ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre élargie)
30 avril 2025
« Union économique et monétaire – Union bancaire – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement (MRU) – Fonds de résolution unique (FRU) – Décision du CRU sur le calcul des contributions ex ante pour 2016 – Exclusion de certains passifs du calcul des contributions ex ante – Article 5, paragraphe 1, sous a), b) et f), du règlement délégué (UE) 2015/63 – Exception d’illégalité – Principe de non-rétroactivité – Responsabilité non contractuelle
– Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers – Enrichissement sans cause »
(*) l’affaire T‑499/20,
Banco Cooperativo Español, S.A., établie à Madrid (Espagne), représentée par M^es D. Sarmiento Ramírez-Escudero et J. Beltrán de Lubiano Sáez de Urabain, avocats,
partie requérante,
contre
Conseil de résolution unique (CRU), représenté par M^me C. De Falco, en qualité d’agent, assistée de M^es B. Meyring, F. Fernández de Trocóniz Robles, T. Klupsch et S. Ianc, avocats,
partie défenderesse,
soutenu par
Commission européenne, représentée par M. D. Triantafyllou, M^mes A. Steiblytė et P. Němečková, en qualité d’agents,
partie intervenante,
LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie),
composé de MM. A. Kornezov, président, D. Petrlík, K. Kecsmár (rapporteur), M^mes S. Kingston et L. Spangsberg Grønfeldt, juges,
greffier : M^me S. Jund, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 27 juin 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours, la requérante, Banco Cooperativo Español, S.A., demande, d’une part, sur le fondement de l’article 263 TFUE, l’annulation de la décision SRB/ES/2022/79 du Conseil de résolution unique (CRU), du 7 décembre 2022, retirant la décision SRB/ES/2020/16 du CRU, du 19 mars 2020, sur le calcul des contributions ex ante pour 2016 de Banco Cooperativo Español, SA, Hypo Vorarlberg Bank AG (anciennement Vorarlberger Landes- und Hypothekenbank AG) et Portigon AG au Fonds de résolution
unique, et calculant leurs contributions ex ante pour 2016 au Fonds de résolution unique (ci-après la « décision attaquée »), en ce qu’elle la concerne et, d’autre part, sur le fondement de l’article 268 TFUE, la réparation du préjudice qu’elle aurait subi du fait de cette décision.
Antécédents du litige
2 En Espagne, les caisses rurales sont des établissements coopératifs de crédit qui offrent des services financiers en milieu rural.
3 La requérante est un établissement de crédit créé en 1990 par certaines caisses rurales, qui en sont les actionnaires. La requérante est placée à la tête du réseau constitué par celles-ci et offre des services bancaires aux particuliers et aux entreprises, parmi lesquels figurent notamment les caisses rurales. L’un des principaux services fournis aux caisses rurales est la gestion centralisée de leur trésorerie.
4 Ainsi, la requérante et les caisses rurales ont conclu, le 25 janvier 1994, un accord de trésorerie (ci-après l’« accord de trésorerie ») qui vise à réglementer le placement par la requérante des liquidités des caisses rurales pour le compte de ces dernières. D’une part, cet accord prévoit que les caisses rurales cèdent des fonds à la requérante en vue de leur placement sur le marché interbancaire ou monétaire. D’autre part, dès lors que la requérante assume en son nom propre le risque de
contrepartie de tous les fonds investis, la clause 4 dudit accord contient une garantie de prise en charge par les caisses rurales de toute perte ou obligation résultant de l’activité de la requérante sur le marché interbancaire pour le compte de celles-ci.
5 La requérante agit également en tant qu’intermédiaire en vue de permettre à ses membres l’accès au financement de la Banque centrale européenne (BCE), en obtenant directement le financement de la part de celle-ci et en le faisant parvenir aux caisses rurales à des conditions identiques à celles obtenues de la BCE.
6 Enfin, en vue d’avoir accès aux opérations de refinancement à long terme proposées par la BCE, la requérante et un certain nombre de caisses rurales ont constitué un groupe au nom duquel celle-ci participe aux différents appels d’offres réalisés par la BCE. La requérante est responsable de ce groupe et se charge de gérer et de répartir entre les différents membres de celui-ci les montants, droits et obligations issus de tels appels d’offres.
7 En raison des différentes activités que la requérante entreprend pour le compte des caisses rurales, son passif comporte certains encours qui apparaissent également au passif du bilan de ces caisses au titre de la garantie que ces dernières lui donnent pour ces activités.
8 Par sa décision SRB/ES/SRF/2016/06, du 15 avril 2016, sur le calcul des contributions ex ante pour 2016 au Fonds de résolution unique, le CRU a fixé, conformément à l’article 70, paragraphe 2, du règlement (UE) n^o 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de
résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) n^o 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1), les contributions ex ante au Fonds de résolution unique (FRU) (ci-après les « contributions ex ante »), pour 2016 (ci-après la « période de contribution 2016 »), des établissements relevant des dispositions combinées de l’article 2 et de l’article 67, paragraphe 4, de ce règlement (ci-après les « établissements »), dont la requérante.
9 Par sa décision SRB/ES/SRF/2016/13, du 20 mai 2016, sur l’ajustement des contributions ex ante pour 2016 au FRU, complétant la décision SRB/ES/SRF/2016/06, le CRU a rectifié le calcul des contributions ex ante des établissements pour la période de contribution 2016.
10 Le 19 mars 2020, le CRU a adopté la décision SRB/ES/2020/16 sur le calcul de la contribution ex ante de la requérante pour la période de contribution 2016 (ci-après la « décision du 19 mars 2020 ») par laquelle il a retiré et remplacé les décisions mentionnées aux points 8 et 9 ci-dessus (ci-après les « décisions initiales »). Selon les considérants 7 et 8 de la décision du 19 mars 2020, celle-ci visait à remédier aux défauts procéduraux et aux défauts de motivation des décisions initiales
que le Tribunal avait constatés dans les arrêts du 28 novembre 2019, Banco Cooperativo Español/CRU (T‑323/16, EU:T:2019:822), du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU (T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823), et du 28 novembre 2019, Portigon/CRU (T‑365/16, EU:T:2019:824).
11 Il ressort, notamment, des points 95 et 111 de l’arrêt du 28 novembre 2019, Banco Cooperativo Español/CRU (T‑323/16, EU:T:2019:822), que le Tribunal a annulé la première des décisions initiales en ce qu’elle concernait la requérante dans la mesure où l’exigence d’authentification de cette décision n’était pas satisfaite et où la procédure de son adoption avait été menée en méconnaissance manifeste d’exigences procédurales relatives à son approbation par les membres de la session exécutive du
CRU et au recueil de cette approbation, moyen que le Tribunal avait soulevé d’office. En revanche, le Tribunal ne s’est pas prononcé sur le calcul du montant de la contribution ex ante pour la période de contribution 2016 de la requérante.
12 Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU (C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601), la Commission européenne et le CRU ont demandé l’annulation de l’arrêt du 23 septembre 2020, Landesbank Baden-Württemberg/CRU (T‑411/17, EU:T:2020:435), par lequel le Tribunal avait annulé la décision du CRU sur le calcul des contributions ex ante pour 2017, en ce qu’elle concernait la partie requérante. Dans cet arrêt, la Cour a accueilli le
pourvoi du CRU et de la Commission pour ce qui concernait l’exigence d’authentification relative à ladite décision, mais a constaté que cette dernière n’était pas suffisamment motivée et que le premier moyen présenté en première instance par Landesbank Baden-Württemberg était fondé (arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 171).
13 Le 7 décembre 2022, le CRU a adopté la décision attaquée, par laquelle il a retiré et remplacé la décision du 19 mars 2020. Selon les considérants 19 à 22 de la décision attaquée, celle-ci visait à remédier au défaut de motivation que le CRU avait constaté à la suite de l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU (C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601), ainsi que des ordonnances du 3 mars 2022, CRU/Portigon et Commission (C‑664/20 P, non publiée,
EU:C:2022:161), et du 3 mars 2022, CRU/Hypo Vorarlberg Bank (C‑663/20 P, non publiée, EU:C:2022:162).
14 Le 2 février 2023, la décision attaquée a été notifiée à la requérante par l’Autoridad de Resolución Ejecutiva (FROB, Autorité exécutive de résolution, Espagne), en sa qualité d’autorité de résolution nationale, au sens de l’article 3, paragraphe 1, point 3, du règlement n^o 806/2014.
Décision attaquée
15 La décision attaquée comprend un corps qui est accompagné, en ce qui concerne la requérante, de cinq annexes.
16 Le corps de la décision attaquée décrit, dans les sections 3 à 10, le processus de détermination des contributions ex ante pour la période de contribution 2016, qui est applicable à tous les établissements.
17 Plus particulièrement, dans la section 6 de la décision attaquée, le CRU a déterminé le niveau cible annuel, mentionné à l’article 4 du règlement d’exécution (UE) 2015/81 du Conseil, du 19 décembre 2014, définissant des conditions uniformes d’application du règlement n^o 806/2014 en ce qui concerne les contributions ex ante au FRU (JO 2015, L 15, p. 1), pour la période de contribution 2016 (ci-après le « niveau cible annuel »).
18 Le CRU a expliqué qu’il avait fixé ce niveau cible annuel à un huitième de 1,05 % du montant des dépôts couverts, calculé en fin d’année, de l’ensemble des établissements en 2015, tel qu’il avait été obtenu à partir des données communiquées par les établissements conformément à l’article 14, paragraphe 2, du règlement délégué (UE) 2015/63 de la Commission, du 21 octobre 2014, complétant la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les contributions ex ante
aux dispositifs de financement pour la résolution (JO 2015, L 11, p. 44).
19 Dans la section 7 de la décision attaquée, le CRU a décrit la méthode à suivre pour le calcul des contributions ex ante pour la période de contribution 2016. À cet égard, il a précisé, au considérant 95 de ladite décision, que, pour cette période, 60 % des contributions ex ante avaient été calculées sur la « base nationale », c’est-à-dire sur la base des données communiquées par des établissements agréés sur le territoire de l’État membre participant concerné (ci-après la « base
nationale »), conformément à l’article 103 de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du
Conseil (UE) n^o 1093/2010 et (UE) n^o 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190), et conformément à l’article 4 du règlement délégué 2015/63. Le reste des contributions ex ante (à savoir 40 %) a été calculé sur la « base de l’union bancaire », c’est-à-dire sur la base des données communiquées par l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participant au mécanisme de résolution unique (MRU) (ci-après la « base de l’union » et les « États membres participants »),
conformément aux articles 69 et 70 du règlement n^o 806/2014 et à l’article 4 du règlement d’exécution 2015/81.
20 Par ailleurs, le CRU a calculé les contributions ex ante des établissements, tels que la requérante, en suivant les phases principales suivantes.
21 Dans la première phase du calcul des contributions ex ante, le CRU a calculé, conformément à l’article 70, paragraphe 2, deuxième alinéa, sous a), du règlement n^o 806/2014, la contribution annuelle de base de chaque établissement, qui est proportionnelle au montant du passif de l’établissement concerné, hors fonds propres et dépôts couverts, rapporté au total du passif, hors fonds propres et dépôts couverts, de l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres
participants. Conformément à l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63, le CRU a déduit certains types de passifs du passif total de l’établissement à prendre en compte pour la détermination de cette contribution.
22 Dans la seconde phase du calcul des contributions ex ante, le CRU a procédé à un ajustement de la contribution annuelle de base en fonction du profil de risque de l’établissement concerné, conformément à l’article 70, paragraphe 2, deuxième alinéa, sous b), du règlement n^o 806/2014. Il a évalué ce profil de risque sur la base des quatre piliers de risque mentionnés à l’article 6 du règlement délégué 2015/63, qui sont composés d’indicateurs de risque. Afin de classer les établissements selon
leur niveau de risque, tout d’abord, le CRU a établi – pour chaque indicateur de risque appliqué pour la période de contribution 2016 – des bins (paniers) dans lesquels ont été regroupés les établissements, conformément à l’annexe I, sous le titre « Étape 2 », point 3, de ce règlement délégué. Les établissements appartenant au même bin se sont vu attribuer une valeur commune pour l’indicateur de risque donné, dite « valeur discrétisée ». En combinant les valeurs discrétisées pour chaque indicateur
de risque, le CRU a calculé le « multiplicateur d’ajustement en fonction du profil de risque » de l’établissement concerné (ci-après le « multiplicateur d’ajustement »). En multipliant la contribution annuelle de base de cet établissement par le multiplicateur d’ajustement de celui-ci, le CRU a obtenu la « contribution annuelle de base ajustée en fonction du profil de risque » dudit établissement.
23 Ensuite, le CRU a additionné toutes les contributions annuelles de base ajustées en fonction des profils de risque pour obtenir un « dénominateur commun » utilisé pour calculer la part du niveau cible annuel que chaque établissement devait verser.
24 Enfin, le CRU a calculé la contribution ex ante de chaque établissement en répartissant le niveau cible annuel entre tous les établissements sur la base du ratio existant entre la contribution annuelle de base ajustée en fonction du profil de risque, d’une part, et le dénominateur commun, d’autre part.
25 L’annexe I de la décision attaquée contient la fiche individuelle de la requérante, qui comporte les résultats du calcul de sa contribution ex ante. Cette fiche expose le montant de la contribution annuelle de base de la requérante ainsi que la valeur de son multiplicateur d’ajustement, tant sur la base de l’Union que sur la base nationale, en mentionnant, pour chaque indicateur de risque, le numéro du bin auquel la requérante a été assignée. En outre, ladite fiche expose des données qui
sont utilisées pour le calcul des contributions ex ante de tous les établissements concernés et que le CRU a déterminées en additionnant ou en combinant les données individuelles de tous ces établissements. Enfin, cette fiche comporte les données déclarées par la requérante dans le formulaire de déclaration concernant sa contribution ex ante et utilisées dans le calcul de cette contribution.
26 L’annexe II de la décision attaquée comprend des données statistiques relatives au calcul des contributions ex ante pour chaque État membre participant, sous une forme résumée et agrégée. Cette annexe précise, notamment, le montant global des contributions ex ante à verser par les établissements concernés pour chacun de ces États membres. Par ailleurs, ladite annexe énumère, pour chaque indicateur de risque, le nombre de bins, le nombre d’établissements appartenant à chacun des bins ainsi
que les valeurs minimales et maximales de ces bins. Dans le cas des bins relatifs à la base nationale, ces valeurs sont, pour des raisons de confidentialité, diminuées ou augmentées d’un montant aléatoire, la répartition originale des établissements étant maintenue.
27 Les annexes IIIa, IIIb et IVa de la décision attaquée examinent des observations présentées par d’autres établissements que la requérante lors d’une procédure de consultation menée par le CRU préalablement à l’adoption de la décision attaquée.
28 L’annexe IVb de la décision attaquée, intitulée « Évaluation des commentaires soumis [par la requérante] dans le cadre de la consultation sur les contributions ex ante au F[RU] pour 2016 qui comporte des informations confidentielles », examine les observations présentées par la requérante lors de la procédure de consultation.
Conclusions des parties
29 La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée en tant qu’elle la concerne ;
– à titre subsidiaire, annuler la décision attaquée dans la mesure où elle produit des effets rétroactifs à compter de la date d’adoption de la décision du 15 avril 2016 ;
– condamner le CRU à l’indemniser :
– à concurrence du montant des intérêts moratoires produits par la somme de 9 933 563,47 euros entre le 23 juin 2016 et la date du paiement par le CRU des sommes dues, calculés au taux de refinancement de la BCE applicable, majoré de 3,5 points de pourcentage ;
– à titre subsidiaire, uniquement dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait la décision attaquée seulement en tant qu’elle produit des effets rétroactifs, à concurrence du montant des intérêts moratoires produits par la somme de 9 933 563,47 euros entre le 23 juin 2016 et la date à partir de laquelle la décision attaquée pouvait produire ses effets, calculés au taux de refinancement de la BCE applicable, majoré de 3,5 points de pourcentage ;
– à titre infiniment subsidiaire, à concurrence du montant correspondant au rendement qu’elle aurait obtenu si elle avait acquis, lors de la vente publique du 16 juin 2016, des obligations d’État espagnoles à dix ans d’une valeur équivalente à sa contribution ex ante pour l’année 2016, calculé entre le 23 juin 2016 et la date du paiement par le CRU des sommes dues (ou entre le 23 juin 2016 et la date de la décision attaquée, dans l’hypothèse où le Tribunal considérerait que la décision
attaquée est matériellement conforme au droit, mais ne pouvait produire d’effets rétroactifs) ;
– condamner le CRU aux dépens.
30 Le CRU conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– à titre principal, rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens ;
– à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal accueillerait un ou plusieurs moyens, maintenir les effets de la décision attaquée jusqu’à son remplacement ou, à tout le moins, pendant une période de six mois à compter du jour où l’arrêt annulant ladite décision deviendrait définitif.
31 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur les conclusions à fin d’annulation
32 La requérante soulève trois moyens. Le premier est tiré d’une exception d’illégalité de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63. Le deuxième, soulevé dans l’hypothèse où le Tribunal accueillerait le premier moyen, est tiré d’une violation de l’article 103, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/59 et de l’article 70 du règlement n^o 806/2014. Le troisième est tiré d’une violation du principe de sécurité juridique.
33 Dans le mémoire en adaptation, déposé au titre de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, la requérante a indiqué qu’elle maintenait l’intégralité de l’argumentation exposée dans la requête, tout en précisant que, à la suite du retrait et du remplacement de la décision du 19 mars 2020 par la décision attaquée, ses conclusions devaient être comprises comme visant la décision attaquée au lieu de la décision du 19 mars 2020.
34 Le CRU conteste le bien-fondé des trois moyens soulevés et remet en cause la recevabilité des deux premiers.
Sur la recevabilité des premier et deuxième moyens
35 Par son premier moyen, la requérante conteste la légalité de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63, notamment en ce que cette disposition a omis d’exclure du calcul des contributions ex ante certains passifs engendrés dans le cadre des activités qu’elle entreprend pour le compte des caisses rurales, et, par son deuxième moyen, elle invoque les conséquences juridiques qu’il conviendrait de tirer d’une telle illégalité.
36 Le CRU soutient, en substance, que les premier et deuxième moyens sont irrecevables en raison d’un défaut d’intérêt à agir, au motif que la requérante demande au Tribunal de déclarer inapplicable une disposition qui n’était pas applicable dans le cadre du calcul de sa contribution ex ante pour la période de contribution 2016. Il s’ensuit, selon le CRU, que la requérante n’a pas intérêt à faire constater l’illégalité de la disposition en cause.
37 La requérante conteste l’argumentation du CRU.
38 Selon une jurisprudence constante, une exception d’illégalité, soulevée de manière incidente en vertu de l’article 277 TFUE à l’occasion de la contestation à titre principal de la légalité d’un acte tiers, n’est recevable que dès lors qu’il existe un lien de connexité entre cet acte et la norme dont l’illégalité prétendue est excipée. Dans la mesure où l’article 277 TFUE n’a pas pour but de permettre à une partie de contester l’applicabilité de quelque acte de caractère général que ce soit à
la faveur d’un recours quelconque, la portée d’une exception d’illégalité doit être limitée à ce qui est indispensable à la solution du litige. Il en résulte que l’acte général dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours et qu’il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question (arrêts du 30 avril 2019, Wattiau/Parlement, T‑737/17, EU:T:2019:273, point 56, et du
16 juin 2021, Krajowa Izba Gospodarcza Chłodnictwa i Klimatyzacji/Commission, T‑126/19, EU:T:2021:360, point 33).
39 En outre, une exception d’illégalité n’est recevable que si elle est susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a soulevée (voir arrêt du 6 juillet 2022, MZ/Commission, T‑631/20, EU:T:2022:426, point 40 et jurisprudence citée).
40 Toutefois, il ressort également de la jurisprudence que l’article 277 TFUE doit être interprété d’une manière suffisamment large pour que soit assuré un contrôle de légalité effectif des actes des institutions de caractère général en faveur des personnes exclues du recours direct contre de tels actes. Ainsi, le champ d’application de l’article 277 TFUE doit s’étendre aux actes des institutions qui ont été pertinents pour l’adoption de la décision qui fait l’objet du recours en annulation, en
ce sens que cette décision repose essentiellement sur ceux-ci, même s’ils n’en constituaient pas formellement sa base juridique. Par ailleurs, aux fins de l’examen d’une exception d’illégalité, les règles d’un seul et même régime ne sauraient être scindées artificiellement (voir arrêt du 16 juin 2021, Krajowa Izba Gospodarcza Chłodnictwa i Klimatyzacji/Commission, T‑126/19, EU:T:2021:360, point 34 et jurisprudence citée).
41 L’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 énumère les conditions dans lesquelles un passif fait l’objet d’une exclusion du calcul des contributions ex ante. À cet égard, aux points 18 et 19 de l’annexe IVb de la décision attaquée, le CRU a expliqué les raisons pour lesquelles les passifs engendrés dans le cadre des activités que la requérante entreprend pour le compte des caisses rurales ne pouvaient être exclus du calcul de la contribution ex ante de cette dernière au titre de
l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63.
42 Par son exception d’illégalité, la requérante fait valoir que si l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 devait être interprété en ce sens qu’il ne permet pas d’exclure du calcul de sa contribution ex ante les passifs tels que ceux engendrés dans le cadre des activités qu’elle entreprend pour le compte des caisses rurales, cette disposition violerait l’article 103, paragraphe 2, de la directive 2014/59, l’article 70, paragraphes 2 et 6, du règlement n^o 806/2014, l’article 16
de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et le principe de proportionnalité, puisque ces normes imposaient à la Commission d’assurer, lors de l’adoption dudit règlement délégué, que le régime d’exclusion des passifs, tel qu’établi par l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement délégué, permette d’exclure du calcul des contributions ex ante de tels passifs.
43 Ainsi, si la présente exception d’illégalité était accueillie, il appartiendrait au CRU de réexaminer sa position concernant la demande de la requérante d’exclure les passifs concernés du calcul de sa contribution ex ante et à la Commission de prendre des mesures garantissant un traitement de ces passifs qui soit conforme aux règles de rang supérieur mentionnées au point 42 ci-dessus, le cas échéant en élargissant la portée des exclusions prévues par l’article 5, paragraphe 1, du règlement
délégué 2015/63.
44 Dans ces conditions, il convient de constater qu’il existe un lien juridique direct entre la décision attaquée et l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 et que la requérante a un intérêt à obtenir une éventuelle déclaration d’illégalité de cette disposition.
45 Il en va d’autant plus ainsi que l’argumentation défendue par le CRU, telle qu’elle est exposée au point 36 ci-dessus, reviendrait à scinder artificiellement les règles du régime de calcul des contributions ex ante établi par le règlement délégué 2015/63 et à priver l’article 277 TFUE de son effet utile, car la requérante n’aurait pas la possibilité de contester la légalité d’une disposition prévoyant l’exclusion de certains passifs dudit calcul lorsque l’illégalité alléguée ne réside pas
dans l’existence de cette exclusion, mais plutôt dans les conditions de cette exclusion (voir, par analogie, arrêt du 16 juin 2021, Krajowa Izba Gospodarcza Chłodnictwa i Klimatyzacji/Commission, T‑126/19, EU:T:2021:360, point 42).
46 Eu égard à ce qui précède, l’exception d’irrecevabilité soulevée par le CRU doit être écartée.
Sur le premier moyen, tiré de l’illégalité de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63
47 Le premier moyen, qui comporte trois branches, est tiré de l’illégalité de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 au regard, premièrement, de l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59, deuxièmement, de l’article 16 de la Charte et, troisièmement, du principe de proportionnalité.
– Sur la première branche, relative à l’illégalité de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 au regard de l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59
48 La requérante fait valoir que les activités qu’elle entreprend pour le compte des caisses rurales ne représentent qu’un faible niveau de risque, dans la mesure où elle bénéficie de garanties de la part de ces dernières en vertu de l’accord de trésorerie. La Commission aurait donc dû inclure les passifs liés à ces activités dans ceux visés par l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63, qui exempte certains passifs de la base de calcul des contributions ex ante, sous peine de ne
pas respecter l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59, qui lui impose d’adopter un acte délégué pour préciser la façon dont les contributions ex ante doivent être adaptées en fonction du profil de risque des établissements.
49 En n’ayant pas prévu à l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 l’exclusion des passifs tels que ceux décrits au point 48 ci-dessus, la Commission aurait créé une situation de « double comptage » des passifs liés aux activités que la requérante entreprend pour les caisses rurales, du fait que ces dernières comptabilisent également un passif au titre de la garantie qu’elles donnent à la requérante pour ces activités.
50 La circonstance selon laquelle un tel double comptage des passifs peut donner lieu à une violation de l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59 serait illustré par le fait que la Commission a prévu plusieurs exemptions à l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 pour éviter un tel double comptage.
51 À cet égard, la requérante s’appuie sur un « parallélisme évident » entre, d’une part, certains de ses passifs, engendrés dans le cadre des activités qu’elle entreprend pour le compte des caisses rurales, et, d’autre part, les passifs exclus, premièrement, à l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement délégué 2015/63, concernant les passifs intragroupe, deuxièmement, à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, concernant les passifs créés par un établissement qui est membre
d’un système de protection institutionnel (ci-après le « SPI »), et, troisièmement, à l’article 5, paragraphe 1, sous f), du même règlement, concernant les prêts de développement.
52 Interrogée sur la portée de son argumentation lors de l’audience, la requérante a précisé qu’elle ne soulevait pas une violation du principe d’égalité de traitement, mais visait uniquement l’incompatibilité de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 avec l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59.
53 Le CRU, soutenu par la Commission, conteste l’argumentation de la requérante.
54 Il convient de relever que, conformément à l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59, la Commission est habilitée à adopter des actes délégués pour préciser la notion d’« adaptation des contributions ex ante en fonction du profil de risque des établissements ».
55 Dans le contexte d’un pouvoir délégué au sens de l’article 290 TFUE, la Commission dispose, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, d’un large pouvoir d’appréciation lorsqu’elle est appelée, notamment, à effectuer des appréciations et des évaluations complexes (voir, en ce sens, arrêt du 11 mai 2017, Dyson/Commission, C‑44/16 P, EU:C:2017:357, point 53 et jurisprudence citée).
56 Tel est le cas en ce qui concerne la fixation des critères d’adaptation des contributions ex ante au profil de risque en vertu de l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59 (arrêts du 20 décembre 2023, Landesbank Baden-Württemberg/CRU, T‑389/21, EU:T:2023:827, point 106, et du 20 décembre 2023, Banque postale/CRU, T‑383/21, EU:T:2023:845, point 153).
57 À cet égard, il convient de rappeler que la nature spécifique des contributions ex ante consiste, ainsi qu’il ressort des considérants 105 à 107 de la directive 2014/59 et du considérant 41 du règlement n^o 806/2014, à garantir, dans une logique d’ordre assurantiel, que le secteur financier procure des ressources financières suffisantes au MRU pour que ce dernier puisse remplir ses fonctions, tout en encourageant l’adoption, par les établissements concernés, de modes de fonctionnement moins
risqués (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 113).
58 Dans ce contexte, et ainsi qu’il ressort du considérant 114 de la directive 2014/59, le législateur de l’Union a chargé la Commission de préciser, par acte délégué, la façon d’ajuster les contributions ex ante des établissements aux dispositifs de financement pour la résolution en proportion de leur profil de risque.
59 Dans cette même optique, le considérant 107 de la directive 2014/59 précise que, pour assurer un calcul équitable des contributions ex ante aux dispositifs de financement nationaux et encourager l’adoption de modes de fonctionnement moins risqués, il convient que ces contributions soient fonction du risque de crédit, de liquidité et de marché encouru par les établissements.
60 Il découle de ce qui précède que la Commission devait élaborer des règles d’ajustement des contributions ex ante en fonction du profil de risque des établissements en poursuivant deux objectifs liés, à savoir, d’une part, assurer la prise en compte des différents risques qu’engendrent les activités des établissements, bancaires ou plus largement financières, et, d’autre part, encourager ces mêmes établissements à suivre des modes de fonctionnement moins risqués.
61 Or, ainsi qu’il ressort des documents afférents à l’adoption du règlement délégué 2015/63, notamment les documents « Étude technique du JRC au soutien de la législation de deuxième niveau de la Commission sur les contributions fondées sur les risques au Fonds de résolution (unique) » et « Document de travail des services de la Commission : estimations de l’application de la méthode proposée pour le calcul des contributions aux dispositifs de financement des résolutions », l’élaboration de
telles règles d’ajustement des contributions ex ante en fonction du profil de risque des établissements impliquait des appréciations et des évaluations complexes de la part de la Commission dans la mesure où celle-ci devait examiner les différents éléments compte tenu desquels les divers types de risque étaient appréhendés dans les secteurs bancaire et financier.
62 Eu égard à ce qui précède, la Commission disposait d’un large pouvoir d’appréciation aux fins d’adopter, en vertu de l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59, les règles précisant la notion d’« adaptation des contributions ex ante en fonction du profil de risque des établissements ».
63 Dans ces conditions, s’agissant de la méthode d’adaptation des contributions annuelles de base au titre de l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59, le contrôle du juge de l’Union doit se limiter à examiner si l’exercice du pouvoir d’appréciation octroyé à la Commission n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si celle-ci n’a pas manifestement dépassé les limites de ce pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10,
EU:C:2011:504, point 60).
64 Par conséquent, il appartient à la requérante de démontrer que l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 est entaché de tels vices en ce qu’il n’exclut pas les passifs tels que ceux engendrés dans le cadre des activités qu’elle entreprend pour le compte des caisses rurales du calcul de sa contribution ex ante.
65 En premier lieu, conformément à l’article 103, paragraphe 2, de la directive 2014/59 et à l’article 70, paragraphe 2, du règlement n^o 806/2014, chaque établissement est, en principe, soumis à l’obligation de verser des contributions ex ante et tous ses passifs sont à prendre en compte, en principe, aux fins du calcul de ces contributions, hors fonds propres et dépôts couverts. Partant, toute exception à ce principe, telle que celles prévues à l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué
2015/63, doit être interprétée de manière restrictive (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 octobre 2017, Kamin und Grill Shop, C‑289/16, EU:C:2017:758, point 20 et jurisprudence citée).
66 Une telle approche correspond à la logique d’ordre assurantiel du système des contributions ex ante, telle qu’elle est rappelée au point 57 ci-dessus. En effet, conformément à cette logique, tous les établissements, y compris ceux dont la probabilité de résolution est prétendument plus faible au regard des passifs qu’ils détiennent, bénéficient de leurs contributions ex ante à travers la stabilité du système financier assurée par le FRU.
67 Par ailleurs, conformément à l’article 103, paragraphe 2, de la directive 2014/59 et à l’article 70, paragraphe 2, du règlement n^o 806/2014, les contributions ex ante sont ajustées en fonction du profil de risque des établissements. L’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59 prévoit huit éléments que la Commission doit prendre en compte lorsqu’elle adopte l’acte délégué qu’il mentionne aux fins de préciser la notion d’« adaptation des contributions ex ante en fonction du profil de
risque des établissements ». Or, bien que l’« exposition au risque de l’établissement » figure parmi ces éléments, de sorte que la Commission était tenue de la prendre en compte lors de l’adoption du règlement délégué 2015/63, cet élément ne constitue que l’un des huit critères dont la Commission doit tenir compte dans l’élaboration d’un tel acte.
68 En revanche, rien dans l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59 n’indique que la Commission est tenue d’accorder une importance prépondérante à un ou à plusieurs des éléments énumérés dans cette disposition, tels que l’exposition au risque de l’établissement. Par ailleurs, cette disposition ne précise pas de quelle manière la Commission doit tenir compte de cette exposition.
69 En outre, si l’article 103, paragraphe 7, sous h), de la directive 2014/59 prévoit que la Commission doit prendre en compte, aux fins de l’adaptation des contributions ex ante en fonction du profil de risque des établissements concernés, le fait que l’établissement appartient à un SPI, cette même disposition ne fait aucunement mention d’autres catégories d’affiliation commerciale ou contractuelle devant être prises en considération par la Commission dans les actes délégués qu’elle est
habilitée à adopter.
70 En deuxième lieu, la requérante ne saurait soutenir que les activités qu’elle entreprend pour le compte des caisses rurales ne représentent qu’un faible niveau de risque.
71 À cet égard, pour ce qui concerne l’analogie faite par la requérante avec l’exclusion prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous a) du règlement délégué 2015/63 pour certains passifs intragroupe, il convient de relever, tout d’abord, qu’il ressort des considérants 8 et 9 dudit règlement que le calcul des contributions sur le plan individuel conduirait, dans le cas d’un groupe, à un double comptage de certains passifs lors de la détermination de la contribution annuelle de base des différentes
entités du groupe, étant donné que les passifs découlant des accords que les entités d’un même groupe concluent entre elles feraient partie du total du passif à prendre en considération pour déterminer la contribution annuelle de base de chaque entité du groupe. Par conséquent, la détermination de la contribution annuelle de base doit être précisée pour ce qui concerne les groupes, de manière à refléter l’interconnexion des entités du groupe et à éviter une double comptabilisation des expositions
intragroupe. Afin de garantir des conditions de concurrence équitables entre les entités qui font partie d’un groupe et les établissements qui sont membres d’un SPI ou qui sont affiliés de façon permanente à un organisme central, le même traitement s’applique à ces deux dernières catégories. Aux fins du calcul de la contribution annuelle de base d’une entité d’un groupe, le total du passif à prendre en considération n’inclut pas les passifs découlant d’un contrat conclu avec toute autre entité
faisant partie du même groupe. Toutefois, cette exclusion n’est possible que pour autant que toutes les entités du groupe sont établies dans l’Union, sont intégralement incluses dans le même périmètre de consolidation, font l’objet d’une procédure appropriée et centralisée d’évaluation, de mesure et de contrôle des risques et que s’il n’existe, en droit ou en fait, aucun obstacle significatif, actuel ou prévu, au prompt remboursement des passifs considérés à leur date d’échéance. Cela empêche que
des passifs ne soient exclus de la base de calcul des contributions ex ante lorsqu’il n’existe aucune garantie que les expositions de financement intragroupe seront couvertes en cas de détérioration de la santé financière du groupe.
72 À cet égard, la Cour a souligné que l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement délégué 2015/63 n’entendait pas éliminer entièrement toute forme de double comptage des passifs et qu’il n’excluait une telle pratique que pour autant qu’il existait des garanties suffisantes que les expositions de financement intragroupe seraient couvertes en cas de détérioration de la santé financière du groupe (arrêt du 3 décembre 2019, Iccrea Banca, C‑414/18, EU:C:2019:1036, point 94).
73 Partant, la question est de savoir s’il existe, ou non, des garanties suffisantes, au sens de la jurisprudence, que les expositions de financement seront couvertes en cas de détérioration de la santé financière du réseau composé, en l’espèce, de la requérante et des caisses rurales actionnaires. À cet égard, la requérante s’appuie, notamment, sur la clause 4 de l’accord de trésorerie, qui prévoit que les caisses rurales « garantissent conjointement toute défaillance » de sa part à la suite
des investissements réalisés par elle sur le marché interbancaire avec les fonds reçus, ainsi que sur le caractère « permanent et contraignant » de cet accord.
74 À cet égard, il convient de constater que le caractère supposément « permanent et contraignant » de l’accord de trésorerie ne saurait être établi par référence à la simple circonstance selon laquelle cet accord n’a pas été modifié depuis 1994. En effet, même si toute modification de l’accord de trésorerie est soumise à l’approbation du Banco de España (Banque d’Espagne), il n’en reste pas moins que, selon la clause 5 dudit accord, chacune des caisses rurales peut se retirer unilatéralement
de cet accord par notification écrite au conseil d’administration de la requérante avec effet au terme du deuxième mois suivant la réception de la notification audit conseil. En revanche, l’article 113, paragraphe 7, sous f), du règlement (UE) n^o 575/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) n^o 648/2012 (JO 2013, L 176, p. 1), prescrit,
notamment, une obligation de préavis d’au moins 24 mois avant la résiliation de l’accord portant création d’un SPI.
75 En outre, la requérante a confirmé, lors de l’audience, que le réseau qu’elle formait avec les caisses rurales actionnaires ne constituait pas intégralement un même périmètre de consolidation et ne faisait pas l’objet d’une procédure appropriée et centralisée d’évaluation, de mesure et de contrôle des risques, de sorte que sa situation différait tant de celle des groupes, ainsi qu’il ressort, notamment, du considérant 9 du règlement délégué 2015/63, mentionné au point 71 ci-dessus, que de
celle des SPI (voir notamment l’article 113, paragraphe 7, du règlement n^o 575/2013 et point 87 ci-après). La requérante reste en défaut d’expliquer comment, en l’absence d’une telle consolidation et supervision centralisée, il serait possible de vérifier et de s’assurer que les fonds dont disposent les caisses rurales sont suffisants pour couvrir les dettes qui font l’objet des garanties découlant, selon elle, de l’accord de trésorerie.
76 En tout état de cause, c’est à bon droit que le CRU affirme que le règlement délégué 2015/63 ne prévoit pas d’exclusion des passifs du calcul de la contribution ex ante de chaque établissement au cas par cas, mais uniquement en fonction de certaines catégories de passifs, définis de manière abstraite, objective et générale. Or, comme le CRU l’a indiqué, sans être contredit par la requérante, s’il existe des réseaux de caisses rurales dans plusieurs États membres, les conditions
contractuelles et réglementaires dans lesquelles ceux-ci opèrent peuvent varier largement d’un cas à l’autre. Ainsi, l’argument de la requérante, en ce qu’il est notamment fondé sur les spécificités de sa situation individuelle, telle qu’elle découlerait de l’accord de trésorerie, ne saurait entraîner l’illégalité de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63.
77 Partant, la requérante n’a pas démontré qu’il existait des garanties suffisantes que les expositions de financement au titre des activités qu’elle entreprenait pour le compte des caisses rurales seraient couvertes en cas de détérioration de la santé financière du réseau composé, en l’espèce, d’elle-même et des caisses rurales actionnaires.
78 En troisième lieu, il convient de relever que les arguments de la requérante selon lesquels il existerait un « parallélisme évident » entre sa situation et celles visées à l’article 5, paragraphe 1, sous a), b), ou f), du règlement délégué 2015/63 ne sauraient prospérer.
79 Premièrement, il ressort de l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement délégué 2015/63 et du considérant 9 de ce règlement, mentionnés au point 71 ci-dessus, que les passifs intragroupe découlant de transactions conclues par un établissement avec un autre établissement membre du même groupe peuvent être exclus du calcul des contributions ex ante uniquement si les conditions énumérées à cet article sont remplies.
80 La notion de « groupe » est définie à l’article 2, paragraphe 1, point 26, de la directive 2014/59 comme visant « une entreprise mère et ses filiales ». Les notions de « filiale » et d’« entreprise mère » sont, quant à elles, définies à l’article 2, paragraphe 1, points 5 et 6, de ladite directive, par renvoi à l’article 4 du règlement n^o 575/2013, lequel renvoie aux articles 1^er et 2 de la septième directive 83/349/CEE du Conseil, du 13 juin 1983, fondée sur l’article 54, paragraphe 3,
point g), du traité, concernant les comptes consolidés (JO 1983, L 193, p. 1), auxquels correspond, en substance, l’article 22, paragraphes 1 à 5, de la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises, modifiant la directive 2006/43/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant les directives 78/660/CEE et 83/349/CEE du Conseil
(JO 2013, L 182, p. 19). Il découle de ces définitions que le rapport mère-filiale suppose une forme de contrôle impliquant que l’entreprise mère dispose de la majorité des droits de vote exercés par les actionnaires ou associés au sein de sa filiale, d’un droit de nomination ou de révocation de certains dirigeants de cette filiale ou encore d’une influence dominante sur ladite filiale (arrêt du 3 décembre 2019, Iccrea Banca, C‑414/18, EU:C:2019:1036, points 85 et 86).
81 Dans ces conditions, un rapport mère-filiale ne peut être établi par la simple existence de relations économiques traduisant un partenariat entre plusieurs établissements, sans que l’un d’entre eux contrôle les autres membres de l’ensemble qu’il constitue avec ces établissements (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2019, Iccrea Banca, C‑414/18, EU:C:2019:1036, point 87).
82 En l’espèce, la requérante a admis, d’une part, qu’aucune des caisses rurales actionnaires n’exerçait un contrôle effectif sur elle et ne pouvait déterminer de manière prescriptive sa conduite des affaires ou sa stratégie de gestion et, d’autre part, qu’elle ne contrôlait pas les caisses rurales. Partant, la requérante n’a pas établi que les relations commerciales et contractuelles entre elle et les caisses rurales étaient caractérisées par le même degré de contrôle que celui d’un groupe au
sens de l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement délégué 2015/63, ainsi qu’elle l’a admis lors de l’audience.
83 En ce qui concerne le double comptage de passifs, qui est critiqué par la requérante, la Cour a déjà jugé, comme cela est rappelé au point 72 ci-dessus, que l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 n’entendait pas éliminer toute forme de double comptage des passifs (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2019, Iccrea Banca, C‑414/18, EU:C:2019:1036, point 94). En outre, comme cela est relevé au point 74 ci-dessus, la requérante n’a pas démontré qu’il existait des garanties
suffisantes que les expositions de financement seraient couvertes en cas de détérioration de la santé financière du réseau qu’elle compose avec les caisses rurales actionnaires.
84 De surcroît, la prise en compte des principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et de proportionnalité ne saurait justifier un autre résultat, dès lors que le règlement délégué 2015/63 a distingué des situations présentant des particularités notables, directement liées aux risques présentés par les passifs en cause (voir arrêt du 3 décembre 2019, Iccrea Banca, C‑414/18, EU:C:2019:1036, point 95 et jurisprudence citée).
85 En outre, dans l’arrêt du 3 décembre 2019, Iccrea Banca (C‑414/18, EU:C:2019:1036), la Cour a jugé que l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 ne conférait pas un pouvoir discrétionnaire aux autorités compétentes pour exclure certains passifs, au titre de l’adaptation en fonction du risque, des contributions visées à l’article 103, paragraphe 2, de la directive 2014/59, mais énumérait, au contraire, de manière précise les conditions dans lesquelles un passif faisait l’objet
d’une telle exclusion.
86 S’il est vrai que la question préjudicielle dans l’arrêt du 3 décembre 2019, Iccrea Banca (C‑414/18, EU:C:2019:1036), ne concernait pas la légalité de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63, la Cour, ayant considéré le cadre législatif, lequel comportait, notamment, la directive 2014/59 et les principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et de proportionnalité, n’a identifié aucune base pour une interprétation plus large des exceptions énumérées à l’article 5,
paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63. Partant, il découle de cet arrêt que la façon dont la Commission a exercé ses compétences déléguées à cet égard est, selon la Cour, conforme à l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59.
87 Deuxièmement, l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement délégué 2015/63 vise les établissements qui sont membres d’un SPI au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 8, de la directive 2014/59 et qui ont été autorisés par l’autorité compétente à appliquer l’article 113, paragraphe 7, du règlement n^o 575/2013 par le biais d’un accord conclu avec un autre établissement qui est membre du même SPI.
88 Selon l’article 2, paragraphe 1, point 8, de la directive 2014/59, un SPI est un arrangement qui satisfait aux exigences de l’article 113, paragraphe 7, du règlement n^o 575/2013. L’article 113, paragraphe 7, du règlement n^o 575/2013 définit un SPI comme un « arrangement de responsabilité contractuel ou prévu par la loi qui protège les établissements et, en particulier, garantit leur liquidité et leur solvabilité pour éviter la faillite, le cas échéant ». Cet arrangement de responsabilité
doit remplir les conditions cumulatives énumérées dans cette disposition, relatives, notamment, à une supervision prudentielle appropriée, à la disponibilité d’instruments pour le suivi, la classification et le contrôle des risques et des possibilités correspondantes d’exercer une influence, à l’accessibilité de fonds et à la possibilité d’un libre transfert ou d’un remboursement de fonds propres par les contreparties, à la publication de certains rapports consolidés ou agrégés, à l’exigence selon
laquelle les membres sont tenus de donner un préavis de 24 mois au moins s’ils souhaitent mettre fin au système de protection institutionnel, à l’exclusion de la création inappropriée de fonds propres et à une participation suffisamment large et pour l’essentiel homogène.
89 En l’espèce, la requérante ne démontre pas qu’il existe, dans le cadre des relations entre elle et les caisses rurales, des obligations équivalentes aux obligations cumulatives imposées par l’article 113, paragraphe 7, du règlement n^o 575/2013.
90 Troisièmement, il en va de même en ce qui concerne le prétendu parallélisme entre la situation de la requérante et celle prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous f), du règlement délégué 2015/63, relatif aux prêts de développement octroyés par les banques de développement.
91 L’article 5, paragraphe 1, sous f), du règlement délégué 2015/63 prévoit que sont exclus du calcul des contributions ex ante, « dans le cas des établissements qui gèrent des prêts de développement, les passifs de l’établissement intermédiaire envers la banque initiatrice, une autre banque de développement ou un autre établissement intermédiaire, et les passifs de la banque de développement initiatrice envers ses bailleurs de fonds, dans la mesure où le montant des prêts de développement
gérés par cet établissement ou cette banque couvre le montant de ces passifs ».
92 Selon l’article 3, point 28, du règlement délégué 2015/63, on entend par « prêt de développement » un « prêt octroyé par une banque de développement ou un établissement intermédiaire sur une base non concurrentielle et dans un but non lucratif en vue de promouvoir les objectifs de politique publique d’une administration centrale ou régionale d’un État membre ».
93 En l’espèce, la requérante n’a pas établi que, dans le cadre des services bancaires qu’elle offre notamment aux caisses rurales (voir points 5 et 6 ci-dessus), des prêts faisant l’objet de tels services correspondaient ou ressemblaient à des prêts octroyés par une banque de développement ou un établissement intermédiaire sur une base non concurrentielle et dans un but non lucratif en vue de promouvoir les objectifs de politique publique d’une administration centrale ou régionale d’un État
membre.
94 En quatrième lieu, dans la mesure où la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir laissé au CRU une marge d’appréciation afin d’exclure des situations qui ressemblent à celles énumérées à l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63, il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort du point 65 ci-dessus, que les exclusions figurant audit article constituent des exceptions au principe selon lequel tous les passifs, hors fonds propres et dépôts couverts, sont à prendre en
considération, de sorte que l’article 5, paragraphe 1, dudit règlement délégué doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir accordé au CRU une marge d’appréciation lui permettant d’élargir le champ d’application desdites exclusions.
95 En cinquième lieu, il convient de rejeter l’argument de la requérante fondé sur la circonstance selon laquelle les réseaux de coopératives, comme celui dont elle fait partie, constituent une catégorie reconnue dans le cadre de la réglementation prudentielle bancaire, notamment le règlement délégué (UE) 2015/61 de la Commission, du 10 octobre 2014, complétant le règlement (UE) n^o 575/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne l’exigence de couverture des besoins de liquidité
pour les établissements de crédit (JO 2015, L 11, p. 1). Si les spécificités de tels réseaux sont prises en compte dans le cadre de la surveillance prudentielle d’établissements, cela n’implique pas qu’elles le seraient tout autant dans le cadre du financement du MRU, puisqu’il s’agit de règles qui régissent des aspects différents du secteur bancaire. La réglementation prudentielle vise à garantir, notamment, que les institutions financières fonctionnent avec des ressources suffisantes pour assumer
les risques inhérents à leurs activités financières, tandis que les contributions au FRU, en vertu du règlement n^o 806/2014 et du règlement délégué 2015/63, sont destinées à constituer un fonds qui, dans certaines circonstances, peut fournir une assistance en cas de résolution. À cet égard, la Commission a expliqué lors de l’audience, sans être contredite sur ce point par la requérante, que les passifs engendrés dans le contexte du fonctionnement des réseaux de coopératives n’avaient pas été exclus
du calcul des contributions ex ante au titre de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63, car, en l’absence d’exigence d’une supervision centralisée et d’un niveau suffisant de transparence et de contrôle, les superviseurs de tels réseaux ne sauraient s’assurer de la santé financière des entités en cause ni de leur solvabilité à long terme, situation qui contraste avec celle des SPI et des groupes, ainsi qu’il ressort, en substance, du considérant 9 du règlement délégué 2015/63,
mentionné au point 71 ci-dessus.
96 Eu égard à tout ce qui précède, il convient d’écarter la première branche du premier moyen comme étant non fondée.
– Sur la deuxième branche, relative à l’illégalité de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 au regard de l’article 16 de la Charte
97 La requérante soutient que l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 viole l’article 16 de la Charte en ce qu’il restreint de manière disproportionnée son droit à la liberté d’entreprise en empêchant l’exclusion d’un montant important de passifs inscrits à son bilan de la base du calcul de sa contribution ex ante, sans aucun rapport avec son profil de risque.
98 Le CRU, soutenu par la Commission, conteste l’argumentation de la requérante.
99 La protection conférée par l’article 16 de la Charte comporte la liberté d’exercer une activité économique ou commerciale, la liberté contractuelle et la concurrence libre (voir arrêt du 21 décembre 2021, Bank Melli Iran, C‑124/20, EU:C:2021:1035, point 79 et jurisprudence citée).
100 Cependant, la liberté d’entreprise ne constitue pas une prérogative absolue. Elle peut être soumise à un large éventail d’interventions de la puissance publique susceptibles d’établir, dans l’intérêt général, des limitations à l’exercice de l’activité économique (voir, en ce sens, arrêts du 22 janvier 2013, Sky Österreich, C‑283/11, EU:C:2013:28, points 45 et 46 et jurisprudence citée, et du 21 décembre 2021, Bank Melli Iran, C‑124/20, EU:C:2021:1035, points 80 et 81 et jurisprudence citée).
101 Cette circonstance trouve, notamment, son reflet dans la manière dont il convient d’apprécier les actes de l’Union au regard de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 22 janvier 2013, Sky Österreich, C‑283/11, EU:C:2013:28, point 47, et du 21 décembre 2021, Bank Melli Iran, C‑124/20, EU:C:2021:1035, point 82).
102 Conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés consacrés par la Charte doit être prévue par la loi, respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés et, dans le respect du principe de proportionnalité, être nécessaire et répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui (arrêts du 22 janvier 2013, Sky Österreich, C‑283/11,
EU:C:2013:28, point 48, et du 21 décembre 2021, Bank Melli Iran, C‑124/20, EU:C:2021:1035, point 83).
103 En l’espèce, à supposer que l’obligation faite à la requérante de verser des contributions ex ante sans pouvoir bénéficier de l’exclusion de certains de ses passifs de la base de calcul de la contribution annuelle de base en vertu de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 constitue une ingérence dans sa liberté d’entreprise, il y a tout d’abord lieu de relever que cette disposition est adoptée sur la base des articles 69 et 70 du règlement n^o 806/2014 et des articles 102 et
103 de la directive 2014/59, de sorte que l’impossibilité de procéder à l’exclusion des passifs en cause est prévue par la loi.
104 Par ailleurs, en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la condition tenant au respect du contenu essentiel de la liberté d’entreprise n’est pas satisfaite dans la mesure où la contribution ex ante qu’elle doit verser équivaut à environ 20 % du résultat de l’exercice au titre duquel cette contribution est calculée, il convient de relever que l’obligation faite à la requérante de verser des contributions ex ante n’entraîne aucune interdiction pour elle ou, plus généralement,
pour les entreprises engagées dans une activité commerciale d’exercer une telle activité. Par ailleurs, les mesures en cause ont un caractère temporaire, puisqu’elles s’appliquent uniquement pendant la période initiale prévue à l’article 69, paragraphe 1, du règlement n^o 806/2014. Elles respectent donc le contenu essentiel de la liberté d’entreprise (voir, par analogie, arrêt du 12 juillet 2018, Spika e.a., C‑540/16, EU:C:2018:565, point 38).
105 En outre, l’obligation des établissements concernés de contribuer au FRU poursuit un objectif d’intérêt général, ainsi que cela ressort du point 57 ci-dessus, à savoir de garantir, dans une logique d’ordre assurantiel, que le secteur financier procure des ressources financières suffisantes au MRU pour qu’il puisse remplir ses fonctions, tout en encourageant l’adoption, par les établissements concernés, de modes de fonctionnement moins risqués.
106 Au regard de l’objectif mentionné au point 105 ci-dessus, il incombe au CRU de percevoir des contributions auprès des établissements concernés afin de financer la mise en œuvre du MRU, qui vise à renforcer la stabilité de ces établissements dans les États membres participants et à prévenir la propagation d’éventuelles crises aux États membres non participants, conformément au considérant 12 du règlement n^o 806/2014, facilitant ainsi le fonctionnement du marché intérieur dans son ensemble.
107 En outre, s’agissant du caractère proportionné, au regard des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union, de l’exclusion de la situation de la requérante des hypothèses prévues à l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63, celle-ci soutient que cette disposition ne tient pas compte de l’objectif spécifique et concret imposé par le législateur de l’Union selon lequel la méthode de calcul doit refléter le profil de risque de chaque établissement.
108 À cet égard, il convient de préciser que, ainsi que cela ressort du point 105 ci-dessus, l’obligation pour les établissements concernés de contribuer au FRU vise à atteindre un objectif plus large que celui invoqué par la requérante. C’est dans le cadre de cet objectif que l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 vise à empêcher que des passifs ne soient exclus de la base de calcul des contributions ex ante lorsqu’il n’existe aucune garantie que les expositions de financement
en cause seront couvertes en cas de détérioration de la santé financière de l’établissement concerné ou du groupe auquel il appartient.
109 En outre, l’argumentation soulevée par la requérante ne prend pas en compte le fait que le profil de risque d’un établissement est appréhendé non seulement au moyen de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63, mais également au moyen des indicateurs de risque prévus aux articles 6 et 7 dudit règlement délégué, qui permettent, le cas échéant, de prendre en compte les aspects de son fonctionnement révélant un profil de risque peu élevé.
110 Enfin, la requérante n’a pas établi qu’il existait des moyens moins restrictifs pour atteindre d’une manière aussi efficace l’objectif poursuivi. À la lumière de l’analyse figurant, notamment, aux points 70 à 93 ci-dessus, l’affirmation de la requérante selon laquelle la Commission aurait aussi bien pu choisir d’exclure les passifs tels que ceux liés aux activités qu’elle entreprend pour le compte des caisses rurales en ce qu’il existe des garanties suffisantes en vertu de l’accord de
trésorerie évoqué au point 4 ci-dessus ne saurait prospérer, pour les motifs exposés aux points 74 à 96 ci-dessus, et ne saurait, en tout état de cause, suffire à démontrer, notamment, que les établissements concernés sont, du fait de cet accord, encouragés à adopter des modes de fonctionnement moins risqués.
111 Dans ces circonstances, la requérante n’a pas démontré que l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 était contraire à l’article 16 de la Charte.
112 Par conséquent, la deuxième branche du premier moyen doit être écartée comme étant non fondée.
– Sur la troisième branche, relative à l’illégalité de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 au regard du principe de proportionnalité
113 La requérante estime que, en adoptant l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63, la Commission a violé le principe de proportionnalité.
114 Le CRU, soutenu par la Commission, conteste l’argumentation de la requérante.
115 À cet égard, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et
que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés au regard des buts visés (arrêts du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 165, et du 20 janvier 2021, ABLV Bank/CRU, T‑758/18, EU:T:2021:28, point 142 ; voir également, en ce sens, arrêt du 8 juin 2010, Vodafone e.a., C‑58/08, EU:C:2010:321, point 51).
116 Il ressort du point 62 ci-dessus que la Commission disposait d’un large pouvoir d’appréciation aux fins d’adopter, en vertu de l’article 103, paragraphe 7, de la directive 2014/59, les règles précisant la notion d’« adaptation des contributions ex ante en fonction du profil de risque des établissements ».
117 Dans ces conditions, et conformément à la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, points 80, 81 et 91, et du 21 décembre 2022, Firearms United Network e.a./Commission, T‑187/21, non publié, EU:T:2022:848, points 122 et 123 et jurisprudence citée), le contrôle par le Tribunal du respect du principe de proportionnalité doit se limiter à examiner si l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 est manifestement inapproprié par
rapport à l’objectif que la Commission entend poursuivre, s’il ne va pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ou s’il n’entraîne pas des inconvénients manifestement disproportionnés par rapport à l’objectif poursuivi.
118 En premier lieu, ainsi qu’il ressort du point 149 de la requête, la requérante ne conteste pas que l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 est apte à contribuer à la réalisation de l’objectif mentionné au point 57 ci-dessus.
119 En deuxième lieu, en ce qui concerne la nécessité de la mesure prévue par l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63, il convient de rappeler que cette disposition exclut de la base de calcul des contributions ex ante des montants figurant au passif des établissements qui, pour différents motifs, présentent moins de risque.
120 À cet égard, il ressort des points 54 à 96 ci-dessus que le grief de la requérante selon lequel la Commission a erronément exclu de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 des passifs liés aux activités qu’elle entreprend pour les caisses rurales doit être rejeté.
121 Dans ces conditions, au regard du large pouvoir d’appréciation dont la Commission dispose, cette dernière pouvait estimer que, afin d’atteindre l’objectif mentionné au point 57 ci-dessus, il n’était pas souhaitable d’exclure du calcul de base des contributions ex ante, au titre de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63, les passifs liés aux activités que la requérante entreprend pour les caisses rurales, au motif, en substance, qu’il n’existait pas de garanties suffisantes
que les expositions de financement de cette dernière, au titre des activités qu’elle entreprend pour le compte des caisses rurales, seraient couvertes en cas de détérioration de sa santé financière. Partant, cette disposition ne va pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
122 En troisième lieu, ainsi qu’il ressort également du point 110 ci-dessus, la requérante n’a pas démontré que l’objectif mentionné au point 57 ci-dessus pourrait être atteint d’une manière aussi efficace au moyen d’une mesure moins contraignante, à savoir, en l’espèce, l’inclusion, à l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63, des passifs liés aux activités qu’elle entreprend pour les caisses rurales.
123 En outre, en ce qui concerne l’existence d’éventuels inconvénients manifestement disproportionnés par rapport à l’objectif mentionné au point 57 ci-dessus, il convient de constater que la seule affirmation selon laquelle l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63 met en péril la mission assumée par la requérante à l’égard des caisses rurales et la prive de sa raison d’être économique ne saurait suffire pour établir l’existence de tels inconvénients. En effet, aucun élément du
dossier ne suggère que la mission de la requérante a été mise en péril par le fait que sa contribution ex ante pour la période de contribution 2016 a été calculée sans que les passifs en cause en soient exclus, conformément, notamment, à l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63.
124 À ce titre, l’argumentation de la requérante ne permet pas de comprendre les raisons pour lesquelles il aurait été, comme elle le prétend, nécessaire de rechercher une plus grande cohérence entre le domaine de la surveillance prudentielle et celui de la résolution. Notamment, la requérante ne met aucunement en relation l’objectif poursuivi par le système des contributions ex ante avec les dispositions de la réglementation en matière de surveillance prudentielle.
125 Par conséquent, il convient d’écarter la troisième branche du premier moyen comme étant non fondée et, partant, de rejeter ledit moyen dans son intégralité.
Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 103, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/59 et de l’article 70 du règlement n^o 806/2014
126 Par le deuxième moyen, la requérante demande au Tribunal, dans l’hypothèse où il accueillerait le premier moyen, de statuer sur la décision attaquée sans tenir compte des dispositions de l’article 5, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/63. En particulier, selon la requérante, il convient de statuer sur cette décision en se référant uniquement aux critères énoncés dans les dispositions correspondantes de la directive 2014/59 et du règlement n^o 806/2014.
127 Or, le premier moyen ayant été rejeté, le deuxième moyen doit également être rejeté par voie de conséquence.
Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique
128 La requérante fait valoir que la décision attaquée viole le principe de sécurité juridique en ce que son dispositif prévoit qu’elle prend effet le 15 avril 2016, à savoir au moment de la prise d’effet de la première des décisions initiales. Le principe de sécurité juridique s’opposerait à ce que le point de départ de la durée de validité d’un acte soit fixé à une date antérieure à sa publication. Exceptionnellement, un acte de l’Union peut avoir un effet rétroactif lorsque le but à atteindre
l’exige, lorsque la confiance légitime des intéressés est dûment respectée et lorsque son effet rétroactif ressort clairement de la règle concernée. En l’espèce, ces conditions ne seraient pas satisfaites.
129 Le CRU conteste l’argumentation de la requérante.
130 La décision attaquée a été adoptée le 7 décembre 2022 et, conformément à ce que prévoit l’article 4 de son dispositif, elle a pris effet le 15 avril 2016, à savoir au moment de la prise d’effet de la première des décisions initiales, lesquelles avaient elles-mêmes été remplacées, également avec effet au 15 avril 2016, par la décision du 19 mars 2020, ainsi que cela ressort des points 10 et 13 ci-dessus. Cette dernière décision a également pris effet le 15 avril 2016, conformément à ce que
prévoyait l’article 3 de son dispositif.
131 Il découle des considérants 19 à 22 de la décision attaquée que celle-ci visait à remédier au défaut de motivation de la décision du 19 mars 2020 que le CRU avait constaté à la suite de l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU (C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601), ainsi que des ordonnances du 3 mars 2022, CRU/Portigon et Commission (C‑664/20 P, non publiée, EU:C:2022:161), et du 3 mars 2022, CRU/Hypo Vorarlberg Bank (C‑663/20 P, non publiée,
EU:C:2022:162), relatifs au calcul du montant des contributions ex ante pour la période de contribution 2017.
132 En outre, comme cela ressort des considérants 6 à 8 de la décision du 19 mars 2020, cette dernière a été adoptée afin de remédier aux vices de procédure et au défaut de motivation des décisions initiales, que le Tribunal avait constatés dans les arrêts du 28 novembre 2019, Banco Cooperativo Español/CRU (T‑323/16, EU:T:2019:822), du 28 novembre 2019, Hypo Vorarlberg Bank/CRU (T‑377/16, T‑645/16 et T‑809/16, EU:T:2019:823), et du 28 novembre 2019, Portigon/CRU (T‑365/16, EU:T:2019:824).
133 Partant, la décision attaquée et les arrêts et ordonnances susmentionnés n’ont pas modifié la portée de l’obligation de la requérante de verser une contribution ex ante pour la période de contribution 2016, telle qu’elle avait été arrêtée par la seconde des décisions initiales et telle qu’elle avait existé pour cette période de contribution.
134 En effet, le calcul de la contribution ex ante de la requérante pour la période de contribution 2016 ainsi que le montant de cette contribution étaient les mêmes dans la seconde des décisions initiales, dans la décision du 19 mars 2020 et dans la décision attaquée. À cet égard, les seuls éléments nouveaux introduits par la décision attaquée se trouvaient dans une motivation plus étendue du calcul de la contribution ex ante de la requérante pour la période de contribution 2016.
135 Aux considérants 188 à 194 de la décision attaquée, le CRU a exposé les raisons pour lesquelles il avait fixé les effets dans le temps de la décision attaquée de la manière décrite au point 130 ci-dessus. Il a, notamment, précisé qu’il avait procédé ainsi afin de maintenir le titre juridique par lequel les contributions ex ante des établissements concernés avaient été perçues pendant la période de contribution 2016 et de préserver la validité du paiement de ces contributions.
136 Selon la jurisprudence, le principe de sécurité juridique s’oppose à ce que la portée d’un acte de l’Union dans le temps voie son point de départ fixé à une date antérieure à son adoption, sauf lorsque, à titre exceptionnel, le but à atteindre l’exige et la confiance légitime des intéressés est dûment respectée (voir, en ce sens, arrêts du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, EU:C:1990:391, point 45 et jurisprudence citée, et du 5 septembre 2014, Éditions Odile Jacob/Commission, T‑471/11,
EU:T:2014:739, point 102 et jurisprudence citée).
137 En premier lieu, s’agissant de la question de savoir si le but à atteindre par la décision attaquée exigeait que cette dernière prenne effet à une date antérieure à la date de son adoption, il convient de tenir compte du contexte dans lequel cette décision a été prise.
138 À cet égard, il ressort des points 10 à 13 ci-dessus que l’arrêt ayant annulé la première des décisions initiales ainsi que les arrêts ayant conduit au retrait de la décision du 19 mars 2020 n’ont ni levé l’obligation de la requérante de s’acquitter de sa contribution ex ante pour la période de contribution 2016, conformément au cadre juridique applicable, ni revu à la baisse le montant de ladite contribution, ce que la requérante ne conteste pas.
139 Dans ces conditions particulières, si le CRU n’avait pas adopté la décision attaquée en lui donnant effet à compter de la date d’effet de la première des décisions initiales, la décision attaquée n’aurait pas pu déployer ses effets pendant la période allant du 15 avril 2016 au 7 décembre 2022, au cours de laquelle la requérante aurait été dispensée de son obligation de verser une contribution ex ante pour la période de contribution 2016, alors qu’elle était soumise à cette obligation en vertu
de l’article 2, de l’article 67, paragraphe 4, et des articles 69 et 70 du règlement n^o 806/2014. De même, au cours de cette période, le FRU aurait été privé, en méconnaissance de ces mêmes dispositions, des fonds provenant de la contribution ex ante de la requérante, ce qui aurait porté atteinte à la mise en œuvre de la directive 2014/59, du règlement n^o 806/2014 et du règlement délégué 2015/63 (voir, par analogie, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU,
C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, points 176 et 177).
140 Par conséquent, le fait d’adopter la décision attaquée avec effet à compter du 15 avril 2016 visait à assurer une concomitance entre l’applicabilité de la décision attaquée et le moment auquel l’obligation de la requérante de verser une contribution ex ante pour la période de contribution 2016 avait pris naissance et, ainsi, à éviter un résultat contraire à la réglementation applicable. Or, l’atteinte d’un tel but légitime et d’intérêt public exigeait que cette décision prenne effet à une
date antérieure à celle de son adoption, à savoir à la même date que la décision du 19 mars 2020 qu’elle remplaçait.
141 En second lieu, rien n’indique que la confiance légitime de la requérante ou celle de tiers n’a pas été dûment respectée dans les circonstances de l’espèce. La requérante ne saurait prétendre, d’une part, que l’arrêt du 28 novembre 2019, Banco Cooperativo Español/CRU (T‑323/16, EU:T:2019:822), a fait naître une confiance légitime dans le fait que la décision attaquée ne prendrait pas effet à une date antérieure à la date de son adoption, ou, d’autre part, que les arrêts ayant annulé la
première des décisions initiales et conduit au retrait de la décision du 19 mars 2020 pouvaient faire naître une confiance légitime dans le fait qu’elle ne serait assujettie au paiement de sa contribution ex ante pour la période de contribution 2016 qu’à partir d’une date postérieure, lorsqu’une nouvelle décision aurait été adoptée. Contrairement à ce qu’exige la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêt du 16 septembre 2021, FVE Holýšov I e.a./Commission, C‑850/19 P, non publié, EU:C:2021:740,
point 34 et jurisprudence citée), aucune institution n’a fourni des renseignements précis, inconditionnels et concordants en ce sens à la requérante (voir points 133 et 134 ci-dessus).
142 En outre, l’article 266 TFUE n’oblige l’institution dont émane un acte annulé que dans les limites de ce qui est nécessaire pour assurer l’exécution de l’arrêt d’annulation. En ce sens, cette disposition impose à l’institution concernée d’éviter que tout acte destiné à remplacer l’acte annulé ne soit entaché des mêmes irrégularités que celles identifiées dans ledit arrêt (voir arrêt du 11 décembre 2017, Léon Van Parys/Commission, T‑125/16, EU:T:2017:884, point 49 et jurisprudence citée). Pour
se conformer à un arrêt d’annulation et lui donner pleine exécution, l’institution est tenue de respecter non seulement le dispositif de l’arrêt, mais également les motifs qui ont amené à celui-ci et en constituent le soutien nécessaire, en ce sens qu’ils sont indispensables pour déterminer le sens exact de ce qui a été jugé dans le dispositif (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2007, Italie/Commission, C‑417/06 P, non publié, EU:C:2007:733, point 50 et jurisprudence citée).
143 Il s’ensuit que, pour adopter une nouvelle décision conforme aux motifs constituant le soutien nécessaire du dispositif de l’arrêt du 28 novembre 2019, Banco Cooperativo Español/CRU (T‑323/16, EU:T:2019:822), le CRU était tenu de respecter les formes qui avaient été violées durant la procédure d’adoption de la décision litigieuse. Cette circonstance n’a pas pu engendrer une quelconque attente chez la requérante quant au fait que la décision attaquée ne produirait pas d’effet à une date
antérieure à la date de la décision qu’elle venait remplacer ou qu’elle-même ne serait assujettie au paiement de la contribution ex ante pour la période de contribution 2016 qu’à partir d’une date postérieure, lorsqu’une nouvelle décision aurait été adoptée (voir, par analogie, arrêt du 11 janvier 2024, Eurobolt e.a./Commission et Stafa Group, C‑517/22 P, EU:C:2024:9, points 55 et 56 et jurisprudence citée).
144 Il convient donc de relever que, contrairement à ce qu’affirme la requérante, la décision attaquée n’a pas violé le principe de sécurité juridique, dans la mesure où les conditions mentionnées au point 136 ci-dessus sont remplies et où, en l’espèce, le CRU était en droit de fixer le point de départ de la décision attaquée à une date antérieure à celle de son adoption, à savoir le 15 avril 2016, qui correspond à la date de la première des décisions initiales. Au demeurant, il en va de même en
ce qui concerne la décision du 19 mars 2020.
145 Eu égard à ce qui précède, il convient d’écarter le troisième moyen comme étant non fondé et, partant, de rejeter les conclusions en annulation présentées par la requérante.
Sur les demandes indemnitaires
146 La requérante invoque la responsabilité non contractuelle de l’Union en vue de réclamer les intérêts moratoires dont cette dernière lui serait redevable depuis le 23 juin 2016, date à laquelle elle a versé sa contribution ex ante pour la période de contribution 2016 sur la base de la première des décisions initiales, laquelle aurait été annulée par le Tribunal, en ce qu’elle la concernait, dans son arrêt du 28 novembre 2019, Banco Cooperativo Español/CRU (T‑323/16, EU:T:2019:822). En
particulier, le CRU lui serait redevable de ces intérêts dans la mesure où il ne lui aurait pas remboursé sa contribution ex ante depuis cette annulation. En d’autres termes, le CRU se serait enrichi sans cause. Dans ces conditions, la requérante fonde ses demandes tant sur l’enrichissement sans cause que sur les articles 268 et 340 TFUE.
147 Le CRU conteste l’argumentation de la requérante.
148 En ce qui concerne, tout d’abord, le droit de la requérante d’engager une action fondée sur l’enrichissement sans cause, il suffit de rappeler que le recours fondé sur un tel enrichissement ne relève pas du régime de la responsabilité non contractuelle au sens strict, dont l’engagement dépend de la réunion d’un ensemble de conditions relatives à l’illégalité du comportement reproché à l’Union, à la réalité du dommage et à l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le
préjudice invoqué. Il se distingue des recours introduits en vertu dudit régime en ce qu’il n’exige pas la preuve d’un comportement illégal de la partie défenderesse, ni même l’existence d’un comportement tout court, mais seulement la preuve d’un enrichissement sans base légale valable de la partie défenderesse et d’un appauvrissement de la partie requérante lié audit enrichissement (voir arrêt du 23 novembre 2022, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission, T‑275/20, EU:T:2022:723, point 48 et
jurisprudence citée).
149 Une telle action fondée sur l’enrichissement sans cause ne saurait prospérer dans la présente affaire dans la mesure où, ainsi qu’il a été relevé aux points 139 à 144 ci-dessus, la requérante était redevable, depuis le 15 avril 2016, de sa contribution ex ante pour la période de contribution 2016 en vertu de l’article 2, de l’article 67, paragraphe 4, et des articles 69 et 70 du règlement n^o 806/2014 et l’est restée à la suite du prononcé de l’arrêt du 28 novembre 2019, Banco Cooperativo
Español/CRU (T‑323/16, EU:T:2019:822), étant donné que cet arrêt n’a pas eu pour conséquence l’annulation de son obligation de contribuer au FRU pour la période de contribution 2016, conformément aux dispositions susmentionnées. En l’espèce, eu égard aux dates auxquelles la décision du 19 mars 2020 et la décision attaquée ont pris effet, à savoir le 15 avril 2016, il n’incombait pas au CRU, afin d’éviter un enrichissement sans cause, de rembourser à la requérante tout ou partie de sa contribution ex
ante pour l’année de contribution 2016.
150 Par ailleurs, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, en matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.
151 Conformément à la jurisprudence, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre la violation de l’obligation qui incombe à l’auteur de l’acte et le dommage subi par
les personnes lésées (voir arrêt du 5 mars 2024, Kočner/Europol, C‑755/21 P, EU:C:2024:202, point 117 et jurisprudence citée).
152 Dès lors que l’une des conditions mentionnées au point 151 ci-dessus n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de la responsabilité non contractuelle de l’Union (voir arrêts du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 165 et jurisprudence citée, et du 21 décembre 2023, United Parcel Service/Commission, C‑297/22 P, EU:C:2023:1027, point 61 et
jurisprudence citée).
153 En l’espèce, ainsi qu’il ressort de l’analyse des moyens présentés à l’appui des conclusions en annulation, la requérante n’a pas établi l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Par conséquent, il convient également de rejeter les présentes demandes indemnitaires dans la mesure où elles sont fondées sur les articles 268 et 340 TFUE.
154 Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arrêts du 20 janvier 2021, Commission/Printeos (C‑301/19 P, EU:C:2021:39), et du 11 juin 2024, Commission/Deutsche Telekom (C‑221/22 P, EU:C:2024:488), qui ont été invoqués par la requérante, respectivement dans ses mémoires et à l’audience.
155 Au point 56 de l’arrêt du 11 juin 2024, Commission/Deutsche Telekom (C‑221/22 P, EU:C:2024:488), la Cour a rappelé qu’il ressortait de la jurisprudence que, lorsque des sommes d’argent avaient été perçues en violation du droit de l’Union, que ce soit par une autorité nationale ou une institution, un organe ou un organisme de l’Union, ces sommes d’argent devaient être restituées et cette restitution devait être majorée d’intérêts couvrant toute la période allant de la date de paiement de ces
sommes d’argent à la date de leur restitution, ce qui constituait l’expression d’un principe général de répétition de l’indu.
156 En outre, ainsi que la Cour l’a jugé au point 62 de l’arrêt du 11 juin 2024, Commission/Deutsche Telekom (C‑221/22 P, EU:C:2024:488), et ainsi qu’il ressort, en substance, des points 103 et 104 de l’arrêt du 20 janvier 2021, Commission/Printeos (C‑301/19 P, EU:C:2021:39), lorsqu’une institution, un organe ou un organisme de l’Union est obligé, en vertu de l’article 266, premier alinéa, TFUE, d’assortir d’intérêts le remboursement d’une somme d’argent déterminée, il ne dispose d’aucune marge
d’appréciation quant à l’opportunité de verser ces intérêts, de sorte que la simple infraction au droit de l’Union consistant dans le refus de payer lesdits intérêts suffit à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée de ce droit, susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union.
157 Or, à la différence de la partie requérante dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 20 janvier 2021, Commission/Printeos (C‑301/19 P, EU:C:2021:39), et du 11 juin 2024, Commission/Deutsche Telekom (C‑221/22 P, EU:C:2024:488), par lesquels il a été constaté à titre définitif par la Cour que les amendes alors en cause avaient été indûment payées, la requérante demeurait redevable, à partir du 15 avril 2016, de la contribution ex ante mise à sa charge pour la période contribution 2016,
en vertu de l’article 2, de l’article 67, paragraphe 4, et des articles 69 et 70 du règlement n^o 806/2014, dont le montant n’a pas été revu à la baisse (voir points 138 et 149 ci-dessus).
158 En outre, et contrairement aux décisions en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 20 janvier 2021, Commission/Printeos (C‑301/19 P, EU:C:2021:39), et du 11 juin 2024, Commission/Deutsche Telekom (C‑221/22 P, EU:C:2024:488), tant la décision attaquée que la décision du 19 mars 2020 ont pris effet, sans méconnaître le principe de sécurité juridique (voir point 144 ci‑dessus), à une date antérieure à celle de leur adoption, à savoir le 15 avril 2016, de sorte qu’aucun intérêt
moratoire ne serait dû pour la période allant du 23 juin 2016, date à laquelle la requérante s’est acquittée de sa contribution ex ante pour la période de contribution 2016, à la date d’adoption de l’une de ces décisions.
159 Ainsi, le CRU n’était tenu de procéder à aucun remboursement des contributions ex ante, assorties d’intérêts.
160 Eu égard à ce qui précède, les demandes indemnitaires de la requérante doivent être rejetées.
Sur les dépens
161 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du CRU, conformément aux conclusions de ce dernier.
162 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, la Commission supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Banco Cooperativo Español, S.A.supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de résolution unique (CRU).
3) La Commission européenne supportera ses propres dépens.
Kornezov Petrlík Kecsmár
Kingston Spangsberg Grønfeldt
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 avril 2025.
Signatures
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* Langue de procédure : l’espagnol.