ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
25 juin 2025 ( *1 )
« Énergie – Marché intérieur de l’électricité – Règlement (UE) 2017/2195 – Décision de l’ACER sur la modification de la méthodologie de fixation du prix de l’énergie d’équilibrage – Imposition d’une limite de prix temporaire – Recours formé devant la commission de recours de l’ACER – Conditions et modalités particulières de recours – Article 28, paragraphe 1, et article 29 du règlement (UE) 2019/942 – Irrecevabilité pour absence de qualité pour agir devant la commission de recours – Exception
d’illégalité – Égalité en droit et protection juridictionnelle effective – Défaut d’affectation individuelle – Qualités ou situations de fait non invoquées – Délai de recours – Absence d’erreur excusable »
Dans l’affaire T‑95/23,
RWE Supply & Trading GmbH, établie à Essen (Allemagne), représentée par Mes U. Scholz, H. Weßling et M. von Armansperg, avocats,
partie requérante,
contre
Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER), représentée par MM. P. Martinet, E. Tremmel et G. Bertrand, en qualité d’agents, assistés de Mes R. van der Hout, J. Wiemer et C. Wagner, avocats,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),
composé de M. M. van der Woude, président, Mme P. Škvařilová‑Pelzl (rapporteure), M. I. Nõmm, Mme G. Steinfatt et M. D. Kukovec, juges,
greffier : M. P. Cullen, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 9 septembre 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, RWE Supply & Trading GmbH, demande, à titre principal, l’annulation de la décision A‑002‑2022 de la commission de recours de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER), du 9 décembre 2022 (ci-après la « décision attaquée »), rejetant, comme étant irrecevable, le recours qu’elle avait formé contre la décision no 03/2022 de l’ACER, du 25 février 2022, sur la modification de la méthodologie de
fixation du prix de l’énergie d’équilibrage et de la capacité entre zones utilisées pour l’échange d’énergie d’équilibrage ou pour la mise en œuvre du processus de compensation des déséquilibres (ci-après la « décision initiale »), en ce que, dans celle-ci, l’ACER avait fixé, pour une période de 48 mois à compter du 1er juillet 2022, une limite au prix auquel les fournisseurs d’énergie d’équilibrage, tels qu’elle-même, pouvaient échanger cette énergie sur les plateformes européennes PICASSO et
MARI, et, à titre subsidiaire, l’annulation de la décision initiale.
Antécédents du litige
2 Par sa décision no 01/2020, du 24 janvier 2020, l’ACER a adopté, sur proposition des gestionnaires de réseau de transport (ci-après les « GRT »), une méthodologie de fixation du prix de l’énergie d’équilibrage et de la capacité entre zones utilisées pour l’échange d’énergie d’équilibrage ou pour la mise en œuvre du processus de compensation des déséquilibres (ci-après la « méthodologie litigieuse »), qui prévoyait notamment que les prix de la fourniture d’énergie d’équilibrage ne devaient pas être
supérieurs ou inférieurs à une limite de prix technique de plus ou moins 99999 euros par mégawattheure (MWh).
3 Le 2 juin 2021, le Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d’électricité (ci-après le « REGRT pour l’électricité ») a établi, au nom de tous les GRT, une proposition d’amendement de la méthodologie litigieuse visant à remplacer la limite de prix technique existante par une limite de prix d’un montant de plus ou moins 15000 euros/MWh (ci-après la « proposition des GRT »). Cette proposition était accompagnée d’une note explicative du 28 mai 2021.
4 Le REGRT pour l’électricité lui ayant transmis la proposition des GRT pour approbation, l’ACER a, le 13 octobre 2021, procédé à une consultation publique sur son site Internet et invité les acteurs du marché intéressés à présenter leurs observations sur cette proposition avant le 10 novembre 2021. La requérante a participé à cette consultation publique, en présentant des observations sur toutes les questions soulevées par l’ACER ainsi qu’un avis juridique portant sur la proposition des GRT.
5 Du 22 novembre au 6 décembre 2021, l’ACER a soumis, pour consultation, aux GRT, au REGRT pour l’électricité et aux autorités de régulation des États membres (ci-après les « ARN ») une version, modifiée par elle-même, de la proposition des GRT qu’elle leur avait préalablement transmise, accompagnée d’une justification des modifications.
6 Par la décision initiale, adoptée le 25 février 2022 et publiée sur son site Internet le 28 février 2022, l’ACER a rejeté la proposition des GRT, au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions de l’article 30, paragraphe 2, du règlement (UE) 2017/2195 de la Commission, du 23 novembre 2017, concernant une ligne directrice sur l’équilibrage du système électrique (JO 2017, L. 312, p. 6), et ordonné le maintien en vigueur de la limite de prix technique existante d’un montant de plus ou moins
99999 euros/MWh. Toutefois, par l’annexe I de la décision initiale, l’ACER a amendé la méthodologie litigieuse en imposant une limite de prix temporaire d’un montant de plus ou moins 15000 euros/MWh s’appliquant exclusivement aux échanges d’énergie d’équilibrage sur les plateformes européennes PICASSO et MARI, pour une durée de 48 mois à compter du 1er juillet 2022.
7 Le 27 avril 2022, la requérante a introduit un recours contre la décision initiale devant la commission de recours de l’ACER (ci-après la « commission de recours »).
8 Par la décision attaquée, la commission de recours a rejeté le recours de la requérante contre la décision initiale comme étant irrecevable, au motif que la requérante n’avait pas la qualité requise pour introduire un tel recours, en vertu de l’article 28, paragraphe 1, du règlement (UE) 2019/942 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, instituant une agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (JO 2019, L 158, p. 22), car elle n’était pas destinataire
de la décision initiale et que cette dernière ne la concernait pas individuellement.
Conclusions des parties
9 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– à titre principal, annuler la décision attaquée ;
– à titre subsidiaire, annuler la décision initiale ;
– condamner l’ACER aux dépens.
10 L’ACER conclut en substance à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur la demande principale, tendant à l’annulation de la décision attaquée
11 À l’appui de la demande principale en annulation de la décision attaquée, la requérante avance en substance trois moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942, le deuxième, d’une violation de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE et, le troisième, d’une violation du principe de protection juridictionnelle effective, tel qu’énoncé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et dans les
principes généraux du droit de l’Union.
12 L’ACER conclut au rejet de la demande principale comme étant non fondée.
13 Il y a lieu de commencer par l’examen du deuxième moyen.
Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE
14 La requérante estime que, dans la décision attaquée, la commission de recours a violé l’article 263, quatrième alinéa, TFUE en considérant qu’elle n’avait pas la qualité requise pour introduire un recours devant elle, alors que la décision initiale était un acte réglementaire qui la concernait directement et ne comportait pas de mesures d’exécution.
15 La requérante soutient que, dans la décision attaquée, la commission de recours a constaté à juste titre, au regard de la jurisprudence, que la décision initiale constituait un acte réglementaire qui la concernait directement et ne comportait pas de mesures d’exécution et qui, partant, était attaquable devant le juge de l’Union européenne, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Cela ne serait pas non plus contesté par l’ACER dans le cadre du présent recours.
16 Cependant, selon la requérante, la commission de recours a considéré à tort, dans la décision attaquée, qu’elle n’avait pas qualité pour introduire un recours contre la décision initiale devant elle, au vu du libellé de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942. En effet, comme le confirmerait tant la doctrine que la jurisprudence, la qualité pour agir contre un acte réglementaire et, finalement, la protection juridictionnelle qui lui auraient été octroyées par l’article 263, quatrième
alinéa, TFUE ne pourraient pas, sauf à violer l’article 47, premier alinéa, de la Charte, en rouvrant la lacune dans la protection juridictionnelle des justiciables de l’Union que cette disposition visait précisément à combler, être indûment restreintes par les conditions et les modalités de mise en œuvre de la procédure de recours administratif préalable mise en place au sein de l’ACER, sur le fondement de l’article 263, cinquième alinéa, TFUE. Ladite protection juridictionnelle ne saurait
varier au simple motif que des institutions de l’Union auraient délégué certains de leurs pouvoirs à des organes ou à des organismes externes.
17 Selon la requérante, l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 pouvait et devait être interprété, à la lumière du contexte et de l’objectif poursuivi par les auteurs des traités de combler une lacune existant dans la protection juridictionnelle, dans un sens conforme à la protection juridictionnelle conférée par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Dans la mesure où, comme cela ressortirait du considérant 34 et de l’article 29 du règlement 2019/942 ainsi que de la jurisprudence,
l’épuisement de la procédure administrative interne serait un préalable nécessaire à un recours devant le juge de l’Union, seules les décisions de la commission de recours pouvant être contestées devant ce dernier, toute restriction du droit de recours devant ladite commission équivaudrait à une restriction du droit de recours devant le juge de l’Union. Il ne pourrait être soutenu, sous peine, au regard de la jurisprudence, d’enfreindre les principes d’égalité en droit et de protection
juridictionnelle effective énoncés aux articles 20 et 47 de la Charte ainsi que le principe d’économie procédurale et de compromettre l’effet utile de la procédure de recours interne devant l’ACER, qu’elle aurait été recevable à introduire directement un recours en annulation de la décision initiale devant le Tribunal, sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Au demeurant, dans la décision attaquée, la commission de recours aurait elle-même constaté que l’absence de recours
n’était « pas satisfaisante ».
18 L’ACER réfute les arguments de la requérante et conclut en substance au rejet du deuxième moyen.
19 Au point 35 de la réplique, la requérante indique que, « [p]ar son deuxième moyen, [elle] invoque une violation [du troisième cas de figure visé à] l’article 263, quatrième alinéa, […] TFUE en raison du refus d’admettre qu’elle est individuellement concernée et non une violation de l’article 28, paragraphe 1, du règlement […] 2019/942, comme le prétend la défenderesse » au point 52 du mémoire en défense.
20 L’ACER en déduit, au point 33 de la duplique, que, « [e]n raison de cette clarification apportée par la requérante, le deuxième moyen est manifestement non fondé, étant donné qu’une violation du troisième cas de figure [visé à] l’article 263, quatrième alinéa, [TFUE] est absolument inenvisageable » en l’espèce, puisque cette disposition n’était pas applicable au recours que la requérante a introduit devant la commission de recours.
21 À cet égard, le juge de l’Union a déjà admis que la présentation de moyens par leur substance, plutôt que par leur qualification légale, pouvait suffire, à condition que ces moyens se dégagent de la requête avec suffisamment de netteté (voir arrêts du 23 septembre 2004, Italie/Commission, C‑297/02, non publié, EU:C:2004:550, point 57 et jurisprudence citée, et du 24 septembre 2015, Italie et Espagne/Commission, T‑124/13 et T‑191/13, EU:T:2015:690, point 33 et jurisprudence citée ; arrêt du
19 janvier 2017, Commission/Frieberger et Vallin, T‑232/16 P, non publié, EU:T:2017:15, point 33).
22 En outre, conformément à la jurisprudence, il est permis de considérer qu’une exception d’illégalité a été soulevée implicitement, dans la mesure où il ressort relativement clairement de la requête que la requérante formule en fait un tel grief (voir, en ce sens, arrêts du 6 juin 1996, Baiwir/Commission, T‑262/94, EU:T:1996:75, point 37 ; du 27 novembre 2018, Mouvement pour une Europe des nations et des libertés/Parlement, T‑829/16, EU:T:2018:840, point 66, et du 21 décembre 2022,
Falke/Commission, T‑306/21, EU:T:2022:834, point 30).
23 Or, il ressort du contenu du deuxième moyen, tel que développé aux points 75 à 104 de la requête ainsi qu’aux points 35 à 49 de la réplique, que la requérante soutient en substance que, pour être conforme au principe de protection juridictionnelle effective et à l’article 47 de la Charte, tel que mis en œuvre par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, lui conférant qualité pour agir devant le juge de l’Union en annulation de tout acte qui, telle la décision initiale, est un acte réglementaire qui
la concerne directement et ne comporte pas de mesures d’exécution, ainsi qu’au principe d’égalité en droit consacré à l’article 20 de la Charte, l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 devait être interprété par la commission de recours, dans la décision attaquée, en ce sens qu’il lui permettait d’introduire un recours devant elle contre ladite décision.
24 Les développements mentionnés au point 23 ci-dessus doivent être compris en ce sens qu’ils recouvrent en substance un double grief, tiré, ou d’une interprétation de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 par la commission de recours, dans la décision attaquée, non conforme au principe de protection juridictionnelle effective et à l’article 47 de la Charte, tel que mis en œuvre par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne, ainsi qu’au principe
d’égalité en droit consacré à l’article 20 de la Charte (premier grief), ou d’une exception d’illégalité implicite de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 pour non-conformité à ces mêmes principes et articles de la Charte (second grief).
25 En réponse à une mesure d’organisation de la procédure adoptée sur le fondement des articles 89 et 90 du règlement de procédure du Tribunal, la requérante a confirmé que la requête contenait implicitement une telle exception d’illégalité de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942.
26 Pour autant que, en réponse à une autre mesure d’organisation de la procédure, l’ACER a objecté que l’exception d’illégalité de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 avait été soulevée tardivement, dans la réponse de la requérante à la mesure d’organisation de la procédure que le Tribunal lui avait adressée, et devait, partant et conformément à la jurisprudence issue du point 23 de l’arrêt du 15 mai 2008, Espagne/Conseil (C‑442/04, EU:C:2008:276), des points 38 et 39 de l’arrêt du
26 juin 2008, Alferink e.a./Commission (T‑94/98, EU:T:2008:226), et des points 64 à 66 de l’arrêt du 24 septembre 2008, Reliance Industries/Conseil et Commission (T‑45/06, EU:T:2008:398), être rejetée comme étant irrecevable, il importe de relever que les deux griefs mentionnés au point 24 ci-dessus ressortaient avec suffisamment de netteté des points 75 à 86 ainsi que des points 102 et 103 de la requête. Il y a donc lieu d’écarter l’objection soulevée par l’ACER et d’examiner ces deux griefs sur
le fond.
27 À titre liminaire, il convient d’observer que, comme l’admettent les parties dans leurs écritures et la commission de recours aux points 40 et 50 de la décision attaquée, la décision initiale, bien qu’adoptée sous la forme d’une décision individuellement adressée aux GRT de la région comprenant la Belgique, la République tchèque, l’Allemagne, la France, la Croatie, le Luxembourg, la Hongrie, les Pays-Bas, l’Autriche, la Pologne, la Roumanie, la Slovénie et la Slovaquie (ci-après la « région
CORE »), est un acte réglementaire qui concerne directement la requérante sans comporter de mesures d’exécution, au sens du troisième cas de figure visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne, de sorte que la requérante relève, au regard de cette décision, de la catégorie des personnes physiques ou morales concernée par le troisième cas de figure visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
28 Cela étant précisé, il convient de vérifier si, comme le soutient la requérante dans le cadre du premier grief, l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 aurait dû être interprété par la commission de recours, dans la décision attaquée, comme lui conférant qualité pour agir devant elle contre la décision initiale, afin d’assurer la conformité de cette disposition au principe de protection juridictionnelle effective et à l’article 47 de la Charte, tel que mis en œuvre par l’article 263,
quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne, ainsi qu’au principe d’égalité en droit consacré à l’article 20 de la Charte.
29 Selon la jurisprudence, l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union ne peut avoir pour résultat de retirer tout effet utile au libellé clair et précis de cette disposition. Ainsi, dès lors que le sens d’une telle disposition ressort sans ambiguïté du libellé même de celle-ci, le juge de l’Union ne peut se départir de cette interprétation (voir arrêt du 23 novembre 2023, Ministarstvo financija, C‑682/22, EU:C:2023:920, point 31 et jurisprudence citée). Selon une jurisprudence constante,
il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, dès lors que les termes de celle-ci ne délimitent pas explicitement sa portée, de tenir compte de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir arrêt du 21 janvier 2021, Whiteland Import Export, C‑308/19, EU:C:2021:47, point 34 et jurisprudence citée).
30 Aux termes de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942, concernant les « [d]écisions [de l’ACER] pouvant faire l’objet d’un recours », « [t]oute personne physique ou morale, y compris des [ARN], peut former un recours contre une décision [de l’ACER] visée à l’article 2, [sous] d), [de ce règlement] dont elle est l[a] destinataire ou contre une décision qui, bien qu’elle ait été prise sous la forme d’une décision dont une autre personne est l[a] destinataire, la concerne directement et
individuellement ».
31 En l’espèce, il est constant que la décision initiale, par laquelle l’ACER a statué sur des amendements à la méthodologie litigieuse proposés par les GRT de la région CORE, conformément à l’article 5, paragraphe 2, sous b), du règlement 2019/942, est une décision de l’ACER telle que visée à l’article 2, sous d), de ce règlement.
32 Il ressort du libellé clair et précis de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 que la requérante, en tant que personne morale qui n’est pas destinataire de la décision initiale, laquelle est, conformément à son article 2, adressée aux GRT de la région CORE, ne peut former un recours contre ladite décision que si celle-ci la concerne non seulement directement, mais également individuellement.
33 S’il est vrai que la condition d’affectation individuelle ainsi énoncée de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 doit être interprétée à la lumière des principes généraux du droit de l’Union, tels que garantis par la Charte, une telle interprétation ne saurait aboutir à écarter ladite condition, qui est expressément prévue par le texte, sans aboutir à une interprétation contra legem.
34 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le recours à une interprétation large n’est possible que pour autant qu’elle soit compatible avec le texte de la disposition en cause et que même le principe de l’interprétation conforme à une norme de force obligatoire supérieure ne peut servir de fondement à une interprétation contra legem (voir ordonnance du 15 décembre 2023, Stan/Parquet européen, T‑103/23, EU:T:2023:871, point 30 et jurisprudence citée ; voir
également, par analogie, arrêts du 19 septembre 2019, Rayonna prokuratura Lom, C‑467/18, EU:C:2019:765, point 61, et du 5 octobre 2020, Brown/Commission, T‑18/19, EU:T:2020:465, point 111).
35 Partant, il y a lieu de constater que, dans la décision attaquée, la commission de recours était fondée à ne pas interpréter l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 en ce sens qu’il autorisait la requérante, en tant que personne morale au sens de cette disposition, à introduire un recours devant elle contre la décision initiale sans avoir à établir qu’elle était non seulement directement, mais également individuellement concernée par ladite décision.
36 Dès lors, il y a lieu de rejeter le premier grief, comme étant non fondé.
37 Il convient de poursuivre par l’examen au fond du second grief, correspondant à l’exception d’illégalité implicite évoquée au point 24 ci-dessus.
38 À cet égard, il convient de rappeler que, selon un principe général d’interprétation, un acte de l’Union doit être interprété, dans la mesure du possible, d’une manière qui ne remet pas en cause sa validité (arrêts du 4 octobre 2001, Italie/Commission, C‑403/99, EU:C:2001:507, point 37, et du 19 novembre 2009, Sturgeon e.a., C‑402/07 et C‑432/07, EU:C:2009:716, point 47). De même, lorsqu’une disposition du droit de l’Union est susceptible de plusieurs interprétations, il convient de privilégier
celle qui est de nature à sauvegarder son effet utile (arrêt du 19 novembre 2009, Sturgeon e.a., C‑402/07 et C‑432/07, EU:C:2009:716, point 47 ; voir également, en ce sens, arrêt du 22 septembre 1988, Land de Sarre e.a., 187/87, EU:C:1988:439, point 19 et jurisprudence citée).
39 En l’espèce, il convient de relever que, dans leurs réponses aux mesures d’organisation de la procédure que le Tribunal leur avait adressées, l’ACER, à titre subsidiaire, ainsi que le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne, à titre principal, ont fait valoir en substance que l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 n’était pas contraire au principe de protection juridictionnelle effective ni à l’article 47 de la Charte, tel que mis en œuvre par
l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, ainsi qu’au principe d’égalité en droit consacré par l’article 20 de la Charte, car il ne faisait pas obstacle à ce que, dans des cas comme ceux de l’espèce, les personnes physiques ou morales non destinataires d’un acte de l’ACER de portée générale dépourvu de mesures d’exécution et qui étaient directement, mais non individuellement, concernées par cet acte, à savoir la catégorie de personnes physiques ou morales concernée par le troisième cas de figure
visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne, introduisent directement un recours en annulation dudit acte devant le Tribunal.
40 La décision initiale étant, à son égard, un acte réglementaire qui la concerne directement et ne comporte pas de mesures d’exécution, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne (voir point 27 ci-dessus), la requérante fait partie de la catégorie des personnes physiques ou morales concernée par le troisième cas de figure visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, qui, de même que les deux autres catégories de personnes physiques ou morales
concernées par les premier et deuxième cas de figure visés à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, à savoir les personnes physiques ou morales destinataires de l’acte ou directement et individuellement concernées par ce dernier, peut former un recours contre celui-ci devant le juge de l’Union, dans les conditions prévues à l’article 263, premier et deuxième alinéas, TFUE.
41 Toutefois, l’article 263, cinquième alinéa, TFUE dispose que les actes créant des organes ou des organismes de l’Union peuvent prévoir des conditions et des modalités particulières concernant les recours formés par des personnes physiques ou morales contre des actes de ces organes ou de ces organismes destinés à produire des effets juridiques à leur égard.
42 Sur proposition de la Commission, le législateur de l’Union a prévu, aux articles 28 et 29 du règlement 2019/942, lus à la lumière du considérant 34 dudit règlement, que les personnes physiques ou morales destinataires des actes de l’ACER ou concernées directement et individuellement par ces derniers doivent, pour des raisons de simplification de procédure, disposer d’un droit de recours auprès de la commission de recours.
43 Dans ce contexte et comme il ressort de leurs réponses aux mesures d’organisation de la procédure que le Tribunal leur avait adressées, le Parlement, le Conseil et la Commission ont estimé qu’il n’y avait pas lieu d’inclure, parmi les personnes physiques ou morales pouvant, en vertu de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942, former un recours contre une décision de l’ACER visée à l’article 2, sous d), dudit règlement, les personnes physiques ou morales relevant de la catégorie
concernée par le troisième cas de figure visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne, dans la mesure où, en règle générale, l’ACER adoptait des « décisions individuelles », au titre de l’article 2, sous d), de ce règlement, pour lesquelles la voie de recours devant la commission de recours était disponible. Si l’ACER venait, comme en l’espèce (voir point 27 ci-dessus), à adopter un acte réglementaire, la voie de recours prévue à l’article 263,
quatrième alinéa, TFUE serait alors directement ouverte.
44 Pour autant que, à cet égard, la requérante soutient que, en application de l’article 29 du règlement 2019/942, elle ne pouvait saisir directement le Tribunal d’un recours en annulation contre la décision initiale sur le fondement du troisième cas de figure visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, il y a lieu d’observer que, certes, l’article 29 du règlement 2019/942 dispose que « [l]es recours en annulation d’une décision prise par l’ACER au titre du[dit] règlement […] ne peuvent être
introduits devant la Cour de justice [de l’Union européenne] qu’après épuisement de la procédure de recours [préalable] visée à l’article 28 [de ce règlement] » et que cette disposition impose aux parties requérantes non privilégiées de poursuivre devant le Tribunal l’annulation des décisions adoptées par la commission de recours (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2022, MEKH et FGSZ/ACER, T‑684/19 et T‑704/19, EU:T:2022:138, points 35 à 42).
45 Toutefois, il convient de relever que l’arrêt du 16 mars 2022, MEKH et FGSZ/ACER (T‑684/19 et T‑704/19, EU:T:2022:138), doit être interprété à la lumière de son contexte et, notamment, du fait que les parties requérantes dans cette affaire avaient incontestablement qualité pour agir devant la commission de recours, mais n’étaient pas recevables à contester, devant le Tribunal, la légalité des décisions initiales de l’ACER au vu des articles 28 et 29 du règlement 2019/942.
46 À cet égard, dans la mesure où, pour les raisons exposées au point 43 ci-dessus, le législateur de l’Union n’a pas soumis la catégorie de personnes physiques ou morales dont relève la requérante à la procédure de recours préalable visée à l’article 28 du règlement 2019/942, l’épuisement de ladite procédure exigé par l’article 29 de ce règlement ne peut pas être interprété comme s’appliquant à cette catégorie. Il s’ensuit que les personnes physiques ou morales relevant de la catégorie concernée
par le troisième cas de figure visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne, n’entrent pas dans le champ d’application de la procédure de recours préalable obligatoire instituée par les articles 28 et 29 du règlement 2019/942 et doivent, à l’inverse de celles relevant des deux autres catégories visées à l’article 28, paragraphe 1, de ce règlement, former directement leurs recours contre les actes en cause de l’ACER devant le Tribunal, conformément au
troisième cas de figure visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne.
47 En effet, comme le soutiennent le Parlement, le Conseil et la Commission dans leurs réponses aux mesures d’organisation de la procédure, le règlement 2019/942 ne peut être interprété en ce sens que le législateur de l’Union a voulu soumettre au contrôle de la commission de recours la totalité des actes adoptés par l’ACER, dans la mesure où le champ d’application matériel de l’article 28 dudit règlement se limite aux décisions individuelles visées à l’article 2, sous d), de ce règlement. Au
demeurant, le législateur de l’Union a également suivi cette approche « hybride » lors de la création des organes de recours de plusieurs autres agences, comme cela ressort des règlements établissant les organes de recours de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), de l’Autorité bancaire européenne (ABE), du Conseil de résolution unique (CRU), de l’Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne (EASA), de l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et de l’Autorité
européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP).
48 À cet égard, il convient de noter que, dans leurs réponses aux mesures d’organisation de la procédure, le Parlement, le Conseil et la Commission ont souligné que l’absence de référence explicite, dans le règlement 2019/942, à la possibilité de saisir directement le juge de l’Union dans les cas où les conditions de recevabilité de l’article 28 de ce règlement n’étaient pas remplies était dépourvue d’incidence, car une telle référence aurait été purement déclaratoire, l’article 263 TFUE n’ayant pas
à être transposé dans le droit dérivé de l’Union pour être applicable.
49 Par ailleurs, l’interprétation préconisée au point 46 ci-dessus ne contredit pas le point 57 de l’arrêt du 9 mars 2023, ACER/Aquind (C‑46/21 P, EU:C:2023:182), où la Cour a dit pour droit que « [l]es organes de recours [des agences de l’Union] représent[ai]ent un moyen approprié pour protéger les droits des parties concernées », dès lors qu’un tel constat n’implique pas que le contrôle exercé par la commission de recours de l’ACER soit le seul moyen approprié pour protéger, à l’égard des
décisions de l’ACER, les droits des personnes physiques ou morales qui ne peuvent pas saisir cette commission sur le fondement de l’article 28 du règlement 2019/942.
50 Cette interprétation n’est pas non plus contradictoire avec le considérant 34 du règlement 2019/942, qui indique que, « [s]i l’ACER dispose de pouvoirs de décision, les parties intéressées devraient, pour des raisons de simplification de procédure, disposer d’un droit de recours auprès de la commission de recours ». En effet, ce considérant doit être lu de manière conjointe avec le texte des articles 28 et 29 du règlement 2019/942 et la jurisprudence citée au point 49 ci-dessus, d’où il résulte
que la commission de recours représente un moyen approprié pour protéger les droits des parties concernées par les actes de l’ACER pour autant qu’elles remplissent les conditions de recevabilité mentionnées dans ledit règlement. Cependant, ni le considérant 34 du règlement 2019/942 ni la jurisprudence précitée ne peuvent être interprétés en ce sens que la saisine directe du juge de l’Union sur la base de l’article 263 TFUE par des personnes physiques ou morales qui ne sont pas recevables à saisir
la commission de recours sur le fondement de l’article 28 dudit règlement ne serait pas un moyen approprié pour contrôler, en première instance, la légalité des actes de l’ACER.
51 Même si, comme le soutiennent l’ACER, le Parlement, le Conseil et la Commission dans leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l’audience ou aux mesures d’organisation de la procédure que le Tribunal leur a adressées, l’article 263, cinquième alinéa, TFUE confère au législateur de l’Union un pouvoir d’appréciation pour décider des conditions et des modalités particulières à imposer en ce qui concerne les recours formés par des personnes physiques ou morales contre les actes d’un
organe ou d’un organisme de l’Union destinés à produire des effets juridiques à leur égard, un tel pouvoir ne peut jamais être exercé que dans le respect du droit primaire et, notamment, des principes généraux du droit de l’Union.
52 Dès lors, il convient de s’interroger, en premier lieu, sur la question de savoir si, comme le soutient la requérante, la différence de traitement instituée par l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 entre la catégorie de personnes physiques ou morales concernée par le troisième cas de figure visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne, et les autres catégories de personnes physiques ou morales concernées par les premier et deuxième cas de
figure visés à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE quant à la possibilité de saisir la commission de recours est incompatible avec le principe d’égalité en droit consacré à l’article 20 de la Charte.
53 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’égalité en droit, énoncée à l’article 20 de la Charte, est un principe général du droit de l’Union qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié [voir arrêt du 2 septembre 2021, État belge (Droit de séjour en cas de violence domestique), C‑930/19,
EU:C:2021:657, point 57 et jurisprudence citée].
54 L’exigence tenant au caractère comparable des situations, afin de déterminer l’existence d’une violation du principe d’égalité de traitement, doit être appréciée au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent et, notamment, à la lumière de l’objet de l’acte qui institue la distinction en cause et du but poursuivi par ce dernier, étant entendu qu’il doit être tenu compte, à cet effet, des principes et des objectifs du domaine dont relève cet acte. Pour autant que les situations ne sont
pas comparables, une différence de traitement des situations concernées ne viole pas l’égalité en droit consacrée à l’article 20 de la Charte [voir arrêt du 2 septembre 2021, État belge (Droit de séjour en cas de violence domestique), C‑930/19, EU:C:2021:657, point 58 et jurisprudence citée].
55 En l’espèce, il y a lieu d’apprécier si, au regard de l’objet et du but du système de recours interne à l’ACER institué par les articles 28 et 29 du règlement 2019/942, la situation d’une personne physique ou morale relevant de la catégorie concernée par le troisième cas de figure visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne, souhaitant introduire un recours en annulation d’une décision de l’ACER au titre de ce règlement, est comparable à celle d’une
personne physique ou morale relevant des autres catégories concernées par les premier et deuxième cas de figure visés à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE souhaitant également introduire un tel recours.
56 À titre liminaire, il convient de rappeler que, comme le juge de l’Union a déjà eu l’occasion de le confirmer, dans la mesure où le législateur de l’Union a entendu doter la commission de recours de l’expertise nécessaire pour lui permettre de procéder elle-même à des appréciations portant sur des éléments factuels d’ordre technique et économique complexes liés à l’énergie, cette dernière n’est pas autorisée à se limiter à exercer un contrôle restreint sur les décisions de l’ACER. Au contraire,
en se fondant sur l’expertise scientifique de ses membres, elle doit examiner si les arguments soulevés par la partie requérante sont susceptibles de démontrer que les considérations sur lesquelles la décision de l’ACER est fondée sont entachées d’erreurs (voir, en ce sens, arrêts du 9 mars 2023, ACER/Aquind, C‑46/21 P, EU:C:2023:182, points 53 à 72, et du 18 novembre 2020, Aquind/ACER, T‑735/18, EU:T:2020:542, points 45 à 71).
57 Dans ce cadre, le juge de l’Union a précisé que la création de la commission de recours s’inscrivait dans une approche globale, retenue par le législateur de l’Union, tendant à doter les agences de l’Union d’organes de recours lorsque leur avait été confié un pouvoir de décision sur des questions complexes sur le plan technique ou scientifique, susceptible d’affecter directement la situation juridique des parties concernées. Ces organes de recours représentent un moyen approprié pour protéger les
droits des parties concernées dans un contexte où, selon une jurisprudence constante, dès lors que les autorités de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation, notamment quant aux éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes, pour déterminer la nature et l’étendue des mesures qu’elles adoptent, le contrôle du juge de l’Union doit se limiter à examiner si l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou
encore si ces autorités n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation (arrêt du 9 mars 2023, ACER/Aquind, C‑46/21 P, EU:C:2023:182, points 56 et 57 ; voir, également, arrêt du 7 mars 2013, Bilbaína de Alquitranes e.a./ECHA, T‑93/10, EU:T:2013:106, point 76 et jurisprudence citée).
58 Il y a donc lieu de constater que, en ne permettant pas aux personnes physiques ou morales qui, telle la requérante, relèvent de la catégorie concernée par le troisième cas de figure visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne, de saisir la commission de recours, l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 établit une différence de traitement, dans la mesure où ces personnes pourront profiter uniquement d’un contrôle restreint des décisions de
l’ACER exercé par le Tribunal en ce qui concerne les appréciations scientifiques, techniques ou économiques complexes liées à l’énergie, alors que les personnes physiques ou morales relevant des catégories concernées par les premier et deuxième cas de figure visés à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE peuvent bénéficier d’un contrôle entier effectué par la commission de recours à l’égard desdites appréciations scientifiques, techniques ou économiques.
59 Comme l’ACER, le Parlement, le Conseil et la Commission l’ont fait valoir en substance dans leurs réponses aux mesures d’organisation de la procédure que le Tribunal leur avait adressées, cette différence de traitement quant à l’accès au contrôle entier effectué par la commission de recours se justifie néanmoins par le lien plus ou moins intense entretenu par les différentes catégories de personnes physiques ou morales concernées avec les décisions de l’ACER. En effet, alors que les personnes
physiques ou morales relevant des catégories concernées par les premier et deuxième cas de figure visés à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne, sont individualisées par lesdites décisions, en ce qu’elles en sont les destinataires ou en ce que ces décisions les atteignent d’une manière analogue dont le serait un destinataire, en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute
autre personne (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223, etdu 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 93), tel n’est pas le cas des personnes physiques ou morales relevant de la catégorie concernée par le troisième cas de figure visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
60 Ainsi, cette différence de traitement, fondée sur les critères objectifs établis à l’article 28 du règlement 2019/942, est justifiée, car elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation en cause et elle est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 1977, Bela-Mühle Bergmann, 114/76, EU:C:1977:116, point 7, et du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, point 47).
61 En effet, l’emploi des critères objectifs fixés par le législateur de l’Union à l’article 28 du règlement 2019/942 est en rapport avec le but poursuivi par cette disposition, qui consiste à établir un système de voies de recours administratives concernant des catégories précises d’actes de l’ACER et de personnes physiques ou morales entretenant un lien intense avec ces derniers.
62 Compte tenu du lien moins intense qu’elles entretiennent avec les « décisions individuelles » de l’ACER par rapport aux personnes physiques ou morales relevant des catégories concernées par les premier et deuxième cas de figure visés à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne, il est justifié et approprié que les personnes physiques ou morales qui, telle la requérante, relèvent de la catégorie concernée par le troisième cas de figure visé à l’article 263,
quatrième alinéa, TFUE ne disposent que de la possibilité d’obtenir un contrôle restreint desdites décisions devant le Tribunal, étant précisé que, à la différence de celles relevant des deux autres catégories, lesdites personnes ne sont soumises ni à l’obligation, imposée par l’article 29 du règlement 2019/942, d’épuiser la procédure de recours préalable visée à l’article 28 de ce règlement (voir point 45 ci-dessus) ni à la procédure d’admission préalable des pourvois prévue à l’article 58 bis
du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.
63 En outre, selon la jurisprudence, pour que l’on puisse reprocher au législateur de l’Union d’avoir violé le principe d’égalité de traitement, il faut que celui-ci ait traité d’une façon différente des situations comparables, entraînant un désavantage pour certaines personnes par rapport à d’autres (arrêts du 13 juillet 1962, Klöckner-Werke et Hoesch/Haute Autorité, 17/61 et 20/61, EU:C:1962:30, p. 652, et du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728,
point 39).
64 À cet égard, le contrôle direct effectué par le Tribunal ne peut être considéré comme étant désavantageux pour des personnes physiques ou morales qui ne se trouvent pas, au regard d’un acte de l’ACER, dans l’un des cas de figure visés à l’article 28 du règlement 2019/942.
65 En effet, le fait que l’examen d’un acte de l’ACER par la commission de recours ait été considéré comme étant un moyen approprié pour protéger les droits de personnes physiques ou morales entretenant un lien intense avec cet acte dans un contexte où les autorités de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation, notamment quant aux éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes, pour déterminer la nature et l’étendue des mesures qu’elles adoptent (voir, en ce sens,
arrêt du 9 mars 2023, ACER/Aquind, C‑46/21 P, EU:C:2023:182, point 57), ne peut être interprété comme signifiant qu’un recours direct devant le Tribunal sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE ne pourrait pas, également, être considéré comme un moyen approprié pour protéger les droits de personnes physiques ou morales qui entretiennent un lien moins intense avec ce même acte.
66 Il s’ensuit que le législateur de l’Union a institué, à l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942, une différence de traitement justifiée entre des personnes physiques ou morales qui ne sont pas placées dans une situation identique ou comparable au regard des décisions de l’ACER et n’ont donc pas à être soumises aux mêmes conditions ou modalités particulières s’agissant des recours qu’elles forment contre lesdites décisions, de sorte que cette différence de traitement ne peut pas être
regardée comme violant le principe d’égalité en droit consacré à l’article 20 de la Charte.
67 Il convient de s’interroger, en second lieu, sur la question de savoir si, comme le soutient la requérante, l’impossibilité, pour les personnes physiques ou morales qui, comme elle, relèvent de la catégorie concernée par le troisième cas de figure visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne, de saisir la commission de recours viole le principe de protection juridictionnelle effective et l’article 47 de la Charte, tel que mis en œuvre par
l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
68 Aux termes de l’article 47 de la Charte, toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues audit article. Il ressort de la jurisprudence de la Cour ainsi que de celle de la Cour européenne des droits de l’homme que le droit d’accès à un tribunal n’est pas un droit absolu et que, ainsi, il peut comporter des restrictions proportionnées qui poursuivent un but légitime
et ne portent pas atteinte à ce droit dans sa substance même (voir ordonnance du 6 avril 2017, PITEE/Commission, C‑464/16 P, non publiée, EU:C:2017:291, point 31 et jurisprudence citée). Conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, une limitation du droit à un recours effectif n’est justifiée que si elle est prévue par la loi, si elle respecte le contenu essentiel dudit droit et si, dans le respect du principe de proportionnalité, elle est nécessaire et répond effectivement à des
objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui (arrêts du 4 mai 2016, Pillbox 38, C‑477/14, EU:C:2016:324, point 160, et du 15 septembre 2016, Star Storage e.a., C‑439/14 et C‑488/14, EU:C:2016:688, point 49).
69 En l’espèce, comme cela a déjà été observé (voir points 45 et 66 ci-dessus), il ressort d’une lecture combinée de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE et des articles 28 et 29 du règlement 2019/942, interprétés à la lumière du principe général d’interprétation rappelé au point 38 ci-dessus, que les personnes physiques ou morales qui, telle la requérante, relèvent de la catégorie concernée par le troisième cas de figure visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité
de Lisbonne, peuvent former directement un recours contre les décisions de l’ACER devant le Tribunal.
70 À cet égard, il convient de relever que, dans la mesure où la voie du recours en annulation devant le Tribunal reste ouverte, il ne saurait être considéré que le législateur de l’Union a violé le droit à une protection juridictionnelle effective lors de l’adoption des articles 28 et 29 du règlement 2019/942.
71 Certes, comme la commission de recours, au point 55 de la décision attaquée, et la requérante, lors de l’audience, l’ont relevé, les conditions et les modalités particulières de recours devant la commission de recours mises en place par le législateur de l’Union aux articles 28 et 29 du règlement 2019/942 aboutissent à des complications procédurales peu satisfaisantes. D’une part, elles pourraient impliquer l’introduction de recours parallèles contre les mêmes décisions de l’ACER devant la
commission de recours et le Tribunal, soit par les mêmes personnes physiques ou morales en cas de doutes sur la catégorie visée à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE à laquelle elles appartiennent, soit par des personnes physiques ou morales relevant de catégories différentes visées à cette même disposition, avec toutes les complications inhérentes à la gestion de tels recours (suspension, non-lieu, etc.). D’autre part, en faisant dépendre la compétence respective de la commission de recours et
du Tribunal pour connaître d’un recours introduit par une personne physique ou morale non destinataire d’un acte de l’ACER, mais à l’égard de laquelle cet acte produit des effets juridiques et, partant, la procédure à suivre par celle-ci pour contester ledit acte de la question juridique complexe de savoir si cette personne est ou non « individuellement concernée » par ledit acte, l’application de ces conditions et de ces modalités particulières pourrait nourrir de nombreux contentieux devant la
commission de recours, le Tribunal et la Cour.
72 Néanmoins, d’une part, le risque de recours parallèles contre un même acte de l’ACER existe indépendamment des articles 28 et 29 du règlement 2019/942, puisque, comme cela ressort notamment du point 31 de l’arrêt du 16 mars 2022, MEKH et FGSZ/ACER (T‑684/19 et T‑704/19, EU:T:2022:138), les parties requérantes privilégiées ont le droit de saisir directement le Tribunal d’un recours en annulation d’une décision de l’ACER. D’autre part, le caractère complexe de la notion d’« affectation
individuelle » ne découle pas spécifiquement du système de recours administratif mis en place par les articles 28 et 29 du règlement 2019/942.
73 En tout état de cause, de telles complications procédurales ne sauraient suffire à constater que le système de recours mis en place est, en lui-même, contraire au principe de protection juridictionnelle effective, tel que garanti par l’article 47 de la Charte.
74 Dès lors, l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 ne saurait non plus être regardé comme violant le principe de protection juridictionnelle effective et l’article 47 de la Charte, tel que mis en œuvre par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
75 Par conséquent, il y a lieu d’écarter l’exception d’illégalité, comme étant non fondée, de sorte que l’ensemble du deuxième moyen se trouve être rejeté.
76 Il y a lieu de poursuivre par l’examen du troisième moyen, tiré d’une violation du principe de protection juridictionnelle effective, tel qu’énoncé à l’article 47 de la Charte et dans les principes généraux du droit de l’Union.
Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de protection juridictionnelle effective, tel qu’énoncé à l’article 47 de la Charte et dans les principes généraux du droit de l’Union
77 La requérante estime que, dans la décision attaquée, la commission de recours a violé le principe de protection juridictionnelle effective, tel qu’énoncé à l’article 47 de la Charte et dans les principes généraux du droit de l’Union, en considérant qu’elle n’avait pas la qualité requise pour introduire un recours devant elle, alors que cela aboutissait à la priver d’une protection juridictionnelle effective à l’égard d’une décision, à savoir la décision initiale, qui limite sa liberté
d’entreprise, telle que garantie par l’article 16 de la Charte. Conformément à la jurisprudence, l’Union serait une communauté de droit, reposant sur un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier au juge de l’Union le contrôle de la légalité des actes des institutions, des organes et des organismes de l’Union. Le système du traité serait d’ouvrir un recours direct contre toutes décisions prises par ces derniers et visant à produire des effets juridiques. Dans ce
contexte, les conditions de recevabilité prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE devraient être interprétées à la lumière du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, tel qu’énoncé à l’article 47 de la Charte. Or, faute de possibilité de recours devant la commission de recours, la requérante indique qu’elle se voit privée de toute protection juridictionnelle effective à l’égard de la décision initiale, qui, par ses effets réglementaires, affecte défavorablement sa
situation juridique, en tant que fournisseuse d’énergie d’équilibrage (voir points 86 et 92 ci-après), étant donné que, en l’espèce, l’accès au juge de l’Union est conditionné à un tel recours (voir point 16 ci-dessus). La requérante indique qu’elle a pourtant qualité pour agir en annulation de la décision initiale au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
78 L’ACER réfute les arguments de la requérante et conclut au rejet du troisième moyen.
79 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante déjà citée (voir point 34 ci-dessus), le recours à une interprétation large n’est possible que pour autant qu’elle soit compatible avec le texte de la disposition en cause et que même le principe de l’interprétation conforme à une norme de force obligatoire supérieure ne peut servir de fondement à une interprétation contra legem.
80 En l’espèce, au vu du libellé clair de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942, non remis en cause par le contenu de la réglementation pertinente et les objectifs que cette dernière poursuit (voir points 32 à 35 ci-dessus), la commission de recours était fondée, dans la décision attaquée, nonobstant son obligation de respecter le principe de protection juridictionnelle effective, tel qu’énoncé à l’article 47 de la Charte et dans les principes généraux du droit de l’Union, à ne pas
interpréter l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 en ce sens qu’il autorisait la requérante, qui n’était ni partie requérante privilégiée ni destinataire de la décision initiale, à introduire un recours devant elle contre la décision concernée sans avoir à établir qu’elle était non seulement directement, mais également individuellement concernée par cette décision.
81 À supposer que le présent moyen doive également être compris comme renfermant implicitement une exception d’illégalité de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 pour violation du principe de protection juridictionnelle effective, tel qu’énoncé à l’article 47 de la Charte et dans les principes généraux du droit de l’Union, celle-ci devrait être rejetée, comme étant non fondée, pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 68 à 71 ci-dessus.
82 Ainsi, il convient de rejeter le troisième moyen comme étant non fondé et de poursuivre par l’examen au fond du premier moyen, tiré d’une violation de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942.
Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942
83 La requérante estime que la commission de recours a violé l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942, dans la décision attaquée, en considérant qu’elle n’avait pas la qualité requise pour introduire un recours devant elle contre la décision initiale, alors qu’elle était directement et individuellement concernée par cette décision.
84 La requérante observe que, aux points 39 et suivants de la décision attaquée, la commission de recours a constaté, à juste titre au regard de la jurisprudence, qu’elle était directement concernée par la décision initiale, qui affectait directement sa situation juridique en l’empêchant temporairement de fixer librement les prix de ses offres sur le marché de l’énergie d’équilibrage, dès lors que les offres excédant la limite de prix temporaire fixée par la décision initiale ne pouvaient plus être
acceptées par les GRT de la région CORE passant par les plateformes européennes PICASSO et MARI.
85 En revanche, c’est de manière erronée, selon la requérante, que la commission de recours a refusé de constater, dans la décision attaquée, qu’elle était individuellement concernée par la décision initiale, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, tel qu’interprété par la jurisprudence.
86 Premièrement, la requérante indique être individuellement concernée par la décision initiale, dans la mesure où, conformément à la jurisprudence, cette décision affecte substantiellement sa position sur le marché de la fourniture de l’énergie d’équilibrage, en abaissant artificiellement le prix auquel elle peut vendre cette électricité aux GRT, qui en sont les seuls demandeurs, de telle manière qu’elle se trouve temporairement empêchée de bénéficier d’un prix de marché qui devrait être plus élevé
(pour couvrir le coût d’opportunité des offres) ou de se livrer à une concurrence par les prix pour ladite électricité. La décision initiale ne concernerait qu’un nombre restreint d’opérateurs économiques qui, comme elle, opéreraient en République tchèque, en Allemagne et en Autriche, seules zones dans lesquelles les plateformes européennes PICASSO et MARI seraient actuellement opérationnelles, et qui auraient réussi, au terme d’une procédure longue et coûteuse, à préqualifier leurs installations
pour fournir de l’énergie d’équilibrage. La décision initiale porterait ainsi atteinte, de manière ciblée, à la liberté d’entreprise de ces fournisseurs d’énergie d’équilibrage en les empêchant de vendre cette énergie à un prix excédant la limite de prix temporaire fixée par ladite décision, et ce alors que les coûts marginaux variables d’installations, même efficaces et compétitives, pourraient ne pas être couverts par cette limite.
87 Deuxièmement, la requérante indique avoir participé activement à la procédure ayant mené à l’adoption de la décision initiale, ce qui, selon la jurisprudence, constitue un élément pertinent, parmi d’autres, pour établir l’affectation individuelle d’une partie requérante. Il suffirait, selon la jurisprudence, que l’action de cette dernière ait été susceptible d’influencer la procédure en cause. En l’espèce, la requérante aurait participé activement à la consultation publique sur la proposition des
GRT menée par l’ACER, au titre de l’article 14, paragraphe 1, du règlement 2019/942, avant l’adoption de la décision initiale, en répondant au questionnaire préparé par cette dernière et en lui soumettant un avis juridique sur le fond. Dans la décision initiale, l’ACER aurait tenu compte de ces commentaires et de ces observations, pour les rejeter, ou pour les commenter, comme en ce qui concernait la formation des prix sur le marché de l’énergie d’équilibrage, ou pour y donner suite, notamment en
ce qui concernait le rejet de la proposition des GRT.
88 Troisièmement, la requérante observe que l’ACER ne conteste pas avoir dûment tenu compte, dans la décision initiale, de sa situation sur le plan matériel, ce qui est également, selon la jurisprudence, un élément pertinent, parmi d’autres, pour établir l’affectation individuelle d’une partie requérante. En effet, comme cela a été indiqué au point 87 ci-dessus, l’ACER aurait été influencée, dans la décision initiale, par les commentaires et les observations qu’elle aurait formulés dans le cadre de
la consultation publique sur la proposition des GRT. Au demeurant, selon la requérante, il pesait sur l’ACER une obligation juridique de tenir compte des conséquences que la décision initiale pouvait avoir sur sa situation, ce qui, selon la jurisprudence, était aussi de nature à l’individualiser au regard de cette décision. En vertu de l’article 10, paragraphe 6, du règlement 2017/2195, les GRT auraient été tenus de consulter les parties intéressées, afin de prendre en compte leurs intérêts dans
leurs propositions. De même, en vertu de l’article 9 du règlement 2017/2195 et de l’article 14, paragraphes 1 et 3, du règlement 2019/942, l’ACER aurait été tenue de consulter ces parties et les acteurs du marché, afin de prendre en compte leurs intérêts dans ses décisions.
89 Quatrièmement et à titre subsidiaire, la requérante fait valoir qu’elle est individualisée par la décision initiale de la même manière que les GRT destinataires de celle-ci, dans la mesure où cette décision a violé les garanties procédurales que le droit de l’Union lui conférait dans le cadre de l’adoption de cette décision, au sens de la jurisprudence. En effet, comme elle l’aurait invoqué devant la commission de recours, dans le cadre de la procédure ayant mené à l’adoption de la décision
initiale, l’ACER ne lui aurait pas notifié le projet de décision initiale et aurait, ce faisant, violé son droit, tel que garanti par l’article 14, paragraphe 6, du règlement 2019/942 et par l’article 41 de la Charte, de présenter, en tant que partie concernée par cette décision, qui affecterait directement sa position sur le marché de l’énergie d’équilibrage en Allemagne, des observations préalables. En outre, à partir du moment où elle se serait substituée aux GRT en modifiant leur proposition,
l’ACER aurait également dû respecter le droit de consultation prévu par l’article 10, paragraphe 6, du règlement 2017/2195. Cette exigence ne serait pas disproportionnée au regard du fait que le marché de l’énergie d’équilibrage, notamment en Allemagne, ne contiendrait qu’un nombre limité d’acteurs.
90 De même, selon la requérante, c’est de manière erronée que la commission de recours a refusé de constater, dans la décision attaquée, qu’elle était individuellement concernée par la décision initiale, au sens d’une interprétation de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942 à la lumière de la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17, p. 223), et des spécificités de la procédure de recours interne de l’ACER. Cette jurisprudence serait
ouverte et laisserait la place à la découverte de nouveaux cas de figure, fondés sur les particularités de la procédure de recours en cause.
91 S’agissant des spécificités de la procédure de recours interne de l’ACER, la requérante observe que, selon le considérant 34 du règlement 2019/942, les décisions de l’ACER, en tant que mesures de régulation de marché, concernent un grand nombre d’acteurs qui, pour des raisons de simplification de la procédure, doivent disposer d’un droit de recours interne, devant une commission de recours indépendante au sein de l’ACER, avant de saisir éventuellement le juge de l’Union. Les « conditions et [les]
modalités particulières concernant les recours formés […] contre des actes de[s] organes ou organismes [de l’Union] », visées à l’article 263, cinquième alinéa, TFUE, se référeraient précisément, selon la jurisprudence, à l’établissement de procédures purement internes, préalables à un recours juridictionnel, tel le mécanisme administratif d’autosurveillance technique complète par des experts qui a été mis en place au sein de l’ACER.
92 S’agissant de l’interprétation de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942, conforme à la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17, p. 223), la requérante indique vouloir uniquement se prévaloir, en l’espèce, du fait d’être matériellement concernée par la décision initiale de la même manière que les GRT qui en sont, formellement, les seuls destinataires, en vertu du système d’autorégulation du marché de l’énergie d’équilibrage par les
GRT, sous réserve de l’autorisation des ARN ou de l’ACER, mis en place par l’article 4, paragraphe 1, du règlement 2017/2195. En effet, cette décision réglementerait temporairement le prix des échanges d’énergie d’équilibrage dont elle et les autres fournisseurs concernés pourraient convenir, en tant que partenaires contractuels, avec ces GRT et d’autres tiers sur les plateformes européennes PICASSO et MARI. Or, si cette décision serait conforme à la proposition des GRT d’abaisser le prix de
l’énergie d’équilibrage qu’ils achèteraient, elle serait défavorable à ses propres intérêts ainsi qu’à ceux des autres fournisseurs concernés, qui seraient privés de la possibilité dont ils disposaient jusqu’alors de négocier librement la fourniture d’énergie d’équilibrage à un prix du marché pouvant dépasser les 15000 euros/MWh et allant même parfois jusqu’à 99999 euros/MWh. Dans le cadre d’un tel système d’autorégulation du marché par les GRT soumis à autorisation de l’ACER, le droit de recours
interne devant l’ACER et le contrôle technique complet assuré par la commission de recours, prévu à l’article 28 du règlement 2019/942, seraient une garantie indispensable, offerte aux acteurs du marché, pour pouvoir assurer la défense de leurs intérêts.
93 L’ACER réfute les arguments de la requérante et conclut au rejet du premier moyen.
94 À titre liminaire, il convient de rappeler que les « conditions et [les] modalités particulières » au sens de l’article 263, cinquième alinéa, TFUE doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne visent l’établissement, par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, que de conditions et de modalités purement internes, préalables à un recours juridictionnel, qui régissent, notamment, le fonctionnement d’un mécanisme d’autosurveillance ou le déroulement d’une procédure de règlement
amiable pour éviter un contentieux devant les juridictions de l’Union (voir, en ce sens, ordonnance du 12 septembre 2013, European Dynamics Luxembourg e.a./OHMI, T‑556/11, EU:T:2013:514, point 60, et arrêt du 25 octobre 2018, KF/CSUE, T‑286/15, EU:T:2018:718, point 107). Ces conditions et ces modalités particulières doivent donc rester en parfaite cohérence avec le régime général prévu à l’article 263 TFUE en ce qui concerne la compétence du juge de l’Union pour connaître des recours qui lui sont
dévolus [voir, en ce sens, arrêts du 4 février 2016, Italian International Film/EACEA, T‑676/13, EU:T:2016:62, point 27 ; du 8 juin 2016, Monster Energy/EUIPO (Représentation d’un symbole de paix), T‑583/15, EU:T:2016:338, point 43, et du 8 juin 2016, Monster Energy/EUIPO (GREEN BEANS), T‑585/15, non publié, EU:T:2016:339, point 41].
95 Il s’ensuit que, lorsque les mêmes conditions de recevabilité existent dans le régime général prévu à l’article 263 TFUE et dans les conditions et les modalités particulières adoptées en vertu de l’article 263, cinquième alinéa, TFUE, celles-ci doivent, en principe, être interprétées de manière uniforme. Aussi convient-il, pour apprécier si la requérante était individuellement concernée par l’acte contesté, à savoir la décision initiale, en vertu de l’article 28, paragraphe 1, du règlement
2019/942, de se référer à la jurisprudence rendue au sujet du deuxième cas de figure visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne.
96 En ce qui concerne la condition d’affectation individuelle au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, il convient de rappeler qu’une personne, physique ou morale, autre que le destinataire d’un acte, ne saurait prétendre être concernée individuellement par cet acte que si ce dernier l’atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à
celle dont le destinataire le serait (arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223).
97 Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence rendue sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE un principe selon lequel il appartient à la partie requérante, personne physique ou morale non destinataire de l’acte qu’elle conteste, d’invoquer et d’établir, à l’appui de son recours, les qualités qui lui sont particulières ou la situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire le serait
(voir, en ce sens, ordonnances du 28 septembre 2011, UCAPT/Conseil, T‑96/09, non publiée, EU:T:2011:542, point 47, et du 6 mai 2020, Sabo e.a./Parlement et Conseil, T‑141/19, non publiée, EU:T:2020:179, point 32). En ce sens, l’article 15, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la commission de recours rappelle qu’il revient à la partie requérante d’établir qu’elle est directement et individuellement concernée par la décision de l’ACER, conformément à l’article 28, paragraphe 1, du
règlement 2019/942.
98 En l’espèce, ainsi qu’il ressort de la description de ses arguments figurant au point 43 de la décision attaquée, non contestée dans le cadre du présent recours, lue conjointement avec les points 24 à 28 de son mémoire exposant les motifs du recours devant la commission de recours du 27 avril 2022, la requérante a prétendu, devant la commission de recours, être individuellement concernée par la décision initiale du fait qu’elle était active sur le marché allemand de l’énergie d’équilibrage et
l’un des plus grands fournisseurs sur ledit marché. Cette décision affecterait un groupe prédéterminé d’acteurs économiques, constitué des fournisseurs d’énergie d’équilibrage qui auraient réussi à préqualifier des installations pour la fourniture d’énergie d’équilibrage ou dont des installations seraient en cours de préqualification.
99 Aux points 44 à 48 de la décision attaquée, la commission de recours a examiné les « qualités » ou « situations de fait » ainsi invoquées par la requérante et constaté que celles-ci n’étaient pas suffisantes pour l’individualiser au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17, p. 223).
100 Dans le cadre du présent recours, la requérante reproche en substance à la commission de recours de ne pas avoir constaté, dans la décision attaquée, qu’elle était individuellement concernée par la décision initiale en raison de qualités qui lui étaient particulières et qui, notamment lorsqu’elles étaient prises ensemble, la caractérisaient par rapport à toute autre personne.
101 Premièrement, la requérante invoque l’affectation substantielle, par la décision initiale, de sa position sur le marché allemand de la fourniture d’énergie d’équilibrage. La décision initiale constituerait une ingérence sur ce marché, en empêchant la libre formation des prix, en portant atteinte à la liberté d’entreprise, en réduisant les possibilités de concurrence par les prix et en empêchant les fournisseurs d’énergie, même disposant d’installations efficaces et compétitives, de couvrir leurs
coûts d’opportunité, lesquels pourraient être très élevés durant les périodes de forte demande d’énergie d’équilibrage. La décision initiale ne concernerait qu’un nombre relativement restreint et stable de fournisseurs d’énergie d’équilibrage qui, comme elle, opéreraient en République tchèque ou en Allemagne ou en Autriche, seules zones dans lesquelles les plateformes européennes PICASSO et MARI seraient actuellement opérationnelles, et qui auraient réussi, au terme d’une procédure longue et
coûteuse, à préqualifier des installations pour la fourniture d’énergie d’équilibrage. La décision initiale aurait conduit à une dévalorisation des investissements importants réalisés par ces fournisseurs d’énergie d’équilibrage pour obtenir la préqualification de leurs installations, alors que leurs concurrents potentiels auraient eu la possibilité d’échapper à ces investissements en renonçant à entrer sur le marché.
102 Deuxièmement, la requérante se prévaut du fait d’avoir participé activement à la procédure ayant mené à l’adoption de la décision initiale.
103 Troisièmement, la requérante invoque le fait que l’ACER a dûment tenu compte, dans la décision initiale, de sa situation sur le plan matériel.
104 Quatrièmement, la requérante se prévaut de ce que des garanties procédurales que lui confère le droit de l’Union ont été violées dans le cadre de l’adoption de la décision initiale. Enfin, la requérante soutient en substance que la condition d’affectation individuelle doit être interprétée de manière spécifique dans le cadre des recours introduits devant la commission de recours contre les décisions de l’ACER, compte tenu du grand nombre d’acteurs du marché susceptibles d’être affectés par ces
décisions.
105 Dans ses écritures, l’ACER soutient la position de la commission de recours selon laquelle les « qualités » ou les « situations de fait » invoquées par la requérante devant le Tribunal ne sont pas suffisantes, prises seules ou ensemble, pour l’individualiser au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17, p. 223) (voir point 99 ci-dessus).
106 En ce qui concerne les « qualités » ou les « situations de fait » qu’elle a invoquées devant la commission de recours et qui ont été examinées par cette dernière dans la décision attaquée, à savoir le fait qu’elle était active sur le marché allemand de l’énergie d’équilibrage et le fait qu’elle était l’un des plus grands fournisseurs sur ledit marché, puis qu’elle a développées dans le cadre du présent recours, en faisant valoir que sa position sur ce marché était substantiellement affectée par
la décision initiale (voir points 98, 99 et 101 ci-dessus), la requérante renvoie à la jurisprudence du juge de l’Union en matière d’aides d’État et de concentrations.
107 À cet égard, il y a certes lieu de constater que, selon la jurisprudence, ont notamment été reconnues comme étant individuellement concernées par une décision de la Commission clôturant une procédure formelle d’examen en matière d’aides d’État, outre l’entreprise bénéficiaire de la mesure d’aide faisant l’objet de la décision attaquée, les entreprises concurrentes de cette dernière ayant joué un rôle actif dans le cadre de cette procédure, pour autant que leur position sur le marché ait été
substantiellement affectée par cette mesure d’aide (voir arrêt du 2 septembre 2021, Ja zum Nürburgring/Commission, C‑647/19 P, EU:C:2021:666, point 33 et jurisprudence citée). Dans ce contexte, une entreprise ne peut se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire de la mesure d’aide, mais doit établir, en outre, qu’elle est dans une situation de fait qui l’individualise d’une manière analogue à celle du destinataire (arrêt du 22 décembre 2008,
British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 48).
108 Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence en matière de concentration que, dans le cas d’une décision constatant la compatibilité d’une opération de concentration avec le marché intérieur, et s’agissant d’une entreprise tierce à ladite opération, c’est en fonction, d’une part, de la participation à la procédure administrative de cette entreprise et, d’autre part, de l’affectation de sa position sur le marché qu’il y a lieu de déterminer si elle est individuellement concernée. Pour admettre,
dans ce contexte, l’affectation de la position sur le marché d’une partie requérante, le juge de l’Union tient compte, soit de ce qu’elle est l’une des principales concurrentes des parties à la concentration, bénéficiaires de la décision autorisant cette dernière (voir, en ce sens, arrêts du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T‑177/04, EU:T:2006:187, point 37 ; du 20 décembre 2023, Mainova/Commission, T‑64/21, non publié, sous pourvoi, EU:T:2023:843, point 85, et du 20 décembre 2023,
enercity/Commission, T‑65/21, non publié, sous pourvoi, EU:T:2023:844, point 83), soit de ce qu’elle est une simple concurrente desdites parties, mais que la concentration a un impact potentiel spécifiquement identifié sur sa situation économique, tel que la dévalorisation d’investissements importants réalisés et calculés sur le long terme, en tenant compte de la structure du marché préexistante (voir, en ce sens, arrêts du 17 mai 2023, EVH/Commission, T‑312/20, sous pourvoi, EU:T:2023:252,
points 42 et 46 ; du 17 mai 2023, TEAG/Commission, T‑315/20, non publié, sous pourvoi, EU:T:2023:259, points 42 et 46, et du 17 mai 2023, GGEW/Commission, T‑319/20, non publié, sous pourvoi, EU:T:2023:263, points 42 et 46), soit de ce qu’elle est une concurrente potentielle des parties à la concentration dans le cas de marchés oligopolistiques, soit, dans certaines circonstances, de ce qu’elle est présente sur des marchés voisins, en amont ou en aval de ceux sur lesquels opère une entreprise en
position de monopole qui voit sa position renforcée par la concentration (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, ARD/Commission, T‑158/00, EU:T:2003:246, point 78).
109 Toutefois, la jurisprudence citée aux points 107 et 108 ci-dessus repose, à tout le moins partiellement, sur l’existence d’un rapport de concurrence, actuel ou potentiel, entre les bénéficiaires de la décision contestée, sur le marché concerné par celle-ci, et la partie requérante, dont la position sur ce marché ou des marchés voisins, en amont ou en aval, est, de manière spécifiquement identifiée, négativement et, le cas échéant, substantiellement affectée par ladite décision.
110 En l’espèce, la requérante ne prétend pas, ni a fortiori ne démontre, que certains de ses concurrents, sur le marché allemand de l’énergie d’équilibrage sur lequel elle opère et qui est concerné par la décision initiale, bénéficient de ladite décision sur ce marché. Au contraire, il ressort de son argumentation qu’elle se borne à faire état d’un impact général de la décision initiale sur le marché allemand de l’énergie d’équilibrage, qui affecte négativement tous les fournisseurs d’énergie
d’équilibrage qui opèrent, comme elle, sur ce marché ainsi que sur les marchés tchèque et autrichien.
111 À supposer même que, en tant que l’un des plus grands fournisseurs sur le marché allemand de l’énergie d’équilibrage, la requérante soit économiquement plus négativement affectée que certains de ses concurrents sur ledit marché, cela ne suffirait pas à l’individualiser au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17, p. 223). En effet, il est de jurisprudence constante qu’il ne suffit pas que certains opérateurs soient économiquement plus
touchés par un acte que leurs concurrents pour qu’ils soient considérés, de ce fait, comme étant individuellement concernés par cet acte. Ainsi, même à supposer qu’une décision ait une incidence particulière sur la situation économique de la partie requérante, cette circonstance ne suffit pas à la caractériser par rapport à toute autre personne (ordonnances du 2 avril 2004, Gonnelli et AIFO/Commission, T‑231/02, EU:T:2004:105, point 45 ; du 12 mars 2007, Confcooperative, Unione regionale della
Cooperazione Friuli-Venezia Giulia Federagricole e.a./Commission, T‑418/04, non publiée, EU:T:2007:83, point 57, et du 13 novembre 2008, Lemaître Sécurité/Commission, T‑301/06, non publiée, EU:T:2008:495, point 24).
112 En outre, la circonstance selon laquelle la décision initiale concernerait un nombre relativement restreint et stable de fournisseurs d’énergie d’équilibrage qui, comme la requérante, avaient réussi à préqualifier des installations pour la fourniture d’énergie d’équilibrage et étaient actifs sur le marché allemand de l’énergie d’équilibrage, ainsi que sur les marchés tchèque et autrichien, ne peut pas non plus suffire à individualiser cette dernière au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt
du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17, p. 223). En effet, il résulte également d’une jurisprudence constante que la possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels s’applique une mesure n’a nullement pour effet que ceux-ci doivent être considérés comme étant concernés individuellement par cette mesure, dès lors que ladite application s’effectue en vertu d’une situation objective de droit ou de fait
définie par l’acte en cause (voir arrêt du 18 octobre 2018, Internacional de Productos Metálicos/Commission, C‑145/17 P, EU:C:2018:839, point 35 et jurisprudence citée ; ordonnances du 19 septembre 2022, TDK Foil Italy/Commission, T‑788/21, non publiée, EU:T:2022:581, point 18, et du 7 décembre 2022, Sunrise Medical et Sunrise Medical Logistics/Commission, T‑721/21, non publiée, EU:T:2022:791, point 53). Or, en l’espèce, comme la commission de recours l’a observé en substance au point 48 de la
décision attaquée, la décision initiale concerne tous les fournisseurs d’énergie d’équilibrage de la même manière, dans la mesure où elle s’applique à tous les acteurs du marché voulant échanger de l’énergie d’équilibrage, en Allemagne, mais aussi en République tchèque et en Autriche, sur les plateformes européennes PICASSO et MARI.
113 Enfin, la comparaison que la requérante établit, dans ses écritures, entre sa situation et celle de ses concurrents sur le marché allemand de l’énergie d’équilibrage à la suite de la décision initiale et la situation de concurrents potentiels sur ce marché qui auraient pu bénéficier de cette décision en renonçant, au vu de celle-ci, à exposer des coûts pour préqualifier leurs installations afin de pouvoir entrer sur ledit marché n’est pas non plus de nature à établir l’existence d’un rapport de
concurrence, actuel ou potentiel, entre les premiers et les seconds.
114 Par ailleurs, la requérante ne prétend pas, ni a fortiori ne démontre, être dans un rapport de concurrence, actuel ou potentiel, avec les destinataires et, selon elle, les véritables bénéficiaires de la décision initiale sur le marché allemand de l’énergie d’équilibrage, à savoir les GRT concernés par cette décision.
115 Dans ces circonstances, la requérante, qui n’a pas établi être dans un rapport de concurrence, actuel ou potentiel, avec les bénéficiaires de la décision initiale sur le marché allemand de l’énergie d’équilibrage, sur lequel elle opère et qui est concerné par la décision initiale, ne peut utilement se prévaloir de la jurisprudence citée aux points 107 et 108 ci-dessus pour prétendre, comme elle le fait en l’espèce, que sa position sur ce marché a été substantiellement affectée par ladite
décision.
116 En ce qui concerne les « qualités » ou les « situations de fait » que la requérante a invoquées devant la commission de recours, à savoir le fait qu’elle était active sur le marché allemand de l’énergie d’équilibrage et le fait qu’elle était l’un des plus grands fournisseurs sur ce marché, puis qu’elle a développées dans le cadre du présent recours, en faisant valoir que sa position sur ce marché était substantiellement affectée par la décision initiale, au sens de la jurisprudence citée aux
points 107 et 108 ci-dessus, il y a donc lieu de constater que la commission de recours a décidé à bon droit, aux points 45 à 48 de la décision attaquée, que celles-ci n’étaient pas, en elles-mêmes, de nature à individualiser la requérante au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17, p. 223).
117 En ce qui concerne les « qualités » ou les « situations de fait » qui n’ont pas été mentionnées, dans la décision attaquée, comme ayant été invoquées par la requérante devant la commission de recours, qui n’ont, partant, pas été examinées par cette dernière dans ladite décision, mais qui sont invoquées par la requérante dans le cadre du présent recours (voir points 102 à 104 ci-dessus), les parties ont été invitées par le Tribunal, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, à
prendre position sur leur recevabilité.
118 À cet égard, la requérante a fait valoir que la qualité pour former un recours devant la commission de recours était une question qui devait être examinée d’office par cette dernière, en vertu d’une application, par analogie, de la jurisprudence selon laquelle la recevabilité d’un recours en annulation devant le Tribunal est une question d’ordre public qu’il lui appartient d’examiner à tout moment, même d’office, ainsi que de l’article 15 du règlement de procédure de la commission de recours. En
ce qui concerne l’affectation individuelle d’une partie requérante, ladite commission aurait ainsi dû prendre d’office en compte toutes les informations à sa disposition. En l’espèce, cette commission aurait eu accès au rapport d’évaluation de la consultation publique menée par l’ACER au titre de l’article 14, paragraphe 6, du règlement 2019/942, figurant à l’annexe II de la décision initiale et attestant sa participation active à la procédure administrative ayant précédé l’adoption de la
décision initiale. En outre, la requérante indique avoir évoqué cette même participation aux points 27 et 49 de son mémoire exposant les motifs du recours devant la commission de recours du 27 avril 2022, où elle renvoyait, pour plus de détail, à l’annexe II de la décision initiale, dans les notes en bas de page nos 9 et 19, et aux points 25 à 33 de ses observations complémentaires du 22 juillet 2022. Par ailleurs, elle indique avoir invoqué, dans le cadre du sixième moyen d’annulation, le fait
que son droit d’être entendue en vertu de l’article 14, paragraphe 6, du règlement 2019/942 avait été violé dans le cadre de la procédure administrative, aux points 118 et suivants du mémoire exposant les motifs du recours et au point 26 de ses observations complémentaires, où elle a également mentionné son droit d’être consultée en vertu de l’article 14, paragraphe 1, dudit règlement.
119 L’ACER a estimé, en ce qui concernait l’affectation individuelle de la requérante, que cette dernière s’était essentiellement fondée, aux points 24 à 28 de son mémoire exposant les motifs du recours, relatifs à cette question, sur la circonstance selon laquelle elle était l’un des plus grands fournisseurs en activité sur le marché allemand de l’énergie d’équilibrage et qu’elle était irrecevable à soulever ultérieurement et, donc, tardivement, d’autres « qualités » ou « situations de fait »
susceptibles de l’individualiser au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17, p. 223).
120 À cet égard, il y a lieu de constater que des « qualités » ou des « situations de fait » non invoquées ou démontrées par la partie requérante devant la commission de recours ne peuvent pas être prises en compte par le Tribunal pour apprécier la légalité de la décision qui est attaquée. En effet, en vertu de l’article 29 du règlement 2019/942, lu conjointement avec l’article 263 TFUE, le Tribunal est appelé à vérifier la légalité de la décision de la commission de recours en contrôlant
l’application du droit de l’Union effectuée par celle-ci eu égard, notamment, aux éléments de fait qui lui ont été soumis, mais il ne saurait, en revanche, effectuer un tel contrôle en prenant en considération des éléments de fait nouvellement invoqués ou produits devant lui (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 13 mars 2007, OHMI/Kaul, C‑29/05 P, EU:C:2007:162, point 54, et du 15 avril 2010, Schräder/OCVV, C‑38/09 P, EU:C:2010:196, point 76).
121 Par ailleurs, il résulte des règles régissant la procédure devant les juridictions de l’Union, notamment de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 76 et de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure, que le litige est en principe déterminé et circonscrit par les parties et que le juge de l’Union ne peut statuer ultra petita (voir arrêt du 17 septembre 2020, Alfamicro/Commission, C‑623/19 P, non publié, EU:C:2020:734, point 40 et
jurisprudence citée ;arrêt du 22 décembre 2022, Parlement/Moi, C‑246/21 P, non publié, EU:C:2022:1026, point 55). En outre, conformément à l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, à l’article 120, sous c) et d), du règlement de procédure de la Cour et à l’article 76, premier alinéa, sous d) et e), du règlement de procédure, dans le cadre d’un recours direct devant les juridictions de l’Union, la requête par laquelle le recours est introduit doit
contenir, notamment, l’objet du litige, l’exposé sommaire des moyens soulevés et les conclusions de la partie requérante.
122 En l’espèce, aux points 24 à 28 de son mémoire exposant les motifs du recours, la requérante s’est essentiellement fondée, pour prétendre être individuellement concernée par la décision initiale, qui aboutissait à bloquer temporairement le prix de vente de l’énergie d’équilibrage aux GRT, sur la circonstance spécifique selon laquelle elle était l’un des plus grands fournisseurs en activité sur le marché allemand de ladite énergie.
123 Or, conformément à la jurisprudence et au libellé de l’article 15, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la commission de recours mentionnés au point 97 ci-dessus, ladite commission était fondée, dans la décision attaquée, à ne considérer que la circonstance spécifique que la requérante avait dûment invoquée devant elle comme étant de nature à l’individualiser au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17, p. 223), sans
avoir à examiner si d’autres « qualités » ou d’autres « situations de fait » susceptibles de l’individualiser pouvaient être déduites du mémoire exposant les motifs du recours, de ses annexes, des observations complémentaires ou, plus généralement, du dossier de l’affaire.
124 À supposer même que la commission de recours ait illégalement omis de tenir compte, dans la décision attaquée, de toutes les « qualités » ou « situations de fait » qui auraient été invoquées devant elle par la requérante, il aurait appartenu à cette dernière de le dénoncer, en soulevant un moyen en ce sens répondant aux conditions de clarté et de précision énoncées à l’article 76, sous d), du règlement de procédure (voir point 114 ci-dessus).
125 En effet, l’omission de statuer sur un chef de demande peut conduire à l’annulation, à tout le moins partielle, d’une décision adoptée par une chambre de recours indépendante de l’un des organes ou des organismes de l’Union visés à l’article 58 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 8 juin 2016, GREEN BEANS, T‑585/15, non publié, EU:T:2016:339, point 27 et jurisprudence citée).
126 Or, si, aux points 50 à 59 de la requête, la requérante invoque, en tant que circonstances susceptibles de l’individualiser au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17, p. 223), sa participation active à la procédure administrative ayant précédé l’adoption de la décision initiale et la violation de son droit de présenter des observations avant l’adoption de cette décision, en vertu de l’article 14, paragraphe 6, du règlement 2019/942
et de l’article 41 de la Charte, elle n’a pas clairement et précisément soulevé, à cet égard, un moyen d’annulation de la décision attaquée tiré de ce que, dans cette décision, la commission de recours aurait illégalement omis de statuer sur ces « qualités » ou ces « situations de fait » qui auraient été dûment invoquées devant elle.
127 Dès lors, la requérante n’est pas recevable à invoquer, dans le cadre du présent recours, des « qualités » ou des « situations de fait » qui n’ont pas été mentionnées, dans la décision attaquée, comme ayant été invoquées par elle devant la commission de recours et qui n’ont, partant, pas été examinées par cette dernière dans ladite décision (voir points 102 à 104 ci-dessus).
128 Il y a donc lieu de rejeter le premier moyen comme étant non fondé, de sorte que la demande principale, tendant à l’annulation de la décision attaquée, qui se trouve privée de tout fondement, doit elle-même être rejetée comme étant non fondée. Il y a donc lieu de poursuivre par l’examen de la demande subsidiaire.
Sur la demande subsidiaire, tendant à l’annulation de la décision initiale
129 À l’appui de la demande subsidiaire, la requérante avance six moyens, tirés, en substance, le premier, d’une violation de l’article 10, paragraphe 1, du règlement 2019/943, le deuxième, d’un défaut de compétence de l’ACER pour statuer sur la proposition des GRT, le troisième, d’un défaut de compétence de l’ACER pour créer une réglementation autonome par rapport à celle proposée par les GRT, le quatrième, d’une violation des objectifs poursuivis par le règlement 2017/2195, le cinquième, d’un
défaut de motivation et, le sixième, d’une violation du droit d’être entendu garanti par l’article 41 de la Charte et par l’article 14, paragraphe 6, du règlement 2019/942.
130 L’ACER invoque l’irrecevabilité manifeste de la demande subsidiaire, introduite le 17 février 2023, pour non-respect du délai de deux mois et dix jours pour agir en annulation de la décision initiale, énoncé à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, lu conjointement avec l’article 60 du règlement de procédure, lequel aurait couru, au plus tard, à compter de la date d’introduction par la requérante de son recours devant la commission de recours, à savoir le 27 avril 2022. Aucune erreur excusable ne
pourrait être valablement invoquée par la requérante, étant observé que les informations sur les voies de recours figurant dans la décision initiale étaient expressément adressées aux destinataires de cette dernière et qu’une interprétation conforme du texte de l’article 29 du règlement 2019/942 impliquait de considérer que celui-ci ne portait pas atteinte au droit de la requérante d’introduire directement devant le Tribunal un recours en annulation de cette décision sur le fondement de
l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne. En tout état de cause, la demande subsidiaire devrait être rejetée comme étant non fondée.
131 La requérante objecte que le non-respect du délai de recours procède, en l’espèce, d’une erreur excusable, dans la mesure où, au vu des indications sur les voies de recours figurant dans la décision initiale et du libellé de l’article 29 du règlement 2019/942, elle était fondée à ne pas penser pouvoir saisir le Tribunal d’un recours en annulation sans avoir préalablement épuisé la procédure de recours visée à l’article 28 dudit règlement.
132 En ce qui concerne la fin de non-recevoir de la demande subsidiaire opposée par l’ACER, il importe, tout d’abord, d’observer que, ainsi qu’il ressort du point 45 ci-dessus, la requérante pouvait, en l’espèce, former un recours en annulation de la décision initiale directement devant le juge de l’Union, sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne.
133 Par ailleurs, il découle de l’article 263, sixième alinéa, TFUE que les recours en annulation doivent être formés dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte, de sa notification à la partie requérante ou, à défaut, du jour où celle-ci en a eu connaissance.
134 Il ne peut être dérogé à l’application des réglementations de l’Union concernant les délais de procédure que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, de cas fortuit ou de force majeure, conformément à l’article 45, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, étant donné que l’application stricte de ces règles répond à l’exigence de sécurité juridique et à la nécessité d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la
justice (voir arrêt du 14 décembre 2016, SV Capital/ABE, C‑577/15 P, EU:C:2016:947, point 56 et jurisprudence citée).
135 Il ressort également de la jurisprudence que, dans le cadre de la réglementation de l’Union relative aux délais de recours, la notion d’« erreur excusable », permettant d’y déroger, ne vise que des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, notamment, l’institution concernée a adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminante, à provoquer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable de bonne foi et faisant preuve de toute la diligence requise d’un
opérateur normalement averti (voir arrêt du 14 décembre 2016, SV Capital/ABE, C‑577/15 P, EU:C:2016:947, point 59 et jurisprudence citée).
136 En l’espèce, la décision initiale a été publiée sur le site Internet de l’ACER le 28 février 2022 et la requérante a saisi la commission de recours le 27 avril 2022. À supposer même que la requérante ait pris connaissance de la décision initiale le jour même où elle a saisi la commission de recours, en appliquant les règles de calcul des délais, prévues aux articles 58 et 60 du règlement de procédure, qui correspondent aux articles 49 et 51 du règlement de procédure de la Cour, il y a lieu de
constater que, à la date de l’introduction du présent recours, à savoir le 17 février 2023, la requérante était forclose pour contester ladite décision.
137 Par ailleurs, la requérante n’est pas fondée, dans les circonstances de l’espèce, à se prévaloir d’une erreur excusable, au sens de la jurisprudence citée au point 135 ci-dessus.
138 En effet, d’une part, aucune assurance précise n’a été fournie par l’ACER à la requérante quant à la compétence de la commission de recours pour connaître d’un recours introduit par ses soins contre la décision initiale, puisque les indications sur les voies de recours figurant à la fin de la décision initiale étaient expressément destinées aux « destinataires » de cette décision, à savoir les GRT de la région CORE, à l’égard desquels elles étaient d’ailleurs correctes (voir point 44 ci-dessus).
En revanche, la décision initiale ne fournissait aucune information sur les voies de recours qui devaient être suivies par les personnes physiques ou morales autres que ces destinataires. Ainsi, lesdites indications ne peuvent être qualifiées de comportement de l’ACER de nature à provoquer une confusion admissible dans l’esprit de la requérante quant à la compétence de la commission de recours pour connaître d’un recours introduit par elle contre la décision initiale.
139 D’autre part, une interprétation du libellé de l’article 29 du règlement 2019/942 conforme au droit primaire de l’Union impliquait de considérer que celui-ci ne faisait pas obstacle à ce que des personnes physiques ou morales qui, telle la requérante, étaient directement, mais non individuellement concernées par un acte de portée générale de l’ACER dépourvu de mesures d’exécution puissent former un recours en annulation de cet acte directement devant le juge de l’Union, sur le fondement de
l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans sa version issue du traité de Lisbonne. Au demeurant, au point 117 de la requête, la requérante a elle-même soutenu que « [l]e recours faisant l’objet de la demande subsidiaire n’[étai]t pas subordonné à l’épuisement des voies de recours conformément à l’article 263, cinquième alinéa, TFUE et à l’article 29 du règlement 2019/942, étant donné que la possibilité de recours direct de [s]a [part étai]t requise par le droit primaire ».
140 Ainsi, en l’espèce, la requérante ne saurait se prévaloir utilement de la jurisprudence qui s’est appuyée sur la formulation générale de certains textes régissant les voies de recours ou sur les habitudes existantes pour constater une erreur excusable quant à l’introduction tardive d’un recours devant le juge de l’Union après l’épuisement d’une voie de recours interne qui, dans ce cas spécifique et selon la jurisprudence, n’était pas applicable (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 1972,
Marcato/Commission, 44/71, EU:C:1972:53, points 5 à 9, et du 5 avril 1979, Orlandi/Commission, 117/78, EU:C:1979:109, points 9 à 11).
141 Il s’ensuit que la requérante ne peut se prévaloir d’une quelconque erreur excusable qui aurait été susceptible de l’autoriser à déroger, en l’espèce, à l’obligation de respecter le délai de recours imparti.
142 Par conséquent, la demande subsidiaire, tendant à l’annulation de la décision initiale, doit également être rejetée, comme étant irrecevable, de sorte que le recours se trouve être intégralement rejeté.
Sur les dépens
143 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
144 La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’ACER.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) RWE Supply & Trading GmbH est condamnée aux dépens.
van der Woude
Škvařilová-Pelzl
Nõmm
Steinfatt
Kukovec
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 juin 2025.
Signatures
Table des matières
Antécédents du litige
Conclusions des parties
En droit
Sur la demande principale, tendant à l’annulation de la décision attaquée
Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE
Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de protection juridictionnelle effective, tel qu’énoncé à l’article 47 de la Charte et dans les principes généraux du droit de l’Union
Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2019/942
Sur la demande subsidiaire, tendant à l’annulation de la décision initiale
Sur les dépens
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.