ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
18 décembre 2024 ( *1 )
« Marchés publics – Règlement financier – Exclusion pour une durée de deux ans des procédures de passation de marchés et d’octroi de subventions financées par le budget général de l’Union et par le FED – Manquement grave à des obligations essentielles dans l’exécution d’un contrat antérieur – Article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier – Absence de lien d’automaticité entre un constat de manquement aux obligations contractuelles opéré par le juge du contrat et l’adoption d’une mesure
d’exclusion par l’ordonnateur compétent – Obligation d’évaluation du comportement de la personne mise en cause de manière concrète et individualisée – Marché antérieur attribué à un groupement d’opérateurs économiques – Responsabilité contractuelle solidaire »
Dans l’affaire T‑776/22,
TP, représentée par Mes T. Faber, F. Bonke et I. Sauvagnac, avocats,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par MM. P. Rossi, F. Behre et Mme F. Moro, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),
composé de M. S. Papasavvas, président, Mme P. Škvařilová‑Pelzl (rapporteure), M. I. Nõmm, Mme G. Steinfatt et M. D. Kukovec, juges,
greffier : M. A. Marghelis, administrateur,
vu l’ordonnance du 22 mars 2023, TP/Commission (T‑776/22 R, non publiée, EU:T:2023:158),
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 29 mai 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, TP, demande l’annulation de la décision de la Commission européenne du 1er octobre 2022 par laquelle elle a été exclue, d’une part, de la participation aux procédures d’attribution régies par le règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013,
(UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci-après le « règlement financier 2018 »), ou financées par le 11e Fonds européen de développement (FED) et, d’autre part, de la sélection pour l’exécution des Fonds de l’Union européenne (ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
2 La requérante a conclu le 26 juin 2009 un accord de consortium avec une autre société (ci-après le « partenaire ») afin de participer à une procédure de passation d’un marché public de travaux lancée par la Commission. Ce marché portait sur la modernisation d’un ouvrage.
3 La Commission a décidé d’attribuer le marché au consortium formé par la requérante et son partenaire (ci-après le « consortium »). Un contrat a été conclu à cet égard le 5 octobre 2009 (ci-après le « contrat litigieux »).
4 Les travaux ont débuté en novembre 2009 et se sont achevés deux ans plus tard, en novembre 2011.
5 En février 2012, des dysfonctionnements de l’ouvrage ont été constatés. L’ingénieur chargé des travaux a alors réalisé une étude. Le partenaire, au nom du consortium, a procédé à des réparations sur la base de cette étude et des instructions de l’ingénieur.
6 Insatisfaite des réparations effectuées par le partenaire, la Commission a adressé au consortium, le 17 décembre 2013, une notification de résiliation anticipée du contrat litigieux. Le 14 janvier 2014, le consortium a envoyé à son tour une notification de résiliation du contrat litigieux.
7 La Commission et le consortium sont convenus de résoudre leur différend relatif à la résiliation du contrat en le soumettant à un comité de règlement des litiges.
8 Par décision du 3 juillet 2014, le comité de règlement des litiges a indiqué que les problèmes de fonctionnement de l’ouvrage avaient été causés par une combinaison de défauts de conception et d’exécution, dont la responsabilité était imputable à la fois à la Commission et au consortium.
9 La Commission a alors demandé la réalisation d’une nouvelle étude de l’ouvrage, laquelle a donné lieu à la communication d’un rapport le 17 juillet 2017.
10 Sur la base, notamment, de ce rapport, la Commission a engagé, le 15 septembre 2017, une procédure d’arbitrage en vertu du règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI).
11 Le 11 février 2020, un tribunal arbitral constitué sous l’égide de la CCI (ci-après le « tribunal arbitral ») a rendu une sentence partielle par laquelle il a constaté l’existence de 6757 défauts résultant des travaux exécutés en application du contrat litigieux. Selon lui, 4206 d’entre eux relevaient de la responsabilité exclusive du consortium et 2551 d’entre eux relevaient d’une responsabilité partagée de la Commission, à hauteur de 60 %, et du consortium, à hauteur de 40 %.
12 Le 19 juillet 2022, le tribunal arbitral a rendu sa sentence finale, dans laquelle il a jugé, notamment, que la requérante et le partenaire étaient conjointement et solidairement condamnés à payer à l’Union un montant correspondant aux coûts nécessaires pour réparer l’ouvrage.
13 Pour parvenir à cette décision, le tribunal arbitral a qualifié la conduite du consortium de négligence grave, ce qui lui a permis de ne pas faire application d’une clause du contrat litigieux limitant la responsabilité contractuelle des parties.
14 Les deux sentences du tribunal arbitral ont fait l’objet de recours, toujours pendants à la date d’introduction du présent recours.
15 En février 2021, la Commission avait saisi l’instance interinstitutionnelle établie en vertu de l’article 143 du règlement financier 2018, laquelle, ainsi qu’il ressort du considérant 38 dudit règlement, est chargée d’évaluer les demandes et d’émettre des recommandations sur la nécessité de prendre des décisions d’exclusion ou d’imposition de sanctions financières dans les cas qui lui sont soumis par la Commission ou d’autres institutions et organismes de l’Union.
16 Le 1er octobre 2022, à la suite de la recommandation de l’instance institutionnelle mentionnée au point 15 ci-dessus, la Commission a adopté la décision attaquée.
Conclusions des parties
17 La requérante conclut, dans le dernier état de ses écritures, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission à l’indemniser pour le préjudice subi du fait de la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
18 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur la demande d’omission des données
19 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 5 janvier 2023, la requérante a introduit une demande d’omission de certaines données envers le public.
20 Dans la conciliation entre la publicité des décisions de justice et le droit à la protection des données à caractère personnel et du secret d’affaires, le juge doit rechercher, dans les circonstances de chaque espèce, le juste équilibre, en prenant en compte le droit d’accès du public aux décisions de justice (arrêt du 27 avril 2022, Sieć Badawcza Łukasiewicz – Port Polski Ośrodek Rozwoju Technologii/Commission, T‑4/20, EU:T:2022:242, point 29).
21 De plus, il convient de rappeler que la publicité des décisions de justice vise à permettre le contrôle de la justice par le public et constitue une garantie procédurale fondamentale contre l’arbitraire (Cour EDH, 16 avril 2013, Fazliyski c. Bulgarie, CE:ECH:2013:0416JUD004090805, point 69).
22 Partant, il y a lieu de faire droit, dans la mesure du possible, à la demande de la requérante, pour autant que l’exigence de contrôle de la justice par le public ne s’y oppose pas. Pour le reste, cette demande est rejetée.
Sur les conclusions aux fins d’annulation
23 Au soutien de ses conclusions aux fins d’annulation, la requérante invoque trois moyens, tirés, le premier, de la méconnaissance des dispositions de l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018, le deuxième, de la méconnaissance des dispositions de l’article 136, paragraphe 3, du règlement financier 2018 ainsi que de la violation du principe de proportionnalité et, le troisième, de l’application rétroactive d’une sanction plus sévère.
24 S’agissant du premier moyen, la requérante soutient qu’il appartient à l’ordonnateur compétent pour adopter une sanction en vertu de l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018 de procéder à un examen individuel de la conduite de la personne mise en cause, y compris lorsque plusieurs personnes ou entités sont concernées par une situation. Elle fait valoir que la Commission n’a pas procédé de la sorte à son égard, en ce qu’elle s’est exclusivement fondée sur sa responsabilité
conjointe et solidaire en tant que membre du consortium et en déduit que la Commission a méconnu l’article 136, paragraphe 1, du règlement financier 2018.
25 La Commission, après avoir relevé que la décision attaquée ne constituait pas une sanction pénale, soutient que la requérante n’est pas parvenue à réfuter les constatations factuelles qui lui avaient été communiquées au cours de la procédure administrative préalable à l’adoption de ladite décision.
26 La Commission indique que le tribunal arbitral a constaté que le comportement de la requérante, en tant que partie du contractant, avait été gravement négligent et qu’aucune limitation de responsabilité ne pouvait s’appliquer en raison de l’importance et de la gravité des manquements constatés. Elle ajoute qu’elle a adopté la décision attaquée en se fondant sur ce constat du tribunal arbitral, qui lui a permis de conclure que la requérante avait manqué, à titre personnel, à des obligations
essentielles dans l’exécution du contrat litigieux.
27 La Commission rappelle par ailleurs que la requérante et le partenaire se sont engagés solidairement à exécuter le contrat litigieux.
28 La Commission se prévaut également de la jurisprudence de la Cour en matière de concurrence, laquelle est relative à la responsabilité de la société mère au titre des agissements de sa filiale, et, notamment, de l’arrêt du 14 septembre 2016, Ori Martin et SLM/Commission (C‑490/15 P et C‑505/15 P, non publié, EU:C:2016:678, point 60).
29 L’examen du présent moyen conduit à déterminer si le constat par le juge du contrat d’un manquement aux obligations contractuelles attribuable à un groupement de personnes avec lequel une institution ou un organisme de l’Union a signé un marché, duquel résulte une responsabilité contractuelle solidaire de chacune des personnes participant à ce groupement, permet à l’ordonnateur compétent, sur la base de cette seule solidarité contractuelle, d’adopter une mesure d’exclusion à l’encontre de l’une
de ces personnes.
30 À cet égard, il est nécessaire, dans un premier temps, de déterminer si l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018 doit être interprété comme imposant automatiquement l’adoption d’une mesure d’exclusion par l’ordonnateur compétent.
31 En effet, en présence d’un tel lien, le constat par le juge du contrat d’un manquement aux obligations contractuelles attribuable à un groupement de personnes avec lequel une institution ou un organisme de l’Union a signé un marché, duquel résulte une responsabilité contractuelle solidaire de chacune des personnes participant à ce groupement, permettrait à l’ordonnateur compétent, sur la base de cette seule solidarité contractuelle, d’adopter une mesure d’exclusion à l’encontre de l’une de ces
personnes.
32 Si, au terme de la première étape du raisonnement, l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018 ne peut être interprété comme imposant automatiquement l’adoption d’une mesure d’exclusion par l’ordonnateur compétent, il conviendra, alors, dans un second temps, de vérifier si cette disposition doit être interprétée comme imposant à l’ordonnateur compétent une obligation d’examen individuel du comportement de la personne mise en cause lorsqu’il entend en faire application.
Sur l’existence d’un lien d’automaticité entre le constat d’un manquement aux obligations contractuelles et l’adoption d’une mesure d’exclusion
33 Selon une jurisprudence constante, lors de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte, des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie et, le cas échéant, de sa genèse (voir arrêt du 18 octobre 2022, IG Metall et ver.di, C‑677/20, EU:C:2022:800, point 31 et jurisprudence citée).
– Sur l’interprétation littérale de l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018
34 L’article 136 du règlement financier 2018, intitulé « Critères d’exclusion et décisions d’exclusion », prévoit, à son paragraphe 1, ce qui suit :
« 1. L’ordonnateur compétent exclut une personne ou une entité visée à l’article 135, paragraphe 2, de la participation aux procédures d’attribution régies par le présent règlement ou de la sélection pour l’exécution des fonds de l’Union lorsque cette personne ou entité se trouve dans une ou plusieurs des situations d’exclusion suivantes :
[…]
e) la personne ou l’entité a gravement manqué à des obligations essentielles dans l’exécution d’un engagement juridique financé par le budget, ce qui […] :
i) [a conduit à] la résiliation anticipée d’un engagement juridique ;
ii) [a conduit à] l’application de dommages-intérêts forfaitaires ou d’autres pénalités contractuelles ; [...]
iii) […] a été découvert à la suite de contrôles et d’audits ou d’enquêtes effectués par un ordonnateur, l’[Office européen de lutte antifraude] ou la Cour des comptes ;
[…] »
35 L’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018 fait ainsi référence à un manquement à des obligations dans l’exécution d’un engagement juridique.
36 La notion d’« engagement juridique » est définie à l’article 2 du règlement financier 2018. Il s’agit d’un acte par lequel l’ordonnateur compétent crée ou constate une obligation de laquelle il résulte un ou des paiements ultérieurs et la comptabilisation de la dépense à la charge du budget, y compris les accords et les contrats spécifiques conclus dans le cadre de conventions-cadres de partenariat financier et de contrats-cadres. Cette définition très large inclut les contrats.
37 De plus, au considérant 67 du règlement financier 2018, il est fait référence, s’agissant d’une décision d’exclusion d’une personne ou d’une entité de la participation aux procédures d’attribution, à un défaut d’exécution d’un « contrat ».
38 Enfin, l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018, qui prévoit, notamment, que le manquement constaté a conduit à une « résiliation anticipée » ou à l’application de pénalités « contractuelles », renvoie à un contexte contractuel.
39 Par conséquent, l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018 est applicable dans l’hypothèse d’un manquement à des obligations contractuelles.
40 Toutefois, l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018 ne prévoit pas que tout manquement à une obligation contractuelle entraîne automatiquement l’adoption d’une mesure d’exclusion. En effet, il est fait référence dans cette disposition au fait d’avoir « gravement manqué » à des « obligations essentielles ». Il s’agit de conditions supplémentaires imposées spécifiquement par ce règlement financier pour l’adoption d’une mesure d’exclusion.
41 L’existence de telles conditions, qui ne résultent pas du contrat ou de la loi applicable à celui-ci, mais du règlement financier 2018, implique qu’est en cause, dans une telle hypothèse, une qualification juridique des faits opérée par l’ordonnateur compétent, qui est distincte de celle opérée, le cas échéant, par le juge du contrat.
42 En outre, les termes employés sont suffisamment indéterminés pour laisser une marge d’appréciation à l’ordonnateur compétent dans la qualification juridique des faits, ce qui confirme que celui-ci, avant d’adopter une mesure d’exclusion, doit procéder à une qualification juridique autonome des faits.
43 Au regard des considérations exposées aux points 34 à 42 ci-dessus, il peut être conclu qu’il ressort du libellé de l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018 qu’il n’y a pas de lien d’automaticité entre un constat de manquement aux obligations contractuelles opéré par le juge du contrat et l’adoption d’une mesure d’exclusion par ledit ordonnateur, dès lors que ce dernier doit procéder à une qualification juridique autonome du comportement de la personne mise en cause au
regard des critères spécifiques que ledit article prévoit.
– Sur l’interprétation contextuelle de l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018
44 En premier lieu, s’agissant des cas visés à l’article 136, paragraphe 1, sous b) à d) et f) à h), du règlement financier 2018, il est renvoyé à un comportement, tel qu’une méconnaissance des obligations relatives au paiement des impôts ou des cotisations de sécurité sociale, une faute professionnelle grave ou une fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, dont la qualification juridique a déjà été opérée dans un jugement définitif ou dans une décision administrative définitive.
45 Dans ces hypothèses, l’ordonnateur compétent pour adopter la mesure d’exclusion apparaît donc lié par la qualification juridique retenue par une autorité distincte de lui, sans pouvoir disposer de la moindre marge d’appréciation quant à celle-ci.
46 Au contraire, s’agissant de l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018, celui-ci fait référence directement au comportement en cause, et non au jugement ou à la décision administrative par laquelle une autorité distincte de l’ordonnateur compétent, par exemple le juge du contrat, a opéré une qualification préalable de ce comportement.
47 Une telle différence substantielle dans le libellé de l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018 exclut tout lien d’automaticité entre le constat par le juge du contrat d’un manquement de la personne mise en cause à ses obligations contractuelles et l’adoption par l’ordonnateur compétent d’une mesure d’exclusion. S’agissant spécifiquement de l’hypothèse couverte par cette disposition, l’ordonnateur compétent doit donc procéder à une qualification juridique autonome du
comportement en cause.
48 En second lieu, l’article 136, paragraphe 2, du règlement financier 2018 prévoit l’articulation entre la qualification juridique des faits retenue par l’ordonnateur compétent et les constats opérés par des autorités distinctes de lui.
49 Or, il ressort de l’article 136, paragraphe 2, du règlement financier 2018 que les constats opérés dans un jugement définitif ou dans une décision administrative définitive s’imposent à l’ordonnateur compétent dans les cas visés à l’article 136, paragraphe 1, sous c), d) et f) à h), du règlement financier 2018, mais pas dans le cas visé au paragraphe 1, sous e), du même article.
50 En effet, dès son premier alinéa, l’article 136, paragraphe 2, du règlement financier 2018 distingue ces deux hypothèses pour indiquer que, dans la première, l’ordonnateur compétent procède à une qualification autonome des faits en l’absence d’un jugement définitif ou d’une décision administrative définitive, alors que, dans la seconde, il peut procéder à une telle qualification sans que cette réserve apparaisse.
51 Dès lors que l’article 136, paragraphe 2, du règlement financier 2018 ne prévoit pas que l’existence d’un jugement définitif ou d’une décision définitive adoptée par une autorité distincte de l’ordonnateur ait une incidence sur l’appréciation que porte celui-ci dans l’hypothèse prévue à l’article 136, paragraphe 1, sous e), dudit règlement, tout lien d’automaticité entre le constat par le juge du contrat d’un manquement de la personne mise en cause à ses obligations contractuelles et l’adoption
par l’ordonnateur compétent d’une mesure d’exclusion est exclu. Au contraire, s’agissant spécifiquement de cette disposition, l’ordonnateur compétent doit procéder à une qualification juridique autonome du comportement de la personne mise en cause.
52 Il résulte de l’ensemble de l’analyse du contexte de l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018 que cette disposition ne saurait être interprétée comme établissant un lien d’automaticité entre un constat de manquement aux obligations contractuelles opéré par le juge du contrat et l’adoption d’une mesure d’exclusion par l’ordonnateur compétent.
– Sur l’interprétation historique et téléologique de l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018
53 Il convient de rappeler que les mesures d’exclusion ont été créées par le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1, ci-après le « règlement financier 2002 »). Ces mesures relevaient, dès l’origine, d’un régime juridique autonome qui incluait également des sanctions financières.
54 Ainsi, tant ces sanctions financières que les mesures d’exclusion devaient, en vertu des dispositions du règlement financier 2002, être proportionnées au regard d’un ensemble de critères définis par ledit règlement. De plus, l’adoption des mesures d’exclusion et des sanctions financières était facilitée par l’instauration, au sein de chaque institution de l’Union, d’une base de données accessibles aux autres institutions.
55 Le régime juridique autonome mentionné au point 53 ci-dessus et précisé au point 54 ci-dessus a été maintenu lors des diverses modifications du règlement financier, et ce jusqu’à l’adoption du règlement financier 2018. À ce régime est désormais consacrée une section entière du règlement financier 2018, laquelle comprend huit articles et prévoit, notamment, l’instauration d’une base de données unique mise en place par la Commission.
56 Il résulte des considérations exposées aux points 53 à 55 ci-dessus que le législateur de l’Union a entendu instaurer, dès l’origine, un régime autonome de sanctions, qui a été maintenu et approfondi au cours du temps et, notamment, lors de l’adoption du règlement financier 2018.
57 Or, un lien d’automaticité entre, d’une part, le constat par une autorité distincte de l’ordonnateur compétent d’une faute dont l’existence est prévue par une législation nationale ou de l’Union et, d’autre part, l’adoption par l’ordonnateur compétent d’une mesure d’exclusion relevant d’un régime autonome de sanctions instauré par le règlement financier ne saurait être présumé.
58 À cet égard, en matière contractuelle, c’est-à-dire dans l’hypothèse prévue à l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018 (voir points 37 à 39 ci-dessus), l’absence d’un lien d’automaticité est établie au considérant 76 du règlement financier 2018, lequel indique que la possibilité d’adopter des mesures d’exclusion ou d’imposition de sanctions financières est indépendante de la possibilité d’appliquer des pénalités contractuelles, telles que des dommages-intérêts
forfaitaires.
59 En outre, le régime autonome de sanctions prévu par le règlement financier poursuit, depuis son instauration, des objectifs spécifiques d’intérêt général, lesquels sont distincts de la bonne exécution du contrat ou de la protection et de l’indemnisation des parties au contrat qu’un régime de responsabilité contractuelle vise à assurer. Il s’agit, ainsi que l’indiquait le considérant 25 du règlement financier 2002, de prévenir les irrégularités, de lutter contre la fraude et la corruption et de
promouvoir une gestion saine et efficace. La différence entre les objectifs poursuivis par le régime de sanctions instauré par le règlement financier et ceux poursuivis par un régime de responsabilité contractuelle confirme l’absence de lien d’automaticité constatée au point 58 ci-dessus.
– Conclusion
60 Il découle d’une interprétation littérale, contextuelle, historique et téléologique de l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018 qu’il n’existe pas de lien d’automaticité entre un constat de manquement aux obligations contractuelles opéré par le juge du contrat et l’adoption d’une mesure d’exclusion par l’ordonnateur compétent.
Sur l’existence d’une obligation d’examen individuel du comportement de la personne mise en cause préalablement à l’adoption d’une mesure d’exclusion
61 Dans la mesure où l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018 ne saurait être compris comme impliquant automatiquement l’adoption d’une mesure d’exclusion, il y a lieu de vérifier si cette disposition doit être interprétée comme imposant à l’ordonnateur compétent une obligation d’examen individuel du comportement de la personne mise en cause lorsqu’il entend faire application de cette disposition.
62 S’agissant, en premier lieu, de l’interprétation littérale de l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018, il découle du libellé de cette disposition que c’est la « personne » ou l’« entité » qui a manqué à ses obligations contractuelles qui est exclue par l’ordonnateur compétent. Cela suppose, en principe, une identité de l’auteur du manquement avec le destinataire de la sanction, et donc un manquement individuel du destinataire de la sanction à ses obligations
contractuelles.
63 S’agissant, en deuxième lieu, de l’interprétation contextuelle de l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018, il convient de relever, à titre liminaire, qu’une telle interprétation peut se fonder sur l’analyse de dispositions relevant d’autres textes que celui dont relève la disposition interprétée, notamment lorsque les dispositions en cause sont analogues ou que les textes dans lesquels elles figurent partagent les mêmes finalités (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2022,
MEKH et FGSZ/ACER, T‑684/19 et T‑704/19, EU:T:2022:138, point 109 ; conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Commission/Royaume-Uni, C‑582/08, EU:C:2010:286, point 44, et de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Belgian Electronic Sorting Technology, C‑657/11, EU:C:2013:195, point 43).
64 À cet égard, figure dans la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65), une disposition analogue à l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018, à savoir l’article 57, paragraphe 4, sous g). En effet, cette disposition envisage la possibilité d’exclure tout opérateur économique de la participation à une procédure de passation de marché en raison
de défaillances importantes ou persistantes de l’opérateur économique.
65 En outre, le législateur de l’Union a souhaité établir une cohérence entre le règlement financier 2018 et la directive 2014/24, ainsi qu’il ressort de plusieurs considérants dudit règlement, notamment les considérants 77, 101, 105 et 106. En particulier, le considérant 77 énonce que la durée d’une exclusion devrait être limitée dans le temps, comme c’est le cas en vertu de la directive 2014/24, ce qui montre que cette exigence de cohérence du législateur vaut pour les mesures d’exclusion.
66 Or, à l’occasion de l’interprétation de l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24, premièrement, la Cour a relevé que, afin de respecter les caractéristiques essentielles du motif d’exclusion facultatif prévu par cette disposition et le principe de proportionnalité, un régime national de transposition de cette directive devait être aménagé de manière que, préalablement à l’inscription sur la liste des fournisseurs non fiables d’un opérateur économique qui était membre d’un
groupement auquel un marché public résilié avait été attribué, tous les éléments pertinents apportés par cet opérateur pour établir que son inscription sur cette liste était injustifiée au regard de son comportement individuel doivent faire l’objet d’une appréciation concrète. Il ne saurait, dès lors, être admis, selon la Cour, qu’un tel opérateur économique soit, en cas de résiliation de ce marché en raison de défaillances importantes ou persistantes lors de l’exécution de celui-ci,
automatiquement qualifié de non fiable et fasse l’objet d’une exclusion temporaire sans que son comportement ait, au préalable, été évalué, de manière concrète et individualisée, à la lumière de tous les éléments pertinents (arrêt du 26 janvier 2023, HSC Baltic e.a., C‑682/21, EU:C:2023:48, points 46 et 47).
67 Deuxièmement, si la Cour a jugé qu’il était loisible aux États membres, dans le cadre de la marge de manœuvre dont ils disposaient afin de transposer la directive 2014/24, de prévoir une présomption selon laquelle tout opérateur économique juridiquement responsable de la bonne exécution d’un marché public était censé avoir contribué, lors de l’exécution de ce marché, au développement ou au maintien des défaillances importantes ou persistantes ayant conduit à la résiliation dudit marché (arrêt du
26 janvier 2023, HSC Baltic e.a., C‑682/21, EU:C:2023:48, point 48), elle a, néanmoins, relevé que, lorsque ce marché avait été attribué à un groupement d’opérateurs économiques, dont les contributions individuelles à ces défaillances et aux éventuels efforts faits pour y remédier n’étaient pas nécessairement identiques, une telle présomption devait, sous peine de porter atteinte aux caractéristiques essentielles de ce motif d’exclusion et au principe de proportionnalité rappelé à l’article 18,
paragraphe 1, de cette directive, être réfragable. En effet, selon la Cour, indépendamment de la responsabilité juridique solidaire des membres d’un tel groupement, l’application du motif d’exclusion prévu à l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24 doit se fonder sur le caractère fautif ou négligent de ce comportement individuel (arrêt du 26 janvier 2023, HSC Baltic e.a., C‑682/21, EU:C:2023:48, points 48 et 49).
68 Force est de constater que cette obligation d’évaluer le comportement de la personne mise en cause de manière concrète et individualisée, à la lumière de tous les éléments pertinents, qu’un État membre doit prévoir dans sa législation malgré la marge d’appréciation dont il dispose pour transposer la directive 2014/24 s’impose a fortiori dans le cadre de l’application du règlement financier 2018 par les institutions et organismes de l’Union.
69 En effet, s’agissant de l’interprétation de l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24, la Cour a relevé l’existence d’une telle obligation tout en reconnaissant qu’un État membre était en droit de transposer cette directive en mettant en œuvre une présomption telle que celle mentionnée au point 67 ci-dessus, celle-ci devant, compte tenu de cette obligation, être réfragable (arrêt du 26 janvier 2023, HSC Baltic e.a., C‑682/21, EU:C:2023:48, point 48).
70 Or, s’agissant de l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018, aucune présomption n’est possible, ce règlement financier ne pouvant être interprété comme instaurant un lien d’automaticité entre le constat de manquement aux obligations contractuelles opéré par le juge du contrat et l’adoption d’une mesure d’exclusion (voir point 60 ci-dessus).
71 Il résulte donc d’une application par analogie de la jurisprudence de la Cour relative à la directive 2014/24 qu’il incombe à l’ordonnateur compétent d’évaluer le comportement de la personne mise en cause de manière concrète et individualisée lorsqu’il met en œuvre l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018.
72 En troisième lieu, il convient de relever que l’obligation d’évaluer le comportement de la personne mise en cause de manière concrète et individualisée, à la lumière de tous les éléments pertinents, s’impose d’autant plus que la Cour a jugé que la sanction d’exclusion instaurée par le règlement financier 2018 était principalement punitive (voir, par analogie, arrêt du 30 mai 2024, Vialto Consulting/Commission, C‑130/23 P, EU:C:2024:439, point 31).
73 Ainsi, afin de respecter le principe général de personnalité des peines (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2013, Eni/Commission, C‑508/11 P, EU:C:2013:289, point 50), et sans préjudice de la possibilité pour le législateur de l’Union de prévoir expressément une dérogation qu’il estimerait nécessaire et justifiée, une disposition du droit de l’Union ne devrait pas être interprétée par le juge de l’Union comme permettant qu’une mesure d’exclusion puisse être adoptée sans que le comportement
individuel de la personne mise en cause soit examiné au préalable.
74 Il résulte des considérations exposées aux points 66 à 73 ci-dessus que l’ordonnateur compétent, avant d’adopter, sur le fondement de l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018, une mesure d’exclusion à l’égard d’une personne ou d’une entité, doit évaluer le comportement de cette personne ou de cette entité de manière concrète et individualisée, à la lumière de tous les éléments pertinents.
75 Il y a lieu d’ajouter que l’obligation d’évaluer le comportement de la personne mise en cause de manière concrète et individualisée, à la lumière de tous les éléments pertinents, est conforme aux objectifs assignés par le législateur de l’Union aux mesures d’exclusion, à savoir prévenir les irrégularités, lutter contre la fraude et la corruption et promouvoir une gestion saine et efficace (voir point 59 ci-dessus).
76 En effet, l’institution ou l’organisme concerné est, en principe, en mesure de demander aux personnes ou aux services concernés la transmission des documents de suivi du marché en cause, lesquels sont susceptibles de lui permettre d’évaluer le comportement individuel de chacun des membres d’un groupement. À cet égard, l’article 136, paragraphe 1, sous e), iii), du règlement financier 2018 prévoit que les manquements peuvent avoir été découverts à la suite d’« enquêtes effectuées par un
ordonnateur ».
77 En outre, l’institution ou l’organisme concerné est, en principe, en mesure, dans l’hypothèse où il signe un contrat avec un groupement d’entreprises, d’exiger qu’il soit possible d’identifier les prestations exécutées par chacun des participants afin de déterminer, le cas échéant, la responsabilité individuelle de chacun d’entre eux au regard du régime de sanctions instauré par le règlement financier 2018, laquelle est distincte de leur éventuelle responsabilité contractuelle solidaire (voir
points 53 à 58 ci-dessus).
78 Enfin, l’institution ou l’organisme concerné aura toujours la possibilité, le cas échéant, d’expliquer devant le juge de l’Union qu’il lui a été impossible de distinguer la responsabilité de chacun des participants à un groupement complexe. Toutefois, il devra démontrer qu’il a à tout le moins essayé de procéder à un examen individualisé et qu’il ne s’est pas borné à fonder sa décision d’exclusion sur le seul constat de l’existence d’une responsabilité contractuelle solidaire de la personne mise
en cause.
Sur la nature de l’examen auquel la Commission a procédé dans la décision attaquée
79 À titre liminaire, il convient de relever que la prémisse factuelle sur laquelle repose l’argumentation de la requérante est celle selon laquelle la Commission s’est bornée à se fonder sur sa responsabilité conjointe et solidaire, en tant que membre du consortium, sans prendre en compte son comportement individuel.
80 Or, force est de constater que, lors de l’audience, la Commission a admis, ce dont il a été pris acte au procès-verbal, avoir décidé de l’exclusion de la requérante sans examiner la responsabilité individuelle de chacun des cocontractants s’agissant des manquements dans l’exécution du contrat et avoir effectué son évaluation à la lumière de la responsabilité conjointe et solidaire des deux parties du consortium ainsi que de la responsabilité du consortium dans son ensemble.
81 Les déclarations de la Commission lors de l’audience corroborent l’analyse du contenu de la décision attaquée. En effet, les motifs de la décision attaquée relatifs aux conditions prévues à l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018 et, en particulier, au constat du manquement de la requérante à ses obligations contractuelles figurent dans les première et troisième parties de cette décision, qui en compte six. Or, s’agissant, tout d’abord, de la première partie de la
décision attaquée, il y est fait référence, d’une part, au « contractant », appellation par laquelle est désigné, par convention figurant au considérant 1 de la décision attaquée, le consortium, et, d’autre part, à la requérante « en tant que partie du contractant », c’est-à-dire en tant que membre solidairement responsable du consortium, ainsi qu’il ressort d’une lecture d’ensemble de la décision attaquée, laquelle est confirmée par le point 24 du mémoire en défense. Par conséquent, dans la
première partie de la décision attaquée, il n’est fait référence qu’à des comportements attribués au consortium. En particulier, aux considérants 20 à 22 de cette décision, il est indiqué, en ce qui concerne les conclusions figurant dans la sentence partielle du tribunal arbitral, que le « contractant » a été reconnu responsable entièrement ou partiellement des défauts de l’ouvrage et qu’il a été constaté qu’il avait manqué à plusieurs de ses obligations contractuelles. S’agissant, ensuite, de la
troisième partie de la décision attaquée, consacrée à l’évaluation de la situation factuelle sur laquelle la Commission s’est fondée pour constater un manquement de la requérante à ses obligations contractuelles, il n’y est fait référence qu’aux manquements de la requérante « en tant que partie du contractant », c’est-à-dire en tant que membre solidairement responsable du consortium. Tel est le cas, en particulier, aux considérants 84 à 92 de la décision attaquée, auxquels la Commission, en
reprenant les conclusions figurant dans la décision partielle du tribunal arbitral, a rappelé quelles obligations contractuelles avaient été méconnues. S’agissant, enfin, d’une lecture d’ensemble de la décision attaquée, il n’apparaît pas que, pour constater un manquement de la requérante à ses obligations contractuelles, la Commission se soit fondée sur d’autres constats que ceux opérés par le tribunal arbitral. Or, il résulte des deux sentences du tribunal arbitral que celui-ci s’est prononcé
sur la responsabilité contractuelle solidaire des membres du consortium, sans distinguer la responsabilité individuelle de chacun d’eux.
82 Il résulte de ce qui précède que, aux fins de l’application de l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018, la Commission s’est fondée sur la responsabilité conjointe et solidaire de la requérante, en tant que membre du consortium, sans prendre en compte son comportement individuel.
83 Il résulte de tout ce qui précède, dès lors que l’ordonnateur compétent, avant d’adopter, sur le fondement de l’article 136, paragraphe 1, sous e), du règlement financier 2018, une mesure d’exclusion à l’égard d’une personne ou d’une entité, doit évaluer le comportement de cette personne ou de cette entité de manière concrète et individualisée, à la lumière de tous les éléments pertinents (voir point 74 ci-dessus) et que, en l’espèce, la Commission s’est bornée à se fonder sur la responsabilité
conjointe et solidaire de la requérante, en tant que membre du consortium, sans prendre en compte son comportement individuel (voir point 82 ci-dessus), que le premier moyen invoqué par la requérante est fondé.
84 Par conséquent, il convient de faire droit aux conclusions aux fins d’annulation de la requérante, sans qu’il soit besoin d’examiner les deux autres moyens qu’elle a invoqués au soutien desdites conclusions.
Sur les autres conclusions
85 S’agissant des conclusions qui visent à condamner la Commission à indemniser la requérante pour le préjudice subi du fait de la décision attaquée (voir point 17 ci-dessus), dans sa réplique, la requérante a indiqué qu’elle n’entendait pas poursuivre une action en réparation de dommages sur le fondement de l’article 268 TFUE, mais qu’elle entendait plutôt demander au Tribunal de préciser dans les motifs du futur jugement que la Commission devait prendre toutes les mesures nécessaires afin de faire
disparaître les conséquences de la décision attaquée.
86 Il convient de relever que ces demandes, dont la requérante a souligné qu’elles ne visaient pas à obtenir une injonction, ne forment pas des conclusions autonomes par rapport aux conclusions aux fins d’annulation de la requérante.
87 En effet, en vertu de l’article 266, premier alinéa, TFUE, l’institution dont émane un acte annulé par un arrêt du Tribunal est tenue de prendre les mesures que comporte l’exécution de cet arrêt. Or, un acte annulé est éliminé rétroactivement de l’ordre juridique et est censé n’avoir jamais existé (voir arrêt du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, T‑256/07, EU:T:2008:461, point 48 et jurisprudence citée).
88 Ainsi, l’annulation de la décision attaquée imposera d’elle-même à la Commission de prendre toutes les mesures nécessaires afin de faire disparaître les conséquences de ladite décision, sans qu’il soit nécessaire que le Tribunal le précise dans son arrêt.
89 Il résulte de tout ce qui précède qu’il convient d’annuler la décision attaquée.
Sur les dépens
90 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux de la procédure de référé, conformément aux conclusions de la requérante.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) La décision de la Commission européenne du 1er octobre 2022 par laquelle TP a été exclue de la participation aux procédures d’attribution régies par le règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la
décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 ou financées par le 11e Fonds européen de développement (FED) et de la sélection pour l’exécution des Fonds de l’Union européenne est annulée.
2) La Commission est condamnée aux dépens, y compris ceux de la procédure de référé.
Papasavvas
Škvařilová-Pelzl
Nõmm
Steinfatt
Kukovec
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 décembre 2024.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.