ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)
2Â octobre 2024Â ( *1 )
« Concurrence – Ententes – Marché des emballages métalliques – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE – Coopération entre la Commission et les autorités nationales de concurrence – Ouverture de la procédure d’examen par la Commission à la demande d’une autorité nationale de concurrence – Délai de réattribution – Obligation de motivation – Confiance légitime – Principe de subsidiarité – Droits de la défense – Proportionnalité – Principe de bonne administration – Demande
reconventionnelle de réévaluation du montant de l’amende à la suite d’une procédure de transaction »
Dans l’affaire T‑587/22,
Crown Holdings, Inc., établie à Yardley, Pennsylvanie (États-Unis),
Crown Cork & Seal Deutschland Holdings GmbH, établie à Seesen (Allemagne),
représentées par Mes A. Burnside, C. Graf York von Wartenburg, A. Kidane et D. Strohl, avocats,
parties requérantes,
contre
Commission européenne, représentée par Mme B. Ernst, M. A. Keidel et Mme L. Wildpanner, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenue par
République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,
partie intervenante,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),
composé de Mme A. Marcoulli, présidente, M. J. Schwarcz, Mme V. Tomljenović, MM. R. Norkus (rapporteur) et W. Valasidis, juges,
greffier : Mme I. Kurme, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 20 mars 2024,
rend le présent
Arrêt ( 1 )
1 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Crown Holdings, Inc. et Crown Cork & Seal Deutschland Holdings GmbH, demandent l’annulation de la décision C(2022) 4761 final de la Commission, du 12 juillet 2022, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE (affaire AT.40522 – Emballages métalliques) (ci-après la « décision attaquée ») en ce qu’elle les concerne. La Commission européenne demande à titre reconventionnel l’augmentation du montant de l’amende qui a été
infligée aux requérantes.
I. Antécédents du litige
2 Les requérantes sont des sociétés actives dans le secteur des emballages métalliques, y compris des canettes métalliques et des fermetures métalliques.
3 En mars 2015, le Bundeskartellamt (Office fédéral des ententes, Allemagne) a ouvert une enquête à l’égard de plusieurs sociétés du secteur, dont les requérantes.
4 À la suite d’une demande de l’Office fédéral des ententes d’instruire la présente affaire, la Commission a adopté, le 19 avril 2018, la décision C(2018) 2466 final, relative à l’ouverture d’une procédure dans l’affaire AT. 40522 – Pandora (ci-après la « décision d’ouverture »).
5 Le 25 avril 2018, la Commission a reçu une demande de clémence de la part des requérantes.
6 Le 23 mars 2021, la Commission a invité ces dernières et l’autre groupe concerné par l’infraction à participer à des discussions en vue de parvenir à une transaction.
7 Par décision du 1er octobre 2021, la procédure a été close concernant tous les territoires de l’Espace économique européen (EEE), à l’exception de l’Allemagne.
8 Les requérantes ont déposé une demande formelle de transaction, dans laquelle elles ont, d’une part, reconnu leur responsabilité dans l’infraction et, d’autre part, indiqué le montant maximal de l’amende qu’elles s’attendaient à se voir infliger et qu’elles accepteraient dans le cadre d’une procédure de transaction.
9 Le 19 mai 2022, la Commission a adressé une communication des griefs aux requérantes qui ont répondu en confirmant que les faits et l’appréciation juridique de l’infraction tels que retenus par la Commission reflétaient la teneur de leurs propositions de transaction et qu’elles maintenaient leur engagement à suivre la procédure de transaction.
10 Le 12 juillet 2022, la Commission a adopté la décision attaquée. Elle a notamment considéré que les requérantes avaient participé à une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE dans le secteur des emballages métalliques en Allemagne du 11 mars 2011 au 18 septembre 2014 et les a condamnées à une amende d’un montant de 7670000 euros.
11 Ce montant tient compte d’une réduction de l’amende de 50 % accordée aux requérantes sur le fondement de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17) et de 10 % au titre de la communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil dans les affaires d’entente
(JO 2008, C 167, p. 1, ci-après la « communication sur la transaction »).
[omissis]
III. En droit
A. Sur la demande en annulation
15 À titre liminaire, premièrement, il convient de rappeler que la Commission est investie par l’article 105, paragraphe 1, TFUE de la mission de veiller à l’application des articles 101 et 102 TFUE.
16 La Commission est ainsi appelée à définir et à mettre en œuvre, selon la jurisprudence, la politique de concurrence de l’Union européenne (voir arrêt du 16 octobre 2013, Vivendi/Commission, T‑432/10, non publié, EU:T:2013:538, point 22 et jurisprudence citée).
17 Conformément à ces principes, la Commission s’est vu confier par le règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), indépendamment des modalités selon lesquelles elle prend connaissance du dossier, à savoir notamment qu’elle soit saisie d’une plainte ou qu’elle se saisisse de sa propre initiative, le pouvoir de décider si des comportements devaient faire l’objet de
poursuites, d’une décision constatant l’existence d’une infraction et d’une mesure corrective, y compris une amende, en fonction des priorités qu’elle définit dans le cadre de la politique de concurrence de l’Union. Il en va également ainsi dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, la Commission s’est saisie du dossier à la demande d’une autorité nationale de concurrence.
18 Deuxièmement, le règlement no 1/2003 met fin au régime centralisé antérieur et organise, conformément au principe de subsidiarité, une association plus large des autorités nationales de concurrence, les habilitant à cette fin à mettre en œuvre le droit de la concurrence de l’Union. L’économie du règlement repose sur l’étroite coopération appelée à se développer entre la Commission et les autorités de concurrence des États membres organisées en réseau (arrêt du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission,
T‑655/11, EU:T:2015:383, point 75).
19 Troisièmement, il ressort de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 que la Commission garde un rôle prépondérant dans la recherche et la constatation d’infractions aux règles de concurrence de l’Union, qui n’est pas affecté par la compétence parallèle dont disposent les autorités nationales de concurrence en vertu dudit règlement (arrêt du 13 juillet 2011, ThyssenKrupp Liften Ascenseurs/Commission, T‑144/07, T‑147/07 à T‑150/07 et T‑154/07, EU:T:2011:364, point 76).
20 En effet, en application de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, dès lors que la Commission ouvre une procédure contre une ou plusieurs entreprises en raison d’une violation présumée des articles 101 ou 102 TFUE, les autorités de concurrence des États membres sont dessaisies de leur compétence pour poursuivre les mêmes entreprises pour les mêmes conduites prétendument anticoncurrentielles, intervenues sur le ou les mêmes marchés de produits et géographiques au cours de la ou des
mêmes périodes (arrêts du 25 février 2021, Slovak Telekom, C‑857/19, EU:C:2021:139, point 30, et du 20 avril 2023, Amazon.com e.a./Commission, C‑815/21 P, EU:C:2023:308, point 27). La Commission garde la possibilité d’ouvrir une procédure même si une autorité nationale traite déjà de l’affaire, sous réserve d’une simple consultation de ladite autorité (arrêt du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T‑339/04, EU:T:2007:80, point 80).
21 Quatrièmement, il y a lieu de rappeler que, selon le point 4 de la communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence (JO 2004, C 101, p. 43, ci-après la « communication sur la coopération »), les consultations et les échanges au sein du réseau formé par les autorités de concurrence sont une affaire entre autorités agissant dans l’intérêt public et que, selon son point 31, cette communication ne confère pas aux entreprises impliquées un droit
individuel à voir l’affaire traitée par une autorité donnée. Plus généralement, ni le règlement no 1/2003 ni ladite communication ne créent de droits ou d’attentes pour une entreprise en ce qui concerne le traitement de son affaire par une autorité de concurrence donnée (voir arrêt du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T‑201/11, EU:T:2014:1096, point 39 et jurisprudence citée, et ordonnance du 14 octobre 2021, Amazon.com e.a./Commission, T‑19/21, EU:T:2021:730, point 48 et jurisprudence
citée).
22 Aux termes du point 5 de la communication sur la coopération, chaque membre du réseau conserve toute latitude pour décider d’enquêter ou non sur une affaire et son point 55 prévoit, conformément à l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, que la Commission informe l’autorité nationale traitant une affaire des motifs pour lesquels elle décide de la reprendre.
23 S’agissant de la réattribution des affaires entre autorités de concurrence, le point 18 de la communication sur la coopération prévoit que « [s]i des problèmes de réattribution d’affaires surviennent, il convient de les résoudre rapidement, en principe dans les deux mois suivant la date de la première information envoyée au réseau conformément à l’article 11 du règlement [no 1/2003] » et que, « [d]urant ce délai, les autorités de concurrence s’efforcent de parvenir à un accord sur une éventuelle
réattribution et, au besoin, sur les modalités d’une action parallèle ».
24 Le point 19 de la communication sur la coopération dispose ce qui suit :
« […] l’autorité ou les autorités de concurrence traitant une affaire à la fin du délai de réattribution doivent continuer à la traiter jusqu’à l’achèvement de la procédure. La réattribution d’une affaire au-delà du délai initial de deux mois ne doit se faire qu’en cas d’évolution importante, en cours de procédure, des faits connus de l’affaire. »
25 Enfin, le point 54 de la communication sur la coopération vise plus particulièrement la situation dans laquelle la Commission ouvre une procédure sur le fondement de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, après qu’« une ou plusieurs autorités nationales de concurrence ont informé le réseau […] qu’elles traitaient d’une affaire donnée ». Ce point indique que, « [a]u cours de la période d’attribution initiale », à savoir le « délai indicatif de deux mois » mentionné au point 18 de la
même communication, la Commission peut ouvrir une procédure sur le fondement de ladite disposition, après avoir consulté les autorités concernées. En outre, il précise que, « [à ] l’issue de la phase d’attribution », la Commission n’applique, en principe, cette disposition que dans certains cas, à savoir lorsque des membres du réseau envisagent des décisions contradictoires dans la même affaire [point 54, sous a)] ; lorsque ceux‑ci envisagent une décision manifestement contraire à la jurisprudence
constante [point 54, sous b)] ; lorsqu’un ou plusieurs membres prolongent une procédure à l’excès [point 54, sous c)] ; pour développer la politique de la concurrence de l’Union, notamment si une question similaire de concurrence se pose dans plusieurs États membres, ou pour assurer une application efficace [point 54, sous d)] ; ou même en l’absence d’opposition de la ou des autorités nationales de concurrence concernées [point 54, sous e)].
26 C’est sur la base de ces éléments qu’il y a lieu d’apprécier les moyens des requérantes.
27 En l’espèce, les requérantes soulignent ne pas contester le contenu de la décision attaquée, qu’elles ont accepté dans le cadre de la procédure de transaction. Elles précisent que la requête porte uniquement sur les irrégularités procédurales ayant conduit à la réattribution de l’affaire à la Commission et finalement à l’adoption de ladite décision.
28 À l’appui de leur recours, les requérantes soulèvent six moyens. Le premier moyen est tiré de la violation des principes énoncés dans la communication sur la coopération. Le deuxième moyen est pris de la violation du principe de protection de la confiance légitime et de l’insuffisance de motivation de la décision attaquée. Le troisième moyen repose sur la violation du principe de subsidiarité. Le quatrième moyen est fondé sur la violation des droits de la défense. Le cinquième moyen repose sur la
violation du principe de proportionnalité. Le sixième moyen est tiré de la violation du principe de bonne administration.
29 Il y a lieu d’examiner ensemble les premier et deuxième moyens, puis les autres moyens dans l’ordre dans lequel ils ont été présentés.
1.  Sur les premier et deuxième moyens, tirés d’une violation de la communication sur la coopération et du principe de protection de la confiance légitime ainsi que d’une violation de l’obligation de motivation
30 Les requérantes soutiennent, en substance, premièrement, que la Commission est tenue par la communication sur la coopération, laquelle ferait naître une confiance légitime et, deuxièmement, que la Commission n’a pas motivé sa décision de s’écarter du délai de réattribution initiale prévu par ladite communication.
a)  Sur l’argumentation selon laquelle la Commission est tenue par la communication sur la coopération, laquelle ferait naître une confiance légitime
31 Les arguments des requérantes s’articulent, en substance, en trois branches. La première est relative à la question de savoir si la Commission est tenue par la communication sur la coopération. La deuxième vise à déterminer si les points 18 et 19 de ladite communication ont fait naître une confiance légitime quant à une réattribution de l’affaire dans un délai de deux mois et la troisième consiste à déterminer s’il existait, en l’espèce, des raisons de déroger à ce délai.
1) Sur la première branche, selon laquelle la Commission est tenue par la communication sur la coopération
32 Les requérantes soutiennent qu’il résulte de la jurisprudence que, en adoptant des règles de conduite telles que celles exposées dans la communication sur la coopération, la Commission s’autolimite dans son pouvoir d’appréciation et ne saurait se départir de ses règles sans se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation des principes généraux du droit, dont la protection de la confiance légitime.
33 La Commission et la République fédérale d’Allemagne contestent les arguments des requérantes.
34 À cet égard, il convient de rappeler que, selon la Cour, la série C du Journal officiel de l’Union européenne a, contrairement à la série L de celui-ci, pour objet de publier non des actes juridiquement contraignants, mais seulement des informations, des recommandations et des avis concernant l’Union (arrêts du 12 mai 2011, Polska Telefonia Cyfrowa, C‑410/09, EU:C:2011:294, point 35, et du 13 décembre 2012, Expedia, C‑226/11, EU:C:2012:795, point 30). Or, la communication sur la coopération,
adoptée dans le cadre du réseau européen de la concurrence, a été publiée au cours de l’année 2004 dans la série C dudit Journal officiel [arrêt du 20 janvier 2016, DHL Express (Italy) et DHL Global Forwarding (Italy), C‑428/14, EU:C:2016:27, point 34].
35 Cependant, il ressort de la jurisprudence que, lorsque la Commission adopte des règles de conduite et annonce par leur publication qu’elle les appliquera dorénavant aux cas concernés par celles-ci, elle s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et ne saurait se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime (arrêt du
16 février 2017, H&R ChemPharm/Commission, C‑95/15 P, non publié, EU:C:2017:125, point 57).
36 Ainsi que le relèvent les requérantes, le Tribunal a récemment indiqué que cette jurisprudence s’appliquait à la communication sur la coopération, par laquelle la Commission s’est autolimitée dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire dans le traitement des plaintes en définissant des orientations qui visent à clarifier, notamment, dans quelles conditions il peut être considéré que soit la Commission, soit une seule autorité nationale de concurrence, soit plusieurs autorités nationales de
concurrence sont mieux placées pour examiner une plainte (arrêt du 9 février 2022, Sped‑Pro/Commission, T‑791/19, EU:T:2022:67, point 40).
37 La Commission considère toutefois que la communication sur la coopération se distingue des autres communications du fait qu’elle traite uniquement des relations entre autorités de concurrence. De plus, l’arrêt du 9 février 2022, Sped‑Pro/Commission (T‑791/19, EU:T:2022:67), ne serait pas pertinent en l’espèce, puisqu’il porte sur le « traitement des plaintes » au titre de l’article 7 du règlement no 1/2003 et de l’article 7 du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif
aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), et non sur la réattribution d’affaires ou sur une décision établissant une infraction aux règles de concurrence. La préoccupation sous-jacente dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt aurait été d’éviter une situation dans laquelle une plainte ne serait pas examinée, tandis que les requérantes font valoir en l’espèce que c’est la Commission qui devait être empêchée
d’appliquer l’article 101 TFUE, et non l’Office fédéral des ententes, pour la seule raison que le délai initial d’attribution avait expiré. Cela irait en fait à l’encontre de l’objectif poursuivi par ledit arrêt, à savoir l’application effective des règles de concurrence. De plus, la communication sur la coopération aborderait essentiellement le traitement des plaintes en ses points 20 à  25, 35 et 36, lequel ne serait pas en cause en l’espèce.
38 Or, à cet égard, il y a lieu de relever que la distinction invoquée par la Commission entre le cas dans lequel une affaire a été introduite à la suite d’une plainte et le cas dans lequel elle s’est saisie d’office d’une affaire – et, a fortiori, comme en l’espèce, à la suite de la demande de l’Office fédéral des ententes de le faire – n’est pas pertinente.
39 En effet, certes, l’arrêt du 9 février 2022, Sped‑Pro/Commission (T‑791/19, EU:T:2022:67), concerne le risque de violation des droits d’un plaignant en cas de rejet d’une plainte.
40 Toutefois, la communication sur la coopération traite conjointement des cas dans lesquels l’affaire a été introduite à la suite d’une plainte et de ceux dans lesquels une autorité de concurrence s’est saisie d’office.
41 En particulier, les points 18 et 19 de la communication sur la coopération, relatifs aux questions de réattribution et pour lesquels les requérantes se prévalent d’une violation, ne font aucune distinction selon que l’affaire en cause est instruite d’office ou à la suite d’une plainte.
42 Il convient donc de considérer que, malgré le fait que les échanges au sein du réseau sont une affaire entre autorités de concurrence agissant dans l’intérêt public et ne modifient nullement les droits ou obligations incombant aux entreprises (point 4 de la communication sur la coopération), la Commission, en adoptant cette communication, ne s’est pas autolimitée uniquement à l’égard des plaignants, mais aussi à l’égard des entreprises dont les activités font l’objet d’une enquête.
43 Un manquement de la Commission aux règles qu’elle s’est elle-même imposées pourrait ainsi conduire, conformément à la jurisprudence rappelée au point 35 ci‑dessus, à une violation des principes généraux tels que la protection de la confiance légitime, que les requérantes ont soulevée en l’espèce et qui fait l’objet des deuxième et troisième branches ci-après.
2) Sur la deuxième branche, selon laquelle les points 18 et 19 de la communication sur la coopération ont fait naître une confiance légitime
44 Les requérantes considèrent que les règles de réattribution des affaires énoncées aux points 18 et 19 de la communication sur la coopération ont fait naître une confiance légitime sur le fait que toute réattribution de l’affaire aurait lieu au cours du délai initial de deux mois.
45 La Commission et la République fédérale d’Allemagne contestent les arguments des requérantes.
46 À cet égard, il convient de rappeler que, pour que la violation du principe de protection de la confiance légitime soit constatée, il faut qu’une institution de l’Union, en fournissant à un administré des assurances précises, ait fait naître chez lui des espérances fondées. Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants (voir arrêt du 16 septembre 2021, FVE Holýšov I e.a./Commission,
C‑850/19 P, non publié, EU:C:2021:740, point 34 et jurisprudence citée).
47 Or, la communication sur la coopération ne fournit aucune assurance précise selon laquelle le délai de réattribution ne pourrait être supérieur à une période de deux mois.
48 En effet, premièrement, la réattribution devant se faire, selon le point 18 de la communication sur la coopération (voir point 23 ci-dessus), « en principe », dans un délai de deux mois, il résulte de ces termes que ce délai n’est pas impératif. En outre, ce point n’est, en tout état de cause, pas pertinent au regard des circonstances de l’espèce, étant donné qu’il est constant entre les parties que l’Office fédéral des ententes et la Commission n’ont pas eu, selon les termes de cette
disposition, à « s’efforce[r] de parvenir à un accord sur une éventuelle réattribution » pour « résoudre » des « problèmes de réattribution », mais que la Commission a ouvert la procédure à la demande de l’Office fédéral des ententes.
49 Deuxièmement, il convient de relever que les requérantes se prévalent d’une interprétation stricte du point 19, seconde phrase, de la communication sur la coopération rappelé au point 24 ci-dessus. Selon celles‑ci, l’expression « faits connus de l’affaire » couvre seulement les faits qui s’avèrent pertinents pour déterminer si une infraction aux règles de concurrence a été commise, et non les événements qui ont eu lieu au cours de la procédure administrative ultérieure et qui pourraient avoir un
impact sur celle‑ci.
50 Toutefois, selon une jurisprudence constante, il convient, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir arrêt du 27 janvier 2021, De Ruiter, C‑361/19, EU:C:2021:71, point 39 et jurisprudence citée).
51 Ainsi, l’interprétation proposée par les requérantes ne peut pas être retenue, car elle se heurte à l’interprétation du point 19 de la communication sur la coopération à l’aune du contexte dans lequel il s’insère. En effet, il résulte des différents cas de figure prévus au point 54 de ladite communication (voir point 25 ci‑dessus) que divers motifs peuvent justifier l’ouverture par la Commission d’une procédure sur le fondement de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003. Dès lors que
ces cas de figure vont au-delà des faits qui s’avèrent pertinents pour déterminer si une infraction aux règles de concurrence a été commise, la notion d’« évolution importante, en cours de procédure, des faits connus de l’affaire » doit être interprétée comme couvrant tout fait pertinent qui se manifeste au cours de la procédure.
52 Il y a donc lieu de rejeter l’argumentation des requérantes selon laquelle les points 18 et 19 de la communication sur la coopération ont fait naître une confiance légitime dans le fait que toute réattribution devait se faire dans un délai de deux mois.
[omissis]
2.  Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de subsidiarité
73 Les requérantes renvoient notamment à la jurisprudence selon laquelle le règlement no 1/2003 organise, conformément au principe de subsidiarité, une association plus large des autorités nationales de concurrence. La Commission serait ainsi tenue de respecter le principe de subsidiarité dans l’exercice des pouvoirs discrétionnaires que lui confère le règlement no 1/2003. Il aurait donc été inapproprié de la part de la Commission d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour accepter la réattribution
de l’affaire afin de contourner les règles allemandes.
74 La Commission et la République fédérale d’Allemagne contestent les arguments des requérantes.
75 En vertu du principe de subsidiarité, tel que consacré à l’article 5, paragraphe 3, TUE, l’Union intervient dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union.
76 Aux termes du considérant 34 du règlement no 1/2003, « [c]onformément aux principes de subsidiarité et de proportionnalité énoncés à l’article 5[, paragraphes 1 et 3, TUE], [ledit] règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre son objectif qui est de permettre l’application efficace des règles […] de concurrence [de l’Union] ».
77 Le Tribunal a déjà jugé que le principe de subsidiarité ne remettait pas en cause les compétences conférées à la Commission par le traité FUE, parmi lesquelles figure l’application des règles de concurrence (arrêt du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T‑339/04, EU:T:2007:80, point 89).
78 Comme il a été rappelé aux points 18 et 19 ci‑dessus, si le règlement no 1/2003 a mis fin au régime centralisé antérieur et organise, conformément au principe de subsidiarité, une association plus large des autorités nationales de concurrence, la Commission conserve un rôle prépondérant dans la recherche et la poursuite des infractions.
79 De la sorte, comme il a été rappelé au point 20 ci‑dessus, l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 prévoit, sous réserve d’une simple consultation de l’autorité nationale concernée, que la Commission garde la possibilité d’ouvrir une procédure en vue de l’adoption d’une décision même si une autorité nationale traite déjà de l’affaire.
80 En l’espèce, ainsi qu’il est indiqué au considérant 11 de la décision attaquée, la Commission ayant ouvert la procédure à la demande même de l’Office fédéral des ententes, la condition posée par l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 a été pleinement satisfaite. Ladite ouverture n’a donc pas porté atteinte aux prérogatives de l’État membre concerné et toute violation du principe de subsidiarité est nécessairement exclue.
81 Il y a donc lieu de rejeter le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de subsidiarité.
[omissis]
B. Sur la demande reconventionnelle de la Commission
114 Selon la Commission, la charge administrative supplémentaire occasionnée par les requérantes après la conclusion de la transaction rend nécessaire une réévaluation du montant de l’amende qui leur a été infligée. Les requérantes n’avanceraient que des moyens par lesquels elles contestent la compétence de la Commission pour mener la procédure administrative en cause, bien qu’elles aient déclaré dans le cadre de leurs propositions de transaction qu’elles accepteraient que la Commission leur inflige
une amende. La Commission estime que la réduction de 10 % de l’amende au titre du point 32 de la communication sur la transaction n’est plus justifiée, et demande donc au Tribunal, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, de fixer le montant de l’amende infligée aux requérantes à  9588000 euros. À titre subsidiaire, la Commission propose de tenir compte du fait que la procédure de transaction en l’espèce n’a contribué que dans une mesure beaucoup plus limitée que d’habitude à la
préservation des ressources publiques, et soutient que cela ne justifiait pas une pleine réduction de 10 % du montant de l’amende.
115 Les requérantes contestent les arguments de la Commission. En particulier, selon elles, aucune base juridique ne permet de supprimer la réduction accordée dans le cadre de la transaction.
116 Il convient donc, d’abord, de vérifier si le Tribunal jouit de la compétence de supprimer la réduction accordée dans le cadre de la transaction, ce qui reviendrait à augmenter l’amende, puis d’apprécier le bien-fondé de la demande de la Commission.
1.  Sur la compétence du Tribunal
117 Il convient de rappeler que le contrôle de légalité est complété par la compétence de pleine juridiction qui est reconnue au juge de l’Union par l’article 31 du règlement no 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge de l’Union, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende ou l’astreinte infligée (voir arrêts du
8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 63 et jurisprudence citée, et du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission, T‑590/20, EU:T:2023:650, point 185 et jurisprudence citée).
118 Si l’exercice de la compétence de pleine juridiction est le plus souvent sollicité par les parties requérantes dans le sens d’une réduction du montant de l’amende, rien ne s’oppose à ce que la Commission puisse également soumettre au juge de l’Union la question du montant de l’amende et formuler une demande d’augmentation dudit montant (arrêts du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T‑69/04, EU:T:2008:415, point 244, et du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant
International/Commission, T‑590/20, EU:T:2023:650, point 221).
119 Cette compétence de pleine juridiction vaut également dans l’hypothèse dans laquelle, comme en l’espèce, les requérantes ne demandent pas, à titre subsidiaire, une réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée. En effet, l’article 31 du règlement no 1/2003, qui prévoit expressément que le juge de l’Union peut « supprimer, réduire ou majorer l’amende » dans le cadre des recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a fixé une amende, ne conditionne pas cette
compétence à une telle demande.
120 Il convient donc d’écarter la fin de non-recevoir opposée par les requérantes à la demande reconventionnelle présentée par la Commission.
2.  Sur le bien‑fondé de la demande
a) Â Observations liminaires
121 En premier lieu, s’agissant de la procédure de transaction, le Tribunal a déjà rappelé ses traits essentiels aux points 58 à  74 de l’arrêt du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR/Commission (T‑456/10, EU:T:2015:296), et, dernièrement, aux points 208 à  216 de l’arrêt du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission (T‑590/20, EU:T:2023:650).
122 Il ressort de ladite jurisprudence que la procédure de transaction permet à la Commission de traiter les affaires d’entente plus rapidement et plus efficacement. L’objectif de cette procédure est donc de simplifier et d’accélérer les procédures administratives, en vue de permettre à la Commission de traiter davantage d’affaires avec les mêmes ressources (arrêts du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR/Commission, T‑456/10, EU:T:2015:296, point 60, et du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant
International/Commission, T‑590/20, EU:T:2023:650, point 209).
123 La procédure de transaction se déroule essentiellement de la manière suivante. Cette procédure est engagée par la Commission avec l’accord des entreprises concernées (communication sur la transaction, points 5, 6 et 11). Dès que la procédure est lancée, les entreprises faisant l’objet d’enquêtes et participant à la procédure de transaction sont informées par la Commission, lors de discussions bilatérales, des éléments essentiels « tels que les faits allégués, leur qualification, la gravité et la
durée de l’entente alléguée, l’attribution des responsabilités, une estimation des fourchettes d’amendes probables, ainsi que les éléments de preuve utilisés à l’appui des griefs éventuels » (communication sur la transaction, point 16). Ce dispositif permet aux parties de faire valoir leur point de vue sur les griefs que la Commission pourrait soulever à leur égard et de décider, en connaissance de cause, de conclure ou non une transaction (communication sur la transaction, point 16).
124 C’est à la suite de la communication de ces informations que les entreprises concernées ont le choix d’opter pour la procédure de transaction et de présenter une proposition de transaction. Cette proposition de transaction doit contenir, notamment, une reconnaissance en termes clairs et sans équivoque, par les parties, de leur responsabilité dans l’infraction, une indication du montant maximal des amendes qu’elles s’attendent à se voir infliger par la Commission et qu’elles accepteraient dans le
cadre d’une procédure de transaction et une confirmation du fait qu’elles n’envisagent pas de demander l’accès au dossier ou à être entendues de nouveau, lors d’une audition, à moins que la communication des griefs et la décision de la Commission ne reflètent pas leur proposition de transaction (communication sur la transaction, point 20).
125 À la suite de cette reconnaissance de responsabilité et des confirmations fournies par les entreprises concernées, la Commission leur transmet la communication des griefs et adopte une décision finale. Celle‑ci se fonde essentiellement sur le fait que les parties ont sans équivoque reconnu leur responsabilité, n’ont pas contesté la communication des griefs et ont maintenu leur engagement de parvenir à une transaction (communication sur la transaction, points 23 à  28).
126 Dans sa décision finale, la Commission peut décider de récompenser une partie pour la conclusion d’une transaction, et ce à hauteur de 10 % du montant de l’amende à infliger (communication sur la transaction, point 32).
127 En second lieu, s’agissant de la demande reconventionnelle de la Commission, si, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 118 ci-dessus, la Commission peut demander au Tribunal de majorer le montant de l’amende, il convient de rappeler que, à cette fin, il lui incombe de mettre le Tribunal en mesure de déterminer si les circonstances de l’espèce justifient une telle augmentation (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland
Ingredients/Commission, T‑224/00, EU:T:2003:195, point 362, et du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T‑69/04, EU:T:2008:415, point 251).
128 En particulier, il appartient à la Commission de démontrer que l’augmentation du montant de l’amende est appropriée au regard, notamment, de faits et de circonstances apparus en cours d’instance dont elle n’avait pas connaissance lorsqu’elle a adopté la décision fixant le montant de l’amende (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 2011, Transcatab/Commission, T‑39/06, EU:T:2011:562, point 402, et du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission, T‑590/20, EU:T:2023:650,
point 222). En effet, il importe de savoir si le comportement de la partie requérante a obligé la Commission, contre toute attente qu’elle pouvait raisonnablement fonder sur la base de la coopération de ladite partie pendant la procédure administrative, à élaborer et à présenter une défense devant le Tribunal qui était ciblée sur la contestation d’éléments dont elle pouvait considérer à bon droit qu’ils ne seraient plus remis en question par cette partie (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre
2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, EU:T:2006:396, point 573).
b) Â Examen de la demande de la Commission
129 En l’espèce, la Commission avance que l’augmentation de l’amende est appropriée, d’une part, parce que les requérantes ne sauraient remettre en cause sa compétence devant le Tribunal pour avoir mené, en l’espèce, la procédure administrative, alors que ces dernières avaient reconnu cette compétence dans leur demande de transaction et, d’autre part, parce que la présente affaire entraînerait une charge administrative supplémentaire.
130 En premier lieu, il convient de vérifier si la Commission a établi à suffisance de droit que, lors de la procédure administrative, les requérantes avaient reconnu sa compétence en lieu et place de celle de l’Office fédéral des ententes.
131 Premièrement, alors que la Commission a soutenu, dès le mémoire en défense, que les requérantes avaient, en substance, reconnu cette compétence au cours de la procédure administrative, elle n’a fourni ou proposé de fournir aucun élément de preuve de nature à établir leur prétendue reconnaissance de ladite compétence au cours de la procédure de transaction, que ce soit dans ledit mémoire ou même dans la duplique, alors que la contestation de ladite compétence constitue l’objet même de leur
recours.
132 Ce n’est que lors de l’audience que la Commission a indiqué qu’elle était disposée à fournir au Tribunal, dans le cadre d’une mesure d’instruction ordonnée au titre de l’article 92, paragraphe 3, et de l’article 103 du règlement de procédure du Tribunal, la demande de transaction formulée par les requérantes, celle‑ci ayant un contenu très « sensible » et « confidentiel ». Selon la Commission, ladite demande contient des indications de la reconnaissance de cette compétence.
133 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure dispose que, « [à ] titre exceptionnel, les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié ».
134 De même, l’article 88, paragraphe 2, du règlement de procédure prévoit que, lorsqu’une demande de mesures d’instruction est formulée après le premier échange de mémoires, la partie qui présente la demande doit exposer les raisons pour lesquelles elle n’a pas pu la présenter antérieurement.
135 En outre, conformément à l’article 92, paragraphe 3, du règlement de procédure, la partie demandant une mesure d’instruction au titre de cette disposition doit justifier la nécessité d’une telle mesure sous forme d’une ordonnance d’instruction.
136 Cependant, indépendamment même de la question de savoir si la démarche de la Commission doit être considérée comme étant une offre de preuve présentée au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure ou une demande de mesures d’instruction au titre de l’article 92, paragraphe 3, du même règlement, force est de constater qu’elle est restée en défaut de fournir une justification valable pour le retard de sa démarche.
137 En effet, la Commission s’est limitée, lors de l’audience, à renvoyer au point 222 de l’arrêt du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission (T‑590/20, EU:T:2023:650), cité au point 128 ci‑dessus, et à relever que, en l’espèce, lorsqu’elle avait adopté la décision attaquée, elle ignorait que les requérantes contesteraient sa compétence.
138 Or, d’une part, l’explication de la Commission ne saurait remettre en cause le fait que, suivant le recours des requérantes, dès le mémoire en défense, elle était en mesure de présenter toute preuve, offre de preuve ou demande de mesures d’instruction au soutien de son argument portant, en substance, sur la reconnaissance implicite de sa compétence par les requérantes concernant la procédure de transaction.
139 D’autre part, à supposer que la Commission ait entendu se prévaloir de l’arrêt du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission (T‑590/20, EU:T:2023:650), au motif qu’il avait été prononcé à une date postérieure au mémoire en défense du 7 décembre 2022 et à la duplique du 5 avril 2023, il convient également de constater que, ainsi qu’il ressort du point 128 ci‑dessus, cet arrêt ne contient pas d’appréciations juridiques nouvelles quant aux éléments devant justifier une demande
reconventionnelle d’augmentation de l’amende de nature à pouvoir justifier le retard de la démarche de la Commission. En effet, il ressortait déjà de la jurisprudence du Tribunal qu’il appartenait à la Commission de justifier sa demande à l’aune d’éléments dont elle n’avait pas connaissance lorsqu’elle avait accordé la réduction de l’amende (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2011, Transcatab/Commission, T‑39/06, EU:T:2011:562, point 402).
140 Par ailleurs, dans la mesure où la Commission s’est référée à l’article 92, paragraphe 3, du règlement de procédure, force est de constater qu’elle n’a pas non plus expliqué pourquoi une mesure d’instruction aurait été nécessaire en l’espèce, en se bornant à évoquer, de manière générique, des prétendues raisons de confidentialité ou de sensibilité, alors que les documents qu’elle proposait de produire émanaient des requérantes elles-mêmes.
141 Dès lors, la demande de la Commission visant à produire certaines preuves devant le Tribunal, formulée lors de l’audience du 20 mars 2024, doit être écartée comme étant irrecevable.
142 Deuxièmement, selon la Commission, la reconnaissance de sa compétence découle du fait que les requérantes avaient déclaré, dans le cadre de leur proposition de transaction, qu’elles accepteraient que la Commission leur infligeât une amende pouvant atteindre un certain plafond.
143 Ainsi, selon le considérant 16, sous a), de la décision attaquée, les requérantes ont reconnu en termes clairs et non équivoques leur responsabilité, les principaux faits, la qualification juridique de ces derniers, y compris leur rôle et la durée de leur participation à l’infraction. Selon le considérant 16, sous b), de ladite décision, elles ont également donné une indication du montant maximal de l’amende qu’elles s’attendaient à se voir imposer et qu’elles accepteraient dans le cadre d’une
procédure de transaction.
144 Or, il ne saurait être déduit de la reconnaissance de ces éléments que les requérantes avaient également reconnu la compétence de la Commission, laquelle n’était pas prévue par la communication sur la transaction, à la différence de la reconnaissance desdits éléments, spécifiquement prévue au point 20 de ladite communication (voir point 124 ci‑dessus).
145 Il y a donc lieu de constater que la Commission n’a pas établi que les requérantes avaient reconnu sa compétence pour mener la procédure administrative en cause.
146 Par ailleurs, il convient de rappeler que, dans des circonstances analogues à celles en cause dans la présente affaire, la Cour a déjà jugé que si, au terme de la procédure administrative suivant la décision d’ouverture, la Commission adoptait une décision affectant les intérêts d’une entreprise telle que la partie requérante, cette décision pouvait faire, en vertu de l’article 263 TFUE, l’objet d’un recours juridictionnel dans le cadre duquel il serait loisible à ladite entreprise d’invoquer
tous moyens utiles. En particulier, il ressort de ladite disposition que la question de la compétence de l’auteur de l’acte relève du contrôle exercé par le juge de l’Union dans le cadre d’un tel recours. Il appartient, dès lors, au juge de l’Union d’apprécier si des illégalités à cet égard ont été commises au cours de ladite procédure administrative et si celles-ci sont de nature à affecter la légalité de la décision prise par la Commission au terme de cette procédure (ordonnance du 29 janvier
2020, Silgan Closures et Silgan Holdings/Commission, C‑418/19 P, non publiée, EU:C:2020:43, points 63 et 64).
147 Il découle de ce qui précède que, contrairement à ce qui est argué par la Commission, l’augmentation de l’amende ne saurait être justifiée, dans les circonstances de la présente affaire, par la prétendue remise en cause par les requérantes, pour la première fois devant le Tribunal, d’un fait (à savoir, en l’occurrence, la compétence de la Commission en lieu et place de celle de l’Office fédéral des ententes) qu’elles auraient admis au cours de la procédure de transaction devant la Commission. En
effet, en l’espèce, la Commission n’a pas été en mesure de démontrer que les requérantes, au cours de la procédure de transaction, avaient reconnu sa compétence en lieu et place de celle de l’Office fédéral des ententes, ni même qu’elle pouvait raisonnablement supposer que les requérantes ne contesteraient pas ladite compétence, d’autant plus à l’issue des litiges visés au point 146 ci-dessus et engagés par l’autre groupe concerné par l’infraction.
148 En second lieu, il convient d’examiner l’argumentation subsidiaire de la Commission selon laquelle l’introduction du présent recours a compromis les gains procéduraux qu’elle avait tirés de la procédure de transaction.
149 À cet égard, il résulte du considérant 16 de la décision attaquée que les requérantes ont reconnu leur responsabilité et indiqué le montant maximal de l’amende qu’elles accepteraient (voir point 143 ci‑dessus) et qu’elles ont confirmé avoir été suffisamment informées des griefs que la Commission envisageait de retenir à leur égard et qu’elles avaient été suffisamment mises en mesure de faire connaître leur point de vue à la Commission [considérant 16, sous c)]. Elles ont également indiqué
qu’elles n’envisageaient pas de demander l’accès au dossier ou d’être à nouveau entendues lors d’une audition [considérant 16, sous d)] et elles ont donné leur accord pour recevoir la communication des griefs et la décision finale en anglais [considérant 16, sous e)].
150 Ainsi, contrairement à ce que soutient la Commission, elle a bénéficié de gains procéduraux qui restent acquis, indépendamment de l’introduction du présent recours (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2023, Clariant et Clariant International/Commission, T‑590/20, EU:T:2023:650, point 237). La mobilisation des ressources de la Commission aux fins de défendre la décision attaquée devant le Tribunal est inhérente à chaque procédure juridictionnelle et ne remet pas en cause lesdits gains
procéduraux, dès lors que, en l’espèce, les requérantes n’entendent pas revenir sur les éléments visés au point 149 ci-dessus, qu’elles ont reconnus dans le cadre de la procédure de transaction, mais contestent uniquement la compétence de la Commission en lieu et place de celle de l’Office fédéral des ententes.
151 Il découle de ce qui précède que, dans les circonstances spécifiques de la présente affaire, l’augmentation de l’amende demandée par la Commission ne saurait être justifiée par la prétendue perte de gains procéduraux, ni par la prétendue charge administrative supplémentaire engendrée par l’introduction du présent recours.
152 Il convient donc de rejeter la demande reconventionnelle de la Commission, y compris en ce qui concerne celle formulée à titre subsidiaire.
[omissis]
 Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)
déclare et arrête :
 1) Le recours est rejeté.
 2) La demande reconventionnelle de la Commission européenne est rejetée.
 3) Crown Holdings, Inc. et Crown Cork & Seal Deutschland Holdings GmbH supporteront leurs propres dépens et 90 % des dépens exposés par la Commission.
 4) La Commission supportera 10 % de ses propres dépens.
 5) La République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.
Marcoulli
Schwarcz
Tomljenović
 Norkus
Valasidis
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 octobre 2024.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.
( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.