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30/04/2025 | CJUE | N°T-202/23

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Ville Kivikoski e.a. contre Conseil de l'Union européenne., 30/04/2025, T-202/23


ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

30 avril 2025 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Promotion – Exercice de promotion 2022 – Décision de ne pas promouvoir le requérant au grade AST 8 – Recours en annulation – Intérêt à agir – Démonstration de la perspective d’être promu – Recevabilité – Article 6, paragraphe 2, du statut – Taux multiplicateurs de référence – Article 45, paragraphe 1, du statut – Comparaison des mérites »

Dans l’affaire T‑202/23,

Ville Kivikoski, demeurant à Wezembeek

-Oppem (Belgique),

Ottavia Maffia, demeurant à Bruxelles (Belgique),

Peter Pristovnik, demeurant à Bruxelles,

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ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

30 avril 2025 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Promotion – Exercice de promotion 2022 – Décision de ne pas promouvoir le requérant au grade AST 8 – Recours en annulation – Intérêt à agir – Démonstration de la perspective d’être promu – Recevabilité – Article 6, paragraphe 2, du statut – Taux multiplicateurs de référence – Article 45, paragraphe 1, du statut – Comparaison des mérites »

Dans l’affaire T‑202/23,

Ville Kivikoski, demeurant à Wezembeek-Oppem (Belgique),

Ottavia Maffia, demeurant à Bruxelles (Belgique),

Peter Pristovnik, demeurant à Bruxelles,

représentés par M^e N. de Montigny, avocate,

parties requérantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bauer et M^me I. Demoulin, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),

composé de MM. S. Papasavvas, président, L. Truchot, H. Kanninen, M. Sampol Pucurull et M^me T. Perišin (rapporteure), juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 18 septembre 2024,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur recours fondé sur l’article 270 TFUE, les requérants, M. Ville Kivikoski, M^me Ottavia Maffia et M. Peter Pristovnik, demandent l’annulation de la décision du Conseil de l’Union européenne du 13 juillet 2022 de ne pas les promouvoir au grade AST 8 au titre de l’exercice de promotion 2022 (ci-après la « décision de non-promotion »).

 Antécédents du litige

2        Les requérants sont des fonctionnaires du Conseil de grade AST 7.

3        Le 20 juin 2022, par la communication au personnel n^o 30/22, le secrétariat général du Conseil a publié la liste des fonctionnaires promouvables justifiant, notamment, d’au moins deux années d’ancienneté dans leur grade au 1^er janvier 2022, ainsi que le nombre de promotions disponibles pour chaque groupe de fonctions et chaque grade, au titre de l’exercice de promotion 2022. Cette liste mentionnait les noms des requérants parmi les 81 fonctionnaires promouvables au grade AST 8 et
annonçait l’ouverture de 18 possibilités de promotion à ce grade.

4        Le 13 juillet 2022, par la communication au personnel n^o 38/22, l’autorité investie du pouvoir de nomination du Conseil a adopté la décision de non-promotion en publiant et en approuvant la liste des membres du personnel du groupe de fonctions AST recommandés à la promotion par la commission consultative de promotion. Les noms des requérants ne figuraient pas sur cette liste.

5        Le 12 octobre 2022, les requérants ont introduit une réclamation contre la décision de non-promotion, sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »).

6        Au titre de leur réclamation, les requérants ont fait valoir que la décision de non-promotion, d’une part, contrevenait à l’article 6, paragraphe 2, du statut, lu en combinaison avec l’annexe I, section B, dudit statut (ci-après les « règles statutaires »), dès lors que 37 possibilités de promotion, au lieu de 18, auraient dû être ouvertes au grade AST 8 pour l’exercice de promotion 2022 et, d’autre part, portait atteinte aux principes d’égalité de traitement, de prévisibilité et de
sécurité juridique.

7        Le 2 février 2023, la secrétaire générale du Conseil a rejeté la réclamation des requérants (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »).

8        Dans la décision de rejet de la réclamation, la secrétaire générale du Conseil a considéré que la réclamation des requérants était irrecevable au motif que ces derniers n’avaient pas démontré que, dans l’hypothèse où le nombre de postes devant être ouverts à la promotion selon eux aurait été respecté, ils auraient eu une perspective d’être promus. À titre subsidiaire, elle a soutenu qu’il y n’avait pas lieu d’appliquer les taux prévus à l’annexe I, section B, du statut (ci-après les « taux
multiplicateurs »), en relevant que leur application aurait conduit à une promotion automatique des fonctionnaires de grade AST 7 après deux années passées dans ce grade, ce qui aurait contrevenu au principe de promotion fondée sur le mérite, prévu à l’article 45 du statut. Enfin, la secrétaire générale du Conseil a estimé que les requérants n’avaient pas fait l’objet d’une inégalité de traitement, dès lors qu’ils ne se trouvaient pas dans une situation comparable à celle de fonctionnaires relevant
de grades différents.

 Conclusions des parties

9        Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision de non-promotion ;

–        pour autant que de besoin, annuler la décision de rejet de la réclamation ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

10      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du recours

11      Par leurs premier et deuxième chefs de conclusions, les requérants demandent l’annulation de la décision de non-promotion et, pour autant que de besoin, de la décision de rejet de la réclamation.

12      La décision explicite de rejet de la réclamation étant dépourvue de contenu autonome, en ce qu’elle ne fait que confirmer la décision de non-promotion, il y a lieu de considérer que les présentes conclusions en annulation tendent seulement à l’annulation de la décision de non-promotion, dont la légalité sera appréciée en tenant compte de la motivation figurant dans la décision de rejet de la réclamation (voir, en ce sens, arrêts du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, EU:C:1989:8,
point 8, et du 6 juillet 2022, MZ/Commission, T‑631/20, EU:T:2022:426, point 21). 

 Sur la recevabilité du recours

13      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, le Conseil considère, en substance, que le recours est irrecevable. À cet égard, s’il ne conteste pas que la décision de non-promotion fait grief aux requérants, il estime, toutefois, sur le fondement, notamment, de l’arrêt du 14 février 2017, Schönberger/Cour des comptes (T‑688/15 P, non publié, EU:T:2017:76), que ces derniers n’ont pas établi qu’ils
disposaient d’un intérêt à agir contre cette décision. Selon lui, il appartenait aux requérants de démontrer que, compte tenu de leur situation personnelle et en l’absence de la violation alléguée de l’article 6, paragraphe 2, du statut, l’annulation de ladite décision pouvait leur ouvrir la perspective d’être promus au grade AST 8.

14      Les requérants contestent l’argumentation du Conseil et font valoir que le recours est recevable.

15      Il convient de rappeler qu’un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle‑même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt du 6 juillet 2023, Julien/Conseil, C‑285/22 P, non publié,
EU:C:2023:551, point 47 et jurisprudence citée, et ordonnance du 22 décembre 2023, TB/ENISA, T‑322/21, non publiée, EU:T:2023:877, point 22 et jurisprudence citée).

16      En outre, il découle d’une jurisprudence constante qu’un fonctionnaire n’est pas habilité à agir dans l’intérêt de la loi ou des institutions et ne peut faire valoir, à l’appui d’un recours en annulation, que des griefs qui lui sont personnels (voir ordonnance du 8 mars 2007, Strack/Commission, C‑237/06 P, EU:C:2007:156, point 64 et jurisprudence citée). En particulier, seuls peuvent être considérés comme faisant grief des actes affectant directement et immédiatement la situation juridique
des intéressés, cette appréciation ne devant pas se faire in abstracto, mais au regard de la situation personnelle de la partie requérante (voir arrêt du 24 avril 2009, Sanchez Ferriz e.a./Commission, T‑492/07 P, EU:T:2009:116, point 26 et jurisprudence citée).

17      Dans ce contexte, d’une part, la liste des fonctionnaires promus constitue un faisceau d’actes à caractère individuel adressés aux fonctionnaires promus au grade concerné. Ce faisceau d’actes fait toutefois grief aux fonctionnaires dont les noms ne figurent pas sur la liste dans la mesure où il constitue un refus implicite de les promouvoir (voir arrêt du 24 avril 2009, Sanchez Ferriz e.a./Commission, T‑492/07 P, EU:T:2009:116, point 32 et jurisprudence citée).

18      D’autre part, lorsqu’un fonctionnaire se fonde sur un moyen tiré d’une incompatibilité des taux multiplicateurs appliqués dans le cadre d’un exercice de promotion avec l’article 6, paragraphe 2, du statut, il est tenu d’établir son intérêt à l’invoquer, en démontrant que, compte tenu de sa situation personnelle, dans l’hypothèse où le nombre de postes revendiqué aurait été respecté, il aurait eu une perspective d’être promu (voir, en ce sens, arrêts du 24 avril 2009, Sanchez Ferriz
e.a./Commission, T‑492/07 P, EU:T:2009:116, point 34, et du 14 février 2017, Schönberger/Cour des comptes, T‑688/15 P, non publié, EU:T:2017:76, points 64 à 66).

19      En l’espèce, en premier lieu, il convient de relever que la décision de non-promotion fait grief aux requérants, dès lors que leurs noms n’apparaissent pas sur la liste visée au point 4 ci-dessus et qu’elle constitue ainsi un refus implicite de les promouvoir.

20      En second lieu, s’agissant de la démonstration de l’intérêt des requérants à invoquer une incompatibilité des taux multiplicateurs appliqués avec l’article 6, paragraphe 2, du statut, il convient de rappeler que, en vertu de cette disposition, sans préjudice du principe de promotion fondée sur le mérite, énoncé à l’article 45 du statut, le nombre d’emplois vacants pour chaque grade est égal, au 1^er janvier de chaque année, au nombre de fonctionnaires en activité au grade inférieur au
1^er janvier de l’année précédente, multiplié par les taux fixés, pour ce grade, à l’annexe I, section B, du statut, soit 25 % pour les grades AST 5 à AST 8. Ces taux s’appliquent sur une base quinquennale moyenne à compter du 1^er janvier 2014.

21      À ce titre, l’expression « fonctionnaires en activité » renvoie à l’une des positions visées à l’article 35 du statut. Il résulte d’une lecture combinée de cette disposition avec l’article 6, paragraphe 2, du statut, que, dans le cadre de la détermination annuelle du nombre d’emplois vacants pour chaque grade, seule la position administrative des fonctionnaires en activité au grade inférieur au 1^er janvier de l’année précédente doit être prise en compte, sans égard à leur éligibilité à une
éventuelle promotion.

22      Ainsi, selon les requérants, dans l’hypothèse où les taux multiplicateurs auraient été appliqués, 37 possibilités de promotion auraient dû être disponibles au grade AST 8 pour l’exercice de promotion 2022 au lieu des 18 annoncées dans le cadre de la communication au personnel n^o 30/22.

23      Dans ce contexte, les requérants font valoir, sur le fondement des éléments présentés par la secrétaire générale du Conseil dans la décision de rejet de la réclamation que, notamment, ils justifiaient d’un minimum de deux années d’ancienneté au grade AST 7 et présentaient des rapports d’évaluation satisfaisants avec des notes comparables à celles des autres fonctionnaires promouvables.

24      À cet égard, il est constant que l’ensemble des fonctionnaires promouvables au grade AST 8, dont les requérants, justifiaient d’un minimum de deux années d’ancienneté au grade AST 7 au 1^er janvier 2022, conformément à l’article 45, paragraphe 1, du statut.

25      Certes, la secrétaire générale du Conseil a relevé, dans la décision de rejet de la réclamation et sans que cela soit contesté par les requérants, que l’ensemble des fonctionnaires promouvables avaient une ancienneté égale ou supérieure à celle de M. Pristovnik et que 49 d’entre eux avaient une ancienneté égale ou supérieure à celle de M. Kivikoski et de M^me Maffia.

26      Toutefois, il y a lieu de constater qu’une telle circonstance n’excluait pas que les requérants aient eu une perspective de promotion au grade AST 8 lors de l’exercice de promotion 2022. En effet, si une telle ancienneté n’est pas suffisante, à elle seule, pour caractériser une perspective de promotion (voir, en ce sens, ordonnance du 30 septembre 2015, Schönberger/Cour des comptes, F‑14/12 RENV, EU:F:2015:112, point 47), elle ne saurait non plus permettre de l’exclure. Ce constat tient
compte, par ailleurs, du fait que le doublement du nombre de possibilités de promotion au grade AST 8 en application des taux multiplicateurs aurait augmenté, concomitamment, les chances et, en conséquence, les perspectives des requérants d’être promus lors de l’exercice de promotion 2022.

27      Il en va de même du fait, allégué par la secrétaire générale du Conseil dans la décision de rejet de la réclamation, que les requérants ne se distinguaient pas des autres fonctionnaires promouvables au grade AST 8 en termes de notation ou de responsabilités exercées au titre de leurs fonctions. Ces circonstances tendent, au contraire, à démontrer que, dans l’hypothèse où les taux multiplicateurs auraient été appliqués, les requérants auraient eu la perspective, au même titre que les autres
fonctionnaires promouvables et sous réserve de l’examen comparatif des mérites prévu à l’article 45, paragraphe 1, du statut, d’être promus dans le cadre de l’exercice de promotion 2022. Il en va d’autant plus ainsi que, comme l’a confirmé le Conseil lors de l’audience, aucun critère spécifique n’était prévu, lors de l’exercice de promotion 2022, pour la promotion au grade AST 8.

28      Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que les requérants ont établi que, compte tenu de leur situation personnelle respective, dans l’hypothèse où le nombre de possibilités de promotion au grade AST 8 qu’ils revendiquent aurait été respecté dans le cadre de l’exercice de promotion 2022, ils avaient une perspective d’être promus. En conséquence, ils ont démontré un intérêt à invoquer une incompatibilité des taux multiplicateurs appliqués avec l’article 6, paragraphe 2, du statut et,
partant, leur intérêt à agir.

29      Il s’ensuit que le recours est recevable.

 Sur le fond

30      À l’appui de leur recours, les requérants invoquent deux moyens, tirés, le premier, d’une application erronée des règles statutaires et, le second, d’une atteinte aux principes d’égalité de traitement, de prévisibilité et de sécurité juridique.

31      Par leur premier moyen, les requérants font valoir que, en vertu des règles statutaires, le nombre de possibilités de promotion au grade AST 8 pour l’exercice de promotion 2022 aurait dû être égal au nombre de fonctionnaires en activité au 1^er janvier 2021 au grade AST 7, multiplié par 0,25 (25 %). À ce titre, les requérants indiquent que, au 1^er janvier 2021, 145 fonctionnaires relevaient du grade AST 7 et, en conséquence, que 37 possibilités de promotion au grade AST 8 auraient dû être
ouvertes lors de cet exercice.

32      De plus, les requérants soutiennent que les règles statutaires, au cours des exercices de promotion précédant l’exercice 2022, auraient été systématiquement inappliquées.

33      Le Conseil considère que l’article 6, paragraphe 2, du statut doit être lu en combinaison avec l’annexe I, section B, du statut et estime que les institutions doivent veiller à ce que le nombre d’emplois ouverts lors de chaque exercice de promotion se rapproche sur une base quinquennale des taux multiplicateurs fixés par cette annexe, lesquels reflètent la carrière moyenne des fonctionnaires au sein de leur groupe de fonctions. Ces dispositions laisseraient ainsi aux institutions une marge
d’appréciation quant aux moyens dont elles disposent pour atteindre cet objectif. Selon le Conseil, si une institution constatait des déséquilibres importants entre le nombre de fonctionnaires promouvables dans certains grades et le temps d’attente moyen dans ces grades, elle serait tenue de prendre des mesures correctrices visant à rapprocher la progression de carrière effective des fonctionnaires de la durée moyenne d’attente prévue à l’annexe I, section B, du statut, pour les grades en question.

34      À ce titre, le Conseil fait valoir que, en l’absence de mesures correctrices prises entre 2017 et 2022, la mise en œuvre de l’article 45 du statut aurait été compromise dans la mesure où les commissions consultatives de promotion et l’autorité investie du pouvoir de nomination ne peuvent, une fois que les possibilités de promotion pour un grade spécifique ont été fixées, ajuster, dans le cadre de l’examen comparatif des mérites, le nombre de fonctionnaires promus afin qu’il soit conforme aux
taux multiplicateurs.

35      Dans ces circonstances, le Conseil relève que le mécanisme de la moyenne quinquennale prévu à l’article 6, paragraphe 2, du statut remplit son objectif lorsqu’il existe des variations du nombre de fonctionnaires accédant à un grade particulier d’une année à l’autre. Toutefois, ce mécanisme ne permettrait pas, à lui seul, d’assurer l’effet utile de l’article 6, paragraphe 2, du statut, lu en combinaison avec l’article 45 de ce statut ainsi que l’annexe I, section B, dudit statut, en ce qui
concerne le grade AST 7, dans lequel il y aurait eu une accumulation constante de fonctionnaires n’ayant pas vocation à être promus aux grades supérieurs au cours des dernières années. Cette accumulation de fonctionnaires au grade AST 7 trouverait son origine dans les réformes du statut intervenues en 2004 et en 2013. À cet égard, lors du dernier exercice d’attestation organisé en 2014, 238 fonctionnaires auraient fait le choix de demeurer dans le parcours de carrière AST 1-AST 7 et, en conséquence,
de renoncer à une promotion future au grade AST 8. Le Conseil en conclut que les mesures correctrices appliquées au grade AST 7 étaient nécessaires pour assurer l’effet utile des dispositions susmentionnées.

36      En vertu de l’article 6, paragraphe 1, du statut, un tableau des effectifs annexé à la section du budget afférente à chaque institution fixe le nombre des emplois pour chaque grade et chaque groupe de fonctions. Conformément à l’article 6, paragraphe 2, du statut, sans préjudice du principe de promotion fondée sur le mérite, énoncé à l’article 45 du statut, ce tableau garantit que, pour chaque institution, le nombre d’emplois vacants pour chaque grade est égal, au 1^er janvier de chaque
année, au nombre de fonctionnaires en activité au grade inférieur au 1^er janvier de l’année précédente, multiplié par les taux fixés, pour ce grade, à l’annexe I, section B, du statut, ces taux s’appliquant sur une base quinquennale moyenne à compter du 1^er janvier 2014.

37      À cet égard, les termes « sans préjudice du principe de promotion fondée sur le mérite, énoncé à l’article 45 du statut », doivent être interprétés comme renvoyant à la jurisprudence constante du Tribunal selon laquelle le statut ne confère pas de droit à la promotion, même aux fonctionnaires qui réunissent toutes les conditions pour pouvoir être promus. Les fonctionnaires ont uniquement vocation à être promus, conformément à l’article 45 du statut. En effet, une décision de promotion dépend
non des seules qualifications et capacités du candidat, mais de leur appréciation en comparaison de celles des autres candidats ayant vocation à être promus, et ce lors de chaque nouvel exercice de promotion (voir arrêt du 22 novembre 2023, QN/eu-LISA, T‑484/22, EU:T:2023:741, point 71 et jurisprudence citée). Toutefois, il ne saurait être déduit de ces termes, qui renvoient à une étape ultérieure du processus de promotion, que le principe de promotion fondée sur le mérite pourrait être mis en
œuvre, afin de déroger à l’application des taux multiplicateurs au nombre de fonctionnaires ayant été en activité au grade inférieur au 1^er janvier de l’année précédente, lors de la détermination du nombre annuel d’emplois vacants pour chaque grade et, partant, des possibilités de promotion.

38      L’annexe I, section B, du statut, intitulée « Taux multiplicateurs de référence destinés à l’équivalence des carrières moyennes » fixe, dans un tableau figurant dans son premier paragraphe, les taux multiplicateurs de référence destinés à l’équivalence des carrières moyennes dans les groupes de fonctions AST et AD. Pour le grade AST 8, ce taux est de 25 %.

39      À cet égard, il convient de rappeler que ces taux multiplicateurs doivent être appliqués au nombre de fonctionnaires ayant été « en activité », au sens de l’article 35 du statut, au grade inférieur au 1^er janvier de l’année précédente (voir point 21 ci-dessus).

40      En outre, il y a lieu de souligner que les taux multiplicateurs poursuivent deux objectifs distincts. D’une part, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, du statut, ces taux visent à calculer le nombre annuel de postes ouverts à la promotion pour chaque grade et, à cette fin, ils s’appliquent sur une base quinquennale moyenne (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2023, QN/eu-LISA, T‑484/22, EU:T:2023:741, points 59 et 61 et jurisprudence citée).

41      D’autre part, ces taux permettent également, indépendamment de l’article 6, paragraphe 2, du statut, de déterminer la durée de carrière moyenne dans un grade. Pour cette question, il convient de tenir compte des taux multiplicateurs qui étaient applicables au cours des années pendant lesquelles le fonctionnaire se trouvait dans le grade en cause et la limitation de la base quinquennale prévue par l’article 6, paragraphe 2, du statut ne s’applique donc pas (voir, en ce sens, arrêt du
22 novembre 2023, QN/eu-LISA, T‑484/22, EU:T:2023:741, points 60 et 62 et jurisprudence citée).

42      Il en résulte que la question de la détermination de la durée de carrière moyenne dans un grade doit être distinguée de celle visant à déterminer le nombre de postes qui doivent être ouverts à un grade particulier pour un exercice de promotion. En effet, cette dernière question dépend, notamment, de l’interprétation de l’article 6, paragraphe 2, seconde phrase, du statut, selon laquelle les taux indiqués à l’annexe I, section B, du statut s’appliquent sur une base quinquennale moyenne à
compter du 1^er janvier 2014 (voir, en ce sens, arrêts du 14 février 2017, Schönberger/Cour des comptes, T‑688/15 P, non publié, EU:T:2017:76, point 121, et du 22 novembre 2023, QN/eu-LISA, T‑484/22, EU:T:2023:741, point 61).

43      Dans ce contexte, il ressort d’une jurisprudence constante qu’une interprétation d’une disposition du droit de l’Union à la lumière de son contexte et de sa finalité ne saurait avoir pour résultat de retirer tout effet utile au libellé clair et précis de cette disposition sous peine d’être contra legem et, de ce fait, incompatible avec les exigences du principe de sécurité juridique. Ainsi, dès lors que le sens d’une disposition du droit de l’Union ressort sans ambiguïté du libellé même de
celle-ci, le juge de l’Union ne saurait se départir de cette interprétation (voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 2023, Mensing, C‑180/22, EU:C:2023:565, point 34 et jurisprudence citée, et du 16 juin 2021, Lucaccioni/Commission, T‑316/19, EU:T:2021:367, point 118 et jurisprudence citée).

44      C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il y a lieu d’examiner si, comme le soutiennent les requérants, le Conseil a procédé à une application erronée des règles statutaires.

45      En l’espèce, il ressort du dossier et des débats lors de l’audience que le Conseil comptait 145 fonctionnaires de grade AST 7 en activité au 1^er janvier 2021 et que l’année 2022 constituait la fin d’une période quinquennale au cours de laquelle des mesures correctrices ont été appliquées de manière régulière au grade AST 7. À ce titre, le Conseil n’a pas démontré qu’il pouvait, au terme de cette période quinquennale et compte tenu des mesures correctrices mises en œuvre durant celle-ci,
d’une part, appliquer un taux multiplicateur différent de celui prévu à l’annexe I, section B, du statut et, d’autre part, s’écarter du nombre de fonctionnaires en activité au grade AST 7 au 1^er janvier de l’année 2021, au sens de l’article 35 du statut, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 2, de ce statut (voir point 21 ci-dessus). Par conséquent, cette institution était tenue de respecter ledit taux et ledit nombre en vue de déterminer les possibilités de promotion au grade AST 8. Il en
découle que, en annonçant l’ouverture de 18 possibilités de promotion à ce grade, le Conseil a erronément appliqué les règles statutaires, telles qu’elles sont rappelées aux points 36 à 39 ci-dessus, lors de l’exercice de promotion 2022.

46      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les deux arguments suivants invoqués par le Conseil.

47      En premier lieu, les circonstances particulières, à les supposer établies, caractérisant la situation des fonctionnaires de grade AST 7, décrites par le Conseil dans ses écritures et rappelées au point 35 ci-dessus, ne sauraient justifier de déroger, par l’intermédiaire de mesures correctrices, au libellé clair et précis des règles statutaires sans compromettre la mise en œuvre de dispositions hiérarchiquement supérieures, telles que les dispositions du statut et du régime applicable aux
autres agents de l’Union européenne ou les principes généraux de droit (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2023, QN/eu-LISA, T‑484/22, EU:T:2023:741, point 42 et jurisprudence citée).

48      À cet égard, l’argument du Conseil selon lequel il y aurait lieu de rapprocher la progression de carrière effective des fonctionnaires de la durée moyenne d’attente dans chaque grade prévue à l’annexe I, section B, du statut dans l’hypothèse de déséquilibres entre le nombre des fonctionnaires promouvables dans certains grades et le temps d’attente moyen dans ces grades n’est pas pertinent. En effet, ainsi qu’il ressort du point 42 ci-dessus, la question de la détermination du nombre de
possibilités de promotion au grade AST 8 pour l’exercice de promotion 2022 ne saurait être confondue avec celle visant à établir la durée de carrière moyenne au sein du grade AST 7, laquelle n’est pas, contrairement à cette première question, soumise à la limitation découlant de la base quinquennale moyenne prévue à l’article 6, paragraphe 2, du statut.

49      En second lieu, dans la mesure où il ressort des éléments du dossier que le Conseil comptait 145 fonctionnaires de grade AST 7 en activité au 1^er janvier 2021, 36,25 possibilités de promotion auraient dû, théoriquement, être ouvertes au grade AST 8 aux 81 fonctionnaires promouvables lors de l’exercice de promotion 2022, en application des règles statutaires. Dans ces conditions, il n’a pas été démontré, contrairement à ce que fait valoir le Conseil, que l’application de ces règles dans la
présente affaire, plus particulièrement, au regard de la différence entre le nombre de fonctionnaires promouvables et le nombre de possibilités de promotion, était de nature à faire obstacle à l’examen comparatif des mérites des fonctionnaires prévu à l’article 45, paragraphe 1, du statut.

50      Au regard de ce qui précède, le premier moyen, tiré d’une application erronée des règles statutaires, est fondé et doit donc être accueilli. Par conséquent, la décision de non-promotion doit être annulée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le second moyen invoqué par les requérants, ni de statuer sur la demande de mesure d’instruction formulée par ces derniers visant à ce que soit produite la liste des fonctionnaires de grade AST 7 promus au grade AST 8 lors de l’exercice de promotion
2022 en précisant l’ancienneté de chaque fonctionnaire, ses mérites ainsi que le niveau des responsabilités exercées.

 Sur les dépens

51      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il convient de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions des requérants.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision du Conseil de l’Union européenne du 13 juillet 2022 de ne pas promouvoir M. Ville Kivikoski, M^me Ottavia Maffia et M. Peter Pristovnik au grade AST 8 au titre de l’exercice de promotion 2022 est annulée.

2)      Le Conseil est condamné aux dépens.

Papasavvas Truchot Kanninen

Sampol Pucurull         Perišin

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 avril 2025.

Le greffier   Le président

V. Di Bucci   M. van der Woude

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*      Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Neuvième chambre élargie
Numéro d'arrêt : T-202/23
Date de la décision : 30/04/2025
Type de recours : Recours de fonctionnaires

Analyses

Fonction publique – Fonctionnaires – Promotion – Exercice de promotion 2022 – Décision de ne pas promouvoir le requérant au grade AST 8 – Recours en annulation – Intérêt à agir – Démonstration de la perspective d’être promu – Recevabilité – Article 6, paragraphe 2, du statut – Taux multiplicateurs de référence – Article 45, paragraphe 1, du statut – Comparaison des mérites.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Ville Kivikoski e.a.
Défendeurs : Conseil de l'Union européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Perišin

Origine de la décision
Date de l'import : 02/05/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2025:430

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