ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
11 juin 2025 ( *1 )
« Recours en annulation – Politique économique et monétaire – Union bancaire – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement (MRU) – Règlement (UE) no 806/2014 – Directive 2014/59/UE – Décision commune concernant la fixation de l’exigence minimale de fonds propres et d’engagements éligibles – Compétence du Tribunal – Défaut d’affectation directe – Irrecevabilité »
Dans l’affaire T‑477/23,
DZ Bank AG Deutsche Zentral-Genossenschaftsbank, Frankfurt am Main, établie à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), représentée par Mes H. Berger, M. Weber et D. Schoo, avocats,
partie requérante,
contre
Conseil de résolution unique (CRU), représenté par Mmes H. Ehlers, M. Fernández Rupérez, A. Lapresta Bienz et M. J. Rius Riu, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),
composé de M. H. Kanninen, faisant fonction de président, Mme P. Škvařilová‑Pelzl, M. I. Nõmm, Mme G. Steinfatt (rapporteure) et M. D. Kukovec, juges,
greffier : M. V. Di Bucci,
vu la phase écrite de la procédure, notamment :
– la requête déposée au greffe du Tribunal le 31 juillet 2023,
– l’exception d’irrecevabilité soulevée par le CRU par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 30 octobre 2023,
– les observations de la requérante sur l’exception d’irrecevabilité déposées au greffe du Tribunal le 18 décembre 2023,
– les demandes d’intervention du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne, déposées au greffe du Tribunal respectivement le 19 octobre, le 15 novembre et le 15 novembre 2023,
rend la présente
Ordonnance
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, DZ Bank AG Deutsche Zentral-Genossenschaftsbank, Frankfurt am Main, demande, à titre principal, l’annulation de la décision commune RC/JD/2022/22, du 6 avril 2023 (ci-après la « décision attaquée »), concernant la fixation de l’exigence minimale de fonds propres et d’engagements éligibles (ci-après l’« EMEE ») pour elle-même et cinq filiales, et, à titre subsidiaire, le constat que cette décision est juridiquement inexistante.
Antécédents du litige
2 La requérante est la société à la tête du groupe DZ Bank Gruppe, le groupe financier des banques coopératives en Allemagne. Elle est classée en Allemagne comme banque de premier rang, le total des actifs du groupe s’étant élevé à 627 milliards d’euros au 31 décembre 2022. Au sein de l’union bancaire, la requérante a des filiales en Allemagne et au Luxembourg. Sa filiale Fundamenta Lakáskassza Zrt. se trouve en dehors de l’union bancaire, en Hongrie.
3 En 2017, le Conseil de résolution unique (CRU) a mis en place un collège d’autorités de résolution pour la requérante et ses filiales, conformément à l’article 88 de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE,
2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190), tel que modifiée, auquel appartiennent, notamment, d’une part, le CRU en tant que président dudit collège et en tant qu’autorité de résolution au niveau du groupe, et, d’autre part, la Magyar Nemzeti Bank (Banque nationale de Hongrie) en tant qu’autorité de résolution de la filiale hongroise.
4 Le 8 décembre 2022, le CRU a, lors de sa session exécutive élargie, approuvé provisoirement un projet de la décision attaquée destiné à être examiné par le collège d’autorités de résolution. Le 15 décembre 2022, le CRU a lancé la procédure de consultation de la requérante sur le projet. La requérante a présenté des observations par lettre du 10 janvier 2023. Le 8 février 2023, le projet de la décision attaquée a été examiné au sein dudit collège, qui a conclu que le projet ne devait pas subir de
modification à la suite de la procédure de consultation. Le 24 mars 2023, le CRU, en tant qu’autorité de résolution au niveau du groupe, a envoyé au collège d’autorités de résolution la version finale du projet de la décision attaquée. Le 28 mars 2023, un consensus a été atteint au sein du collège, qui a ensuite été soumis aux processus d’approbation interne respectifs du CRU et de la Banque nationale de Hongrie.
5 Le 5 avril 2023, lors de sa session exécutive élargie, le CRU a pris note du processus décisionnel commun exposé ci-dessus, et a, sur ce fondement, approuvé le consensus reflété dans la décision attaquée.
6 Lors de la même session exécutive élargie, le CRU a adopté la décision SRB/EES/2022/215, qui fixe l’EMEE pour les entités du groupe dirigé par la requérante relevant de sa compétence, à savoir pour la requérante et ses filiales Bausparkasse Schwäbisch Hall AG, DZ HYP AG et Team Bank AG, ayant leurs sièges en Allemagne, et sa filiale DZ Privatbank SA, ayant son siège au Luxembourg. La décision SRB/EES/2022/215 charge les autorités de résolution nationales de mettre en œuvre ladite EMEE (article 4
de cette décision) et de contrôler qu’elle soit maintenue (article 6 de ladite décision).
7 Le 6 avril 2023, la décision attaquée a été signée par le président du CRU. Le document comporte, à la suite de la signature, une observation selon laquelle les représentants des autorités pertinentes ont donné leur accord écrit à la décision commune sur l’EMEE. À l’annexe I de la décision attaquée figure un accord écrit, daté du 6 avril 2023 et signé par le président de l’autorité de résolution hongroise, à savoir la Banque nationale de Hongrie, selon lequel celle-ci est d’accord avec la décision
commune proposée et transmise par le CRU le 24 mars 2023.
8 Le 14 avril 2023, l’autorité de résolution allemande, à savoir la Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht (BaFin, Autorité fédérale de surveillance des services financiers), s’est vu notifier la décision SRB/EES/2022/215 du CRU du 5 avril 2023, qu’elle a alors mise en œuvre par une décision du 26 mai 2023 adressée à la requérante.
9 Par lettre du 17 mai 2023, l’autorité de résolution luxembourgeoise, à savoir la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), a informé la filiale DZ Privatbank de la mise en œuvre de l’EMEE déterminée par la décision SRB/EES/2022/215 et lui a notifié ladite décision.
10 Par courriel du 22 mai 2023, le CRU, en tant qu’autorité de résolution au niveau du groupe, a transmis à la requérante, en tant que société mère dans l’Union du groupe, la décision attaquée, accompagnée de la décision commune relative au plan de résolution du groupe et d’un résumé de ce plan.
11 Le 3 juillet 2023, la requérante a formé un recours contre la décision attaquée devant le comité d’appel du CRU, en vertu de l’article 85, paragraphe 3, du règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le
règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1), tel que modifié.
12 Le 5 juillet 2023, la requérante a également formé un recours contre la décision SRB/EES/2022/215 devant le comité d’appel du CRU, en vertu des mêmes dispositions.
13 Les recours ont été rejetés par décision du comité d’appel du CRU du 15 décembre 2023 dans les affaires jointes 2/23 et 3/23. Ledit comité a considéré le recours de la requérante contre la décision attaquée comme recevable, mais non fondé, et celui contre la décision SRB/EES/2022/215 comme irrecevable.
14 Le 26 février 2024, la requérante a introduit auprès du greffe du Tribunal un recours, enregistré sous le numéro T‑116/24, contre la décision du comité d’appel du CRU.
Conclusions des parties
15 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– à titre principal, annuler la décision attaquée ;
– à titre subsidiaire, constater que la décision attaquée est juridiquement inexistante ;
– condamner le CRU aux dépens.
16 Le CRU conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– à titre principal, déclarer le recours irrecevable ;
– à titre subsidiaire, suspendre l’affaire jusqu’à ce qu’une décision soit rendue dans l’affaire T‑71/22 ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
17 En vertu de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond.
18 En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de statuer sans poursuivre la procédure.
19 Le CRU fonde son exception d’incompétence et d’irrecevabilité sur quatre motifs.
20 Premièrement, il fait valoir qu’une « décision commune » ne constitue pas un acte juridique qui lui est imputable. Il indique, à cet égard, que les juridictions de l’Union ont confirmé que les actes d’entités autres que les institutions, organes ou organismes de l’Union ne relevaient pas du champ d’application de leur compétence au titre de l’article 263 TFUE, invoquant ainsi une incompétence du Tribunal pour statuer sur le présent litige.
21 Deuxièmement, une décision commune ne serait qu’un acte préparatoire d’une autre décision. Troisièmement, elle ne serait pas adressée à la requérante et ne la concernerait pas directement et individuellement, de sorte que celle-ci n’aurait pas la qualité pour à agir. Quatrièmement, le CRU estime que le recours est irrecevable en raison de la condition relative à la procédure précontentieuse.
22 La requérante conteste l’argumentation du CRU et estime que le recours est recevable.
23 En premier lieu, s’agissant de l’auteur de la décision attaquée, cette décision aurait été prise par le CRU en tant qu’autorité de résolution au niveau du groupe. Le CRU aurait déterminé l’EMEE dans l’exercice de la compétence que lui confère l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, sous la forme d’une décision commune.
24 Premièrement, le collège d’autorités de résolution n’adopterait pas lui‑même des actes juridiques, mais constituerait uniquement le cadre dans lequel les autorités de résolution peuvent effectuer des tâches en commun. L’autorité de résolution hongroise, à savoir la Banque nationale de Hongrie, aurait simplement fait sienne la décision attaquée.
25 Deuxièmement, en reprenant à son compte le raisonnement suivi par le comité d’appel du CRU dans sa décision du 15 décembre 2023, la requérante soutient que la décision commune constitue un faisceau de décisions individuelles ayant la même teneur et qu’elle est approuvée par chacune des autorités de résolution impliquées. Selon la requérante, il convient de distinguer deux situations. En cas de désaccord, chacune des autorités de résolution adopte séparément, dans l’exercice de ses compétences, sa
propre décision relative à l’EMEE (situation décrite à l’article 45 nonies, paragraphes 4 et 6, de la directive 2014/59). Toutefois dans le cas d’une décision commune, chacune des autorités de résolution adopte une décision individuelle qui correspond à la décision commune qui a été préalablement prise (situation décrite à l’article 45 nonies, paragraphes 2 et 4, de la directive 2014/59).
26 Troisièmement, la circonstance selon laquelle les autorités de résolution concernées s’accordent sur un même texte de décision n’aboutirait pas à ce qu’une décision commune ne constitue qu’un accord dans le cadre des relations internes entre autorités. Un accord entre les membres du collège d’autorités de résolution ne serait que la condition préalable à une décision commune, mais ne saurait être assimilé à celle-ci.
27 En deuxième lieu, premièrement, la décision attaquée produirait des effets juridiques contraignants dans les relations externes, en ce que la décision commune d’un collège d’autorités de résolution constituerait une décision définitive et non simplement un acte préparatoire interne de l’autorité et serait obligatoire pour les établissements concernés. Dans le cadre de la décision attaquée, le CRU déterminerait déjà de manière définitive l’EMEE à l’égard de la requérante dans l’exercice des
compétences que lui confère l’article 12 du règlement no 806/2014, la décision commune liant le CRU en vertu de l’article 45 nonies, paragraphe 7, de la directive 2014/59 en ce qui concerne la détermination de l’EMEE.
28 L’argument selon lequel il était nécessaire de mettre en œuvre la décision attaquée par une décision du CRU et de la BaFin fixant l’EMEE ne serait pas pertinent dans la mesure où, en l’espèce, la décision commune contient déjà la décision finale qui liait, sans marge d’appréciation propre, le CRU ainsi que la BaFin lors de leurs actes juridiques ultérieurs.
29 Deuxièmement, la décision attaquée concernerait la requérante, à tout le moins directement et individuellement au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, en ce qu’une décision commune est adressée aux établissements en question et que ceux-ci sont directement et individuellement concernés par ladite décision commune, indépendamment de leur qualité de destinataires.
30 Troisièmement, conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, la requérante possèderait la qualité pour agir et aurait l’intérêt à agir requis. L’annulation souhaitée de la décision attaquée en tant que telle serait de nature à produire des effets juridiques, étant donné qu’elle priverait de fondement la décision du CRU fixant l’EMEE et, partant, la décision sur l’EMEE de la BaFin, laquelle serait alors obligée d’annuler sa décision sur opposition de la requérante.
31 Par ailleurs, la requérante aurait été la destinataire de la décision attaquée, cette qualité de destinataire résultant de l’obligation pesant sur le CRU, expressément prévue à l’article 45 nonies, paragraphe 1, deuxième alinéa, sous a), de la directive 2014/59 et à l’article 92, paragraphe 1, du règlement délégué (UE) 2016/1075 de la Commission, du 23 mars 2016, complétant la directive 2014/59 par des normes techniques de réglementation précisant le contenu des plans de redressement, des plans
de résolution et des plans de résolution de groupe, les critères minimaux que l’autorité compétente doit prendre en compte pour évaluer les plans de redressement et les plans de redressement de groupe, les conditions préalables à un soutien financier de groupe, les exigences relatives à l’indépendance des évaluateurs, les conditions de la reconnaissance contractuelle des pouvoirs de dépréciation et de conversion, les exigences de procédure et de contenu concernant les notifications et l’avis de
suspension ainsi que le fonctionnement des collèges d’autorités de résolution (JO 2016, L 184, p. 1), de transmettre les décisions communes à la requérante après leur adoption.
32 De plus, la requérante réfute l’argument du CRU selon lequel elle n’a pas d’intérêt à obtenir l’annulation de la décision attaquée, dans la mesure où cette annulation ne lui procurerait aucun avantage, étant donné que, compte tenu du caractère commun de la décision attaquée, le CRU ne serait en aucun cas en mesure, à lui seul, de remplacer cet acte, mais serait uniquement en mesure de rouvrir la procédure au sein du collège d’autorités de résolution, procédure dans le cadre de laquelle il ne
pourrait imposer un certain niveau d’EMEE aux autres membres dudit collège. À cet égard, la requérante soutient que la détermination de l’EMEE ne nécessite pas obligatoirement une décision commune. Si aucune décision commune n’est prise, la détermination de l’EMEE intervient par des décisions séparées des autorités de résolution concernées, conformément à l’article 45 nonies, paragraphes 4 à 6, de la directive 2014/59, de sorte que le CRU pourrait alors adopter une décision qui tiendrait compte
d’éventuelles exigences du Tribunal.
33 En troisième lieu, la requérante réfute l’exigence d’une procédure préalable, en invoquant, en substance, l’absence de clarification juridictionnelle de cette question. Elle fait valoir qu’il existerait un risque direct de violation de son droit fondamental à une protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, si l’exigence d’une procédure préalable, conformément à l’article 263, cinquième alinéa, TFUE, lu en
combinaison avec l’article 85, paragraphe 3, premier alinéa, et l’article 86, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, s’opposait à la recevabilité du présent recours devant le Tribunal.
Sur la nature de la décision attaquée et la compétence du Tribunal pour statuer sur le présent litige
34 Selon le CRU, tant la procédure qui a conduit à son adoption que son contenu montrent que la décision attaquée n’est pas un acte juridique qui lui est imputable. Pour étayer cet argument, il avance que la décision attaquée en tant que décision commune n’a pas été adoptée par lui seul, mais, conjointement, par lui et l’autorité de résolution hongroise, à savoir la Banque nationale de Hongrie, dans le cadre du collège d’autorités de résolution. La décision attaquée tiendrait ainsi compte du
consensus auquel lesdites autorités seraient parvenues afin de garantir, en définitive, la bonne mise en œuvre de la stratégie de résolution prévue. Il s’agirait d’un accord intégré sur les niveaux respectifs d’EMEE fixés pour tous les membres du groupe par lequel la stratégie de résolution tiendrait compte des EMEE des autres membres et en dépendrait.
35 Le Tribunal est compétent pour connaître des recours introduits, au titre de l’article 263 TFUE, à l’encontre des seuls actes des institutions, des organes ou des organismes de l’Union (ordonnance du 6 octobre 2020, Sharpston/Conseil et les représentants des gouvernements des États membres, T‑550/20, non publiée, EU:T:2020:475, point 33).
36 De même, il est de jurisprudence constante que le recours en annulation doit être ouvert à l’égard de toutes les dispositions prises par les institutions, organes et organismes de l’Union, quelles qu’en soient la nature ou la forme, à condition qu’elles visent à produire des effets de droit (voir, en ce sens, arrêts du 30 juin 1993, Parlement/Conseil et Commission, C‑181/91 et C‑248/91, EU:C:1993:271, point 13 ; du 13 juillet 2004, Commission/Conseil, C‑27/04, EU:C:2004:436, point 44, et du
28 avril 2015, Commission/Conseil, C‑28/12, EU:C:2015:282, point 14).
Sur les effets juridiques de la décision commune
37 La décision attaquée, qui porte le titre de « décision commune », dispose que « le CRU et la [Banque nationale de Hongrie] en tant qu’autorités de résolution agissant dans le cadre du collège de résolution, sont parvenus à une décision commune en s’accordant sur » des EMEE que, en vertu des articles 2 à 4 de la décision attaquée, la requérante et ses cinq filiales doivent respecter. Ces EMEE sont spécifiées dans les sections I à III de la décision attaquée. En outre, la décision attaquée porte la
signature du président du CRU, apposée au nom du CRU, assortie de la mention « [t]he representatives of the relevant resolution authorities have agreed to this joint decision on MREL by means of a written agreement » (les représentants des autorités pertinentes se sont accordés par écrit sur cette décision commune sur l’EMEE). L’accord de l’autorité de résolution hongroise, à savoir la Banque nationale de Hongrie, portant la signature de son président, est annexé à la décision attaquée.
38 La décision attaquée concerne ainsi la fixation des EMEE pour la requérante et ses cinq filiales, dont l’une est située en dehors de l’union bancaire.
39 La compétence pour déterminer l’EMEE pour le groupe composé de la requérante et de ses filiales en Allemagne et au Luxembourg revient au CRU (article 12, paragraphe 1, du règlement no 806/2014), qui est l’autorité de résolution dudit « groupe transfrontalier » [voir article 7, paragraphe 2, sous b), du règlement no 806/2014, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, point 24, du même règlement].
40 Toutefois, comme un « groupe transfrontalier » ne comprend que les entités dans les États membres participant à l’union bancaire (article 3, paragraphe 1, point 24, du règlement no 806/2014), le CRU n’est pas compétent pour la détermination de l’EMEE pour le groupe entier dans la mesure où la filiale hongroise de la requérante est établie dans un État non participant à l’union bancaire.
41 L’autorité de résolution pour la filiale hongroise Fundamanta Lakáskassza est la Banque nationale de Hongrie (considérant 11 de la décision attaquée lu en combinaison avec l’annexe de la décision attaquée).
42 Le groupe de la requérante dans son ensemble, la filiale hongroise incluse, constitue un « groupe transnational » au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 27, de la directive 2014/59, dont des entités sont établies dans plus d’un État membre.
43 Selon l’article 88, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2014/59, pour les groupes transnationaux, les autorités de résolution au niveau du groupe instaurent des collèges d’autorités de résolution, qui fournissent un cadre leur permettant d’établir les EMEE imposées aux groupes au niveau consolidé et au niveau des filiales [voir article 88, paragraphe 1, deuxième alinéa, sous i), de la directive 2014/59]. En l’espèce, il ressort du considérant 6 de la décision attaquée que le CRU a
établi un collège d’autorités de résolution pour la requérante et ses cinq filiales en 2017, dont les membres sont, notamment, le CRU et la Banque nationale de Hongrie, conformément à l’article 88, paragraphe 2, sous a) et b), de la directive 2014/59.
44 Au sein d’un tel collège, les autorités de résolution concernées dialoguent au sujet des propositions d’EMEE applicables au niveau consolidé, de l’entreprise mère et de chaque filiale, et discutent du rapprochement desdites EMEE (article 89 du règlement délégué 2016/1075). Le collège est présidé par l’autorité de résolution au niveau du groupe (article 88, paragraphe 5, de la directive 2014/59).
45 Lorsqu’un groupe comprend des entités établies dans des États membres participant à l’union bancaire ainsi que dans des États membres n’y participant pas, le CRU représente les autorités de résolution nationales des États membres participants aux fins de la consultation et de la coopération avec les États membres non participants (article 32, paragraphe 1, du règlement no 806/2014 et considérant 10 de la décision attaquée). Ainsi, les autorités de résolution allemande et luxembourgeoise n’ont
participé au collège d’autorités de résolution qu’en tant qu’observateurs (considérants 6 et 9 de la décision attaquée).
46 Pour établir, au sein du collège d’autorités de résolution, les montants des EMEE applicables au niveau consolidé du groupe de résolution et sur une base individuelle aux filiales, l’article 88, paragraphe 1, deuxième alinéa, sous i), de la directive 2014/59 renvoie notamment à l’article 45 nonies de la même directive, qui prévoit deux procédures alternatives pour parvenir à une fixation coordonnée desdites EMEE.
47 La procédure préconisée est l’élaboration d’une décision commune en conformité avec l’article 45 nonies, paragraphe 1, de la directive 2014/59, selon lequel l’autorité de résolution au niveau du groupe et les autorités de résolution chargées des filiales du groupe de résolution font tout ce qui est en leur pouvoir pour parvenir à une décision commune sur le montant de l’exigence appliquée au niveau consolidé du groupe de résolution et sur le montant de l’exigence appliquée sur une base
individuelle à chaque filiale. La décision commune lie les autorités de résolution concernées (article 45 nonies, paragraphe 7, de la directive 2014/59).
48 En l’absence de prise d’une telle décision commune dans un délai de quatre mois, les autorités compétentes pour l’EMEE consolidée au niveau du groupe, d’une part, et pour l’EMEE sur base individuelle, d’autre part, déterminent les EMEE en prenant dûment en compte les opinions et les réserves formulées par les autres autorités respectives et l’entité de résolution concernée (article 45 nonies, paragraphe 3, de la directive 2014/59). Pour cette alternative, les paragraphes 4 à 6 de
l’article 45 nonies prévoient des règles spéciales.
49 Le CRU et l’autorité de résolution hongroise, à savoir la Banque nationale de Hongrie, étant parvenus à une décision commune, ils se sont coordonnés en vue de la fixation ultérieure des EMEE par chacune des autorités impliquées dans le cadre de sa propre compétence. En effet, par la décision attaquée, le CRU et l’autorité de résolution hongroise, en tant qu’autorités de résolution et membres du collège d’autorités de résolution, expriment leur accord avec les EMEE actées par le CRU, en tant que
président du collège, dans les sections I à III de la décision attaquée, pour la requérante et l’ensemble de ses filiales.
50 La décision attaquée produit des effets juridiques dans la mesure où, conformément à l’article 45 nonies, paragraphe 7, de la directive 2014/59, les autorités de résolution « concernées » (voir point 78 ci-après) se lient mutuellement en ce qu’elles s’obligent à respecter les EMEE à fixer lors de l’exercice de leurs compétences respectives.
51 Le CRU, en sa qualité d’autorité de résolution habilitée à déterminer l’EMEE de l’entité de résolution et des filiales établies dans des États membres participant à l’union bancaire, doit s’en tenir aux EMEE déterminées dans les sections I et II de la décision attaquée. Il en va de même pour l’autorité de résolution hongroise, à savoir la Banque nationale de Hongrie, laquelle est tenue d’observer l’EMEE déterminée dans la section III.
52 Il s’ensuit que, en préparant et en signant la décision attaquée, comme cela est exposé aux points 3 à 7 ci-dessus, le CRU a participé à l’adoption de la décision attaquée qui produit des effets juridiques.
Sur le caractère « hybride » de la décision commune
53 S’agissant de l’argument du CRU selon lequel la décision attaquée en tant que décision commune n’a pas été adoptée par lui seul, mais conjointement avec l’autorité de résolution hongroise dans le cadre du collège d’autorités de résolution, se pose la question de savoir dans quelle mesure la décision attaquée peut être considérée comme un acte soumis au contrôle du juge de l’Union.
54 La décision attaquée émane, comme l’a relevé à juste titre le CRU, d’un consensus et il ressort clairement de son considérant 7 qu’elle a été adoptée conjointement par le CRU, en tant qu’autorité de résolution du groupe, d’une part, et par l’autorité de résolution de l’État non participant à l’union bancaire, d’autre part.
55 Ainsi, d’une part, sans le consentement du CRU, aucune décision commune n’aurait pu être établie. D’autre part, selon l’article 5 de la décision attaquée et en conformité avec l’article 91, paragraphe 3, du règlement délégué 2016/1075, est également indispensable pour l’adoption de la décision commune l’accord de l’autorité de résolution hongroise, à savoir la Banque nationale de Hongrie.
56 Or, le caractère « hybride » de la décision attaquée, découlant de la circonstance selon laquelle elle est adoptée par le CRU et la Banque nationale de Hongrie, n’implique pas pour autant qu’elle n’émanerait pas du CRU.
57 En effet, le document portant la décision attaquée acte le fait, tant dans sa partie introductive [« as agreed by the Single Resolution Board [...] and Magyar Nemzeti Bank », à savoir « comme convenu par le [CRU] et [la Banque nationale de Hongrie]»] que par la signature du président du CRU au nom du CRU, que ce dernier est l’un des auteurs de la décision commune. Par ailleurs, il ressort de la première phrase du considérant 10 de la décision attaquée que le CRU a agi en sa qualité d’autorité de
résolution au niveau du groupe. Selon le considérant 12 de cette décision, la décision commune se fonde sur l’article 45 nonies de la directive 2014/59 qui prévoit que l’autorité de résolution au niveau du groupe et les autorités de résolution chargées des filiales font tout ce qui est en leur pouvoir pour parvenir à une décision commune. Ainsi, en arrêtant la décision attaquée conjointement avec l’autorité de résolution hongroise, à savoir la Banque nationale de Hongrie, le CRU a agi sur le
fondement d’une compétence qui lui a été attribuée par le droit de l’Union. Le CRU n’a pu prendre la décision attaquée avec l’autorité de résolution de l’État membre non participant qu’en raison des pouvoirs de décision qui lui ont été conférés par le législateur de l’Union.
58 Contrairement aux procédures administratives complexes dans lesquelles les autorités de résolution nationales interviennent, mais pour lesquelles la décision finale appartient au CRU, comme par exemple pour la détermination des contributions ordinaires au Fonds de résolution unique (FRU) (voir conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Iccrea Banca, C‑414/18, EU:C:2019:574, points 34 et 35), la décision attaquée constitue un véritable accord, adopté sur un pied
d’égalité, dans le cadre d’une coordination entre l’autorité nationale hongroise, à savoir la Banque nationale de Hongrie, et le CRU, qui se déroule en amont de la prise des décisions en vertu de leurs compétences respectives.
59 La procédure administrative en cause en l’espèce se différencie de celles ayant donné lieu aux arrêts du 3 décembre 1992, Oleificio Borelli/Commission (C‑97/91, EU:C:1992:491), et du 19 décembre 2018, Berlusconi et Fininvest (C‑219/17, EU:C:2018:1023). En effet, les affaires ayant donné lieu à ces arrêts s’inscrivent dans le cadre d’une relation verticale en ce que l’acte de l’autorité nationale intervient au préalable et que la décision de l’autorité administrative de l’Union intervient en fin
de procédure. La question de savoir si l’autorité de l’Union concernée dispose d’une marge d’appréciation s’inscrit précisément dans le cadre de cette relation verticale.
60 En revanche, la présente affaire s’inscrit dans le cadre d’une relation purement horizontale où deux autorités, celle de résolution nationale, à savoir la Banque nationale de Hongrie, et le CRU, investies de leurs pouvoirs propres, adoptent une « décision commune ». À la différence de la situation verticale des procédures administratives complexes auxquelles participent les autorités nationales et de l’Union, où l’exercice du pouvoir de décision finale est l’élément crucial pour déterminer si le
contrôle juridictionnel doit être exercé par le juge de l’Union ou par les juridictions nationales (voir conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona, dans l’affaire Iccrea Banca, C‑414/18, EU:C:2019:574, point 34), dans la situation présente, les coauteurs de la décision commune, en adoptant celle-ci, exercent chacun leurs pouvoirs respectifs, indépendamment l’un de l’autre. En tout état de cause, lors de l’adoption d’une décision commune telle que la décision attaquée, le CRU jouit
d’une certaine marge d’appréciation et n’est pas lié par des propositions émanant d’une autorité nationale.
61 Le fait que la décision attaquée soit le fruit d’un consensus entre le CRU et l’autorité de résolution hongroise, à savoir la Banque nationale de Hongrie, ne saurait remettre en cause la conclusion qu’il s’agit d’un acte soumis au contrôle du juge de l’Union dans la mesure où, lors de la détermination de l’EMEE sur la base de la procédure établie par l’article 45 nonies de la directive 2014/59, le CRU doit appliquer et respecter les articles 45 et suivants de ladite directive.
62 À cet égard, l’application de ces dispositions par le CRU est indépendante de l’intervention de l’autorité de résolution hongroise, laquelle peut choisir de ne pas accepter la décision commune proposée par le CRU.
63 Dans ce contexte, l’absence d’accord de la part de l’autorité de résolution hongroise, à savoir la Banque nationale de Hongrie, n’aurait pas empêché le CRU de fixer l’EMEE, au moins en ce qui concerne son application au sein des États membres participant à l’union bancaire. En effet, conformément à l’article 45 nonies, paragraphes 3 et 4, de la directive 2014/59, en absence de décision commune, il appartient au CRU de prendre une décision sur l’EEME.
64 Ainsi, même si l’implication de l’autorité de résolution hongroise est une étape nécessaire dans la procédure d’adoption de la décision attaquée, le respect des règles de l’Union applicables en l’espèce, compte-tenu de la portée des compétences exercées par le CRU dans ce cadre, ne saurait être exclu du contrôle par le juge de l’Union.
65 Dans ces conditions, le Tribunal est compétent pour examiner la légalité de la décision attaquée, de sorte que l’exception d’incompétence doit être écartée.
Sur la recevabilité du recours
66 Il ressort de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, que toute personne physique ou morale peut former un recours contre les actes dont elle est la destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.
67 En premier lieu, s’agissant de sa qualité de destinataire, il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante selon lequel cette qualité résulte de l’obligation du CRU, prévue à l’article 45 nonies, paragraphe 1, deuxième alinéa, sous a), de la directive 2014/59 et à l’article 92, paragraphe 1, du règlement délégué 2016/1075, de transmettre les décisions communes après leur adoption.
68 En effet, selon l’article 45 nonies, paragraphe 1, deuxième alinéa, sous a), de la directive 2014/59, la décision commune est « fournie à l’entité de résolution par son autorité de résolution ». S’agissant des entités d’un groupe de résolution qui ne sont pas des entités de résolution, selon l’article 45 nonies, paragraphe 1, deuxième alinéa, sous b), de la directive 2014/59, la décision commune leur est fournie par les autorités de résolution de ces entités. En ce qui concerne l’entreprise mère
dans l’Union du groupe qui n’est pas elle-même une entité de résolution du même groupe de résolution, l’article 45 nonies, paragraphe 1, deuxième alinéa, sous c), de la directive 2014/59, prévoit que la décision commune lui est fournie par l’autorité de résolution de l’entité de résolution.
69 Il en résulte que l’article 45 nonies, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2014/59, ne dispose pas que l’auteur de la décision commune la notifie aux entités concernées, mais charge différentes autorités de résolution, dans le cadre de leur compétences respectives, de « fournir » cette décision.
70 Ainsi, en l’espèce, c’est seulement par courriel du 22 mai 2023 que le CRU, en tant qu’autorité de résolution au niveau du groupe, en conformité avec l’article 45 nonies, paragraphe 1, deuxième alinéa, sous c), de la directive 2014/59, a transmis à la requérante, en tant que société mère dans l’Union du groupe, la décision attaquée, tandis que les autorités de résolution nationales étaient déjà informées avant cette date, la BaFin ayant été informée le 14 avril 2023 et la CSSF l’ayant été, en
tout état de cause, avant le 17 mai 2023.
71 En second lieu, la requérante n’étant pas la destinataire de la décision attaquée, elle doit être directement concernée par celle-ci.
72 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet du recours, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert la réunion de deux critères cumulatifs, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur sa situation juridique et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de la mettre
en œuvre, cette mise en œuvre ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (arrêts du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, point 66 ; du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 42, et du 28 octobre 2020,
Associazione GranoSalus/Commission, C‑313/19 P, non publié, EU:C:2020:869, point 51).
73 Le CRU soutient, en substance, qu’il n’est pas satisfait au premier critère susvisé, à savoir que la décision attaquée ne produit pas directement d’effets sur la situation juridique de la requérante.
74 Afin d’examiner le premier critère, à savoir la capacité de la décision attaquée à produire directement des effets sur la situation juridique de la requérante, il y a lieu de s’attacher à la substance de l’acte en cause et d’apprécier ces effets au regard de critères objectifs, tels que le contenu dudit acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur (voir arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement
et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 63 et jurisprudence citée).
75 S’agissant d’une décision commune relative à un groupe transnational (voir point 42 ci-dessus), il y a lieu de prendre particulièrement en compte le système mis en place par le législateur de l’Union aux fins de déterminer les EMEE pour chaque entité du groupe au sein de l’Union (voir points 38 à 48 ci-dessus).
76 En l’espèce, tant la décision attaquée que la décision SRB/EES/2022/215 déterminent les EMEE pour les entités du groupe auquel appartient la requérante.
77 Toutefois, alors que la décision attaquée représente l’accord conclu dans le cadre de l’Union dans son ensemble entre le CRU et l’autorité de résolution hongroise, à savoir la Banque nationale de Hongrie, en application de la directive 2014/59, la décision SRB/EES/2022/215, adoptée sur la base du règlement no 806/2014, matérialise cet accord au sein de la seule union bancaire.
78 Ainsi, en ce qui concerne la décision attaquée, son effet contraignant ne s’impose, en vertu de l’article 45 nonies, paragraphe 7, de la directive 2014/59, qu’aux autorités de résolution « concernées », à savoir celles qui se sont liées mutuellement en adoptant la décision commune. En l’espèce, il s’agit du CRU et de l’autorité de résolution hongroise, à savoir la Banque nationale de Hongrie.
79 L’adoption de la décision attaquée n’emporte donc, par elle-même, aucun autre effet juridique au sein de l’union bancaire que l’obligation que le CRU s’impose à lui-même à l’égard de l’autorité de résolution hongroise, à savoir la Banque nationale de Hongrie, de faire application des EMEE qu’il a négociées avec elle.
80 En revanche, en ce qui concerne la décision SRB/EES/2022/215, selon l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, le CRU détermine les EMEE auxquelles sont tenus de satisfaire à tout moment les entités de résolution et les groupes de résolution. Selon l’article 12, paragraphe 5, dudit règlement, le CRU adresse le résultat de sa détermination aux autorités de résolution nationales, celles-ci exécutant les instructions du CRU conformément à l’article 29 dudit règlement.
81 En l’espèce, en adoptant la décision SRB/EES/2022/215, qui, à son deuxième considérant, fait notamment référence aux articles 12 à 12 duodecies et à l’article 29 du règlement no 806/2014, le CRU a pris une décision en vertu des articles précités par laquelle il a déterminé, au sein de l’union bancaire, les EMEE du groupe auquel appartient la requérante.
82 Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée ne produit pas directement d’effets sur la situation juridique de la requérante au sens de la jurisprudence citée au point 72 ci-dessus.
83 Ce constat n’est pas remis en cause par la conclusion du comité d’appel du CRU dans sa décision dans les affaires liées 2/2023 et 3/2023 du 15 décembre 2023, à laquelle fait référence la requérante. Selon le comité d’appel, la décision commune affecte les intérêts de l’établissement de crédit requérant en ce qu’elle modifie distinctivement sa situation juridique (point 46 de la décision du comité d’appel). Le comité d’appel a estimé que la décision attaquée était la décision qui fixait l’EMEE de
manière définitive (point 48 de la décision du comité d’appel).
84 Le comité d’appel du CRU a fondé son appréciation de la décision attaquée sur l’hypothèse selon laquelle il s’agirait d’un simple faisceau de décisions individuelles dites « parallèles » des différentes autorités de résolution portant la même teneur et approuvées individuellement par chacune des autorités de résolution impliquées. La décision commune ne constituerait pas plus qu’un assemblement des décisions des autorités compétentes dans un document unique, lesquelles décisions déploient déjà
leurs effets dans le cadre des juridictions respectives desdites autorités, et cela indépendamment de la question de savoir si ces dernières ont toutes donné ou non leur accord.
85 Or, cette hypothèse ignore l’aspect d’engagement mutuel que comporte la décision commune, conformément à l’article 45 nonies, paragraphe 7, de la directive 2014/59.
86 Par ailleurs, cette explication est infirmée par l’article 45 nonies, paragraphe 3, de la directive 2014/59, selon lequel, en l’absence de décision commune dans le délai imparti, il incombe désormais aux autorités de résolution de l’entité d’observer des règles particulières (voir point 48 ci-dessus). Il en résulte que la situation est différente selon que les autorités ont toutes donné ou non leur accord. Si les autorités concernées – à savoir les autorités définies par le biais de leur
appartenance au collège d’autorités de résolution, dans le cadre duquel la décision commune a été élaborée et conclue – ne sont pas toutes d’accord, la décision commune fait défaut. Quant à l’autorité de résolution hongroise, à savoir la Banque nationale de Hongrie, cette condition indispensable d’un accord a expressément été prévue à l’article 5 de la décision attaquée selon lequel elle est adoptée dès réception de l’accord de l’autorité de résolution de l’État membre non participant.
87 La décision attaquée ne produisant pas directement d’effets sur la situation juridique de la requérante, il y a lieu d’accueillir l’exception d’irrecevabilité soulevée par le CRU fondée sur l’absence de qualité pour agir de la requérante.
88 Toutefois, l’irrecevabilité du recours ne résulte pas, comme l’a estimé le CRU avec son quatrième motif d’irrecevabilité (voir point 21 ci-dessus), de l’absence d’un recours préalable devant le comité d’appel du CRU. En effet, l’article 85, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 806/2014 dispose que toute personne physique ou morale, y compris les autorités de résolution, peut former un recours contre une décision du CRU visée à l’article 10, paragraphe 10, à l’article 11, à l’article 12,
paragraphe 1, aux articles 38 à 41, à l’article 65, paragraphe 3, à l’article 71 et à l’article 90, paragraphe 3, du même règlement, qui lui est adressée ou qui la concerne directement et individuellement. Or, la décision commune concernant l’EMEE revêt une nature particulière. Elle n’est notamment pas une décision du CRU visée auxdits articles. Par ailleurs, la décision attaquée ne s’adresse pas à la requérante et elle ne produit pas directement d’effets sur sa situation juridique, de sorte
qu’elle ne la concerne pas directement (voir points 79 à 82 ci-dessus).
89 Il s’ensuit que la requérante ne pouvait former un recours auprès du comité d’appel du CRU, de sorte qu’il ne saurait lui être reproché d’avoir saisi directement le juge de l’Union, conformément à l’article 263 TFUE.
90 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours comme irrecevable.
Sur la demande de suspension
91 Le CRU ayant obtenu gain de cause dans ses conclusions au principal, il n’y a plus lieu de statuer sur sa demande, présentée à titre subsidiaire dans son exception d’irrecevabilité, de suspendre la procédure jusqu’à ce qu’une décision soit rendue dans l’affaire BNP Paribas/CRU (T‑71/22), qui par ailleurs, a été clôturée par ordonnance de radiation du 8 novembre 2024 (non publiée, EU:T:2024:834).
Sur la demande d’intervention
92 Conformément à l’article 144, paragraphe 3, du règlement de procédure, lorsque la partie défenderesse a déposé une exception d’irrecevabilité ou d’incompétence telle que visée à l’article 130, paragraphe 1, dudit règlement, il n’est statué sur la demande d’intervention qu’après le rejet ou la jonction de l’exception au fond. Aux termes de l’article 142, paragraphe 2, du règlement de procédure, l’intervention est accessoire au litige principal et perd son objet, notamment, lorsque la requête est
déclarée irrecevable.
93 Partant, il n’y a plus lieu de statuer sur les demandes d’intervention introduites par le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne.
Sur les dépens
94 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
95 La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le CRU, conformément aux conclusions de ce dernier.
96 Conformément à l’article 144, paragraphe 10, du règlement de procédure, s’il est mis fin à l’instance dans l’affaire principale avant qu’il soit statué sur une demande d’intervention, le demandeur en intervention et les parties principales supportent chacun leurs propres dépens afférents à la demande d’intervention.
97 Ainsi, la requérante, le CRU, le Parlement, le Conseil et la Commission supporteront chacun leurs propres dépens afférents aux demandes d’intervention au soutien des conclusions formées par le CRU.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
ordonne :
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) Il n’y a plus lieu de statuer sur les demandes d’intervention du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne.
3) DZ Bank AG Deutsche Zentral-Genossenschaftsbank, Frankfurt am Main, est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de résolution unique (CRU), à l’exception de ceux afférents aux demandes d’intervention.
4) DZ Bank, le CRU, le Parlement, le Conseil et la Commission supporteront chacun leurs propres dépens afférents aux demandes d’intervention.
Fait à Luxembourg, le 11 juin 2025.
Le greffier
V. Di Bucci
Le président
H. Kanninen
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.