont été collectées par demande de renseignements ou si l’inspection a été annoncée au préalable, les informations pertinentes soient compromises ou détruites. Cela s’applique[rait] aux informations concernant les soupçons de coordination de comportement futur sur les marchés en ce qui concerne les prix (notamment des prix de gros) des produits concernés de même que les soupçons sur le choix des fabricants de signaler par des
moyens publics aux concurrents les futures politiques tarifaires. »

7 Le 30 janvier 2024, des inspecteurs de la Commission, accompagnés de représentants de l’Autorité de la concurrence (France), se sont rendus dans les locaux de la requérante afin de lui notifier la décision attaquée et de procéder à l’inspection. Dans ce cadre, la Commission a procédé à une visite des bureaux, à une collecte de matériel (ordinateurs portables, téléphones mobiles, tablettes, périphériques de stockage), à l’audition de plusieurs personnes et à la copie du contenu du matériel
collecté.

8 Le 2 février 2024, l’inspection a été suspendue.

9 Après la suspension de l’inspection, la requérante a adressé à la Commission un document daté du 2 février 2024, dans lequel elle formulait des réserves quant au contenu de la décision attaquée et au déroulement de l’inspection, contestant tant le champ matériel et temporel de l’infraction soupçonnée que certaines demandes faites par les inspecteurs de la Commission lors de l’inspection.

10 Le 4 mars 2024, l’inspection a été reprise dans les locaux de la Commission à Bruxelles (Belgique). Elle s’est terminée le 7 mars 2024.

II. Conclusions des parties

11 La requérante conclut, en substance, dans le dernier état de ses écritures, à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée ;

– condamner la Commission aux dépens.

12 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

13 À titre liminaire, sur le plan procédural, il y a lieu de relever que, au stade du mémoire en défense, la Commission a communiqué des explications et des éléments matériels afin de permettre au Tribunal de déterminer si elle possédait des indices suffisamment sérieux pour soupçonner une infraction aux règles de concurrence et ainsi justifier sa décision de faire usage de ses pouvoirs d’inspection dans les locaux de la requérante.

14 À la suite de cette communication, le Tribunal a adopté deux séries de mesures d’organisation de la procédure afin, d’une part, de recueillir les observations de la requérante sur ces explications et ces éléments et, d’autre part, d’obtenir des précisions de la part de la Commission sur certaines affirmations faites dans la décision attaquée.

15 Au titre des premières mesures d’organisation de la procédure, la requérante a eu la possibilité d’adapter par écrit l’argumentation présentée dans la requête en considération des développements dont elle aurait pris connaissance à la lecture du mémoire en défense et de ses annexes. Au titre des secondes mesures d’organisation de la procédure, la requérante a eu la possibilité de se prononcer par écrit sur les explications et les éléments matériels présentés par la Commission en réponse aux
premières mesures d’organisation de la procédure. L’audience a aussi permis à la requérante de se prononcer sur les observations présentées par la Commission, au titre des secondes mesures d’organisation de la procédure, sur les réponses que la requérante avait données aux premières mesures d’organisation de la procédure.

16 Ainsi, c’est en considération des explications et des éléments matériels communiqués par la Commission, dont le contenu sera exposé par la suite lors de l’examen de leur qualification d’indices suffisamment sérieux pour justifier une décision ordonnant de se soumettre à une inspection, qu’il convient d’examiner la demande d’annulation de la décision attaquée.

17 À l’appui de la demande d’annulation, la requérante invoque deux moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 296 TFUE et de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, au motif que la décision attaquée est insuffisamment motivée, et, le second, d’une méconnaissance du droit fondamental au respect de son domicile et de ses communications, également dénommé « droit à l’inviolabilité du domicile » ou « droit à la vie privée », au motif que la décision attaquée serait arbitraire
et disproportionnée.

18 À cet égard, il convient de relever que, si l’acte attaqué par le présent recours est bien la décision ordonnant l’inspection en cause et si tous les moyens soulevés par la requérante visent exclusivement l’annulation de cette décision, certaines remarques et certains arguments qu’elle a formulés dans le cadre de la phase écrite de la procédure se rapportent au déroulement de l’inspection à laquelle la Commission a procédé en exécution de la décision attaquée.

19 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la façon dont une décision ordonnant une inspection a été appliquée est sans incidence sur la légalité de cette décision et qu’une entreprise ne saurait donc se prévaloir de l’illégalité dont serait entaché le déroulement de procédures de vérification au soutien de conclusions en annulation dirigées contre l’acte sur le fondement duquel la Commission a procédé à cette vérification (voir arrêt du 20 juin 2018, České
dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 22 et jurisprudence citée ; voir également, à ce propos, conclusions de l’avocat général Pitruzzella dans l’affaire Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission, C‑682/20 P, EU:C:2022:578, points 67 et 68).

20 Cela étant, dans la mesure où la requérante ne prétend pas que le déroulement de l’inspection lui-même constitue la raison pour laquelle la décision attaquée serait insuffisamment motivée ou sa sphère privée aurait été violée de manière illicite, il y a lieu de considérer que la requérante n’a attiré l’attention sur le déroulement de l’inspection qu’afin d’illustrer les défauts de clarté ou de précision allégués quant à la motivation ou l’ampleur de l’ingérence autorisée par une décision lui
ordonnant de se soumettre à une inspection (voir, par analogie, arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, points 23 et 24).

21 Dès lors, c’est sous cet angle qu’il convient d’apprécier les remarques et arguments en cause lors de l’examen des moyens d’annulation de la décision attaquée.

A. Sur le premier moyen, tiré d’une insuffisance de motivation

22 La requérante soutient que la décision attaquée ne satisfait pas à l’obligation de motivation en raison de son contenu excessivement succinct, générique, vague et ambigu. La motivation de la décision attaquée serait imprécise et extensive en raison de l’emploi des termes « et/ou », « notamment », « y compris » et « au moins ». De ce fait, les champs matériel et temporel de l’infraction soupçonnée seraient équivoques, injustifiés ou déraisonnables, ce qui aurait eu pour conséquence d’empêcher la
requérante de comprendre clairement ce qui lui était reproché et, partant, l’aurait privée de la possibilité de protéger pleinement ses droits.

23 La Commission conteste les arguments de la requérante.

1.   Observations liminaires

24 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la motivation des actes des institutions de l’Union européenne exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de son auteur, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P,
EU:C:2014:2030, point 31 et jurisprudence citée).

25 L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que son destinataire peut avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé,
mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 32 et jurisprudence citée).

26 Il convient également de tenir compte du cadre juridique dans lequel se déroulent les inspections de la Commission. L’article 4 et l’article 20, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 confèrent en effet des pouvoirs d’inspection à la Commission dans le but de lui permettre d’accomplir sa mission de protéger le marché intérieur des distorsions de concurrence et de sanctionner d’éventuelles infractions aux règles de concurrence dans ce marché (voir arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans
France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 33 et jurisprudence citée).

27 Ainsi, en ce qui concerne plus particulièrement les décisions d’inspection de la Commission, il ressort de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 que celles-ci doivent indiquer, notamment, l’objet et le but de l’inspection. Cette obligation de motivation spécifique constitue, ainsi que la Cour l’a précisé, une exigence fondamentale visant non seulement à faire apparaître le caractère justifié de l’intervention envisagée à l’intérieur des entreprises concernées, mais aussi à mettre
celles-ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant leurs droits de défense (voir arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 34 et jurisprudence citée).

28 À cet égard, il convient de rappeler que la Commission n’est pas tenue de communiquer au destinataire d’une décision d’inspection toutes les informations dont elle dispose relatives à des infractions soupçonnées ni de procéder à une qualification juridique rigoureuse de ces infractions, pour autant qu’elle indique clairement les soupçons qu’elle entend vérifier (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 35 et jurisprudence
citée).

29 S’il incombe, certes, à la Commission d’indiquer avec autant de précision que possible ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter la vérification, il n’est en revanche pas indispensable de faire apparaître dans une décision d’inspection une délimitation précise du marché en cause, ni la qualification juridique exacte des infractions soupçonnées ou l’indication de la période au cours de laquelle ces infractions auraient été commises, à condition que cette décision d’inspection
contienne les éléments essentiels exposés aux points 24 à 28 ci-dessus (voir arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 36 et jurisprudence citée).

30 En effet, compte tenu du fait que les inspections interviennent au début de l’enquête, la Commission ne dispose généralement pas encore d’informations précises pour émettre un avis juridique spécifique et doit d’abord vérifier le bien-fondé de ses soupçons ainsi que la portée des faits survenus, le but de l’inspection étant précisément de recueillir des preuves relatives à une infraction soupçonnée (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P,
EU:C:2014:2030, point 37 et jurisprudence citée).

2.   Sur le grief pris d’une motivation succincte ou générique

31 En l’espèce, il importe de relever que la décision attaquée comporte une motivation spécifique relative à l’objet et au but de l’inspection qui, conformément à la jurisprudence mentionnée aux points 24 à 30 ci-dessus, a pour objectif de faire apparaître le caractère justifié de l’intervention envisagée dans les locaux de la requérante et de mettre celle-ci en mesure de saisir la portée de son devoir de collaboration tout en préservant ses droits de la défense. Ladite motivation entend ainsi
répondre à l’obligation qui incombe à la Commission d’exposer clairement les soupçons qu’elle entend vérifier et d’indiquer, avec autant de précision que possible, ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter la vérification, sans pour autant que celle-ci soit tenue de communiquer à la requérante toutes les informations dont elle dispose lors de la notification de la décision d’inspection ou de procéder, dans cette décision, à une qualification juridique rigoureuse d’une
infraction qui n’est encore que soupçonnée et nullement établie.

32 À cet égard, il ressort de l’article 1er de la décision attaquée, qui expose l’objet et le but de l’inspection, que les soupçons de la Commission portent sur l’éventuelle participation de la requérante à des accords ou des pratiques contraires à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE qui auraient trait à « la coordination entre les principaux fabricants de pneus des prix (notamment des prix de gros) pour les pneus neufs de remplacement pour les voitures et les camions dans l’EEE »
(ci-après la « coordination soupçonnée »).

33 La motivation contenue dans la décision attaquée fournit également plusieurs précisions qui permettent de mieux cerner la coordination soupçonnée par la Commission, laquelle concernerait « notamment des prix de gros » (article 1er et considérant 2 de la décision attaquée), inclurait « l’utilisation intentionnelle des communications publiques des entreprises pour s’informer mutuellement de leurs futures intentions et stratégies tarifaires respectives afin d’influencer leurs politiques respectives
de prix » (article 1er de la décision attaquée) et aurait donné lieu, en particulier, à des « échang[es d’]informations commercialement sensibles [entre fabricants de pneus] (y compris par des canaux publics accessibles à tous), sur leurs intentions et stratégies tarifaires respectives de façon à influencer leurs politiques respectives de prix » (considérant 3 de la décision attaquée).

34 Contrairement à ce qu’affirme la requérante, une telle motivation ne peut être considérée comme succincte ou générique, dès lors qu’elle expose les soupçons que la Commission entendait vérifier lors de l’inspection quant à la coordination soupçonnée et indique ce qui était recherché ainsi que les éléments sur lesquels devait porter la vérification.

3.   Sur le grief pris d’une motivation vague, ambigüe, imprécise ou extensive et ses conséquences sur la compréhension de ce qui est reproché

35 En ce qui concerne la question de savoir si la motivation de la décision attaquée est claire et aussi précise que possible, il convient au stade de l’examen de la motivation de s’assurer que la description de la coordination soupçonnée qui y est faite par la Commission ne comporte pas d’imprécisions ou d’ambiguïtés telles que la requérante ne puisse saisir la portée de son devoir de collaboration et préserver en même temps ses droits de la défense au sens de la jurisprudence mentionnée aux
points 24 à 30 ci-dessus.

36 À cet égard, l’utilisation de la proposition alternative « et/ou » dans la description de la forme prise par la coordination soupçonnée, celle-ci pouvant, selon la Commission, avoir eu lieu aussi bien au moyen d’accords entre entreprises qu’au moyen de pratiques concertées, n’emporte pas de conséquence particulière pour la requérante. En l’espèce, en effet, la qualification juridique exacte de la coordination soupçonnée d’accord entre entreprises ou de pratique concertée dépend d’une appréciation
qui ne peut être exigée au moment de la rédaction de la décision d’inspection (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, points 36 et 37). En outre et en tout état de cause, le résultat de cette qualification n’apparaît pas en l’espèce de nature à modifier la portée du devoir de collaboration de la requérante ou l’étendue de ses droits de la défense lors de l’inspection. Interrogée sur ce point lors de l’audience, la requérante n’a
ainsi pas été à même d’identifier une telle conséquence pour ce qui la concernait dans la présente affaire.

37 Quant à l’emploi des termes « notamment » ou « y compris » pour décrire les soupçons de la Commission, leur usage facilite la compréhension des indications dont ils font partie, à savoir « notamment des prix de gros » et « y compris par des canaux publics accessibles à tous », en permettant à la requérante de mieux cerner ce qui lui est reproché au moment où il lui est ordonné de se soumettre à une inspection.

38 D’une part, ces indications illustrent le contenu de la coordination soupçonnée. Ainsi, les soupçons de la Commission portent sur une infraction aux règles de concurrence qui consisterait en la coordination des prix des pneus neufs de remplacement pour les voitures et les camions vendus dans l’EEE. En signalant que la coordination soupçonnée porte « notamment » – c’est-à-dire d’une manière qui mérite d’être notée – sur les prix de gros, la Commission fournit une précision sur ce qui est reproché
à la requérante. De même, en soulignant que la coordination des prix des principaux fabricants de pneus, dont la requérante, serait intervenue au moyen d’un échange d’informations commercialement sensibles sur leurs intentions et stratégies tarifaires respectives qui comprendrait – ce qui est la signification de « y compris » – des échanges effectués sur des canaux publics accessibles à tous ou inclurait l’utilisation intentionnelle des communications publiques des entreprises, la Commission
explicite la coordination soupçonnée.

39 D’autre part, l’emploi des termes « notamment » ou « y compris » permet de comprendre que les informations dont dispose la Commission ne concernent pas que les éléments qui suivent ces indications. Les soupçons de la Commission portent ainsi plus largement sur la coordination par les fabricants des prix, et pas seulement des prix de gros, des pneus neufs de remplacement pour les voitures et les camions dans l’EEE et impliquent que d’autres moyens que les canaux publics accessibles à tous aient pu
être utilisés pour procéder aux échanges d’informations commercialement sensibles sur les intentions et stratégies tarifaires respectives de ces fabricants.

40 L’emploi des termes « notamment » ou « y compris » permet de considérer que les illustrations fournies ne constituent pas des indications exhaustives du champ matériel de l’infraction soupçonnée.

41 Quant à l’emploi des termes « au moins » pour définir la dimension temporelle de la coordination soupçonnée, il ressort de la première phrase du considérant 4 de la décision attaquée que cette coordination aurait commencé « au moins » au cours d’une période principale, qu’il ne pourrait être exclu qu’elle aurait commencé plus tôt et qu’elle serait toujours en cours au moment de l’adoption de la décision attaquée. Il ressort également de la seconde phrase de ce considérant que des éléments
indiqueraient une coordination préalable concernant les pneus neufs de remplacement pour les voitures et les camions vendus dans l’EEE « au moins » au cours d’une période antérieure.

42 En l’espèce, il convient de relever que, en décidant de sa propre initiative de fournir certaines indications sur la dimension temporelle de la coordination soupçonnée, la Commission a considéré qu’il était nécessaire de mentionner ces informations dans la décision attaquée afin que la requérante soit en mesure de saisir la portée de son devoir de collaboration et de préserver ses droits de la défense lors de l’inspection. Ces indications font ainsi partie de la motivation et permettent, en tant
que telles, de déterminer les éléments sur lesquels devait porter la vérification.

43 Ainsi, il y a lieu de constater que la motivation exposée au point 41 ci-dessus permet à la requérante de saisir la portée de la décision attaquée et au Tribunal d’exercer son contrôle. En effet, cette motivation mentionne, d’une part, que la coordination soupçonnée « aurait commencé au moins » au cours de la période principale, sans qu’il puisse être exclu qu’elle « aurait commencé plus tôt » et qu’elle « serait toujours en cours », et, d’autre part, que des éléments indiqueraient une
coordination préalable « au moins » au cours de la période antérieure. Ladite motivation permet également de comprendre – ce que la Commission confirme devant le Tribunal – soit que l’infraction soupçonnée pourrait avoir duré longtemps, c’est-à-dire du début de la période antérieure à la fin de la période principale mentionnées dans la décision attaquée, soit que l’infraction soupçonnée aurait commencé au moins lors de la période antérieure et aurait recommencé au moins lors de la période
principale et qu’il conviendrait alors dans ce cas de vérifier si elle avait été continuée ou répétée, y compris lors de la période intermédiaire qui séparait la période antérieure de la période principale mentionnées dans la décision attaquée.

44 De telles significations, que la requérante pouvait comprendre, permettent de considérer que celle-ci ne s’est pas trouvée dans une situation où elle aurait été empêchée de comprendre clairement les soupçons de la Commission et, partant, aurait été privée de la possibilité de protéger pleinement ses droits de la défense à la suite de la notification de la décision attaquée.

45 À cet égard, il importe de relever, comme le fait la Commission, que cette motivation a permis à la requérante d’alléguer qu’il n’était pas fait état du moindre indice en ce qui concernait la période qui séparait les deux périodes mentionnées dans la décision attaquée.

46 De même, plus largement, l’argumentation de la requérante concernant le caractère équivoque, injustifié ou déraisonnable de la motivation relative aux champs matériel et temporel de l’infraction soupçonnée ne fait pas réellement état d’un problème de compréhension, mais repose plutôt, en substance, sur l’idée que les indications fournies par la Commission dans la décision attaquée quant au contenu de ses soupçons ne seraient pas étayées par des indices suffisamment sérieux.

47 De telles questions, qui ne concernent pas l’existence d’une motivation en tant que telle, mais l’existence d’indices à même de justifier les soupçons dont il est fait état, seront examinées par la suite au titre du second moyen en considération des explications et des éléments matériels communiqués par la Commission afin de permettre le contrôle juridictionnel d’une décision de nature administrative qui ordonne à son destinataire de se soumettre à une inspection pour les raisons qui sont
exposées dans cette décision.

48 Il ressort de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le premier moyen comme non fondé, dès lors que la motivation de la décision attaquée permet, conformément à l’article 296 TFUE, à la requérante de connaître les justifications de la mesure prise et au Tribunal d’exercer son contrôle. Cette motivation indique également, conformément à l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, l’objet et le but de l’inspection d’une manière suffisante pour faire apparaître le caractère justifié de
l’intervention envisagée dans les locaux de la requérante et la mettre en mesure de saisir la portée de son devoir de collaboration tout en préservant ses droits de la défense.

B. Sur le second moyen, tiré d’une violation du droit au respect du domicile et des communications de la requérante

49 La requérante fait valoir que la décision attaquée ne respecte pas le droit au respect de son domicile et de ses communications, également dénommé « droit fondamental à l’inviolabilité du domicile ». Ce moyen s’articule en deux branches. D’une part, la décision attaquée serait arbitraire parce que la Commission ne disposerait pas d’indices suffisamment sérieux pour lui permettre de soupçonner l’implication de la requérante dans une infraction au droit de la concurrence. D’autre part, la décision
attaquée constituerait une ingérence disproportionnée dans son fonctionnement et ses performances. Au préalable, la requérante fait valoir en substance que, compte tenu de la similitude entre un exemple tiré des lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 [TFUE] aux accords de coopération horizontale (JO 2023, C 259, p. 1, ci-après les « lignes directrices de 2023 ») et la coordination soupçonnée, la présente affaire n’aurait pour seul objectif que de donner corps au cas théorique
mentionné par cet exemple sans qu’il soit tenu compte des particularités de la situation examinée.

1.   Observations liminaires

50 Il y a lieu de constater qu’une personne morale peut se prévaloir, tout comme une personne physique, du droit fondamental à l’inviolabilité du domicile, qui s’inscrit dans le contexte de la protection de la vie privée.

51 En effet, il convient de rappeler que l’exigence d’une protection contre des interventions de la puissance publique dans la sphère d’activité privée d’une personne, qu’elle soit physique ou morale, lorsqu’elles sont arbitraires ou disproportionnées, constitue un principe général du droit de l’Union (voir arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 34 et jurisprudence citée ; arrêt confirmé sur pourvoi par l’arrêt du 30 janvier 2020, České dráhy/Commission,
C‑538/18 P et C‑539/18 P, non publié, EU:C:2020:53).

52 Il y a également lieu de relever que le droit fondamental à l’inviolabilité du domicile constitue un principe général du droit de l’Union, qui est exprimé à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), lequel correspond à l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (voir arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, point 19 et
jurisprudence citée).

53 Ainsi, selon l’article 7 de la Charte, toute personne a droit au respect de son domicile et de ses communications. L’article 52, paragraphe 1, de la Charte précise à cet égard que toute limitation de l’exercice de ce droit doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel de celui-ci ainsi que le principe de proportionnalité, selon lequel des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par
l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

54 De même, selon l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit au respect de son domicile et de sa correspondance et il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui est nécessaire dans une société démocratique.

55 En pratique, afin de protéger la sphère d’activité d’une personne morale contre les interventions arbitraires ou disproportionnées de la puissance publique et de respecter le droit fondamental à l’inviolabilité du domicile, à savoir le droit d’une personne morale au respect de son domicile et de ses communications, d’une part, il y a lieu de rappeler qu’une décision ordonnant une inspection doit viser à recueillir la documentation nécessaire pour vérifier la réalité et la portée de situations de
fait et de droit déterminées à propos desquelles la Commission dispose déjà d’informations, constituant des indices suffisamment sérieux permettant de soupçonner une infraction aux règles de concurrence (voir arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 35 et jurisprudence citée).

56 En d’autres termes, la possession d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence constitue une condition sine qua non pour que la Commission puisse ordonner une inspection en vertu de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 (arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 36).

57 D’autre part, toujours dans le respect des principes mentionnés aux points 51 à 56 ci-dessus, il convient de relever que les termes d’une décision ordonnant une inspection ne doivent pas excéder la portée de l’infraction qui peut être suspectée sur le fondement de tels indices (arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 37).

58 En effet, dans la mesure où la motivation d’une décision ordonnant une inspection circonscrit le champ des pouvoirs conférés aux agents de la Commission, seuls les documents relevant de l’objet de l’inspection peuvent être recherchés (arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, point 60). Le principe général mentionné au point 51 ci-dessus s’oppose ainsi à des formulations, dans une décision ordonnant une inspection, qui élargiraient ce champ au-delà de ce qui
découle des indices suffisamment sérieux dont la Commission dispose à la date d’adoption d’une telle décision (voir arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 41 et jurisprudence citée).

59 C’est dans ce contexte qu’il y a lieu d’apprécier l’argumentation de la requérante sur le caractère arbitraire ou disproportionné de la décision attaquée au regard du droit au respect de son domicile et de ses communications.

2.   Sur la similitude entre un exemple évoqué dans les lignes directrices de 2023 et la coordination soupçonnée

60 La requérante s’interroge sur la motivation, la nécessité ou la proportionnalité de la décision attaquée, dans la mesure où celle-ci semble avoir pour objet de faire application d’un exemple dépourvu de fondement jurisprudentiel et non soumis à consultation publique. Ainsi, peu avant l’inspection, la Commission aurait donné l’exemple d’un nouveau cas d’infraction aux règles de concurrence dans les lignes directrices de 2023. Cet exemple n’aurait pas été inclus dans le projet de lignes directrices
soumis à la consultation publique et ne comporterait aucune référence à la jurisprudence ni à la pratique décisionnelle. La similitude entre cet exemple et la décision attaquée, qui ferait en substance référence à des informations relatives aux transcriptions desearnings calls (conférences téléphoniques sur les résultats), aux annonces publiques unilatérales d’augmentation des prix et à une prétendue discipline du secteur pour maintenir les marges, serait dès lors surprenante.

61 La Commission fait valoir que, même si la similitude évoquée existait, la requérante n’explique pas en quoi cela rendrait la décision attaquée arbitraire et disproportionnée.

62 En l’espèce, il importe tout d’abord de relever que, dans sa présentation des explications et des éléments matériels permettant de justifier la décision attaquée, la Commission a commencé par faire valoir que, selon son appréciation, les déclarations publiques d’entreprises pouvaient faciliter une coordination et compléter, voire remplacer, les communications secrètes afin de mettre en œuvre des collusions anticoncurrentielles. Afin d’envisager une telle hypothèse, la Commission a rappelé avoir
présenté un exemple relatif aux « annonces publiques unilatérales » dans la partie relative à la compatibilité des échanges d’informations de ses lignes directrices de 2023. Cet exemple, qui correspond à l’exemple 4 du point 432 des lignes directrices de 2023, est le suivant :

« Situation : La [présidente-directrice générale (PDG)] d’un grand producteur d’un produit homogène évoque publiquement, lors d’un appel téléphonique régulier sur les gains, la nécessité de réagir aux récentes augmentations des prix des matières premières et de remédier aux marges bénéficiaires actuelles excessivement faibles en augmentant les prix à l’échelle du secteur. Elle indique qu’elle s’alignerait sur toute augmentation de prix que les concurrents annonceraient sur le marché. Elle se dit
également convaincue que le secteur est “suffisamment discipliné” pour savoir ce qu’il faut faire aujourd’hui pour “rétablir les marges”. Après tout, dit-elle, le secteur a réussi à appliquer des augmentations de prix il y a dix ans, lorsqu’il s’est trouvé dans une situation similaire.

Analyse : Les déclarations de la PDG lors de la conférence téléphonique sur les gains peuvent être interprétées comme une invitation unilatérale à la collusion. Le fait que l’annonce ait lieu en public n’exclut pas en soi qu’elle puisse constituer une pratique concertée au sens de l’article 101, paragraphe 1[, TFUE]. Les déclarations peuvent constituer un point focal potentiel pour la coordination entre les concurrents. Si, par exemple, d’autres concurrents font des déclarations simultanées ou
montrent dans leur comportement sur le marché qu’ils ont tenu compte de l’invitation à la collusion pour déterminer leur propre ligne d’action future sur le marché, et, selon le contexte juridique et économique, le comportement peut constituer une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1[, TFUE]. Les autres concurrents peuvent limiter ce risque en prenant publiquement leurs distances vis-à-vis des annonces ou en signalant ces dernières aux autorités
publiques. »

63 De même, il y a lieu de constater que, dans la décision attaquée, la Commission a fait état de soupçons relatifs à une pratique contraire à l’article 101 TFUE qui aurait trait à « la coordination entre les principaux fabricants de pneus des prix [...] pour les pneus neufs de remplacement pour les voitures et les camions dans l’EEE », qui inclurait « l’utilisation intentionnelle des communications publiques des entreprises pour s’informer mutuellement de leurs futures intentions et stratégies
tarifaires respectives afin d’influencer leurs politiques respectives de prix » et qui aurait donné lieu, en particulier, à des « échang[es d’]informations commercialement sensibles [entre fabricants de pneus] (y compris par des canaux publics accessibles à tous), sur [ces] intentions et stratégies ».

64 Néanmoins, pour autant qu’il existe une certaine similitude entre la situation évoquée dans l’exemple 4 du point 432 des lignes directrices de 2023 et la coordination soupçonnée, cette similitude ne saurait en tant que telle permettre de conclure que la décision attaquée, dont il a déjà été indiqué à l’issue de l’examen du premier moyen qu’elle satisfaisait à l’obligation de motivation, était de ce fait arbitraire ou disproportionnée.

65 D’une part, en effet, de manière générale, il y a lieu de rappeler que la Commission dispose, en tant qu’institution responsable de la mise en œuvre de la politique de concurrence, de la possibilité de fournir, dans des lignes directrices, des orientations sur son interprétation de la conformité avec le droit de la concurrence de comportements qui n’ont pas encore été sanctionnés.

66 D’autre part, en ce qui concerne plus particulièrement la présente affaire, il ressort des explications et des éléments communiqués par la Commission dans le mémoire en défense que la décision attaquée a été adoptée à l’issue d’un processus qui a consisté à identifier une situation particulière qui répondait aux critères définis par la Commission au titre de la mission qui lui incombe de mettre en œuvre la politique de concurrence.

67 Dans ces circonstances, aucun élément du dossier ne permet de considérer que la décision attaquée a été adoptée à la seule fin de donner corps à un exemple évoqué dans les lignes directrices de 2023. Au contraire, les explications et les éléments communiqués par la Commission dans le mémoire en défense et en réponse aux premières mesures d’organisation de la procédure permettent plutôt de considérer que la décision attaquée résulte de la mise en œuvre de principes définis de manière objective
sans viser un secteur ou des entreprises en particulier (voir points 91 à 104 ci-après).

68 En conséquence, la similitude entre un exemple évoqué dans les lignes directrices de 2023 et la coordination soupçonnée dans la présente affaire n’est pas de nature en tant que telle à remettre en cause la nécessité ou la proportionnalité de la décision attaquée. L’argumentation présentée à cet égard par la requérante doit donc être rejetée comme non fondée.

3.   Sur la première branche, tirée du caractère arbitraire de la décision attaquée

69 La requérante fait valoir que la décision attaquée présente un caractère arbitraire, lequel aurait autorisé la Commission à diligenter une expédition exploratoire de ses locaux et de ses communications. Premièrement, la décision attaquée mentionnerait que « la Commission dispos[erait] d’informations » et de « preuves » relatives à une coordination soupçonnée, sans donner plus d’indications sur leur nature, leur forme, leur date et leur auteur. Deuxièmement, cette absence de détail tout comme la
description imprécise et lacunaire de la coordination soupçonnée laisseraient penser que la Commission ne détenait pas d’indices suffisamment sérieux pour étayer ses soupçons. Il appartiendrait alors au juge de l’Union de déterminer si la Commission détenait de tels indices. Troisièmement, l’accent mis sur la communication effectuée par des canaux publics accessibles à tous ou sur une appréciation globale non circonstanciée de la notion de prix trahirait une méconnaissance manifeste de la
formation du prix chez un industriel, laquelle serait particulièrement complexe et ne pourrait pas être réduite à quelques déclarations. Cette incompréhension rendrait inopérante la justification de l’inspection décrite dans la décision attaquée.

70 La Commission conteste les arguments de la requérante. Elle disposerait d’indices suffisamment sérieux pour soupçonner l’existence du comportement anticoncurrentiel évoqué dans la décision attaquée et justifier ainsi l’inspection, comme cela ressortirait des éléments communiqués au Tribunal.

71 En l’espèce, il convient de déterminer, d’une part, si la Commission disposait d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence par la requérante et, d’autre part, si le champ de l’inspection circonscrit par la décision attaquée se limitait à l’infraction que la Commission pouvait soupçonner sur le fondement de tels indices.

a)   Sur l’absence de nécessité de communiquer toutes les informations dont la Commission disposait dans la décision attaquée

72 Il convient de relever que les parties s’accordent pour reconnaître que, s’il appartient à la Commission de fournir certaines indications dans une décision ordonnant une inspection, à savoir l’exposé des soupçons sur lesquels elle se fonde et l’indication suivant laquelle elle dispose d’indices permettant d’étayer sérieusement ces soupçons, ladite décision ne doit pas pour autant faire état de toutes les informations dont dispose la Commission à ce stade de l’enquête. Un équilibre doit être
trouvé entre ce qui doit être exposé dans la décision attaquée et ce qu’il n’est pas nécessaire d’y indiquer.

73 Un tel équilibre est évoqué à plusieurs reprises par la jurisprudence.

74 Ainsi, si la Commission n’est pas tenue de communiquer au destinataire d’une décision ordonnant une inspection toutes les informations dont elle dispose à propos de l’infraction soupçonnée, elle doit, en revanche, indiquer dans la décision d’inspection, avec autant de précision que possible, les soupçons qu’elle entend vérifier, à savoir ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter l’inspection (voir arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368,
points 38 et 39 et jurisprudence citée).

75 De même, si, afin d’établir le caractère justifié de l’inspection, la Commission est tenue de faire apparaître de manière circonstanciée dans la décision ordonnant une inspection qu’elle dispose d’éléments et d’indices matériels sérieux l’amenant à suspecter l’infraction dont l’entreprise visée par l’inspection est soupçonnée, il ne saurait lui être imposé d’indiquer, au stade de la phase d’instruction préliminaire, outre les soupçons d’infraction qu’elle entend vérifier, les indices,
c’est-à-dire les éléments la conduisant à envisager l’hypothèse d’une violation de l’article 101 TFUE. En effet, une telle obligation remettrait en cause l’équilibre que la jurisprudence établit entre la préservation de l’efficacité de l’enquête et la préservation des droits de la défense de l’entreprise concernée (voir, par analogie, arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 45 et jurisprudence citée).

76 Il ressort de ce qui précède que, dans la décision attaquée, la Commission devait exposer le contenu de ses soupçons selon la forme qui lui semblait appropriée et préciser qu’elle disposait d’indices permettant de les étayer s’il y avait lieu ainsi que, le cas échéant, de vérifier qu’une telle décision ne portait pas indûment atteinte au droit au respect du domicile et des communications.

77 Dans ce contexte, contrairement à ce que fait valoir la requérante, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir indiqué dans la décision attaquée qu’elle « dispos[ait] d’informations » et de « preuves » relatives à la coordination soupçonnée ou à certains de ses aspects sans donner plus d’indications que celles qui y étaient mentionnées sur la nature ou la forme de ces éléments, ou même des précisions quant à leur date et leur auteur. De telles indications ou précisions ne sont pas
requises au moment où la Commission notifie la décision ordonnant une inspection.

b)   Sur le caractère suffisamment sérieux des indices présentés par la Commission pour justifier la décision attaquée

1) Observations liminaires

78 Il convient de relever que les parties sont d’accord sur le fait que, quand le juge de l’Union est amené, comme dans la présente affaire, à effectuer le contrôle d’une décision ordonnant une inspection aux fins de vérifier si celle-ci ne présente pas un caractère arbitraire, il doit s’assurer de l’existence d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence par l’entreprise concernée (voir arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16,
EU:T:2018:368, point 48 et jurisprudence citée).

79 À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, lorsque l’entreprise destinataire d’une décision prise au titre de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 présente certains éléments mettant en doute le caractère suffisamment sérieux des indices dont la Commission disposait pour adopter une telle décision, le Tribunal doit examiner ces indices et contrôler leur caractère suffisamment sérieux (voir arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 49 et
jurisprudence citée). Une telle vérification, qui nécessite que le Tribunal obtienne communication des indices suffisamment sérieux considérés comme pertinents par la Commission pour les besoins de cette démonstration, a été effectuée dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission (T‑135/09, EU:T:2012:596), et du 20 juin 2018, České dráhy/Commission (T‑325/16, EU:T:2018:368), ou encore dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du
5 octobre 2020, Casino, Guichard-Perrachon et AMC/Commission (T‑249/17, EU:T:2020:458), du 5 octobre 2020, Intermarché Casino Achats (T‑254/17, non publié, EU:T:2020:459), et du 5 octobre 2020, Les Mousquetaires et ITM Entreprises (T‑255/17, EU:T:2020:460).

80 En effet, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission (C‑583/13 P, EU:C:2015:404, points 30 à 36), l’existence d’un contrôle juridictionnel de légalité complet, exercé a posteriori sur la base des éléments apportés par la partie requérante au soutien des moyens invoqués et intervenant tant sur les questions de droit que sur les questions de fait, permet de compenser l’absence de mandat judiciaire préalable et d’assurer la compatibilité de la mesure d’inspection
avec le droit fondamental à l’inviolabilité du domicile.

81 En l’espèce, ce contrôle juridictionnel s’exerce en considération des caractéristiques essentielles de la coordination soupçonnée qui ont été exposées par la Commission dans la décision attaquée.

82 Ainsi, sur le plan matériel, la coordination soupçonnée concernerait « notamment des prix de gros », inclurait « l’utilisation intentionnelle des communications publiques des entreprises pour s’informer mutuellement de leurs futures intentions et stratégies tarifaires respectives afin d’influencer leurs politiques respectives de prix » et aurait donné lieu, en particulier, à des « échang[es d’]informations commercialement sensibles [entre fabricants de pneus] (y compris par des canaux publics
accessibles à tous), sur [ces] intentions et stratégies ».

83 De même, sur le plan temporel, la coordination soupçonnée serait intervenue, « au moins », au cours de la période principale et de la période antérieure, pour lesquelles la Commission a mentionné les années correspondantes.

84 Il convient également de rappeler que, dans la présente affaire, la Commission a communiqué dans le mémoire en défense des explications et des éléments matériels afin de permettre au Tribunal de déterminer si elle disposait d’indices suffisamment sérieux pour étayer ses soupçons et justifier l’inspection, ce qui a facilité le contrôle du Tribunal.

85 Quant à la question de savoir si ces explications et ces éléments matériels peuvent être considérés comme suffisamment sérieux pour justifier l’inspection, il importe de rappeler ce qui suit.

86 D’une part, la question n’est pas de savoir si les indices correspondants permettent d’établir, et pas seulement de suspecter, l’existence du comportement anticoncurrentiel soupçonné au regard des critères définis par l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Une telle question est encore prématurée, dans la mesure notamment où ce qui compte à ce stade de l’enquête est de savoir si une inspection, destinée à étayer les soupçons pouvant être déduits de ces indices, était susceptible de permettre à la
Commission de réunir les éléments qui pouvaient encore manquer pour établir l’infraction soupçonnée, ce qui justifierait ainsi l’ingérence de la Commission dans le droit de la requérante au respect de son domicile et de ses communications.

87 En effet, il résulte de la distinction entre preuves d’une infraction et indices qui fondent une décision ordonnant une inspection que ces derniers ne doivent pas démontrer l’existence et le contenu d’une infraction, sauf à priver de toute utilité les pouvoirs conférés à la Commission par l’article 20 du règlement no 1/2003 (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 mars 2014, Cementos Portland Valderrivas/Commission, T‑296/11, EU:T:2014:121, point 59).

88 Partant, la circonstance que les éléments retenus puissent faire l’objet d’interprétations divergentes ne saurait empêcher qu’ils constituent des indices suffisamment sérieux, dès lors que l’interprétation privilégiée par la Commission apparaît plausible (voir, par analogie, pour une décision de demande de renseignements, arrêt du 14 mars 2014, Cementos Portland Valderrivas/Commission, T‑296/11, EU:T:2014:121, point 59). Dans l’appréciation de ce caractère plausible, il convient de garder à
l’esprit que le pouvoir d’inspection de la Commission implique la faculté de rechercher des éléments d’informations divers qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés (voir arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 62 et jurisprudence citée), pour autant que ces éléments puissent être rattachés, après examen, à l’objet de l’inspection et aux indices suffisamment sérieux qui fondent les soupçons d’infraction justifiant la décision
ordonnant une inspection.

89 Il importe également de rappeler que les différents indices permettant de suspecter une infraction doivent être appréciés non isolément, mais dans leur ensemble, et qu’ils peuvent se renforcer mutuellement (voir, en ce sens, arrêts du 27 novembre 2014, Alstom Grid/Commission, T‑521/09, EU:T:2014:1000, point 54 et jurisprudence citée, et du 29 février 2016, EGL e.a./Commission, T‑251/12, non publié, EU:T:2016:114, point 150 et jurisprudence citée).

90 D’autre part, il y a également lieu de souligner que la présente affaire s’inscrit dans le contexte de la phase d’instruction préliminaire, c’est-à-dire à un moment où la Commission n’a pas encore pris position sur la réalité de l’infraction soupçonnée. À ce stade, le fait que la Commission ait procédé à une inspection ne signifie pas que l’entreprise concernée soit coupable d’un comportement anticoncurrentiel et ne préjuge en rien de l’issue de l’enquête en cours. Il importe ainsi de rappeler
que la requérante bénéficie de la présomption d’innocence et qu’il appartiendra à la Commission, le cas échéant, dans la décision finale de prouver l’existence de la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE soupçonnée dans la décision attaquée.

2) Sur la méthode suivie pour identifier les déclarations suspectes

91 Avant d’examiner les explications et les éléments matériels présentés par la Commission, il y a lieu de se prononcer sur les arguments des parties relatifs à la méthodologie utilisée pour identifier le secteur des pneus.

92 En effet, il convient de rappeler que, dans sa présentation des explications et des éléments matériels permettant de justifier la décision attaquée, la Commission a précisé que l’attention portée sur les coordinations anticoncurrentielles au moyen de canaux publics (voir point 62 ci-dessus) l’avait conduite à instituer une veille de marchés afin d’analyser plusieurs centaines de milliers d’earnings calls dans divers secteurs et dans plusieurs zones géographiques pour rechercher des déclarations
publiques suspectes. La Commission a indiqué à cet égard que des earnings calls étaient organisés périodiquement entre la direction d’une entreprise et les analystes, les investisseurs et les médias pour discuter des résultats financiers de cette entreprise et que leur contenu repris dans des transcriptions était accessible au public, certaines entreprises les publiant sur leur site Internet, ou consultable sur des bases de données payantes.

93 Selon la Commission, l’analyse qu’elle a menée visait à identifier les situations dans lesquelles les dirigeants d’entreprises concurrentes utilisaient, de manière particulièrement fréquente et pendant une période prolongée, des expressions susceptibles d’indiquer une collusion. Selon le résultat de cette analyse, le secteur des pneus se distinguerait à cet égard des autres secteurs par le nombre élevé de communications publiques suspectes relevées par la Commission.

94 Au titre des premières mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a demandé à la Commission de préciser le contenu des démarches qu’elle avait effectuées pour identifier le secteur des pneus. Ce faisant, le Tribunal a donné suite aux observations présentées en parallèle par la requérante sur les éléments communiqués par la Commission dans le mémoire en défense, selon lesquelles les informations transmises à propos de l’identification du secteur des pneus étaient très évasives et ne
permettaient pas d’en expliquer le caractère « problématique ».

95 En réponse à cette demande, tout d’abord, la Commission a indiqué avoir constitué une base de données composée de centaines de milliers d’earnings calls obtenus auprès d’un fournisseur de données financières. Elle a également indiqué qu’elle avait analysé quantitativement les données de cette base en utilisant des termes de recherche clés pour une longue période qui intégrait non seulement la période principale, mais aussi la période antérieure (ci-après la « période de recherche ») afin
d’identifier l’existence de potentielles pratiques collusoires et, ainsi, les secteurs dont l’ensemble des earnings calls serait examiné plus en détail au titre d’une analyse qualitative. Selon ce qu’a indiqué la Commission, deux catégories de termes de recherche clés avaient été utilisées : une première catégorie composée de près d’une centaine de bigrammes (soit deux mots consécutifs) liés à des décisions commerciales stratégiques pertinentes et une seconde catégorie composée de plus de 400
bigrammes visant à identifier des déclarations concernant la manière dont les concurrents se comportaient ou se comporteraient à l’avenir. Dans sa réponse, la Commission a fourni certains exemples de bigrammes utilisés pour l’une et l’autre de ces catégories.

96 Par la suite, quant aux résultats obtenus, la Commission a relevé que, si la moitié de l’ensemble des earnings calls analysés ne contenait aucune mention de bigrammes relevant des catégories précitées, les earnings calls des principaux fabricants de pneus se caractérisaient par un nombre significatif de communications comprenant au moins un bigramme lié aux décisions commerciales stratégiques et un nombre notable de communications comprenant au moins un bigramme lié au comportement concurrentiel.
En outre, une partie non négligeable de ces earnings calls se retrouvait dans le « top 5 » ou le « top 10 » des earnings calls de toutes les entreprises examinées sur la période de recherche qui mentionnaient le plus souvent ces bigrammes. Les earnings calls des principaux fabricants de pneus se caractérisaient également par la fréquence d’utilisation des bigrammes relevant de l’une ou de l’autre catégorie.

97 Pour illustrer ces résultats, la Commission a mentionné certains earnings calls des principaux fabricants de pneus, tous intervenus au cours de la période principale ou juste avant, pour lesquels elle a indiqué le nombre de bigrammes cités, la catégorie de bigrammes concernée (stratégie commerciale ou comportement concurrentiel) et le placement de ces earnings calls au niveau le plus élevé des earnings calls qui mentionnaient le plus souvent des bigrammes de cette catégorie.

98 C’est sur la base de ces éléments que la Commission a considéré que les principaux fabricants de pneus se distinguaient des entreprises des autres secteurs par le nombre plus élevé de communications comprenant des bigrammes susceptibles d’indiquer un potentiel comportement collusoire, lesquelles ont ensuite été examinées qualitativement afin de mieux comprendre le contexte dans lequel s’inséraient les bigrammes identifiés. La Commission a précisé à cet égard que l’analyse qualitative des earnings
calls de ces principaux fabricants de pneus avait concerné tant les earnings calls identifiés à l’issue de l’analyse quantitative que des earnings calls que cette analyse n’avait pas identifiés. Les indications qui précèdent ont ainsi permis à la Commission d’établir le lien qui existait, selon elle, entre un comportement théorique composé d’annonces publiques unilatérales et la présente affaire.

99 Les observations présentées par la requérante sur la description des démarches effectuées par la Commission au titre de son analyse quantitative initiale ne permettent pas de mettre en cause la méthode et les résultats de l’analyse exposés ci-dessus.

100 Dans ses observations sur les précisions apportées par la Commission, la requérante allègue que l’analyse quantitative n’est absolument pas de nature à caractériser le moindre indice de collusion. Elle soutient que les exemples de bigrammes fournis par la Commission ne sont pas du tout problématiques, dès lors que ces bigrammes seraient fréquemment utilisés par les industriels du secteur des pneus ou d’autres secteurs, et que les déclarations correspondantes pourraient aisément s’expliquer par
des données relatives aux produits, au marché ou à la période en cause. La requérante présente à cet égard des extraits d’earnings calls d’entreprises actives dans d’autres secteurs industriels ou d’autres fabricants de pneus qui comporteraient des déclarations de même nature que les déclarations litigieuses. Elle fait également valoir qu’il existe de nombreuses justifications à de telles déclarations, comme la mise en œuvre d’une stratégie industrielle basée sur l’innovation, l’existence de
tensions inflationnistes exogènes ou la nécessité de répondre aux questions des analystes.

101 Force est toutefois de constater que ces observations portent, en substance, moins sur l’analyse quantitative initiale que sur les résultats de l’analyse qualitative effectuée par la suite.

102 En effet, comme l’explique la Commission, l’analyse quantitative a seulement permis d’identifier le secteur des pneus en ce sens que, à l’issue de l’examen des earnings calls qui faisaient partie de sa base de données, les earnings calls des principaux fabricants de pneus se caractérisaient par la présence à tout le moins notable d’un ou plusieurs bigrammes utilisés comme termes de recherche clés. Or, comme l’explique également la Commission, la présence d’un bigramme dans un earnings call
n’était pas en soi suffisante. Ce n’est qu’après une analyse dite qualitative, également qualifiée d’examen manuel par la Commission, que la déclaration correspondante a été considérée comme susceptible d’indiquer une potentielle collusion. La Commission précise d’ailleurs que l’analyse qualitative a été déterminante pour identifier les déclarations en cause en l’espèce, dans la mesure notamment où elle lui a permis de mieux comprendre le contexte dans lequel figuraient les bigrammes et
d’écarter les documents non pertinents ou encore d’identifier des déclarations publiques potentiellement problématiques des principaux fabricants de pneus que l’analyse quantitative n’avait pas permis d’identifier.

103 Il s’avère ainsi que les observations de la requérante concernent essentiellement le contexte dans lequel s’insère une déclaration initialement identifiée à l’aide le plus souvent d’un bigramme et analysée par la suite qualitativement pour permettre d’arriver à la conclusion qu’il s’agirait, pour la Commission, d’une déclaration susceptible d’indiquer une potentielle collusion. Cette argumentation sera donc examinée par la suite au titre de l’appréciation des arguments relatifs au caractère
arbitraire de la décision attaquée, qui ne reposerait pas sur des indices suffisamment sérieux pour justifier les soupçons dont il est fait état.

104 Au demeurant, à supposer même, comme l’affirme la requérante, que des industriels d’autres secteurs ou d’autres fabricants de pneus aient pu faire des déclarations comportant des bigrammes relevant de l’une ou de l’autre des catégories définies par la Commission, cela ne saurait pour autant priver la Commission de la possibilité d’examiner plus en détail, comme elle indique l’avoir fait sur le plan qualitatif, le secteur des pneus ou ceux des fabricants de pneus qui étaient les auteurs des
déclarations identifiées à l’issue de son analyse quantitative.

3) Sur le caractère suffisamment sérieux des indices communiqués

105 Dans ce contexte, l’examen des indices communiqués par la Commission et des observations présentées à cet égard permet d’arriver à deux conclusions quant à leur caractère suffisamment sérieux.

i) Sur l’existence d’indices suffisamment sérieux pour étayer les soupçons relatifs à une coordination des prix lors de la période principale

106 Au regard du droit applicable, tout d’abord, il y a lieu de rappeler que le comportement anticoncurrentiel soupçonné par la Commission consiste en une coordination des prix et, plus particulièrement, une « coordination entre les principaux fabricants de pneus des prix (notamment des prix de gros) pour les pneus neufs de remplacement pour les voitures et les camions dans l’EEE ».

107 Or, s’il est prouvé, ce type de comportement est prohibé par l’article 101, paragraphe 1, sous a), TFUE, qu’il prenne la forme d’un accord entre entreprises ou d’une pratique concertée, s’il a pour objet ou pour effet de « fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction ». En droit de l’Union, d’ailleurs, la volonté commune manifestée par plusieurs entreprises de fixer les prix sur le marché d’une manière déterminée est considérée par la
Commission comme l’une des atteintes les plus graves pour la concurrence.

108 De plus, sur le plan factuel, il convient de constater que, comme l’a exposé à juste titre la Commission, certaines déclarations faites par les principaux fabricants de pneus qui font l’objet de son enquête à l’occasion de leurs earnings calls ainsi qu’à l’occasion d’annonces relatives au prix des pneus ou au prix des matières premières, toutes intervenues au cours de la période principale, constituaient des indices suffisamment sérieux pour étayer les soupçons relatifs à la coordination
soupçonnée lors de cette période.

– Quant aux déclarations présentées par la Commission

109 L’examen des différentes déclarations mises en exergue par la Commission dans plusieurs earnings calls intervenus au cours d’une partie d’une année de la période principale permet de constater que différents fabricants de pneus avaient publiquement fait part de leurs intentions et stratégies tarifaires respectives.

110 Ainsi, dans sa présentation des explications et des éléments matériels permettant de justifier la décision attaquée, la Commission a indiqué que, à l’issue de l’examen d’un nombre significatif de transcriptions d’earnings calls et de présentations provenant des principaux fabricants de pneus dans l’EEE, dont la requérante, elle était arrivée à la conclusion qu’un certain nombre de déclarations effectuées par ces fabricants étaient suspectes, dans la mesure où ceux-ci se seraient régulièrement
prononcés publiquement sur la façon dont leurs concurrents devaient déterminer leurs prix, sur leur volonté d’agir sur le marché en tant que leader ou suiveur en matière de prix et sur la manière dont ils réagiraient aux changements de prix de leurs concurrents.

111 Afin d’illustrer ces affirmations, la Commission a communiqué deux séries d’earnings calls intervenues au cours d’une partie d’une année de la période principale. Pour chacun de ces earnings calls, la Commission a mis en exergue le contenu précis des déclarations qui lui semblaient pertinentes pour fonder ses soupçons. La Commission a également précisé qu’elle considérait que ce type de déclarations ne répondait pas à une exigence légale et que, par comparaison, l’examen des earnings calls
d’entreprises opérant dans d’autres secteurs confirmait que la régularité avec laquelle les fabricants de pneus faisaient de telles déclarations ne correspondait pas à un comportement standard.

112 Par la suite, en réponse à une question du Tribunal sur la dimension temporelle de la coordination soupçonnée, la Commission a communiqué d’autres earnings calls ainsi qu’une présentation. Ces documents sont venus compléter les earnings calls précédemment communiqués avec le mémoire en défense en couvrant l’autre partie de l’année de la période principale envisagée (voir point 111 ci-dessus). Pour chacun de ces documents, la Commission a mis en exergue le contenu précis des déclarations qui lui
semblait pertinent pour fonder ses soupçons pour ce qui concernait l’année en cause.

113 La Commission se réfère, à cet égard, à des déclarations qui commencent par les termes « nous voulons envoyer un signal » (« we want to send a signal »), « nous avons l’intention de » (« we have plan to »), « la stratégie est de se concentrer sur » (« the strategy is to focus on ») ; « nous nous efforçons de nous en tenir à » (« we strive to stick to ») ; « nous ferons de notre mieux pour » (« we will do our best to ») ; « nous sommes capables de » (« we are able to »), ainsi que « ce n’est pas
notre intention d’aller vers » (« not our intention to go for ») et qui, selon elle, ont été utilisées par les fabricants de pneus visés par l’enquête pour annoncer publiquement un comportement qui venait d’être adopté ou qui allait être mis en œuvre ou même, parfois, pour suggérer aux concurrents d’adopter un tel comportement.

114 En présence de telles déclarations relatives à la période principale, la Commission était en droit de soupçonner qu’il était à tout le moins plausible, dans le sens de raisonnablement envisageable, que ces déclarations publiques unilatérales aient pu avoir pour objet d’envoyer un signal aux principaux concurrents afin que les indications qu’elles contenaient en ce qui concernait les intentions et stratégies tarifaires des fabricants en cause soient reprises ou qu’il en soit tenu compte.

– Quant aux autres éléments présentés par la Commission

115 Comme le soutient à juste titre la Commission, il était également plausible de considérer que les soupçons nés des déclarations identifiées à l’issue d’une analyse qualitative étaient corroborés par ses observations faites à l’issue de l’examen de certaines annonces relatives aux prix des pneus ou à l’évolution à la baisse ou à la hausse du prix des matières premières et de l’énergie.

116 D’une part, en effet, la Commission a précisé avoir examiné les annonces de prix des principaux fabricants de pneus pendant la période concernée et constaté que celles-ci avaient souvent eu lieu à des dates proches. Afin d’illustrer ces affirmations, la Commission a présenté différentes communications issues d’un site Internet spécialisé qui faisaient état des annonces précitées, lesquelles étaient survenues au même moment au cours de la période principale.

117 D’autre part, sur la base d’une analyse de l’évolution des prix des matières premières et de l’énergie, la Commission a relevé l’existence d’un alignement des déclarations des fabricants lorsque les prix des matières premières et de l’énergie changeaient. Ainsi, la Commission aurait constaté que les earnings calls de divers fabricants contenaient des déclarations similaires qui tendaient à indiquer que les prix des pneus devaient être augmentés quand une augmentation des prix des matières
premières et de l’énergie était survenue. De même, la Commission aurait constaté que, quand les prix des matières premières et de l’énergie diminuaient, les fabricants formulaient des déclarations qui tendaient à indiquer qu’une réduction de prix devait être évitée. Afin d’illustrer ces affirmations, la Commission a produit deux earnings calls intervenus au début d’une année de la période principale et, mis en exergue, pour chacun d’eux, le contenu précis des déclarations qui lui semblait
pertinent pour fonder ces constats. La Commission a également fait référence à une présentation faite dans le cadre d’un earnings call pour faire état de l’évolution des prix de certaines matières, notamment au cours de certaines années de la période principale. Par ailleurs, la Commission a relevé que, du fait de la pandémie de COVID-19, les prix des matières premières avaient augmenté de manière substantielle. Dans ce contexte, les communications des entreprises auraient porté sur
l’augmentation rapide des prix, comme cela serait illustré par deux earnings calls, intervenus au cours d’une année de la période principale, pour lesquels la Commission a mis en exergue le contenu précis des déclarations qui lui semblait pertinent pour fonder le constat précité.

– Quant aux observations présentées par la requérante

118 Les observations présentées par la requérante sur les déclarations mises en exergue par la Commission et les autres éléments qu’elle invoque ne remettent pas en cause les appréciations de la Commission, dès lors que ces observations restent trop générales ou reposent sur l’idée que la Commission doit disposer de preuves de l’infraction soupçonnée (voir, en ce sens, arrêt du31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85,
EU:C:1993:120, points 70 et 71 et jurisprudence citée) et pas seulement, à ce stade, d’indices suffisamment sérieux.

119 En effet, premièrement, pour soutenir que les déclarations citées par la Commission ne constituent pas des indices suffisamment sérieux de l’existence de la coordination soupçonnée, la requérante fait valoir qu’il s’agit de déclarations usuelles et régulières dans le secteur des pneus comme dans d’autres secteurs industriels.

120 Or, force est de constater que, à supposer même que des déclarations de même nature et aussi régulières que celles observées dans les earnings calls communiqués puissent être identifiées dans des earnings calls d’autres fabricants de pneus ou d’industriels d’autres secteurs, cela ne saurait priver la Commission de la possibilité de vérifier les soupçons nés des indices suffisamment sérieux à sa disposition en ce qui concerne les fabricants de pneus qu’elle a identifiés.

121 Deuxièmement, la requérante relève que les extraits des earnings calls cités par la Commission sont tous issus de déclarations faites lors de la partie de ces earnings calls qui correspondait à la session des questions-réponses. De telles déclarations ne seraient donc pas spontanées, mais répondraient aux sollicitations d’analystes financiers, qui représentent des banques d’affaires et non des concurrents. Il serait attendu d’une entreprise qui participe à un earnings call et à la session de
questions-réponses de celui-ci qu’elle présente et s’explique sur ses perspectives au regard du contexte macroéconomique. De telles déclarations répondraient également, du moins pour ce qui concerne les sociétés établies en France, à une exigence légale de transparence, qui nécessiterait de communiquer en permanence aux marchés toute information qui n’a pas été rendue publique et qui, si elle l’était, serait susceptible d’influencer le cours de bourse de l’entreprise concernée.

122 À cet égard, d’une part, il convient d’indiquer que l’interprétation privilégiée par la Commission des déclarations en cause ne remet pas en question le droit des entreprises d’organiser des earnings calls en tant que tel. Cette interprétation ne porte pas non plus atteinte dans le cadre de la présente affaire à une exigence légale en matière de transparence financière. En effet, cette interprétation repose plutôt sur l’idée que, si les entreprises peuvent organiser des earnings calls et doivent
respecter les exigences légales en matière de communications financières, elles ne peuvent pas pour autant se servir des earnings calls pour procéder à ce que la Commission soupçonne être une éventuelle pratique collusoire. À cet égard, la Commission est en droit de considérer qu’aucune nécessité de répondre aux questions des analystes ni aucune obligation légale en matière de transparence financière n’autorise les entreprises concernées à se concerter pour « fixer de façon directe ou indirecte
les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction » au sens de l’article 101, paragraphe 1, sous a), TFUE.

123 D’autre part, quant à la question de savoir si les déclarations en cause peuvent s’expliquer, non par l’interprétation privilégiée par la Commission, mais par les autres interprétations proposées par la requérante, à savoir la nécessité ponctuelle de répondre à une question d’un analyste ou l’exigence globale d’être transparent en matière de communications financières, il y a lieu de constater qu’une telle question est prématurée à ce stade de l’enquête. En l’espèce, il suffit de relever que
l’allégation de la requérante selon laquelle les déclarations en cause, en particulier celles dont la Commission estime qu’elles concernent la façon dont les concurrents devaient déterminer leurs prix, leur manière d’agir comme meneur ou comme suiveur en matière de prix ou la manière dont le fabricant en question réagissait aux changements de prix des concurrents, résulteraient de la nécessité de répondre aux questions des analystes ou répondraient à des exigences réglementaires ne saurait
suffire à remettre en cause le caractère plausible de l’interprétation privilégiée par la Commission pour justifier la décision attaquée (voir point 87 ci-dessus).

124 Troisièmement, la requérante fait valoir que les déclarations citées par la Commission ne contiennent que des indications générales sur l’environnement concurrentiel du secteur des pneus, avec des références à la pression sur les prix et au contexte inflationniste, et sur sa politique tarifaire, liée à son « positionnement premium ». Les premières indications seraient générales et notoires. Elles concerneraient des facteurs exogènes, connus des analystes qui chercheraient à en déterminer les
conséquences sur la performance économique des entreprises. Les secondes ne feraient que reprendre un positionnement clair de la requérante depuis plusieurs années. En outre, les déclarations relatives aux évolutions des prix des concurrents ne seraient que le reflet de la rationalité économique de toute entreprise et la manifestation du jeu normal de la concurrence. Cela expliquerait également les observations déduites par la Commission des annonces relatives aux prix des pneus et aux prix des
intrants.

125 Il s’ensuit que la requérante elle-même reconnaît que ce qu’elle présente pour contester le caractère plausible de l’interprétation privilégiée par la Commission consiste à faire valoir qu’il existe « d’autres justifications crédibles » que celle retenue à ce stade par la Commission pour expliquer le contenu des déclarations qu’elle cite.

126 Or, au vu du contenu des déclarations publiques prises en compte (voir point 113 ci‑dessus), susceptibles selon l’interprétation privilégiée par la Commission d’indiquer une coordination sur les prix des pneus, ainsi que des différents éléments présentés pour corroborer les soupçons nés de ces déclarations, il était plausible de considérer que la coordination soupçonnée puisse exister et qu’il y avait donc lieu de procéder à une vérification.

127 Dans ce contexte, l’examen des autres justifications crédibles avancées par la requérante interviendra à un stade ultérieur, s’il s’avère que les soupçons de la Commission sont confirmés par les résultats de ses vérifications. En tant que telles, ces autres explications ne sont pas suffisantes pour écarter la plausibilité de l’interprétation privilégiée par la Commission.

128 Quatrièmement, à la suite des interrogations formulées par la requérante, au vu notamment de la motivation de la décision attaquée (voir point 47 ci-dessus), il convient de rappeler que, en réponse aux premières mesures d’organisation de la procédure, la Commission a fourni des précisions sur son interprétation des indices à sa disposition en ce qui concernait le périmètre des prix concernés par la coordination soupçonnée.

129 Sur ce point, la Commission a indiqué que son enquête se concentrait sur les informations concernant les intentions futures et les stratégies tarifaires communiquées par les principaux fabricants de pneus au moyen notamment de leurs earnings calls.

130 À cet égard, la Commission a indiqué avoir observé que, dans le contexte des earnings calls, les principaux fabricants de pneus faisaient souvent référence aux « prix de gros » (sell‑in prices ou wholesale prices), qui sont les premiers prix appliqués dans la chaîne de valeur. Il s’agit généralement des prix que les fabricants de pneus pratiquent lorsque les pneus quittent leur usine. La Commission a également précisé avoir relevé, dans ce même contexte, des références régulières aux sell-out
prices, à savoir les prix pratiqués en aval de la chaîne de valeur.

131 Afin d’illustrer ces affirmations, la Commission a présenté deux earnings calls de concurrents de la requérante, intervenus pour le premier au cours de la période principale et pour le second avant la période principale, sans pour autant être rattaché à la période antérieure. Il ressort des déclarations extraites de ces earnings calls mises en exergue par la Commission que la situation des prix, des inventaires ou des parts de marché est évoquée au regard tant des ventes pratiquées à la sortie
de l’usine que des ventes pratiquées à la sortie du distributeur.

132 Dans ce contexte, la Commission a précisé avoir considéré que l’ensemble des prix pratiqués tout au long de la chaîne de valeur revêtait un intérêt dans le cadre de l’inspection ordonnée pour vérifier ses soupçons sur la coordination soupçonnée. Elle fait observer, à cet égard, que les déclarations faites dans le cadre des earnings calls reflètent les orientations données par le plus haut niveau de la direction des fabricants concernés sur leurs intentions futures et leurs stratégies tarifaires.
Ces orientations globales seraient susceptibles, comme telles, d’être reprises tout au long de la chaîne de valeur. En effet, selon la Commission, ces déclarations concernent aussi bien les orientations à la hausse des prix ou leur maintien à un certain niveau qu’une stratégie axée sur le prix plutôt que sur la concurrence par les volumes. Pour ces raisons, la Commission fait valoir que les déclarations en cause sont susceptibles d’être pertinentes tant pour la détermination des prix de gros que
pour la détermination des prix de détail.

133 Par ailleurs, la Commission a indiqué que les principaux fabricants de pneus en Europe étaient généralement intégrés verticalement et donc actifs tant sur le plan de la fabrication des pneus que sur celui du marché de détail. Ils auraient donc intérêt à ce que les augmentations de prix au niveau du marché de gros se répercutent sur les prix de détail en aval pour garantir les objectifs de marge tout au long de la chaîne de valeur. Selon la Commission, il ne pouvait donc être exclu que les
stratégies tarifaires communiquées dans les earnings calls en cause devaient être mises en œuvre en aval pour atteindre le résultat souhaité.

134 À cet égard, dans ses observations, la requérante fait valoir que les précisions apportées par la Commission auraient dû figurer dans la décision attaquée. Plus largement, la requérante fait aussi observer que, s’agissant des sell‑in prices comme des sell-out prices, les déclarations citées par la Commission ne peuvent pas, par définition, constituer des indices suffisamment sérieux pour différentes raisons, tenant, par exemple, au fait que les déclarations en cause renvoient à des décisions
fermes de changement de prix, que ces déclarations sont générales et imprécises ou que, s’agissant des sell-out prices, tous les prix de vente au détail des pneus sont des données publiques aisément accessibles.

135 Force est cependant de relever que, en indiquant que la coordination soupçonnée aurait trait à « la coordination entre les principaux fabricants de pneus des prix (notamment des prix de gros) », la Commission a utilisé une formulation qui correspond au contenu des indices à sa disposition, lesquels sont suffisamment sérieux pour fonder des soupçons en ce qui concerne une potentielle pratique collusoire issue de certaines déclarations publiques effectuées par les fabricants de pneus visés par la
décision attaquée dans le cadre de leurs earnings calls.

136 Or, selon les précisions apportées par la Commission au stade de la vérification par le juge de l’Union du contenu de ces indices, qui se trouvent confirmées par l’indication, donnée par la requérante lors de l’audience, selon laquelle une partie de ses ventes de pneus neufs de remplacement au sein de l’EEE est effectuée au niveau du détail, il était plausible pour la Commission de considérer que ses soupçons et les indices suffisamment sérieux à sa disposition couvraient l’ensemble de la chaîne
de valeur évoquée lors des earnings calls et pas seulement ou exclusivement les ventes effectuées aux prix de gros.

137 Dans ce contexte, l’examen des différentes explications avancées par la requérante interviendra à un stade ultérieur s’il s’avère que les soupçons de la Commission sont confirmés par les résultats de ses vérifications. En tant que telles, ces autres explications ne sont pas suffisantes en l’espèce, au stade du contrôle juridictionnel de la décision attaquée, pour écarter la plausibilité de l’interprétation privilégiée par la Commission sur le périmètre de la notion de prix qui est évoquée dans
cette décision afin de justifier la vérification.

138 En conclusion, il ressort de ce qui précède que, au vu du contenu des différentes déclarations publiques communiquées ainsi que des différents éléments présentés pour corroborer les soupçons nés de ces déclarations, l’interprétation privilégiée par la Commission, selon laquelle ces indices pris ensemble permettaient de considérer qu’il était plausible que les principaux fabricants de pneus visés par la décision attaquée aient coordonné leurs prix des pneus neufs de remplacement pour les voitures
et les camions au sein de l’EEE au cours de la période principale, sans qu’il puisse être exclu que cette éventuelle coordination ait commencé plus tôt et qu’elle ait été toujours en cours au moment de l’inspection, est fondée.

139 Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter comme non fondé le grief pris du caractère arbitraire de la décision attaquée au motif que les soupçons correspondants à la période principale, au sens défini par la première phrase du considérant 4, ne seraient pas étayés par des indices suffisamment sérieux.

ii) Sur l’absence d’indices suffisamment sérieux pour étayer les soupçons relatifs à une coordination des prix lors de la période antérieure

140 En ce qui concerne la période antérieure et à la suite d’une question du Tribunal sur la dimension temporelle de la coordination soupçonnée, il convient de relever que la Commission reconnaît, comme elle l’a confirmé lors de l’audience, ne pas avoir communiqué au Tribunal d’indices contemporains à cette période.

141 Cet élément est pertinent pour l’appréciation, dès lors que, comme le fait observer la requérante, il ressort des explications communiquées par la Commission que la période de recherche utilisée pour l’analyse quantitative des centaines de milliers d’earnings calls qu’elle a obtenus est suffisamment longue pour englober à la fois la période principale et la période antérieure (voir points 95 à 98 ci-dessus).

142 Ainsi, il doit être relevé que, si la Commission a été en mesure d’identifier certains earnings calls pour ce qui concernait la période principale à partir des deux catégories de bigrammes qu’elle avait définies et de l’analyse qualitative effectuée par la suite, elle n’a pas indiqué avoir pu identifier de tels earnings calls pour ce qui concernait la période antérieure. Or, compte tenu du nombre et de la diversité des bigrammes utilisés pour l’analyse quantitative, il est permis de considérer
que, s’il y avait eu des earnings calls pertinents en ce qui concernait la période antérieure, ceux-ci auraient été identifiés de la même manière que ceux qui concernaient la période principale. Pour autant, la Commission n’a transmis au Tribunal aucune explication sur ce point ni document correspondant, alors même qu’il lui avait été demandé de présenter, sous la forme qu’elle considérait appropriée pour les besoins de la démonstration liée au caractère suffisamment sérieux des indices à sa
disposition, les différents éléments auxquels elle faisait référence dans la seconde phrase du considérant 4 de la décision attaquée qui évoque la période antérieure.

143 Dans ces circonstances, le Tribunal doit prendre en considération le fait que la Commission n’a pas été en mesure de lui présenter, comme elle a pu le faire pour ce qui concernait la période principale, de déclarations publiques émanant des principaux fabricants de pneus et effectuées à l’occasion d’earnings calls intervenus au cours de la période antérieure.

144 Par ailleurs, pour ce qui est des indices correspondants aux soupçons dont il est fait état dans la décision attaquée en ce qui concerne la période antérieure, la Commission fait valoir que son attention avait été attirée sur cette période par plusieurs earnings calls postérieurs à cette période.

145 Selon ce qu’a indiqué la Commission à cet égard, ces earnings calls postérieurs à la période antérieure faisaient état de cette période dans le cadre de commentaires de la part des principaux fabricants de pneus mentionnés dans la décision attaquée en ce qui concernait la répercussion des hausses de prix des matières premières.

146 Ainsi, la Commission s’est référée à une déclaration publique faite par un concurrent dans le cadre d’un earnings call, intervenu au cours de la période principale, qui fait référence à un « cycle [correspondant à la période antérieure] ». Selon cette déclaration, les pertes de bénéfices liées à l’augmentation des coûts des matières premières auraient fait l’objet d’une récupération totale l’année qui avait suivi ce cycle.

147 D’autres earnings calls, communiqués par la Commission, faisaient également référence à la période antérieure. Ces earnings calls étaient intervenus, pour trois d’entre eux, au cours d’années antérieures proches de la période principale, et, pour quatre d’entre eux ainsi qu’une présentation, au cours de la période principale. Selon le contenu de ces déclarations, mis en exergue par la Commission, les principaux fabricants de pneus concernés rapprochaient la situation alors actuelle de celle
qu’ils avaient connue, chacun pour ce qui le concernait, à un moment où le marché avait subi des hausses significatives concernant les matières premières.

148 D’après la Commission, ces références pourraient constituer un indice de coordination durant la période antérieure, ce que conteste la requérante dans ses observations sur ce point.

149 À cet égard, il convient de constater que les déclarations évoquées par la Commission pour attester l’existence d’indices suffisamment sérieux pour établir les soupçons de coordination évoqués dans la décision attaquée en ce qui concerne la période antérieure ne sont pas de même nature que celles examinées en ce qui concerne la période principale. Ce constat a été confirmé par la Commission lors de l’audience.

150 En effet, alors même que la coordination soupçonnée par la Commission repose sur l’idée que les principaux fabricants de pneus s’informaient mutuellement de leurs futures intentions et stratégies tarifaires respectives et que les indices communiqués en ce qui concernait la période principale faisaient état de déclarations publiques susceptibles d’être prises en compte pour établir une telle coordination, les différentes déclarations présentées pour ce qui concernait la période antérieure ne
faisaient pas état d’intentions futures ou de stratégies tarifaires respectives susceptibles d’être mises en œuvre au cours de cette période.

151 En effet, il ressort de ces déclarations, par exemple de la plus ancienne citée par la Commission, que le fabricant en cause rappelle à ses interlocuteurs que ce n’est pas la première fois que le prix des matières premières augmente et que, par le passé, il avait pu répercuter cette hausse. La coordination qu’une déclaration publique relative à la répercussion d’une hausse serait susceptible d’impliquer, selon l’interprétation privilégiée par la Commission, ne vaudrait toutefois que pour
l’avenir. En l’espèce, la Commission ne fournit pas d’indices permettant de considérer que, à l’occasion de la période antérieure, au moment où le prix des matières premières aurait aussi augmenté significativement, les principaux fabricants de pneus se seraient coordonnés d’une manière analogue à celle documentée par la suite pour ce qui concernait la période principale ou d’une autre manière que celle qu’ils seraient censés avoir utilisée lors de cette période principale.

152 Au demeurant, la Commission n’a pas fourni au Tribunal le moindre élément permettant d’envisager un autre type de coordination que celle soupçonnée en l’espèce.

153 En conclusion, il ressort de ce qui précède que, d’une part, au vu de l’absence d’éléments pertinents contemporains à la période antérieure, alors même que celle-ci avait fait l’objet de la période de recherche utilisée par la Commission lors de son analyse quantitative (voir point 95 ci-dessus), et, d’autre part, au vu de l’absence d’autres éléments pertinents permettant d’établir l’existence d’une éventuelle coordination au cours de la période antérieure, l’interprétation privilégiée par la
Commission, selon laquelle il était plausible que les principaux fabricants de pneus visés par la décision attaquée aient coordonné leurs prix des pneus neufs de remplacement pour les voitures et les camions au sein de l’EEE au cours de la période antérieure, n’est pas suffisamment établie.

154 Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer fondé le grief pris du caractère arbitraire de la décision attaquée au motif que les soupçons correspondants à la période antérieure, au sens défini par la seconde phrase du considérant 4, ne sont pas étayés par des indices suffisamment sérieux. La décision attaquée doit donc être partiellement annulée sur ce point.

4.   Sur la seconde branche, tirée du caractère disproportionné de la décision attaquée

155 La requérante fait valoir que la décision attaquée ne respecte pas le principe de proportionnalité pour les raisons suivantes : l’absence de risque pour les preuves, l’entrave excessive au bon fonctionnement de l’entreprise, la publicité excessive donnée aux décisions ordonnant une inspection et le recours possible à une mesure moins contraignante, à savoir la demande de renseignements.

156 À titre liminaire, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts
visés (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 22 et jurisprudence citée).

157 En ce qui concerne une décision ordonnant une inspection, le respect du principe de proportionnalité suppose que la mesure envisagée n’engendre pas d’inconvénients démesurés et intolérables par rapport au but recherché. En particulier, le choix à opérer par la Commission entre une demande de renseignements et une inspection ordonnée par voie de décision ne dépend pas de circonstances telles que la gravité particulière de la situation, l’extrême urgence ou la nécessité d’une discrétion absolue,
mais des nécessités d’une instruction adéquate, eu égard aux particularités de l’espèce. Partant, lorsqu’une décision ordonnant une inspection vise uniquement à permettre à la Commission de réunir les éléments nécessaires pour apprécier l’existence éventuelle d’une violation du traité, une telle décision ne méconnaît pas le principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 23 et jurisprudence citée).

158 C’est à la Commission qu’il appartient, en principe, d’apprécier si un renseignement est nécessaire en vue de pouvoir déceler une infraction aux règles de concurrence et, même si elle dispose déjà d’indices, voire d’éléments de preuve, relatifs à l’existence d’une infraction, elle peut légitimement estimer nécessaire d’ordonner des vérifications supplémentaires lui permettant de mieux cerner l’infraction ou sa durée (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991,
point 24 et jurisprudence citée).

159 En l’espèce, les arguments de la requérante au soutien de la violation du principe de proportionnalité peuvent être divisés en deux catégories, selon qu’ils critiquent le caractère nécessaire de la décision attaquée, lequel implique l’absence d’une autre option moins contraignante, ou qu’ils critiquent les conséquences excessives d’une décision ordonnant une inspection sur son fonctionnement et ses performances, ce qui, par voie de conséquence, démontrerait qu’il aurait été préférable de
recourir à une mesure moins contraignante.

a)   Sur les griefs tirés de l’absence de nécessité de la décision attaquée

160 La requérante fait valoir, d’une part, que le risque de dissimulation ou de destruction des preuves évoqué dans la décision attaquée n’existait pas puisque les informations recherchées étaient déjà connues de la Commission ou pouvaient aisément l’être et, d’autre part, qu’il existait une option moins contraignante que l’adoption d’une telle décision, à savoir, en l’espèce, une demande de renseignements présentée conformément à l’article 18 du règlement no 1/2003, laquelle sanctionnerait
l’absence de réponse ou une réponse incomplète par une amende pouvant aller jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent, ce qui confèrerait une grande efficacité à cette disposition utilisée dans d’autres affaires de même nature.

161 La Commission conteste les arguments de la requérante.

162 En premier lieu, quant à l’absence de risque pour les preuves, il y a lieu de rappeler, comme le souligne la Commission, que la décision attaquée entendait lui permettre de recueillir les informations nécessaires pour vérifier l’existence de la coordination soupçonnée.

163 À cet égard, le fait pour la Commission d’avoir recueilli des indices suffisamment sérieux pour justifier une inspection ne saurait avoir pour effet de l’empêcher d’obtenir des informations complémentaires ou de vérifier les informations dont elle dispose à l’occasion d’une inspection.

164 De même, le fait que ces indices reposent essentiellement sur le contenu de certaines déclarations publiques faites par les fabricants de pneus mentionnés dans la décision attaquée à l’occasion de leurs earnings calls ne saurait priver la Commission de la possibilité d’examiner les documents pertinents ou d’interroger les personnes impliquées afin d’obtenir les informations nécessaires pour compléter ou vérifier ses soupçons.

165 À cet égard, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir cherché à recueillir de telles informations auprès d’un groupe limité de personnes qui, au sein de l’entreprise visée, étaient susceptibles de détenir des éléments de preuve permettant de mieux définir l’objet, les motifs et le fonctionnement de la coordination soupçonnée. C’est à juste titre que la Commission indique à cet égard qu’il était pertinent pour elle d’obtenir les informations relatives aux discussions internes
concernant la préparation et le suivi des earnings calls et la préparation des décisions tarifaires relatives à la coordination des prix entre fabricants de pneus décrite dans cette décision.

166 Dans une telle situation, la Commission ne pouvait écarter l’éventualité que, à défaut d’une inspection non annoncée, il existait un risque que certaines informations pertinentes soient compromises ou détruites. Le considérant 8 de la décision attaquée fait d’ailleurs état d’un tel risque pour les preuves à propos des « informations concernant les soupçons de coordination de comportement futur sur les marchés en ce qui concerne les prix (notamment des prix de gros) des produits concernés de même
que les soupçons sur le choix des fabricants de signaler par des moyens publics aux concurrents les futures politiques tarifaires ».

167 Dès lors, au vu tant de la motivation de la décision attaquée quant au contenu de la coordination soupçonnée que des indices suffisamment sérieux corroborant ces soupçons, la Commission ne pouvait écarter l’existence d’un risque de dissimulation ou de destruction des preuves recherchées et il était donc nécessaire de recourir à une décision ordonnant une inspection pour tenir compte de ce risque.

168 En second lieu, quant au recours possible à une demande de renseignements en lieu et place d’une décision ordonnant une inspection, il y a lieu de considérer qu’une telle demande n’aurait pas permis de recueillir l’ensemble des informations et des éléments de preuve nécessaires à l’enquête.

169 En effet, en l’espèce et comme cela ressort de la décision attaquée, la Commission a considéré qu’une décision ordonnant une inspection était nécessaire pour vérifier tous les faits relatifs à la coordination suspectée, le contexte dans lequel elle se serait déroulée et l’identité des entreprises en cause, pour éviter que les informations pertinentes ne soient compromises ou détruites, ce qui pourrait être le cas si elles étaient collectées au moyen d’une demande de renseignements ou d’une
inspection annoncée au préalable, et pour garantir l’efficacité de l’inspection en permettant qu’elle soit effectuée simultanément chez toutes les entreprises soupçonnées sans qu’elles en soient averties au préalable.

170 En outre, ainsi que le fait observer la Commission, il existe une différence significative entre le montant d’une amende encourue pour avoir commis une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et le montant d’une amende encourue pour ne pas avoir répondu à une demande de renseignements. Du fait de cette différence, il ne saurait être exclu qu’une entreprise visée par une demande de renseignements puisse être tentée de ne pas y donner suite, quitte à se faire sanctionner pour cette raison,
si cela peut lui permettre d’éviter d’être sanctionnée pour avoir commis une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

171 Le choix de l’instrument utilisé pour recueillir des informations pertinentes pour l’enquête, qu’il s’agisse d’une inspection ordonnée par voie de décision conformément à l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 ou d’une demande de renseignements adoptée sur la base de l’article 18 de ce règlement, dépend ainsi d’une analyse effectuée par la Commission en considération de la situation propre à l’enquête en cours. Le simple fait que la Commission ait pu procéder par demandes de
renseignements dans d’autres affaires, évoquées par la requérante, ne saurait à cet égard suffire pour remettre en cause la légalité du choix opéré dans la présente affaire pour les raisons exposées dans la décision attaquée.

172 Il ressort de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter comme non fondés les arguments de la requérante relatifs à l’absence de nécessité de la décision attaquée en raison de l’absence de risque pour les preuves ou de la possibilité de recourir à une mesure moins contraignante.

b)   Sur les griefs tirés des conséquences dommageables de la décision attaquée

173 La requérante fait valoir que la décision attaquée a eu des conséquences dommageables, d’une part, sur son bon fonctionnement lors du déroulement de l’inspection et, d’autre part, sur ses performances économiques à la suite de la publicité donnée à celle-ci. Dans ce contexte, compte tenu des conséquences à ce point excessives de la décision attaquée, celle-ci ne pourrait pas être considérée comme étant conforme au principe de proportionnalité.

174 La Commission conteste les arguments de la requérante.

175 En premier lieu, quant aux perturbations excessives sur le bon fonctionnement d’une entreprise à qui il est ordonné de se soumettre à une inspection, force est de constater que l’argumentation de la requérante à cet égard manque en fait.

176 En effet, tout d’abord, il convient de rappeler que, par principe, les inspections s’avèrent nécessaires quand la Commission a des soupçons sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence prévues par le traité FUE. Une telle ingérence de l’autorité publique dans le droit d’une entreprise au respect de son domicile et de ses communications reste ainsi proportionnée quand elle s’inscrit dans les limites justifiées de l’objet défini par la décision d’inspection, ce qui implique que la
mise en œuvre d’une telle décision emporte des inconvénients nécessaires et inhérents au bon fonctionnement d’une entreprise que la requérante ne peut ignorer.

177 Or, en l’espèce, compte tenu des indices suffisamment sérieux à la disposition de la Commission, il n’y a pas lieu de considérer que la décision attaquée est susceptible, en tant que telle, d’occasionner une entrave disproportionnée au bon fonctionnement de la requérante.

178 Par ailleurs, il convient de relever que les explications données par la Commission paraissent, en tout état de cause, de nature à établir que les inconvénients engendrés par le choix d’ordonner une inspection ne sont pas démesurés et intolérables par rapport aux buts visés par l’inspection en cause.

179 C’est sans être contredite par la requérante que la Commission a ainsi fait valoir à toutes fins utiles que l’inspection s’était déroulée d’une manière aussi peu intrusive que possible. En particulier, la Commission indique n’avoir saisi les outils de travail que de quatre personnes et les avoir restitués dans un bref délai. En effet, les téléphones portables de ces personnes auraient été rendus en près (et généralement moins) de 24 heures et, afin de leur permettre de poursuivre leur travail en
utilisant leurs numéros de téléphone habituels, la Commission a restitué certaines cartes SIM avant que les téléphones portables ne soient redonnés. En ce qui concerne les ordinateurs portables saisis, l’une des quatre personnes a récupéré son ordinateur le jour même et les autres ordinateurs auraient été restitués dans un délai de 48 heures. L’ensemble des données étant stockées sur les serveurs de la requérante, le fait que ces personnes aient été privées de leurs ordinateurs portables pendant
cette courte période ne les aurait pas empêchées de travailler en utilisant d’autres moyens. En outre, si l’extraction des données stockées sur les supports électroniques a nécessité davantage de temps que ce qui était habituellement le cas, ce serait en raison du système de sécurité mis en place par la requérante, qui a rendu l’extraction difficile. En tout état de cause, la requérante ne pourrait pas prétendre que son fonctionnement a été perturbé parce que deux employés de son service
informatique ont dû aider la Commission dans cette tâche.

180 En conséquence, il y a lieu de rejeter comme non fondé l’argument de la requérante relatif aux conséquences dommageables alléguées en ce qui concerne son bon fonctionnement.

181 En second lieu, quant aux conséquences dommageables pour les performances d’une entreprise qui résulteraient de la publicité excessive donnée à l’inspection ordonnée par la Commission, il convient d’emblée d’indiquer qu’une telle argumentation relève plus d’une problématique d’indemnisation du préjudice subi que du contentieux propre à la légalité d’un acte.

182 À cet égard, il importe de constater que, selon l’argumentation même de la requérante, la publicité donnée à l’inspection par la Commission procède d’un acte distinct de la décision attaquée. Il s’agit en l’espèce du communiqué de presse IP/24/561, intitulé « La Commission procède à des inspections inopinées en matière de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des pneumatiques », publié sur le site Internet de la Commission le 30 janvier 2024, à un moment correspondant au début de
l’inspection effectuée chez la requérante (ci-après le « communiqué de presse »).

183 Or, d’une part, le communiqué de presse n’est pas attaqué en tant que tel dans la présente affaire.

184 D’autre part, et en tout état de cause comme le fait valoir la Commission, il peut être observé que la publication d’un communiqué de presse correspond à une pratique habituelle de sa part. Il peut aussi être noté que celui-ci ne nommait pas la requérante, mais mentionnait seulement le secteur des pneumatiques au sein de l’Union.

185 En l’espèce, le communiqué de presse précisait que la « Commission crai[gnait] que les entreprises visées par les inspections aient coordonné leurs prix, y compris au moyen de communications publiques ».

186 Le communiqué de presse indiquait également qu’il n’y avait pas lieu de tirer de celui-ci une conclusion sur la culpabilité des entreprises visées, dès lors que « [l]es inspections inopinées constituent une étape préliminaire des enquêtes sur des suspicions de pratiques anticoncurrentielles » et que le fait de procéder à de telles inspections « ne signifie pas que les entreprises concernées sont coupables d’un comportement anticoncurrentiel et ne préjuge pas de l’issue de l’enquête elle-même ».

187 Dans ces circonstances, les effets décrits par la requérante ne peuvent pas être utilement invoqués afin d’établir le caractère disproportionné de la décision attaquée dans la présente affaire.

188 En conséquence, il convient de rejeter comme inopérant l’argument de la requérante relatif aux conséquences dommageables alléguées en ce qui concerne ses performances à la suite de la publication par la Commission du communiqué de presse.

189 Il ressort de ce qui précède que la requérante n’a pas établi en quoi la décision d’inspection était disproportionnée. La seconde branche du second moyen doit donc être rejetée.

5.   Conclusion

190 Il ressort de ce qui précède que, en l’absence d’indices suffisamment sérieux permettant d’étayer les soupçons dont il est fait état dans la seconde phrase du considérant 4, la décision attaquée doit être partiellement annulée à cet égard en raison de son caractère arbitraire et de la violation du droit de la requérante au respect de son domicile et de ses communications.

191 Le recours est rejeté pour le surplus.

IV. Sur les dépens

192 Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

193 En l’espèce, dans la mesure où la décision attaquée doit être annulée partiellement, le Tribunal estime qu’il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

  1) La décision C(2024) 243 final de la Commission, du 10 janvier 2024, ordonnant à la Compagnie générale des établissements Michelin, ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil (affaire AT.40863 – Hoops), est annulée pour autant qu’elle concerne la période visée à la seconde phrase du considérant 4.

  2) Le recours est rejeté pour le surplus.

  3) Compagnie générale des établissements Michelin et la Commission européenne supporteront leurs propres dépens.

Marcoulli

Tomljenović

Spangsberg Grønfeldt

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juillet 2025.
 
Le greffier

V. Di Bucci

Le président

S. Papasavvas

Table des matières

  I. Antécédents du litige
  II. Conclusions des parties
  III. En droit
  A. Sur le premier moyen, tiré d’une insuffisance de motivation
  1. Observations liminaires
  2. Sur le grief pris d’une motivation succincte ou générique
  3. Sur le grief pris d’une motivation vague, ambigüe, imprécise ou extensive et ses conséquences sur la compréhension de ce qui est reproché
  B. Sur le second moyen, tiré d’une violation du droit au respect du domicile et des communications de la requérante
  1. Observations liminaires
  2. Sur la similitude entre un exemple évoqué dans les lignes directrices de 2023 et la coordination soupçonnée
  3. Sur la première branche, tirée du caractère arbitraire de la décision attaquée
  a) Sur l’absence de nécessité de communiquer toutes les informations dont la Commission disposait dans la décision attaquée
  b) Sur le caractère suffisamment sérieux des indices présentés par la Commission pour justifier la décision attaquée
  1) Observations liminaires
  2) Sur la méthode suivie pour identifier les déclarations suspectes
  3) Sur le caractère suffisamment sérieux des indices communiqués
  i) Sur l’existence d’indices suffisamment sérieux pour étayer les soupçons relatifs à une coordination des prix lors de la période principale
  – Quant aux déclarations présentées par la Commission
  – Quant aux autres éléments présentés par la Commission
  – Quant aux observations présentées par la requérante
  ii) Sur l’absence d’indices suffisamment sérieux pour étayer les soupçons relatifs à une coordination des prix lors de la période antérieure
  4. Sur la seconde branche, tirée du caractère disproportionné de la décision attaquée
  a) Sur les griefs tirés de l’absence de nécessité de la décision attaquée
  b) Sur les griefs tirés des conséquences dommageables de la décision attaquée
  5. Conclusion
  IV. Sur les dépens

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : T-188/24
Date de la décision : 09/07/2025
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Concurrence – Ententes – Procédure administrative – Décision ordonnant une inspection – Article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003 – Objet et but de l’inspection – Obligation de motivation – Indices suffisamment sérieux – Protection de la vie privée – Contrôle juridictionnel.


Parties
Demandeurs : Compagnie générale des établissements Michelin
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Spangsberg Grønfeldt

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2025:686

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