ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)
4 juin 2025 ( *1 )
« Politique économique et monétaire – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Missions spécifiques de surveillance confiées à la BCE – Décision de retrait de l’agrément d’un établissement de crédit – Violation de la législation nationale en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme – Article 83, paragraphe 2, du règlement (UE) no 468/2014 et article 4, paragraphe 3, du règlement (UE) no 1024/2013 – Étendue de l’examen par la BCE des
circonstances justifiant le retrait – Compétence des autorités compétentes nationales et de la BCE au sein du mécanisme de surveillance unique (MSU) – Conditions du retrait – Obligation de motivation – Droit à une bonne administration »
Dans l’affaire T‑551/23,
Baltic International Bank SE, établie à Riga (Lettonie), représentée par Mes M. Supe et V. Supe, avocats,
partie requérante,
contre
Banque centrale européenne (BCE), représentée par Mmes E. Yoo, J. Poscia, K. Drēviņa et M. M. Puidokas, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (dixième chambre),
composé de Mme O. Porchia (rapporteure), présidente, MM. M. Jaeger et P. Nihoul, juges,
greffier : Mme I. Kurme, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 3 décembre 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Baltic International Bank SE, demande l’annulation de la décision de la Banque centrale européenne (BCE) du 3 juillet 2023 sur le retrait de l’agrément d’un établissement de crédit soumis à la surveillance prudentielle (ci-après la « décision attaquée »), adoptée à son égard.
Antécédents du litige
2 La requérante est un établissement de crédit moins important établi en Lettonie, placé sous la surveillance prudentielle directe de la Finanšu un kapitāla tirgus komisija (Commission des marchés financiers et des capitaux, Lettonie) (ci-après la « CMFC »), qui a été intégrée dans la Latvijas Banka (Banque de Lettonie).
3 Estimant que la requérante commettait depuis 2012 des infractions à ses obligations bancaires, la CMFC a adopté plusieurs décisions à son égard.
4 En particulier, le 9 mars 2016, la CMFC a adopté la lēmums Nr. 61 par sankciju piemērošanu AS « Baltic International Bank » (décision no 61 sur l’imposition de sanctions à AS « Baltic International Bank ») (ci-après la « décision no 61 »), que la requérante n’a pas contestée. Le 29 novembre 2019, la CMFC a adopté la lēmums Nr. 191 par sankciju un pasākumu noteikšanu AS « Baltic International Bank » (décision no 191 sur l’imposition de sanctions et de mesures à AS « Baltic International Bank »)
(ci‑après la « décision no 191 »), que la requérante a contestée. Le 22 décembre 2022, la CMFC a confirmé cette décision par la lēmums Nr. 255 par Finanšu un kapitāla tirgus komisijas padomes 29.11.2019. lēmuma Nr. 191 atstāšanu par negrozītu (décision no 255 sur le maintien de la [décision no 191]). La requérante a contesté cette dernière décision devant l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie).
5 Par ailleurs, le 12 décembre 2022, la CMFC a adopté la lēmums Nr. 215 par noregulējuma darbības nepiemērošanu Baltic International Bank SE (décision no 215 sur la non-application d’une mesure de résolution à [la requérante]) (ci-après la « décision no 215 ») et la lēmums Nr. 216 par finanšu pakalpojumu sniegšanas apturēšanu un pilnvarnieku iecelšanu Baltic International Bank SE (décision no 216 sur la suspension de la fourniture de services financiers et la désignation d’un mandataire pour [la
requérante]) (ci-après la « décision no 216 »).
6 Le 30 décembre 2022, la CMFC a soumis à la BCE une proposition de décision intitulée « sur le retrait de l’agrément d’un établissement de crédit soumis à la surveillance prudentielle » à l’encontre de la requérante (ci-après la « proposition de décision »).
7 Le 10 mars 2023, la BCE a adopté la décision ECB-SSM-2023-LV-1 WHD-2022-0014 sur le retrait de l’agrément d’un établissement de crédit soumis à la surveillance prudentielle (ci-après la « décision initiale »), portant retrait de l’agrément délivré à la requérante en tant qu’établissement de crédit.
8 La décision initiale est fondée sur trois motifs, tirés :
– le premier, de ce que la requérante aurait commis de graves infractions pendant une période prolongée et commettrait encore à la date de la décision initiale de graves infractions à des dispositions essentielles de la Noziedzīgi iegūtu līdzekļu legalizācijas un terorisma un proliferācijas finansēšanas novēršanas likums (loi en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération), du 13 juin 2019 (Latvijas Vēstnesis, 2008, no 116), qui
établissent individuellement et collectivement des motifs de retrait d’agrément ;
– le deuxième, de ce que la requérante aurait enfreint, pendant une période prolongée, son obligation de mettre en place des systèmes efficaces de contrôle interne, énoncée à l’article 341, paragraphe 1, du Kredītiestāžu likums (loi sur les établissements de crédit), du 5 octobre 1995 (Latvijas Vēstnesis, 1995, no 163) ;
– le troisième, de ce que la requérante aurait enfreint son obligation de définir et de mettre en œuvre une stratégie, des politiques et des procédures prudentes lui permettant de gérer ses risques, y compris la détection en temps utile, l’évaluation, l’analyse et le suivi de ses risques visés à l’article 342, paragraphes 1 et 2, de la loi sur les établissements de crédit.
9 Par jugement du 24 mars 2023, l’Ekonomisko lietu tiesa (tribunal des affaires économiques, Lettonie) a déclaré la requérante en liquidation.
10 Le 6 avril 2023, la requérante a soumis une demande de réexamen de la décision initiale auprès de la commission administrative de réexamen de la BCE.
11 Le 3 juillet 2023, le conseil des gouverneurs de la BCE a remplacé, avec un contenu identique, la décision initiale par la décision attaquée, qui a pris effet le lendemain du jour de la notification de la décision initiale.
Conclusions des parties
12 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la BCE aux dépens.
13 La BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme non fondé ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur la recevabilité du recours
14 La BCE émet un doute quant à la recevabilité du recours, en mettant en cause la validité du mandat des avocats de la requérante. Elle souligne notamment que l’ancien conseil d’administration de la requérante avait mandaté ces avocats par un mandat ad litem du 5 septembre 2005 et un accord de représentation du 23 mars 2023, mais que le liquidateur de la requérante a révoqué, à compter du 6 avril 2023, tous les mandats délivrés par ledit conseil d’administration, invalidant ainsi le mandat en vertu
duquel les avocats de la requérante la représentent dans la présente affaire.
15 En réponse à une mesure d’organisation de la procédure adressée par le Tribunal, la requérante a produit, le 23 octobre 2024, des pièces supplémentaires, dont une lettre de son administrateur, pour justifier du mandat de ses avocats. Elle a aussi invoqué l’arrêt du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a. (C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P, EU:C:2019:923), pour soutenir que les mandats de ses avocats ne pouvaient être invalidés, à l’instar de ce qu’aurait jugé la Cour dans ledit
arrêt. Elle fait valoir que son ancien conseil d’administration était habilité, à la date du 23 mars 2023, à conclure l’accord de représentation avec ses avocats. Elle ajoute que, si son liquidateur a ensuite révoqué l’ensemble des mandats émis par ledit conseil d’administration, il ne peut être tenu compte de cette révocation s’agissant des mandats délivrés à ses avocats pour la présente affaire, car il existe un risque que le liquidateur ne remette pas en cause l’acte adopté par la CMFC ou avec
le soutien de cette dernière, qui a conduit à l’ouverture de la procédure de liquidation à son égard, ce qui irait à l’encontre du principe de protection juridictionnelle effective. Le comportement du liquidateur pourrait porter atteinte au droit de la requérante, en tant que personne morale de droit privé, à un procès équitable. La requérante a produit la même lettre de son administrateur à titre de document formel pour justifier des mandats de ses avocats.
16 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, de ce statut, pour pouvoir agir devant les juridictions de l’Union européenne, les personnes morales, telles que la requérante, doivent être représentées par un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) (voir,
en ce sens, arrêt du 8 février 2024, Pilatus Bank/BCE, C‑256/22 P, EU:C:2024:125, point 35).
17 Compte tenu de cette nécessité pour les personnes morales d’être représentées par un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord EEE, la recevabilité d’un recours introduit par une telle personne est subordonnée à la preuve que la personne concernée a réellement pris la décision d’introduire le recours et que les avocats qui prétendent la représenter ont effectivement été mandatés à cette fin (voir, en ce sens, arrêt du 8 février 2024,
Pilatus Bank/BCE, C‑256/22 P, EU:C:2024:125, point 57 et jurisprudence citée).
18 C’est précisément en vue de s’assurer que tel est bien le cas que l’article 51, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal requiert des avocats, lorsque la partie qu’ils représentent est une personne morale de droit privé, de déposer au greffe du Tribunal un mandat délivré par cette partie, le défaut de production de ce mandat pouvant entraîner, conformément au paragraphe 4 de cet article, l’irrecevabilité formelle de la requête (voir arrêt du 8 février 2024, Pilatus Bank/BCE,
C‑256/22 P, EU:C:2024:125, point 58 et jurisprudence citée).
19 En l’espèce, il est constant que l’ancien conseil d’administration de la requérante était valablement habilité à délivrer, le 5 septembre 2005, le mandat ad litem et à conclure, le 23 mars 2023, l’accord de représentation avec les avocats de la requérante dans la présente affaire.
20 Dans sa lettre du 10 octobre 2024, communiquée par la requérante le 23 octobre 2024 en réponse à une mesure d’organisation de la procédure du Tribunal ainsi qu’à titre de mandat pour les avocats de la requérante, l’administrateur de celle-ci soutient que les révocations de mandat décidées par le liquidateur et qui ont été publiées les 11 avril 2023 et 29 janvier 2024 n’ont pas affecté la validité des mandats octroyés par l’ancien conseil d’administration aux avocats de la requérante dans la
présente affaire. Il ajoute que les avocats de la requérante sont habilités à la représenter sur la base desdits mandats.
21 À cet égard, il suffit de relever que, si la CMFC n’est ni l’auteure de la décision attaquée, ni la partie défenderesse devant le Tribunal, la BCE revêtant ces qualités, il n’en reste pas moins qu’elle a participé à l’adoption de la décision attaquée, qui a été adoptée sur sa proposition. Compte tenu de la mission de liquidation qui lui est confiée en application du droit letton, le liquidateur se trouve dans une situation de conflits d’intérêts en raison du fait que la contestation, devant le
Tribunal, du retrait de l’agrément de la personne morale qu’il représentait aurait pu l’amener, contrairement à cette mission, à priver de tout fondement juridique la procédure de liquidation de cette personne (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a., C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P, EU:C:2019:923, point 74).
22 En conséquence, il ne peut être tenu compte, en ce qui concerne la représentation des avocats de la requérante dans la présente affaire, de la révocation de leurs mandats décidée par le liquidateur, dès lors que cela violerait le droit de la requérante à une protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a., C‑663/17 P,
C‑665/17 P et C‑669/17 P, EU:C:2019:923, point 78).
23 Dans de telles conditions, il convient de considérer les avocats de la requérante comme étant valablement mandatés pour représenter celle-ci.
24 Il importe d’ajouter que l’administrateur ne conteste pas les mandats qui ont été initialement délivrés aux avocats de la requérante.
25 En outre, la BCE n’a pas contesté le mandat produit par la requérante en dernier lieu à titre de document formel.
26 Le recours est donc recevable.
Sur la recevabilité des documents produits le 2 décembre 2024 par la requérante
27 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 2 décembre 2024, la requérante a produit de nouvelles offres de preuve, datées du 21 juillet 2023 ainsi que des 5 et 6 septembre 2023, donc antérieures, pour la première, au dépôt de la requête et, pour les autres, au dépôt de la réplique. À l’audience, la BCE a émis des doutes quant à la recevabilité de ces documents.
28 Il convient de rappeler que, selon l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, à titre exceptionnel, les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié.
29 À cet égard, la requérante a été invitée à l’audience à réagir à la possible irrecevabilité des documents produits et à exposer les raisons justifiant que la communication de ces documents n’ait pu être faite que la veille de l’audience. Elle s’est contentée d’indiquer que ces documents lui avaient été transmis par le liquidateur, sans indiquer à quelle date cette transmission avait eu lieu ni expliquer pourquoi il lui aurait été impossible d’obtenir auprès du liquidateur la communication desdits
documents plus tôt.
30 Dans ces conditions, il convient de déclarer irrecevables les documents produits le 2 décembre 2024.
Sur le fond
31 Au soutien de son recours, la requérante soulève quatre moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur d’appréciation de la BCE, en ce que celle-ci aurait méconnu le fait que la CMFC n’avait pas respecté son obligation d’édicter au niveau national des règlements fixant les critères applicables aux infractions graves aux actes réglementaires en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération (ci-après la « LBC/FT »). Le deuxième moyen est
tiré, en substance, de la violation par la BCE de l’obligation d’effectuer son propre examen et de ne pas se limiter à reprendre l’appréciation faite par la CMFC. Le troisième moyen est tiré, en substance, d’une violation de l’obligation de motivation concernant les deuxième et troisième motifs du retrait de l’agrément ainsi que d’erreurs commises par la BCE concernant ces mêmes motifs. Le quatrième moyen est tiré d’une violation du droit à une bonne administration, comportant le droit d’être
entendu et le droit d’accès au dossier.
32 Le Tribunal analysera, ensemble, les premier et deuxième moyens, puis, successivement, les troisième et quatrième moyens.
Sur les premier et deuxième moyens
33 Dans le cadre des premier et deuxième moyens, la requérante remet en cause l’appréciation portée par la BCE sur son respect de la réglementation en matière de LBC/FT. En substance, elle soutient que la BCE n’a pas procédé elle-même à l’appréciation qui lui incombait, mais a fondé celle-ci sur des décisions prises par la CMFC, qui étaient contestables, ainsi que sur des actes préalables pris dans le cadre de la procédure administrative nationale, qu’elle n’aurait pas pu contester devant le juge
national.
34 Dans le cadre du premier moyen, la requérante considère que la BCE a commis une erreur d’appréciation en méconnaissant le fait que la CMFC n’avait pas respecté l’obligation, prévue à l’article 196, paragraphe 4, de la loi sur les établissements de crédit, d’édicter au niveau national des actes fixant les critères applicables aux infractions graves en matière de LBC/FT.
35 La BCE aurait violé l’obligation, prévue à l’article 83, paragraphe 2, de son règlement (UE) no 468/2014, du 16 avril 2014, établissant le cadre de la coopération au sein du mécanisme de surveillance unique entre la BCE, les autorités compétentes nationales et les autorités désignées nationales (le « règlement-cadre MSU ») (JO 2014, L 141, p. 1), de procéder, lors de l’adoption d’une décision de retrait d’agrément, à son propre examen des circonstances justifiant ce retrait.
36 La requérante considère que la décision attaquée se fonde sur l’évaluation de la CMFC figurant dans la proposition de décision ainsi que sur les documents fournis par cette autorité, ce qui ne serait pas, conformément à l’article 83, paragraphe 2, du règlement‑cadre MSU, suffisant.
37 La requérante rappelle les dispositions de l’article 4, paragraphe 3, du règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la BCE des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63, ci-après le « règlement MSU de base »), de l’article 83, paragraphe 2, du règlement-cadre MSU, de l’article 18, sous f), et de l’article 67, paragraphe 1, sous o), de la directive 2013/36/UE du Parlement
européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (JO 2013, L 176, p. 338), ainsi que celles de l’article 27, paragraphe 1, point 8, et de l’article 196, paragraphes 3 et 4, de la loi sur les établissements de crédit.
38 À la lumière des dispositions susmentionnées, la BCE aurait dû appliquer la loi sur les établissements de crédit et constater que les actes réglementaires nationaux fixant les critères applicables aux infractions graves en matière de LBC/FT n’avaient pas été adoptés.
39 La requérante ajoute qu’il ne saurait être exclu que, si les actes nationaux mentionnés au point 38 ci-dessus avaient été adoptés, les critères applicables aux infractions graves auraient été différents de ceux figurant dans le rapport du 31 mai 2022 établi dans le cadre du mécanisme de surveillance unique (MSU) par l’Autorité bancaire européenne (ABE), l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP). Ce rapport
n’aurait pas de valeur juridique contraignante et ne pourrait se substituer aux actes réglementaires qui devaient être adoptés. Il en irait de même pour les recommandations de la CMFC.
40 La CMFC aurait dû indiquer les critères permettant de considérer les infractions commises par la requérante comme étant graves et la BCE aurait dû constater qu’un élément dans les décisions de la CMFC faisait défaut, à savoir la motivation de cette gravité.
41 L’absence d’adoption dans les délais prescrits des actes réglementaires pertinents porterait aussi atteinte au principe de sécurité juridique, la requérante ayant le droit de connaître à l’avance les critères utilisés pour qualifier de graves les infractions qui lui sont reprochées.
42 Par ailleurs, la BCE se serait fondée sur une base juridique erronée. La requérante indique que l’absence de critères a été reconnue par le législateur comme étant une lacune importante, dans la mesure où celui-ci avait prévu au point 84 des dispositions transitoires de la loi sur les établissements de crédit que la CMFC devait fixer lesdits critères avant le 1er août 2019, en édictant des actes réglementaires ayant la même force que les décrets en conseil des ministres, selon la loi lettone.
Elle précise que, toutefois, ces actes n’avaient pas été adoptés.
43 La requérante ajoute que la BCE est tenue d’appliquer non seulement les dispositions du droit de l’Union, mais aussi, lorsque celui-ci est constitué de directives, le droit national transposant celles-ci. Or, en l’espèce, la directive 2013/36 aurait été transposée en droit letton par la loi sur les établissements de crédit, que la BCE aurait été censée appliquer. La BCE aurait d’ailleurs confirmé qu’elle doit examiner si les conditions prévues par le droit national, lues conjointement avec
l’article 18, sous f), et l’article 67, paragraphe 1, sous o), de la directive 2013/36, sont réunies. Elle aurait donc dû établir les faits pertinents et décider s’ils étaient de nature à démontrer que la requérante a été considérée comme responsable d’une infraction grave au sens du droit national.
44 Dans ce cadre, si la BCE avait constaté, en application de la loi sur les établissements de crédit, que la CMFC n’avait pas édicté d’actes réglementaires en matière de LBC/FT, elle n’aurait pas dû fonder la décision attaquée sur les constatations faites par la CMFC, qui n’avait pas respecté l’obligation qui lui incombait.
45 La requérante précise que la décision no 61, sur laquelle se fonde la décision attaquée, a été prise avant l’adoption de l’acte réglementaire qui devait fixer les critères de gravité en matière de LBC/FT, selon l’article 196, paragraphe 4, de la loi sur les établissements de crédit. La CMFC aurait fondé sa décision sur un acte réglementaire interne, alors que cela ne serait pas autorisé par l’article 67, paragraphe 6, de l’Administratīvā procesa likums (loi sur la procédure administrative)
(Latvijas Vēstnesis, 2001, no 164). De même, à la date de l’adoption de la décision no 191, les actes réglementaires fixant les critères de gravité n’auraient pas non plus encore été édictés.
46 Pour ce qui concerne le deuxième moyen, articulé en trois branches, la requérante soutient, s’agissant de la première branche, que la BCE a violé son obligation de diligence en ne vérifiant pas les infractions qui lui étaient reprochées dans le cadre de la décision no 191, qui a été contestée au niveau national. La décision no 191 n’étant pas définitive à la date de la décision attaquée, la BCE aurait dû réexaminer les faits qui y étaient liés. La requérante précise, dans sa réplique, que, par
décision de la Cour administrative régionale du 5 septembre 2023, la procédure introduite à l’encontre de la décision no 191 a été clôturée, après la demande de retrait déposée par son liquidateur le 24 juillet 2023.
47 Par la deuxième branche du deuxième moyen, la requérante soutient que la BCE n’a pas examiné avec soin et impartialité les faits relatifs aux enquêtes auxquelles elle se réfère au point 11 de l’annexe de la décision attaquée. La requérante rappelle les règles lettones en matière d’enquêtes et de procédure pénale ainsi que le fait qu’aucun de ses employés, membres du conseil de direction et actionnaires ne s’est vu accorder le statut de suspect ou de prévenu. En faisant référence dans la décision
attaquée à une procédure pénale en cours, la BCE aurait méconnu l’article 48, paragraphe 1, de la Charte, qui prévoit que toute personne accusée est présumée innocente. Selon la requérante, la BCE ne pouvait pas utiliser les informations relatives à l’engagement de poursuites pénales en tant que fondement de la décision attaquée.
48 Par la troisième branche du deuxième moyen, la requérante conteste la valeur juridique des documents sur lesquels la décision attaquée est fondée, à savoir des rapports d’inspection et les décisions nos 61 et 191. Selon la requérante, il appartenait à la BCE de contrôler la légalité de la proposition de décision, qui contient des vices substantiels, lesquels entachent la légalité de la décision attaquée.
49 S’agissant, en premier lieu, des rapports d’inspection, la requérante soutient que ce sont des « décisions intermédiaires » qui, dans le système juridique national, ne peuvent pas être contestées. Il s’agirait de simples lettres qui expriment le point de vue de la CMFC sans être des décisions définitives. Dans ce contexte, la décision attaquée ne pourrait se fonder sur des informations fournies dans ces rapports.
50 La requérante précise que, pour ce qui concerne le rapport d’inspection de 2012 et les contrôles effectués en 2014 et en 2015, la BCE s’est fondée sur des infractions à la loi en matière de LBC/FT que la CMFC n’aurait pas qualifiées de telles.
51 La requérante indique aussi que les rapports d’inspection de 2018 et de 2019 ont fait l’objet d’un recours avec la décision no 191 et qu’ils ne devaient pas être mentionnés dans la décision attaquée. Les informations contenues dans le rapport d’inspection de 2018 ne pourraient pas servir de base à la décision attaquée. Il en irait de même des informations recueillies dans le cadre de la procédure ouverte le 13 décembre 2021, qui n’a fait l’objet d’aucune décision finale.
52 S’agissant, en deuxième lieu, des décisions nos 61 et 191, la requérante soutient que la première est un acte devenu définitif qu’elle n’a pas contesté et qu’elle s’est conformée à toutes les obligations qui découlaient de cet acte. S’agissant de la décision no 191, le rejet par la juridiction nationale de la demande de protection provisoire contre cette décision introduite par la requérante ne pourrait préjuger de l’appréciation au fond de ladite décision.
53 S’agissant, en troisième lieu, des lettres de la CMFC portant sur le comportement de la requérante, celles-ci n’auraient pas le caractère de décision définitive.
54 La requérante ajoute que la BCE a violé le principe de présomption d’innocence en se fondant sur deux décisions de la CMFC, dont l’une, la décision no 191, était contestée, ainsi que sur le rapport d’inspection de 2018, qui est une décision intermédiaire. Selon elle, le litige relatif aux décisions de la CMFC est analogue à celui des décisions d’une autorité nationale de la concurrence infligeant une amende, pour lesquelles toutes les garanties procédurales du droit à un procès équitable
s’appliquent. La culpabilité d’une personne accusée d’une infraction ne pourrait être considérée comme définitivement établie que lorsque la décision constatant cette infraction est devenue définitive. Or, à l’égard de la requérante, il n’existerait aucun jugement ayant acquis force de chose jugée la déclarant responsable d’infractions graves. La BCE aurait dû vérifier si les documents sur lesquels elle s’était fondée étaient définitifs. Elle aurait dû examiner le bien-fondé de la décision no 191
ou ne pas se fonder sur celle-ci, puisqu’elle était contestée. La requérante ajoute que la décision no 255 était aussi contestée en justice.
55 À plusieurs reprises, le renvoi à la motivation de la décision no 191 serait erroné en ce qu’aucun des rapports d’inspection, y compris le rapport d’inspection de 2018, ne contiendrait les prétendues constatations sur lesquelles la décision attaquée entend se fonder.
56 La BCE conteste l’argumentation de la requérante.
57 À cet égard, il convient de relever que, selon l’article 18, sous f), de la directive 2013/36, les autorités compétentes peuvent retirer l’agrément accordé à un établissement de crédit lorsque celui-ci commet l’une des infractions visées à l’article 67, paragraphe 1, de cette même directive. Cela vise, notamment, selon l’article 67, paragraphe 1, sous o), de ladite directive, l’établissement qui a été déclaré responsable d’une infraction grave aux dispositions nationales adoptées en vertu de la
directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (JO 2005, L 309, p. 15). Cette dernière directive a été abrogée et remplacée par la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme,
modifiant le règlement (UE) no 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60 (JO 2015, L 141, p. 73).
58 S’agissant du retrait de l’agrément d’un établissement de crédit, aux termes de l’article 83, paragraphe 2, du règlement-cadre MSU, « [l]orsqu’elle prend sa décision, la BCE tient compte de l’ensemble des points suivants : a) son examen des circonstances justifiant le retrait ; b) le cas échéant, le projet de décision de retrait de l’autorité compétente nationale ; c) la consultation de l’autorité compétente nationale concernée [...] ; d) les observations présentées par l’établissement de crédit
conformément à l’article 81, paragraphe 2, et à l’article 82, paragraphe 3[, de ce règlement-cadre] ».
59 L’article 4, paragraphe 3, du règlement MSU de base prévoit que, « [a]ux fins de l’accomplissement des missions qui lui sont confiées par le présent règlement, et en vue d’assurer des normes de surveillance de niveau élevé, la BCE applique toutes les dispositions pertinentes du droit de l’Union et, lorsque celui-ci comporte des directives, le droit national transposant ces directives ». Cette disposition prévoit également que, « [l]orsque le droit pertinent de l’Union comporte des règlements et
que ces règlements laissent expressément aux États membres un certain nombre d’options, la BCE applique également la législation nationale faisant usage de ces options ».
60 Il ressort de l’article 4, paragraphe 3, du règlement MSU de base que la BCE doit appliquer le droit national lorsque celui-ci transpose les directives pertinentes (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2023, Versobank/BCE, C‑803/21 P, non publié, EU:C:2023:630, point 102).
61 Il importe d’ajouter que la décision attaquée est un acte relatif à la surveillance prudentielle d’un établissement de crédit adopté par la BCE, laquelle dispose d’une large marge d’appréciation à cet égard, dès lors que, ainsi que l’énonce le considérant 55 du règlement MSU de base, les missions de surveillance qui lui sont confiées lui donnent des responsabilités importantes quant au maintien de la stabilité financière de l’Union et à l’utilisation la plus efficace et proportionnée possible de
ses pouvoirs de surveillance (voir, par analogie, arrêt du 8 mai 2019, Landeskreditbank Baden-Württemberg/BCE, C‑450/17 P, EU:C:2019:372, point 86).
62 La large marge d’appréciation de la BCE résulte aussi du fait que la décision attaquée implique l’appréciation de faits et de circonstances économiques et financières complexes (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 10 novembre 2022, Commission/Valencia Club de Fútbol, C‑211/20 P, EU:C:2022:862, point 34, et du 22 juin 2023, Allemagne et Estonie/Pharma Mar et Commission, C‑6/21 P et C‑16/21 P, EU:C:2023:502, point 52).
63 Dans ces conditions, le contrôle juridictionnel que le juge de l’Union doit exercer sur le bien-fondé des motifs d’une décision telle que la décision attaquée ne doit pas le conduire à substituer sa propre appréciation à celle de la BCE, mais vise à vérifier que cette décision ne repose pas sur des faits matériellement inexacts et qu’elle n’est pas entachée d’erreur de droit, d’erreur manifeste d’appréciation ou de détournement de pouvoir (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 2 septembre
2021, EPSU/Commission, C‑928/19 P, EU:C:2021:656, point 96, et du 4 mai 2023, BCE/Crédit lyonnais, C‑389/21 P, EU:C:2023:368, point 55).
64 Le juge de l’Union doit, notamment, non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (arrêt du 4 mai 2023, BCE/Crédit lyonnais, C‑389/21 P, EU:C:2023:368, point 56).
65 C’est dans ces conditions qu’il convient de vérifier l’appréciation faite par la BCE du premier motif de retrait de l’agrément.
66 Selon le premier motif de retrait de l’agrément, tel qu’exposé au point 4 de la décision attaquée, la BCE a retenu que la requérante avait, depuis 2012, violé de manière répétée et continue plusieurs exigences légales en matière de LBC/FT, qui portaient sur le système de contrôle interne (point 4.2.1 de la décision attaquée), les mesures de vigilance à l’égard de la clientèle (point 4.2.2 de la décision attaquée) et les déclarations des transactions suspectes à la cellule de renseignement
financier de la CMFC.
67 Au point 4 de la décision attaquée et à l’annexe de celle-ci, la BCE expose les motifs qui, selon elle, établissent les infractions graves en matière de LBC/FT commises par la requérante.
68 À cet égard, il convient d’emblée de relever que la décision attaquée ne se limite pas à reprendre la position de la CMFC figurant dans la proposition de décision.
69 En effet, il ressort de la décision attaquée que la BCE a procédé à sa propre appréciation à partir de toute une série d’informations qui découlaient de plusieurs décisions prises par la CMFC, mais aussi d’autres documents établis au niveau national, dont des rapports d’inspection et des activités de surveillance.
70 Dans la décision attaquée, la BCE s’appuie sur les considérations figurant notamment dans les décisions nos 61 et 191, mais aussi dans les rapports d’inspection sur place en 2012, 2014, 2018 et 2021, les rapports d’inspection ciblés sur place en 2013, 2015, 2019 et 2020 ainsi que les rapports d’inspection ciblés hors site en 2015 et les activités de surveillance hors site en 2022.
71 Il convient de relever que la BCE a pu à bon droit tenir compte des décisions nos 61 et 191, ainsi que des autres documents mentionnés au point 70 ci-dessus, dans lesquels sont décrites les infractions commises par la requérante. Le fait que ces documents aient été établis par la CMFC ne saurait empêcher la BCE ni d’en tenir compte ni de procéder à partir des informations qu’ils contiennent à sa propre appréciation fondant la décision de retrait de l’agrément.
72 À cet égard, il a été notamment jugé que la BCE était compétente pour retirer un agrément sur la base des infractions constatées par les autorités compétentes nationales (ci-après les « ACN ») (voir, par analogie, arrêt du 12 septembre 2024, Anglo Austrian AAB/BCE et Far-East, C‑579/22 P, EU:C:2024:731, point 47).
73 S’agissant des décisions nos 61 et 191, il convient d’ajouter, en premier lieu, que la première de ces décisions n’a pas été contestée par la requérante. Ladite décision était donc définitive et opposable à la requérante à la date d’adoption de la décision attaquée.
74 S’agissant de la circonstance, alléguée par la requérante, selon laquelle l’ACN n’avait pas encore édicté de règlements déterminant les critères permettant de considérer les infractions qu’elle avait commises en matière de LBC/FT comme étant graves, il ressort des écritures des parties et des réponses apportées par celles-ci à l’audience que l’obligation pour la CMFC d’arrêter les dispositions définissant les critères applicables aux infractions graves aux dispositions en matière de LBC/FT n’est
entrée en vigueur qu’en 2019, à la suite de la modification de l’article 196 de la loi sur les établissements de crédit, auquel un paragraphe 4 a notamment été ajouté.
75 Ainsi, l’obligation susmentionnée n’était pas en vigueur à la date d’adoption de la décision no 61, laquelle couvre la période allant de 2012 à 2016. Il importe de relever que, si, comme le soutient la requérante, la décision no 61 a été adoptée en se fondant, pour ce qui concernait la détermination des infractions graves, sur un acte interne à la CMFC qui n’aurait pas été rendu public au moment de cette adoption, il est constant que la requérante n’a pas contesté cette décision, de sorte que, en
tout état de cause, la BCE était parfaitement en droit d’en tenir compte.
76 Par ailleurs, il ressort d’une réponse donnée par la BCE à une question posée par le Tribunal que la seule prise en compte de la décision no 61, sans la décision no 191, aurait pu permettre, en l’espèce, le retrait de l’agrément.
77 À cet égard, il y a lieu de relever que, compte tenu de l’importance des règles prudentielles visant à lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme, mais aussi de la responsabilité particulière des établissements de crédit à cet égard et de la nécessité de tirer au plus vite les conséquences de la commission d’infractions à ces règles, une décision administrative nationale déclarant un établissement de crédit responsable d’infractions graves aux dispositions nationales adoptées en
vertu de la directive 2005/60 (devenue directive 2015/849) est suffisante pour justifier un retrait de l’agrément (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2022, Anglo Austrian AAB et Belegging-Maatschappij Far-East/BCE, T‑797/19, EU:T:2022:389, point 50).
78 Au demeurant, même si la requérante a soutenu devant le Tribunal avoir respecté les obligations découlant de la décision no 61, il convient de rappeler que la position selon laquelle certains manquements constatés auraient été corrigés et ne peuvent plus justifier un retrait de l’agrément remettrait en cause l’objectif de sauvegarde du système bancaire de l’Union. En effet, elle pourrait permettre aux établissements de crédit ayant commis des infractions graves de continuer leurs activités tant
que les autorités compétentes ne démontrent pas qu’ils ont commis de nouvelles infractions (voir, par analogie, arrêt du 22 juin 2022, Anglo Austrian AAB et Belegging-Maatschappij Far-East/BCE, T‑797/19, EU:T:2022:389, point 61).
79 En deuxième lieu, la décision no 191 a été adoptée en 2019, à une date à laquelle les dispositions réglementaires n’avaient, selon la requérante, pas encore été prises pour la détermination des critères applicables aux infractions graves aux dispositions en matière de LBC/FT.
80 À cet égard, il convient de relever que, même si la décision no 191 faisait l’objet d’une procédure de contestation au niveau national, selon l’article 80 de la loi en matière de LBC/FT lettone, le recours contre une telle décision a pour conséquence automatique de suspendre uniquement les effets de la partie relative à l’amende prononcée, sans affecter le reste de la décision. La BCE était donc en droit de prendre en compte les constatations faites dans la décision no 191.
81 En ce qui concerne l’argument tiré d’une violation du principe de sécurité juridique, à supposer établie l’hypothèse selon laquelle l’absence d’adoption des actes réglementaires dans les délais prescrits visait la décision no 191, il convient de relever que cet argument aurait pu, le cas échéant, être invoqué dans le cadre du recours introduit contre ladite décision au niveau national. Toutefois, pour ce qui concerne la procédure de retrait d’agrément, la BCE était en présence d’une décision dont
les effets n’avaient pas été suspendus, excepté ceux visant l’amende, comme il a été déjà relevé au point 80 ci-dessus.
82 En troisième lieu, s’agissant de l’argument selon lequel la BCE aurait dû constater que, en l’absence d’adoption des actes réglementaires nationaux déterminant les critères de gravité des infractions en matière de LBC/FT, les infractions constatées par la CMFC la concernant ne pouvaient être prises en compte, il convient de rappeler que la Cour a jugé que, si les États membres demeurent compétents pour la mise en œuvre de telles dispositions, comme le prévoit explicitement le considérant 28 du
règlement MSU de base, la BCE dispose d’une compétence exclusive pour retirer l’agrément, pour tous les établissements de crédit, indépendamment de leur importance, notamment lorsque celui-ci se fonde sur le motif prévu à l’article 67, paragraphe 1, sous o), de la directive 2013/36, auquel renvoie l’article 18 de cette directive, dès lors que l’article 14, paragraphe 5, du règlement MSU de base fixe comme condition pour le retrait de l’agrément l’existence d’un ou de plusieurs motifs justifiant
le retrait aux termes de l’article 18 de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2023, Versobank/BCE, C‑803/21 P, non publié, EU:C:2023:630, point 141).
83 À cet égard, le Tribunal a jugé que le MSU centralisait les fonctions prudentielles au niveau de la BCE, tout en prévoyant une exécution décentralisée par les ACN des États membres participants, sous la supervision de la BCE, avec laquelle elles coopèrent et qu’elles assistent. Ainsi, au sein du MSU, d’une part, la BCE exerce certaines compétences exclusives, à savoir la surveillance prudentielle « directe » des établissements de crédit importants et les compétences qui lui sont réservées par
l’article 4 du règlement MSU de base en ce qui concerne tous les établissements, indépendamment de leur importance. D’autre part, la surveillance prudentielle des établissements moins importants relève de l’exercice décentralisé par lesdites ACN et est encadrée et supervisée, en dernier ressort, par la BCE, qui a pour mission de veiller au bon fonctionnement et à l’efficacité du système de surveillance prudentielle ainsi qu’à l’application cohérente et uniforme des règles prudentielles dans tous
les États membres participants. La BCE exerce à l’égard des établissements moins importants une surveillance « indirecte », dans le cadre de laquelle ces ACN fournissent leurs coopération et assistance à la BCE. En outre, les mêmes ACN demeurent compétentes pour les matières non régies par le règlement MSU de base, à savoir la protection des consommateurs, les marchés d’instruments financiers, la LBC/FT et la lutte anticorruption (arrêt du 6 octobre 2021, Ukrselhosprom PCF et Versobank/BCE,
T‑351/18 et T‑584/18, EU:T:2021:669, point 131).
84 Dans ces conditions, il appartient aux ACN, en l’occurrence, en l’espèce, à la CMFC, d’établir les éléments constitutifs des violations de la législation en matière de LBC/FT, la BCE effectuant quant à elle l’appréciation juridique déterminant si ces éléments et les infractions constatées à la base de la proposition de décision justifient un retrait de l’agrément ainsi que l’appréciation de la proportionnalité (voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2021, Ukrselhosprom PCF et Versobank/BCE,
T‑351/18 et T‑584/18, EU:T:2021:669, point 197).
85 Au surplus, il convient de relever que la requérante n’a pas expliqué en quoi l’absence de critères pour déterminer la gravité des infractions en matière de LBC/FT aurait dû conduire à une autre conclusion que celle à laquelle est arrivée la CMFC concernant ses agissements en la matière. Elle n’a pas expliqué davantage en quoi les critères qui devaient être adoptés auraient été différents de ceux figurant dans le rapport du 31 mai 2022 établi dans le cadre du MSU par l’ABE, l’AEMF et l’AEAPP
(voir point 39 ci-dessus). La requérante s’est limitée à soutenir qu’ont été qualifiées à tort d’infractions des insuffisances mentionnées dans les rapports d’inspection sur place établis par la CMFC.
86 En quatrième lieu, s’agissant de l’argument, relatif à la décision no 191, selon lequel aucun des rapports d’inspection, y compris celui de 2018, ne contiendrait les prétendues constatations sur lesquelles la décision attaquée entend se fonder, il convient de rappeler, comme il a déjà été indiqué en substance au point 72 ci-dessus, que la BCE n’avait pas l’obligation de vérifier toutes les constatations faites par la CMFC et était parfaitement en droit de procéder à son appréciation du retrait de
l’agrément à partir, notamment, des infractions constatées dans la décision no 191.
87 Enfin, s’agissant des appréciations qui mettraient en cause la présomption d’innocence de la requérante et, plus précisément, le point 4.4.4 de la décision attaquée et le point 11 de l’annexe à celle-ci, il convient, d’une part, de constater que la décision attaquée est le résultat d’une procédure administrative distincte de la procédure pénale engagée à l’encontre de la requérante. D’autre part, si, au point 11 de l’annexe à la décision attaquée ainsi qu’au point 4.4.4 de cette dernière, il est
bien fait référence à l’ouverture de cette procédure pénale, c’est avant tout, comme il ressort expressément du point 11 de cette annexe, afin de souligner les conséquences de cette procédure sur les droits de propriété de certains actionnaires. En outre, ainsi qu’il ressort en substance du point 4.4.4 de la décision attaquée, l’ouverture de la procédure pénale est mentionnée pour illustrer les conséquences éventuelles de cette infraction, ce qui est étranger à la question du respect ou non par
la requérante de ses obligations découlant des dispositions pénales pertinentes.
88 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la BCE n’a pas commis d’erreurs, telles que celles rappelées au point 63 ci-dessus, en retenant le motif selon lequel la requérante a été déclarée responsable d’une infraction grave aux dispositions nationales en matière de LBC/FT, au sens de l’article 67, paragraphe 1, sous o), de la directive 2013/36. Les premier et deuxième moyens doivent donc être rejetés comme non fondés.
89 Dans ce contexte, il convient de rappeler, comme il a déjà été relevé en substance au point 57 ci-dessus, que, pour justifier le retrait de l’agrément, il suffit qu’ait été commise l’une des infractions visées à l’article 67, paragraphe 1, de la directive 2013/36. À cet égard, la BCE a précisé, dans le cadre de la procédure, que chacun des trois motifs mentionnés au point 2.6 de la décision attaquée justifiait à lui seul le retrait de l’agrément. En réponse à une question du Tribunal posée à
l’audience, la requérante a reconnu ne pas avoir contesté cet aspect dans le cadre de la phase écrite de la présente procédure.
90 Or, en l’espèce, dans la mesure où la requérante n’a pas été en mesure de contester valablement que le retrait de l’agrément puisse être fondé du fait d’une infraction à l’article 67, paragraphe 1, sous o), de la directive 2013/36, il n’y a pas lieu d’examiner si la BCE a commis des erreurs en retenant d’autres infractions, notamment au titre de l’article 67, paragraphe 1, sous d), de la même directive, qui fondent, selon la décision attaquée, les deuxième et troisième motifs. Toutefois, à titre
surabondant, le Tribunal examinera le troisième moyen, qui tend à contester ces deux derniers motifs.
Sur le troisième moyen
91 Dans le cadre de son troisième moyen, en premier lieu, la requérante considère que la BCE n’a pas motivé de manière adéquate la décision attaquée, en ce qu’elle porte sur sa capacité à élaborer et à mettre en place une stratégie prudente ainsi que des politiques et des procédures afin d’identifier, de surveiller et de gérer ses risques. La conclusion figurant dans la décision attaquée à cet égard ne se fonderait sur aucune disposition juridique et la BCE n’aurait pas porté à sa connaissance ses
méthodes de calcul ni les résultats des calculs concrets venant à l’appui de sa conclusion. La motivation se fonderait sur des affirmations générales, qui se trouveraient au point 6 de la décision attaquée.
92 Alors que la requérante aurait élaboré une stratégie distincte pour le maintien de l’adéquation des fonds propres pour la période comprise entre 2022 et 2024 et qu’elle se serait conformée aux exigences prévues par le Finanšu un kapitāla tirgus komisijas normatīvie noteikumi Nr. 227 (règlement no 227 de la CMFC) (ci-après le « règlement no 227), du 1er décembre 2020, intitulé« Iekšējās kontroles sistēmas izveides normatīvie noteikumi » (Dispositions relatives à la mise en place d’un système de
contrôle interne), il ne ressortirait pas de la décision attaquée qu’une telle conformité ait fait l’objet d’un examen. La requérante ajoute que les informations demandées par la CMFC étaient beaucoup plus détaillées que celles prévues dans son règlement no 227 et que les lacunes dont cette autorité a fait état n’étaient fondées sur aucune disposition réglementaire. La BCE n’aurait pas examiné en quoi consistaient les infractions aux dispositions légales commises par la requérante et auxquelles
elle se réfère au point 6 de la décision attaquée.
93 La requérante indique que la CMFC n’a pris aucune décision sur la conformité, à l’article 342, paragraphes 1 et 2, de la loi sur les établissements de crédit, de sa stratégie, de ses politiques et de ses procédures afin d’identifier, de surveiller et de gérer ses risques. Cela l’aurait empêchée de contester les décisions prises dans le cadre de la procédure administrative ayant abouti à la décision attaquée.
94 La requérante conteste, par ailleurs, le point 6 de la décision attaquée en ce qu’il indique que l’article 342, paragraphes 1 et 2, de la loi sur les établissements de crédit transpose l’article 74, paragraphe 2, de la directive 2013/36, ce qui serait inexact. Ni l’article 74 de la directive 2013/36 ni aucune autre disposition de cette directive n’imposeraient l’exigence d’élaborer et de mettre en place une stratégie prudente ainsi que des politiques et des procédures afin d’identifier, de
surveiller et de gérer ses risques. Ce serait l’article 74, paragraphe 1, de la directive 2013/36 qui aurait été transposé par l’article 341 de la loi sur les établissements de crédit, l’article 74, paragraphe 2, de cette directive ayant été transposé par le point 5 du Finanšu un kapitāla tirgus komisijas normatīvie noteikumi Nr. 233 (règlement no 233 de la CMFC), du 1er novembre 2012, intitulé « Iekšējās kontroles sistēmas izveides normatīvie noteikumi » (dispositions relatives à la mise en
place d’un système de contrôle interne). Indépendamment de cette prétendue erreur, le point 6 de la décision attaquée ne contiendrait aucune analyse de la conformité des politiques et des procédures de la requérante avec l’article 342, paragraphes 1 et 2, de la loi sur les établissements de crédit, ce qui l’empêcherait de comprendre la portée de la mesure prise à son égard.
95 La BCE n’aurait pas fondé le troisième motif de la décision attaquée sur des dispositions juridiques précises et il n’existerait pas de lignes directrices uniformes sur lesquelles la BCE aurait pu se fonder pour déterminer une éventuelle non-conformité de la stratégie de la requérante aux exigences prudentielles. Au demeurant, les critères énoncés par la BCE au cours de la présente procédure seraient vagues et imprécis et ne seraient définis ni dans des lignes directrices ni comme critères
d’évaluation de la prudence d’une stratégie. Par ailleurs, la référence, au point 6.1.3 de la décision attaquée, à la lettre de la CMFC du 10 février 2022, dans laquelle les demandes ont été formulées, n’aurait aucun rapport avec l’exigence énoncée au point 1 du dispositif du Finanšu un kapitāla tirgus komisijas lēmums Nr. 105 (décision no 105 de la CMFC) (ci-après la « décision no 105 »), du 20 août 2021, imposant d’élaborer un programme d’action pour résoudre les problèmes constatés.
96 La BCE se serait concentrée sur la stratégie des années 2022 à 2024, mais n’aurait pas examiné les stratégies des années précédentes. Au point 6.2.2 de la décision attaquée, la BCE se référerait au fait que la stratégie à mettre en œuvre en 2018 ne permettait pas à la requérante d’engendrer des capitaux afin de se développer de manière durable et de satisfaire aux exigences prudentielles. La référence à la non-conformité de la stratégie au niveau du risque élevé des opérations de la requérante
serait faite en termes généraux. La BCE aurait commis une erreur d’appréciation en ce que la requérante demeurait solvable au moment de l’introduction de son recours et ne serait débitrice d’aucune dette fiscale.
97 La requérante ajoute que la BCE a aussi commis des erreurs d’appréciation en ce qui concerne la mise en œuvre de sa stratégie. La considération figurant au point 6.2.3 de la décision attaquée, relative à l’incapacité à corriger la stratégie erronée et à l’attraction de nouveaux actionnaires, serait « inopérante », dès lors que la requérante n’aurait pas été en mesure de mettre en œuvre une quelconque stratégie, compte tenu de l’application des mesures de surveillance et d’intervention précoce que
la CMFC lui aurait imposées. Par ailleurs, l’appréciation figurant au point 6.1.5 de la décision attaquée ne serait pas fondée sur des dispositions juridiques.
98 La requérante ajoute que la décision attaquée n’indique pas quelles procédures et politiques il lui est reproché de ne pas avoir élaborées ni mises en œuvre. Ladite décision n’indiquerait pas non plus où ces faits ont été constatés, ni quelles infractions elle aurait commises. La BCE ne pourrait se prévaloir de la décision no 105 en tant que motivation de la décision attaquée.
99 En second lieu, la requérante conteste le deuxième motif de retrait de l’agrément, à savoir le non-respect persistant de l’obligation, prévue à l’article 341, paragraphe 1, de la loi sur les établissements de crédit, de créer un système efficace de contrôle interne dans le cadre de l’activité de l’établissement de crédit. En effet, dans la décision attaquée, le retrait de l’agrément n’aurait pas été motivé par l’absence de système de contrôle interne ou par l’absence d’éléments visés par
l’article 341, paragraphe 1, de la loi sur les établissements de crédit, ni par des lacunes systémiques et généralisées, mais par le fait que, selon la BCE, des lacunes auraient été constatées dans le fonctionnement du système de contrôle interne mis en place au cours de la période comprise entre 2019 et 2021. La BCE n’aurait pas tenu compte des informations transmises par la requérante ni procédé à son propre examen au regard des dispositions juridiques applicables.
100 La BCE n’aurait pas identifié précisément la manière dont chacune des dispositions applicables aurait été violée et n’aurait pas évalué le risque lié à la politique de l’établissement. Elle n’aurait indiqué, s’agissant du contenu concret de l’activité de la requérante, aucune non-conformité précise avec les dispositions applicables et, au point 5.2 de la décision attaquée, elle se serait limitée à relever de graves lacunes dans le contrôle interne de la requérante ainsi qu’une prise de risque
excessive. Il ne serait pas possible de déterminer les dispositions du règlement no 227 qui n’auraient pas été respectées.
101 La BCE invoquerait seulement l’article 341, paragraphe 1, de la loi sur les établissements de crédit et n’aurait pas indiqué avoir eu recours aux dispositions du règlement no 227 dans le cadre de son évaluation. Au demeurant, alors qu’elle a fait référence au contrôle effectué par la CMFC en 2019, la BCE se référerait au règlement no 227, qui n’est entré en vigueur qu’à compter du 10 décembre 2020. Par ailleurs, une simple description des faits ne suffirait pas à établir l’existence d’une
infraction. La requérante n’aurait pas la possibilité de vérifier le contenu de la conclusion de la BCE figurant au point 5.2.3 de la décision attaquée, selon laquelle elle n’a pas été en mesure de mettre en place et d’utiliser un système de contrôle interne complet et efficace. Le libellé dudit point serait ambigu et il n’y aurait aucun renvoi clair et direct à l’article 341, paragraphe 1, de la loi sur les établissements de crédit.
102 La BCE conteste l’argumentation de la requérante.
103 Il convient de relever que, ainsi que la requérante l’a confirmé à l’audience, nonobstant son intitulé qui vise la violation de l’obligation de motivation, le troisième moyen peut être articulé, en substance, en deux branches, la première étant tirée d’une insuffisance de motivation quant aux deuxième et troisième motifs de retrait de l’agrément et, la seconde, d’erreurs que la BCE aurait commises dans son appréciation de tels motifs.
104 Pour ce qui concerne la première branche du présent moyen, tirée d’une insuffisance de motivation, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la motivation exigée notamment par l’article 296 TFUE, par l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement MSU de base et par l’article 33, paragraphes 1 et 2, du règlement-cadre MSU doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteure de
l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Landeskreditbank Baden-Württemberg/BCE, C‑450/17 P, EU:C:2019:372, point 85).
105 Le respect de l’exigence de motivation doit être apprécié en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées par l’acte au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la
motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Landeskreditbank Baden-Württemberg/BCE, C‑450/17 P, EU:C:2019:372, point 87).
106 S’agissant des deuxième et troisième motifs, que la requérante considère comme insuffisamment motivés, il y a lieu de les examiner dans l’ordre dans lequel ils figurent dans la décision attaquée, étant précisé qu’ils sont intrinsèquement liés.
107 En effet, en particulier, en abordant, au point 5 de la décision attaquée, le deuxième motif, qui porte sur l’obligation de mettre en place des systèmes efficaces de contrôle interne (article 341, paragraphe 1, de la loi sur les établissements de crédit), la BCE a placé son analyse dans un contexte plus large que celui du troisième motif, faisant l’objet du point 6 de la même décision, qui porte sur la gestion par la requérante de ses risques par la mise en place d’une stratégie, de politiques
et de procédures prudentes. Ainsi, au point 5.1.1 de la décision attaquée, il est déjà fait référence à la gestion de l’obligation, prévue à l’article 74, paragraphe 1, de la directive 2013/36, pour les entités sujettes à surveillance, d’avoir un dispositif solide de gouvernance, comprenant une structure organisationnelle claire avec un partage des responsabilités bien défini, transparent et cohérent, des processus efficaces de détection, de gestion, de suivi et de déclarations des risques
auxquels les établissements sont ou pourraient être exposés, des mécanismes adéquats de contrôle interne, y compris des procédures administratives et comptables saines. Par ailleurs, au point 5.1.2 de la même décision, il est fait mention de la situation de la requérante en ce qui concerne sa gestion des risques.
108 En premier lieu, il convient de constater que la décision attaquée est suffisamment motivée s’agissant du deuxième motif, traité au point 5 de la décision attaquée.
109 En effet, au point 5.1 de la décision attaquée, la BCE indique les éléments qui, selon elle, permettent de constater une violation de l’obligation de mettre en place des systèmes efficaces de contrôle interne. Ces éléments sont détaillés aux points 5.1.1 à 5.1.12 de ladite décision.
110 Par ailleurs, au point 5.2 de la décision attaquée, la BCE indique les différentes dispositions qui ont été, selon elle, violées. Elle énonce à cet égard l’article 341, paragraphe 1, et l’article 27, paragraphe 1, point 8, de la loi sur les établissements de crédit, transposant, selon elle, l’article 18, sous f), de la directive 2013/36, conjointement avec l’article 67, paragraphe 1, sous d), et l’article 74 de cette même directive. Ces dispositions, les obligations qu’elles prévoient ainsi que
les violations qui sont reprochées à la requérante sont détaillées aux points 5.2.1 à 5.2.5 de la décision attaquée.
111 De plus, au point 5.3 de la décision attaquée, la BCE explique la conclusion à laquelle elle est arrivée pour justifier le retrait de l’agrément, motivé par la violation de l’obligation de mettre en place les systèmes de contrôle interne en question. Elle souligne la violation de cette obligation notamment sur une longue période de temps (points 5.3.2 et 5.3.5 de la décision attaquée) et de manière répétée (point 5.3.2 à 5.3.6 de la décision attaquée).
112 À supposer même que la BCE n’ait pas indiqué l’ensemble des informations relatives au deuxième motif, il apparaît toutefois que, compte tenu des exigences rappelées au point 105 ci-dessus, les éléments présentés dans la décision attaquée sont suffisants pour comprendre le motif en question et les raisons ayant conduit sur ce fondement au retrait de l’agrément.
113 S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la BCE n’aurait pas indiqué précisément la non-conformité de ses prétendues lacunes aux dispositions applicables, il convient de relever que, au point 5.2 de la décision attaquée, la BCE a bien mentionné, pour ce qui concerne la substance de l’obligation visée par le deuxième motif, toutes les dispositions qu’elle considérait comme applicables, à savoir celles de l’article 341, paragraphe 1, de la loi sur les établissements de crédit, qui
transpose, selon elle, l’article 74 de la directive 2013/36, ainsi que celles des points 6 et 53 du règlement no 227, permettant ainsi, contrairement à ce que la requérante soutient, de déterminer les dispositions qui n’auraient pas été respectées.
114 Par ailleurs, si la requérante critique le point 5.2.3 de la décision attaquée, au motif qu’elle ne serait pas en mesure d’en vérifier le contenu, il convient de constater qu’une telle vérification peut toutefois être faite à partir des constatations réalisées lors des inspections sur site en 2019 et en 2021 et auxquelles ledit point fait référence. La requérante ne prétend pas qu’elle n’aurait pas été en mesure de contester le contenu dudit point 5.2.3 en se reportant aux conclusions des
inspections qui y sont visées.
115 En second lieu, s’agissant de la motivation du troisième motif, qui est traité au point 6 de la décision attaquée, la lecture de celle-ci suffit également à constater qu’il n’y a pas d’insuffisance de motivation.
116 En effet, au point 6.1 de la décision attaquée, la BCE indique les éléments qui, selon elle, permettent de constater une violation de l’obligation de définir et de mettre en œuvre des politiques et des procédures prudentes permettant à la requérante de gérer ses risques, y compris la détection en temps utile, l’évaluation, l’analyse et le suivi de ses risques. Ces éléments sont détaillés aux points 6.1.1 à 6.1.7 de ladite décision.
117 Au point 6.2 de la décision attaquée, la BCE indique les différentes dispositions qui ont été, selon elle, violées. Elle mentionne à cet égard l’article 27, paragraphe 1, point 8, et l’article 342, paragraphes 1et 2, de la loi sur les établissements de crédit, transposant, selon elle, l’article 18, sous f), de la directive 2013/36, conjointement avec l’article 67, paragraphe 1, sous d), et l’article 74, paragraphe 2, de cette même directive. Les dispositions concernées et les obligations
qu’elles prévoient sont détaillées aux points 6.2.1 à 6.2.4 de la décision attaquée.
118 Au point 6.3 de la décision attaquée, la BCE indique la conclusion à laquelle elle a abouti pour justifier le retrait de l’agrément, compte tenu de la violation constatée à compter au moins de la décision no 105 imposant des mesures d’intervention précoce à la requérante.
119 Il convient de constater que la requérante a participé à la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, de sorte qu’elle connaissait le contexte dans lequel cette décision a été prise.
120 Dans ce contexte, il s’avère que les éléments exposés, qui figurent dans la décision attaquée en ce qui concerne les deuxième et troisième motifs, ont permis à la requérante, et permettent au Tribunal, de comprendre les raisons pour lesquelles l’agrément a été retiré.
121 Cette conclusion est confirmée par le fait que la requérante conteste, dans le cadre du présent moyen, le bien-fondé de la décision attaquée, en soutenant que la BCE a commis des erreurs d’appréciation ou de droit ou se serait fondée sur des éléments factuels inexacts, s’agissant notamment des points 5.2, 6.1.5, 6.2.2 à 6.2.4 et 6.3.1 de la décision attaquée.
122 Dans ces conditions, la première branche du troisième moyen, tirée de la violation de l’obligation de motivation, doit être rejetée comme non fondée.
123 Pour ce qui concerne la seconde branche du troisième moyen, relative au bien-fondé des deuxième et troisième motifs, il convient, conformément à la jurisprudence citée au point 63 ci-dessus, de vérifier si la décision attaquée est entachée des erreurs alléguées.
124 S’agissant, en premier lieu, du deuxième motif, la BCE a décidé du retrait de l’agrément en raison du non-respect persistant, par la requérante, de l’obligation prévue à l’article 341, paragraphe 1, de la loi sur les établissements de crédit de créer un système efficace de contrôle interne dans le cadre de leurs activités, ladite obligation étant spécifiée aux points 6 et 53 du règlement no 227.
125 Il est constant que, selon ledit article 341, paragraphe 1, de la loi sur les établissements de crédit :
« Un établissement de crédit veille à la mise en place et au fonctionnement d’un système de contrôle interne complet et efficace, adapté à la nature, au volume et à la complexité de ses activités. Le système de contrôle interne comprend les éléments fondamentaux suivants :
1) une structure organisationnelle adaptée à la taille et aux risques opérationnels de l’établissement de crédit, qui comporte une répartition clairement établie, non équivoque et systématique des obligations, des autorisations et des responsabilités en ce qui concerne la réalisation et le contrôle des opérations entre les unités structurelles et les employés responsables de l’établissement de crédit ;
2) un système d’identification, de gestion, de surveillance et de notification des risques caractéristiques et potentiels présentés par les activités de l’établissement de crédit ;
3) des procédures de contrôle interne ;
4) un régime de rémunération, y compris une politique de rémunération neutre au regard du genre. »
126 L’article 74, paragraphes 1 et 2, de la directive 2013/36 prévoit ce qui suit :
« 1. Les établissements disposent d’un dispositif solide de gouvernance d’entreprise, comprenant notamment une structure organisationnelle claire avec un partage des responsabilités bien défini, transparent et cohérent, des processus efficaces de détection, de gestion, de suivi et de déclaration des risques auxquels ils sont ou pourraient être exposés, des mécanismes adéquats de contrôle interne, y compris des procédures administratives et comptables saines, et des politiques et pratiques de
rémunération permettant et favorisant une gestion saine et efficace des risques.
2. Les dispositifs, les processus et les mécanismes visés au paragraphe 1 du présent article sont exhaustifs et adaptés à la nature, à l’échelle et à la complexité des risques inhérents au modèle d’entreprise et aux activités de l’établissement. Il est tenu compte des critères techniques définis aux articles 76 à 95. »
127 Il importe d’ajouter que la CMFC a adopté le règlement no 227 conformément à l’article 341, paragraphe 1, de la loi sur les établissements de crédit.
128 Le point 6 du règlement no 227 prévoit que le système de contrôle interne d’un établissement est organisé de manière à ce que la direction de l’établissement ait l’assurance raisonnable, premièrement, que les actifs de l’établissement soient protégés contre les pertes ainsi que contre toute gestion et utilisation non autorisée et contre les risques liés aux activités de l’établissement, deuxièmement, que ces actifs soient, au regard du capital de l’établissement, de ses éléments constitutifs et
de leur proportion, suffisants pour couvrir les risques inhérents aux activités de l’établissement et, troisièmement, que l’établissement agisse de manière raisonnable, prudente et efficace, en respectant pleinement les exigences découlant de la loi et d’autres actes juridiques.
129 En outre, le point 53 du règlement no 227 énonce les exigences relatives à la politique de l’établissement en matière de risques, parmi lesquelles figurent :
– l’élaboration d’un plan d’action définissant les orientations du conseil de surveillance et du conseil de direction (tone from the top) en ce qui concerne les actes attendus de tous les employés et cadres de l’établissement pour assurer la gestion des risques, eu égard aux valeurs fondamentales (core values) de l’établissement ;
– l’information des employés et des cadres de l’établissement dont la fonction inclut la prise de risques pour le compte de l’établissement sur leurs rôles et leurs responsabilités dans l’exercice de leurs fonctions respectives ;
– la mise en place d’une communication efficace au sein de l’établissement, qui facilite l’évaluation critique des points de vue exprimés dans le domaine de la gestion des risques ;
– les activités liées à la prise de risques, conformément au profil de risque de l’établissement, à ses intérêts à long terme et aux objectifs qu’il s’est fixés.
130 Il ressort des dispositions susmentionnées, notamment, que les dispositifs et mesures concernés doivent être adaptés aux risques encourus.
131 Or, en l’espèce, la BCE a souligné, dans la décision attaquée, que, depuis 2018, la requérante avait un modèle économique à haut risque, ce que celle-ci n’a pas contesté.
132 Dans ce contexte, la requérante a fait l’objet de deux inspections sur site, du 7 mars au 30 avril 2019 et du 10 mai au 16 juillet 2021. Au terme de la première inspection, ont été identifiées des insuffisances dans le système de contrôle interne pour la gestion du risque, qui n’était pas en ligne avec le niveau des risques encourus par la requérante. Au terme de la seconde inspection, il a été observé notamment que les lacunes constatées lors de la première inspection n’avaient pas été
corrigées et que la requérante n’avait pas établi de critères ni de limites pour la gestion de ses risques. Il ressort des constatations faites que la requérante continuait à avoir des pratiques inadéquates persistantes.
133 Par ailleurs, au point 5.1 de la décision attaquée, il est fait état d’une série d’illustrations de situations et d’autres exemples découlant des inspections, qui soulignent l’inadéquation de la structure de contrôle interne au regard du modèle économique à haut risque de la requérante. Compte tenu des lacunes relevées dans les dispositifs de contrôle interne de la requérante, ainsi que de l’incapacité de cette dernière à adopter et à mettre en œuvre des mesures correctrices, la BCE a considéré,
sans commettre d’erreur, que les dispositions pertinentes étaient violées.
134 Il convient de préciser que, comme il a été déjà indiqué dans le cadre de la première branche du troisième moyen, la BCE a bien mentionné les dispositions du droit de l’Union et du droit national qu’elle a considérées comme violées dans le cadre du deuxième motif. Elle s’est notamment référée à l’article 341, paragraphe 1, de la loi sur les établissements de crédit, mais aussi aux points 6 et 53 du règlement no 227.
135 Concernant les autres arguments invoqués par la requérante, s’agissant tout d’abord de l’argument selon lequel il n’aurait été fait référence qu’à des lacunes dans le cadre de l’activité de la requérante quant au fonctionnement du système de contrôle interne qu’elle avait mis en place et selon lequel ces lacunes ne seraient ni systémiques ni généralisées, il ne ressort pas des dispositions rappelées aux points 125 à 129 ci-dessus que les lacunes de ce type ne peuvent pas être considérées comme
suffisantes. Comme il a été déjà rappelé au point 130 ci-dessus, les dispositifs et mesures doivent être adaptés aux risques encourus et, si les risques sont élevés, des lacunes et la persistance de celles-ci doivent pouvoir être de nature à caractériser des violations aux obligations découlant des dispositions en cause.
136 Ensuite, s’agissant de l’application de l’article 341, paragraphe 1, de la loi sur les établissements de crédit et des points 6 et 53 du règlement no 227 aux lacunes et aux exemples détaillés au point 5 de la décision attaquée, il convient de relever que rien ne permet de conclure que ces lacunes et exemples ne pouvaient pas être couverts par ces dispositions.
137 La requérante a soutenu que la BCE ne pouvait pas faire référence aux dispositions du règlement no 227, dans la mesure où le contrôle dont elle avait fait l’objet avait été effectué par la CMFC en 2019, alors que le règlement en question n’est entré en vigueur qu’à compter du 10 décembre 2020. Or, il y a lieu de relever que la décision attaquée se fonde aussi sur une inspection sur site réalisée en 2021 et qu’elle fait état de la persistance des lacunes après 2020, ce qui couvre des faits
postérieurs à l’entrée en vigueur du règlement no 227, permettant ainsi d’y faire référence.
138 Enfin, la requérante conteste le point 5.1.2 de la décision attaquée, au motif que la BCE n’aurait pas tenu compte des informations qu’elle lui avait transmises. Or, cela ne saurait suffire à remettre en cause les constatations retenues par la BCE audit point, qui, tout en soulignant que des lacunes de la part de la requérante ont pu faire l’objet de corrections, relève que cela n’a pas empêché la survenance d’autres lacunes et leur persistance.
139 S’agissant, en second lieu, du troisième motif, la BCE a décidé de retirer l’agrément de la requérante en raison du non-respect par cette dernière de l’obligation de définir et de mettre en œuvre une stratégie, des politiques et des procédures prudentes lui permettant de gérer ses risques, y compris la détection en temps utile, l’évaluation, l’analyse et le suivi de ses risques visés à l’article 342, paragraphes 1 et 2, de la loi sur les établissements de crédit qui transposerait l’article 74,
paragraphe 2, de la directive 2013/36.
140 Selon l’article 342, paragraphe 1, de la loi sur les établissements de crédit, l’établissement de crédit élabore et met en œuvre une stratégie, des politiques et des procédures prudentes permettant de gérer – y compris d’identifier, d’évaluer, d’analyser et de surveiller en temps utile – le risque de crédit ainsi que le risque de crédit du cocontractant, le risque de concentration, le risque de titrisation, le risque de marché, le risque opérationnel – y compris le risque inhérent au modèle
économique – les risques découlant du recours à l’externalisation et les événements ayant une faible probabilité d’occurrence – mais des incidences significatives – le risque de taux d’intérêt concernant le portefeuille hors négociation, le risque d’écart de crédit concernant le portefeuille hors négociation, le risque résiduel, le risque de liquidité, le risque d’effet de levier excessif et d’autres risques importants pour l’établissement de crédit.
141 L’article 342, paragraphe 2, de la loi sur les établissements de crédit prévoit que la stratégie, les politiques, les procédures et les systèmes de l’établissement de crédit sont adaptés à la complexité et au volume de ses activités, ainsi qu’à un niveau de risque acceptable défini par le conseil de l’établissement de crédit, et sont élaborés en considération de l’importance systémique de l’établissement de crédit dans chaque État membre où il exerce des activités.
142 La requérante soutient que l’article 342, paragraphes 1 et 2, de la loi sur les établissements de crédit introduit une obligation de mettre en place une stratégie prudente, alors que les dispositions de la directive 2013/36 n’imposent pas une telle exigence.
143 À cet égard, il convient de relever que l’article 74, paragraphe 2, de la directive 2013/36 a pour objectif de garantir que les dispositifs, les processus et les mécanismes mentionnés au paragraphe 1 de cet article sont adaptés à la nature, à l’échelle et à la complexité des risques que court l’établissement. L’article 74, paragraphe 1, de cette directive insiste sur le caractère solide, efficace et adéquat, respectivement, du dispositif de gouvernance d’entreprise, des processus de détection,
de gestion, de suivi et de déclaration des risques et des mécanismes de contrôle interne ainsi que sur les politiques et pratiques de rémunération afin de permettre et de favoriser une gestion saine et efficace des risques.
144 Or, dans le contexte ainsi posé par l’article 74 de la directive 2013/36, rien ne permet de conclure que la BCE a commis une quelconque erreur manifeste d’appréciation en contrôlant, compte tenu des risques encourus par la requérante, si celle-ci avait mis en place une stratégie prudente à la lumière de l’article 342, paragraphes 1 et 2, de la loi sur les établissements de crédit. La mise en place d’une telle stratégie prudente peut être précisément l’une des opérations permettant de réaliser et
de garantir les objectifs définis par l’article 74 de la directive 2013/36.
145 L’argument de la requérante reposant sur la question de savoir quelle disposition du droit national transpose l’article 74 de la directive 2013/36 est donc inopérant s’agissant de l’examen du bien-fondé du troisième motif.
146 S’agissant, par ailleurs, de la question de savoir si la BCE a commis une erreur manifeste d’appréciation en n’analysant pas la conformité des politiques et des procédures de la requérante avec l’article 342, paragraphes 1 et 2, de la loi sur les établissements de crédit, il convient d’indiquer, comme la BCE l’a relevé à juste titre, que le troisième motif s’inscrit manifestement dans la lignée de la constatation effectuée dans le cadre du deuxième motif, qui consistait en une analyse des
politiques et des procédures internes de la requérante, ce qui ne permet pas de retenir que ces politiques et procédures n’ont pas été examinées.
147 En tout état de cause, l’article 342, paragraphes 1 et 2, de la loi sur les établissements de crédit portant sur une obligation qui couvre plusieurs aspects, rien n’interdisait à la BCE de se concentrer sur certains de ces aspects, en l’occurrence sur la stratégie de la requérante, pour rechercher si celle-ci respectait son obligation découlant de ladite disposition. L’article 342, paragraphes 1 et 2, de la loi sur les établissements de crédit ne prévoit pas qu’une violation ne peut être établie
qu’à la condition qu’il soit constaté que, tout à la fois la stratégie, les politiques et les procédures ne respectent pas les critères prévus.
148 S’agissant, enfin, des différents éléments retenus par la BCE pour constater la violation de l’obligation constitutive du troisième motif, il ressort des points 6.1.1 à 6.1.7 de la décision attaquée que la BCE s’est appuyée sur plusieurs échanges entre la requérante et la CMFC. Il ressort de ces échanges que les différentes tentatives de la requérante pour modifier sa stratégie ont été considérées comme insuffisantes pour remplir les critères fixés par les dispositions applicables.
149 La requérante a contesté plusieurs des éléments retenus par la BCE. À cet égard, il convient de relever que, à supposer même que la BCE ait commis une quelconque erreur manifeste d’appréciation s’agissant de l’un ou l’autre de ces éléments, voire de l’ensemble de ceux-ci, rien ne permet de considérer que la conclusion à laquelle elle est parvenue aurait été différente en l’absence de ces prétendues erreurs. En effet, pour que tel soit le cas, il faudrait que de telles erreurs, prises
individuellement ou ensemble, aient été déterminantes dans la démonstration du troisième motif. Or, au vu du nombre des autres constats effectués dans le cadre des échanges entre la CMFC et la requérante en ce qui concerne la stratégie arrêtée par cette dernière pour garantir sa situation financière, tels qu’ils apparaissent au point 6.1 de la décision attaquée, et notamment du fait qu’il est constant que la requérante enregistrait des pertes depuis 2017, ne parvenait pas à rétablir sa
rentabilité et prenait des risques excessifs, la BCE était en droit de retenir le troisième motif pour justifier le retrait de l’agrément.
150 De plus, s’agissant, en particulier, du point 6.1.5 de la décision attaquée, la requérante a indiqué qu’elle avait présenté une nouvelle version de sa stratégie pour la période comprise entre 2022 et 2024 et que la CMFC lui avait demandé des informations beaucoup plus détaillées que celles prévues par les dispositions du règlement no 227. Or, comme l’a relevé la BCE, la CMFC était en droit, selon les dispositions de la loi sur les établissements de crédit, de demander à la requérante la mise en
place des mesures de renforcement des fonds propres que celle-ci avait annoncées.
151 S’agissant du point 6.2.2 de la décision attaquée, la requérante s’est prévalue de sa situation financière pour contester le fait que, selon la BCE, la stratégie à mettre en œuvre ne lui permettait pas d’engendrer des capitaux afin de se développer de manière durable et de satisfaire de façon continue aux exigences prudentielles. Elle a mentionné qu’aucune procédure d’insolvabilité n’avait été ouverte à son égard. Or, comme l’a souligné la BCE, la CMFC avait constaté que la requérante
enregistrait des pertes depuis 2017 et n’était pas parvenue à rétablir sa rentabilité. Elle avait aussi relevé plusieurs aspects témoignant du caractère précaire de la situation financière de la requérante, de même que, notamment, l’augmentation continue des pertes année après année, engendrées aussi par certains investissements, ainsi que le caractère irréaliste du projet d’émission d’obligations de fonds propres additionnels. Dans ce contexte, rien ne permet de conclure que les considérations
relevées au point 6.2.2 de la décision attaquée quant à la situation financière de la requérante étaient inexactes.
152 S’agissant du point 6.2.3 de la décision attaquée, la requérante estime que la considération relative à l’impossibilité de corriger sa stratégie erronée et d’attirer de nouveaux actionnaires était « inopérante », dès lors que, pendant la période postérieure au mois d’août 2021, elle n’avait pas eu la possibilité de mettre en œuvre une quelconque stratégie, compte tenu de l’application des mesures de surveillance et d’intervention précoce que la CMFC lui avait imposées. Or, un tel argument ne
saurait démontrer le caractère erroné de la conclusion de la BCE selon laquelle l’absence de stratégie prudente et d’un modèle économique viable rendait la requérante dépendante d’investissements additionnels, eu égard aux pertes cumulées depuis longtemps.
153 S’agissant du point 6.2.4 de la décision attaquée, la requérante soutient que la BCE a conclu à tort qu’elle avait fonctionné conformément à sa stratégie de 2018 et que, à cet égard, elle n’avait pas tenu compte de plusieurs éléments. Toutefois, ces éléments n’étant que la reprise des arguments précédemment examinés, qui ont été avancés pour contester l’appréciation de la BCE et qui n’ont pas été considérés comme fondés, ils ne sauraient démontrer une quelconque erreur manifeste dans
l’appréciation de la BCE.
154 S’agissant du point 6.3.1 de la décision attaquée, la requérante considère que la BCE ne peut se référer à la gravité et à la durée de l’infraction, alors que le point 6 de ladite décision ne contient aucun examen de cette gravité et de cette durée. Or, il convient de relever que le point 6.3.1 de la décision attaquée se présente comme la conclusion de tous les éléments relevés aux points 6.1.1 à 6.2.4 à titre de faits constitutifs d’infractions après appréciation de ces faits au regard des
dispositions applicables. Dans le cadre d’une telle appréciation, la BCE pouvait manifestement conclure à bon droit qu’elle était en présence d’une infraction grave ayant une certaine durée.
155 Partant, la requérante reste en défaut de démontrer que la BCE a commis des erreurs telles que celles rappelées au point 63 ci-dessus en retenant les deuxième et troisième motifs afin de fonder le retrait de l’agrément.
156 Il convient donc de rejeter le troisième moyen comme non fondé.
Sur le quatrième moyen
157 La requérante soutient, en substance, que la BCE a violé le principe de bonne administration, qui correspondrait au droit de toute personne d’être entendue, consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, et au droit d’accès au dossier la concernant, consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la Charte, et qui couvrirait le droit à une protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47 de la Charte.
158 En premier lieu, la requérante rappelle la jurisprudence selon laquelle seules les juridictions de l’Union peuvent assurer une protection juridictionnelle effective contre les actes impliquant les autorités nationales et la BCE, destinés à mettre en œuvre le MSU. Cette compétence exclusive du juge de l’Union engloberait le contrôle de la légalité d’actes préparatoires à certaines décisions ou de propositions de décisions des autorités nationales concernées, susceptibles d’avoir une incidence sur
le contenu de la décision finale de la BCE.
159 À cet égard, la requérante fait valoir que la proposition de décision se fonde, en substance, sur les arguments et les circonstances exposés dans les décisions nos 215 et 216.
160 La requérante ajoute que les décisions nos 215 et 216 sont entachées d’importantes lacunes qui ont non seulement restreint de manière injustifiée ses droits et porté atteinte à ses intérêts, mais également conduit à l’adoption par la BCE d’une décision erronée et injustifiée. La BCE aurait dû examiner l’ensemble des décisions adoptées par la CMFC, en garantissant son droit à un procès équitable et à une procédure raisonnable et proportionnée. En effet, du fait de son pouvoir général de
surveillance, il incomberait à la BCE de veiller à ce que les autorités nationales se conforment aux dispositions relatives au MSU contenues dans le règlement-cadre MSU ainsi que dans la législation nationale correspondante. La BCE devrait procéder à un contrôle complet de la légalité des propositions de retrait de l’agrément soumises par les autorités nationales ainsi que des mesures préparatoires, au regard notamment du principe de proportionnalité et des garanties procédurales fondamentales
du droit de l’Union.
161 En deuxième lieu, la requérante indique que l’évaluation de conformité et la décision no 215 doivent être considérées comme des actes préparatoires de la décision attaquée, relevant des pouvoirs généraux de surveillance de la BCE, et que les actes soumis à la CMFC doivent faire l’objet d’un réexamen. La BCE n’aurait pas procédé à ce réexamen ou ne l’aurait pas suffisamment effectué. La BCE n’aurait pas examiné les actes préparatoires, parmi lesquels figure la décision no 215. Cette dernière
décision constituerait un acte administratif adopté par une autorité à l’encontre d’une ou de plusieurs personnes désignées individuellement, établissant, modifiant, constatant ou mettant fin à une relation juridique ou constatant une relation de fait. Elle contiendrait deux décisions, une sur la non-application d’une mesure de résolution et l’autre sur la soumission à la BCE d’une proposition de retrait d’agrément. La requérante ajoute que la BCE dispose d’un pouvoir d’appréciation pour décider
du retrait de l’agrément et que le projet de décision élaboré par la CMFC n’est pas contraignant. L’implication des autorités nationales dans la procédure conduisant à l’adoption d’actes de l’Union ne saurait remettre en cause la qualification d’actes de l’Union, lorsque les actes pris par les autorités nationales constituent une étape d’une procédure dans laquelle une institution de l’Union exerce, seule, le pouvoir décisionnel, sans être liée par les actes préparatoires ou les propositions
émanant des autorités nationales.
162 Par ailleurs, la requérante relève que l’article 62 de la loi sur la procédure administrative impose à l’administration de se prononcer sur l’adoption d’un acte administratif susceptible de faire grief à son destinataire en examinant la position et les arguments de ce dernier dans l’affaire concernée. Elle ajoute que, même dans le cas d’un acte administratif obligatoire, pour que la disposition juridique puisse s’appliquer, une partie à la procédure a la possibilité de fournir des informations
sur les circonstances importantes. La CMFC aurait indiqué dans la décision no 215 les raisons pour lesquelles elle n’avait pas entendu la requérante. Or, selon la requérante, le fait que la CMFC soit convenue du plan de résolution avec elle constituait un acte qui ne faisait pas partie de la procédure administrative ayant abouti à l’adoption de la décision no 215. Ainsi, la justification avancée par la CMFC ne saurait être considérée comme un motif suffisant pour ne pas entendre la requérante.
163 En troisième lieu, la requérante allègue que, au cours de la procédure d’adoption de la décision attaquée, la BCE a violé son droit d’accès au dossier. À cet égard, elle soutient que l’article 22, paragraphe 2, du règlement MSU de base prévoit que les droits de la défense des personnes concernées sont pleinement assurés dans le déroulement de la procédure. Ces personnes auraient le droit d’avoir accès au dossier de la BCE sous réserve de l’intérêt légitime d’autres personnes dans la protection
de leurs secrets d’affaires. Dans ce contexte, la requérante fait valoir qu’elle n’a pas eu accès à l’évaluation de conformité dans le cadre de l’adoption de la décision no 215. Cette évaluation ne lui aurait pas non plus été communiquée lorsqu’elle a exercé son droit d’accès au dossier dans le cadre de la procédure d’adoption de la décision attaquée. La CMFC et la BCE auraient ainsi violé l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la Charte en lui refusant la possibilité de prendre connaissance de
l’évaluation de conformité.
164 En quatrième lieu, la BCE aurait accordé à la requérante un délai excessivement court pour présenter ses observations sur la proposition de décision. Le 30 janvier 2023, la BCE lui aurait adressé une lettre sollicitant la présentation d’observations sur la proposition de décision et fixant un délai de cinq jours à cette fin. La requérante aurait saisi la BCE d’une demande de prorogation de ce délai, mais cette dernière n’aurait accordé que quatre jours ouvrables supplémentaires et aurait refusé
d’accorder un délai de 20 jours, puis de 15 jours. La BCE n’aurait pas motivé sa décision de lui accorder un délai abrégé pour la présentation de ses observations.
165 La requérante ajoute que, si elle avait été entendue dans le cadre de la procédure relative à la décision no 215 et si elle avait disposé d’au moins deux semaines pour présenter ses observations écrites sur la proposition de décision, elle aurait pu formuler ses observations sur les éléments de fait et de droit mentionnés dans le cadre de ses premier, deuxième et troisième moyens. Ainsi, elle considère que, si elle avait été entendue, le résultat de la procédure aurait été différent.
166 La BCE soutient que le moyen doit être rejeté comme non fondé.
167 En premier lieu, s’agissant de la question de savoir si la BCE aurait dû contrôler les décisions nos 215 et 216, d’une part, il convient de relever, pour ce qui concerne la première de ces deux décisions, qu’elle a été prise dans le cadre d’une procédure de résolution distincte de celle du retrait de l’agrément, laquelle a conduit à la décision attaquée. Cette procédure de résolution relève au premier chef de la compétence des ACN, alors que la procédure de retrait de l’agrément, si elle
commence par des investigations de l’ACN, se termine par une décision de la BCE.
168 D’autre part, bien que la décision attaquée mentionne, à son point 3.4, la décision no 216, il apparaît que c’est dans une optique d’exposé du cadre factuel et contextuel. Il ne peut être déduit de cette circonstance que la décision attaquée se fonde tant sur cette décision que sur la décision no 215 pour justifier le retrait de l’agrément. Comme l’a relevé la BCE, la déclaration de défaillance avérée ou prévisible prise par la CMFC s’inscrit dans le cadre d’une procédure distincte de celle
conduisant au retrait de l’agrément.
169 En tout état de cause, comme il a été constaté dans le cadre de l’examen des premier et deuxième moyens, si, lorsqu’elle prend sa décision, la BCE doit, en vertu de l’article 83, paragraphe 2, du règlement-cadre MSU, tenir compte notamment de son examen des circonstances justifiant le retrait, cela n’implique pas qu’elle doive connaître de toute autre décision prise par les ACN dans le cadre de leurs compétences. Ainsi qu’il a été rappelé au point 72 ci-dessus, la BCE est compétente pour retirer
un agrément sur la base des constatations faites par les ACN.
170 En deuxième lieu, pour ce qui est de la prétendue violation du droit d’accès à l’évaluation de conformité dans le cadre de l’adoption de la décision no 215, il convient de relever que l’argument de la requérante vise une procédure distincte de celle conduisant au retrait de l’agrément, de sorte qu’il y a lieu de le rejeter comme inopérant.
171 En troisième lieu, s’agissant du délai prétendument insuffisant pour exercer le droit d’être entendu, il convient de rappeler que la requérante s’est vu octroyer neuf jours ouvrables au total pour présenter ses observations sur le projet de décision attaquée, lesquels incluent quatre jours supplémentaires par rapport aux cinq jours initiaux. Il n’est pas contesté que le projet de décision en cause ne contenait que deux documents dont la requérante n’avait pas eu connaissance au préalable.
172 À cet égard, il ressort de l’article 31, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement-cadre MSU que la partie à une procédure de surveillance prudentielle de la BCE doit, en principe, avoir la possibilité de présenter ses observations écrites dans un délai de deux semaines à compter de la réception d’un document faisant état des faits, des motifs et des fondements juridiques sur lesquels la BCE entend fonder la décision de surveillance prudentielle. L’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, de
ce règlement-cadre prévoit que, en cas de circonstances particulières, la BCE peut réduire le délai à trois jours ouvrés et le délai est également réduit à trois jours ouvrés dans les situations mentionnées aux articles 14 et 15 du règlement MSU de base, et donc notamment dans le cas d’une décision de retrait de l’agrément, laquelle est visée à l’article 14, paragraphe 5, dudit règlement.
173 Compte tenu de la réglementation en vigueur, de la possibilité de réduire le délai et du fait que la requérante n’avait pas connaissance, au préalable, de seulement deux des documents joints au projet de décision, il n’apparaît pas que la BCE ait violé le droit d’être entendue de celle-ci en prévoyant un délai de cinq jours, prolongé ensuite de quatre jours supplémentaires, pour le dépôt des observations sur le projet de décision.
174 Il importe de souligner, au surplus, que la requérante n’a pas remis en cause la légalité du délai réduit prévu à l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, du règlement-cadre MSU. Cela étant, il a été déjà jugé que le législateur de l’Union avait opéré une évaluation quant au caractère raisonnable du délai prévu par cette disposition en mettant en balance les intérêts opposés que sont, d’une part, les intérêts privés des établissements de crédit à avoir le plus de temps possible pour
formuler leurs observations et, d’autre part, l’intérêt public à ce que le rétablissement de la légalité soit le plus rapide possible (voir arrêt du 6 octobre 2021, Ukrselhosprom PCF et Versobank/BCE, T‑351/18 et T‑584/18, EU:T:2021:669, point 374).
175 Il résulte de tout ce qui précède que le quatrième moyen doit être rejeté comme non fondé et, partant, le recours dans son ensemble.
Sur les dépens
176 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la BCE.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (dixième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Baltic International Bank SE est condamnée aux dépens.
Porchia
Jaeger
Nihoul
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 4 juin 2025.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le letton.