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30/04/2025 | CJUE | N°T-102/23

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, SBK Art OOO contre Conseil de l'Union européenne., 30/04/2025, T-102/23


ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

30 avril 2025 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste – Notion d’“association” – Article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145/PESC

– Article 3,
paragraphe 1, in fine, du règlement (UE) no 269/2014 – Obligation de motivation – Droits...

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

30 avril 2025 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste – Notion d’“association” – Article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145/PESC – Article 3,
paragraphe 1, in fine, du règlement (UE) no 269/2014 – Obligation de motivation – Droits de la défense – Erreur d’appréciation – Proportionnalité – Exception d’illégalité »

Dans l’affaire T‑102/23,

SBK Art OOO, établie à Moscou (Russie), représentée par M^es G. Lansky et P. Goeth, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. A. Boggio-Tomasaz, en qualité d’agent, assisté de M^e B. Maingain, avocat,

partie défenderesse,

soutenu par

République de Croatie, représentée par M^me G. Vidović Mesarek, en qualité d’agent,

par

Royaume des Pays-Bas, représenté par M^mes M. Bulterman, A. Hanje et C. Schillemans, en qualité d’agents,

et par

Commission européenne, représentée par M^mes M. Carpus Carcea, C. Georgieva et L. Puccio, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. R. Mastroianni, président, M^me M. Brkan (rapporteure) et M. T. Tóth, juges,

greffier : M^me I. Kurme, administratrice,

vu l’ordonnance du 27 février 2024, SBK Art/Conseil (T‑102/23 R, non publiée),

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        la requête déposée au greffe du Tribunal le 26 février 2023,

–        le mémoire en adaptation déposé au greffe du Tribunal le 13 avril 2023,

–        la décision du 29 juin 2023 admettant le Royaume des Pays-Bas à intervenir au soutien du Conseil,

–        l’ordonnance du 27 juillet 2023 du président de la première chambre autorisant la Commission à intervenir au soutien du Conseil,

–        l’ordonnance du 8 septembre 2023 du président de la première chambre autorisant la République de Croatie à intervenir au soutien du Conseil,

–        le mémoire en adaptation déposé au greffe du Tribunal le 24 novembre 2023,

–        l’ordonnance du 13 décembre 2023 du président de la première chambre portant sur la demande de confidentialité de la requérante à l’égard de la République de Croatie,

–        le mémoire en adaptation déposé au greffe du Tribunal le 18 avril 2024,

–        la décision du 14 octobre 2024 du président de la première chambre de ne pas verser au dossier le mémoire en adaptation déposé au greffe du Tribunal le 9 octobre 2024,

–        la lettre du 18 octobre 2024 de la requérante tendant à l’application de l’article 45, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne,

–        les documents de la requérante déposés au greffe du Tribunal le 18 octobre 2024 et versés au dossier,

–        les documents de la requérante déposés au greffe du Tribunal le 5 novembre 2024 et versés au dossier,

à la suite de l’audience du 6 novembre 2024,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, SBK Art OOO, demande l’annulation, premièrement, de la décision (PESC) 2022/2477 du Conseil, du 16 décembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 322 I, p. 466), et du règlement d’exécution (UE) 2022/2476 du Conseil, du 16 décembre 2022, mettant en œuvre le
règlement (UE) n^o 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 322 I, p. 318) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »), deuxièmement, de la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et
l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 134), et du règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) n^o 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de mars 2023 »), troisièmement, de la décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023,
modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 104), et du règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) n^o 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine
(JO 2023, L 226, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de septembre 2023 »), quatrièmement, de la décision (PESC) 2024/847 du Conseil, du 12 mars 2024, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO L, 2024/847), et du règlement d’exécution (UE) 2024/849 du Conseil, du 12 mars 2024, mettant en œuvre le règlement (UE) n^o 269/2014
concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO L, 2024/849) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de mars 2024 »), dans la mesure où l’ensemble de ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») la concernent.

 Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

2        La requérante est une société à responsabilité limitée de droit russe.

3        La présente affaire s’inscrit dans le contexte des mesures restrictives décidées par l’Union européenne eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

4        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16). Le même jour, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) n^o 269/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant
l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

5        Le 25 février 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329 modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330 modifiant le règlement n^o 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.

6        L’article 2, paragraphe 1, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, prévoit ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

[…]

f)      à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ce gouvernement ; ou

g)      à des femmes et hommes d’affaires influents ou des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine,

et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe. »

7        Les modalités de ce gel des fonds sont définies aux paragraphes suivants de l’article 2 de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329.

8        Le règlement n^o 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330, imposait l’adoption des mesures de gel des fonds et définissait les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de ce règlement reprend pour l’essentiel l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision.

 Inscription initiale du nom de la requérante sur les listes litigieuses

9        Le 21 juillet 2022, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/1272 modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 193, p. 219) et le règlement d’exécution (UE) 2022/1270 mettant en œuvre le règlement n^o 269/2014 (JO 2022, L 193, p. 133), par lesquels il a ajouté la société Sberbank sur la liste annexée à la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, et sur celle figurant à l’annexe I du règlement n^o 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330 (ci-après  les
« listes litigieuses »).

10      Le 16 décembre 2022, le Conseil a adopté les actes initiaux par lesquels il a ajouté le nom de la requérante sur les listes litigieuses, pour les motifs suivants :

« [La requérante] est une société établie en Fédération de Russie associée à Sberbank. [La requérante] a été créée en tant que filiale de Sberbank avant son inscription, aux fins de la détention des intérêts de Sberbank dans le groupe Fortenova. Sberbank conserve un contrôle effectif sur [la requérante] nonobstant le prétendu transfert de ses actions à un homme d’affaires des Émirats arabes unis.

[La requérante] est donc associée à Sberbank, inscrite sur la liste en tant qu’entité soutenant financièrement le gouvernement de la Fédération de Russie et en tant qu’entité opérant dans un secteur économique qui lui fournit une source substantielle de revenus. »

11      Le 19 décembre 2022, Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis à l’attention des personnes, entités et organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2014/145, modifiée par la décision 2022/2477, et par le règlement n° 269/2014, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2022/2476 (JO 2022, C 481 I, p. 1). Cet avis indiquait notamment que les personnes concernées pouvaient adresser au Conseil une demande de réexamen de la décision par
laquelle leurs noms avaient été inscrits sur les listes litigieuses, en y joignant des pièces justificatives.

12      Par une lettre du 21 décembre 2022, la requérante a demandé au Conseil la communication du dossier sur lequel il s’était fondé pour inscrire son nom sur les listes litigieuses.

13      Le 11 janvier 2023, le Conseil a communiqué à la requérante les informations figurant dans le dossier portant la référence WK 17709/2022 INIT, contenant les éléments de preuve la concernant, daté du 15 décembre 2022 (ci-après le « premier dossier WK »).

 Maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses jusqu’au 15 septembre 2023

14      Le 6 février 2023, le Conseil a transmis à la requérante le dossier portant la référence WK 17709/2022 ADD 1, daté du 25 janvier 2023 (ci-après le « deuxième dossier WK »), et le dossier portant la référence WK 1325/23 INIT, daté du 30 janvier 2023 (ci-après le « troisième dossier WK »).

15      Par lettre du 9 mars 2023, la requérante a présenté au Conseil une demande de réexamen de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

16      Le 13 mars 2023, le Conseil a adopté les actes de maintien de mars 2023, prolongeant les mesures restrictives prises à l’encontre de la requérante jusqu’au 15 septembre 2023 pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 10 ci-dessus.

17      Par lettre du 13 avril 2023, la requérante a présenté au Conseil une deuxième demande de réexamen.

 Maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses jusqu’au 15 mars 2024

18      Le 13 septembre 2023, le Conseil a adopté les actes de maintien de septembre 2023, prolongeant les mesures restrictives prises à l’encontre de la requérante jusqu’au 15 mars 2024 pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 10 ci-dessus.

19      Par lettre du 15 septembre 2023, le Conseil a informé la requérante de sa décision de maintenir son nom sur les listes litigieuses.

20      Par lettre du 22 septembre 2023, la requérante a présenté au Conseil une troisième demande de réexamen.

 Maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses jusqu’au 15 septembre 2024

21      Le 12 mars 2024, le Conseil a adopté les actes de maintien de mars 2024, prolongeant les mesures restrictives prises à l’encontre de la requérante jusqu’au 15 septembre 2024 pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 10 ci-dessus.

22      Par une lettre du 13 mars 2024, le Conseil a rejeté la demande de réexamen de la requérante reçue le 25 septembre 2023, au motif que les observations de cette dernière ne remettaient pas en cause son appréciation selon laquelle la décision d’inscription de son nom sur les listes litigieuses était justifiée par des motifs suffisants, et lui a communiqué la décision de maintenir son nom sur les listes litigieuses.

 Maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses jusqu’au 15 mars 2025

23      Le 12 septembre 2024, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2024/2456 modifiant la décision 2014/145 (JO L, 2024/2456) et le règlement d’exécution (UE) 2024/2455 mettant en œuvre le règlement n^o 269/2014 (JO L, 2024/2455) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de septembre 2024 »), prolongeant les mesures restrictives prises à l’encontre de la requérante jusqu’au 15 mars 2025 pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 10 ci-dessus.

 Conclusions des parties

24      La requérante conclut, dans le dernier état de ses écritures, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués en tant qu’ils la concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

25      Le Conseil, soutenu par la République de Croatie, le Royaume des Pays-Bas et la Commission européenne, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité du recours en tant qu’il vise le règlement d’exécution 2023/1765

26      Dans ses observations sur le deuxième mémoire en adaptation, le Conseil, soutenu par la Commission, soutient que celui-ci est irrecevable en ce qu’il tend à l’annulation du règlement d’exécution 2023/1765. Selon le Conseil, les modifications introduites par ledit règlement ne concernent pas l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses et ne l’affectent donc ni directement ni indirectement.

27      La requérante fait valoir que, même si le règlement d’exécution 2023/1765 ne modifie pas techniquement l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, il a pour effet de confirmer tacitement l’inscription précédente et, en particulier, de confirmer les motifs d’inscription la concernant.

28      Par ailleurs, la requérante fait valoir que le Conseil a une obligation d’examiner sa situation chaque fois qu’il procède à un réexamen de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses. Dès lors que le règlement d’exécution 2023/1765 ne satisferait pas à cette obligation, cela constituerait une atteinte à ses droits et ledit règlement la concernerait directement et individuellement.

29      L’appréciation de la recevabilité du recours formé contre le règlement d’exécution 2023/1765 doit donc être opérée à la lumière de l’obligation du Conseil de procéder à un réexamen périodique de la liste figurant à l’annexe I du règlement n^o 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330, conformément à l’article 14, paragraphe 4, de ce même règlement. À cet égard, il y a lieu de relever que les règlements d’exécution adoptés à la suite de réexamens, tels que le règlement d’exécution
2023/1765, font état des modifications et des suppressions apportées aux listes litigieuses à l’issue de ce réexamen, de sorte que, en vertu de ces règlements d’exécution, les inscriptions qui n’ont pas été modifiées ou supprimées sont prorogées (voir, par analogie, arrêt du 28 avril 2021, Sharif/Conseil, T‑540/19, non publié, EU:T:2021:220, point 48 et jurisprudence citée).

30      Selon la jurisprudence, même dans le cas où la personne concernée n’est pas mentionnée expressément par un acte subséquent modifiant la liste sur laquelle son nom a été inscrit et même si cet acte ne modifie pas les motifs pour lesquels son nom a initialement été inscrit, un tel acte doit être compris comme constituant une manifestation de la volonté du Conseil de maintenir le nom de la personne concernée sur ladite liste, avec pour conséquence le maintien du gel de ses fonds, étant donné
que le Conseil a l’obligation de procéder à un examen de cette liste à intervalles réguliers (voir arrêt du 11 septembre 2024, NSD/Conseil, T‑494/22, EU:T:2024:607, point 28 et jurisprudence citée).

31      En outre, conformément à l’article 14, paragraphe 3, du règlement n^o 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330, lorsque des observations sont formulées ou lorsque de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil doit revoir sa décision d’inscrire une personne sur les listes litigieuses. Il découle du deuxième mémoire en adaptation que le Conseil a indiqué à la requérante, par une lettre du 15 septembre 2023, qu’il avait décidé de maintenir les mesures
restrictives prises à son égard par l’adoption des actes de maintien de septembre 2023. Dès lors, il y a lieu de considérer que ces actes résultent d’un réexamen de la situation de la requérante.

32      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le présent recours est recevable en ce qu’il vise à obtenir l’annulation du règlement d’exécution 2023/1765 en tant qu’il concerne la requérante.

 Sur la production des preuves supplémentaires

33      Par une lettre enregistrée au greffe du Tribunal le 18 octobre 2024, la requérante a déposé 19 documents supplémentaires, en se prévalant de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal. Elle soumet trois séries de preuves supplémentaires. La première série concerne l’allégation selon laquelle elle aurait été évincée de Fortenova Group. La deuxième série vise à démontrer l’absence de contrôle de la requérante par Sberbank et la troisième série concerne la cession de la
requérante à un investisseur émirati.

34      Par une lettre du 5 novembre 2024, la requérante a déposé, en se prévalant à nouveau de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, deux documents supplémentaires.

35      Pour justifier la soumission tardive de l’ensemble de ces preuves, la requérante fait référence, d’une part, à des développements importants et récents qui auraient eu lieu depuis le dépôt du mémoire en adaptation concernant les actes de maintien de mars 2024 et à l’allégation selon laquelle elle ferait l’objet d’une éviction au sein de Fortenova Group et, d’autre part, à la nécessité de répondre aux arguments du Conseil.

36      Le Conseil, soutenu par la République de Croatie et la Commission, a contesté, lors de l’audience, la recevabilité des nouveaux éléments de preuve mentionnés aux points 33 et 34 ci-dessus pour cause de tardiveté.

37      Il y a lieu de rappeler que, selon l’article 85, paragraphes 1 et 3, du règlement de procédure, les preuves sont présentées dans le cadre du premier échange de mémoires, les parties principales pouvant encore, à titre exceptionnel, produire des preuves ou faire des offres de preuve avant la clôture de la phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié.

38      L’article 85, paragraphe 3, constitue non pas, comme l’article 85, paragraphe 2, du règlement de procédure, une simple dérogation à la règle générale de forclusion prévue à l’article 85, paragraphe 1, dudit règlement, mais une exception à la règle de principe et à la dérogation prévues, respectivement, à l’article 85, paragraphe 1, et à l’article 85, paragraphe 2, du règlement de procédure, la possibilité prévue à l’article 85, paragraphe 3, dudit règlement n’étant ouverte, selon le libellé
même de cette disposition, qu’à titre exceptionnel et son application supposant donc que soit démontrée l’existence de circonstances exceptionnelles (voir, arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair et Airport Marketing Services, C‑758/21 P, EU:C:2023:917, point 44 et jurisprudence citée).

39      En l’espèce, il convient de constater que la requérante n’a pas expressément indiqué au soutien de l’annulation de quels actes les éléments de preuve avaient été déposés au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure. Toutefois, compte tenu des écritures de la requérante, il sera examiné si ces éléments peuvent être considérés comme étant intervenus tardivement par rapport au dépôt du mémoire en adaptation des actes de maintien de mars 2024.

40      S’agissant de la première série de documents, relatifs à l’éviction alléguée de la requérante de Fortenova Group, il y a lieu de constater, d’une part, qu’elle produit une fiche d’information non datée sur les conditions générales d’investissement, un accord de souscription non daté et un extrait d’un document de la Commission portant sur les questions fréquemment posées en matière de mesures restrictives datant du 8 avril 2022 (annexes J.3, J.4 et J.8). Ces documents étant non datés ou
portant une date antérieure au dépôt du mémoire en adaptation concernant les actes de maintien de mars 2024 doivent être considérés comme étant intervenus tardivement. Or, la requérante s’étant contentée de faire référence à des développements importants et récents relatifs à son éviction au sein de Fortenova Group sans démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles, il convient de les écarter comme irrecevables, en vertu de l’article 85, paragraphes 1 et 3, du règlement de procédure [voir,
en ce sens, arrêt du 12 octobre 2017, Moravia Consulting/EUIPO – Citizen Systems Europe (SDC‑554S), T‑316/16, EU:T:2017:717, point 63]. D’autre part, la requérante produit un résumé de la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑465/24 introduite le 2 juillet 2024, une notice d’offre de Open Pass AG datée du 8 août 2024, une notification de contrôle des concentrations de la Commission datée du 11 juin 2024, une série de courriels datés de juillet et août 2024 et un document daté du 2 août
2024 de Fortenova Group concernant la cession de la branche agricole de Fortenova Group (annexes J.1 et J.2 ainsi que J.5 à J.7).

41      Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle l’acte a été adopté (voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre 2015, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 22 et jurisprudence citée, et du 4 septembre 2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, non publié, EU:T:2015:596, point 112 et jurisprudence citée).

42      Or, lesdits documents se réfèrent à des éléments factuels postérieurs aux actes attaqués, qui ont été adoptés respectivement le 16 décembre 2022, le 13 mars 2023, le 13 septembre 2023 et le 12 mars 2024. Leur prise en compte est donc exclue en vue de l’appréciation de la légalité de ces actes. Ainsi, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la recevabilité de l’offre de preuves, il convient de constater que, dès lors que ces documents sont sans influence sur l’examen de la légalité des
actes attaqués, cette offre de preuve n’est pas pertinente dans le cadre du présent litige.

43      S’agissant de la deuxième série de preuves concernant l’absence de contrôle de Sberbank sur la requérante, il convient de constater qu’elle produit des articles de presse publiés en 2022 ou 2023 (annexes J.9 à J.12). Or, force est de constater que ces articles de presse ont déjà été produits en annexe des observations de la requérante concernant le mémoire en intervention de la République de Croatie (annexes 3, 4, 8et 9 de ces observations) et qu’ils étaient recevables en ce qu’ils visaient
à répondre au mémoire en intervention de celle-ci. Par conséquent, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la recevabilité de ces éléments de preuve au regard de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure.

44      En outre, la requérante produit une traduction d’une interview d’un actionnaire de Fortenova Group (annexe J.13). Toutefois, il convient de constater qu’il s’agit d’un document non daté qui doit être considéré comme étant intervenu tardivement au sens de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure. Or, la requérante s’est contentée d’indiquer dans la lettre du 18 octobre 2024 que ce document était pertinent en l’espèce. Par conséquent, elle a omis d’avancer une justification pour
la présentation tardive de cet élément de preuve qu’il convient d’écarter comme irrecevable, en vertu de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure.

45      S’agissant de la troisième série de preuves, concernant la cession de la requérante à un investisseur émirati, il convient de constater qu’il s’agit d’une procuration établie par ledit investisseur émirati daté du 31 octobre 2022, de preuves de paiement datées du 31 octobre 2022, d’uncontrat de vente et d’un avenant en date du 24 février 2022 et du 31 mai 2022, d’un consentement non daté de la requérante à la cession de la créance, d’un avis de cession de la créance daté du 31 octobre 2022
et d’un document du même jour confirmant le paiement en vertu de l’accord de cession de la créance (annexes J.14 à J.19). Ces documents étant non datés ou portant une date antérieure au dépôt du mémoire en adaptation concernant les actes de maintien de mars 2024, ils doivent être considérés comme étant intervenus tardivement. Or, pour justifier leur production tardive, la requérante s’est contentée de se référer à la nécessité de répondre aux observations du Conseil. Force est de constater que la
requérante n’a pas exposé les raisons pour lesquelles elle n’avait pas été en mesure de les produire plus tôt. Par conséquent, ces éléments de preuve doivent être écartés comme irrecevables.

46      S’agissant des documents produits par la requérante le 5 novembre 2024, il convient de constater qu’il s’agit d’une estimation de la valeur de la société Agrokor datée du 8 juin 2018 et d’un article daté du 11 janvier 2019 concernant la même société. Ces documents portant une date antérieure au dépôt du mémoire en adaptation concernant les actes de maintien de mars 2024, ils doivent être considérés comme étant intervenus tardivement. La requérante se contente d’indiquer qu’elle n’aurait eu
accès à ces documents que récemment en raison des développements concernant son éviction alléguée de Fortenova Group. Or, il convient de relever que la requérante fait référence dès la requête à la restructuration d’Agrokor qui a conduit à la création de Fortenova Group. Par conséquent, elle n’a pas exposé les raisons pour lesquelles elle n’avait pas été en mesure de produire ces documents relatifs à Agrokor au plus tard dans le cadre du mémoire en adaptation visant les actes de maintien de mars
2024, de sorte qu’elle n’a pas justifié leur production tardive.

47      Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que la requérante n’a pas justifié, au sens de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, la production tardive de ces preuves supplémentaires, qui doivent donc être rejetées comme étant irrecevables.

48      Par conséquent, la requérante ne saurait se fonder sur l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure pour produire ces éléments de preuve supplémentaires en ce qu’ils sont pour partie irrecevables et pour partie sans incidence sur la légalité des actes attaqués.

 Sur la demande tendant à l’application de l’article 45 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne déposée le 18 octobre 2024

49      Le 9 octobre 2024, la requérante a, par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal un mémoire en adaptation sur le fondement de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure, visant l’annulation des actes de maintien de septembre 2024 en tant que ces actes la concernaient.

50      En application de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure, dans sa version résultant des modifications du règlement de procédure du Tribunal du 12 août 2024 (JO L, 2024/2095), entrées en vigueur le 1^er septembre 2024, lorsqu’un acte dont l’annulation est demandée est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, la partie requérante peut, au plus tard deux semaines après la signification d’une décision de fixer la date de l’audience de plaidoiries ou avant la
signification de la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau.

51      Aux termes de l’article 246, paragraphe 3, du règlement de procédure, la disposition de l’article 86, paragraphe 1, ne s’applique que lorsque le délai visé à l’article 86, paragraphe 2, à savoir le délai de recours prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, commence à courir après le 1^er septembre 2024.

52      Or, force est de constater, d’une part, que les actes faisant l’objet de l’adaptation de la requête ont été adoptés le 12 septembre 2024 et publiés au Journal officiel le lendemain, ce qui implique que le délai de recours prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE a commencé à courir après le 1^er septembre 2024, rendant ainsi applicable l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure au cas d’espèce, et, d’autre part, que la convocation à l’audience a été signifiée à la requérante le
18 septembre 2024. Par conséquent, le délai pour introduire le mémoire en adaptation visant l’annulation des actes de maintien de septembre 2024 a expiré le 2 octobre 2024.

53      Le mémoire en adaptation ayant été déposé au greffe du Tribunal après l’expiration du délai prévu à l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure, par décision du président de la première chambre du 14 octobre 2024, il a été décidé de ne pas le verser au dossier de l’affaire, ce dont la requérante a été informée par lettre du greffe le même jour.

54      Par lettre du 18 octobre 2024, la requérante a introduit une demande fondée sur l’article 45 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Interrogée à cet égard lors de l’audience, la requérante a précisé que cette demande visait à ce que le Tribunal déclare recevable le mémoire en adaptation présenté tardivement sur le fondement de l’article 45 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. La requérante soutient que l’existence d’un cas fortuit l’a empêchée de déposer
ledit mémoire en adaptation dans le délai prévu par l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure, tel que modifié. En effet, elle soutient que le fait que les modifications du règlement de procédure aient été publiées pendant les vacances judiciaires, avec des informations prétendument ambiguës sur le site Internet EUR-Lex, a créé une situation dans laquelle il était imprévisible pour elle qu’un délai bien connu et important soit remplacé par le Tribunal en l’espace de quelques semaines,
sans aucun avertissement ou annonce préalable.

55      Le Conseil, soutenu par la République de Croatie et la Commission, conteste les arguments de la requérante.

56      À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante qu’il ne peut être dérogé à l’application des réglementations de l’Union concernant les délais de procédure que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, de cas fortuit ou de force majeure, conformément à l’article 45, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, étant donné que l’application stricte de ces règles répond à l’exigence de sécurité juridique et à la nécessité d’éviter toute discrimination
ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice (voir arrêt du 14 décembre 2016, SV Capital/ABE, C‑577/15 P, EU:C:2016:947, point 56 et jurisprudence citée).

57      Il convient de rappeler que l’article 45 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne est applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53 dudit statut.

58      La Cour a jugé que les notions de « force majeure » ou de « cas fortuit » comportaient un élément objectif, relatif aux circonstances anormales et étrangères à la partie requérante, et un élément subjectif tenant à l’obligation, pour celle-ci, de se prémunir contre les conséquences de l’événement anormal en prenant des mesures appropriées sans consentir des sacrifices excessifs. En particulier, la partie requérante doit surveiller soigneusement le déroulement de la procédure entamée et,
notamment, faire preuve de diligence afin de respecter les délais prévus (arrêt du 15 décembre 1994, Bayer/Commission, C‑195/91 P, EU:C:1994:412, point 32).

59      Les notions de « cas fortuit » et de « force majeure » ne s’appliquent pas à une situation où une personne diligente et avisée aurait objectivement été en mesure d’éviter l’expiration d’un délai de recours (voir ordonnance du 11 juin 2020, GMPO/Commission, C‑575/19 P, non publiée, EU:C:2020:448, point 34 et jurisprudence citée).

60      Il convient enfin de rappeler que, selon l’article 45, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, il incombe à l’intéressé invoquant un cas fortuit ou de force majeure d’en établir l’existence.

61      En l’espèce, il y a lieu de relever que les circonstances invoquées par la requérante tiennent au fait qu’elle n’aurait pris connaissance que tardivement des modifications du règlement de procédure, en raison, d’une part, de leur publication pendant la période des vacances judiciaires et, d’autre part, d’une présentation ambiguë sur le site Internet EUR-Lex du règlement de procédure qui n’aurait pas fait clairement apparaître ces modifications.

62      Toutefois, ainsi que le relève à juste titre le Conseil, il y a lieu de constater que les modifications du règlement de procédure ont été publiées au Journal officiel le 12 août 2024 avec une date d’entrée en vigueur indiquée au 1^er septembre 2024. Par ailleurs, elles ont fait l’objet d’un communiqué de presse de la Cour de justice de l’Union européenne le 30 août 2024 et une version consolidée du règlement de procédure était disponible dès le 1^er septembre 2024 sur le site Internet de
celle-ci, tandis qu’un lien vers cette version consolidée du règlement de procédure figurait dans la lettre du 18 septembre 2024 par laquelle le greffe a convoqué les parties à l’audience.

63      Un acte émanant d’une institution de l’Union peut être opposé aux personnes physiques et morales lorsque ces dernières ont eu la possibilité d’en prendre connaissance par une publication régulière au Journal officiel (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2007, Skoma-Lux, C‑161/06, EU:C:2007:773, point 37 et jurisprudence citée).  En effet, après ladite publication, nul n’est censé ignorer le contenu du Journal officiel.  

64      Par conséquent, la requérante n’a pas établi l’existence d’un cas fortuit ou de force majeure permettant de déroger au délai en cause sur la base de l’article 45, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

65      Il résulte de ce qui précède que la demande de la requérante introduite sur le fondement de l’article 45 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne doit être rejetée comme non fondée.

 Sur le fond

66      À l’appui du recours, la requérante soulève, en substance, cinq moyens, tirés d’une exception d’illégalité de l’article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, et de l’article 3, paragraphe 1, in fine, du règlement n^o 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330, d’une violation du droit d’être entendu, d’une erreur d’appréciation, d’une violation du principe de proportionnalité et d’une violation de l’obligation de motivation.

 Sur l’exception d’illégalité du critère d’association

67      La requérante soulève, sur le fondement de l’article 277 TFUE, une exception d’illégalité de l’article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145, tel que modifiée par la décision 2022/329, et de l’article 3, paragraphe 1, in fine, du règlement n^o 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330, visant les personnes associées avec une personne faisant l’objet de mesures restrictives au titre de l’article 2, paragraphe 1, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision
2022/329, et de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n^o 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330 (ci-après le « critère d’association »).

68      La requérante fait valoir que le critère d’association n’est pas conforme aux objectifs de l’article 21 TUE et de l’article 215 TFUE en ce qu’il permet au Conseil d’inscrire sur les listes litigieuses les noms de personnes qui n’ont aucun lien avec le régime visé par les mesures restrictives en cause. Elle invoque une violation du principe de sécurité juridique. Plus précisément, la requérante conteste la définition large du critère d’association qui donnerait au Conseil un pouvoir
d’appréciation illimité et arbitraire et lui permettrait d’inscrire sur les listes litigieuses toute personne.

69      Dans la réplique la requérante fait valoir que le caractère arbitraire de l’inscription de son nom découle du fait, d’une part, qu’il n’existe qu’une seule autre entité dont le nom est inscrit sur les listes litigieuses en tant qu’entité associée à une autre entité et, d’autre part, que, dans l’hypothèse où elle serait toujours contrôlée par Sberbank, comme cela est allégué par le Conseil, l’inscription de son nom sur les listes litigieuses ne serait pas nécessaire.

70      La requérante soutient également qu’elle n’est plus contrôlée par Sberbank.

71      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments de la requérante.

72      Selon l’article 277 TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE pour invoquer devant la Cour de justice de l’Union européenne l’inapplicabilité de cet acte.

73      L’article 277 TFUE constitue l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester, par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’un acte contre lequel elle peut former un recours, la validité des actes institutionnels antérieurs, qui constituent la base juridique de l’acte attaqué, si cette partie ne disposait pas du droit d’introduire, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours direct contre ces actes, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été
en mesure d’en demander l’annulation. L’acte général dont l’illégalité est excipée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours et il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question (voir arrêt du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 55 et jurisprudence citée).

74      Selon une jurisprudence constante, les juridictions de l’Union doivent assurer, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité FUE, un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, ce qui comprend notamment le respect des droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre
2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 326, et du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 97 et 98).

75      Toutefois, le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41 et jurisprudence citée). Par conséquent, les règles de portée générale définissant ces critères et ces modalités, telles que les dispositions des actes prévoyant les critères d’inscription et de maintien
visés par le présent moyen, font l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint, se limitant à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur de droit ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 35 et jurisprudence citée).

76      Selon la requérante, le critère d’association n’est pas conforme à l’article 21 TUE et à l’article 215 TFUE et enfreint le principe de sécurité juridique.

77      En premier lieu, le principe de sécurité juridique implique que la législation de l’Union soit claire et précise et que son application soit prévisible pour les justiciables (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 42 et jurisprudence citée).

78      À cet égard, il a été jugé que le critère d’association limitait le pouvoir d’appréciation du Conseil, en instaurant des critères objectifs, lesquels garantissaient le degré de prévisibilité requis par le droit de l’Union et le respect du principe de sécurité juridique (arrêt du 6 septembre 2023, Pumpyanskiy/Conseil, T‑291/22, non publié, EU:T:2023:499, point 126).

79      En deuxième lieu, il convient de relever que la requérante soulève un moyen tiré de la violation de l’article 215 TFUE en ce qu’il n’existerait pas de lien suffisant entre les personnes faisant l’objet de mesures restrictives et le pays tiers en cause et elle se fonde notamment sur l’arrêt du 13 mars 2012, Tay Za/Conseil (C‑376/10 P, EU:C:2012:138, points 64 et 68). Toutefois, il convient de constater que la jurisprudence citée par la requérante ne porte pas sur l’article 215 TFUE, mais sur
les articles 60 et 301 CE.

80      Or, il ressort de la jurisprudence que, à la suite des modifications intervenues dans le droit primaire après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1^er décembre 2009, le contenu de l’article 60 CE, relatif aux mesures restrictives en ce qui concerne les mouvements de capitaux et les paiements, et de l’article 301 CE, concernant l’interruption ou la réduction, en tout ou en partie, des relations économiques avec un ou plusieurs États tiers, est reflété à l’article 215 TFUE.
L’article 215, paragraphe 2, TFUE permet au Conseil d’adopter des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, de groupes ou d’entités non étatiques, à savoir des mesures qui, avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, requéraient d’inclure également l’article 308 CE dans leur base juridique si leurs destinataires n’avaient aucun lien avec le régime dirigeant d’un État tiers (arrêt du 19 juillet 2012, Parlement/Conseil, C‑130/10, EU:C:2012:472, points 51 et 53).

81      Il s’ensuit que l’argument de la requérante tiré de la violation de l’article 215 TFUE doit être écarté.

82      En troisième lieu, il convient de relever que le critère d’association n’exige pas que la personne visée par ce critère présente un lien direct avec la situation en Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2024, Ezubov/Conseil, T‑741/22, non publié, EU:T:2024:605, point 120).

83      La possibilité d’imposer des mesures restrictives dans une telle situation s’explique par le risque non négligeable qu’une personne faisant l’objet de mesures restrictives exploite, afin de contourner ces mesures, le lien qu’elle entretient avec les personnes qui lui sont associées pour exercer une pression sur ces dernières (voir arrêt du 11 septembre 2024, Ezubov/Conseil, T‑741/22, non publié, EU:T:2024:605, point 121 et jurisprudence citée).

84      Par conséquent, ce critère contribue à garantir l’efficacité des mesures restrictives et donc à exercer une pression sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays.

85      Il s’ensuit que le critère d’association et les mesures restrictives prises à ce titre sont conformes à l’objectif visé à l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE de préserver la paix, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale, conformément aux buts et aux principes de la charte des Nations unies, signée à San Francisco (États-Unis) le 26 juin 1945 (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 46).

86      Par conséquent, l’argument de la requérante concernant l’absence de lien entre la situation en Ukraine et le rôle des personnes physiques faisant l’objet des mesures restrictives en cause doit être écarté.

87      Par ailleurs, il convient d’écarter l’argument de la requérante selon lequel l’inscription de son nom sur les listes litigieuses est arbitraire en ce qu’il n’existerait qu’une seule autre entité visée par les mesures restrictives en cause au titre du critère d’association. En effet, un tel argument concerne l’application du critère d’association et non sa définition.

88      En outre, l’argument de la requérante selon lequel elle ne serait plus contrôlée par Sberbank porte sur la question du bien-fondé des motifs d’inscription et ne concerne pas une question de légalité du critère constituant la base juridique de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

89      Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter l’exception d’illégalité soulevée par la requérante.

 Sur le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation

90      La requérante fait valoir que le Conseil n’a pas fourni de raisons suffisantes ou appropriées pour inscrire son nom sur les listes litigieuses, en violation de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

91      Premièrement, la requérante soutient que le contexte des actes attaqués ne lui permettait pas de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. Selon elle, il lui était impossible de prévoir que le Conseil prétendait qu’elle était « contrôlée par Sberbank », alors qu’elle avait été vendue par Sberbank à un nouveau propriétaire.

92      Deuxièmement, la requérante soutient que l’affirmation selon laquelle elle serait demeurée sous le contrôle effectif de Sberbank n’est pas explicitée, indépendamment du fait qu’elle est fausse, alors que le Conseil avait la possibilité matérielle d’apporter une motivation plus précise.

93      Troisièmement, dans la réplique, la requérante ajoute que l’exposé des motifs ne lui permet pas de comprendre les motifs exacts de l’inscription et du maintien de son nom sur les listes litigieuses. Dès lors que le contexte découlant du considérant 3 de la décision 2022/2477 repose sur les attaques de missiles et de drones de la Fédération de Russie contre des civils ukrainiens, le Conseil ne donnerait aucune explication raisonnable démontrant de quelle manière la requérante se trouvait dans
la même situation que les « personnes responsables » de ces attaques.

94      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments de la requérante.

95      Il y a lieu de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises afin d’en apprécier le bien-fondé et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 50 ; voir, également, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK,
C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 47 et jurisprudence citée).

96      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de cet acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par ledit acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est notamment pas exigé que la
motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Par conséquent, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors
qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, points 53 et 54 ; voir, également, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 48 et jurisprudence citée).

97      En outre, la jurisprudence a précisé que la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive ne devait pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considérait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé devait faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 105 et jurisprudence
citée).

98      Il convient également de rappeler que l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question de son bien-fondé, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 67). En effet, la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Si ces
motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond de la décision, mais non la motivation de celle-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 181).

99      En l’espèce, premièrement, il doit être relevé que le contexte général ayant conduit le Conseil à adopter les mesures restrictives en cause est clairement exposé dans les considérants des actes attaqués qui font, notamment, référence à l’agression militaire non provoquée et injustifiée de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. De même, les fondements juridiques sur la base desquels lesdits actes ont été adoptés, à savoir l’article 29 TUE et l’article 215 TFUE, sont clairement indiqués.

100    Deuxièmement, les motifs des actes attaqués à l’encontre de la requérante sont ceux exposés au point 10 ci-dessus. Contrairement à ce que fait valoir la requérante, il convient de constater que, eu égard à leur libellé, les motifs sont suffisamment clairs et précis pour lui permettre de comprendre les raisons pour lesquelles son nom a été inscrit, puis maintenu, sur les listes litigieuses. En particulier, il résulte de cette motivation que le Conseil a, dans les actes initiaux ainsi que dans
les actes de maintien de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024 inscrit et maintenu le nom de la requérante sur les listes litigieuses au titre du critère d’association.

101    En effet, il ressort clairement de la motivation que le nom de la requérante est inscrit sur les listes litigieuses au motif qu’elle « est associée à Sberbank », en ce que Sberbank conserverait un contrôle effectif sur elle nonobstant le prétendu transfert de ses actions à un homme d’affaires des Émirats arabes unis. En utilisant l’expression « prétendu transfert », les motifs mettent clairement en évidence que le Conseil remet en cause la vente de la requérante à un homme d’affaires émirati.

102    Troisièmement, il convient de rejeter les arguments de la requérante selon lesquels le Conseil n’a pas suffisamment explicité de quelle manière elle serait demeurée sous le contrôle de Sberbank, ce qui serait erroné. En effet, dans la mesure où ces arguments sont relatifs au bien-fondé des allégations contenues dans les motifs d’inscription sur les listes litigieuses, ils visent en réalité une erreur d’appréciation et non une violation de l’obligation de motivation et seront examinés dans le
cadre du troisième moyen.

103    Quatrièmement, il convient également d’écarter l’argument de la requérante, soulevé dans la réplique, selon lequel le Conseil ne donnerait aucune explication raisonnable indiquant de quelle manière elle se trouvait dans la même situation que les « personnes responsables » des attaques de drones en Ukraine. En effet, si le considérant 3 des actes initiaux fait référence à des attaques de missiles et de drones perpétrées par la Fédération de Russie contre des civils et des biens et
infrastructures civils en Ukraine, force est de constater que ce considérant décrit le contexte général dans lequel s’inscrivent les actes initiaux tout comme le considérant 4 de ces mêmes actes qui fait référence à la gravité de la situation en Ukraine. Or, contrairement à ce que prétend la requérante, les actes initiaux ne visent pas à la mettre dans la même situation que les personnes responsables de ces attaques.

104    Dès lors, il résulte de la motivation des actes attaqués que les raisons spécifiques et concrètes ayant conduit le Conseil à inscrire, puis maintenir le nom de la requérante sur les listes litigieuses sont indiquées de manière suffisamment claire pour lui permettre de les comprendre et au Tribunal d’exercer son contrôle à cet égard.

105    Il résulte des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de rejeter le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation.

 Sur le moyen tiré d’une violation du droit d’être entendu

106    Dans la requête, la requérante soulève la violation de l’article 41 de la Charte et, notamment, la violation du droit d’être entendu. Selon elle, le Conseil aurait dû la consulter avant l’adoption des actes initiaux, car il n’était pas nécessaire de créer un effet de surprise. À cet égard, premièrement, elle soutient que les instruments financiers de Fortenova Group détenus par elle demeuraient des actifs situés dans l’Union même en cas de changement de propriétaire et qu’il n’existait donc
aucun risque que les instruments financiers soient déplacés hors de l’Union et hors du champ d’application du règlement n^o 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330.

107    Deuxièmement, la requérante fait valoir que les instruments financiers avaient déjà été gelés par Fortenova Group lorsqu’elle était détenue par Sberbank. Selon la requérante, lui donner l’occasion de présenter ses observations avant l’inscription initiale de son nom sur les listes litigieuses n’aurait donc pas été préjudiciable et n’aurait entraîné aucune fuite des avoirs en dehors de l’Union.

108    Dans son mémoire en adaptation concernant les actes de maintien de septembre 2023, la requérante soutient qu’une décision de maintenir le nom d’une personne sur les listes litigieuses doit être précédée d’une communication des éléments retenus à charge ainsi que de l’opportunité conférée à la personne concernée d’être entendue. Or, le Conseil ne l’aurait pas contactée avant le maintien de son nom sur les listes litigieuses.

109    Il en serait de même concernant les actes de maintien de mars 2024, que le Conseil aurait adoptés en violation de son obligation de réexamen périodique.

110    Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments de la requérante.

111    Il y a lieu de rappeler que le droit d’être entendu dans toute procédure, prévu à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d’une procédure administrative et avant qu’une décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts ne soit prise à son égard (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT
France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 75 et jurisprudence citée).

112    Dans le cadre d’une procédure ayant trait à l’adoption de la décision d’inscrire le nom d’une personne sur une liste figurant à l’annexe d’un acte portant mesures restrictives, le respect des droits de la défense exige que l’autorité compétente de l’Union communique à la personne concernée les motifs et les éléments retenus à sa charge sur lesquels cette autorité envisage de fonder sa décision. Lors de cette communication, l’autorité compétente de l’Union doit permettre à cette personne de
faire connaître utilement son point de vue à l’égard des motifs retenus à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 111 et 112).

113    L’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet toutefois des limitations à l’exercice des droits consacrés par celle-ci, pour autant que la limitation concernée respecte le contenu essentiel du droit fondamental en cause et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elle soit nécessaire et réponde effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 101
et jurisprudence citée).

114    À cet égard, la Cour a, à plusieurs reprises, jugé que les droits de la défense pouvaient être soumis à des limitations ou à des dérogations, et ce notamment dans le domaine des mesures restrictives adoptées dans le contexte de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 67 et jurisprudence citée).

115    En outre, l’existence d’une violation des droits de la défense doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, notamment de la nature de l’acte en cause, du contexte de son adoption et des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 102 et jurisprudence citée).

116    Il convient encore de rappeler que le juge de l’Union distingue, d’une part, l’inscription initiale du nom d’une personne sur les listes en cause et, d’autre part, le maintien du nom de cette personne sur lesdites listes (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2015, Al-Chihabi/Conseil, T‑593/11, EU:T:2015:249, point 40).

117    C’est à la lumière de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’analyser les arguments de la requérante.

–       Sur les actes initiaux

118    En matière de mesures restrictives, il convient de rappeler que, dans le cas d’une décision initiale, le Conseil n’est pas tenu de communiquer au préalable à la personne ou à l’entité concernée les motifs sur lesquels il entend fonder l’inclusion du nom de cette personne ou entité dans les listes litigieuses. En effet, une telle mesure, afin de ne pas compromettre son efficacité, doit par sa nature même pouvoir bénéficier d’un effet de surprise et s’appliquer immédiatement. Dans un tel cas,
il suffit, en principe, que l’institution procède à la communication des motifs à la personne ou à l’entité concernée et ouvre le droit à l’audition de celle-ci concomitamment à l’adoption de ladite décision ou immédiatement après cette adoption (voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 61, et du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, points 92 et 93).

119    En outre, il convient de souligner que ni les dispositions pertinentes de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, et du règlement n^o 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330, ni le principe général du respect des droits de la défense ne confèrent aux intéressés le droit à une audition formelle, la possibilité de présenter ses observations par écrit étant suffisante (voir, par analogie, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716,
point 97 et jurisprudence citée).

120    En l’espèce, il convient de relever que le nom de la requérante a été inscrit pour la première fois sur les listes litigieuses par les actes initiaux. Ainsi qu’il ressort du point 11 ci-dessus, la communication des motifs de l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses a fait l’objet d’un avis publié au Journal officiel le 19 décembre 2022.

121    En application de la jurisprudence rappelée au point 118 ci-dessus, le Conseil n’était pas tenu, dans les circonstances de l’espèce, de recueillir les observations de la requérante préalablement à l’adoption des actes initiaux.

122    Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments de la requérante selon lesquels l’effet de surprise n’était pas nécessaire eu égard à la circonstance que ses fonds étaient déjà gelés.

123    En effet, en l’espèce, bien que les fonds de la requérante au sein de Fortenova Group aient déjà été gelés avant l’inscription de son nom sur les listes litigieuses à la suite de l’inscription du nom de Sberbank, il convient de prendre également en considération qu’une des conséquences de la transaction en cause était précisément de dégeler les fonds de la requérante. En effet, lors de l’audience, la requérante a reconnu que les fonds qu’elle détenait dans Fortenova Group auraient dû être
dégelés à la suite de la transaction datée du 31 octobre 2022 par laquelle elle avait été vendue par Sberbank à un investisseur émirati. Cela est également confirmé par le courriel envoyé par l’investisseur émirati à Fortenova Group daté du 20 novembre 2022, inclus dans le premier dossier WK dans la partie « Preuves supplémentaires », dans lequel il était précisé que, à cette date, la requérante n’était plus contrôlée par une entité faisant l’objet de mesures restrictives et demandait, en substance,
à pouvoir participer et faire usage de ses droits de vote lors des futures réunions de Fortenova Group. Ainsi, même si le Conseil lui-même n’a pas reconnu cette vente, il ne pouvait pas avoir la certitude que cela serait également le cas pour tous les opérateurs économiques qui devaient mettre en œuvre le gel des fonds en cause. Eu égard au risque de dégel des fonds, le Conseil a considéré à juste titre qu’un effet de surprise était nécessaire en l’espèce afin de garantir l’efficacité des mesures
restrictives.

124    Il ressort de ce qui précède que le Conseil n’a pas enfreint le droit d’être entendu de la requérante dans le cadre de l’adoption des actes initiaux.

–       Sur les actes de maintien de septembre 2023

125    S’agissant d’une décision consistant à maintenir des mesures restrictives à l’égard d’une personne déjà visée par celles-ci, le Conseil est tenu de communiquer à cette personne les éléments dont il dispose pour fonder sa décision et doit lui permettre de faire connaître utilement son point de vue à l’égard des motifs retenus à son égard avant l’adoption de cette décision. Le respect de cette double obligation procédurale doit précéder l’adoption de cette décision (voir, en ce sens, arrêts du
21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 62 et jurisprudence citée, et du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 111 à 113 et jurisprudence citée).

126    Cependant, il y a lieu de relever que le droit d’être entendu préalablement à l’adoption d’actes qui maintiennent des mesures restrictives à l’égard de personnes déjà visées par ces mesures s’impose lorsque le Conseil a retenu de nouveaux éléments à l’encontre de ces personnes et non lorsqu’un tel maintien est fondé sur les mêmes motifs que ceux qui ont justifié l’adoption de l’acte initial imposant les mesures restrictives en question (arrêts du 28 juillet 2016, Tomana e.a./Conseil et
Commission, C‑330/15 P, non publié, EU:C:2016:601, point 67, et du 7 juin 2023, Shakutin/Conseil, T‑141/21, non publié, EU:T:2023:303, point 74).

127    Lorsque le maintien du nom de la personne ou de l’entité concernée sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives est fondé sur les mêmes motifs que ceux qui ont justifié l’adoption de l’acte initial sans que de nouveaux éléments aient été retenus à son égard, le Conseil n’est pas tenu, pour respecter son droit d’être entendu, de lui communiquer à nouveau les éléments retenus à charge (arrêt du 22 juin 2022, Haswani/Conseil, T‑479/21, non publié, EU:T:2022:383,
point 85 ; voir également, en ce sens, arrêt du 7 avril 2016, Central Bank of Iran/Conseil, C‑266/15 P, EU:C:2016:208, points 32 et 33).

128    En l’espèce, le Conseil a informé la requérante, par lettre du 15 septembre 2023, du maintien de son nom sur les listes litigieuses. À cet égard, la motivation des actes de maintien de septembre 2023 en ce qui concerne la requérante n’ayant pas changé et le Conseil n’ayant pas produit de nouveaux éléments à charge pour compléter la base documentaire sur laquelle reposait le maintien de son nom sur les listes litigieuses, il n’était pas tenu, de sa propre initiative et sans une demande de la
requérante en ce sens, de lui communiquer de nouveau les éléments retenus à charge et de lui donner l’opportunité de présenter des observations.

129    En conséquence, il convient d’écarter le deuxième moyen en ce qui concerne les actes de maintien de septembre 2023.

–       Sur les actes de maintien de mars 2024

130    Ainsi qu’il ressort du point 21 ci-dessus, le nom de la requérante a été maintenu sur les listes litigieuses par les actes de maintien de mars 2024 pour des motifs inchangés. En outre, il convient de relever que, en vue de l’adoption de ces actes, le Conseil ne s’est fondé sur aucun élément à charge nouveau. Partant, conformément à la jurisprudence citée aux points 125 à 127 ci-dessus, le Conseil n’était pas tenu, pour respecter le droit d’être entendu de la requérante, de lui communiquer à
nouveau les mêmes éléments retenus à charge contre elle et de l’entendre préalablement à l’adoption des actes de maintien de mars 2024.

131    En outre, contrairement à ce que soutient la requérante, le fait que le Conseil ne l’ait pas entendue préalablement au maintien de son nom sur les listes litigieuses, conformément à la jurisprudence citée aux points 125 à 127 ci-dessus, ne saurait constituer une violation de l’obligation de réexamen du Conseil.

132    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de rejeter le moyen tiré de la méconnaissance du droit d’être entendu.

 Sur le moyen tiré d’une erreur d’appréciation

–       Considérations liminaires

133    À titre liminaire, s’il est certes vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608,
points 54 et 55, et du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 61 et jurisprudence citée).

134    Par ailleurs, il convient de souligner que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte
que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 128).

135    Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les
situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

136    C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121
et 122, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).

137    À cet égard, il convient de souligner que le contexte des mesures en cause doit être pris en compte et le degré de preuve pouvant être exigé du Conseil doit être adapté du fait de la difficulté d’accès à des preuves et à des éléments d’information objectifs (voir arrêt du 1^er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 102 et jurisprudence citée).

138    De plus, il convient de relever que l’activité du juge de l’Union est régie par le principe de libre appréciation des preuves et le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. À cet égard, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue en tenant compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration ainsi que de son destinataire et se demander si,
d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir arrêt du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 107 et jurisprudence citée).

139    En outre, il importe de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la
situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur les listes litigieuses ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 58 et 59).

140    Enfin, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle l’acte a été adopté (voir arrêts du 3 septembre 2015, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 22 et jurisprudence citée, et du 4 septembre 2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, non publié, EU:T:2015:596, point 112 et jurisprudence citée).

141    C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de vérifier si le Conseil a commis des erreurs d’appréciation en décidant d’inscrire, puis de maintenir le nom de la requérante sur les listes litigieuses.

142    En l’espèce, il importe de relever que, pour justifier l’inscription, puis le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses, le Conseil s’est fondé sur les éléments de preuve figurant, respectivement, dans le premier dossier WK et dans les deuxième et troisième dossiers WK.

143    Le premier dossier WK comporte les éléments de preuve suivants :

–        un jugement du rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas) daté du 6 septembre 2022 (pièce n^o 1),

–        un document provenant de Kroll Issuer Services Ltd daté du 5 avril 2022 (pièce n^o 2) ;

–        une capture d’écran du site de Fortenova Group (pièce n^o 3) ;

–        un extrait du registre national unifié russe des personnes morales daté du 14 septembre 2022 (pièce n^o 4) ;

–        un extrait du registre national unifié russe des personnes morales daté du 3 novembre 2022 (pièce n^o 5) ;

–        un article de l’agence de presse Reuters du 3 novembre 2022 (pièce n^o 6) ;

–        un article de presse d’Euractiv du 8 novembre 2022 (pièce n^o 7) ;

–        un article de presse de Bloomberg News du 21 novembre 2022 (pièce n^o 8) ;

–        un communiqué de presse du site Internet de Fortenova Group du 12 mars 2021 (pièce n^o 9) ;

–        une capture d’écran du site Internet de Fortenova Group (pièce n^o 10) ;

–        une capture d’écran du site Internet GFC Media Group (pièce n^o 11) ;

–        un article du journal Večernji list du 8 novembre 2022 (pièce n^o 12).

144    Le premier dossier WK contient également plusieurs documents regroupés sous le titres « Preuves supplémentaires » comprenant les documents suivants :

–        des écritures déposées dans le cadre d’un contentieux opposant un investisseur émirati notamment à Fortenova Group devant le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) et ses annexes, à savoir une lettre du ministère des Affaires étrangères et européennes croate datée du 25 novembre 2022, un extrait du registre national unifié russe des personnes morales concernant la requérante daté du 31 octobre 2022, une preuve de paiement en date du 31 octobre 2022 effectué au bénéfice de Sberbank par
le fonds spécialisé utilisé par l’investisseur émirati, un extrait du registre national unifié russe des personnes morales concernant ce fonds spécialisé daté du 22 novembre 2022, une déclaration de l’investisseur émirati datée du 22 novembre 2022, une lettre de Fortenova Group adressée à la requérante le 22 novembre 2022, un rapport annuel de 2021 de Fortenova Group TopCo ;

–        un courriel daté du 20 novembre 2022 de l’investisseur émirati à Fortenova Group STAK ;

–        un mémorandum d’un cabinet d’avocats daté du 14 décembre 2022 et adressé à Fortenova Group et ses annexes, dont le contrat de cession de la requérante conclu entre, d’une part, SBC Aktiv et SBK Uranium et, d’autre part, l’investisseur émirati, le contrat de prêt entre l’investisseur émirati et le fonds spécialisé utilisé pour conclure la transaction, des extraits du registre national unifié russe des personnes morales concernant la requérante datés du 31 octobre 2022 et du 15 novembre 2022,
l’accord de cession du droit de créance daté du 31 octobre 2022 entre Sberbank et l’investisseur émirati, une preuve de paiement en date du 31 octobre 2022 effectué au bénéfice de Sberbank par le fonds spécialisé utilisé par l’investisseur émirati, des extraits du registre national unifié russe des personnes morales concernant ce fonds spécialisé datés du 8 novembre 2022 et du 24 novembre 2022, un avis d’exécution de l’obligation par un tiers adressé par l’investisseur émirati à Sberbank.

145    Le deuxième dossier WK comporte uniquement un jugement du Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam, Pays-Bas), daté du 29 décembre 2022.

146    Le troisième dossier WK comporte uniquement le résumé d’une preuve classifiée qui se lit comme suit : « Preuve basée sur les registres officiels des sociétés, confirmant que SBK Art LLC est une filiale contrôlée par le gouvernement de la Fédération de Russie ».

–       Sur la fiabilité des éléments de preuve fournis par le Conseil

147    La requérante remet en cause la fiabilité des éléments de preuve figurant dans le premier dossier WK sur lesquels le Conseil s’est appuyé pour inscrire son nom sur les listes litigieuses, considérant ceux-ci comme provenant de sources non fiables, à savoir des articles de presse et de blogs de qualité médiocre publiés sur Internet. En particulier, la requérante soutient que les articles de médias contenus dans le premier dossier WK ne font que reprendre des déclarations officielles du
président-directeur général (PDG) de Fortenova Croatie. En outre, la requérante remet en cause la valeur probante du document provenant d’un cabinet d’avocats qui serait dépourvu d’informations notamment sur son auteur et aurait été rédigé dans l’intérêt de Fortenova Group.

148    Le Conseil conteste les arguments de la requérante. Il fait valoir qu’il ne s’est pas limité à des articles de presse, mais qu’il a également recueilli des éléments de preuve émanant de documents officiels et des procédures judiciaires devant les juridictions néerlandaises .

149    Il y a lieu de rappeler que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse, des rapports des services secrets ou d’autres sources d’information similaires. Or, selon la jurisprudence, les articles de presse peuvent être utilisés afin de corroborer l’existence de certains faits lorsqu’ils sont suffisamment concrets, précis et
concordants quant aux faits qui y sont décrits. À cet égard, il serait excessif et disproportionné d’exiger du Conseil qu’il mène lui-même des investigations sur le terrain concernant la véracité de faits qui sont relayés par de nombreux médias (voir arrêt du 1^er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 59 et jurisprudence citée).

150    À titre liminaire, il y a lieu de noter que la requérante conteste la fiabilité des éléments de preuve figurant uniquement dans le premier dossier WK.

151    Tout d’abord, il convient de rejeter l’affirmation de la requérante selon laquelle, pour l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, le Conseil ne se fonde que sur des articles de presse et de blogs de qualité médiocre. En effet, il convient de constater que les articles de presse émanent de sources d’information numériques d’origines variées, telles que Reuters (pièce n^o 6), Euractiv (pièce n^o 7) ou Bloomberg News (pièce n^o 8). Concernant la fiabilité des éléments de preuve
soumis par le Conseil, il convient de rappeler, ainsi qu’il a été souligné au point 149 ci-dessus, que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse ou d’autres sources d’information similaires. La requérante ne produit en outre aucun autre élément de nature à remettre en cause la fiabilité desdits éléments de preuve.

152    Ensuite, la requérante fait valoir que les articles de presse ne feraient que reprendre des déclarations d’un représentant de Fortenova Group. À cet égard, s’agissant de la pièce n^o 6 du premier dossier WK, qui est un article de Reuters, et de la pièce n^o 7, qui est un article d’Euractiv, il y a lieu de relever qu’ils ne font pas état de déclarations d’un représentant de Fortenova Group. S’agissant de la pièce n^o 8, qui est un article de Bloomberg News, il convient de relever que cette
publication cite effectivement les propos d’un représentant de Fortenova Group et rapporte également ceux d’un représentant de Sberbank. Toutefois, le seul fait pour un article de presse de citer les propos d’un représentant d’une société n’est pas en tant que tel de nature à remettre en cause la valeur probante de cet élément de preuve, lequel comporte également d’autres informations. En outre, il convient de relever que la requérante n’a apporté aucun élément pour démontrer le caractère erroné des
déclarations et des informations qui y étaient contenues.

153    Au vu de ce qui précède, et en l’absence d’élément avancé par la requérante susceptible de remettre en cause la fiabilité des sources utilisées par le Conseil, il y a lieu de leur reconnaître un caractère sensé et fiable, au sens de la jurisprudence rappelée au point 138 ci-dessus.

154    Enfin, s’agissant du document provenant d’un cabinet d’avocats qui fait partie des documents ajoutés par le Conseil dans la partie « Preuves supplémentaires » du premier dossier WK, il convient, à l’instar du Conseil, de constater que cet avis juridique préparé à la demande de Fortenova Group possède une faible valeur probante.

–       Sur l’application à la requérante du critère d’association

155    La requérante fait valoir, en substance, que le Conseil n’apporte pas d’éléments concrets, précis et concordants permettant de constituer une base factuelle suffisante afin d’étayer l’inscription de son nom sur les listes litigieuses au titre du critère d’association. La requérante conteste le fait que Sberbank continuerait de la contrôler et soutient que le Conseil n’a pas apporté la preuve d’un tel contrôle effectif. Premièrement, la requérante conteste la partie des motifs d’inscription
selon laquelle Sberbank l’aurait prétendument vendue en soutenant qu’une telle vente relève du droit russe et que le Conseil n’a pas prouvé qu’elle n’avait pas eu lieu.

156    Deuxièmement, la requérante conteste que le fait qu’un des administrateurs au sein de Fortenova Group, qui était également employé par Sberbank, soit resté en poste après sa vente par Sberbank démontre le contrôle de cette dernière, et cela d’autant plus que ses actifs et ses droits de vote au sein de Fortenova Group étaient gelés et ne lui auraient pas permis de procéder au remplacement de cet administrateur.

157    Troisièmement, la requérante conteste l’analyse formulée dans le document d’un cabinet d’avocats figurant dans le premier dossier WK, qui conclut ne pas disposer d’informations suffisantes pour se prononcer sur la conformité avec le droit de l’Union de sa vente par Sberbank et sur les circonstances de cette vente. La requérante soutient que les circonstances de la vente tout comme le financement de la transaction grâce à un prêt d’une banque russe n’étaient pas inhabituels.

158    Quatrièmement, la requérante fait valoir que les éléments de preuve contenus dans le premier dossier WK ne permettent pas d’établir que Sberbank la contrôlait au jour de l’adoption des actes initiaux.

159    En particulier, la requérante conteste un document du premier dossier WK émanant du ministère des Affaires étrangères et européennes croate, selon lequel elle serait toujours sous le contrôle de Sberbank, notamment en raison du fait qu’aucune demande d’autorisation de sa vente n’avait été faite auprès des autorités croates. La requérante fait valoir que celles-ci n’avaient pas à autoriser cette vente, étant donné que l’article 17, sous e), du règlement n^o 269/2014, selon lequel ce règlement
s’applique « à toute personne morale, toute entité ou tout organisme pour toute activité économique exercée en totalité ou en partie dans l’Union », n’était pas applicable.

160    Dans la réplique, d’une part, la requérante ajoute que la position du Conseil remettant en cause la validité de la transaction par laquelle elle a été vendue par Sberbank à un investisseur émirati est infondée. En effet, elle fait valoir que cette transaction qui impliquerait un vendeur russe (Sberbank), un actif russe (requérante) et un acheteur émirati ne relevait pas du champ d’application de l’article 17 du règlement n^o 269/2014. Selon la requérante, Sberbank était libre de la vendre
sans avoir recours à la dérogation prévue à l’article 6 ter, paragraphe 2 ter, du règlement n^o 269/2014.

161    D’autre part, la requérante conteste l’argument du Conseil portant sur le contournement, étant donné qu’une transaction conclue en dehors de l’Union portant sur des actifs étrangers et avec un acheteur étranger ne pourrait pas constituer un contournement au sens de l’article 9 du règlement n^o 269/2014.

162    La requérante réitère dans les mémoires en adaptation concernant les actes de maintien de septembre 2023 et de mars 2024 l’argument selon lequel le Conseil n’aurait produit aucun élément de preuve établissant de manière concluante une association entre elle et Sberbank.

163    Le Conseil, soutenu par la République de Croatie, le Royaume des Pays-Bas et la Commission, conteste les arguments de la requérante.

164    Il y a lieu de relever que les motifs des actes attaqués sont fondés sur le critère d’association prévu à l’article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, et à l’article 3, paragraphe 1, in fine, du règlement n^o 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330.

165    À cet égard, il convient de souligner que, bien que la notion d’« association » soit souvent employée dans les actes du Conseil relatifs aux mesures restrictives, elle n’est pas en tant que telle définie et sa signification dépend des contextes et des circonstances en cause. Cela étant, une telle notion peut être considérée comme visant des personnes physiques ou morales qui sont, de façon générale, liées par des intérêts communs sans pour autant nécessiter un lien par les biais d’une
activité économique, mais qui ne sauraient toutefois exclusivement reposer sur un lien familial (arrêt du 25 octobre 2023, QF/Conseil, T‑386/22, non publié, EU:T:2023:670, point 54 ; voir également, en ce sens, arrêt du 8 mars 2023, Prigozhina/Conseil, T‑212/22, non publié, EU:T:2023:104, points 93, 103 et 104 et jurisprudence citée).

166    Le critère d’association peut donc être interprété en ce sens qu’il vise toute personne physique ou morale, ou toute entité qui présente un lien, tel que défini au point 165 ci-dessus, avec une personne qui fait l’objet de mesures restrictives au titre d’un des critères d’inscription prévus par la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, et le règlement n^o 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330.

167    En outre, lorsqu’une entité appartient à, ou est contrôlée par, une entité faisant l’objet de mesures restrictives au titre d’un des critères d’inscription prévus par la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, et le règlement n^o 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330, le lien capitalistique ou de contrôle unissant ces deux entités constitue à l’évidence un lien au sens décrit au point 165 ci-dessus, dès lors qu’il existe un risque non négligeable que
l’entité mère en question exerce une pression sur l’entité qui lui appartient ou qu’elle contrôle pour contourner l’effet des mesures qui la visent (voir, par analogie, arrêt du 4 septembre 2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, non publié, EU:T:2015:596, point 114).

168    Il convient de rappeler que les motifs par lesquels le nom de la requérante a été inscrit sur les listes litigieuses figurent au point 10 ci-dessus et qu’ils sont restés inchangés dans les actes de maintien de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024. Il en ressort, en substance, que le nom de la requérante a été inscrit, puis maintenu sur les listes litigieuses en tant qu’entité associée à Sberbank, en raison de sa qualité de filiale de celle-ci, spécifiquement créée aux fins de la
détention des intérêts de Sberbank dans Fortenova Group et en raison du contrôle effectif que Sberbank conservait sur la requérante, nonobstant le prétendu transfert de ses actions à un homme d’affaires des Émirats arabes unis.

169    Dans ce contexte, il importe de vérifier si les éléments de preuve soumis par le Conseil afin d’adopter les actes attaqués satisfont à la charge de la preuve qui lui incombe et constituent un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour étayer les motifs d’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses au titre du critère d’association.

170    En l’espèce, s’agissant de la qualité de la requérante de filiale de Sberbank, aux fins de la détention des intérêts de Sberbank dans Fortenova Group, il est constant entre les parties que Sberbank détenait 100 % de la requérante par l’intermédiaire de ses filiales SBK Uranium et SBC Aktiv lorsque le nom de Sberbank a été ajouté sur les listes litigieuses par la décision 2022/1272 et par le règlement d’exécution 2022/1270. En outre, la requérante ne conteste pas avoir été créée le 10 décembre
2021 en tant que fonds spécialisé afin de détenir les certificats de dépôts et les obligations convertibles que détenait Sberbank dans Fortenova Group, à savoir dans la société Fortenova Group TopCo située aux Pays-Bas. La requérante ne conteste pas non plus que, le 5 avril 2022, Sberbank lui a transféré lesdits certificats de dépôts et obligations convertibles.

171    Or, le 21 juillet 2022, le Conseil a adopté la décision 2022/1272 et le règlement d’exécution 2022/1270 par lesquels il a inscrit, sous le numéro 108, le nom de Sberbank sur les listes litigieuses. En application de l’article 2 du règlement n^o 269/2014, à la date de l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses, à savoir le 21 juillet 2022, tous les fonds et ressources économiques que Sberbank possédait, détenait ou contrôlait dans l’Union ont été gelés et aucun fonds ni
ressources économiques ne pouvaient être mis, directement ou indirectement, à sa disposition, ce qui incluait notamment les certificats de dépôts et obligations convertibles dans Fortenova Group TopCo située aux Pays-Bas, détenus indirectement par elle, par l’intermédiaire de la requérante. En outre, les droits de vote et de participations liés à ces certificats de dépôts et à ces obligations convertibles étaient également gelés à partir de cette même date, en ce qu’ils constituaient des ressources
économiques au sens de l’article 1^er, sous d), du règlement n^o 269/2014.

172    Par conséquent, la seule finalité de la requérante était de détenir en tant que fonds spécialisé les certificats de dépôts et obligations convertibles de Sberbank dans Fortenova Group TopCo située aux Pays-Bas, lesquels avaient été gelés à la suite de l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses.

173    La requérante ne conteste pas que les certificats de dépôts et obligations convertibles qu’elle détient dans Fortenova Group TopCo située aux Pays-Bas ont été gelés à compter de l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses. Toutefois, la requérante allègue qu’elle aurait cessé d’être une filiale de Sberbank depuis le 31 octobre 2022, lorsqu’elle aurait été vendue par les filiales de Sberbank qui la détenaient, à savoir SBK Uranium et SBC Aktiv, à un investisseur émirati, et
elle fait valoir que, par conséquent, à la date de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, à savoir le 16 décembre 2022, et à la date d’adoption des actes de maintien de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024, elle n’était plus une filiale de Sberbank.

174    Concernant cette vente, le premier dossier WK comporte l’acte de cession de la requérante, signé par SBK Uranium et SBC Aktiv et un investisseur émirati, et le contrat de vente entre Sberbank et cet investisseur émirati, ayant pour objet une créance détenue par Sberbank à la suite du transfert à la requérante, le 5 avril 2022, des certificats de dépôts et obligations convertibles dans Fortenova Group TopCo. Le premier dossier WK comporte également le contrat de prêt conclu entre le fonds
spécialisé (utilisé par l’investisseur émirati pour l’acquisition de la requérante) et une banque russe, ainsi que la preuve du virement effectué par cette banque à ce fonds le 31 octobre 2022 et du virement effectué par ledit fonds à Sberbank à la même date pour le paiement de cette créance.

175    Le Conseil, soutenu par la République de Croatie, le Royaume des Pays-Bas et la Commission, considère que cette vente n’a pas d’effet dans l’Union, étant donné qu’elle n’a pas été autorisée par une autorité nationale compétente conformément à la dérogation prévue à l’article 6 ter, paragraphe 2 ter, du règlement n^o 269/2014.

176    À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort du point 171 ci-dessus que, à compter de l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses, le 21 juillet 2022, les certificats de dépôts et obligations convertibles détenus par la requérante sur Fortenova Group TopCo située dans l’Union ont été gelés en application de l’article 2 du règlement n^o 269/2014.

177    L’article 1^er, sous f), du règlement n^o 269/2014 définit la notion de « gel de fonds » comme « toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation, manipulation de fonds ou accès à ceux-ci qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l’utilisation, y compris la gestion de
portefeuilles ».

178    Par conséquent, ainsi qu’il découle de l’application de l’article 1^er, sous f), du règlement n^o 269/2014 au cas d’espèce, les certificats de dépôts et obligation convertibles détenus par la requérante ne pouvaient plus, depuis l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses, à savoir le 21 juillet 2022, faire l’objet d’aucun mouvement, transfert, modification, utilisation ou accès qui aurait eu pour conséquence, notamment, un changement de leur propriété, de leur possession ou
toute autre modification qui aurait pu en permettre l’utilisation.

179    Les seules possibilités pour que lesdits certificats de dépôts et obligations convertibles détenus par la requérante soient dégelés consistaient soit en le retrait du nom de Sberbank des listes litigieuses, soit en l’application d’une des dérogations prévues par le règlement n^o 269/2014.

180    À cet égard, il y a lieu de constater que, au moment de l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses, le Conseil a, par la décision 2022/1272, inséré à l’article 2, paragraphe 15, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, une dérogation spécifiquement pour Sberbank, inscrite sous le numéro 108, prévoyant, sous certaines conditions, le déblocage de fonds ou ressources économiques gelés. En outre, l’article 6 ter, paragraphe 2 ter, du règlement
n^o 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330, comprend la même dérogation formulée en des termes identiques à ceux de l’article 2, paragraphe 15, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329.

181    Il convient de rappeler que la requérante détient des certificats de dépôts et des obligations convertibles sur Fortenova Group TopCo située aux Pays-Bas. En outre, il est constant entre les parties qu’aucune autorisation n’a été demandée auprès de l’autorité nationale compétente néerlandaise, ni d’ailleurs auprès d’aucune autre autorité nationale d’un État membre, concernant la cession de la requérante à l’investisseur émirati. Cela est d’ailleurs confirmé par les éléments de preuve n^os 7,
8 et 9 du premier dossier WK, qui sont des articles publiés respectivement par Reuters, Euractiv et Bloomberg News, selon lesquels le transfert de la requérante par Sberbank à l’investisseur émirati n’aurait pas fait l’objet d’une demande d’autorisation auprès des autorités croates ou néerlandaises.

182    Selon la requérante, l’article 6 ter, paragraphe 2 ter, du règlement n^o 269/2014 n’est applicable que si une transaction relève du champ d’application de l’article 17 du règlement n^o 269/2014, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce étant donné que la transaction en cause concernait le transfert de propriété d’une entité russe, à savoir elle-même, conformément au droit russe, et impliquait des personnes physiques ou morales qui n’étaient pas des ressortissants de l’Union et n’étaient pas
établies dans l’Union.

183    En premier lieu, il convient de déterminer si le règlement n^o 269/2014 était applicable à la transaction par laquelle Sberbank, par l’intermédiaire de ses filiales SBC Aktiv et SBK Uranium, a cédé la requérante à l’investisseur émirati.

184    À cet égard, il convient de rappeler que l’article 17, sous a), du règlement n^o 269/2014 dispose que ce règlement s’applique « sur le territoire de l’Union, y compris dans son espace aérien ».

185    En l’espèce, il convient de constater que la transaction en cause a été effectuée entre Sberbank, par l’intermédiaire de ses filiales SBC Aktiv et SBK Uranium établies en Russie, et un investisseur émirati, et concerne la vente d’une société établie en Russie, à savoir la requérante. Toutefois, ainsi qu’il ressort de la pièce n^o 1 du premier dossier WK, la requérante a été créée en tant que fonds spécialisé dans le seul but de détenir les intérêts de Sberbank dans Fortenova Group, à savoir
les certificats de dépôts et des obligations convertibles sur Fortenova Group TopCo située aux Pays-Bas, lesquels ont été transférés à la requérante le 5 avril 2022. Par conséquent, bien que la requérante soit une société établie en Russie, elle détient des fonds situés dans l’Union sous la forme de certificats de dépôts et obligations convertibles sur une société établie dans l’Union.

186    Étant donné que la cession par Sberbank de la requérante à l’investisseur émirati aurait pour conséquence le transfert de ces fonds situés sur le territoire de l’Union, en application de l’article 17, sous a), du règlement n^o 269/2014, ce règlement était applicable à la cession par Sberbank de la requérante à l’investisseur émirati.

187    En second lieu, il convient de déterminer si la dérogation prévue à l’article 6 ter, paragraphe 2 ter, du règlement n^o 269/2014 était applicable à la transaction en cause par laquelle la requérante a été vendue à l’investisseur émirati.

188    Selon une jurisprudence constante de la Cour, il convient, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [voir arrêt du 29 avril 2021, X (Mandat d’arrêt européen – Ne bis in idem), C‑665/20 PPU, EU:C:2021:339, point 69 et jurisprudence citée].

189    Il convient de rappeler que l’article 6 ter, paragraphe 2 ter, du règlement n^o 269/2014 dispose que, « “[p]ar dérogation à l’article 2, les autorités compétentes d’un État membre peuvent, dans des conditions qu’elles jugent appropriées, autoriser le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés, ou la mise de certains fonds ou ressources économiques à la disposition de l’entité inscrite sur la liste figurant à l’annexe I, sous le numéro 108, après avoir établi que ces fonds ou
ressources économiques sont nécessaires pour mettre fin, au plus tard le 31 octobre 2022, à une vente et un transfert en cours de droits de propriété que possède directement ou indirectement cette entité dans une personne morale, une entité ou un organisme établi dans l’Union. »

190    Premièrement, il ressort du libellé de l’article 6 ter, paragraphe 2 ter, du règlement n^o 269/2014 que cette dérogation s’applique pour la vente de droits de propriété que possède directement ou indirectement Sberbank dans une personne morale, une entité ou un organisme établi dans l’Union.

191    À cet égard, il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel cette dérogation ne serait pas applicable à la transaction en cause étant donné que l’objet de cette transaction était une société établie en Russie, à savoir elle-même, et ne concernait pas des actifs situés dans l’Union. En effet, ainsi qu’il ressort du point 170 ci-dessus, à la date de l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses, celle-ci détenait 100 % de la requérante par l’intermédiaire de ses
filiales SBK Uranium et SBC Aktiv et la requérante détenait des certificats de dépôts et obligations convertibles dans le capital de Fortenova Group TopCo, située aux Pays-Bas. Par conséquent, ces certificats de dépôts et obligations convertibles constituaient des droits de propriété détenus indirectement par Sberbank dans une personne morale établie dans l’Union, à savoir Fortenova Group Topco, société établie aux Pays-Bas.

192    Deuxièmement, s’agissant de l’interprétation systématique de l’article 6 ter, paragraphe 2 ter, du règlement n^o 269/2014, il convient de constater que la dérogation prévue à cette disposition est une dérogation par rapport à l’article 2 du règlement n^o 269/2014, lequel prévoit le gel des fonds et des ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes, ou aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés. En l’absence
d’une autorisation de déblocage telle que celle prévue à l’article 6 ter, paragraphe 2 ter, du règlement n^o 269/2014, les fonds et ressources économiques gelés en application de l’article 2, paragraphe 1, du règlement n^o 269/2014 ne peuvent pas être dégelés et ne peuvent pas faire l’objet d’un transfert de propriété.

193    Troisièmement, cette conclusion est corroborée par l’objectif poursuivi par le règlement n^o 269/2014. L’objectif des dérogations prévues par ce règlement, telles que la dérogation prévue à l’article 6 ter, paragraphe 2 ter, est de circonscrire clairement les cas dans lesquels les entités inscrites sur les listes litigieuses peuvent demander des autorisations aux autorités nationales compétentes pour vendre des actifs gelés et ainsi de garantir l’efficacité des mesures restrictives. Par
conséquent, cette dérogation s’inscrit alors dans le cadre des objectifs de cette réglementation régissant les mesures restrictives en cause, qui poursuit des objectifs liés à la nécessité, compte tenu de la gravité de la situation, d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays.

194    Ainsi, la propriété de fonds gelés, tels que les actifs situés au sein de l’Union détenus par la requérante dans Fortenova Group, ne peut pas être transférée par des personnes physiques ou morales dont le nom est inscrit sur les listes litigieuses à d’autres personnes en dehors de l’Union, sans avoir recours à une dérogation telle que celle prévue à l’article 6 ter, paragraphe 2 ter, du règlement n^o 269/2014.

195    Or, la vente par Sberbank de la requérante, dont la seule finalité est de détenir des certificats de dépôts et des obligations convertibles dans Fortenova Group TopCo située dans l’Union, aurait pour conséquence le dégel et le transfert de ces actifs gelés à la suite de l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses.

196    Par conséquent, contrairement à ce que soutient la requérante, l’article 6 ter, paragraphe 2 ter, du règlement n^o 269/2014 était applicable à sa vente à l’investisseur émirati, de sorte qu’il était nécessaire de demander et d’obtenir auprès de l’autorité néerlandaise compétente une autorisation pour effectuer la transaction en cause.

197    En effet, si une telle transaction était reconnue dans l’Union, en l’absence d’autorisation d’une autorité nationale compétente en vertu d’une dérogation prévue par le règlement n^o 269/2014, cela réduirait à néant les effets des mesures restrictives dont fait l’objet Sberbank.

198    À cet égard, il convient de constater que cette vente n’a pas obtenu d’autorisation préalable de la part d’une autorité nationale compétente conformément à l’article 6 ter, paragraphe 2 ter, du règlement n^o 269/2014. Or, en l’absence d’une telle autorisation, cette vente ne peut pas produire d’effet au regard du droit de l’Union sur des mesures restrictives. C’est donc à juste titre que le Conseil a qualifié cette vente de « prétendu transfert » dans les motifs d’inscription du nom de la
requérante sur les listes litigieuses.

199    Il s’ensuit que le transfert par Sberbank à un investisseur émirati des certificats de dépôts ainsi que des obligations convertibles, détenus par la requérante dans Fortenova Group TopCo au sein de l’Union et gelés depuis l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses, sans une autorisation d’une autorité nationale compétente, est contraire aux dispositions du règlement n^o 269/2014 et, partant, doit être considéré comme dépourvu d’effet en droit de l’Union.

200    Par conséquent, du point de vue du droit de l’Union, la vente alléguée de la requérante à un investisseur émirati n’a pas modifié sa situation à la date d’adoption des actes initiaux et des actes de maintien de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024 par rapport à sa situation à la date de l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses. En effet, la requérante continuait à détenir des certificats de dépôts et obligations convertibles dans Fortenova Group TopCo gelés à la
suite de l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses, lesquels ne pouvaient plus faire l’objet d’aucune modification ni d’aucun transfert de propriété à partir de cette date sans autorisation de déblocage de ces fonds par une autorité nationale compétente.

201    Il s’ensuit que le fait pour la requérante de continuer à détenir les certificats de dépôts et obligations convertibles dans Fortenova Group TopCo située aux Pays-Bas, lesquels ont été gelés à la suite de l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses, démontre l’existence d’intérêts communs la liant à Sberbank.

202    Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de conclure que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptible de mettre en évidence le fait que la requérante était, à la date des actes initiaux et des actes de maintien de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024, une personne morale associée à Sberbank, au sens du critère d’association, en raison du fait qu’elle continuait à détenir des intérêts de Sberbank dans Fortenova Group.

203    Selon la jurisprudence, s’agissant du contrôle de la légalité d’une décision adoptant des mesures restrictives, et eu égard à leur nature préventive, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (voir arrêt du
28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 et jurisprudence citée).

204    Dès lors, le bien-fondé du motif tiré de la qualité de la requérante de filiale de Sberbank détenant des certificats de dépôts et des obligations convertibles dans Fortenova Group TopCo justifie, à lui seul, le rejet du deuxième moyen, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des autres motifs tirés du contrôle effectif que continuerait d’exercer Sberbank sur la requérante.

205    Il s’ensuit qu’il convient de rejeter le moyen tiré d’une erreur d’appréciation.

 Sur le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité

206    La requérante fait valoir que les actes attaqués ne contribuent pas à la réalisation des objectifs de l’Union. Selon la requérante, l’inscription et le maintien de son nom sur les listes litigieuses n’ont pas pour objectif d’augmenter le coût de la guerre pour la Fédération de la Russie, mais visent en réalité d’autres objectifs liés aux intérêts économiques de la République de Croatie dans Fortenova Group, société qu’elle considère comme importante sur le plan stratégique.

207    La requérante soutient que l’inscription et le maintien de son nom sur les listes litigieuses sont superflus et disproportionnés. Selon elle, dès lors que l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses a entraîné le gel des avoirs situés dans l’Union de toutes ses filiales, il n’était pas nécessaire de la sanctionner davantage si, comme le prétend le Conseil, Sberbank n’avait jamais perdu son contrôle sur elle.

208    Par ailleurs, la requérante fait valoir que Fortenova Group était tenu d’agir à la suite des mesures restrictives dont faisait l’objet Sberbank. Si Fortenova Group avait conclu que l’investisseur émirati n’achetait pas les actions de la requérante pour son propre compte, les instruments financiers en cause seraient restés gelés, même si le Conseil n’avait pas inscrit le nom de la requérante sur les listes litigieuses.

209    Le Conseil, soutenu par le Royaume des Pays-Bas et la Commission, conteste les arguments de la requérante.

210    Le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union et qui est repris à l’article 5, paragraphe 4, TUE, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient de nature à permettre que soient atteints les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs (arrêt du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et
C‑550/10 P, EU:C:2012:711, point 122).

211    En l’espèce, il y a lieu de relever que la désignation de la requérante en tant que personne morale associée à Sberbank poursuit un des objectifs de la PESC. En effet, l’adoption de mesures restrictives à l’égard d’entités associées à des personnes physiques ou morales, entités ou organismes inscrits sur les listes litigieuses sur le fondement de l’un des critères prévus par la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, répond à l’objectif visé à l’article 21,
paragraphe 2, sous c), TUE de préserver la paix, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale, conformément aux buts et aux principes de la charte des Nations unies. Il s’ensuit que, à la lumière des objectifs poursuivis par les mesures restrictives visant la requérante, s’agissant du caractère approprié desdites mesures, celles-ci ne sauraient, en tant que telles, passer pour inadéquates (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 2 décembre 2020, Kalai/Conseil, T‑178/19, non
publié, EU:T:2020:580, point 171 et jurisprudence citée).

212    Dans les circonstances de la présente affaire, il convient également de relever que, aux considérants 2 à 10 de la décision 2022/329, le Conseil a fait état d’une dégradation continue de la situation en Ukraine ayant abouti, le 24 février 2022, à l’agression de l’Ukraine par le Fédération de Russie en violation flagrante de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’indépendance de cet État. Ainsi, c’est en raison de l’aggravation de la situation en Ukraine, caractérisée par le
déclenchement de la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie, que le Conseil a estimé devoir élargir le cercle des personnes et des entités visées par les mesures restrictives, afin d’atteindre les objectifs poursuivis. Or, il résulte d’une telle démarche fondée sur la progressivité de l’atteinte aux droits en fonction de l’effectivité des mesures que leur proportionnalité est établie (voir, par analogie, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft,
C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 126, et du 25 janvier 2017, Almaz-Antey Air and Space Defence/Conseil, T‑255/15, non publié, EU:T:2017:25, point 104).

213    En outre, en visant également les personnes physiques ou morales, entités ou organismes associés à des personnes inscrites sur les listes litigieuses sur le fondement de l’un des critères prévus à l’article 2, paragraphe 1, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, le Conseil pouvait légitimement espérer que les actions de la Fédération de Russie cessent ou qu’elles deviennent plus coûteuses pour ceux qui les entreprenaient, afin de promouvoir une cessation de la
violation flagrante de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’indépendance de l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 157). Dès lors, contrairement à ce que fait valoir la requérante, il existe un rapport entre l’inscription de son nom sur les listes litigieuses et l’objectif poursuivi par les mesures restrictives.

214    À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’importance des objectifs poursuivis par un acte de l’Union établissant un régime de mesures restrictives est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs, y compris pour ceux qui n’ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des mesures concernées (voir, par analogie, arrêts du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission,
C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 361, et du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 150).

215    L’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses en tant que personne morale associée à Sberbank et les mesures restrictives qui en découlent sont également nécessaires afin de réaliser et de mettre en œuvre les objectifs visés à l’article 21 TUE, dans la mesure où des mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas d’atteindre aussi
efficacement l’objectif poursuivi, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, en ce sens, arrêts du 21 janvier 2016, Makhlouf/Conseil, T‑443/13, non publié, EU:T:2016:27, point 112, et du 25 janvier 2017, Almaz-Antey Air and Space Defence/Conseil, T‑255/15, non publié, EU:T:2017:25, point 106). En outre, la requérante n’a pas démontré que des mesures alternatives moins contraignantes auraient permis d’atteindre aussi efficacement ces objectifs.

216    Par ailleurs, il y a lieu de constater que la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, et le règlement n^o 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330, prévoient la possibilité d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques et de réviser l’inclusion du nom des personnes ou entités concernées dans les listes litigieuses périodiquement, en vue de permettre que les personnes et
les entités ne répondant plus aux critères pour figurer dans lesdites listes en soient radiées.

217    S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel l’inscription de son nom sur les lites litigieuses est superflue, en raison du fait que les avoirs qu’elle détient avaient déjà été gelés à la suite de l’inscription du nom de Sberbank, premièrement, il y a lieu de relever que la possibilité d’inscrire sur les listes litigieuses également des personnes physiques ou morales, entités ou organismes, associés aux personnes sanctionnées découle de l’article 2, paragraphe 1, de la décision
2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, et de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n^o 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330.

218    Deuxièmement, une telle inscription peut également viser à éviter un risque de contournement des mesures restrictives. En effet, comme il résulte de la jurisprudence, lorsque les fonds d’une entité sont gelés, il existe un risque non négligeable que celle‑ci exerce une pression sur les entités qu’elle détient ou contrôle pour contourner l’effet des mesures qui la visent, de sorte que le gel des fonds de ces entités est nécessaire et approprié pour assurer l’efficacité des mesures adoptées et
garantir que ces mesures ne seront pas contournées (voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 2012, Melli Bank/Conseil, C‑380/09 P, EU:C:2012:137, point 58, et du 22 septembre 2016, NIOC e.a./Conseil, C‑595/15 P, non publié, EU:C:2016:721, point 89).

219    Ainsi, contrairement à ce que constate la requérante, l’adoption des actes attaqués inscrivant et maintenant son nom sur les listes litigieuses n’était pas superflue, même si les avoirs qu’elle détenait dans l’Union étaient déjà gelés à la suite de l’inscription du nom de Sberbank sur les listes litigieuses. À cet égard, il ressort notamment d’un courriel envoyé par l’investisseur émirati à Fortenova Group daté du 20 novembre 2022, inclus dans le premier dossier WK dans la partie « Preuves
supplémentaires », que cet investisseur considérait que, à cette date, la requérante n’était plus contrôlée par une entité faisant l’objet de mesures restrictives et demandait à pouvoir participer et faire usage de ses droits de vote lors des futures réunions de Fortenova Group.

220    Par ailleurs, il convient également d’écarter l’argument de la requérante selon lequel l’inscription de son nom serait un moyen de protéger les intérêts de la République de Croatie. En effet, l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, prévoit que « [l]e Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition d’un État membre […] décide d’établir et de modifier la liste figurant en annexe ». Ainsi, c’est le Conseil agissant à l’unanimité, et non la
République de Croatie, qui a pris la décision d’inscrire le nom de la requérante sur les listes litigieuses afin de poursuivre les objectifs de la PESC.

221    Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter le moyen tiré d’une violation du principe de proportionnalité et, partant, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

222    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

223    En outre, selon l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens.

224    En l’espèce, la requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier, y compris ceux afférents à la procédure de référé. La République de Croatie, le Royaume des Pays-Bas et la Commission supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      SBK Art OOO supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

3)      La République de Croatie, le Royaume des Pays-Bas et la Commission européenne supporteront leurs propres dépens.

Mastroianni Brkan Tóth

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 avril 2025.

Signatures

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*      Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : T-102/23
Date de la décision : 30/04/2025
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste – Notion d’“association” – Article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145/PESC – Article 3, paragraphe 1, in fine, du règlement (UE) no 269/2014 – Obligation de motivation – Droits de la défense – Erreur d’appréciation – Proportionnalité – Exception d’illégalité.

Relations extérieures

Politique étrangère et de sécurité commune


Parties
Demandeurs : SBK Art OOO
Défendeurs : Conseil de l'Union européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Brkan

Origine de la décision
Date de l'import : 02/05/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2025:416

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