ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre élargie)
13 novembre 2024 ( *1 )
« Concurrence – Concentrations – Marchés allemands des services télévisuels et services de télécommunications – Décision déclarant la concentration compatible avec le marché intérieur et l’accord EEE – Engagements – Appréciation des effets horizontaux, verticaux et congloméraux de l’opération sur la concurrence – Rapport de concurrence entre les parties à la concentration – Changement propre à la concentration – Erreur manifeste d’appréciation »
Dans l’affaire T‑58/20,
NetCologne Gesellschaft für Telekommunikation mbH, établie à Cologne (Allemagne), représentée par Mes M. Geppert, P. Schmitz et J. Schulze zur Wiesche, avocats,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par MM. G. Conte, A. Keidel et C. Vollrath, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenue par
Vodafone Group plc, établie à Newbury (Royaume-Uni), représentée par Mme V. Vollmann, solicitor, Mes C. Jeffs, A. Chadd et D. Seeliger, avocats,
partie intervenante,
LE TRIBUNAL (septième chambre élargie),
composé de MM. M. van der Woude, président, R. da Silva Passos (rapporteur), Mme I. Reine, MM. L. Truchot et M. Sampol Pucurull, juges,
greffier : Mme S. Jund, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 22 septembre 2023,
rend le présent
Arrêt ( 1 )
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, NetCologne Gesellschaft für Telekommunikation mbH, demande l’annulation de la décision C(2019) 5187 final de la Commission, du 18 juillet 2019, déclarant compatible avec le marché intérieur et l’accord EEE l’opération de concentration visant à l’acquisition par Vodafone Group plc de certains actifs de Liberty Global plc (affaire COMP/M.8864 – Vodafone/Certain Liberty Global Assets) (ci-après la « décision attaquée »).
[omissis]
I. Procédure et conclusions des parties
[omissis]
47 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
48 La Commission et Vodafone concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
II. En droit
[omissis]
B. Sur le premier moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation, de la violation de l’obligation de motivation et de l’obligation de diligence découlant du refus de constater une ESCE sur le marché MDU
[omissis]
3. Sur la première branche, tirée d’erreurs manifestes d’appréciation commises par la Commission, en ce que cette dernière a considéré que les parties à la concentration n’étaient pas des concurrents directs
[omissis]
98 À cet égard, il convient de préciser qu’une concurrence directe entre des entreprises existe lorsqu’elles se disputent les mêmes clients.
99 En l’espèce, il n’est pas contesté que les réseaux câblés des parties à la concentration ne se chevauchent pas et que, dans les faits, lorsqu’un client MDU souhaite conclure un contrat avec un fournisseur de signaux de télévision, il n’a, en principe, que la possibilité de choisir entre la partie à la concentration dans l’empreinte câblée de laquelle se situe l’immeuble à raccorder et l’un de ses concurrents, tels que la requérante. Que le marché MDU ait été, préalablement à l’opération,
d’ampleur nationale ou qu’il ait été limité aux empreintes câblées des parties à la concentration n’y change rien, puisque, dans les deux cas, ce constat s’applique.
100 Il en découle que les produits commercialisés par les parties à la concentration n’étaient, en pratique, pas en concurrence et, partant, c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a conclu que ces parties n’étaient pas des concurrents directs préalablement à la concentration.
101 Les arguments avancés par la requérante ne permettent pas de démontrer le contraire.
102 En premier lieu, il convient de relever que, comme la Commission l’a confirmé devant le Tribunal, il existait des indices sérieux indiquant que le marché MDU était, préalablement à l’opération, limité d’un point de vue géographique à l’empreinte câblée de chacune des parties, mais que, en raison de l’existence de fournisseurs et de clients actifs à l’échelle nationale et du fait que les éventuelles différences de prix au sein du pays n’étaient pas liées à ces empreintes, elle n’avait pu exclure
complètement la possibilité d’un marché MDU d’ampleur nationale.
103 Ainsi, la circonstance que la Commission ait envisagé que le marché puisse être de dimension nationale ne signifie pas qu’elle ait considéré que, sur un tel marché hypothétique, les parties à la concentration se livraient une concurrence directe. C’est seulement dans un second temps, dans le cadre de son examen des effets de l’opération sur le marché MDU, que la Commission a apprécié si, sur un éventuel marché national, l’opération aboutirait, compte tenu de l’activité des parties, à une perte
de concurrence directe entre elles. La circonstance que, dans la décision attaquée, la Commission ait envisagé que le marché MDU pouvait déjà être de dimension nationale avant l’opération ne permet donc pas d’en déduire que les parties à la concentration étaient nécessairement des concurrents réels sur un tel marché, comme le fait valoir la requérante. Enfin, il n’est pas exclu que deux entreprises opèrent avec d’autres entreprises sur un même marché géographique, sans que ces deux entreprises
sollicitent pour autant les mêmes clients, notamment en raison des limites géographiques de leurs réseaux câblés.
104 S’agissant du prétendu défaut de motivation allégué par la requérante, en ce que la Commission aurait omis d’examiner les effets de la concentration sur le marché MDU, délimité au niveau national, il convient de relever que, à la section VIII.2.4.2.3 de la décision attaquée, soit aux considérants 721 à 785 de celle-ci, la Commission a examiné, de manière détaillée, si l’opération aurait pour effet d’éliminer une contrainte concurrentielle réelle ou potentielle entre les parties à la
concentration. Or, les constatations qui y sont faites s’appliquaient, que le marché MDU fût d’ampleur nationale ou qu’il fût limité aux empreintes câblées respectives de Vodafone et de Unitymedia.
105 En second lieu, s’agissant des griefs invoqués par la requérante indépendamment de la délimitation géographique du marché MDU, il y a lieu de préciser que, s’il n’existait aucun chevauchement entre les réseaux câblés des parties à la concentration, ce que la requérante ne remet pas en doute, il est vrai que, dans la décision attaquée, la Commission a constaté qu’il existait néanmoins certains chevauchements entre leurs activités, ces opérateurs achetant, dans ce cas, des services intermédiaires
de transmission de signaux de télévision auprès de l’autre partie ou d’un autre opérateur de réseau de niveau 3 pour pouvoir atteindre les clients MDU concernés.
106 Or, il convient de relever que si elle conteste leur caractère négligeable, la requérante ne remet pas en question les chiffres en tant que tels divulgués par la Commission au cours de la procédure devant le Tribunal relatifs aux contrats conclus par les parties à la concentration en dehors de leurs empreintes câblées et au nombre de clients concernés. À cet égard, force est de constater que ces chiffres montrent que ces contrats représentaient un nombre très limité de clients MDU en termes de
foyers raccordés et une part de marché, puisqu’inférieure à 1 %, si négligeable qu’elle ne pourrait représenter une concurrence résiduelle devant être protégée. De tels contrats en dehors de leurs empreintes câblées n’étaient, en outre, conclus qu’exceptionnellement par les parties à la concentration, ce que la requérante ne conteste pas.
107 Par ailleurs, eu égard au caractère négligeable de la part de marché résultant des contrats conclus en dehors de leur empreinte câblée par les parties à la concentration, il était peu probable que cette opération donnât lieu à un renforcement de position dominante, de sorte que l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait dû constater l’existence d’une ESCE, eu égard aux parts de marché élevées des parties à la concentration qu’aurait encore renforcées celle-ci, ne saurait être
accueilli.
108 En tout état de cause, il convient de rappeler que, conformément à l’article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement no 139/2004, seules les concentrations qui entraveraient de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante, doivent être déclarées incompatibles avec le marché intérieur. Il découle du libellé de ces dispositions que le critère essentiel pour
examiner la compatibilité d’une concentration avec le marché intérieur réside dans la création d’une ESCE dans celui-ci. L’utilisation de l’adverbe « notamment » indique que la création ou le renforcement d’une position dominante constitue l’un des scénarios dans lesquels une telle entrave peut être constatée. Par conséquent, une concentration créant ou renforçant une position dominante ne donne pas automatiquement lieu à une ESCE et il n’existe aucune automaticité entre le critère de la
position dominante et celui de l’ESCE, contrairement aux allégations de la requérante.
109 S’agissant, ensuite, de l’allégation de la requérante selon laquelle la Commission aurait omis de tenir compte de plusieurs documents démontrant que Unitymedia avait l’intention de raccorder des clients MDU situés dans l’empreinte câblée de Vodafone, force est de constater que pareille assertion a trait à l’existence d’une concurrence potentielle, plutôt qu’à une prétendue concurrence directe existante, ce qui la rend inopérante dans le cadre de la première branche du présent moyen.
110 En ce qui concerne, finalement, l’allégation de la requérante selon laquelle la Commission aurait marginalisé à tort la concurrence directe existant entre les parties à la concentration, en raison du fait qu’il ne se serait pas agi d’une concurrence « active », il y a lieu de considérer que le constat effectué par la Commission au considérant 768 de la décision attaquée, selon lequel les parties ne se faisaient pas une « concurrence active », avait pour seul objectif d’expliquer que c’était
uniquement en réponse à des demandes non sollicitées émanant de clients MDU que les parties avaient conclu, à de très rares occasions, des contrats portant sur la fourniture du signal de télévision sur l’empreinte de l’autre partie. Pour répondre à de telles demandes, les parties devaient alors acquérir des services intermédiaires de transmission de signaux de télévision auprès d’un autre opérateur. La Commission n’a, ce faisant, nullement considéré que, en matière de contrôle des
concentrations, l’élimination d’une concurrence « active » était nécessaire pour établir l’existence d’une ESCE.
111 Il découle de l’ensemble de ce qui précède que la requérante ne démontre pas que la Commission a, de manière manifestement erronée ou en violation de son obligation de motivation ou de son obligation de diligence, considéré dans la décision attaquée que les parties à la concentration n’étaient pas des concurrents directs préalablement à celle-ci. La première branche du présent moyen doit, partant, être écartée.
4. Sur la deuxième branche, tirée d’erreurs manifestes d’appréciation commises par la Commission, en ce que cette dernière a considéré que les parties à la concentration n’étaient pas des concurrents potentiels
[omissis]
134 S’agissant, en premier lieu, de l’allégation de la requérante selon laquelle il serait prévisible que la tendance des sociétés de logements à vouloir n’être desservies que par un seul fournisseur s’accentuât, eu égard à la forte consolidation que connaîtrait le secteur du logement en Allemagne depuis plusieurs années, force est de constater que l’existence d’une volonté n’est pas suffisante pour apprécier s’il existe un rapport de concurrence potentiel entre deux entreprises.
135 En effet, l’appréciation de l’existence d’une concurrence potentielle vise à savoir si, compte tenu de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, il existe des possibilités réelles et concrètes que les entreprises concernées se fassent concurrence entre elles, ou qu’un nouveau concurrent puisse entrer sur le marché en cause et concurrencer les entreprises établies (voir arrêt du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T‑177/04, EU:T:2006:187,
point 116 et jurisprudence citée). Il en découle qu’une telle appréciation, fondée sur les conditions d’entrée sur le marché d’un nouvel offreur potentiel, dépend principalement d’un examen du côté de l’offre, et non du côté de la demande, de sorte que ce premier grief ne saurait prospérer.
136 En tout état de cause, la requérante indique elle-même que le secteur du logement en Allemagne est l’objet d’une forte consolidation depuis plusieurs années. Or, cette consolidation en cours depuis plusieurs années déjà n’a toutefois pas engendré une augmentation notable de la part de marché des parties à la concentration en dehors de leurs empreintes respectives résultant de la conclusion de contrats avec de grands clients MDU désireux de n’être desservis que par un seul opérateur, puisqu’il
ressort du tableau no 16 de la décision attaquée que tant Vodafone que Unitymedia détenaient une part de marché de [0-5 %] dans l’empreinte de l’autre partie.
137 S’agissant, en deuxième lieu, des résultats de l’enquête de marché dont la Commission n’aurait pas tenu compte, il y a lieu de souligner que la Commission est en droit d’en tenir compte, mais que ceux-ci ne sauraient être décisifs pour porter une appréciation sur l’existence d’une concurrence potentielle.
138 En effet, bien que l’opinion des concurrents puisse constituer une importante source d’information sur l’impact prévisible d’une opération de concentration sur le marché, elle ne saurait lier la Commission dans son appréciation autonome de l’impact de la concentration sur ce marché [voir, en ce sens, arrêts du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T‑102/96,EU:T:1999:65, points 290 et 291, et du 5 octobre 2020, HeidelbergCement et Schwenk Zement/Commission, T‑380/17, EU:T:2020:471, point 673 (non
publié)], de sorte que ce deuxième grief ne saurait être accueilli.
139 En tout état de cause, il ressort des considérants 727, 728, 752 et 753 de la décision attaquée que la Commission a bien tenu compte de l’opinion des opérateurs concurrents, puisqu’il découle de ces considérants qu’elle a engagé un examen approfondi de l’existence d’une concurrence potentielle entre les parties à la concentration en raison notamment des observations formulées par ceux-ci. La Commission n’a dès lors nullement dénié toute force probante aux résultats de l’enquête de marché et a
bien vérifié de façon critique les allégations des parties à la concentration à la lumière de ceux-ci, contrairement aux allégations de la requérante.
140 S’agissant, en troisième lieu, du fait que Vodafone aurait déjà détenu certaines infrastructures dans l’empreinte câblée de Unitymedia, force est de constater que la Commission en a tenu compte dans le cadre de son analyse de l’existence d’une concurrence potentielle entre les parties à la concentration. Il ressort en effet du considérant 740 de la décision attaquée que les projections effectuées par Vodafone et vérifiées par la Commission tenaient bel et bien compte des infrastructures
existantes de cet opérateur ainsi que du déploiement de la 5G, lesquels ne permettaient toutefois pas de rendre une duplication du réseau câblé suffisamment rentable, de sorte que ce troisième grief ne saurait prospérer.
141 S’agissant, en quatrième lieu, du fait que l’absence de duplication antérieure, par Vodafone, du réseau câblé de Unitymedia ne serait pas la preuve de l’absence de concurrence potentielle entre elles, contrairement aux allégations de la requérante, cet élément est bien pertinent en vue d’apprécier la probabilité d’entrée de Vodafone dans l’empreinte câblée de Unitymedia. En effet, le fait que cet opérateur n’ait jamais effectué une telle duplication par le passé, combiné au fait qu’il n’avait
pas l’intention de le faire, corrobore la conclusion de la Commission selon laquelle une extension de Vodafone dans l’empreinte câblée de Unitymedia aurait été improbable en l’absence de l’opération, de sorte que ce quatrième grief ne saurait être accueilli. En tout état de cause, ainsi que cela ressort des points 115 et 116 ci-dessus, force est également de constater que, dans la décision attaquée, la Commission ne s’est pas appuyée sur ce seul élément (voir considérants 731 à 746 de la
décision attaquée).
142 S’agissant, en cinquième lieu, de l’allégation de la requérante selon laquelle la Commission se serait fondée, pour établir l’absence de rentabilité d’une duplication du réseau câblé, sur des éléments s’appliquant à tout type d’extension de réseau, dont une extension dans la propre empreinte de l’opérateur concerné, il convient de relever que, au considérant 737 de la décision attaquée, la Commission a constaté que la duplication du réseau câblé n’était globalement pas attrayante pour Vodafone,
« en particulier par rapport à l’ajout de nouveaux foyers dans sa propre empreinte qui impliquait des investissements moindres dans les infrastructures et qui offrait des opportunités de revenus plus élevés en raison de l’absence d’un opérateur déjà en place ». Il s’ensuit que la Commission a constaté qu’une duplication du réseau câblé en dehors de son empreinte s’avérait moins rentable qu’une extension du réseau câblé sur son propre territoire, ce que la requérante ne conteste pas en tant que
tel.
143 En outre, il y a lieu de constater que, dans un passage du considérant 736 de la décision attaquée divulgué par la Commission en application de l’ordonnance du 30 mars 2023, la Commission a indiqué qu’elle avait constaté que, au cours des cinq dernières années, Vodafone n’avait étendu que de manière négligeable son réseau à l’intérieur de son empreinte câblée ou à proximité de celle-ci. Ce constat, non remis en cause par la requérante dans ses observations du 2 juin 2023, corrobore la conclusion
de la Commission selon laquelle une extension de Vodafone dans l’empreinte câblée de Unitymedia aurait été improbable en l’absence de l’opération. En effet, si Vodafone n’a que de manière négligeable étendu son réseau câblé à l’intérieur de sa propre empreinte préalablement à l’opération, il était effectivement improbable qu’elle opérât une duplication dans l’empreinte câblée de Unitymedia puisqu’une telle opération était moins rentable. Le cinquième grief de la requérante doit, partant, être
écarté.
144 S’agissant, en sixième lieu, des critères d’investissement de Vodafone et de l’allégation de la requérante selon laquelle la Commission se serait erronément appuyée sur ceux-ci de manière prépondérante, sans les avoir suffisamment vérifiés, il convient de relever que, afin de vérifier si une entreprise constitue un concurrent potentiel sur un marché, la Commission se doit de vérifier si, en l’absence de la concentration en cause, auraient existé des possibilités réelles et concrètes que celle-ci
intégrât ledit marché et concurrençât les entreprises qui y étaient établies. Une telle démonstration ne doit pas reposer sur une simple hypothèse, mais doit être étayée par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent. Ainsi, une entreprise ne saurait être qualifiée de concurrent potentiel si son entrée sur le marché ne correspond pas à une stratégie économique viable (voir, par analogie, arrêt du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, T‑360/09, EU:T:2012:332,
point 86 et jurisprudence citée).
145 Par ailleurs, la viabilité économique d’une stratégie d’entrée sur le marché ne saurait être assimilée à la simple rentabilité d’une telle stratégie. Si tel était le cas, une simple capacité théorique d’entrer sur un marché pourrait être considérée comme suffisante pour constater l’existence d’une concurrence potentielle. Dès lors, la Commission peut tenir compte de l’intérêt commercial ou économique à entrer sur un marché de l’entreprise dont la qualité de concurrent potentiel est analysée
(voir, en ce sens, arrêts du 21 septembre 2005, EDP/Commission, T‑87/05, EU:T:2005:333, points 177, 185, 187, 188, 191 et 195, et du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T‑177/04, EU:T:2006:187, point 123) et, partant, s’appuyer sur ses critères d’investissement. Ainsi, la Commission ne saurait qualifier une entreprise de concurrent potentiel sur le fondement de considérations générales et abstraites sans qu’elle tienne compte des intérêts commerciaux de cette entreprise, de sa stratégie de
développement à court et moyen terme ainsi que des critères de rentabilité qu’elle s’est fixés à cet effet.
146 À cet égard, il convient d’observer que la Commission doit se fonder sur un ensemble d’éléments afin d’apprécier si une concurrence potentielle existe. Dans cet exercice, elle ne saurait faire abstraction des stratégies d’investissement des entreprises concernées. Il en va ainsi notamment pour de grands groupes internationaux tels que Vodafone, qui doivent pouvoir arbitrer entre des projets d’investissements relatifs à plusieurs marchés nationaux en se fondant à cet effet sur les meilleurs taux
de rendement. Par ailleurs, force est de constater que les éléments fournis par la requérante ne suffisent pas pour conclure que la Commission était en possession d’indices de l’inexactitude des chiffres présentés par la partie ayant notifié l’opération.
147 En outre, il y a lieu de souligner que différentes mesures visant à décourager et à punir la transmission d’informations inexactes ou trompeuses sont prévues par la réglementation applicable au contrôle des concentrations. En effet, les parties qui notifient une opération de concentration sont soumises, au titre de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 2, du règlement (CE) no 802/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement no 139/2004 (JO
2004, L 133, p. 1 et rectificatif JO 2004, L 172, p. 9), à l’obligation expresse de fournir à la Commission de manière véridique et complète les faits et circonstances pertinents pour la décision de compatibilité, cette obligation étant sanctionnée à l’article 14 du règlement no 139/2004. Par ailleurs, la Commission peut aussi révoquer, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 3, sous a), et de l’article 8, paragraphe 6, sous a), du règlement no 139/2004, la décision de compatibilité si
celle-ci repose sur des indications inexactes dont l’une des entreprises concernées est responsable ou si elle a été obtenue par tromperie (arrêt du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T‑151/05, EU:T:2009:144, point 185).
148 Enfin, il convient de constater, d’une part, qu’il ressort notamment du considérant 742 et de la note en bas de page no 553 de la décision attaquée que la Commission a vérifié les projections effectuées par les parties à la concentration, dans le cadre desquelles ces dernières ont examiné la rentabilité, eu égard à leurs critères d’investissement, de plusieurs projets de déploiement d’infrastructure, et a considéré que les résultats de celles-ci étaient suffisamment robustes et, d’autre part,
que la Commission ne s’est pas fondée sur les seuls critères d’investissement des parties à la concentration pour conclure à l’absence de concurrence potentielle entre elles, mais qu’elle a notamment tenu compte du fait que, en pratique, ni Vodafone ni Unitymedia n’avaient jamais dupliqué le réseau câblé de l’autre partie et que ces parties n’avaient que de manière négligeable étendu leur réseau à l’intérieur de leur propre empreinte câblée, alors qu’une telle extension interne était plus
rentable.
149 Quant à l’allégation selon laquelle la Commission aurait elle-même constaté que Deutsche Telekom était disposée à étendre son réseau, avec pour conséquence, selon la requérante, que Vodafone aurait dû tout autant être capable de le faire, il convient de constater que, dans la décision attaquée, la Commission a expliqué les raisons pour lesquelles ces stratégies n’étaient pas applicables aux parties à la concentration.
150 En ce qui concerne plus particulièrement le cas de Deutsche Telekom, ainsi que cela ressort du considérant 744, sous c), de la décision attaquée et de la réponse de cet opérateur qui y est lui-même cité, sa situation est très différente de celle des parties à la concentration, notamment au motif que Deutsche Telekom possède déjà un réseau de fibre optique très étendu et qu’elle utilise ce réseau pour fournir des services d’accès à haut débit via la technologie de ligne d’abonné numérique
(Digital Subscriber Line, DSL). Partant, afin d’étendre à de nouvelles zones son offre à des clients MDU, Deutsche Telekom peut s’appuyer sur ses propres lignes de fibre optique ou ses conduites existantes et n’a généralement besoin de construire que de courtes parties du réseau de niveau 3.
151 Le sixième grief de la requérante doit, partant, être écarté.
152 S’agissant, en septième lieu, de la coopération entre Vodafone et Deutsche Glasfaser, la requérante indique elle-même, dans la requête, que le réseau qui serait déployé dans ce cadre permettrait de fournir la fibre optique à des entreprises et ne vise dès lors pas le marché MDU.
153 Le plan d’investissement « Gigabit » produit par la requérante ne fait que confirmer cela, puisqu’il ressort de celui-ci que ce projet vise, d’une part, à déployer un réseau de fibre optique en vue de fournir un Internet très rapide aux entreprises (100000 entreprises dans environ 2000 zones d’activités économiques, pour un montant compris entre 1,4 et 1,6 milliard d’euros) et à des foyers ruraux en coopération avec des municipalités et grâce à des subsides de celles-ci (1 million de foyers
ruraux sous-desservis en Internet, pour un montant compris entre 0,2 et 0,4 milliard d’euros) et, d’autre part, à mettre à niveau l’infrastructure câblée de Vodafone conformément à la norme DOCSIS 3.1 en vue de fournir un Internet plus rapide à « l’ensemble [des] 12,6 millions de foyers concernés » (pour un montant de 0,2 milliard d’euros).
154 Force est, partant, de constater que ce projet concerne le marché de la fourniture de services d’accès fixe à Internet et qu’il n’est dès lors pas pertinent dans le cadre de l’examen de l’existence d’une concurrence potentielle entre les parties à la concentration sur le marché MDU.
155 En tout état de cause, il convient également de constater que ce projet vise principalement à connecter (à Internet très haut débit) des entreprises et des foyers ruraux dans des zones sous-desservies, et donc pas des clients MDU, et, accessoirement, à mettre à jour le réseau câblé existant de Vodafone en vue d’améliorer la connexion à Internet de clients actuels de cet opérateur.
156 Il y a lieu d’ajouter qu’il ressort du plan d’investissement « Gigabit » produit par la requérante que ce projet satisfait aux critères d’investissement de Vodafone tels que mentionnés dans la décision attaquée, ce qui confirme que, d’une part, cet opérateur veille à ce que ces critères soient respectés lorsqu’il envisage de se lancer dans un projet d’infrastructure et que, d’autre part, la Commission pouvait valablement s’appuyer sur ces critères lorsqu’elle a examiné la probabilité que
Vodafone opérât une duplication de réseau câblé dans l’empreinte de Unitymedia en vue de connecter des clients MDU.
157 Finalement, le fait que Vodafone ait, le 6 décembre 2019, annoncé qu’elle étendrait sa collaboration avec Deutsche Glasfaser en vue de déployer la fibre à destination des particuliers, notamment dans l’empreinte câblée de Unitymedia, n’est pas pertinent dans le cadre d’un examen de la légalité de la décision attaquée, puisque ce fait est intervenu postérieurement à l’adoption de celle-ci. En effet, dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité de l’acte attaqué doit être appréciée en
fonction des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle l’acte a été adopté (voir arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 37 et jurisprudence citée ; arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, EU:T:2007:289, point 260) et des éléments d’information dont l’institution auteure de l’acte pouvait disposer au moment où elle l’a arrêté [arrêts du 9 septembre 2009, Brink’s Security Luxembourg/Commission, T‑437/05, EU:T:2009:318,
point 96, et du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 157]. Une partie requérante ne peut ainsi se prévaloir, devant le juge de l’Union, d’éléments de fait postérieurs à l’acte dont la légalité est contestée ou dont l’auteur de l’acte ne pouvait avoir connaissance lors de l’adoption de celui-ci. En tout état de cause, la requérante ne démontre pas que cette collaboration viserait à connecter des clients MDU.
158 Le septième grief de la requérante doit, partant, être écarté.
159 S’agissant, en huitième lieu, de l’allégation selon laquelle il serait possible de desservir des clients MDU sans nécessité de déployer un réseau câblé de niveau 3, il y a lieu de relever que la Commission ne s’est pas limitée à examiner la probabilité d’une concurrence potentielle par le biais d’une duplication du réseau câblé de l’autre partie à la concentration, ainsi que cela ressort du considérant 745 de la décision attaquée pour ce qui est de Vodafone et du considérant 763 de ladite
décision pour ce qui est de Unitymedia. La Commission a, dans ce cadre, considéré qu’il était également peu probable qu’une partie pénétrât sur l’empreinte câblée de l’autre partie à partir de moyens non fondés sur l’infrastructure, tels que, notamment, les lignes louées, l’infrastructure satellite ou les réseaux de niveau 4.
160 À cet égard, il convient également de relever que, au considérant 820 de la décision attaquée, la Commission a constaté que les opérateurs de niveau 4 dépendaient complètement de la volonté des parties d’offrir des services de transmission intermédiaire de signaux de télévision à des conditions compétitives, ce que la requérante ne conteste pas. Ensuite, au considérant 1479 de la décision attaquée, la Commission a relevé que les opérateurs de niveau 4 avaient expliqué eux-mêmes qu’ils étaient
actifs dans un segment de niche du marché, tandis que les associations de logements avaient affirmé que ces opérateurs ne satisfaisaient fréquemment pas aux exigences requises en matière de niveau de service et n’étaient pas en mesure de prendre en charge les mises à niveau du réseau de niveau 3, ce que la requérante ne conteste pas non plus.
161 Par ailleurs, contrairement aux allégations de la requérante, le fait que les parties à la concentration n’ont, que de manière négligeable, eu recours à cette possibilité technique ne fait que confirmer qu’elle n’est pas intéressante d’un point de vue concurrentiel et corrobore le constat de la Commission selon lequel il était peu probable que les parties à la concentration étendent leurs activités dans l’empreinte câblée de l’autre partie en s’appuyant sur des moyens non fondés sur
l’infrastructure.
162 Le huitième grief de la requérante doit, partant, être écarté.
163 S’agissant, en neuvième lieu, des références faites par la requérante, d’une part, à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission et, d’autre part, à une décision de l’Office fédéral des ententes et à un jugement de l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf), il y a lieu de relever que la Commission n’est pas liée par ceux-ci.
164 En effet, d’une part, il convient de relever que lorsque la Commission statue sur la compatibilité d’une concentration avec le marché intérieur sur le fondement d’une notification et d’un dossier propres à cette opération, une partie requérante n’est pas en droit de remettre en cause ses constatations au motif qu’elles diffèrent de celles faites antérieurement dans une autre affaire, sur le fondement d’une notification et d’un dossier différents, à supposer même que les marchés en cause dans les
deux affaires soient similaires, voire identiques (arrêts du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T‑210/01, EU:T:2005:456, point 118, et du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T‑162/10, EU:T:2015:283, point 142).
165 D’autre part, il convient également de relever que, eu égard à la répartition précise des compétences sur laquelle repose le règlement no 139/2004, les décisions des autorités nationales ne sauraient lier la Commission dans le cadre des procédures de contrôle des concentrations (voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2007, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, C‑202/06 P, EU:C:2007:814, point 56, et du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T‑151/05, EU:T:2009:144, point 139).
166 Le neuvième grief de la requérante doit, partant, être rejeté.
167 Il découle de ce qui précède que la requérante ne parvient pas à démontrer que la Commission a commis des erreurs manifestes d’appréciation en considérant, dans la décision attaquée, que les parties à la concentration n’étaient pas des concurrents potentiels sur le marché MDU et qu’elles n’exerçaient donc pas de pressions concurrentielles l’une sur l’autre.
5. Sur la troisième branche, tirée d’erreurs manifestes dans l’appréciation des répercussions de la concentration sur les contraintes concurrentielles exercées par les concurrents
[omissis]
b) Sur l’analyse prétendument insuffisante et inexacte des contraintes concurrentielles prévisibles exercées par les tiers après la concentration
[omissis]
190 À cet égard, il est vrai que la situation dans laquelle la pression concurrentielle exercée par les concurrents se verrait fortement réduite en conséquence d’une opération de concentration peut donner lieu à une ESCE.
191 En outre, il y a lieu de relever que, pour apprécier la compatibilité d’une opération de concentration avec le marché intérieur, la Commission tient compte d’un ensemble d’éléments tels que la structure des marchés en cause, la concurrence réelle ou potentielle d’entreprises, la position ainsi que la puissance économique et financière des entreprises concernées, les possibilités de choix des fournisseurs et des utilisateurs, l’existence de barrières à l’entrée ainsi que l’évolution de l’offre et
de la demande (arrêt du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, EU:C:2005:87, point 125). Le constat d’une augmentation de la puissance financière de l’entité issue de la concentration ne permet, partant, pas à lui seul de conclure à une ESCE.
192 Par ailleurs, il ressort certes de l’article 2, paragraphe 1, sous a), du règlement no 139/2004 que, pour apprécier la compatibilité ou non d’une opération avec le marché intérieur, la Commission tient compte de la nécessité de préserver et de développer une concurrence effective dans le marché intérieur au vu, notamment, de la structure de tous les marchés en cause et de la concurrence réelle ou potentielle d’entreprises situées à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union. Il s’agit d’une
exigence qui constitue un élément important dans l’appréciation à laquelle doit se livrer la Commission (arrêt du 6 novembre 2012, Éditions Odile Jacob/Commission, C‑551/10 P, EU:C:2012:681, point 68).
193 Toutefois, cette exigence ne saurait modifier la règle définie au paragraphe 2 de cet article, selon laquelle les concentrations qui n’entraveraient pas de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante, doivent être déclarées compatibles avec le marché intérieur (arrêt du 6 novembre 2012, Éditions Odile Jacob/Commission, C‑551/10 P, EU:C:2012:681,
point 68).
194 Il convient également de souligner que la Commission ne peut déclarer une concentration incompatible avec le marché intérieur que si elle constate une ESCE qui est la conséquence directe et immédiate de la concentration. Une telle entrave, qui découlerait des décisions futures de l’entité issue de la concentration, peut uniquement être considérée comme une conséquence directe et immédiate de la concentration si ce comportement futur est rendu possible et économiquement rationnel par la
modification des caractéristiques et de la structure du marché causée par la concentration (arrêt du 11 décembre 2013, Cisco Systems et Messagenet/Commission, T‑79/12, EU:T:2013:635, point 118).
195 Finalement, il convient de relever que l’appréciation du rapport de force entre les différentes entreprises en concurrence sur un marché relève en principe d’une appréciation économique complexe pour laquelle la Commission dispose d’une marge d’appréciation (voir arrêt du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T‑210/01, EU:T:2005:456, point 253 et jurisprudence citée).
196 S’agissant, en premier lieu, du grief de la requérante tiré du caractère prétendument insuffisant du contrôle par la Commission des conséquences potentiellement négatives sur le développement des concurrents sur le marché MDU de la prétendue augmentation de la puissance financière de l’entité issue de la concentration, les appréciations effectuées par la Commission relatives aux effets probables de la concentration sur les contraintes concurrentielles exercées par les concurrents ne reposent pas
sur des vérifications superficielles et de simples présomptions, comme le soutient la requérante.
197 En effet, comme cela ressort des points 179 à 182 ci-dessus, les explications fournies par la Commission aux considérants 821 à 831 de la décision attaquée, analysant de manière détaillée les effets probables de la concentration sur les contraintes concurrentielles exercées par les concurrents sur le marché MDU postérieurement à l’opération, reflètent le caractère prospectif de ses appréciations, le niveau de preuve requis par elle ainsi que les éléments de preuve dont elle disposait, et ce dans
le cadre d’une analyse pour laquelle la Commission disposait d’une marge d’appréciation, de sorte que ce premier grief, tiré d’une insuffisance d’examen, ne saurait être accueilli.
198 En tout état de cause, il convient de rappeler que, même si la Commission avait, à l’issue de cette analyse, constaté une augmentation de la puissance financière de l’entité issue de la concentration, propre à celle-ci, une telle constatation n’aurait pas suffi, à elle seule, à conclure à une ESCE, ainsi que cela ressort de la jurisprudence citée au point 191 ci-dessus.
199 Par conséquent, ce premier grief de la requérante doit être rejeté.
[omissis]
215 La troisième branche du premier moyen ainsi que le premier moyen dans son ensemble doivent donc être rejetés.
[omissis]
E. Sur le quatrième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation et d’une violation des articles 2 et 8 du règlement no 139/2004, de l’obligation de motivation et de l’obligation de diligence dans l’appréciation de l’engagement WCBA
[omissis]
3. Sur la seconde branche, tirée d’erreurs manifestes d’appréciation ainsi que d’une motivation et d’une instruction déficientes en ce que l’engagement WCBA engendrerait de nouveaux problèmes de concurrence
[omissis]
a) Sur l’insuffisance de l’examen et de la motivation des effets sur les concurrents actifs sur le marché de l’accès fixe à Internet de la concentration combinée à l’engagement WCBA
[omissis]
340 À cet égard, en premier lieu, il y a lieu de constater, s’agissant de la prétendue absence de vérification que l’engagement WCBA éliminerait entièrement les problèmes de concurrence constatés, que, au considérant 1895 de la décision attaquée, dans la partie de celle-ci dédiée à l’examen des engagements initiaux soumis par Vodafone, il est vrai que la Commission a expliqué que, conformément aux principes du règlement no 139/2004 relatifs à l’acceptabilité des engagements, elle avait évalué si les
engagements initiaux étaient appropriés et suffisants pour éliminer les problèmes de concurrence et s’ils étaient susceptibles d’être mis en œuvre efficacement dans un délai court. Ainsi, la Commission n’a pas expressément indiqué que les engagements devaient résoudre entièrement les problèmes de concurrence identifiés.
341 Toutefois, la Commission avait préalablement rappelé, au considérant 1894 de la décision attaquée, que, pour être acceptables, les engagements proposés devaient être capables de rendre une concentration compatible avec le marché intérieur, en ce qu’ils empêchaient la survenance d’une ESCE sur tous les marchés en cause sur lesquels des problèmes de concurrence avaient été identifiés, ajoutant que, en l’espèce, les engagements devaient éliminer les problèmes de concurrence identifiés, notamment
sur les marchés de l’accès fixe à Internet et des offres groupées 2P. Il en découle que, dans le cadre de son examen de l’engagement WCBA, la Commission a bien vérifié que celui-ci éliminerait entièrement les problèmes de concurrence constatés, même si elle n’a pas procédé à cette vérification dans une section spécifique, de manière formellement distincte de l’examen de la question de savoir si cet engagement était approprié et suffisant pour éliminer lesdits problèmes et s’il était susceptible
d’être mis en œuvre efficacement dans un délai court.
342 Par ailleurs, il y a lieu de constater que, au considérant 1953 de la décision attaquée, dans lequel la Commission expose sa conclusion finale quant à l’engagement WCBA, elle indique que l’étendue et l’efficacité de ce remède sont suffisantes « en vue d’éliminer les problèmes de concurrence » sur les marchés de l’accès fixe à Internet et des offres groupées 2P, ce qui confirme que la Commission a bien procédé à cette vérification.
343 Ensuite, s’agissant du prétendu défaut de motivation commis par la Commission, en ce que cette dernière aurait omis de s’assurer que l’engagement WCBA ne provoquerait pas lui-même une ESCE, il y a lieu de relever qu’il ressort des considérants 1995 à 2005 de la décision attaquée que, en réponse aux craintes exprimées par les acteurs du marché dans le cadre de la consultation portant notamment sur la version initiale de l’engagement WCBA, la Commission a vérifié que cet engagement n’aurait pas
des effets négatifs, y compris sur les investissements dans la fibre optique ou sur le marché de détail des offres multiservices, et a exposé de manière détaillée les raisons pour lesquelles elle estimait que tel ne serait pas le cas. Par conséquent, il ne pourrait être reproché à la Commission d’avoir insuffisamment examiné et motivé sa conclusion selon laquelle la concentration, combinée à l’engagement WCBA, ne provoquerait pas d’effets négatifs sur les concurrents actifs sur le marché de
l’accès fixe à Internet.
344 En tout état de cause, la requérante n’explique nullement en quoi les explications exposées par la Commission aux considérants 1995 à 2005 de la décision attaquée ne seraient pas suffisamment motivées pour permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et au Tribunal d’exercer son contrôle.
345 En second lieu, en ce qui concerne l’allégation de la requérante selon laquelle l’utilisation de l’expression « prima facie », dans le titre précédant l’analyse portant sur l’absence de problèmes de concurrence découlant de la mise en œuvre de l’engagement WCBA, serait révélatrice du caractère sommaire de ladite analyse, effectuée par la Commission dans la décision attaquée, force est de constater que cette partie de la décision attaquée, bien que son intitulé se réfère à une analyse « à
première vue », contient un examen complet de toutes les objections formulées par les acteurs du marché lors de la consultation portant sur les engagements initialement présentés par Vodafone (voir, plus particulièrement, considérants 1995 à 2005). Par conséquent, l’examen mené par la Commission sur les effets potentiellement négatifs de l’engagement WCBA sur les concurrents ne peut être qualifié de sommaire, ce qui suffit pour écarter cet argument de la requérante.
346 En tout état de cause, ainsi que le fait valoir la Commission dans le cadre de la présente procédure, l’utilisation de l’expression « prima facie » dans l’intitulé de cet examen découle d’une application du point 104 de la communication concernant les mesures correctives, selon lequel « lorsqu’elle cherchera à déterminer si l’acquéreur proposé risque de créer des problèmes de concurrence, la Commission procèdera à une évaluation à première vue à la lumière des informations dont elle dispose dans
le cadre du processus d’approbation de l’acquéreur ». S’il est vrai que ce point concerne l’approbation de l’acquéreur et du contrat de vente et d’achat dans le cadre d’un engagement de cession, il convient de constater, d’une part, qu’il ressort du point 129 de cette communication que plusieurs des principes qui concernent l’exécution des engagements de cession peuvent également s’appliquer à d’autres types d’engagement et, d’autre part, que l’examen des risques à la concurrence qui pourraient
découler de l’approbation de l’entreprise bénéficiaire d’un engagement qui prévoit un accès à un réseau obéit à une logique similaire à celui qui permet de déterminer si l’acquéreur proposé dans le cadre d’un engagement de cession risque de créer des problèmes de concurrence, avec pour conséquence que la Commission peut effectuer une analyse similaire de ces risques ou de ce risque dans ces deux situations.
347 Il découle de ce qui précède que la requérante ne démontre pas que l’examen effectué par la Commission, dans la décision attaquée, des effets de la concentration combinée à l’engagement WCBA sur les concurrents actifs sur le marché de l’accès fixe à Internet aurait été insuffisant, ou insuffisamment motivé, avec pour conséquence que ce grief doit être écarté.
b) Sur le caractère manifestement erroné de l’appréciation « à première vue » des effets de l’engagement WCBA sur la concurrence
[omissis]
358 En ce qui concerne le bien-fondé des autres arguments invoqués par la requérante, il y a lieu de relever que la Commission doit, lors de son examen de la concentration au cours de la phase II, démontrer, avec une probabilité suffisante, que cette opération, telle qu’elle a été modifiée par les engagements proposés par les parties à l’opération, ne va pas entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci (voir arrêt du
23 mai 2019, KPN/Commission, T‑370/17, EU:T:2019:354, point 110 et jurisprudence citée).
359 Au même titre que l’appréciation des effets d’une opération de concentration, la question de savoir si un engagement pose des problèmes de concurrence relève d’une appréciation de probabilités et non d’une obligation pour la Commission de démontrer sans doutes raisonnables que l’engagement en cause ne soulève pas de problèmes de concurrence (voir, par analogie, arrêt du 11 décembre 2013, Cisco Systems et Messagenet/Commission, T‑79/12, EU:T:2013:635, point 47).
360 Par ailleurs, les parties procédant à une notification ne sont pas contraintes de se limiter à proposer des engagements visant strictement à rétablir la situation de concurrence antérieure à l’opération de concentration, afin de permettre à la Commission de déclarer cette opération compatible avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T‑282/02, EU:T:2006:64, point 308).
361 En l’espèce, en ce qui concerne, en premier lieu, l’allégation de la requérante selon laquelle l’engagement WCBA porterait atteinte au marché et renforcerait la structure oligopolistique de celui-ci en accordant un accès de gros à des conditions privilégiées à Telefónica, il y a lieu de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a expliqué que ce remède renforcerait cet opérateur, mais que cela ne donnerait pas lieu à des problèmes de concurrence, étant donné que Telefónica n’était
pas un concurrent puissant sur les marchés de l’accès fixe à Internet et des offres groupées 2P, y détenant une part de marché limitée de 5-6 %, et que son taux de croissance y était négatif. La Commission a ajouté que, bien que l’engagement WCBA offrît des conditions commerciales plus attractives que celles offertes par Deutsche Telekom, cela n’aurait pas pour effet d’accroître la compétitivité de Telefónica de manière telle à créer, en soi, un problème de concurrence (voir considérants 1993
et 1994 de la décision attaquée).
362 Or, en vue de démontrer le contraire, la requérante se contente de faire valoir des arguments vagues et généraux, ne permettant pas de remettre en cause ces éléments avancés par la Commission.
363 Ainsi, si la requérante soutient que Telefónica était un grand câblo-opérateur paneuropéen verticalement intégré, elle ne conteste pas la part de marché limitée et le taux de croissance négatif de cet opérateur sur les marchés pertinents, à savoir les marchés de l’accès fixe à Internet et des offres groupées 2P, tels que constatés par la Commission dans la décision attaquée, à savoir les éléments qui lui ont permis de conclure que Telefónica n’était pas un concurrent puissant sur ces marchés et
que le renforcement de cet opérateur, engendré par l’engagement WCBA, ne provoquerait pas en soi de problèmes de concurrence.
364 Par ailleurs, il convient de constater que la requérante ne démontre pas que, sous l’effet de l’engagement WCBA, la position de Telefónica sur les marchés pertinents serait modifiée d’une manière telle que ce remède, dans un avenir relativement proche, serait susceptible d’entraîner, en soi, des problèmes de concurrence au détriment des concurrents de petite et moyenne taille.
365 Par conséquent, la requérante ne démontre pas que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que l’engagement WCBA n’aurait pas pour effet, en soi, de créer des problèmes de concurrence.
[omissis]
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (septième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) NetCologne Gesellschaft für Telekommunikation mbH est condamnée aux dépens.
Van der Woude
da Silva Passos
Reine
Truchot
Sampol Pucurull
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 novembre 2024.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.
( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.