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23/10/2024 | CJUE | N°T-480/23

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Vladimir Gheorghe Plahotniuc contre Conseil de l'Union européenne., 23/10/2024, T-480/23


 ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

23 octobre 2024 ( *1 )

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison des actions déstabilisant la Moldavie – Gel des fonds – Restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Listes des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et faisant l’objet de restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Inscription du nom du requérant sur les listes – Enquêtes et poursuites p

énales engagées par les
autorités d’un État tiers – Obligation de vérifier que cette décision respect...

 ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

23 octobre 2024 ( *1 )

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison des actions déstabilisant la Moldavie – Gel des fonds – Restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Listes des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et faisant l’objet de restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Inscription du nom du requérant sur les listes – Enquêtes et poursuites pénales engagées par les
autorités d’un État tiers – Obligation de vérifier que cette décision respecte les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑480/23,

Vladimir Gheorghe Plahotniuc, demeurant à Chişinău (Moldavie), représenté par M. J. Pobjoy, barrister,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. A. Boggio-Tomasaz et Mme P. Mahnič, en qualité d’agents, assistés de Me E. Raoult, avocate,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. J. Svenningsen, président, C. Mac Eochaidh (rapporteur) et Mme M. Stancu, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Vladimir Gheorghe Plahotniuc, demande l’annulation de la décision (PESC) 2023/1047 du Conseil, du 30 mai 2023, modifiant la décision (PESC) 2023/891 concernant des mesures restrictives en raison des actions déstabilisant la République de Moldavie (JO 2023, L 140 I, p. 9), et du règlement d’exécution (UE) 2023/1045 du Conseil, du 30 mai 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) 2023/888 concernant des mesures restrictives en raison des
actions déstabilisant la République de Moldavie (JO 2023, L 140 I, p. 1), en tant que ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») le concernent.

Antécédents du litige

2 Le requérant est un homme politique et un homme d’affaires de nationalité moldave.

3 Le 28 avril 2023, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision (PESC) 2023/891 du Conseil, du 28 avril 2023, concernant des mesures restrictives en raison des actions déstabilisant la République de Moldavie (JO 2023, L 114, p. 15), et, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) 2023/888 du Conseil, du 28 avril 2023, concernant des mesures restrictives en raison des actions déstabilisant la République de Moldavie (JO 2023, L 114, p. 1).

4 Il ressort des considérants de la décision 2023/891 que le gouvernement moldave est de plus en plus confronté à des menaces directes pour sa stabilité, émanant à la fois de groupes internes ayant des intérêts particuliers et de la Russie, qui concourent souvent à détourner le pays de sa trajectoire de réformes.

5 L’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2023/891 prévoit ce qui suit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire :

a) des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques compromettant ou menaçant la souveraineté et l’indépendance de la République de Moldavie, ou la démocratie, l’État de droit, la stabilité ou la sécurité dans la République de Moldavie, ou qui soutiennent ou mettent en œuvre ces actions ou politiques, par l’un des agissements suivants :

i) faire obstacle ou porter atteinte au processus politique démocratique, notamment en faisant obstacle ou en portant gravement atteinte à la tenue d’élections ou en tentant de déstabiliser ou de renverser l’ordre constitutionnel ;

ii) organiser, diriger ou participer, directement ou indirectement, à des manifestations violentes ou autres actes de violence, ou apporter leur soutien à de tels manifestations ou actes ou les faciliter de toute autre manière ; ou

iii) commettre des manquements financiers graves concernant des fonds publics et procéder à l’exportation non autorisée de capitaux ;

[…]

dont la liste figure en annexe. »

6 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2023/891, sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant à, ou possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques, des entités ou des organismes répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de ladite décision et dont la liste figure en annexe de cette même décision.

7 L’article 2, paragraphe 3, sous a), du règlement 2023/888 dispose que l’annexe I dudit règlement indique notamment les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision 2023/891 (ci-après les « critères d’inscription en cause »).

8 L’article 2, paragraphe 1, du règlement 2023/888 dispose que sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes inscrits sur la liste figurant à l’annexe I dudit règlement, de même que tous les fonds et ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par ces personnes, entités ou organismes.

9 L’article 2, paragraphe 2, du règlement 2023/888 dispose qu’aucun fonds ni aucune ressource économique n’est mis à la disposition, directement ou indirectement, des personnes physiques ou morales, entités ou organismes inscrits sur la liste figurant à l’annexe I dudit règlement, ni n’est dégagé à leur profit.

10 L’annexe de la décision 2023/891 et l’annexe I du règlement 2023/888 établissent respectivement la « [l]iste des personnes physiques et morales, entités et organismes visés aux articles 1er et 2 » et la « [l]iste des personnes physiques et morales, entités et organismes visés à l’article 2 ».

11 Le 30 mai 2023, le Conseil a adopté les actes attaqués.

12 Par les actes attaqués, le Conseil a ajouté cinq personnes, dont le requérant, sur la liste des personnes physiques et morales, entités et organismes figurant à l’annexe de la décision 2023/891 et à l’annexe I du règlement 2023/888 (ci-après, prises ensemble, les « listes en cause »).

13 Dans les actes attaqués, le Conseil a justifié l’adoption des mesures restrictives visant le requérant par la mention des motifs suivants (ci-après les « motifs de l’inscription en cause ») :

« Vladimir Plahotniuc fait l’objet de nombreuses procédures pénales en République de Moldavie pour des infractions liées au détournement de fonds publics de la République de Moldavie et à leur transfert illégal hors de la République de Moldavie. Il a été poursuivi en République de Moldavie dans l’affaire de “fraude bancaire”, dont les effets économiques affectent encore le pays. Il fait également l’objet d’une enquête pour corruption de l’ancien président de la République de Moldavie avec un sac
d’argent liquide en échange de faveurs politiques.

Du fait de ses manquements financiers graves concernant des fonds publics et de l’exportation non autorisée de capitaux de manière non autorisée, Vladimir Plahotniuc est responsable d’actions et de la mise en œuvre de politiques qui compromettent ou menacent la démocratie, l’[É]tat de droit, la stabilité ou la sécurité en République de Moldavie en compromettant le processus politique démocratique en République de Moldavie et en commettant des manquements financiers graves concernant des fonds
publics. »

14 Le 31 mai 2023, le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2023/891, modifiée par la décision 2023/1047, et par le règlement 2023/888, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2023/1045, concernant des mesures restrictives en raison des actions déstabilisant la République de Moldavie (JO 2023, C 190, p. 5).

Conclusions des parties

15 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler les actes attaqués en tant qu’ils le concernent ;

– condamner le Conseil aux dépens.

16 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner le requérant aux dépens.

En droit

17 Au soutien de ses conclusions en annulation, le requérant invoque deux moyens, tirés, le premier, d’une erreur manifeste d’appréciation et, le second, de la violation des droits dont il dispose en vertu de l’article 6 TUE, lu en combinaison avec les articles 2 et 3 TUE, et les articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Remarques liminaires

18 À titre liminaire, il convient de relever que les motifs de l’inscription en cause, dont le libellé est rappelé au point 13 ci-dessus, présentent certaines imprécisions et certaines ambiguïtés.

19 D’une part, le Conseil fonde cette inscription sur les enquêtes et les poursuites pénales diligentées à l’égard du requérant dans les affaires de « fraude bancaire » et de « corruption de l’ancien président de la République de Moldavie », mais il renvoie également, sans plus de précisions, à « de nombreuses procédures pénales en République de Moldavie pour des infractions liées au détournement de fonds publics de [cette] République […] et à leur transfert illégal hors de [ladite] République
[…] ».

20 En ce qui concerne cette dernière référence, il convient de rappeler que la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure de gel des fonds doit identifier les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 52).

21 Toutefois, il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée [arrêt du 18 mai 2022, Foz/Conseil, T‑296/20, EU:T:2022:298, point 39 (non publié)].

22 En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard [arrêt du 18 mai 2022, Foz/Conseil, T‑296/20, EU:T:2022:298, point 40 (non publié)].

23 Tel est le cas en l’espèce, en ce qui concerne la référence figurant dans les motifs de l’inscription en cause, à savoir les « nombreuses procédures pénales ». En effet, l’existence ou non de telles procédures diligentées à son encontre doit être considérée comme relevant du contexte connu de l’intéressé.

24 En outre, quand bien même le Conseil se référerait à un nombre indéfini de procédures pénales, il en spécifie toutefois la nature et l’objet. En effet ne sont visées que des procédures concernant certaines infractions spécifiques, à savoir des « procédures pénales […] pour des infractions liées au détournement de fonds publics de la République de Moldavie et à leur transfert illégal hors de la République de Moldavie ». De telles considérations de fait sur le fondement desquelles le Conseil a
estimé que le requérant devait faire l’objet des mesures restrictives prévues par les actes attaqués sont ainsi suffisamment circonstanciées pour que celui-ci puisse en contester l’exactitude devant le juge de l’Union européenne (voir, par analogie, arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 114).

25 D’autre part, au second alinéa des motifs de l’inscription du requérant sur les listes en cause, censé identifier la base juridique des actes attaqués, le Conseil a retenu une formulation faisant naître une ambiguïté quant aux critères visés à l’article 2, paragraphe 3, sous a), du règlement 2023/888 et à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision 2023/891 servant de fondement à cette inscription.

26 À cet égard, il convient de rappeler que, outre l’indication de la base juridique de la mesure adoptée, l’obligation de motivation porte précisément sur les circonstances qui permettent de considérer que l’un ou l’autre des critères d’inscription est satisfait dans le cas des intéressés. Dans ce contexte, l’omission de la référence à une disposition précise ne peut pas constituer un vice substantiel lorsque la base juridique d’un acte peut être déterminée à l’appui d’autres éléments de celui‑ci.
Une telle référence explicite est cependant indispensable lorsque, à défaut de celle-ci, les intéressés et le juge de l’Union sont laissés dans l’incertitude quant à la base juridique précise (voir, en ce sens, arrêt du 25 mars 2015, Central Bank of Iran/Conseil, T‑563/12, EU:T:2015:187, points 67 et 68).

27 Or, au regard du libellé des motifs de l’inscription en cause, il n’est pas possible de déterminer avec certitude si l’inscription du requérant est fondée uniquement sur le critère tiré des manquements financiers graves concernant des fonds publics et de l’exportation non autorisée de capitaux [critère visé à l’article 2, paragraphe 3, sous a), iii), du règlement 2023/888 et à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), iii), de la décision 2023/891] ou également sur le critère tiré de l’atteinte au
processus politique démocratique en République de Moldavie [critère visé à l’article 2, paragraphe 3, sous a), i), du règlement 2023/888 et à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), i), de la décision 2023/891].

28 À cet égard, le début du second alinéa des motifs de l’inscription en cause indique que ladite inscription est justifiée par des « manquements financiers graves concernant des fonds publics et l’exportation non autorisée de capitaux de manière non autorisée » et que ces faits permettent de conclure que le requérant « est responsable d’actions et de la mise en œuvre de politiques qui compromettent ou menacent la démocratie, l’État de droit, la stabilité ou la sécurité en République de Moldavie »,
au sens de l’article 2, paragraphe 3, sous a), du règlement 2023/888 et de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision 2023/891. Cependant, la fin de ce même alinéa semble revenir sur les critères fondant ladite inscription, en visant cette fois uniquement les manquements financiers graves et non l’exportation non autorisée de capitaux, et en ajoutant que le requérant aurait compromis le processus politique démocratique en République de Moldavie.

29 Une telle formulation conduit le Conseil non seulement à viser, tant en début de phrase qu’en fin de phrase, ce qui semble constituer les critères fondant l’inscription du requérant sur les listes en cause, mais également à ne pas retenir les mêmes critères à ces deux emplacements.

30 L’incertitude suscitée par cette rédaction est renforcée par le fait que, concernant le requérant, le Conseil s’est écarté du schéma de rédaction des motifs retenus dans les actes attaqués à l’égard des quatre autres personnes inscrites sur les listes en cause et qui, invariablement, a conduit cette institution, en premier lieu, à identifier le ou les critères fondant l’inscription et, en second lieu, à conclure que ceux-ci permettaient de satisfaire à la condition d’inscription définie à
l’article 2, paragraphe 3, sous a), du règlement 2023/888 et à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision 2023/891.

31 En outre, il ressort à tout le moins de la version en langue française des actes attaqués que le Conseil a visé « des manquements financiers graves concernant des fonds publics et l’exportation non autorisée de capitaux de manière non autorisée » et, de ce fait, a retenu un critère non seulement redondant, mais également distinct de celui visé à l’article 2, paragraphe 3, sous a), iii), du règlement 2023/888 et à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), iii), de la décision 2023/891.

32 Une telle formulation ambiguë est de nature à faire naître un doute raisonnable quant à la question de savoir si le critère tiré de l’atteinte au processus politique démocratique en République de Moldavie avait effectivement été retenu, par cette institution, à l’égard du requérant. De ce fait, elle pouvait légitimement conduire ce dernier à comprendre que son inscription sur les listes en cause était fondée uniquement sur le critère tiré des manquements financiers graves concernant des fonds
publics et de l’exportation non autorisée de capitaux.

33 Si une telle ambiguïté n’est pas à même de caractériser une insuffisance de motivation des actes attaqués pris dans leur ensemble, elle implique néanmoins que le Tribunal doive considérer que l’inscription du requérant sur les listes en cause est fondée sur le seul critère tiré des manquements financiers graves concernant des fonds publics et de l’exportation non autorisée de capitaux.

34 Cela implique également que le libellé des actes attaqués ne permet pas de fonder l’allégation du Conseil selon laquelle l’inscription du requérant sur les listes en cause était justifiée au titre des deux critères visés au point 27 ci-dessus. En conséquence, cette institution ne peut valablement soutenir que le requérant se serait limité à contester un seul des deux motifs de son inscription sur ces listes. Elle ne peut pas non plus valablement alléguer que, de ce fait, les moyens soulevés par
le requérant seraient inopérants et que son recours serait non fondé.

35 Il découle de ce qui précède que, dans le cadre de l’examen des moyens soulevés par le requérant et, en particulier, de son second moyen, qu’il y a lieu d’examiner d’emblée, il convient d’apprécier si le Conseil a violé les droits dont dispose le requérant en vertu de l’article 6 TUE, lu en combinaison avec les articles 2 et 3 TUE, et des articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux, s’agissant uniquement de l’inscription de celui-ci sur les listes en cause au titre du critère tiré des
manquements financiers graves concernant des fonds publics et de l’exportation non autorisée de capitaux et en raison des motifs qui ressortent du premier alinéa des motifs de l’inscription en cause, à savoir l’existence, d’une part, de procédures pénales en République de Moldavie pour des infractions liées au détournement de fonds publics de cet État et à leur exportation illégale et, d’autre part, d’enquêtes et de poursuites pénales dans les affaires de « fraude bancaire » et de « corruption de
l’ancien président de la République de Moldavie ».

36 Ainsi, le Conseil ne peut utilement soutenir qu’il revient au Tribunal de vérifier uniquement s’il a apporté les preuves à même d’établir, de manière générale, que le requérant était responsable d’actions ou de politiques compromettant ou menaçant la souveraineté et l’indépendance de la République de Moldavie ou la démocratie, l’État de droit, la stabilité ou la sécurité dans la République de Moldavie, ou soutenait ou mettait en œuvre ces actions ou politiques, au sens de l’article 2,
paragraphe 3, sous a), du règlement 2023/888 et de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision 2023/891, et cela sans avoir à rattacher les agissements concernés à l’un ou l’autre des trois critères prévus par ces dispositions ou encore sans tenir compte de la motivation et des éléments de fait visés au premier alinéa des motifs de l’inscription en cause.

Sur le second moyen, tiré de la violation des droits dont dispose le requérant en vertu de l’article 6 TUE, lu en combinaison avec les articles 2 et 3 TUE, et les articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux

37 Par le second moyen, le requérant allègue que, avant d’adopter les actes attaqués, le Conseil a omis de vérifier si les enquêtes et les procédures pénales ouvertes à son encontre en Moldavie, qui sont visées au premier alinéa des motifs de l’inscription en cause, respectaient ses droits fondamentaux, et ce alors même que de multiples irrégularités affectaient, selon lui, ces procédures. Le requérant soutient ainsi que, si le Conseil avait conduit les vérifications appropriées, il aurait abouti à
la conclusion selon laquelle ces procédures ne pouvaient être invoquées pour justifier les mesures restrictives adoptées à son encontre.

38 De ce fait, selon le requérant, le Conseil a violé l’article 6 TUE, lu en combinaison avec l’article 2 et l’article 3, paragraphe 5, TUE, ainsi que les articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux.

39 Le Conseil conteste cette argumentation.

40 Selon la jurisprudence de la Cour, lors du contrôle de mesures restrictives, les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union (voir arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 20 et jurisprudence citée).

41 S’agissant, en particulier, de l’inscription de personnes sur des listes de mesures restrictives pour des motifs reposant exclusivement sur des décisions d’autorités d’États tiers, compétentes, à cet égard, d’engager des procédures d’enquêtes pénales ou des procédures pénales portant sur des infractions de détournement de fonds publics, il incombe au Conseil de vérifier si celles-ci ont été adoptées dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective
(voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, points 25 et 26 et jurisprudence citée).

42 Cette exigence implique que le Conseil est tenu de faire état, dans l’exposé des motifs relatifs à une décision d’inscription d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes et d’entités dont les avoirs sont gelés, ne serait-ce que de manière succincte, des raisons pour lesquelles il considère que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend se fonder a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective (voir arrêt du
19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 29 et jurisprudence citée).

43 À défaut, le Conseil manque à l’obligation de motivation qui s’impose à lui en application de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, ce qu’il appartient au juge de l’Union de relever, au besoin d’office (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 30 et jurisprudence citée).

44 En l’espèce, la motivation des actes attaqués fait apparaître que l’inscription du requérant sur les listes en cause repose exclusivement sur des décisions des autorités moldaves de diligenter des enquêtes et des procédures pénales à son encontre.

45 Certes, il ressort du dossier de preuves, joint en tant qu’annexes B.1 et B.2 au mémoire en défense, que le Conseil ne s’est pas appuyé directement sur des décisions d’autorités moldaves, compétentes, à cet égard, d’engager des procédures d’enquêtes pénales ou des procédures pénales portant sur des infractions de détournement de fonds publics, mais essentiellement sur des articles de presse ainsi que sur des communiqués de presse des autorités de poursuite ou d’enquête de la République de
Moldavie, sur des communiqués officiels d’organes étatiques de pays tiers ou encore sur des rapports, l’ensemble de ces éléments faisant état de telles enquêtes et procédures pénales.

46 Toutefois, cette circonstance ne saurait libérer, en l’espèce, le Conseil de l’obligation de vérification et de motivation qui s’impose à lui en vertu de la jurisprudence rappelée aux points 41 et 42 ci-dessus.

47 Au contraire, cette jurisprudence doit s’imposer au Conseil avec d’autant plus de rigueur que les preuves sur lesquelles cette institution s’appuie constituent uniquement des preuves indirectes des mesures d’enquête et des poursuites pénales justifiant l’inscription du requérant sur les listes en cause. Au surplus, le Tribunal relève que, en vue du maintien du nom d’une personne sur ces listes, l’article 8, troisième alinéa, de la décision 2023/891 impose au Conseil de tenir compte de l’existence
d’une procédure judiciaire pour les faits ayant motivé l’inscription initiale sur lesdites listes.

48 Ainsi, quels que soient les éléments de preuve sur lesquels repose l’inscription initiale, le Conseil ne peut s’appuyer, que ce soit directement ou indirectement, sur des décisions d’autorités d’États tiers d’engager des enquêtes ou des procédures pénales que lorsqu’il se conforme aux obligations découlant de la jurisprudence citée aux points 41 et 42 ci-dessus.

49 Toute autre conclusion permettrait au Conseil de s’affranchir des obligations strictes imposées par la jurisprudence de la Cour, en prenant appui non plus sur des documents émanant des autorités des États concernés compétentes pour engager des procédures d’enquête pénale ou des procédures pénales portant sur des infractions de détournement de fonds publics, mais uniquement sur des documents se limitant à en faire état.

50 Or, en l’occurrence, il n’est ni contesté ni contestable que, dans les motifs de l’inscription en cause, le Conseil a omis de faire apparaître qu’il avait vérifié que les poursuites, qui y sont mentionnées, avaient été menées dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

51 À cet égard, il convient d’ailleurs de relever que, dans son mémoire en défense, le Conseil n’a pas contesté qu’il avait omis de procéder aux vérifications en question, ni a fortiori donc qu’il avait omis de faire apparaître les résultats de ces vérifications dans les actes attaqués.

52 Dès lors, il y a lieu de constater que, s’agissant des deux seuls éléments pouvant être pris en considération pour apprécier le bien-fondé des actes attaqués (voir point 35 ci-dessus), le Conseil a manqué à son obligation de motivation.

53 Cette conclusion n’est pas infirmée par l’argument du Conseil selon lequel, en substance, le requérant ne saurait se prévaloir de l’arrêt du 3 décembre 2020, Saleh Thabet e.a./Conseil (C‑72/19 P et C‑145/19 P, non publié, EU:C:2020:992), dans la mesure où, dans ces deux dernières affaires, les mesures restrictives étaient fondées sur l’existence de procédures juridictionnelles à l’encontre des requérants ou de procédures de recouvrement d’avoirs à la suite d’une décision de justice définitive
concernant le détournement de fonds publics, comme l’exigeaient les critères d’inscription applicables. Le Conseil allègue que ces circonstances contrastent fortement avec les critères d’inscription en l’espèce, qui, d’une part, n’exigent pas que la personne inscrite sur la liste fasse l’objet d’enquêtes dans le cadre d’une procédure pénale et, d’autre part, en particulier en ce qui concerne le critère tiré de l’atteinte au processus politique démocratique en République de Moldavie, ne sauraient
être considérés comme étant remplis par une simple référence à des procédures pénales.

54 En effet, la Cour a déjà eu l’occasion de juger qu’est dépourvue de pertinence la circonstance selon laquelle l’existence de décisions des autorités d’un État tiers, compétentes, à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale portant sur une infraction de détournement de fonds publics, constitue non pas les critères d’inscription en cause, mais la base factuelle sur laquelle reposent les mesures restrictives en cause (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 19 décembre
2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 25, et du 11 juillet 2019, Azarov/Conseil, C‑416/18 P, non publié, EU:C:2019:602, point 26).

55 Il s’ensuit que le second moyen doit être accueilli et qu’il y a lieu d’annuler les actes attaqués en tant qu’ils visent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le reste de l’argumentation soulevée par ce dernier.

Sur les dépens

56 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

  1) La décision (PESC) 2023/1047 du Conseil, du 30 mai 2023, modifiant la décision (PESC) 2023/891 concernant des mesures restrictives en raison des actions déstabilisant la République de Moldavie, et le règlement d’exécution (UE) 2023/1045 du Conseil, du 30 mai 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) 2023/888 concernant des mesures restrictives en raison des actions déstabilisant la République de Moldavie, sont annulés en ce qu’ils concernent M. Vladimir Gheorghe Plahotniuc.

  2) Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Svenningsen

Mac Eochaidh

  Stancu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 octobre 2024

Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : T-480/23
Date de la décision : 23/10/2024
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison des actions déstabilisant la Moldavie – Gel des fonds – Restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Listes des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et faisant l’objet de restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Inscription du nom du requérant sur les listes – Enquêtes et poursuites pénales engagées par les autorités d’un État tiers – Obligation de vérifier que cette décision respecte les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective – Obligation de motivation.

Politique étrangère et de sécurité commune

Relations extérieures


Parties
Demandeurs : Vladimir Gheorghe Plahotniuc
Défendeurs : Conseil de l'Union européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mac Eochaidh

Origine de la décision
Date de l'import : 25/10/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2024:722

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