La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/09/2024 | CJUE | N°T-528/22

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Belaruskali AAT contre Conseil de l'Union européenne., 18/09/2024, T-528/22


ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

18 septembre 2024

(*) Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription du nom de la requérante sur la liste – Soutien au régime – Soutien financier – Entreprise appartenant à l’État – Profit du rég

ime – Répression de la société
civile – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑528/22,

Bel...

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

18 septembre 2024

(*) Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription du nom de la requérante sur la liste – Soutien au régime – Soutien financier – Entreprise appartenant à l’État – Profit du régime – Répression de la société
civile – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑528/22,

Belaruskali AAT, établie à Soligorsk (Biélorussie), représentée par M^es V. Ostrovskis et E. Anevlavi, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. J. Rurarz, B. Driessen et A. Boggio-Tomasaz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Royaume de Belgique, représentée par M^mes C. Pochet, L. Van den Broeck et M. Van Regemorter, en qualité d’agents,

et par

République de Lettonie, représentée par M^mes K. Pommere et J. Davidoviča, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

composé de MM. R. da Silva Passos, président, S. Gervasoni, M^mes N. Półtorak (rapporteure), I. Reine et T. Pynnä, juges,

greffier : M^me M. Zwozdziak-Carbonne, administratrice,

vu l’ordonnance du 11 novembre 2022, Belaruskali/Conseil (T‑528/22 R, non publiée, EU:T:2022:709), par laquelle le président du Tribunal a rejeté la demande en référé et réservé les dépens,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 10 avril 2024,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Belaruskali AAT, demande l’annulation, en premier lieu, de la décision d’exécution (PESC) 2022/881 du Conseil, du 3 juin 2022, mettant en œuvre la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2022, L 153, p. 77), et du règlement d’exécution (UE) 2022/876 du Conseil, du 3 juin 2022, mettant en
œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) n^o 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2022, L 153, p. 1) (ci‑après, pris ensemble, les « actes initiaux »), et, en second lieu, de la décision (PESC) 2023/421 du Conseil, du 24 février 2023, modifiant la décision 2012/642 (JO 2023, L 61, p. 41), et du règlement d’exécution (UE) 2023/419 du Conseil, du 24 février
2023, mettant en œuvre l’article 8 bis du règlement (CE) n^o 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2023, L 61, p. 20) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien »), en tant que ces actes la concernent.

 Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

2        La requérante est l’unique producteur d’engrais potassiques en Biélorussie et l’un des plus grands producteurs d’engrais potassiques au monde.

3        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis 2004 en raison de la situation en Biélorussie en ce qui concerne la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine.

4        Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 18 mai 2006, sur le fondement des articles [75 et 215 TFUE], le règlement (CE) n^o 765/2006, concernant des mesures restrictives à l’encontre du président [Loukachenko] et de certains fonctionnaires de Biélorussie (JO 2006, L 134, p. 1), et, le 15 octobre 2012, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2012/642/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2012, L 285, p. 1).

5        Dans leurs versions applicables à la date d’adoption des actes initiaux, l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642 et l’article 2, paragraphes 1 et 5, du règlement n^o 765/2006 prévoient que sont gelés tous les fonds et ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par, notamment, les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes qui profitent du régime du président Loukachenko ou le soutiennent.

6        Par ailleurs, selon l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2012/642 et l’article 2, paragraphe 4, du règlement n^o 765/2006, sont également gelés tous les fonds et les ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par, notamment, des personnes, des entités ou des organismes responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement, d’une autre
manière, à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie.

7        Le 24 juin 2021, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2021/1031 modifiant la décision 2012/642 (JO 2021, LI 224, p. 15), et le règlement (UE) 2021/1030 modifiant le règlement n^o 765/2006 (JO 2021, LI 224, p. 1).

8        En effet, selon l’article 2 octies de la décision 2012/642, tel que modifié par la décision 2021/1031, l’achat, l’importation ou le transfert de produits à base de chlorure de potassium (ou potasse) en provenance de Biélorussie sont interdits. Selon l’article 1 decies du règlement 765/2006, tel que modifié par le règlement 2021/1030, il est interdit d’importer, d’acheter ou de transférer, directement ou indirectement, les produits à base de potasse énumérés à l’annexe VIII dudit règlement à
partir de la Biélorussie, qu’ils soient originaires ou non de ce pays (ci-après, prises ensemble, les « mesures restrictives sectorielles »).

9        Le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a annoncé une opération militaire en Ukraine et, le même jour, les forces armées russes ont attaqué l’Ukraine à plusieurs endroits du pays.

10      Le 24 février 2022, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a publié une déclaration condamnant, au nom de l’Union, l’« invasion non provoquée » de l’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie et a indiqué que « le prix à payer pour l’implication de la Biélorussie dans l’agression militaire non provoquée et injustifiée [alors menée] contre l’Ukraine sera[it] élevé » et que, « [par des mesures restrictives,] ceux qui, en
Biélorussie, collabor[ai]ent à ces attaques contre l’Ukraine seraient ciblés et le commerce dans un certain nombre de secteurs clés [serait restreint] ».

11      Ainsi qu’il ressort du deuxième considérant et des visas des actes initiaux, ces derniers ont été adoptés en raison de la gravité de la situation en Biélorussie ainsi qu’en réaction aux violations persistantes des droits de l’homme et à la répression systématique visant la société civile et l’opposition démocratique. Les visas des actes initiaux se réfèrent également à l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine.

12      Par les actes initiaux, la requérante a été inscrite à la ligne 28 du tableau B de la liste des personnes, des entités et des organismes visés par les mesures restrictives qui figure en annexe de la décision 2012/642 et à l’annexe I du règlement n^o 765/2006 (ci-après, prises ensemble, les « listes en cause »).

13      Dans les actes initiaux, le Conseil a justifié l’inscription de la requérante sur les listes en cause aux motifs suivants :

« La société par actions ouverte Belaruskali est une entreprise publique et l’un des plus gros producteurs de potasse au monde, qui fournit 20 % des exportations mondiales de potasse. En tant que telle, elle est l’une des principales sources de revenus et de devises étrangères pour le régime de [Loukachenko]. Al[exan]dr[e] [Loukachenko] l’a décrite comme “un trésor national, une fierté, l’un des piliers des exportations biélorusses”. Par conséquent, Belaruskali tire profit du régime de [Loukachenko]
et le soutient.

Les employés de Belaruskali qui avaient pris part aux grèves et aux manifestations pacifiques au lendemain du scrutin présidentiel frauduleux d’août 2020 en Biélorussie ont été intimidés et licenciés par la direction de l’entreprise. [Loukachenko] en personne a menacé de remplacer les grévistes par des mineurs originaires d’Ukraine. Par conséquent, Belaruskali est responsable de la répression exercée contre la société civile en Biélorussie et soutient le régime de [Loukachenko]. »

14      Le 7 juin 2022, le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par [les actes initiaux] (JO 2022, C‑221, p. 2). Les personnes physiques et morales concernées par cet avis pouvaient, selon ce dernier, soumettre au Conseil, avant le 30 novembre 2022, une demande de réexamen de la décision par laquelle elles avaient été inscrites sur les listes en cause.

15      Par lettre du 22 juin 2022, la requérante a demandé à avoir accès aux informations et aux preuves étayant ladite inscription.

16      Le 22 juillet 2022, le Conseil a communiqué à la requérante les documents de travail portant les références WK 5532/2022 INIT, WK 5532/2022 ADD 1 et WK 6656/2022 INIT, contenant les éléments de faits pris en compte lors de son inscription sur les listes en cause.

17      Par lettre du 30 novembre 2022, la requérante a déposé auprès du Conseil une demande de réexamen de son inscription sur les listes en cause par les actes initiaux (ci-après la « demande de réexamen »).

18      Par lettre du 21 décembre 2022, le Conseil a informé la requérante de son intention de maintenir les mesures restrictives à son égard et lui a transmis le document de travail supplémentaire portant la référence 17500/2022 INIT et daté du 13 décembre 2022.

19      Le 12 janvier 2023, la requérante a transmis ses observations au Conseil.

20      Le 24 février 2023, en réponse à la demande de réexamen, le Conseil a adressé à la requérante une lettre officielle dans laquelle il réitérait les allégations formulées dans l’exposé initial des motifs. Dans la même lettre, le Conseil a fait savoir qu’il avait décidé de maintenir l’inscription de la requérante sur les listes en cause.

21      Par les actes de maintien, les mesures prises à l’encontre de la requérante ont été prorogées jusqu’au 28 février 2024, pour les mêmes motifs que ceux évoqués dans les actes initiaux (voir point 13 ci-dessus).

22      Les mesures restrictives sectorielles ont été modifiées par la décision (PESC) 2022/356 du Conseil, du 2 mars 2022, modifiant la décision 2012/642 (JO 2022, L 67, p. 103), et par le règlement (UE) 2022/355 du Conseil, du 2 mars 2022, modifiant le règlement n^o 765/2006 (JO 2022, L 67, p. 1), et prorogées par les actes de maintien.

 Conclusions des parties

23      La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes initiaux et de maintien, en tant qu’ils la concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

24      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

25      Le Royaume de Belgique et la République de Lettonie concluent au rejet du recours.

 En droit

 Sur la recevabilité des documents produits après la clôture de la phase écrite de la procédure 

26      Par un document séparé, déposé le 8 avril 2024, la requérante a produit de nouveaux éléments de preuve, reprenant ses observations, du 29 novembre 2023, sur la prorogation des actes de maintien visant, en substance, à contester les arguments du Conseil présentés dans sa duplique.

27      Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique et la République de Lettonie, conteste la recevabilité des nouveaux éléments de preuve mentionnés au point 26 ci-dessus en raison de leur dépôt tardif au regard de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal.

28      Aux termes de l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure, les preuves et les offres de preuve sont présentées dans le cadre du premier échange de mémoires. En vertu de l’article 85, paragraphe 2, du même règlement, les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve dans la réplique et dans la duplique à l’appui de leur argumentation, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié. En vertu de l’article 85,
paragraphe 3, du même règlement, à titre exceptionnel, les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié.

29      Selon la jurisprudence, d’une part, le Tribunal a le pouvoir d’écarter les preuves produites tardivement s’il considère que cette production tardive n’est pas justifiée à suffisance de droit ou n’est pas fondée et, d’autre part, l’application de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure suppose que soit démontrée l’existence de circonstances exceptionnelles (arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair et Airport Marketing Services, C‑758/21 P, EU:C:2023:917, point 49). En l’espèce, la
requérante n’apporte pas d’éléments pouvant justifier la tardiveté de la production, le 8 avril 2024, soit deux jours avant l’audience, des preuves supplémentaires en cause (voir, en ce sens, arrêt du 29 septembre 2021, Ryanair e.a./Commission, T‑448/18, non publié, EU:T:2021:626, point 58).

30      Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que la requérante n’a pas justifié à suffisance de droit, au sens de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, la tardiveté de la production des éléments de preuve déposés le 8 avril 2024. Partant, ceux-ci sont irrecevables et ne seront pas pris en compte par le Tribunal dans l’examen du présent recours (voir, en ce sens, arrêt du 29 septembre 2021, Ryanair e.a./Commission, T‑448/18, non publié, EU:T:2021:626, point 63).

31      Il convient d’examiner, en premier lieu, la demande en annulation partielle des actes initiaux, puis, en second lieu, la demande en annulation partielle des actes de maintien.

 Sur la demande en annulation partielle des actes initiaux

32      Au soutien de sa demande en annulation partielle des actes initiaux, la requérante soulève cinq moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation du principe de légalité et est subdivisé en cinq branches, tirées, la première, d’une violation des droits fondamentaux de l’homme, la deuxième, d’une violation d’actes de droit international, la troisième, d’une violation des objectifs fixés par les fondements juridiques de l’Union, la quatrième, d’une violation du principe selon lequel les
mesures doivent être ciblées et, la cinquième, d’une violation du principe de sécurité juridique. Le deuxième moyen est tiré d’une erreur d’appréciation. Le troisième moyen est tiré d’une violation du principe de non-discrimination. Le quatrième moyen est tiré d’une violation du principe de proportionnalité. Le cinquième moyen est tiré d’une violation de l’obligation de motivation.

33      Il convient d’analyser d’abord le cinquième moyen, puis la cinquième branche du premier moyen, puis le deuxième moyen, puis la deuxième branche du premier moyen, puis les première, troisième et quatrième branches du premier moyen conjointement avec le quatrième moyen et, enfin, le troisième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

34      La requérante fait valoir que les motifs avancés par le Conseil en annexe de la décision 2022/881 se contentent de reprendre les critères appliqués pour justifier l’inscription sur la liste et ne précisent en rien la manière dont elle soutient le régime de Loukachenko, profite de ce régime ou est responsable de la répression exercée contre la société civile en Biélorussie. Or, il résulterait de la jurisprudence qu’une telle affirmation, sans information permettant de la confirmer, ne saurait
constituer une motivation suffisante de la part du Conseil.

35      Le Conseil, soutenu par la République de Lettonie, conteste cette argumentation.

36      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de
cet acte (voir arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 92 et jurisprudence citée).

37      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteure de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications des mesures prises et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 93 et jurisprudence citée).

38      La motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive ne doit pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 24 mai 2023, Lyubetskaya/Conseil, T‑556/21, non publié, EU:T:2023:283, point 19 et jurisprudence citée).

39      Cependant, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées par l’acte au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé
que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 95 et jurisprudence citée).

40      En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 96 et jurisprudence citée).

41      À cet égard, la mention, dans ledit exposé, des formules « tire profit du régime de [Loukachenko] et le soutient » et « répression exercée contre la société civile » renvoie explicitement aux critères d’inscription litigieux mentionnés aux points 5 et 6 ci-dessus, desquels il ressort que doivent être inscrits sur les listes en cause les personnes, entités ou organismes qui ont été identifiés comme profitant du régime de Loukachenko ou le soutenant, ou qui sont responsables de violations
graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement, d’une autre manière, à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie. Ainsi, la requérante pouvait aisément comprendre sur quels critères reposaient son inscription sur les listes en cause.

42      Ainsi qu’il ressort de l’exposé, rappelé au point 13 ci-dessus, des motifs justifiant l’inscription de la requérante sur les listes en cause, celle-ci a été inscrite sur lesdites listes car elle est une entreprise publique et l’un des plus gros producteurs de potasse au monde, qui fournit 20 % des exportations mondiales de potasse. En tant que telle, elle est l’une des principales sources de revenus et de devises étrangères pour le régime de Loukachenko, qui l’a décrite comme « un trésor
national, une fierté, l’un des piliers des exportations biélorusses ». Par conséquent, la requérante tire profit du régime de Loukachenko et le soutient. De plus, ses employés qui avaient pris part aux grèves et aux manifestations pacifiques au lendemain du scrutin présidentiel frauduleux du mois d’août 2020 en Biélorussie ont été intimidés et licenciés par la direction de l’entreprise. Le président Loukachenko lui-même a menacé de remplacer les grévistes par des mineurs originaires d’Ukraine.
Ainsi, les actes initiaux font mention des « raisons spécifiques et concrètes », au sens de la jurisprudence citée au point 38 ci-dessus, pour lesquelles la requérante est considérée comme responsable de la répression exercée contre la société civile en Biélorussie et comme soutenant le régime de Loukachenko, à savoir les motifs pour lesquels la requérante fait l’objet de mesures restrictives.

43      Ainsi, au vu des considérations qui précèdent, il convient de conclure que les actes initiaux sont motivés à suffisance de droit et d’écarter comme non fondé le cinquième moyen.

 Sur la cinquième branche du premier moyen, tirée d’une violation du principe de sécurité juridique

44      La requérante fait valoir que la référence à l’exigence de légalité prévue à l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne présuppose l’existence de normes de droit précises et prévisibles. Or, les termes utilisés dans les critères pertinents fondant son inscription sur les listes en cause ne seraient pas clairs. Plus précisément, les termes suivants ne seraient pas clairs : « régime de Loukachenko », « soutien », « tirer profit », « société civile »
et « répression ».

45      Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique et la République de Lettonie, conteste cette argumentation.

46      Il y a lieu de rappeler que les critères d’inscription sur les listes en cause visent « des personnes, des entités ou des organismes responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile » et qui « profitent du régime de [Loukachenko] ou le soutiennent », ces critères étant prévus par l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642. L’allégation de la requérante porte donc essentiellement sur cette disposition de la
décision 2012/642.

47      À cet égard, la jurisprudence permet de considérer qu’une exception d’illégalité a été soulevée implicitement, dans la mesure où il ressort avec suffisamment de clarté de la requête que la requérante a entendu formuler un tel grief [voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 56 ; du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑348/14, EU:T:2016:508, point 57, et du 22 septembre 2021, Al-Imam/Conseil, T‑203/20, EU:T:2021:605, point 39 (non
publié)].

48      Or, il ressort de l’analyse de la requête, en particulier de son point 104, que la requérante, sans soulever formellement une exception d’illégalité au titre de l’article 277 TFUE, invoque l’illégalité des critères susmentionnés, prévus par l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642, dans le cadre des conclusions visant l’annulation des actes initiaux.

49      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le principe de sécurité juridique, qui constitue un principe général du droit de l’Union, exige, notamment, que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et sur les entreprises des conséquences défavorables. Une sanction, même de caractère non pénal, ne peut être infligée que si elle repose sur une base légale claire et
non ambiguë. Le principe de sécurité juridique implique, notamment, que toute réglementation de l’Union, en particulier lorsqu’elle impose ou permet d’imposer des sanctions, soit claire et précise, afin que les personnes concernées puissent connaître sans ambiguïté les droits et obligations qui en découlent et prendre leurs dispositions en conséquence. Cette exigence d’une base juridique claire et précise a également été consacrée dans le domaine des mesures restrictives (voir arrêt du 4 septembre
2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, non publié, EU:T:2015:596, points 131 et 132 et jurisprudence citée).

50      Conformément à une jurisprudence constante, aux fins de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il convient de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie. La genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également révéler des éléments pertinents pour son interprétation (voir arrêt du 2 septembre 2021, CRCAM, C‑337/20, EU:C:2021:671,
point 31 et jurisprudence citée).

51      Par ailleurs, il appartient au juge de l’Union, dans le cadre de son contrôle juridictionnel des mesures restrictives, de reconnaître au Conseil une large marge d’appréciation pour la définition des critères généraux délimitant le cercle des personnes susceptibles de faire l’objet des mesures restrictives (arrêt du 13 septembre 2018, Vnesheconombank/Conseil, T‑737/14, non publié, EU:T:2018:543, point 94).

52      L’existence de termes vagues dans une disposition n’entraîne pas nécessairement de violation des libertés fondamentales, et le fait qu’une loi confère un pouvoir d’appréciation ne se heurte pas en soi à l’exigence de prévisibilité, à condition que l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir se trouvent définies avec une netteté suffisante, eu égard au but légitime en jeu, pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire. En outre, l’exigence de prévisibilité
qui accompagne le principe de légalité des peines – lequel impose que la loi définisse clairement les infractions et les peines – ne s’oppose pas à ce que la loi attribue un pouvoir d’appréciation dont l’étendue et les modalités d’exercice se trouvent définies avec une netteté suffisante. Ces principes jurisprudentiels sont également applicables en ce qui concerne les mesures restrictives qui, bien qu’elles ne visent pas en principe à sanctionner des infractions, mais constituent des mesures
préventives, affectent lourdement les droits et libertés des personnes concernées (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2014, National Iranian Oil Company/Conseil, T‑578/12, non publié, EU:T:2014:678, points 116 et 117, et du 4 septembre 2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, non publié, EU:T:2015:596, points 135 et 136 et jurisprudence citée).

53      Au vu de ce qui précède, premièrement, il convient de constater que la formulation large de critères litigieux conférant un pouvoir d’appréciation au Conseil peut être compatible avec les principes de proportionnalité et de sécurité juridique (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2016, Tose’e Ta’avon Bank/Conseil, T‑435/14, non publié, EU:T:2016:531, point 39).

54      Deuxièmement, il convient de relever que la signification et la portée des termes en cause doivent être établies conformément au sens habituel en langage courant de ceux-ci, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie, étant précisé que l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union ne saurait avoir pour résultat de retirer tout effet utile au libellé clair et précis de cette disposition (arrêt
du 18 octobre 2023, MAZ-upravljajusaja kompanija holdinga Belavtomaz/Conseil, T‑532/21, non publié, EU:T:2023:656, point 52).

55      Il convient également de rappeler qu’un règlement prévoyant des mesures restrictives doit être interprété à la lumière non seulement de la décision adoptée dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune, visée à l’article 215, paragraphe 2, TFUE, mais également du contexte historique dans lequel s’inscrivent les dispositions adoptées par l’Union et dans lesquelles ce règlement s’insère. Il en va de même d’une décision adoptée dans le domaine de la politique étrangère et de
sécurité commune, qui doit être interprétée en prenant en considération le contexte dans lequel elle s’insère (arrêt du 18 octobre 2023, MAZ-upravljajusaja kompanija holdinga Belavtomaz/Conseil, T‑532/21, non publié, EU:T:2023:656, point 53).

56      À la lumière de la jurisprudence citée au point 55 ci-dessus, il convient d’observer que, dans le cadre des mesures restrictives prises à l’encontre de la Biélorussie depuis 2004, les critères du « profit » tiré du régime de Loukachenko et du « soutien » audit régime ont été introduits par l’article 1^er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2012/36/PESC du Conseil, du 23 janvier 2012, modifiant la décision 2010/639/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie
(JO 2012, L 19, p. 31).

57      Il ressortait des considérants 3 et 4 de la décision 2012/36 que, compte tenu de la gravité de la situation en Biélorussie, des mesures restrictives supplémentaires à l’encontre de ce pays devraient être adoptées, notamment à l’égard des personnes et des entités qui tiraient profit du régime de Loukachenko ou le soutenaient, en particulier les personnes et les entités le soutenant financièrement ou matériellement.

58      L’article 2 du règlement n^o 765/2006 a été modifié en conséquence par l’article 1^er du règlement (UE) n^o 114/2012 du Conseil, du 10 février 2012, modifiant le règlement n^o 765/2006 (JO 2012, L 38, p. 3).

59      Le 1^er novembre 2012, la décision 2010/639/PESC du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certains fonctionnaires de Biélorussie (JO 2010, L 280, p. 18), a été abrogée et remplacée par la décision 2012/642.

60      Ainsi qu’il ressort des considérants 1 à 5 et 8 de la décision 2012/642, les mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie ont été prises et ont été prorogées du fait du non-respect persistant, dans ce pays, des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit et ont été, de ce fait, dirigées, notamment, contre les personnes responsables de fraudes et d’atteintes aux normes électorales internationales à l’occasion de certaines procédures électorales ou référendaires en
Biélorussie, ainsi qu’à l’encontre des personnes responsables de violations graves des droits de l’homme et de la répression exercée à l’égard de manifestants pacifiques après lesdites procédures.

61      D’ailleurs, à cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort du considérant 6 de la décision 2012/642 que, en ce qui concerne les personnes et les entités qui tirent profit du régime de Loukachenko ou le soutiennent, l’objectif est de cibler toute personne ou entité qui le soutient, en particulier, mais pas exclusivement, les personnes et entités le soutenant financièrement ou matériellement.

62      Il résulte de ce qui précède que, en instituant l’action de tirer profit du régime de Loukachenko ainsi que le soutien audit régime en tant que critères justifiant l’inscription d’un nom sur les listes en cause, le Conseil, au vu de la gravité et de la persistance de la violation des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit ainsi que de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique en Biélorussie, a entendu accroître la pression exercée sur
ledit régime en élargissant le cercle des personnes et des entités visées par les mesures restrictives de l’Union. À ce titre, le Conseil a prévu la possibilité d’appliquer des mesures de gel des fonds et des ressources économiques, notamment, aux personnes et aux entités qui tirent profit du régime de Loukachenko et le soutiennent, en particulier, mais pas exclusivement, celles qui le soutiennent financièrement (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2023, MAZ-upravljajusaja kompanija holdinga
Belavtomaz/Conseil, T‑532/21, non publié, EU:T:2023:656, point 60).

63      S’agissant des personnes, des entités ou des organismes responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, il ressort du contexte dans lequel les termes « responsables de la répression » sont utilisés et, notamment, de l’emploi, à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2012/642 et à l’article 2, paragraphe 4, du règlement n^o 765/2006, de la formulation « personnes, entités ou organismes
responsables […] de [la] répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement, d’une autre manière, à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie », que l’intention normative a été de viser par ce critère, de façon générale, toute personne, entité ou organisme dont les activités nuisent gravement à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie. En outre, l’emploi de l’expression « d’une autre manière » dans la seconde partie
desdites dispositions démontre l’intention normative de considérer la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique comme un type d’activités nuisant gravement à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie. Enfin, l’emploi du terme « activités » est une indication de l’intention normative de viser les personnes, les entités ou les organismes dont les activités nuisent gravement à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie du fait que ces activités contribuent
auxdites nuisances, indépendamment de l’existence ou non d’un élément intentionnel à cet égard (arrêt du 15 février 2023, Belaeronavigatsia/Conseil, T‑536/21, EU:T:2023:66, point 27).

64      Troisièmement, les allégations de la requérante sur la compréhension des formulations utilisées dans les critères d’inscription, à savoir, en l’espèce, de l’expression « régime de Loukachenko », du terme « soutien », de l’action de « tirer profit », de l’expression « société civile » et du terme « répression » ne se rattachent pas au respect du principe de sécurité juridique, mais à l’application de ces critères par le Conseil, ce qui fait l’objet du deuxième moyen.

65      Ainsi, les arguments soulevés par la requérante ne remettent pas en question la légalité des critères institués par l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642, qui sont suffisamment clairs et précis. Dès lors, ils respectent le principe de sécurité juridique.

66      Partant, la cinquième branche du premier moyen doit être écartée.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation

67      Le deuxième moyen se subdivise en deux branches. La première branche est tirée d’une absence de démonstration de ce que la requérante profite du régime de Loukachenko ou le soutient. La seconde branche est tirée d’une absence de démonstration de ce que la requérante est responsable de la répression de la société civile en Biélorussie.

68      Tout d’abord, il convient de relever que le deuxième moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est certes vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer au cas par cas s’il est satisfait aux critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de
la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir arrêt du 6 septembre 2023, Pumpyanskiy/Conseil, T‑291/22, non publié, EU:T:2023:499, point 40 et jurisprudence citée).

69      Par ailleurs, il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux exige, notamment, que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne ou d’une entité sur les listes de personnes visées par des mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne ou cette
entité, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 13 septembre 2023, Synesis/Conseil,
T‑97/21 et T‑215/22, non publié, EU:T:2023:531, point 35).

70      C’est, en effet, à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à ces dernières d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (voir arrêt du 13 septembre 2023, Synesis/Conseil, T‑97/21 et T‑215/22, non publié, EU:T:2023:531, point 37 et jurisprudence citée).

71      Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (voir arrêt du 13 septembre 2023, Synesis/Conseil, T‑97/21 et T‑215/22,
non publié, EU:T:2023:531, point 38 et jurisprudence citée).

72      Il y a lieu de rappeler que l’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause a été justifiée par les motifs rappelés au point 13 ci-dessus. Il y a donc lieu d’examiner, dans un premier temps, si les faits avancés dans l’exposé des motifs de la décision de l’inscription de la requérante sur les listes en cause sont établis, puis, dans un second temps, s’ils relèvent de l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642.

–       Sur la première branche, tirée d’une absence de démonstration de ce que la requérante profite du régime de Loukachenko ou le soutient

73      La requérante conteste le motif de son inscription sur les listes en cause selon lequel elle tire profit du régime de Loukachenko ou le soutient.

74      En premier lieu, en ce qui concerne l’affirmation selon laquelle elle « est une entreprise publique », la requérante confirme que son capital est détenu par la République de Biélorussie. Or, le gouvernement de la République de Biélorussie ne ferait l’objet d’aucune mesure restrictive et ne semblerait pas relever du régime de Loukachenko. Par ailleurs, le simple fait que ses actions soient détenues par la République de Biélorussie n’indiquerait pas qu’elle ait soutenu le régime de Loukachenko
ou en ait profité.

75      En deuxième lieu, s’agissant de l’affirmation selon laquelle la requérante « est l’un des plus gros producteurs de potasse au monde, qui fournit 20 % des exportations mondiales de potasse » et selon laquelle, « [e]n tant que telle, elle est l’une des principales sources de revenus et de devises étrangères pour le régime de [Loukachenko] », celle-ci confirmerait simplement que la requérante est l’un des plus grands producteurs de potasse au monde.

76      La requérante précise qu’à l’instar de toutes les autres sociétés de Biélorussie, elle est tenue de contribuer financièrement au budget de l’État, comme l’exige la législation biélorusse, en conséquence de ses activités économiques. Les impôts versés ne constitueraient pas pour autant une forme de financement du régime, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence. La même conclusion s’appliquerait aux contributions de la société au fonds budgétaire cible de l’État pour le développement national
et aux distributions de dividendes.

77      En troisième lieu, s’agissant de l’affirmation selon laquelle « [Loukachenko] l’a décrite comme “un trésor national, une fierté, l’un des piliers des exportations biélorusses” », la requérante observe qu’il ne s’agit que d’une figure de style qui n’indique pas qu’elle dispose d’un statut spécial.

78      Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique et la République de Lettonie, conteste cette argumentation.

79      En premier lieu, tout d’abord, il est constant que la requérante appartient à l’État, la totalité de son capital étant détenue par la République de Biélorussie. La requérante a précisé, par ailleurs, que la Commission des biens de l’État était son bénéficiaire effectif ultime.

80      En outre, d’une part, la requérante reconnaît elle-même, ainsi qu’il ressort également du dossier, qu’elle est « en effet l’un des plus grands producteurs de potasse au monde[, qui] a produit 12 045 920 tonnes de potasse en 2019, 12 479 064 tonnes en 2020 et 13 798 250,39 tonnes en 2021 », que « la part des engrais potassiques produits par [elle] sur le marché mondial est d’environ 20 % », que « [l]es engrais potassiques biélorusses ont été exportés vers plus de 110 pays à travers le monde »
et qu’elle est « l’un des plus importants employeurs du pays[, qui] emploie 17 622 travailleurs ». D’autre part, elle ne conteste pas le fait, rapporté par le Conseil, que le président Loukachenko l’a décrite comme étant un « un trésor national, une fierté, l’un des piliers des exportations biélorusses ».

81      Ensuite, la requérante ne conteste pas que son directeur général est nommé par le président Loukachenko et que le Conseil des ministres de la République de Biélorussie a nommé le premier vice-premier ministre et le ministre des Finances comme représentants de l’État au sein de la requérante.

82      Enfin, la requérante ne conteste pas davantage l’information rapportée par le Conseil selon laquelle, en 2019, elle a réalisé un bénéfice net de plus de 4,797 milliards de roubles biélorusses (BYN) (environ 1,8 milliard d’euros). En outre, elle confirme, d’une part, qu’elle verse des dividendes à l’État, étant son actionnaire, et, d’autre part, qu’elle a payé, en plus de l’impôt, des contributions obligatoires au fonds budgétaire cible de l’État pour le développement national.

83      Partant, le Conseil n’a pas commis d’erreur en considérant que la requérante était une entreprise publique et l’un des plus gros producteurs de potasse au monde, qui fournissait 20 % des exportations mondiales de potasse et qui, en tant que tel, était l’une des principales sources de revenus et de devises étrangères pour le régime de Loukachenko.

84      En second lieu, la requérante fait valoir que les éléments susmentionnés ne révèlent pas un « soutien au régime » ni qu’elle tirerait profit de celui-ci au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.

85      Conformément à la jurisprudence citée au point 54 ci-dessus, la signification et la portée des termes en cause doit être établie conformément au sens habituel en langage courant de ceux-ci, tout en tenant compte, notamment, des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie ainsi que de l’impératif de préserver l’effet utile de leur libellé clair et précis.

86      À titre liminaire, il convient de relever qu’il ressort tant du libellé clair et précis de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, qui vise les personnes et les entités qui « profitent du régime de [Loukachenko] ou le soutiennent », que de l’objectif poursuivi par cette disposition, qui est d’accroître la pression exercée sur ledit régime, que ce sont les rapports qu’entretiennent certaines personnes et entités avec ce régime qui justifient l’adoption de mesures
restrictives, dès lors qu’ils prennent la forme d’un soutien, en particulier un soutien financier (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2023, MAZ-upravljajusaja kompanija holdinga Belavtomaz/Conseil, T‑532/21, non publié, EU:T:2023:656, point 65).

87      D’une part, en ce qui concerne le soutien au régime, le Conseil fait valoir que la requérante apporte un soutien sous la forme de recettes, notamment de dividendes, d’impôts sur les bénéfices, de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de droits d’accises payés sur ses produits par les consommateurs finals ainsi que d’impôts sur le revenu et de cotisations de sécurité sociale de ses employés.

88      En effet, il ressort du dossier que le soutien financier des taxes et des droits à l’exportation de la requérante représente 8 à 10 % du budget total de la Biélorussie. Ses recettes ont atteint 4,797 milliards de BYN (environ 1,8 milliard d’euros) en 2019. Les dividendes perçus par la Biélorussie la même année ont été estimés à 64,03 BYN (environ 24 euros) par action.

89      Le Conseil a également retenu, notamment, que la requérante était l’un des plus gros producteurs de potasse au monde, qui fournissait 20 % des exportations mondiales de potasse, qu’elle représentait l’une des principales sources de revenus et de devises étrangères pour le régime de Loukachenko, que le président Loukachenko avait déclaré que le gouvernement la soutiendrait toujours et qu’il l’avait décrite comme « un trésor national, une fierté, l’un des piliers des exportations
biélorusses », ce que la requérante ne conteste pas.

90      Par ailleurs, la requérante fait valoir que, conformément à la législation biélorusse, elle doit contribuer financièrement au budget de l’État en raison de ses activités économiques et que les fonds perçus sont ainsi utilisés dans le strict respect des lois biélorusses.

91      À cet égard, conformément à la résolution n^o 772, du 18 novembre 2019, du Conseil des ministres de la République de Biélorussie, la requérante, pour le premier semestre de 2019, a dû transférer plus de 46 millions de BYN (environ 17,6 millions d’euros) au fonds budgétaire cible de l’État pour le développement national sur la part excédentaire de ses bénéfices, conformément au paragraphe 3-2 de l’édit du président de la République de Biélorussie n^o 637, du 28 décembre 2005, relatif à la
procédure d’inscription au budget d’une partie des bénéfices des entreprises d’État, des associations d’État qui sont des organisations commerciales, ainsi que des revenus tirés de dividendes (des parts du capital social) des sociétés économiques détenues par l’État ou les communes, et à la formation d’un fonds budgétaire spécifique de l’État pour le développement national (Registre national des actes juridiques de la République de Biélorussie n^o 1/7075, du 29 décembre 2005, ci-après l’« édit
n^o 637 »).

92      Il y a lieu de relever que le libellé même de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, auquel renvoie l’article 2, paragraphe 5, du règlement n^o 765/2006, vise le « soutien » au régime de Loukachenko. Ainsi, la seule circonstance selon laquelle la requérante verse des dividendes à l’État biélorusse, qui sont dès lors à la disposition du régime de Loukachenko, ainsi que des contributions obligatoires au fonds budgétaire cible de l’État pour le développement national,
suffit à établir l’existence d’un soutien financier.

93      Il est vrai que le Tribunal a jugé, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil (T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748, point 169), que le Conseil ne saurait inférer du seul paiement des impôts un « soutien au régime », dans la mesure où un tel paiement constitue une obligation légale applicable à l’ensemble des contribuables biélorusses.

94      Toutefois, en l’espèce, l’argument de la requérante tiré de l’assimilation des dividendes aux impôts au sens de la jurisprudence citée au point 93 ci-dessus ne saurait être retenu.

95      En effet, il ressort du paragraphe 1-1 de l’édit n^o 637 que les entreprises sur lesquelles pèse l’obligation de verser une part des bénéfices à l’État ou à des entités infraétatiques sont celles dont l’État ou lesdites entités déterminent les décisions. Ainsi, cette obligation ne concerne qu’une catégorie délimitée d’opérateurs économiques, et non l’ensemble des contribuables biélorusses.

96      En outre, aux termes du paragraphe 1-2 de l’édit n^o 637, la part du bénéfice des entreprises concernées qui doit être obligatoirement versée aux autorités publiques biélorusses est calculée à partir de la différence entre le bénéfice reçu et, notamment, les charges liées aux impôts et aux taxes. Par conséquent, le versement dont il s’agit est formellement distinct des impôts et s’ajoute à ceux-ci. Le fait que, ainsi qu’il ressort du paragraphe 3-1 de l’édit n^o 637, le recouvrement de cette
part du bénéfice relève de la compétence de l’administration fiscale, suivant les procédures fiscales pertinentes, n’est pas susceptible de remettre en cause ce constat.

97      Partant, il y a lieu d’observer que la circonstance selon laquelle la requérante est tenue de verser une part de ses bénéfices à l’État en vertu de l’édit n^o 637 confirme l’appréciation selon laquelle elle soutient financièrement le régime de Loukachenko dès lors que, par ce même édit, ledit régime a accru le contrôle qu’il exerçait déjà, en tant qu’unique actionnaire, sur les ressources de la requérante en s’assurant de disposer régulièrement d’une part des bénéfices qu’elle réalisait.

98      En outre, la requérante fait valoir que les mots du président Loukachenko selon lesquels elle est « un trésor national, une fierté, l’un des piliers des exportations biélorusses » n’indiquent pas qu’elle dispose d’un statut spécial.

99      À cet égard, d’une part, il convient d’observer que la requérante ne conteste pas le fait que les mots mentionnés au point 98 ci-dessus ont été prononcés par le président Loukachenko. D’autre part, même si ceux-ci n’établissent pas, par eux-mêmes, le soutien de la requérante au régime du président Loukachenko, ils constituent un indice du rôle clé qu’elle occupe dans l’économie biélorusse.

100    D’autre part, s’agissant de l’action de « tirer profit » du régime de Loukachenko, il est constant que la requérante est le seul producteur d’engrais potassiques en Biélorussie.

101    S’agissant du secteur des engrais potassiques, outre le fait que celui-ci est un secteur fortement réglementé en Biélorussie, ainsi que l’admet la requérante elle-même, il ressort des éléments de preuve présentés par le Conseil qu’il constitue une source de revenus significatifs. À cet égard, il suffit de rappeler que, en 2019, la requérante a réalisé un bénéfice net de plus de 4,797 milliards de BYN (environ 1,8 milliard d’euros) (voir point 88 ci-dessus).

102    En effet, plusieurs éléments de preuve présentés par le Conseil relatifs à la situation économique en Biélorussie, notamment l’article publié sur le site Internet « cepa.org » le 8 décembre 2021, l’article publié sur le site Internet « naviny.belsat.eu » le 15 octobre 2015, l’article publié sur le site Internet « news.tut.by » le 13 décembre 2016, l’article publié sur le site Internet « en.belapan.by » le 9 juillet 2020 et l’article publié sur le site Internet « russian.rt.com » le 22 mars
2016, démontrent que, sous le régime du président Loukachenko, l’économie biélorusse se caractérise par le contrôle exercé par le régime tant sur le secteur public que sur le secteur privé et par un système qui récompense la loyauté envers le régime.

103    Ainsi, les éléments de preuve mentionnés au point 102 ci-dessus et l’existence d’un monopole exercé par la requérante, en tant qu’entreprise d’État, sur un marché aussi important du point de vue de l’ensemble de l’économie biélorusse que celui des engrais potassiques a permis au Conseil de conclure que la requérante tirait profit du régime de Loukachenko.

104    Il résulte de ce qui précède que c’est sans commettre d’erreur que le Conseil a estimé, lors de l’adoption des actes initiaux, que la requérante soutenait le régime et en tirait profit au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.

–       Sur la seconde branche, tirée d’une absence de démonstration de ce que la requérante est responsable de la répression de la société civile

105    La requérante conteste les motifs de son inscription sur les listes en cause en ce qu’ils indiquent qu’elle est responsable de la répression de la société civile en Biélorussie et soutient le régime de Loukachenko.

106    En premier lieu, s’agissant de l’affirmation selon laquelle « [l]es employés de [la requérante] qui avaient pris part aux grèves et aux manifestations pacifiques au lendemain du scrutin présidentiel frauduleux d’août 2020 en Biélorussie ont été intimidés et licenciés par la direction de l’entreprise », la requérante fait valoir que le droit de grève n’est pas un droit absolu. Il pourrait être limité sous certaines conditions légales. En particulier, le code du travail biélorusse prévoirait
que l’appel à la grève doit respecter certaines conditions procédurales. Or, pour ce qui est de la grève intervenue au sein de la requérante en août 2021, aucune de ces conditions n’aurait été remplie.

107    Par ailleurs, les demandes présentées par le « stachcom » (grève) autoproclamé de quatorze membres seraient, dans leur écrasante majorité, de nature politique.

108    En outre, la plupart des sanctions infligées aux salariés auraient été des sanctions pour absentéisme, et non des licenciements. Il serait également important de noter qu’entre le 30 novembre 2020 et le 20 janvier 2021, la requérante aurait annulé toutes les sanctions disciplinaires à l’encontre des employés concernés. Par conséquent, l’affirmation selon laquelle des employés auraient été licenciés « parce qu’ils avaient pris part à des manifestations » serait fausse.

109    Enfin, l’allégation du Conseil selon laquelle les travailleurs qui auraient participé à la « grève » ont été « intimidés » ne serait étayée par aucun élément de preuve.

110    En second lieu, s’agissant de l’affirmation selon laquelle « Loukachenko en personne a menacé de remplacer les grévistes par des mineurs originaires d’Ukraine », la requérante constate qu’elle semble être tirée mot pour mot d’un article de la BBC. Or, à cet égard, le Tribunal aurait confirmé que la production d’un seul document ne serait pas suffisante pour établir un fait.

111    Par ailleurs, ladite déclaration du président Loukachenko ne comporterait aucune menace.

112    Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique et la République de Lettonie, conteste cette argumentation.

113    En l’espèce, il convient de constater que les parties s’accordent sur le fait que les grèves et les manifestations pacifiques ont eu lieu au lendemain du scrutin présidentiel du mois d’août 2020 en Biélorussie.

114    À cet égard, bien que la requérante ne conteste pas la matérialité des faits relatifs aux grèves et aux manifestations au lendemain du scrutin présidentiel du mois d’août 2020, elle en donne une interprétation différente de celle du Conseil. Elle réfute, en effet, l’assertion selon laquelle ces événements auraient entraîné des intimidations envers ses employés ou leur licenciement, ainsi que le relate le Conseil.

115    Il ressort des éléments de preuve présentés par le Conseil que, les 17 et 18 août 2020, 6 300 personnes se sont rassemblées pacifiquement chez la requérante pour protester contre la violence policière. La requérante a réagi en licenciant les employés grévistes, en exigeant des explications et en les privant de primes, souvent pour une année entière. À la suite des élections présidentielles du 9 septembre 2020, les employés de nombreuses entreprises d’État, y compris de la requérante, ont
organisé une grève en soutien aux revendications des manifestants, réclamant la démission de Loukachenko, la tenue de nouvelles élections équitables et la justice pour les victimes de la violence policière. La grève a duré deux jours avant d’être déclarée illégale, entraînant une répression immédiate. Selon les représentants du comité de grève, formé dès le début de la grève, la direction de la requérante et les forces de sécurité ont exercé une « répression sans précédent » contre ceux qui
s’opposaient au président Loukachenko : ces derniers auraient été torturés, battus, emprisonnés pendant une journée et menacés de se voir retirer leurs enfants. Certains membres du comité de grève auraient encouru de lourdes peines de prison. La majorité des membres du comité de grève auraient été licenciés.

116    Ces éléments de preuve ne sauraient être remis en cause par les arguments de la requérante tirés, premièrement, de l’absence de leur pertinence et du caractère subjectif de la manière dont les autorités biélorusses ont traité ses employés grévistes, deuxièmement, de ce que l’allégation selon laquelle son directeur général serait le parrain de l’enfant d’une figure politique n’est pas avérée, troisièmement, de ce que certains articles évoquent des cas de contrebande de cigarettes impliquant
des wagons lui appartenant, quatrièmement, de ce que certains articles décrivent les conditions de travail en son sein de manière trop négative et, cinquièmement, de ce que les allégations de fraude électorale sont non pertinentes et non prouvées. En effet, les allégations de la requérante ne constituent pas des motifs ayant fondé son inscription sur les listes en cause, de sorte qu’elles ne sont pas pertinentes pour l’examen du bien-fondé desdits motifs, mais sont relatives à celle d’autres
personnes et entités.

117    En premier lieu, s’agissant des mesures d’intimidation de ses employés, la requérante fait valoir qu’elle s’est bornée à appliquer le droit du travail biélorusse lorsqu’elle leur a refusé le droit de grève. Par ailleurs, la prétendue « intimidation » de ses employés se serait manifestée, du point de vue de ces derniers, dans des communications de sa direction prévenant les travailleurs que la grève serait illégale et que participer à celle-ci serait susceptible d’entraîner le licenciement
pour absentéisme au travail.

118    À cet égard, il convient de noter que les mesures d’intimidation alléguées se sont manifestées tant de la part de la requérante elle-même que de celle des autorités publiques. D’une part, en ce qui concerne les mesures d’intimidation perpétrées par la requérante, l’ampleur des licenciements, liés à la participation des employés à une grève pacifique, a raisonnablement engendré un climat de peur parmi ces derniers. En ce sens, la requérante a utilisé le licenciement comme un outil pour
dissuader ses employés de participer à toute forme de contestation.

119    D’autre part, en ce qui concerne l’intimidation exercée par les autorités publiques, il convient d’observer que la participation à la grève a entraîné de nombreux cas de violences et de détentions d’employés de la requérante. Les témoignages et les rapports émanant d’éléments de preuve présentés par le Conseil font état d’arrestations arbitraires, d’actes de violence physique et psychologique et d’autres formes d’intimidation systématique. Dans ce contexte, compte tenu des liens étroits de la
requérante avec le régime du président Loukachenko susmentionnés (voir point 104 ci-dessus), l’on ne peut douter de leur engagement conjoint dans ces actes répressifs.

120    La déclaration du président Loukachenko, selon laquelle les manifestants pourraient être remplacés par des mineurs ukrainiens, prend une dimension pertinente dans ce contexte, contrairement à ce qu’affirme la requérante. Cette déclaration s’inscrit dans une dynamique de menace et d’intimidation de la part des autorités publiques. En effet, elle révèle une attitude de mépris du président Loukachenko envers le droit de grève et les préoccupations des employés de la requérante.

121    En second lieu, s’agissant des licenciements des employés à la suite du début de la grève, d’une part, la requérante prétend s’être simplement conformée à la législation du travail biélorusse, arguant que, après avoir jugé la grève illégale, elle a procédé aux licenciements uniquement en raison de l’absence des employés. Cependant, l’application stricte de la loi biélorusse ne saurait justifier toutes les formes de répression contre des employés exprimant leurs opinions politiques. En effet,
l’hypothèse selon laquelle la conformité avec une loi nationale d’une action spécifique permettrait d’écarter, pour ce seul motif, la possibilité d’une inscription sur les listes en cause impliquerait que les critères d’inscription soient vidés de leur sens, puisque cela anéantirait la large marge d’appréciation du Conseil à cet égard.

122    D’autre part, la requérante fait valoir que, après avoir constaté l’illégalité de la grève, elle a procédé aux licenciements des employés uniquement en raison de leur absentéisme.

123    À cet égard, même si le dossier ne fournit pas d’informations indiquant directement que le véritable motif du licenciement des employés était leur absentéisme, ces actions, prises dans leur ensemble, témoignent manifestement d’une volonté délibérée de sanctionner les employés pour leur participation à des activités exprimant leur opposition au président Loukachenko.

124    Il résulte de ce qui précède que c’est sans commettre d’erreur que le Conseil a estimé, lors de l’adoption des actes initiaux, que les mesures d’intimidation et les licenciements des employés de la requérante qui avaient pris part aux grèves et aux manifestations pacifiques à la suite du scrutin présidentiel du mois d’août 2020 constituaient des éléments suffisants pour considérer que la requérante réprimait la société civile en Biélorussie et soutenait le régime du président Loukachenko au
sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2012/642.

125    Dès lors, le deuxième moyen doit être rejeté dans son ensemble.

–       Sur la deuxième branche du premier moyen, tirée d’une violation des actes de droit international

126    La requérante fait valoir que les actes initiaux ont violé divers traités multilatéraux internationaux et normes internationales, tels que l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), l’accord sur la facilitation des échanges (AFE) et la convention des Nations unies sur le droit de la mer, conclue à Montego Bay le 10 décembre 1982 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1833, 1834 et 1835, p. 3, ci-après la « CNUDM »), eu égard, notamment, à l’effet extraterritorial
des mesures restrictives adoptées contre la requérante.

127    Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique et la République de Lettonie, conteste l’argumentation de la requérante.

128    En premier lieu, l’argument tiré d’une prétendue violation du principe de territorialité doit être rejeté comme non fondé, dès lors que les actes initiaux s’appliquent uniquement aux fonds et aux ressources économiques se trouvant sur le territoire de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 31 janvier 2007, Minin/Commission, T‑362/04, EU:T:2007:25, point 106, et du 13 septembre 2023, Venezuela/Conseil, T‑65/18 RENV, EU:T:2023:529, point 111).

129    En deuxième lieu, s’agissant de la compatibilité des restrictions imposées par les actes initiaux avec le GATT et l’AFE, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, compte tenu de leur nature et de leur économie, les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ne figurent pas, en principe, parmi les normes au regard desquelles le juge de l’Union contrôle la légalité des actes des institutions de l’Union. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’Union aurait entendu
donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC ou dans celle où l’acte de l’Union renverrait expressément à des dispositions précises des accords de l’OMC qu’il appartient à la Cour de contrôler la légalité de cet acte au regard des règles de l’OMC (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2023, Venezuela/Conseil, T‑65/18 RENV, EU:T:2023:529, point 107 et jurisprudence citée).

130    D’une part, les actes initiaux ne contiennent aucune référence à ces accords (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2023, Venezuela/Conseil, T‑65/18 RENV, EU:T:2023:529, point 105).

131    D’autre part, la requérante n’a pas indiqué par quels actes, ni à quelle occasion, l’Union aurait entendu donner exécution, par le biais des actes initiaux, à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC (arrêt du 13 septembre 2023, Venezuela/Conseil, T‑65/18 RENV, EU:T:2023:529, point 106).

132    En tout état de cause, il convient de constater que la Biélorussie n’est partie ni au GATT ni à l’AFE. Ainsi, l’Union n’est soumise à aucune obligation contractuelle envers la Biélorussie au titre de ces accords.

133    En troisième lieu, s’agissant de la violation alléguée de la CNUDM, il convient de noter que, même si ses articles 89 et 125 accordent le droit d’accès à la mer à un pays sans littoral, ils ne garantissent pas l’accès à une mer déterminée ou à un port choisi, en toute situation. En tout état de cause, ce ne sont pas les actes initiaux, en tant qu’ils concernent le gel des fonds de la requérante, mais les mesures restrictives sectorielles qui pourraient éventuellement affecter le droit d’accès
à la mer de la Biélorussie.

134    Dès lors, il convient de rejeter la deuxième branche du premier moyen.

 Sur les première, troisième et quatrième branches du premier moyen, tirées, respectivement, d’une violation des droits fondamentaux, d’une violation des objectifs fixés par les fondements juridiques de l’Union et d’une violation du principe selon lequel les mesures doivent être ciblées et le quatrième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

135    Par les première, troisième et quatrième branches du premier moyen et le quatrième moyen, qui doivent être analysés conjointement, la requérante fait valoir, en substance, que les actes initiaux violent le principe de légalité et de proportionnalité, car ils auraient un impact extrêmement négatif sur les droits fondamentaux de la requérante et des tiers.

136    Par la première branche du premier moyen, la requérante prétend que les actes initiaux violent le droit à l’alimentation, le droit à la vie et le droit à l’éducation, prévus dans de nombreux actes du droit international, à savoir à l’article 11 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 993, p. 3), à
l’article 25 de la déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948, dans le préambule de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 18 décembre 1979, entrée en vigueur le 3 septembre 1981 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1249, no I‑20378, p. 13), à l’article 24 de la convention relative aux droits de l’enfant,
adoptée le 20 novembre 1989 et entrée en vigueur le 2 septembre 1990 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1577, p. 3), aux articles 25 et 28 de la convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, qui a été approuvée au nom de l’Union européenne par la décision 2010/48/CE du Conseil, du 26 novembre 2009 (JO 2010, L 23, p. 35), et à l’article 31 de la déclaration et du programme d’action de Vienne, adoptés lors de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme du
25 juin 1993.

137    Les droits de l’homme seraient interdépendants, indissociables et intimement liés. Cela signifierait qu’une violation du droit à l’alimentation pourrait compromettre la réalisation d’autres droits humains, en particulier le droit à la santé, à l’éducation ou à la vie, et réciproquement. En particulier, lorsque des personnes ne parviendraient pas à se nourrir et risqueraient de mourir de faim, de malnutrition ou de maladies connexes, leur droit à la vie serait également menacé.

138    Or, en raison des mesures restrictives prises à l’égard de la requérante, les capacités de cette dernière à commercialiser « un produit socialement important ayant des fonctions humanitaires » auraient été entravées.

139    Au soutien de son argumentation, la requérante rappelle que sa part sur le marché mondial de la potasse est de 20 %. Ce produit serait fourni dans plus de 130 pays. Certains pays seraient fortement, voire totalement, tributaires de la potasse produite par la requérante.

140    En outre, il n’existerait actuellement aucun port capable de remplacer le port de Klaipėda (Lituanie) pour exporter de tels volumes d’engrais potassiques biélorusses.

141    Dès lors, les mesures restrictives imposées par le Conseil à la requérante, en raison de leur effet extraterritorial, violeraient les droits nutritionnels de millions, voire de milliards, de personnes dans le monde.

142    Dans le cadre de sa compétence, le Conseil pourrait introduire des mesures restrictives temporaires, qui devraient avoir un caractère préventif. Or, les mesures restrictives contre la requérante seraient par nature punitives.

143    Par la troisième branche du premier moyen, la requérante fait valoir que les actes initiaux violent les objectifs inscrits aux articles 3 et 21 TUE en ce qu’ils ont des conséquences dramatiques qui se répercuteront non seulement au sein de l’Union, mais aussi dans le monde entier.

144    Par la quatrième branche de son premier moyen, la requérante fait valoir que les actes initiaux violent le principe selon lequel les mesures doivent être ciblées parce qu’elles portent atteinte à la population civile non seulement en Biélorussie, mais dans le monde entier.

145    Par son quatrième moyen, la requérante fait valoir que les actes initiaux ont eu pour effet de restreindre sa liberté de transit, en violation flagrante des normes internationales. Par ailleurs, sa liberté d’entreprise, droit fondamental protégé par le droit européen et international, aurait également été violée de manière flagrante.

146    Ainsi, les actes initiaux auraient totalement empêché la requérante d’exporter de la potasse dans le monde entier.

147    La requérante ajoute que les mesures restrictives en cause violent les droits de tiers, et sont donc disproportionnées, en ce qu’elles auraient touché un grand nombre de pays tiers et leurs citoyens.

148    Dans sa demande de réexamen au Conseil, la requérante aurait proposé des mesures alternatives moins restrictives susceptibles d’être considérées comme une solution de remplacement ou d’être retenues pour atténuer l’impact de l’inscription.

149    Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique et la République de Lettonie, conteste cette argumentation.

150    À titre liminaire, il y a lieu d’observer que, sans formellement exciper de l’irrecevabilité du quatrième moyen, le Conseil prétend que celui-ci est trop vague et trop général pour permettre de comprendre la portée de la prétendue violation du principe de proportionnalité.

151    La requérante ne commente pas cette allégation du Conseil.

152    À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la requête doit, notamment, contenir l’objet du litige et un exposé sommaire des moyens invoqués. Il ressort de la jurisprudence que cet exposé doit être suffisamment clair et précis pour
permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal d’exercer son contrôle. Il en découle que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours est fondé doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même. La requête doit, de ce fait, expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du règlement de procédure (ordonnance du
18 septembre 2018, eSlovensko/Commission, T‑664/17, non publiée, EU:T:2018:559, point 29).

153    En outre, selon la jurisprudence, la requête doit être interprétée dans le souci de lui donner un effet utile, en procédant à une appréciation d’ensemble de celle-ci (voir, en ce sens, ordonnance du 28 juin 2011, Verein Deutsche Sprache/Conseil, C‑93/11 P, non publiée, EU:C:2011:429, points 20 et 21).

154    En l’espèce, ainsi qu’il ressort de la présentation des arguments soulevés par la requérante dans le cadre du quatrième moyen (voir point 145 ci-dessus), il y a lieu de constater que, contrairement à ce que fait valoir le Conseil, le quatrième moyen est suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal d’exercer son contrôle.

155    Dès lors, il y a lieu de rejeter les allégations du Conseil relatives à l’absence de clarté du quatrième moyen.

156    S’agissant du bien-fondé, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union et qui est repris à l’article 5, paragraphe 4, TUE, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient de nature à permettre que soient atteints les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (arrêts du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa,
C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, point 122, et du 1^er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 133).

157    S’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale et dans lesquels celui-ci est appelé à effectuer des appréciations complexes. Il s’ensuit que seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, au regard de l’objectif que l’institution
compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 179 et jurisprudence citée).

158    En ce qui concerne les objectifs poursuivis par la décision 2012/642 et par le règlement n^o 765/2006, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, la consolidation et le soutien de la démocratie, de l’État de droit, des droits de l’homme et des principes du droit international sur la scène internationale constituent l’un des objectifs de l’Union dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

159    En l’occurrence, les mesures restrictives contre la Biélorussie ont été adoptées en raison de la gravité de la situation en Biélorussie et des violations persistantes des droits de l’homme, de la répression systématique visant la société civile et l’opposition démocratique et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine.

160    À cet égard, l’argument de la requérante selon lequel les actes initiaux violent les objectifs inscrits aux articles 3 et 21 TUE ne saurait prospérer.

161    Selon l’article 3, paragraphe 5, TUE, l’Union « contribue à la paix, à la sécurité, […] à la protection des droits de l’homme, […] ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies ».

162    Il ressort des articles 24 et 29 TUE que, en règle générale, le Conseil a vocation à définir, en statuant à l’unanimité, l’objet des mesures restrictives que l’Union adopte dans le domaine de la PESC. Compte tenu de la vaste portée des buts et des objectifs de la PESC, tels qu’exprimés à l’article 3, paragraphe 5, TUE et à l’article 21 TUE ainsi que dans les dispositions spécifiques relatives à la PESC, notamment aux articles 23 et 24 TUE, le Conseil dispose d’une grande latitude en
définissant cet objet (arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 88).

163    En l’occurrence, ainsi qu’il ressort du considérant 1 de la décision 2012/642, les mesures restrictives contre la Biélorussie ont été adoptées en raison du non-respect persistant des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit dans ce pays. Lesdites mesures visent à faire pression sur le régime de Loukachenko pour qu’il mette fin aux violations des droits de l’homme et à la répression exercée à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique. Par ailleurs, ainsi
qu’il ressort du deuxième considérant et des visas des actes initiaux, ces derniers ont été adoptés en raison de la gravité de la situation en Biélorussie ainsi qu’en réaction aux violations persistantes des droits de l’homme et à la répression systématique visant la société civile et l’opposition démocratique. Les motifs des actes initiaux réfèrent également à l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine.

164    Or, force est de constater que l’approche consistant à cibler des personnes, des entités et des organismes dont les actes ou les activités contribuent à la répression exercée à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique répond, de manière cohérente, à l’objectif mentionné au point 61 ci-dessus et ne saurait, en tout état de cause, être considérée comme illégale au regard de l’objectif poursuivi (voir, en ce sens, arrêt du 15 février 2023, Belaeronavigatsia/Conseil, T‑536/21,
EU:T:2023:66, point 30).

165    En ce qui concerne le caractère approprié des actes initiaux, la requérante prétend d’abord qu’ils l’ont totalement empêchée d’exporter de la potasse.

166    Cet argument ne saurait prospérer.

167    En effet, les actes initiaux, contrairement aux mesures restrictives sectorielles, non contestées dans la présente affaire, ne concernent pas l’interdiction d’importer de la potasse par l’Union. Dès lors, ni les actes initiaux ni les mesures restrictives sectorielles n’interdisent l’exportation de potasse biélorusse vers des pays tiers.

168    En outre, ce sont les articles 2 octies de la décision 2012/642 et 1 octies du règlement 765/2006, introduits par la décision 2021/1031 et le règlement 2021/1030, le 24 juillet 2021, qui prévoient expressément que l’achat, l’importation ou le transfert de produits à base de potasse en provenance de Biélorussie sont interdits. Par conséquent, la requérante se méprend en affirmant que les actes initiaux, qui ont été adoptés postérieurement aux mesures restrictives sectorielles et qui consistent
à geler ses fonds, ont empêché l’exportation ou le transfert de potasse au sein de l’Union. Par ailleurs, interrogée à cet égard lors de l’audience, elle a admis qu’entre l’instauration des mesures restrictives sectorielles et l’adoption des actes initiaux, elle ne pouvait déjà ni exporter de potasse vers l’Union ni faire transiter ses produits par celle-ci.

169    Ensuite, la requérante fait valoir que l’adoption des actes initiaux a porté une atteinte disproportionnée à sa liberté d’entreprise, à la société biélorusse et à la sécurité alimentaire mondiale.

170    D’une part, en ce qui concerne l’argument relatif aux atteintes potentielles à la liberté d’entreprise et à la société biélorusse, la requérante ne présente pas d’arguments spécifiques ou d’éléments de preuve de nature à étayer cette allégation. Il en résulte qu’elle ne démontre pas que les actes initiaux ont porté une atteinte disproportionnée à sa liberté d’entreprise et à la société biélorusse.

171    D’autre part, en ce qui concerne l’argument relatif aux atteintes potentielles à la sécurité alimentaire mondiale, la requérante, pour appuyer son argumentation, mentionne un certain nombre de circonstances qui suggéreraient, selon elle, que son inscription sur les listes en cause aurait une incidence négative sur les prix des engrais potassiques dans le monde, ce qui pourrait aggraver la crise alimentaire.

172    À cet égard, le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique et la République de Lettonie, soulève l’irrecevabilité de cet argument en ce que la requérante n’a pas démontré l’existence d’un intérêt à agir personnel et suffisamment direct dès lors qu’elle invoque une violation alléguée non pas de ses propres droits, mais des droits de l’homme de groupes non spécifiés comptant des millions de personnes, de façon générale et abstraite.

173    En l’espèce, indépendamment de la question concernant l’intérêt de la requérante à se prévaloir des droits fondamentaux des tiers, il convient de noter, comme l’a souligné à juste titre le Conseil lors de l’audience, que les éléments de preuve soulevés par la requérante ne concernent pas les actes initiaux, imposant le gel des fonds, mais se rapportent principalement aux échanges d’engrais, y compris d’engrais potassiques, sur le marché mondial. Il s’agit donc d’éléments de preuve concernant
l’impact potentiel des mesures restrictives sectorielles sur le marché mondial des engrais potassiques, ce qui ne fait pas l’objet de la présente affaire. Par ailleurs, questionnée à l’audience, la requérante est restée en défaut d’identifier quels éléments de preuve qu’elle aurait joints au dossier seraient de nature à démontrer que la crise alimentaire mondiale a été aggravée par les actes initiaux.

174    D’une part, l’analyse intitulée « Potasse : analyse d’impact pour la sécurité de l’approvisionnement », du mois d’avril 2022, se réfère directement aux implications potentielles de l’introduction des mesures restrictives sectorielles.

175    D’autre part, premièrement, les éléments de preuve présentés par la requérante incluent, notamment, des articles, des rapports et des déclarations politiques sur les impacts de la guerre en Ukraine sur la crise alimentaire mondiale. Deuxièmement, ils contiennent des informations générales sur la sécurité alimentaire globale. Troisièmement, on y trouve des articles et des rapports sur les politiques agricoles et les entreprises actives sur le marché des engrais. Quatrièmement, ils comprennent
des analyses du marché des engrais et de la potasse.

176    Ainsi, bien que ces documents fassent référence à la crise alimentaire mondiale, ils ne concernent pas l’incidence des actes initiaux sur cette crise alimentaire mondiale.

177    Par ailleurs, certains des éléments de preuve invoqués par la requérante portent sur des faits non contestés concernant ses activités. En effet, d’une part, selon la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions intitulée « Préserver la sécurité alimentaire et renforcer les systèmes alimentaires » du 23 mars 2022, (COM/2022/133 final), les exportations de potasse de Russie et de
Biélorussie représentent 40 % du commerce mondial de potasse. D’autre part, la requérante soumet des informations du mois de mai 2022 sur sa production et son exportation pour les années 2018 à 2021, y compris le rapport statistique de l’Association internationale de l’industrie des engrais (IFA) de 2021.

178    Dès lors, compte tenu de l’analyse des éléments de preuve présentés par la requérante et indépendamment de la question de l’intérêt de cette dernière à se prévaloir des droits fondamentaux des tiers (voir point 173 ci-dessus), il y a lieu de conclure qu’elle n’a pas présenté d’éléments susceptibles de démontrer que les actes initiaux portaient atteinte à la sécurité alimentaire mondiale.

179    En outre, la requérante fait valoir que le Conseil aurait dû recourir à la mesure la moins contraignante et mentionne des exemples de mesures de remplacement moins restrictives susceptibles d’être retenues pour atténuer l’impact de l’inscription sur les listes en cause. En effet, elle a proposé, d’une part, que soient établies des conditions pour que les autorités nationales des États membres puissent accorder des autorisations à des personnes et des opérateurs de l’Union, afin de pouvoir
opérer des transactions avec elle concernant l’importation, l’achat, le transfert d’engrais potassiques et la fourniture de services financiers associés et, d’autre part, l’établissement de quotas de fourniture de ces engrais à l’Union.

180    Pour appuyer son argumentation, la requérante se base sur des éléments de preuve indiquant que le transport des engrais potassiques nécessite de lourds tonnages ainsi qu’un accès maritime. À cet égard, elle indique que les actes initiaux, en la privant de l’accès au port de Klaipėda, la privent de la possibilité d’exporter ses produits, alors que d’autres mesures moins contraignantes étaient envisageables.

181    Il convient d’abord d’observer que cette argumentation se ne rapporte en réalité pas aux actes initiaux de portée individuelle, mais aux mesures restrictives sectorielles de portée générale, ainsi qu’il ressort du point 167 ci-dessus, dans la mesure où ce sont ces dernières qui interdisent d’importer, d’acheter ou de transférer, directement ou indirectement, les produits à base de chlorure de potasse.

182    En tout état de cause, d’une part, cette argumentation ne démontre pas que la requérante est totalement empêchée d’exporter ses produits. En effet, il n’est pas exclu qu’elle puisse transporter ses produits vers les ports d’autres pays en dehors de l’Union.

183    D’autre part, les mesures de remplacement proposées par la requérante concernent les possibilités d’exporter des engrais potassiques vers l’Union et, dès lors, ne permettraient pas d’atteindre efficacement les objectifs poursuivis, à savoir cibler les personnes ou entités qui soutiennent le régime et donc, en particulier, les personnes et entités soutenant financièrement ou matériellement le régime de Loukachenko (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 20 septembre 2023,
Mordashov/Conseil, T‑248/22, non publié, EU:T:2023:573, point 165 et jurisprudence citée). En effet, le Conseil a considéré, à juste titre, que la nécessité d’accroître le coût économique de la participation à l’agression russe contre l’Ukraine pour la Biélorussie, au point qu’il lui devienne impossible de la poursuivre, constituait également un intérêt qui l’emportait sur les intérêts privés de la requérante.

184    Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter le quatrième moyen et les première, troisième et quatrième branches du premier moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de non-discrimination

185    En premier lieu, la requérante fait valoir, en substance, qu’elle a été traitée différemment de la société A, qui lui est pourtant comparable en matière de production et d’exportation de potasse et qui aurait dû faire l’objet de mesures restrictives.

186    En effet, l’une des raisons invoquées à l’appui de l’imposition de mesures restrictives à la requérante résiderait dans le fait qu’elle serait une source majeure de recettes pour le budget de la Biélorussie. La requérante et A se trouveraient donc dans des situations comparables. Or, des situations comparables, en l’occurrence celles des producteurs de potasse en Russie et en Biélorussie, devraient être traitées de la même manière.

187    À cet égard, la requérante fait valoir que les décisions du Conseil ne doivent pas entraîner de conséquences plus graves pour les Biélorusses que pour les Russes.

188    En second lieu, la requérante fait valoir, en substance, qu’elle a été traitée différemment de la société B dont le nom a été retiré des listes en cause au motif que les mesures restrictives avaient produit l’effet souhaité à l’égard de cette entité. Or, tel serait également le cas de la requérante.

189    En effet, la requérante serait sanctionnée pour un comportement qui, en plus d’être légitime, aurait en tout état de cause cessé en mars 2021, de sorte que la sanction interviendrait plus d’un an après le terme de ce comportement.

190    Par ailleurs, le Conseil ne semblerait pas juger nécessaire de sanctionner les entreprises européennes ayant licencié des travailleurs participant à des grèves illégales.

191    Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique et la République de Lettonie, conteste cette argumentation.

192    Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le principe d’égalité de traitement, qui constitue un principe fondamental de droit, interdit que des situations comparables soient traitées de manière différente ou que des situations différentes soient traitées de manière égale, à moins que de tels traitements ne soient objectivement justifiés (voir arrêt du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 152 et jurisprudence citée).

193    S’agissant de la différence de traitement alléguée par la requérante par rapport à la société A, il convient d’observer, à l’instar du Conseil, que la requérante et les entités russes sont soumises à des régimes différents de mesures restrictives.

194    Premièrement, l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2012/642 et l’article 2 du règlement n^o 765/2006 prévoient le gel de tous les fonds et ressources économiques, d’une part, des personnes, des entités ou des organismes qui ont été identifiés comme étant responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement, d’une autre manière, à la démocratie ou à l’État de
droit en Biélorussie, ou de toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme qui leur est associé, ainsi que des personnes morales, des entités ou des organismes qu’ils détiennent ou contrôlent, et, d’autre part, des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui ont été identifiés comme profitant du régime de Loukachenko ou le soutenant, ainsi que ceux des personnes morales, des entités ou des organismes qu’ils détiennent ou contrôlent.

195    Deuxièmement, selon l’article 2, paragraphe 1, de la décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant à des personnes physiques responsables d’actions qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de
l’Ukraine et à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui leur sont associés, dont la liste figure en annexe de ladite décision, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

196    La requérante se trouve donc dans une situation différente de celle de la société à laquelle elle se réfère, puisqu’elle est soumise à un régime de mesures restrictives se fondant sur des critères d’inscription différents de ceux du régime de mesures restrictives dont relèverait ladite société.

197    Enfin, à supposer même que le Conseil ait omis d’adopter des mesures restrictives à l’égard d’autres entreprises ou d’autres secteurs économiques, cette circonstance ne pourrait être utilement invoquée par la requérante, dès lors que le principe d’égalité de traitement doit être concilié avec la grande latitude dont dispose le Conseil lorsqu’il définit l’objet de mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, С‑72/15, EU:C:2017:236, point 132 ; du 6 mars 2024, BSW –
management company of « BMC » holding/Conseil, T‑258/22, non publié, EU:T:2024:150, point 90, et du 6 mars 2024, Mostovdrev/Conseil, T‑259/22, non publié, EU:T:2024:151, point 81).

198    S’agissant de la différence de traitement alléguée par la requérante par rapport à B, il y a lieu de relever que, bien que cette dernière ait été inscrite sur des listes fondées sur la décision 2012/642, à savoir celle qui constituait la base juridique de l’inscription de la requérante, les critères de ces deux inscriptions étaient différents. Ainsi, le critère d’inscription de B concernait la facilitation du franchissement illégal des frontières extérieures de l’Union, lequel est différent
des critères d’inscription de la requérante sur les listes en cause.

199    Dès lors, il y a lieu de constater que la requérante se trouve dans une situation différente de celle de B.

200    Il convient de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation
et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 58 et 59).

201    Par ailleurs, il convient d’observer que l’inscription de B était fondée sur une activité ponctuelle, à savoir le transport en Biélorussie des migrants ayant l’intention de franchir illégalement les frontières extérieures de l’Union. Cette activité ne s’est pas répétée, entraînant la possibilité de retirer cette société de la liste.

202    Or, ainsi qu’il ressort du dossier et des éléments de preuve fournis par le Conseil, le soutien du régime de Loukachenko par la requérante correspond à une activité continue qui n’a pas cessé, puisqu’il s’agit de versements réguliers de fonds au budget de l’État.

203    Troisièmement, s’agissant de la différence de traitement alléguée par la requérante par rapport aux entrepreneurs des pays de l’Union, il convient de noter que l’inscription de la requérante sur les listes en cause visait un objectif spécifique, à savoir accroître la pression exercée sur le régime de Loukachenko, notamment dans le contexte de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine ainsi que de la répression exercée à l’égard de la société civile et de
l’opposition démocratique en Biélorussie.

204    Bien que cet argument ne soit pas pertinent dans le cadre d’une affaire concernant des mesures restrictives dans le domaine de la PESC, laquelle se rapporte donc à la politique étrangère de l’Union, il convient de relever que la situation des travailleurs licenciés par des employeurs au sein de l’Union ne peut, en aucune manière, être comparée à celle des employés licenciés par la requérante pour avoir participé à une grève contre le régime de Loukachenko.

205    Partant, le troisième moyen doit être rejeté dans son ensemble.

206    Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter la demande en annulation partielle des actes initiaux.

 Sur la demande en annulation partielle des actes de maintien

207    Par un mémoire en adaptation, la requérante demande, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure, l’annulation des actes de maintien en ce qu’ils la concernent en réitérant les moyens et arguments soulevés dans la requête.

208    Le Conseil considère avoir déjà démontré dans le mémoire en défense et dans la duplique que la requérante soutenait le régime de Loukachenko et tirait profit de celui-ci et fait valoir que les éléments de preuve dont il dispose justifient le maintien du nom de la requérante sur les listes en cause.

209    Dans le cadre des troisième et cinquième moyens, tirés, respectivement, d’une violation du principe de non-discrimination et d’une violation de l’obligation de motivation par les actes de maintien, la requérante ne présente aucun argument supplémentaire par rapport à ceux avancés à l’encontre des actes initiaux.

210    Par conséquent, puisque les troisième et cinquième moyens ont déjà été analysés et rejetés dans le contexte des actes initiaux (voir, respectivement, point 206 et point 43 ci-dessus), ils doivent être rejetés pour les mêmes motifs en ce qu’ils visent les actes de maintien.

211    Dans le cadre du premier moyen, tiré d’une violation du principe de légalité, la requérante fait valoir que l’accord conclu le 3 avril 2000 entre le gouvernement de la République de Biélorussie et le gouvernement de la République de Lituanie sur les conditions de transit des cargaisons en provenance de République de Biélorussie avec utilisation des ports et d’autres infrastructures de transport de la République de Lituanie lui garantit un droit de transit des marchandises par le territoire
lituanien vers les ports de Biélorussie, conformément à l’article 125 de la CNUDM. Elle soutient que cet accord est menacé par les mesures restrictives, ce qui constituerait une violation des accords internationaux en vigueur. Par ailleurs, elle mentionne un investissement dans un terminal portuaire en Lituanie, couvert par un accord sur la promotion et la protection des investissements du 5 mars 1999, qui devrait lui assurer une protection juridique et une sécurité totale. Toutefois, conformément à
l’article 351, paragraphe 1, TFUE, les droits et obligations découlant de ces accords ne devraient pas être affectés par les dispositions des traités de l’Union.

212    En ce qui concerne cet argument, il convient tout d’abord de noter qu’en cas de violation éventuelle des accords bilatéraux par un État partie, le tribunal national ou le tribunal établi sur la base d’un tel accord est compétent pour connaître des recours en violation desdits accords.

213    En supposant même que, en l’espèce, la requérante puisse invoquer les deux accords bilatéraux mentionnés au point 211 ci-dessus et que l’Union soit tenue de les respecter, en vertu de l’article 351, paragraphe 1, TFUE, il convient de constater qu’elle n’a pas démontré et qu’il ne ressort pas du dossier si et dans quelle mesure les accords susmentionnés étaient affectés par les actes de maintien. À cet égard la requérante se contente d’affirmations générales concernant la violation des accords
bilatéraux susmentionnés, sans préciser de quelle manière et par quels moyens les stipulations des accords bilatéraux ont été prétendument violées par les actes de maintien. Par ailleurs, il convient d’observer que ces accords ne stipulent pas d’obligations inconditionnelles, mais offrent diverses options pour s’en écarter.

214    Par conséquent, le premier moyen doit être rejeté pour ce motif et pour ceux mentionnés dans les considérations consacrées à l’examen dudit moyen en ce qui concerne la légalité des actes initiaux.

215    Dans le cadre du quatrième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité, la requérante soutient que le Conseil, en plus d’avoir procédé à un examen inapproprié de sa décision initiale, a ignoré les observations qu’elle avait soumises et les informations qu’elle lui avait fournies avant l’adoption des actes attaqués.

216    À cet égard, il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort du point 200 ci-dessus, que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption. En outre, pour justifier le maintien du nom d’une personne sur la liste, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, la
réinscription ou le maintien précédent du nom de la personne concernée sur la liste, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription demeurent inchangés et, d’autre part, le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes. Ce contexte inclut non seulement la situation du pays à l’égard duquel le système de mesures restrictives a été établi, mais également la situation particulière de la personne concernée (voir arrêt du 26 octobre 2022,
Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 78 et jurisprudence citée).

217    En l’espèce, l’allégation de la requérante présentée dans son mémoire en adaptation concernant la violation de l’obligation du Conseil de procéder à un réexamen périodique est infondée.

218    En effet, d’une part, par lettre du 21 décembre 2022, le Conseil a informé la requérante de son intention de proroger l’application des mesures restrictives à son égard et a joint des éléments de preuve supplémentaires invoqués par le Conseil dans le cadre du réexamen annuel des mesures, et la requérante a présenté des observations sur la prorogation des mesures et les nouveaux éléments de preuve par lettre du 12 janvier 2023.

219    D’autre part, par lettre du 24 février 2023, le Conseil a répondu aux observations de la requérante. Cette lettre contenait des arguments détaillés expliquant les raisons pour lesquelles le Conseil considérait que les arguments de la requérante n’étaient pas suffisants pour modifier son appréciation et qu’il était approprié de continuer à appliquer des mesures restrictives à son égard.

220    La requérante a donc pu formuler ses commentaires avant l’adoption des actes de maintien et ses observations ont été prises en compte par le Conseil.

221    Par ailleurs, dans la mesure où la requérante rappelle, en substance, les arguments déjà écartés dans le cadre de l’analyse du quatrième moyen dans le contexte des actes initiaux, sans apporter de nouveaux arguments concernant les actes de maintien, il convient de les rejeter également dans le contexte des actes de maintien.

222    Il s’ensuit que le quatrième moyen doit être rejeté.

223    Dans le cadre du deuxième moyen, la requérante se prévaut d’une erreur d’appréciation des faits et d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642.

224    À cet égard, en premier lieu, il convient d’observer que, en tant qu’ils concernent la requérante, les motifs des actes de maintien sont identiques aux motifs des actes initiaux. En outre, au soutien de la demande en annulation partielle des actes de maintien, la requérante réitère les arguments déjà invoqués contre les actes initiaux. En défense, le Conseil réitère les mêmes arguments que ceux déjà avancés pour justifier le bien-fondé des actes initiaux.

225    Il s’ensuit que, pour les raisons exposées aux points 79 à 104 et 113 à 124 ci-dessus, la requérante n’établit pas que les motifs des actes de maintien sont entachés d’une erreur d’appréciation s’agissant de la question de savoir si elle soutient le régime de Loukachenko, en tire profit et est responsable de la répression exercée contre la société civile. En effet, la requérante reconnaît elle-même que la majorité des éléments de preuve soumis par le Conseil le 21 décembre 2022 sont les mêmes
que ceux utilisés pour justifier son inscription initiale sur les listes en cause. Quant aux autres éléments de preuve, il convient d’observer que la requérante n’avance aucun argument susceptible de remettre en cause les motifs de maintien de son inscription sur les listes en cause. À cet égard, les informations disponibles sur le site Internet de la requérante, qui ont été soumises par le Conseil comme preuves dans le document de travail 17500/22 INIT, révèlent qu’elle se décrit elle-même toujours
comme « l’un des plus grands producteurs et exportateurs mondiaux d’engrais potassiques », représentant « un cinquième de la production mondiale de potasse » qui « chaque année augmente ses volumes de production, maintient ses positions sur les marchés traditionnels, pénètre et renforce ses positions sur d’autres, développe et produit de nouveaux types d’engrais ». Dès lors, le contexte de l’inscription de la requérante par rapport à son inscription initiale sur les listes en cause n’a pas évolué
d’une manière telle que les autres éléments de preuve sont devenus obsolètes, de sorte que le Conseil pouvait valablement se fonder sur les motifs d’inscription (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 99).

226    En second lieu, les motifs sous-tendant l’appréciation selon laquelle la requérante soutient le régime de Loukachenko, en tire profit et est responsable de la répression exercée contre la société civile sont suffisamment précis et concrets, sont exempts d’erreur d’appréciation des faits ou d’erreur de droit et constituent en eux-mêmes un fondement suffisant pour justifier le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses.

227    Partant, il convient de rejeter le deuxième moyen comme non fondé et, partant, la demande en annulation partielle des actes de maintien.

228    Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le présent recours dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire de recourir à la mesure d’instruction, sollicitée par la requérante et consistant en un rapport d’expertise, dont il revient au Tribunal, conformément à l’article 92, paragraphe 1, du règlement de procédure, de l’ordonner s’il le juge utile.

 Sur les dépens

229    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil, y compris ceux afférents à la procédure de référé, conformément aux conclusions du Conseil.

230    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, le Royaume de Belgique et la République de Lettonie supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Belaruskali AAT supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

3)      Le Royaume de Belgique et la République de Lettonie supporteront leurs propres dépens.

da Silva Passos Gervasoni Półtorak

Reine         Pynnä

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 septembre 2024

Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

*      Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre élargie
Numéro d'arrêt : T-528/22
Date de la décision : 18/09/2024

Analyses

* Langue de procédure : l’anglais. Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription du nom de la requérante sur la liste – Soutien au régime – Soutien financier – Entreprise appartenant à l’État – Profit du régime – Répression de la société civile – Erreur d’appréciation».


Parties
Demandeurs : Belaruskali AAT
Défendeurs : Conseil de l'Union européenne.

Origine de la décision
Date de l'import : 20/09/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2024:633

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award