ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)
11 septembre 2024 ( *1 )
« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Notion d’“association” – Article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145/PESC – Notion d’“avantage tiré d’un homme
d’affaires influent exerçant des activités en Russie” – Article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 – Erreur d’appréciation – Responsabilité non contractuelle »
Dans l’affaire T‑744/22,
Maya Tokareva, demeurant à Moscou (Russie), représentée par Mes T. Bontinck, A. Guillerme, L. Burguin et M. Brésart, avocats,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme M.-C. Cadilhac et M. V. Piessevaux, en qualité d’agents, assistés de Mes B. O. Maingain et B. Maingain, avocats,
partie défenderesse,
soutenu par
Commission européenne, représentée par M. C. Giolito, Mmes C. Georgieva et L. Puccio, en qualité d’agents,
partie intervenante,
LE TRIBUNAL (première chambre élargie),
composé de MM. D. Spielmann, président, R. Mastroianni, Mme M. Brkan (rapporteure), MM. I. Gâlea et S. L. Kalėda, juges,
greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure, notamment :
– la requête déposée au greffe du Tribunal le 25 novembre 2022,
– le premier mémoire en adaptation déposé au greffe du Tribunal le 22 mai 2023,
– le second mémoire en adaptation déposé au greffe du Tribunal le 25 septembre 2023,
à la suite de l’audience du 27 février 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours, la requérante, Mme Maya Tokareva, demande, d’une part, sur le fondement de l’article 263 TFUE, l’annulation, premièrement, de la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149), et du règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022,
mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de septembre 2022 »), deuxièmement, de la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité
territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 134), et du règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de mars 2023 ») et, troisièmement, de la décision (PESC) 2023/1767
du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 104), et du règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté
et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de septembre 2023 »), en tant que ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») maintiennent son nom sur les listes qui leur sont annexées et, d’autre part, sur le fondement de l’article 268 TFUE, la réparation du préjudice qu’elle aurait subi du fait de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022.
I. Antécédents du litige
2 La requérante est une ressortissante de nationalité russe.
3 La présente affaire s’inscrit dans le contexte des mesures restrictives adoptées eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et, notamment, à l’agression militaire de la Fédération de Russie contre celle-ci, le 24 février 2022.
4 Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16). À la même date, il a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 269/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant
l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).
5 Le 25 février 2022, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1). L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, dans sa version modifiée par la décision 2022/329, prévoit ce qui suit :
« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :
[…]
d) à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs ;
[…]
f) à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ce gouvernement ;
[…]
et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.
2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »
6 L’article 1er, paragraphe 1, sous b) et d), de la décision 2014/145, telle que modifiée, proscrit l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 2, paragraphe 1, sous d) et f), de cette même décision.
7 Le règlement no 269/2014, dans sa version modifiée par le règlement 2022/330, impose l’adoption des mesures de gel des fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145, telle que modifiée. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de ce règlement, tel que modifié, reprend pour l’essentiel le contenu de l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision, telle que modifiée.
8 Dans ce contexte, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/337, du 28 février 2022, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 59, p. 1), et le règlement d’exécution (UE) 2022/336, du 28 février 2022, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 58, p. 1), actes par lesquels le père de la requérante a été inscrit sur la liste annexée à la décision 2014/145, telle que modifiée, et à celle figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014, tel que modifié (ci-après les « listes
litigieuses »), aux motifs suivants :
« Nikolay Tokarev est le PDG de Transneft, une grande entreprise de pétrole et de gaz russe. Il est une connaissance de longue date et un associé proche de Vladimir Poutine. Dans les années 1980, il a travaillé avec Poutine au KGB. M. Tokarev est l’un des oligarques de l’État russe qui ont pris le contrôle de grands actifs publics dans les années 2000 lorsque le président Poutine consolidait son pouvoir, et qui opèrent en partenariat étroit avec l’État russe. M. Tokarev est responsable de
Transneft, l’une des plus importantes entreprises russes contrôlées par le gouvernement, qui transporte des quantités considérables de pétrole russe à travers un réseau d’oléoducs bien développé.
La société Transneft de Nikolay Tokarev est l’un des principaux sponsors du palais situé près de Gelendzhik, qui est considéré comme étant personnellement utilisé par le président Poutine. Il tire profit de sa proximité avec les autorités russes. Les proches et les connaissances de M. Tokarev se sont enrichis grâce aux contrats signés avec les entreprises d’État.
Il a donc apporté un soutien matériel ou financier actif aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, et a tiré avantage de ces décideurs. »
9 Par la décision (PESC) 2022/1272 du Conseil, du 21 juillet 2022, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 193, p. 219), et le règlement d’exécution (UE) 2022/1270 du Conseil, du 21 juillet 2022, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 193, p. 133), le nom de requérante a été ajouté sur les listes litigieuses, aux motifs suivants :
« [La requérante] est la fille de Nikolay Tokarev, le PDG de Transneft, grande compagnie pétrolière et gazière russe. [La requérante] et son ex-mari, Andrei Bolotov, possèdent des biens immobiliers de luxe à Moscou, en Lettonie et en Croatie, d’une valeur supérieure à 50 millions de dollars, qui peuvent être liés à Nikolay Tokarev. Elle a également des liens avec la société Ronin, qui gère le fonds de pension de Transneft. Lorsqu’elle a demandé la citoyenneté chypriote, elle a indiqué l’adresse de
Ronin comme la sienne. En outre, [la requérante] a reçu des contrats d’État d’une valeur de 8 milliards de roubles par la société Irvin-2, qu’elle possède avec Stanislav Chemezov, le fils du PDG de Rostec, Sergei Chemezov. [La requérante] est donc une personne physique associée à des personnes figurant sur la liste, à savoir son père Nikolay Tokarev et Stanislav Chemezov. »
10 Par les mêmes actes, le nom de M. Stanislav Chemezov a été ajouté sur les listes litigieuses, aux motifs suivants :
« Stanislav Chemezov est le fils de Sergei Chemezov, un membre du Conseil suprême de “Russie unie” et président du conglomérat Rostec, qui est la principale corporation russe contrôlée par l’État en charge de l’industrie manufacturière et de la défense. Stanislav Chemezov possédait une société offshore dénommée Erlinglow Ltd, qui a bénéficié de la construction par Rostec d’une autoroute de fibre optique nationale d’une valeur de 550 millions de dollars. En outre, il possède plusieurs sociétés
offshore avec [la requérante], la fille de Nikolay Tokarev, notamment Irvin-2, qui a reçu des contrats d’une valeur de 8 milliards de roubles. Pour récompenser l’échange, la famille Tokarev a autorisé la famille Chemezov à réduire le budget de Transneft. Stanislav Chemezov détient également la société Independent Insurance Group, qui gère de grands contrats d’assurance dans le secteur de la défense, y compris des contrats pour le conglomérat de défense Rostec, dont son père, Sergei Chemezov, est
le PDG. Stanislav Chemezov est donc une personne physique associée à une personne inscrite sur une liste. »
11 Le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne du 22 juillet 2022 (JO 2022, C 281 I, p. 7), un avis à l’attention des personnes, entités et organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la 2022/1272 et le règlement d’exécution (UE) 2022/1270. Cet avis indiquait, notamment, que les personnes concernées pouvaient adresser au Conseil une demande de réexamen de la décision par laquelle leurs noms avaient été inscrits sur les listes annexées aux actes attaqués, en y
joignant des pièces justificatives.
12 Par courriel du 2 septembre 2022, la requérante a demandé à obtenir l’accès à tous les documents produits et détenus par le Conseil et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) ayant servi de fondement à l’adoption des mesures restrictives la concernant, en vue d’élaborer une demande de réexamen.
13 Le 14 septembre 2022, par les actes de maintien de septembre 2022, le Conseil a maintenu le nom de la requérante sur les listes litigieuses pour les mêmes motifs que ceux repris au point 9 ci-dessus.
14 Le 30 septembre 2022, le Conseil a répondu à la demande de la requérante visée au point 12 ci-dessus et a transmis les informations figurant dans le dossier portant la référence WK 10502/2022 INIT, du 8 mars 2022 (ci-après le « dossier de preuves initial »).
15 Par courriel du 31 octobre 2022, la requérante a introduit une demande de réexamen auprès du Conseil.
II. Faits postérieurs à l’introduction du recours
16 Par les actes de maintien de mars 2023, le nom de la requérante a été maintenu sur les listes litigieuses pour les motifs suivants :
« [La requérante] est la fille de Nikolay Tokarev, le PDG de Transneft, grande compagnie pétrolière et gazière russe. [La requérante] et son ex-mari, Andrei Bolotov, possèdent des biens immobiliers de luxe à Moscou, en Lettonie et en Croatie, d’une valeur supérieure à 50 millions de dollars des États-Unis, qui peuvent être liés à Nikolay Tokarev. Elle a également des liens avec la société Ronin, qui gère le fonds de pension de Transneft. Lorsqu’elle a demandé la citoyenneté chypriote, elle a
indiqué l’adresse de Ronin Europe comme la sienne dans l’annonce parue dans la presse. En outre, elle est liée au Ronin Trust, qui gère le fonds de pension de Transneft, par l’intermédiaire de sa société immobilière Ostozhenka 19 (anciennement appelée RPA Est[ate]). [La requérante] a reçu des contrats d’État d’une valeur de 8 milliards de roubles par la société Irvin‑2, qu’elle possédait avec Stanislav Chemezov, le fils du PDG de Rostec, Sergei Chemezov. Elle détient actuellement des actions,
avec Stanislav Sergeevich Chemezov, dans le complexe hôtelier de Gelendzhik – Meridian LLC. [La requérante] est donc une personne physique associée à des personnes figurant sur la liste, à savoir son père Nikolay Tokarev et Stanislav Chemezov. »
17 Par courriel du 14 mars 2023, le Conseil a informé la requérante du maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses en formulant des observations en réponse aux arguments soulevés dans sa demande de réexamen du 31 octobre 2022.
18 Par courriel du 31 mars 2023, le Conseil a envoyé une lettre à la requérante l’informant de ce que les éléments sur lesquels il s’était fondé pour justifier le maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses figuraient dans les dossiers portant la référence WK 1128/2023 INIT, WK 1128/2023 ADD 1 et WK 1128/2023 ADD 2, datés, respectivement, du 25 janvier, du 27 janvier et du 30 janvier 2023 (ci-après, pris ensemble, les « dossiers de preuves de janvier 2023 »).
19 Le 5 juin 2023, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2023/1094, modifiant la décision 2014/145 (JO 2023, L 146, p. 20). Par cette décision, il a modifié l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 de la manière suivante :
« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :
[…]
g) à des femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie et aux membres de leur famille proche ou à d’autres personnes physiques, qui en tirent avantage, ou à des femmes et hommes d’affaires, des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine
[…] »
20 Par courrier du 19 juin 2023, le Conseil a informé la requérante qu’il envisageait de maintenir les mesures restrictives sur la base de motifs modifiés par rapport à ceux retenus dans les actes de maintien de mars 2023. Le Conseil a joint à ce courrier le dossier WK 8181/2023 INIT, du 15 juin 2023 (ci-après le « dossier de preuves de juin 2023 »), et a invité la requérante à formuler ses observations sur le projet de renouvellement des mesures restrictives à son égard.
21 Par courrier du 10 juillet 2023, le Conseil a informé la requérante qu’il envisageait de maintenir les mesures restrictives sur la base d’un projet de motifs modifié par rapport à celui envisagé dans le projet qui lui avait été transmis le 19 juin 2023. Le Conseil a également joint à ce courrier le dossier WK 5142/2023 INIT, du 4 juillet 2023, relatif à des informations additionnelles concernant la requérante (ci-après le « dossier de preuves de juillet 2023 ») ainsi que le dossier
WK 5142/2023 INIT, du 20 avril 2023, concernant les preuves sur l’environnement des affaires et l’économie de la Fédération de Russie et a invité la requérante à formuler ses observations sur le projet de renouvellement des mesures restrictives à son égard.
22 Par courrier du 18 août 2023, le Conseil a communiqué à la requérante le dossier WK 5142/2023 ADD 1, du 16 août 2023, concernant les preuves sur l’environnement des affaires et l’économie de la Fédération de Russie et a invité à la requérante à formuler des observations.
23 Par les actes de maintien de septembre 2023, le Conseil a maintenu le nom de la requérante sur les listes litigieuses aux motifs suivants :
« [La requérante] est la fille de Nikolay Tokarev, le PDG de Transneft, grande compagnie pétrolière et gazière russe. [La requérante] et son ex-mari, Andrei Bolotov, possèdent des biens immobiliers de luxe à Moscou, en Lettonie et en Croatie, d’une valeur supérieure à 50 millions d’e dollars US, qui peuvent être liés à Nikolay Tokarev. Elle a également des liens avec la société Ronin, qui gère le fonds de pension de Transneft. Lorsqu’elle a demandé la citoyenneté chypriote, elle a indiqué
l’adresse de Ronin Europe comme étant la sienne dans l’annonce parue dans la presse. En outre, elle est liée au Ronin Trust, qui gère le fonds de pension de Transneft, par l’intermédiaire de sa société immobilière Ostozhenka 19 (anciennement appelée RPA Est[ate]). [La requérante] est donc membre de la famille proche de Nikolay Tokarev, un homme d’affaires influent exerçant des activités en Russie, et elle en tire avantage. »
III. Conclusions des parties
24 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler les actes attaqués en tant qu’ils la concernent ;
– condamner le Conseil à lui verser une somme de 1000000 euros au titre de l’indemnisation de son préjudice moral résultant de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022 ;
– condamner le Conseil aux dépens.
25 Le Conseil, soutenu par la Commission, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter la demande en annulation ;
– à titre subsidiaire, dans l’éventualité où le Tribunal annulerait les mesures restrictives adoptées à l’égard de la requérante, ordonner que les effets des décisions 2022/1530, 2023/572 et 2023/1767 soient maintenus jusqu’à ce que l’annulation partielle des règlements d’exécution 2022/1529, 2023/571 et 2023/1765 prenne effet ;
– rejeter la demande en indemnité ;
– condamner la requérante aux dépens.
IV. En droit
A. Sur la demande en annulation des actes attaqués
26 À l’appui de son recours, la requérante invoque six moyens.
27 Dans sa requête, la requérante soulève quatre moyens. Le premier est tiré d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective et de l’obligation de motivation. Le deuxième est tiré d’une erreur de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation. Le troisième est tiré d’une violation du principe de proportionnalité et des droits fondamentaux. Le quatrième est tiré d’une violation du principe de sécurité juridique et d’égalité de traitement. Dans son premier mémoire en adaptation, la
requérante soulève un cinquième moyen, tiré d’une violation du droit d’être entendu. Dans son second mémoire en adaptation, la requérante soulève un sixième moyen, tiré d’une exception d’illégalité du critère désignant les personnes qui tirent avantage d’une femme ou d’un homme d’affaires influents exerçant des activités en Russie, prévu dans le deuxième volet de l’article 1, paragraphe 1, sous e), et de l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145, telle que modifiée par la
décision 2023/1094 [ci-après le « deuxième volet du critère g) modifié »].
28 Le Tribunal juge opportun d’examiner d’abord le deuxième moyen tiré d’une erreur de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation.
1. Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation
29 Dans sa requête et dans son premier mémoire en adaptation, la requérante fait valoir que, par l’adoption des actes de maintien de septembre 2022 et de mars 2023, le Conseil a commis une erreur de droit et des erreurs manifestes d’appréciation en maintenant son nom sur les listes litigieuses sur le fondement du critère de la personne associée, prévu à l’article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145, telle que modifiée. En outre, dans sa requête, elle conteste l’inscription éventuelle
de son nom sur le fondement du critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous d), de ladite décision.
30 Dans son second mémoire en adaptation, la requérante soutient que, dans les actes de maintien de septembre 2023, le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en ce que l’inscription de son nom sur les listes litigieuses a été maintenue sur le fondement du deuxième volet du critère g) modifié.
a) Considérations liminaires
31 Il importe de relever que, en tant que le présent moyen est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation, celui-ci doit être considéré comme étant tiré d’erreurs d’appréciation. En effet, s’il est vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la
légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 61 et jurisprudence citée).
32 L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte
que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme étant suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674,
point 62).
33 Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne ou l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en
général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée ; voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, points 63 et 66).
34 C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. À cette fin, il n’est pas requis que le Conseil produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe
que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, points 66 et 67 ; voir, également, arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 73 et jurisprudence citée).
35 Dans cette hypothèse, il incombe au juge de l’Union de vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et d’apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).
36 S’agissant, plus particulièrement, du contrôle de légalité exercé sur les actes de maintien du nom de la personne concernée sur les listes litigieuses, il convient de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est
ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2022,
Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 55 et jurisprudence citée ; arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 67).
37 Il en résulte que, pour justifier le maintien du nom d’une personne sur une liste des personnes et des entités faisant l’objet de mesures restrictives, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve que ceux ayant justifié l’inscription initiale, la réinscription ou le maintien précédent du nom de la partie requérante sur ladite liste, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription demeurent inchangés et que, d’autre part, le contexte n’ait pas évolué d’une
manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 99). À ce titre, l’évolution du contexte inclut la prise en considération, d’une part, de la situation du pays à l’égard duquel le système de mesures restrictives a été établi ainsi que de la situation particulière de la personne concernée (voir, en ce sens, arrêts du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié,
EU:T:2022:674, point 78, et du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 101), et, d’autre part, de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, de l’absence de réalisation des objectifs visés par les mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 56 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 82 à 84 et
jurisprudence citée).
38 En l’espèce, il ressort clairement des motifs d’inscription des actes de maintien de septembre 2022 et de mars 2023 que le nom de la requérante a été maintenu sur les listes litigieuses sur le seul fondement du critère de la personne associée prévu à l’article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145, telle que modifiée. Le Conseil a confirmé que l’inscription et le maintien du nom de la requérante sur lesdites listes n’avaient pas pour base légale le critère prévu à l’article 2,
paragraphe 1, sous d), de ladite décision. Il en résulte que les arguments visant à contester le maintien de l’inscription du nom de la requérante sur le fondement du critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous d), de la décision 2014/145, telle que modifiée, sont inopérants.
39 C’est à la lumière de ces considérations liminaires qu’il convient de vérifier si le Conseil a commis une erreur d’appréciation en décidant, d’une part, de maintenir, par l’adoption des actes de maintien de septembre 2022 et de mars 2023, le nom de la requérante sur les listes litigieuses sur le fondement du critère de la personne associée prévu à l’article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145, telle que modifiée, et, d’autre part, de maintenir, par l’adoption des actes de maintien
de septembre 2023, son nom sur lesdites listes sur le fondement du deuxième volet du critère g) modifié.
40 Il ressort des actes de maintien de septembre 2022 et de mars 2023 que le nom de la requérante a été inscrit sur le fondement du critère de la personne associée au motif qu’elle entretiendrait un lien d’association, d’une part, avec son père, M. Nikolay Tokarev, et, d’autre part, avec M. Stanislav Chemezov.
41 Le Tribunal estime opportun d’examiner d’abord l’argumentation tirée, en substance, d’une erreur de droit en tant que la requérante a été inscrite sur les listes litigieuses en qualité de personne associée à M. Stanislav Chemezov, lequel est également inscrit sur les listes litigieuses en qualité de personne associée.
b) Sur l’erreur de droit, fondée sur l’inscription de la requérante en tant que personne associée à M. Stanislav Chemezov
42 La requérante soutient que le Conseil a commis une erreur de droit en l’inscrivant sur les listes litigieuses en tant que personne associée à M. Stanislav Chemezov, notamment au motif que celui-ci a également été inscrit sur les listes litigieuses en tant que personne associée à son propre père, M. Serguey Chemezov. Selon la requérante, la réglementation ne prévoit pas la possibilité d’inscrire sur les listes litigieuses le nom d’une personne au motif qu’elle est associée à une personne dont le
nom y est également inscrit sur le fondement du critère de la personne associée. Selon elle, le critère de la personne associée permet uniquement d’inscrire une personne sur lesdites listes en qualité d’associée à une personne visée aux dispositions sous a), b), c), d) e), ou f) de l’article 2, paragraphe 1, de la décision 2014/145. En outre, dans son premier mémoire en adaptation des conclusions, la requérante fait valoir que l’impossibilité d’inscrire une personne sur les listes litigieuses en
tant qu’associée d’une personne également inscrite sur ces listes en tant qu’associée est cohérente avec la jurisprudence qui exige l’existence d’un lien suffisant entre l’entité sujette à des mesures de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues.
43 Par mesure d’organisation de la procédure, le Tribunal a demandé au Conseil d’indiquer le fondement sur lequel une personne pouvait être inscrite sur les listes litigieuses en tant que personne associée à une autre personne également inscrite sur lesdites listes en qualité de personne associée à une personne tierce.
44 Lors de l’audience, le Conseil a soutenu qu’il n’était pas exclu que la désignation d’une personne associée à une personne elle-même désignée en tant que personne associée à une personne inscrite sur les listes litigieuses puisse être justifiée sous réserve qu’une telle désignation soit proportionnée pour atteindre les objectifs poursuivis pas les mesures restrictives. Selon le Conseil, tel serait le cas en présence d’un schéma caractérisé par un réseau de relations entre une pluralité de
personnes dans lequel l’association principale de deux personnes, elles-mêmes associées à d’autres personnes, relève d’un « maillage plus global » qu’il est justifié de saisir à travers les mesures restrictives afin d’éviter, notamment, le contournement des mesures restrictives.
45 À cet égard, s’agissant du critère de la personne associée, prévu à l’article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145, telle que modifiée, il y a lieu de souligner que, bien que la notion d’« association » soit souvent employée dans les actes du Conseil relatifs aux mesures restrictives, elle n’est pas en tant que telle définie et sa signification dépend des contextes et des circonstances en cause (voir, en ce sens, arrêts du 28 juillet 2016, Tomana e.a./Conseil et Commission,
C‑330/15 P, non publié, EU:C:2016:601, point 48 ; du 4 septembre 2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, non publié, EU:T:2015:596, point 114, et du 21 juillet 2016, Bredenkamp e.a./Conseil et Commission, T‑66/14, EU:T:2016:430, points 35 à 37). Toutefois, il peut être admis qu’il s’agit de personnes qui sont, de façon générale, liées par des intérêts communs (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2023, Prigozhina/Conseil, T‑212/22, non publié, EU:T:2023:104, point 93 et jurisprudence citée).
46 En ce qui concerne la portée du critère de la personne associée, il ressort du libellé de l’article 2, paragraphe 1, de la décision 2014/145, telle que modifiée, que sont gelés les fonds et ressources économiques appartenant, d’une part, aux personnes désignées sur le fondement des critères de désignation prévus aux dispositions sous a) à h) de l’article 2, paragraphe 1, de cette même décision et, d’autre part, aux personnes physiques et morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont
associés. Il y a lieu de relever que le terme « leur » dans l’expression « qui leur sont associés », employée dans le critère de la personne associée, vise uniquement les personnes, entités ou organismes désignés sur le fondement de l’un des critères de désignation prévus aux dispositions sous a) à h) de l’article 2, paragraphe 1, de ladite décision.
47 Ainsi, il résulte d’une interprétation littérale de l’article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145, telle que modifiée, que, ainsi que le fait valoir à bon droit la requérante, une personne physique ou morale, une entité ou un organisme peut uniquement être inscrit sur les listes litigieuses en raison d’un lien d’association avec une autre personne physique ou morale, entité ou organisme inscrit sur lesdites listes sur le fondement d’un ou de plusieurs critères de désignation prévus
aux dispositions sous a) à h) de l’article 2, paragraphe 1, de cette décision.
48 Certes, ainsi que le relève le Conseil, le critère de la personne associée vise toute personne qui présente un lien d’association avec une personne inscrite sur les listes litigieuses sur le fondement d’un ou de plusieurs critères prévus aux dispositions sous a) à h) de l’article 2, paragraphe 1, de la décision 2014/145, telle que modifiée, en raison de l’existence d’un risque non négligeable que, pour contourner les mesures restrictives qui les visent, les personnes sanctionnées sur le fondement
d’un ou de plusieurs de ces critères exercent des pressions sur les personnes auxquelles elles sont liées (voir, par analogie, arrêts du 4 septembre 2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, non publié, EU:T:2015:596, point 114, et du 18 mai 2022, Foz/Conseil, T‑296/20, EU:T:2022:298, point 174).
49 Toutefois, l’argument du Conseil, fondé sur le risque de contournement et sur la nécessité d’appréhender une pluralité de personnes relevant d’un « maillage » global ne saurait en soi justifier d’élargir la portée du critère d’association au point de l’appliquer au lien d’association avec une personne qui ne serait pas elle-même inscrite sur la base de l’un des critères prévus aux dispositions sous a) à h) de l’article 2, paragraphe 1, de la décision 2014/145, telle que modifiée.
50 En effet, une telle interprétation donnerait une portée excessivement large au lien d’association et ne tiendrait pas compte de la lettre de l’article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145, telle que modifiée, ainsi que de l’exigence d’un lien suffisant entre les personnes concernées et le pays tiers qui est la cible des mesures restrictives adoptées par l’Union, au sens du point 64 de l’arrêt du 13 mars 2012, Tay Za/Conseil (C‑376/10 P, EU:C:2012:138). Il s’ensuit que, en l’espèce,
dès lors que M. Stanislav Chemezov avait été inscrit sur les listes litigieuses en tant que personne associée à son père, M. Serguey Chemezov, le Conseil n’était pas fondé à inscrire la requérante sur les listes litigieuses en tant que personne associée à M. Stanislav Chemezov.
51 Il résulte des considérations qui précèdent que, par les actes de maintien de septembre 2022 et de mars 2023, le Conseil a commis une erreur de droit en maintenant le nom de la requérante sur les listes litigieuses sur le fondement d’un lien d’association avec M. Stanislav Chemezov.
52 Il convient de relever que cette erreur de droit commise par le Conseil ne saurait, à elle seule, conduire à l’annulation des actes de maintien de septembre 2022 et de mars 2023. En effet, selon la jurisprudence, s’agissant du contrôle de la légalité d’une décision adoptant des mesures restrictives, et eu égard à leur nature préventive, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une
base suffisante pour soutenir cette décision, le fait que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 et jurisprudence citée).
53 Dès lors, il convient de vérifier si le Conseil a commis une erreur d’appréciation en concluant que la requérante était une personne associée à son père, M. Tokarev.
c) Sur l’erreur d’appréciation en tant que la requérante a été inscrite en tant que personne associée à son père
54 Il y a lieu d’examiner séparément les actes de maintien de septembre 2022 et les actes de maintien de mars 2023, dans la mesure où ils ont été adoptés à des dates différentes et ne reposent ni sur des motifs ni sur une base documentaire strictement identiques.
1) Sur les actes de maintien de septembre 2022
55 Par son argumentation, la requérante conteste la fiabilité de certaines pièces du dossier de preuves initial ainsi que la possibilité de prendre en compte l’annexe B.5 et elle soutient que la base factuelle est insuffisante pour justifier le maintien de son inscription en qualité de personne associée à son père.
i) Sur la fiabilité des éléments du dossier de preuves initial
56 La requérante conteste la fiabilité de la pièce no 6 du dossier de preuves initial au motif que l’affirmation selon laquelle son père aurait confié à son ex-époux la gestion de la société Katina est erronée. Elle considère également que les pièces nos 12 et 15 du dossier de preuves initial ne sont pas fiables du fait que les allégations qui y sont émises sont vagues et reposent sur des indices qui n’apparaissent pas comme étant suffisamment solides pour les étayer, tels que des numéros de
téléphone ou des informations publiées sur Internet. Par ailleurs, la requérante fait valoir que les articles publiés par le Moscow Post sont dépourvus de fiabilité du fait que ce média est connu pour la publication de documents diffamatoires, ainsi que cela ressort de récentes condamnations par la justice.
57 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.
58 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’activité du juge de l’Union est régie par le principe de libre appréciation des preuves et le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. À cet égard, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y figure en tenant compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration ainsi que
de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable [voir arrêts du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 107 et jurisprudence citée, et du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 95 (non publié) et jurisprudence citée].
59 En l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse, des rapports des services secrets ou d’autres sources d’information similaires (arrêts du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107, et du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 59).
60 En outre, il importe de relever que la situation de conflit dans laquelle la Fédération de Russie et l’Ukraine sont impliquées rend en pratique particulièrement difficile l’accès à certaines sources, l’indication expresse de la source primaire de certaines informations ainsi que l’éventuel recueil de témoignages de la part de personnes acceptant d’être identifiées. Les difficultés d’investigation qui s’ensuivent peuvent ainsi contribuer à faire obstacle à ce que des preuves précises et des
éléments d’information objectifs soient apportés (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 116 et jurisprudence citée).
61 En l’espèce, pour justifier le maintien de l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses par les actes de septembre 2022, le Conseil a fourni le dossier de preuves initial. Il convient de relever que, s’agissant du lien entre la requérante et son père, le Conseil s’est fondé sur des éléments d’information publiquement accessibles, à savoir, notamment :
– un article publié le 5 mars 2022 sur le site Internet Total Croatia News, intitulé « Les États-Unis bloquent la société de la fille d'un oligarque russe, propriétaire d’une villa à Lošinj », consulté le 5 avril 2022 (pièce no 1) ;
– un communiqué de presse du United States Department of the Treasury (département du Trésor des États-Unis d’Amérique), publié le 3 mars 2022, relatif aux sanctions adoptées contre des personnes et des institutions russes, consulté le 5 avril 2022 (pièce no 2) ;
– un article publié le 10 mars 2022 sur le site Internet du Evening Standard, intitulé « Quels oligarques russes ont été ajoutés à la liste des sanctions du Royaume-Uni ? », consulté le 7 avril 2022 (pièce no 3) ;
– une page du site Internet de l’Australian Department of Foreign Affairs and Trade (ministère des Affaires étrangères et du Commerce australien), publiée le 13 mars 2022, relative aux sanctions appliquées à la Russie, consultée le 7 avril 2022 (pièce no 4) ;
– un article publié le 6 mars 2022 sur le site Internet du World Law Group, intitulé « États-Unis : Les États-Unis imposent des sanctions supplémentaires et un contrôle des exportations à la Russie et au Bélarus », consulté le 7 avril 2022 (pièce no 5) ;
– un article publié le 4 mars 2022 sur le site Internet du Imperijal, intitulé « Les Russes sur liste noire font des affaires aux côtés de Plenkovic et du HDZ, ils ont aussi une villa impériale à Mali Lošinj », consulté le 7 avril 2022 (pièce no 6) ;
– une page du site Internet du gouvernement du Canada, publié le 24 février 2022, relative aux mesures économiques additionnelles adoptées en réponse à l’agression de l’Ukraine par la Russie, consultée le 11 avril 2022 (pièce no 8) ;
– une page du site Internet « acompromat.com » relative à la requérante, consultée le 11 avril 2022 (pièce no 9) ;
– un article publié le 15 mars 2022 sur le site Internet de Infobae, intitulé « Le Royaume-Uni annonce des sanctions à l’encontre de 350 autres personnes et entités russes », consulté le 5 avril 2022 (pièce no 11) ;
– un extrait d’une enquête réalisée par l’Organised Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP, Projet d’information sur la criminalité organisée et la corruption), publiée le 24 décembre 2016, intitulée « Les amis prospèrent grâce à la proximité du pouvoir de Poutine », consultée le 5 avril 2022 (pièce no 12) ;
– un article publié le 29 décembre 2016 sur le site Internet de LSM, intitulé « Lien entre l’immeuble de Jūrmala et l’ami de Poutine », consulté le 5 avril 2022 (pièce no 13) ;
– une page du site Internet Russian Asset Tracker relative à la société Katina, consultée le 12 avril 2022 (pièce no 14) ;
– un article publié 27 novembre 2016 sur le site Internet d’information Meduza, intitulé « Un gendre très riche. Comment s’organisent les affaires des proches du directeur de Transneft Nikolai Tokarev ? », consulté le 17 mai 2022 (pièce no 15) ;
– un article publié le 28 août 2020 sur le site Internet News Rambler, intitulé « Sortie de Shmatko vers le ‟méridien” de Guelendjik », consulté le 20 mai 2022 (pièce no 16) ;
– un article publié le 15 octobre 2019 sur le site Internet de Moscow Post, intitulé « Nikolai Tokarev et sa société Transneft n’ont pas réussi à rejeter la responsabilité de la qualité du pétrole sur leurs adversaires », consulté le 20 mai 2022 (pièce no 17).
62 Ainsi, la pièce no 6 du dossier de preuves initial est un article de presse publié sur le site Internet du Imperijal, intitulé « Les Russes sur liste noire font des affaires aux côtés de Plenković et du HDZ, ils ont aussi une villa impériale à Mali Lošinj ». Cette pièce concerne, notamment, la société Katina dont le siège est à Zagreb et qui détient une villa dénommée Karolina située à Mali Lošinj (Croatie) (ci-après la « villa Karolina). Il convient de relever que l’argument de la requérante
tiré de ce que cet article contiendrait une erreur n’est pas de nature à remettre en cause sa valeur probante. En effet, une telle argumentation relève de l’appréciation du caractère suffisant de la base factuelle du Conseil pour justifier son inscription.
63 En ce qui concerne l’argument tiré de ce que les allégations émises dans la pièce no 12, à savoir l’enquête de l’OCCRP intitulée « Les amis prospèrent grâce à la proximité du pouvoir de Poutine » et la pièce no 15, à savoir l’article publié sur site Internet d’information Meduza, intitulé « Un gendre très riche. Comment s’organisent les affaires des proches du chef de Transneft Nikolai Tokarev ? », sont vagues et reposent sur des indices qui n’apparaissent pas comme étant suffisamment solides
pour les étayer, ne saurait remettre en cause la force probante de ces éléments de preuve. En effet, compte tenu des difficultés d’accès aux informations évoquées au point 60 ci-dessus, le fait que des enquêtes ou des articles se fondent sur des données telles que des numéros de téléphone ou des informations disponibles sur des sites Internet n’est pas de nature à priver les pièces nos 12 et 15 de force probante.
64 De même, ne saurait prospérer l’argumentation selon laquelle, en substance, les articles publiés par le Moscow Post ne seraient pas fiables au motif que ce média a fait l’objet de plusieurs récentes condamnations en diffamation. En effet, le fait qu’un média ait été condamné à plusieurs reprises en diffamation n’implique pas que toutes ses publications soient dépourvues de fiabilité. En outre, en l’espèce, il y a lieu de constater que les jugements produits par la requérante ne concernent pas la
pièce no 17, à savoir l’article du Moscow Post intitulé « Nikolai Tokarev et sa société Transneft n’ont pas réussi à rejeter la responsabilité de la qualité du pétrole sur leurs adversaires ». Il s’ensuit que cet élément de preuve ne saurait être privé de force probante.
65 Au vu de ce qui précède, compte tenu du contexte caractérisant la situation de la Fédération de Russie et en l’absence de pouvoirs d’enquête du Conseil dans des pays tiers (voir points 59 et 60 ci-dessus), la valeur probante des pièces nos 6, 12, 15 et 17 du dossier de preuves initial ne saurait être écartée.
ii) Sur l’annexe B.5 du mémoire en défense
66 La requérante conteste la possibilité de prendre en compte l’annexe B.5 du mémoire en défense, laquelle contient l’intégralité du contenu de l’enquête dont un extrait est repris dans la pièce no 12 du dossier de preuves initial, au motif que la prise en compte de ladite annexe reviendrait à modifier le contenu du dossier de preuves initial.
67 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.
68 Selon une jurisprudence constante, la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté (arrêts du 3 septembre 2015, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 22, et du 8 mars 2023, Prigozhina/Conseil, T‑212/22, non publié, EU:T:2023:104, point 80).
69 Il y a également lieu de rappeler que le contrôle de la légalité au fond qui incombe au Tribunal doit être effectué, en ce qui concerne en particulier le contentieux des mesures restrictives, à l’aune non seulement des éléments figurant dans les exposés des motifs des actes litigieux, mais également de ceux que le Conseil fournit, en cas de contestation, au Tribunal pour établir le bien-fondé des faits allégués dans ces exposés (arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316,
point 64).
70 Il y a lieu de relever que, ainsi que le reconnaît la requérante, l’annexe B.5 contient la reproduction de l’intégralité de l’enquête réalisée par l’OCCRP, publiée le 24 décembre 2016, intitulée « Les amis prospèrent grâce à la proximité du pouvoir de Poutine », dont un extrait est reproduit dans la pièce no 12 du dossier de preuves initial. Ainsi que cela ressort dudit dossier, le Conseil a eu accès à cette enquête le 5 avril 2022 et, parmi les éléments d’identification de la source de cette
pièce, figure un hyperlien complet permettant d’accéder à l’intégralité du contenu de celle-ci. Dans ces conditions, la requérante ne saurait contester la possibilité de prendre en compte l’annexe B.5 du mémoire en défense (voir, par analogie, arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 55).
71 Il s’ensuit que l’annexe B.5 du mémoire en défense peut être prise en considération dans l’examen du bien-fondé du maintien de l’inscription de la requérante sur les listes litigieuses en qualité de personne associée à M. Tokarev.
iii) Sur le bien-fondé du maintien de l’inscription de la requérante en qualité de personne associée à son père
72 La requérante considère que le Conseil a commis une erreur quant à la valeur estimée de ses biens immobiliers et que, en tout état de cause, leur valeur n’est pas pertinente pour établir le lien d’association avec son père. En outre, elle fait valoir que la base documentaire du Conseil n’est pas suffisante pour constater que ses biens immobiliers peuvent être liés à son père. De plus, elle soutient que, à supposer même que la société Ronin Trust ait géré certains de ses biens immobiliers, cette
société ne permet pas d’établir un lien avec son père. En ce sens, elle considère que le fait que la société Ronin Trust ait géré le fonds de pension non gouvernemental de la société Transneft constitue un lien distendu et dépassé.
73 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.
74 En particulier, le Conseil relève qu’il ressort du dossier de preuves initial que la requérante détient ou qu’elle a détenu, seule ou avec son ex-époux, plusieurs sociétés et des biens immobiliers d’une valeur de plus de 50 millions de dollars des États-Unis (USD) (environ 45 millions d’euros) à Moscou (Russie). En tout état de cause, selon lui, la valeur du patrimoine de la requérante ne constitue pas un élément déterminant étant donné que, ce qui importe, c’est le constat selon lequel la
requérante est devenue une femme d’affaires prospère ayant fait fortune. En outre, le Conseil soutient qu’il ressort du dossier de preuves initial que la requérante est associée à son père en raison de son lien familial et du fait que sa fortune et ses affaires sont également liées à ce dernier. En particulier, il considère qu’il disposait d’un faisceau d’indices précis et concrets corroborant le fait que la requérante aurait fait fortune dans le domaine de l’immobilier en tirant profit des
fonctions de président-directeur général de Transneft exercées par son père. De plus, le Conseil soutient que la requérante est liée aux affaires de son père à travers la société Ronin, laquelle est liée à Transneft, ainsi que par un schéma de gestion familiale des affaires.
75 À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort des points 45 à 47 ci-dessus, le critère de la personne associée vise les personnes qui sont liées par des intérêts communs à une personne qui a été inscrite sur les listes litigieuses sur le fondement d’un ou de plusieurs critères de désignation prévus à l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de la décision 2014/145, telle que modifiée.
76 Il y a lieu de préciser que ces intérêts communs doivent s’entendre non seulement dans un sens strict, c’est-à-dire comme désignant des personnes dont les intérêts sont liés dans une structure juridique commune, mais aussi de manière plus large et s’agissant de personnes liées par un lien familial, lorsque l’existence objective d’une imbrication d’intérêts communs, qui n’est pas nécessairement formalisée dans une structure juridique créée à cet effet, est caractérisée (voir, en ce sens et par
analogie, arrêt du 6 septembre 2023, Timchenko/Conseil, T‑361/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2023:502, point 76).
77 En outre, dès lors que le critère de la personne associée est libellé au présent de l’indicatif, l’existence d’intérêts communs doit être établie au moment de l’adoption des actes attaqués (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2023, Prigozhina/Conseil, T‑212/22, non publié, EU:T:2023:104, point 92).
78 En l’espèce, la requérante ne conteste pas son lien de filiation avec son père, M. Tokarev, qui exerce les fonctions de président-directeur général de la société Transneft, laquelle est considérée comme étant une grande compagnie pétrolière et gazière russe. En revanche, elle soutient que la base factuelle du Conseil ne contient pas d’éléments suffisants pour établir un lien d’association avec son père.
79 Il ressort des motifs d’inscription en cause que les intérêts communs entre la requérante et son père résultent, d’une part, du fait que son important patrimoine immobilier à Moscou, en Croatie et en Lettonie pouvait être lié à son père et, d’autre part, des liens entre la requérante et la société Ronin, laquelle était présentée comme assurant la gestion du fonds de pension de la société Transneft.
80 En premier lieu, s’agissant du lien entre la requérante et la société Ronin Trust, il ressort, notamment, de la pièce no 15 du dossier de preuves initial que, lorsque la requérante était encore mariée à son ex-époux, la société Ronin Trust, qui gérait le fonds de pension de Transneft, assurait également la gestion des biens immobiliers du groupe de sociétés appelé RPA. Selon cet élément de preuve, l’ex-époux de la requérante détenait 100 % de la société RPA-Management, alors que la requérante
contrôlait 75 % de la société RPA-Estate et 50 % de la société RPA-Hotel Management. Il s’ensuit que le Conseil pouvait valablement considérer que, en 2016, il existait un lien entre la société Ronin Trust et les sociétés dans lesquelles la requérante avait détenu des participations, à savoir la société RPA-Hotel Management et la société RPA-Estate.
81 Toutefois, il ressort également de la pièce no 15 du dossier de preuves initial que, dans le domaine de la gestion de fonds de pension, la société Transneft n’était pas l’unique cliente, ni même la principale cliente, de la société Ronin Trust. Ce constat a été corroboré par les extraits des rapports annuels de la société Ronin Trust produits par la requérante (annexe A.11), desquels il ressort que cette société assure effectivement la gestion de fonds de pension d’autres entreprises que
Transneft. Or, outre le fait qu’aucun élément du dossier ne fournit d’informations sur les activités et l’organisation de la société Ronin Trust, le seul fait que la requérante et la société Transneft recourent aux services d’un même prestataire, lequel fournit ses services à d’autres sociétés tierces, ne saurait suffire pour établir l’existence d’un lien entre la requérante et la société Transneft. Lors de l’audience, dans sa réponse à une question du Tribunal l’invitant à expliquer de quelle
manière un lien pourrait être établi entre la requérante et son père par l’intermédiaire de la société Ronin Trust, alors que cette société gère les fonds de pension de plusieurs entreprises, le Conseil n’a pas été en mesure d’expliciter ce lien. En effet, il ne s’est prévalu d’aucun élément faisant état de participations de M. Tokarev dans le capital de la société Ronin Trust, ni d’une présence de celui-ci dans les organes de direction de cette société, ni d’une quelconque singularité des
relations d’affaires entre Ronin Trust et Transneft qui distingueraient ces relations de celles existantes entre la société Ronin Trust et les autres sociétés faisant partie de sa clientèle.
82 Par conséquent, la requérante est fondée à soutenir que le lien distendu entre Ronin Trust et Transneft n’est pas suffisant pour établir l’existence d’un lien entre ses activités et celles de son père.
83 En outre, s’agissant du fait exposé dans les motifs d’inscription, selon lequel l’adresse de Ronin Europe avait été mentionnée dans le cadre d’une procédure de naturalisation de la requérante en vue d’obtenir la nationalité chypriote, celui-ci n’est pas non plus de nature à établir l’existence d’intérêts communs entre la requérante et M. Tokarev. En effet, lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal visant à obtenir une clarification sur les liens entre Ronin Europe et Ronin Trust,
le Conseil a indiqué, en substance, avoir estimé que ces deux sociétés pouvaient être considérées comme étant liées. En outre, il y a lieu de constater que le Conseil ne se prévaut d’aucun élément qui permettrait d’établir un lien entre la société Ronin Europe et M. Tokarev. Par conséquent, pour les mêmes raisons que celles exposées au point 81 ci-dessus, le lien entre la requérante et la société Ronin Europe ne saurait prouver l’existence d’un lien entre la requérante et son père par
l’intermédiaire de la société Transneft.
84 Ainsi, c’est à tort que le Conseil s’était fondé sur les relations d’affaires de la requérante avec les sociétés Ronin Trust et Ronin Europe pour établir un lien avec M. Tokarev par l’intermédiaire de la société Transneft.
85 En deuxième lieu, il convient de vérifier si le dossier de preuves initial contient un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour établir l’existence de liens entre le patrimoine immobilier de la requérante et M. Tokarev au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022.
86 À titre liminaire, il y a lieu de constater que les parties principales sont en désaccord sur la valeur du patrimoine immobilier de la requérante. Dans les motifs d’inscription en cause, le Conseil avait estimé que le patrimoine immobilier de la requérante et de son ex-époux avait une valeur de plus de 50 millions d’USD (environ 45 millions d’euros) pour les biens situés à Moscou, en Croatie et en Lettonie. Toutefois, outre le fait que la requérante ne conteste pas que la valeur cumulée de son
patrimoine et de celui de son ex-époux est susceptible de dépasser 50 millions d’USD (environ 45 millions d’euros), il y a lieu de relever que la valeur du patrimoine de la requérante n’est pas déterminante pour justifier le maintien de son nom sur les listes litigieuses. En effet, il s’agit d’un élément de contexte destiné à indiquer, ainsi que le fait valoir le Conseil, que la requérante est une femme d’affaires prospère ayant, notamment, fait fortune dans le domaine de l’immobilier, ainsi que
cela ressort, notamment, des pièces nos 9 et 16 du dossier de preuves initial. Il en résulte qu’une éventuelle inexactitude quant à la valeur de son patrimoine ne saurait, à elle seule, mener à une annulation des actes de maintien de septembre 2022.
87 Il y a lieu de relever que la requérante reconnaît posséder la société Ostozhenka 19, laquelle détient une maison historique à Moscou, un appartement sis rue de Brusov à Moscou ainsi que la société Katina, qui détient une villa dénommée Karolina située à Mali Lošinj, en Croatie. Il ressort des éléments du dossier de preuves initial que chacun de ces biens immobiliers a une valeur de plusieurs millions de roubles russes (RUB). En effet, selon la pièce no 15, la maison historique à Moscou a été
acquise en 2016 pour un montant de 390 millions de RUB (environ 3,9 millions d’euros), selon la pièce no 14, la villa en Croatie a été évaluée à 4,1 millions d’USD (environ 3,8 millions d’euros) et, selon la pièce no 9, l’appartement sis rue de Brusov se trouve dans un immeuble dont certains biens valent au moins 315 millions de RUB (environ 3,15 millions d’euros). Compte tenu de la valeur de plusieurs millions d’euros de ce patrimoine immobilier, le Conseil pouvait valablement considérer que la
requérante possédait un patrimoine immobilier substantiel. Or, ainsi que le soutient à juste titre la requérante, en l’occurrence, la seule valeur de ses biens immobiliers ne suffit pas pour établir un lien d’association avec son père. Ainsi, il convient de vérifier si la base factuelle du Conseil permet d’étayer le constat selon lequel ce patrimoine immobilier de la requérante pouvait être lié à son père au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022.
88 Premièrement, en ce qui concerne le bien immobilier situé à Jūrmala, en Lettonie, lequel était détenu conjointement par la requérante et son ex-époux lorsqu’ils étaient mariés, il y a lieu de relever que le Conseil ne se prévaut d’aucun élément qui permettrait de lier ce bien à M. Tokarev. En outre, la requérante a produit un extrait d’un addendum au contrat postnuptial daté du 14 février 2019 (annexe A.9), attestant que, à la suite du divorce, toutes les parts de la société Dzintaru 34, laquelle
détenait ce bien immobilier, devaient être transférées à son ex-époux. Or, la requérante a divorcé en juin 2019, ce que le Conseil ne conteste pas. Par conséquent, il y a lieu de considérer que la requérante a démontré que, depuis juin 2019, elle n’avait plus aucun lien avec le bien immobilier situé en Lettonie. Il en résulte que, dès lors que l’existence d’intérêts communs doit être établie au moment de l’adoption des actes attaqués (voir point 77 ci-dessus), pour démontrer l’existence de tels
intérêts entre la requérante et son père par l’intermédiaire des biens immobiliers qu’elle détient, le Conseil ne saurait se fonder sur le bien immobilier en Lettonie étant donné que, au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022, la requérante n’en était plus propriétaire depuis plusieurs années.
89 Deuxièmement, s’agissant de la villa Karolina située dans la baie Čikat à Mali Lošinj, en Croatie, il y a lieu de relever que la requérante a produit un extrait de l’historique du registre du Trgovački Sud u Zagrebu (tribunal de commerce de Zagreb, Croatie) concernant la société Katina (annexe A.20), laquelle détient cette villa. Or, il ressort de ce document que la requérante est l’unique actionnaire de la société et que son père n’a jamais détenu de participations dans celle-ci. Il en résulte
que, en ce qui concerne ce bien immobilier, le Conseil ne saurait se prévaloir de l’existence d’un lien direct entre la requérante et son père. En outre, s’il est vrai que la pièce no 6 du dossier de preuves initial peut constituer un indice de l’existence d’une gestion familiale de ce bien immobilier du fait que M. Tokarev avait confié la direction de la société Katina à son ex-gendre, un tel indice ne saurait, à lui seul, être suffisant pour établir un lien entre le père de la requérante et la
villa Karolina pour la période postérieure à l’année 2019. En effet, étant donné que la requérante a divorcé en juin 2019, son ex-époux a quitté ses fonctions au sein de la société Katina la même année, ainsi que cela ressort de l’annexe A.20. Or, l’intervention de M. Tokarev dans la désignation de son ex-gendre en tant que membre du comité de direction de la société Katina avait nécessairement eu lieu bien avant l’année 2019. Ainsi, en l’absence d’autres preuves se rapportant à des faits plus
récents susceptibles d’établir la poursuite d’une gestion familiale de la villa Karolina impliquant M. Tokarev, il y a lieu de constater que le Conseil ne disposait d’aucun élément permettant d’établir l’existence, au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022, d’un lien entre le père de la requérante et la villa Karolina.
90 Troisièmement, quant au fait invoqué par le Conseil, selon lequel la famille Tokarev aurait acquis un complexe hôtelier d’une valeur de plusieurs milliards d’USD également situé en Croatie, certes, la pièce no 16 du dossier de preuves initial, à savoir un article de presse publié en 2020, évoque l’existence d’informations sur le fait que la famille Tokarev a acquis un complexe hôtelier à l’aide d’appels d’offres de la société Transneft. Toutefois, force est de constater que cet article ne
contient aucune précision sur la date à laquelle cette opération aurait eu lieu, pas plus qu’il ne spécifie quel membre de la famille Tokarev aurait acquis ce bien ni si ce membre en disposait encore au moment de la publication de l’article en 2020. En outre, il convient de relever que, contrairement à ce que soutient le Conseil, il ne ressort pas de manière évidente de l’annexe D.1 du mémoire en duplique, à savoir un article publié le 16 août 2016 sur le site Internet du Moscow Post, intitulé
« La ‟trompette d’or” de Nikolay Tokarev ? », que la requérante ou des membres de sa famille aient acquis un complexe hôtelier en contrepartie d’appels d’offres de Transneft. En effet, selon cet article, en 2005, la requérante a perçu des revenus d’une société dénommée Caprice-Stell qui détenait indirectement des participations dans une société hôtelière, laquelle était présentée comme étant la propriétaire d’un complexe hôtelier à Mali Lošinj. Ainsi, à supposer même que le fait que la requérante
ait perçu une rémunération de la société Caprice-Stell puisse être considéré comme constituant la preuve de l’acquisition d’un complexe hôtelier, il y a lieu de relever que, selon cet article publié dans le Moscow Post en 2016, l’opération impliquant des appels d’offres de Transneft dans le cadre de l’acquisition de biens immobiliers a été effectuée plusieurs années avant la parution de l’article. Or, il ne ressort pas de cet article que la requérante ait perçu une rémunération de la société
Caprice-Stell après l’année 2005. De plus, le Conseil n’a produit aucun autre élément tendant à démontrer que la requérante était encore propriétaire d’un complexe hôtelier en Croatie. Ainsi, eu égard à l’ancienneté des faits relatés dans les éléments produits par le Conseil, ce dernier ne saurait soutenir que, au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022, la requérante était propriétaire d’un complexe hôtelier en Croatie.
91 Quatrièmement, la requérante soutient que, depuis son divorce en juin 2019, elle n’a plus aucun lien avec les sociétés du groupe RPA de son ex-époux et que son patrimoine immobilier à Moscou se limite à une maison historique qu’elle détient par le biais de la société Ostozhenka 19 (anciennement dénommée RPA-Estate) ainsi qu’à un appartement sis rue de Brusov. Dès lors, en particulier s’agissant de la période postérieure à son divorce, la requérante conteste le lien entre ses biens immobiliers et
son père que le Conseil tente d’établir, sur le fondement de la pièce no 15 du dossier de preuves initial, par l’intermédiaire des sociétés du groupe RPA et Ronin Trust. À cet égard, il suffit de rappeler que le Conseil ne pouvait pas se fonder sur l’existence de relations d’affaires entre la requérante et la société Ronin Trust pour établir un lien entre la requérante et M. Tokarev par l’intermédiaire de la société Transneft (voir point 81 ci-dessus). Dès lors, la circonstance selon laquelle les
biens immobiliers de la requérante à Moscou avaient été gérés par la société Ronin Trust ne saurait constituer une preuve de ce que ces biens pouvaient être considérés comme étant liés à son père. Or, il y a lieu de constater que le dossier de preuves initial ne contient aucun autre élément de preuve qui permettrait d’établir un lien entre les biens de la requérante situés à Moscou et M. Tokarev.
92 Il résulte des considérations qui précèdent que les motifs sont entachés d’une erreur d’appréciation en tant qu’il est constaté que les biens immobiliers de la requérante pouvaient être liés à M. Tokarev au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022.
93 Les arguments du Conseil ne sauraient remettre en cause cette conclusion.
94 Premièrement, certes, comme le relève à juste titre le Conseil, selon les pièces nos 2, 3, 6, 9, 13 et 15 du dossier de preuves initial, le père de la requérante est décrit comme étant un proche de longue date de M. Vladimir Poutine et comme exerçant les fonctions de président-directeur général de l’une des plus importantes sociétés publiques de Russie. Toutefois, si cette information constitue un élément de contexte pertinent, elle n’est pas de nature à établir l’existence d’un lien entre le
patrimoine immobilier de la requérante et son père.
95 Deuxièmement, les pièces nos 1 à 3 et 6 du dossier de preuves initial font état, de manière générale et sans aucune autre précision, du fait que les membres de la famille de M. Tokarev ont tiré profit des liens de ce dernier avec M. Poutine ou du gouvernement russe et la pièce no 12 de ce dossier, dont le contenu intégral est repris à l’annexe B.5 du mémoire en défense, indique de façon générale que les membres de la famille de M. Tokarev ont accru leur richesse et possèdent des biens immobiliers
de valeur en Europe. Or, ainsi que le relève la requérante, les pièces nos 1 et 3 du dossier de preuves initial, lesquelles reprennent en substance le contenu d’un communiqué de presse du département du Trésor des États-Unis d’Amérique (pièce no 2), ne contiennent pas d’informations précises et concrètes démontrant que les biens immobiliers de la requérante seraient liés à M. Tokarev, en particulier au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022. De même, il a déjà été constaté
que la pièce no 6 du dossier de preuves initial ne contenait pas d’élément permettant d’établir ce lien au moment de l’adoption desdits actes (voir point 89 ci-dessus). Quant à la pièce no 12, dont le contenu est intégralement repris à l’annexe B.5 du mémoire en défense, il y a lieu de relever que les informations qu’elle contient sont sensiblement analogues à celles figurant dans la pièce no 15 du dossier de preuves initial. Par conséquent, pour les mêmes raisons que celles exposées au point 90
ci-dessus, la pièce no 12 du dossier de preuves initial ne contient pas d’éléments susceptibles d’établir un lien entre le patrimoine immobilier de la requérante et M. Tokarev au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022.
96 Troisièmement, s’agissant de l’existence d’un schéma de gestion familiale des affaires dans le domaine immobilier, certes, ainsi que le fait valoir le Conseil dans son mémoire en duplique, l’annexe D.1 contient des informations tendant à démontrer l’existence d’un tel schéma en ce qui concerne l’acquisition par la requérante et son ex-époux d’un bien immobilier non identifié en Croatie dans le cadre d’une opération impliquant des appels d’offres de Transneft. De même, un schéma de gestion
familiale des affaires peut également ressortir des informations figurant dans la pièce no 6 du dossier de preuves initial en raison de l’intervention de M. Tokarev dans la gestion de la société Katina qui détient la villa Karolina. Toutefois, ainsi que cela a été relevé aux points 89 et 90 ci-dessus, ces faits remontent à plusieurs années avant l’adoption des actes de maintien de septembre 2022. Or, il y a lieu de constater que le Conseil n’a apporté aucun élément qui tendrait à démontrer la
persistance d’un schéma de gestion familiale dans des affaires immobilières impliquant la requérante et son père au moment de l’adoption desdits actes.
97 S’agissant de la prétendue persistance de la gestion familiale des affaires dans le domaine immobilier, c’est à tort que le Conseil s’est prévalu, lors de l’audience, de l’existence d’un tel schéma de gestion en ce qui concerne le complexe immobilier Gelendzhik Resort Meridian situé en Russie. En effet, ce bien immobilier n’était pas mentionné dans les motifs d’inscription des actes de maintien de septembre 2022, de sorte que le Conseil ne saurait se prévaloir de cet élément, sauf à admettre une
substitution de motifs. En tout état de cause, il ressort des pièces nos 9 et 16 du dossier de preuves initial que la requérante détient des participations dans ce complexe immobilier avec M. Stanislav Chemezov et le Conseil n’a pas démontré que ce bien pouvait être lié à M. Tokarev.
98 Quatrièmement, contrairement à ce que soutient le Conseil, le fait que M. Tokarev serait toujours lié à M. Poutine, qu’il occupe encore les fonctions de président-directeur général de Transneft et que la requérante détient toujours des biens immobiliers ne saurait suffire pour justifier le maintien de son nom sur les listes litigieuses sur le fondement du critère de la personne associée. En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 77 ci-dessus, le Conseil est tenu d’établir l’existence
d’intérêts communs au moment de l’adoption des actes attaqués. Or, il y a lieu de relever que le Conseil n’a pas démontré que, au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022, le patrimoine immobilier de la requérante pouvait être lié à son père.
99 En troisième lieu, en ce qui concerne les pièces nos 2 à 5, 8 et 11 du dossier de preuves initial, lesquelles concernent les mesures restrictives adoptées à l’égard de la requérante par l’Australie, le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni, s’il est vrai que de tels éléments peuvent constituer des éléments de contexte pertinents, ils ne sont toutefois pas de nature, à eux seuls, à justifier l’inscription et le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses. En effet, ainsi que l’a
démontré la requérante, dans ces pays tiers, les membres de la famille de personnes visées par des mesures restrictives sont susceptibles de faire également l’objet de mesures restrictives sur le seul fondement d’un lien familial. Certes, dans le cadre des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie, il a été jugé que, lorsque les fonds des personnes sanctionnées étaient gelés, il existait un risque non négligeable que celles-ci exercent des pressions sur les personnes qui leur
étaient liées pour contourner l’effet des mesures qui les visaient (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2021, Sharif/Conseil, T‑540/19, non publié, EU:T:2021:220, point 159). Toutefois, force est de constater que, dans ledit régime, le critère d’inscription était différent de celui applicable en l’espèce. En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la législation prévoyait explicitement des restrictions et le gel des fonds, notamment, des « femmes et hommes d’affaires influents
exerçant leurs activités en Syrie » et des « membres des familles Assad ou Makhlouf » ainsi que des « personnes qui leur [étaient] liées ». Dans ce cadre juridique, le lien familial avec ces familles pouvait suffire pour inscrire le nom des personnes sur les listes en cause sur la base du « critère du lien avec des membres [de ces] familles ». En revanche, tel n’est pas le cas lorsque, comme en l’espèce, la réglementation ne fait pas explicitement référence aux membres de certaines familles
nommément désignées parmi les critères d’inscription (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2023, Pumpyanskiy/Conseil, T-734/22, non publié, EU:T:2023:761, point 70).
100 Il résulte des considérations qui précèdent que le Conseil n’a pas démontré l’existence d’intérêts communs liant la requérante à son père au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022. Par conséquent, le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses reposait de facto sur le seul lien familial avec son père, ce qui ne saurait être admis.
101 Au vu des considérations qui précèdent, en ce qui concerne les actes de maintien de septembre 2022, dès lors qu’il a été constaté que le Conseil a commis une erreur de droit en maintenant le nom de la requérante sur les listes litigieuses en qualité de personne associée à M. Stanislav Chemezov (voir points 45 à 52 ci-dessus) et que les motifs figurant dans lesdits actes ne sont pas étayés à suffisance de droit en ce qui concerne le lien d’association de la requérante avec son père, M. Tokarev,
il y a lieu de conclure que le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses n’était pas justifié.
102 Partant, il y a lieu d’accueillir le moyen tiré d’une erreur de droit et d’erreurs d’appréciation en tant que ce moyen est dirigé contre les actes de maintien de septembre 2022.
2) Sur les actes de maintien de mars 2023
103 Dans son premier mémoire en adaptation, la requérante conteste la fiabilité d’un élément produit par le Conseil dans le dossier de preuves WK 1128/2023 INIT et soutient que les dossiers de preuves de janvier 2023 ne constituent pas une base factuelle suffisante pour justifier le maintien de son nom sur les listes litigieuses en qualité de personne associée à son père.
i) Sur la fiabilité des éléments de preuve
104 La requérante fait valoir que la pièce no 4 du dossier de preuves WK 1128/2023 INIT, qui fait état de ce que la famille Tokarev aurait acquis une entreprise hôtelière en Croatie d’une valeur de plusieurs milliards d’USD avec l’aide de l’appel d’offres de Transneft, n’est pas fiable au motif qu’elle ne se fonde sur aucune preuve. De plus, la requérante relève que les auteurs de cet article se fondent sur un article du média Moscow Post, lequel ne cite pas ses sources et ne serait pas une source
fiable au motif qu’il a fait l’objet de plusieurs condamnations récentes en diffamation.
105 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.
106 En l’espèce, pour justifier le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses par les actes de maintien de mars 2023, le Conseil a fourni les dossiers de preuves de janvier 2023. Il convient de relever que, s’agissant du lien entre la requérante et son père, le Conseil s’est fondé sur des éléments d’information publiquement accessibles, à savoir, notamment, dans le dossier WK 1128/2023 INIT, sur les éléments suivants :
– une page du site Internet « list-org » relative à la requérante, dont la date de publication n’est pas précisée, consultée le 19 janvier 2023 (pièce no 1) ;
– une page du site Internet « list-org » relative à la société Ostozhenka 19, dont la date de publication n’est pas précisée, consultée le 19 janvier 2023 (pièce no 3) ;
– un article publié le 28 août 2020 sur le site Internet du Moscow Post, intitulé « Sortie de Shmatko vers le ‟meridian” de Gelendzhik : Le complexe touristique de Gelendzhik Meridian a rassemblé la crème des milieux d’affaires autour de l’ex-ministre de l’Énergie Sergei Shmatko et des enfants de Tokarev et Chemezov. Manturov rejoindra-t-il le trio ? », consulté le 19 janvier 2023 (pièce no 4) ;
– un article publié le 20 mars 2022 sur le site Internet de Re:Baltica, intitulé « Qui sont les membres de l’entourage de Poutine qui possèdent des propriétés en Lettonie ? », consulté le 18 janvier 2023 (pièce no 7).
107 Le dossier WK 1128/2023 ADD 1 contient une enquête réalisée par l’OCCRP intitulée « Les amis prospèrent grâce à la proximité du pouvoir de Poutine », publiée le 24 décembre 2016 et consultée le 27 janvier 2023 ;
108 Le dossier WK 1128/2023 ADD 2 contient un résumé d’un document confidentiel relatif aux entreprises détenues par la requérante inscrites en Russie au registre du commerce.
109 En ce qui concerne la fiabilité de la pièce no 4 du dossier WK 1128/2023 INIT, à savoir un article intitulé « Sortie de Shmatko vers le ‟meridian” de Gelendzhik : Le complexe touristique de Gelendzhik Meridian a rassemblé la crème des milieux d’affaires autour de l’ex-ministre de l’Énergie Sergei Shmatko et des enfants de Tokarev et Chemezov. Manturov rejoindra-t-il le trio ? », il y a lieu de relever que l’argument de la requérante selon lequel l’article ne contiendrait aucune preuve ne saurait
suffire pour le priver de valeur probante. En outre, ainsi que le reconnaît la requérante, cet article se fonde sur un autre article du Moscow Post que le Conseil a produit à l’annexe D.1 de son mémoire en duplique. En ce qui concerne ce dernier article, le fait qu’il ne cite pas ses sources ne saurait, à lui seul, le priver de valeur probante. De plus, le fait qu’un média ait fait l’objet de plusieurs condamnations en diffamation n’implique pas que toutes ses publications soient dépourvues de
fiabilité.
110 Compte tenu du contexte caractérisant la situation de la Fédération de Russie et en l’absence de pouvoirs d’enquête du Conseil dans des pays tiers (voir points 59 et 60 ci-dessus), la valeur probante de la pièce no 4 du dossier WK 1128/2023 INIT ne saurait être écartée.
ii) Sur le bien-fondé du maintien de l’inscription de la requérante en qualité de personne associée à son père
111 La requérante considère que le Conseil ne dispose pas d’une base factuelle suffisamment solide pour étayer les motifs d’inscription des actes de maintien de mars 2023. En particulier, elle considère que les nouveaux éléments de preuve ne sont pas de nature à étayer le constat selon lequel ses biens immobiliers pouvaient être liés à son père. En outre, elle conteste la modification des motifs d’inscription faisant état de ce qu’elle serait liée à la société Ronin Trust par l’intermédiaire de la
société Ostozhenka 19 (anciennement appelée RPA Estate). En tout état de cause, elle fait valoir que le lien avec la société Ronin Trust sur lequel se fonde le Conseil est distendu et spéculatif, de sorte qu’il ne saurait justifier le maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses sur le fondement du critère de la personne associée.
112 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.
113 En particulier, le Conseil soutient qu’il a démontré que la requérante était associée à M. Tokarev en raison de son lien familial avec ce dernier et du fait que sa fortune était liée à celui-ci. En particulier, il estime que certains éléments des dossiers de preuves de janvier 2023 corroborent les informations du dossier de preuves initial concernant les liens entre M. Tokarev, M. Poutine et l’acquisition, notamment par la requérante, d’importants actifs immobiliers. En outre, en ce qui concerne
le lien entre la requérante et la société Ronin Trust, le Conseil considère que la requérante n’a pas démontré l’absence de liens avec la société Ostozhenka 19 (anciennement dénommée RPA-Estate) et RPA-Hotel Management.
114 Il convient de relever que, en ce qui concerne les liens entre la requérante et son père, les motifs d’inscription des actes de maintien de mars 2023 sont sensiblement analogues à ceux des actes de maintien de septembre 2022. D’une part, le maintien du nom de la requérante sur lesdites listes était justifié par le fait que son patrimoine immobilier pouvait être lié à son père. Ce premier motif n’a pas fait l’objet de modifications substantielles. D’autre part, le maintien du nom de la requérante
sur les listes litigieuses a également été justifié par l’existence de liens entre la requérante et la société Ronin, laquelle était présentée comme assurant la gestion des fonds de pension de la société Transneft. Dans ce second motif, le Conseil a précisé que la requérante était liée à Ronin Trust par l’intermédiaire de la société Ostozhenka 19.
115 En premier lieu, il convient de rappeler que les relations d’affaires de la requérante avec les sociétés Ronin Trust et Ronin Europe ne sont pas de nature à établir l’existence d’intérêts communs entre la requérante et son père par l’intermédiaire de la société Transneft (voir points 80 à 84 ci-dessus). Le Conseil n’a pas apporté d’éléments, dans les dossiers de preuves de janvier 2023, permettant de modifier cette conclusion.
116 Il en résulte, d’une part, que, pour justifier le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses, le Conseil ne pouvait pas se fonder sur le fait que la société Ronin Trust avait géré les biens immobiliers des sociétés RPA-Estate et RPA-Hotel Management ni sur un prétendu lien entre la requérante et la société Ronin Trust par l’intermédiaire de la société Ostozhenka 19. D’autre part, le Conseil ne pouvait pas non plus se fonder sur le fait que l’adresse de la société Ronin Europe
avait été mentionnée dans le cadre de la procédure de naturalisation de la requérante en vue de l’obtention de la nationalité chypriote.
117 Par conséquent, les arguments du Conseil tendant à démontrer l’existence de liens entre la requérante et la société Ronin Europe ainsi que ceux relatifs à la persistance de relations d’affaires entre elle et la société Ronin Trust ne sauraient prospérer pour justifier le bien-fondé des actes de maintien de mars 2023.
118 En deuxième lieu, s’agissant du lien entre le patrimoine immobilier de la requérante et M. Tokarev, le Conseil fait valoir que la pièce no 7 du dossier WK 1128/2023 INIT, à savoir un article de presse publié en mars 2022 relatif au bien que la requérante détenait en Lettonie, corroborerait les éléments du dossier de preuves initial quant au fait que les liens entre M. Tokarev et M. Poutine ont permis à la famille Tokarev d’acquérir d’impressionnants actifs immobiliers. Certes, cet article évoque
le fait que la famille Tokarev a tiré profit des liens entre M. Tokarev et M. Poutine pour acquérir d’importants actifs. De même, il indique que la requérante et son ex-époux avaient acquis leur fortune lorsqu’ils étaient encore mariés, notamment grâce à des contrats conclus entre la société Transneft et les sociétés de l’ex-époux de la requérante. Toutefois, il y a lieu de relever que cet article se rapporte à des faits qui se sont déroulés plusieurs années avant l’adoption des actes de
maintien de mars 2023 étant donné qu’il évoque la situation de la requérante avant son divorce en juin 2019. Par ailleurs, cet article confirme que, depuis ce divorce, la requérante n’est plus propriétaire du bien qu’elle détenait avec son ex-époux en Lettonie. Dès lors, si cet article pourrait tout au plus constituer un élément de contexte tendant à démontrer que, par le passé, il pouvait exister un schéma de gestion familiale des affaires, en revanche, il ne saurait constituer un élément de
preuve permettant d’établir un lien entre le patrimoine immobilier de la requérante et M. Tokarev au moment de l’adoption des actes de maintien de mars 2023.
119 Pour établir un lien entre le patrimoine immobilier de la requérante et son père, le Conseil se prévaut également de la pièce no 4 du dossier WK 1128/2023 INIT, laquelle, à l’instar de la pièce no 16 du dossier de preuves initial, évoque l’existence d’informations sur le fait que la famille Tokarev aurait acquis un complexe hôtelier d’une valeur de plusieurs milliards d’USD en Croatie à l’aide d’appels d’offres de Transneft. Or, il y a lieu de constater que cette pièce ne contient aucun élément
de précision par rapport aux pièces du dossier de preuves initial se rapportant à la prétendue acquisition d’un complexe hôtelier par les membres de la famille Tokarev. Par conséquent, pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 90 et 96 ci-dessus, cette pièce n’est pas susceptible de constituer une preuve pour établir un lien entre le patrimoine immobilier de la requérante et son père au moment de l’adoption des actes de maintien de mars 2023.
120 Il y a lieu de constater qu’aucun autre élément des dossiers de preuve de janvier 2023 n’est susceptible de démontrer l’existence d’un lien entre le patrimoine immobilier de la requérante et M. Tokarev au moment de l’adoption des actes de maintien de mars 2023. Par conséquent, les motifs sont entachés d’une erreur d’appréciation en tant qu’il est constaté que les biens immobiliers de la requérante pouvaient être liés à M. Tokarev au moment de l’adoption desdits actes. Il en résulte que le
maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses repose de facto sur le seul lien familial avec son père, ce qui ne saurait être admis.
121 Il s’ensuit que, étant donné que le Conseil a également commis une erreur de droit en maintenant le nom de la requérante sur les listes litigieuses en qualité de personne associée à M. Stanislav Chemezov (voir points 45 à 52 ci-dessus), il y a lieu de conclure que le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses n’était pas justifié.
122 Partant, il y a lieu d’accueillir le moyen tiré d’une erreur de droit et d’une erreur d’appréciation en tant que ce moyen est dirigé contre les actes de maintien de mars 2023.
d) Sur l’application à la requérante du deuxième volet du critère g) modifié
123 Dans son second mémoire en adaptation, la requérante conteste la fiabilité de certains éléments produits par le Conseil dans le dossier de preuves de juin 2023 et soutient que les dossiers de preuves de juin 2023 et de juillet 2023 ne constituent pas une base factuelle suffisante pour justifier l’inscription de son nom sur le fondement du deuxième volet du critère g) modifié.
1) Sur la fiabilité des éléments de preuve
124 La requérante conteste la fiabilité des articles de la source Rospres au motif qu’il s’agit d’un média à sensation connu pour relayer des allégations diffamatoires et dont l’accès a été restreint en raison de son refus d’expurger les déclarations diffamatoires conformément à des décisions de justice. En outre, la requérante réitère que les publications du Moscow Post ne sont pas fiables, pas plus que celles du site Internet Rosnadzor, au motif qu’il s’agit de sources médiatiques connues pour
publier des articles dans le seul but de nuire à la réputation des personnes.
125 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.
126 Pour justifier le maintien de l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses par les actes de septembre 2023 sur le fondement du deuxième volet du critère g) modifié, le Conseil a fourni le dossier de preuves de juin 2023 ainsi que le dossier de preuves de juillet 2023.
127 Le dossier des preuves de juin 2023 contient les éléments suivants :
– un article d’information contenant, notamment, des indications sur le patrimoine de la requérante, publié le 20 février 2023 sur le site Internet de Online publication company (dont l’adresse est « ko.ru »), consulté le 19 mai 2023 (pièce no 1) ;
– un article publié le 25 avril 2022, sur le site Internet Platzdarm intitulé « La virologie à un milliard de dollars de Chemezov », consulté le 19 mai 2023 (pièce no 2) ;
– un article publié le 29 décembre 2011, sur le site Internet Rospres, intitulé « Clans familiaux de Transneft : les Chemzov, les Tokarev, les Bolotov », consulté le 19 mai 2023 (pièce no 3) ;
– un article publié le 23 avril 2023 sur le site Internet Platzdarm, intitulé « Nikolai Tokarev et son équipe de blanchisseurs », consulté le 19 mai 2023 (pièce no 4) ;
– un article publié le 30 juillet 2022 sur le site Internet Rosnadzor, intitulé « Rostec, Transneft et le grand capital : quel est le point commun entre les enfants de Serguey Chemezov et de Nikolaï Tokarev ? », consulté le 19 mai 2023 (pièce no 5).
128 Le dossier de preuves de juillet 2023 contient les éléments suivants :
– un article publié le 22 mars 2022 sur le site Internet Delfi Ärileht, intitulé « Qui sont les membres du cercle rapproché de Poutine qui possèdent de coûteuses propriétés en Lettonie ? L’oligarque bien connu a créé un précédent pour son voisin », consulté le 27 juin 2023 (pièce no 1) ;
– un article publié le 3 février 2023 sur le site Internet du Moscow Post, intitulé « Blanchiment par Nikolai Tokarev », consulté le 28 juin 2023 (pièce no 2) ;
– une capture d’écran du site Internet « wise.com » relative à la société Ronin Europe Ltd, consulté le 28 mars 2023 (pièce no 3) ;
– un article publié le 10 novembre 2016 sur le site Internet du Moscow Post, intitulé « Transmoney Tokarev », consulté le 28 juin 2023 (pièce no 4) ;
– un article publié le 22 mars 2022 sur le site Internet « newsbeezer.com », intitulé « La villa des amis de Poutine sur la côte croate révélée », consulté le 28 juin 2023 (pièce no 5) ;
– un article publié le 3 février 2023 sur le site Internet Acompromat, intitulé « La ‟grande lessive” d’Akulov s’est soldée par un crime », consulté le 28 juin 2023 (pièce no 6) ;
– un article publié le 9 octobre 2021 sur le site Internet « versia.ru », intitulé « La fille et l’ancien gendre du dirigeant de Transneft, Nikolai Tokarev, ont été pris dans les “archives Pandora », consulté le 28 juin 2023 (pièce no 7).
129 S’agissant des informations disponibles sur le site Internet Rospres, s’il est vrai que ce média a fait l’objet de condamnations en diffamation, force est toutefois de constater que les jugements produits par la requérante ne concernent pas l’article repris dans la pièce no 3 du dossier de preuves de juin 2023. Or, il y a lieu de rappeler que le fait qu’un média a été condamné à plusieurs reprises en diffamation n’implique pas que toutes ses publications soient dépourvues de fiabilité. Il
s’ensuit que, en l’absence de tout autre élément pour contester la fiabilité des informations du site Internet Rospres, la pièce no 3 du dossier de preuves ne saurait être privée de force probante.
130 En outre, la requérante n’a pas démontré que les articles publiés sur le site Internet du Moscow Post et le site Internet Rosnadzor avaient pour seul but de nuire à la réputation de personnalités, de sorte qu’ils ne sauraient être privés de force probante.
131 Quant aux arguments visant à mettre en cause le caractère insuffisamment précis ou incohérent de certains éléments des dossiers de preuves, il y a lieu de rappeler que ces arguments relèvent de l’appréciation du caractère suffisant de la base factuelle du Conseil pour justifier l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses.
132 Au vu de ce qui précède, compte tenu du contexte caractérisant la situation de la Fédération de Russie et en l’absence de pouvoirs d’enquête du Conseil dans des pays tiers (voir points 59 et 60 ci-dessus), la valeur probante des pièces des dossiers de preuve de juin et de juillet 2023 ne saurait être écartée.
2) Sur le bien-fondé du maintien du nom de la requérante sur le fondement du deuxième volet du critère g) modifié
133 La requérante considère que le deuxième volet du critère g) modifié doit être interprété en ce sens qu’il ne vise pas, de façon abstraite, tout avantage, mais qu’il vise des avantages sous forme de transferts de fonds et d’avoirs effectués dans le but de dissimuler des actifs et de contourner les mesures restrictives adoptées à l’encontre de la personne initialement désignée afin qu’elle conserve le contrôle des ressources. En outre, la requérante considère que l’avantage en question doit être
contemporain à l’adoption des mesures restrictives à l’encontre de la personne initialement désignée et à celle du membre de sa famille proche, sans quoi il ne peut être considéré qu’il existe un risque de contournement des mesures restrictives.
134 Selon la requérante, le Conseil ne produit pas une base factuelle suffisante pour justifier l’inscription de son nom sur les listes litigieuses sur le fondement du critère litigieux. En particulier, elle considère que le Conseil ne démontre pas l’existence d’un transfert de fonds ou d’avoirs de la part de son père effectué dans le but de dissimuler ses actifs, de contourner les mesures restrictives et de garder le contrôle des ressources dont il dispose. La requérante estime également que le
Conseil reste en défaut de démontrer l’existence d’un avantage contemporain aux actes de maintien de septembre 2023. S’agissant du constat selon lequel ses biens immobiliers seraient liés à son père, la requérante fait valoir que le Conseil n’a pas démontré que lesdits biens avaient appartenu précédemment à son père. En outre, elle considère que les transactions alléguées sont éloignées de l’adoption des mesures restrictives à l’égard de son père en février 2022, de sorte qu’il ne saurait y
avoir une volonté de contournement des mesures restrictives. De plus, la requérante considère que les liens entre la société Ronin et la société Transneft sont dépourvus de pertinence au regard du critère d’inscription retenu.
135 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.
136 En particulier, le Conseil soutient que le deuxième volet du critère g) modifié doit être entendu dans un sens similaire à celui du critère d’« association », tel qu’interprété par le Tribunal. Selon lui, ledit critère doit être interprété en ce sens qu’il devrait s’appliquer aux membres de la famille proche qui sont liés par des « intérêts communs » aux femmes ou aux hommes d’affaires influents ayant des activités en Russie, sans pour autant nécessiter un lien de nature économique compte tenu
du fait que, en fonction du contexte et des circonstances de chaque espèce, ce lien se matérialise par le fait qu’ils tirent un avantage de ces femmes et hommes d’affaires.
137 Le Conseil fait valoir que l’avantage tiré par la requérante de son père se caractérise par le fait que sa fortune et ses affaires sont liées à ce dernier. Selon lui, la requérante a fait fortune dans l’immobilier en tirant profit des fonctions de président-directeur général de Transneft exercées par son père et des relations que celui-ci entretenait avec M. Poutine. En outre, le Conseil estime avoir valablement établi, notamment sur le fondement des éléments des dossiers de preuve de juin et de
juillet 2023, l’existence d’intérêts communs résultant d’une pratique de gestion familiale. Il considère également que, en tant qu’élément de contexte, il convient de tenir compte d’une pratique de népotisme en Russie.
138 Il y a lieu de relever que, dans les actes de maintien de septembre 2023, le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses ne résulte plus de l’application du critère de la personne associée, prévu à l’article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145, telle que modifiée. D’une part, ces motifs ne font plus état d’un lien d’association avec M. Stanislav Chemezov. D’autre part, en concluant que la requérante est un membre de la famille proche de M. Tokarev, un homme
d’affaires influent exerçant des activités en Russie, et qu’elle en tire avantage, le Conseil a fait application à l’égard de la requérante du critère prévu dans le deuxième volet du critère g) modifié.
139 Il y a lieu de relever que le deuxième volet du critère g) modifié permet l’inscription sur les listes litigieuses, notamment, des membres de la famille proche ou d’autres personnes qui tirent avantage d’une femme ou d’un homme d’affaires influents exerçant des activités en Russie.
140 À cet égard, il importe de rappeler que, même si le préambule d’un acte de l’Union n’a pas de valeur juridique contraignante et ne saurait être invoqué ni pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné ni pour interpréter ces dispositions dans un sens contraire à leur libellé, il est susceptible d’en préciser le contenu, les considérants qui figurent dans ce préambule constituant des éléments d’interprétation importants de nature à éclairer sur la volonté de l’auteur de cet acte (voir
arrêt du 26 janvier 2021, Hessischer Rundfunk, C‑422/19 et C‑423/19, EU:C:2021:63, point 64 et jurisprudence citée).
141 En l’occurrence, selon le considérant 5 de la décision 2023/1094, ce critère de désignation a été introduit afin d’accroître la pression exercée sur le gouvernement de la Fédération de Russie ainsi que pour éviter le risque de contournement des mesures restrictives. En particulier, il ressort, en substance, de ce considérant que la nécessité d’une désignation des membres de la famille proche ou d’autres personnes qui tirent avantage de femmes ou d’hommes d’affaires influents exerçant des
activités en Russie a été justifiée par le fait que ces derniers répartissaient leurs fonds et avoirs entre les membres de leur famille proche et d’autres personnes, notamment dans le but de dissimuler ces actifs, de contourner les mesures restrictives et de garder le contrôle des ressources dont ils disposaient.
142 Ainsi, la notion d’« avantage », au sens du deuxième volet du critère g) modifié, doit être interprétée en tenant compte des objectifs visés par ce critère, énoncés au point 141 ci-dessus, lesquels impliquent un accroissement du coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. Dès lors, l’avantage au sens de cette disposition vise tout avantage de quelque nature que ce soit, qui n’est pas nécessairement
indu, mais qui doit être quantitativement ou qualitativement non négligeable. Il peut donc s’agir d’un avantage financier ou non financier, tel qu’un don, un transfert de fonds ou de ressources économiques, une intervention en vue de favoriser l’attribution de contrats publics, une nomination ou une promotion. Par ailleurs, eu égard à l’objectif d’éviter les pratiques de contournement des mesures restrictives, expressément visé au considérant 5 de la décision 2023/1094, peuvent également relever
du deuxième volet du critère g) modifié les avantages octroyés par les femmes ou les hommes d’affaires influents exerçant une activité en Russie dans une situation susceptible de conduire à un contournement des mesures restrictives qui les visent.
143 Dès lors, d’une part, c’est à tort que la requérante soutient que la notion d’« avantage » au sens du deuxième volet du critère g) modifié devrait se limiter aux seuls avantages sous forme de transferts de fonds dans un but de contournement des mesures restrictives. En effet, une limitation de la notion d’« avantage » aux seuls transferts de fonds ne ressort pas du libellé de ce critère et ne permettrait pas d’appréhender les multiples formes qu’est susceptible de revêtir un avantage. En outre,
si une situation susceptible de conduire à un contournement peut justifier l’existence d’un avantage au sens du deuxième volet du critère g) modifié, la preuve d’une telle situation ne doit pas nécessairement être rapportée par le Conseil aux fins de l’inscription du nom d’une personne sur les listes litigieuses au titre dudit critère. D’autre part, le Conseil ne saurait faire valoir que le deuxième volet du critère g) modifié devrait être entendu dans un sens similaire à celui du critère de la
personne associée, prévu à l’article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145, telle que modifiée, en tant qu’il viserait des personnes liées par des intérêts communs. En effet, une telle interprétation aurait pour effet de priver le deuxième volet du critère g) modifié d’effet utile en ce qu’il perdrait tout intérêt par rapport au critère de la personne associée lorsque celui-ci est appliqué en relation avec une personne inscrite sur la base du critère g).
144 En outre, contrairement à ce que soutient la requérante, les avantages visés par le deuxième volet du critère g) modifié ne sauraient se limiter aux avantages accordés, à une date concomitante à leur désignation sur les listes litigieuses, par des femmes ou des hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie à un membre de leur famille proche ou à d’autres personnes. En effet, une telle limitation temporelle des avantages susceptibles d’être pris en considération afin de permettre
l’application dudit critère ne ressort pas du libellé de cette disposition. En outre, une telle interprétation limitative proposée par la requérante serait incompatible avec les objectifs poursuivis par l’introduction dudit critère, lesquels visent à accroître la pression exercée sur le gouvernement de la Fédération de Russie et à éviter le risque de contournement des mesures restrictives, notamment par des avantages accordés par des femmes et des hommes d’affaires influents avant l’inscription
de leur nom sur les listes litigieuses.
145 Il n’en demeure pas moins que les circonstances de l’octroi de l’avantage et l’écoulement du temps entre l’octroi d’un avantage par une femme ou un homme d’affaires ayant des activités en Russie et la date d’inscription du nom de ces derniers sur les listes litigieuses sont des éléments à prendre en compte pour apprécier le bien-fondé de l’inscription, sur lesdites listes, du nom de la personne qui a reçu cet avantage. En tout état de cause, l’avantage reçu par la personne dont le nom est
inscrit sur les listes litigieuses au titre du deuxième volet du critère g) modifié, ou à tout le moins ses conséquences, doit demeurer au moment de l’adoption des mesures restrictives à l’encontre de ladite personne.
146 De plus, l’interprétation du deuxième volet du critère g) modifié doit être conforme au principe de sécurité juridique. Il y a lieu de rappeler que le régime de mesures restrictives eu égard à la situation en Ukraine a été mis en œuvre, d’abord, par l’adoption de la décision 2014/145, en réaction à l’annexion de la Crimée et à la déstabilisation de l’est de l’Ukraine survenus à la fin du mois de février 2014, puis par une consolidation progressive dudit régime afin de l’adapter en fonction de la
gravité des atteintes, par la Fédération de Russie, à l’intégrité territoriale, à la souveraineté et à l’indépendance de l’Ukraine. Il en résulte que, étant donné que les mesures restrictives en cause s’inscrivent dans la continuité de la réaction de l’Union aux politiques et aux activités des autorités russes concernant spécifiquement l’Ukraine, amorcées par l’annexion de la Crimée, le Conseil ne saurait, au titre du second volet du critère g) modifié, se prévaloir d’avantages dont l’octroi,
par des femmes ou des hommes d’affaires influents aux membres de leur famille proche ou à d’autres personnes, est antérieur la fin du mois de février 2014 (voir, par analogie, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 92).
147 C’est à l’aune de cette interprétation du deuxième volet du critère g) modifié qu’il convient d’examiner si le Conseil disposait d’une base factuelle suffisante pour justifier l’application dudit critère à la requérante dans les actes de maintien de septembre 2023.
148 En l’espèce, le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses est justifié, d’une part, par le fait que son patrimoine immobilier pouvait être lié à son père et, d’autre part, par l’existence de liens entre elle et la société Ronin, laquelle était présentée comme assurant la gestion du fonds de pension de la société Transneft. En dépit du changement du critère de désignation appliqué à la requérante, les motifs d’inscription sont identiques à ceux des actes de maintien de mars
2023.
149 En premier lieu, il convient de relever que le Conseil ne pouvait se fonder sur l’existence de relations d’affaires de la requérante avec les sociétés Ronin Trust et Ronin Europe afin d’établir un lien entre elle et M. Tokarev par l’intermédiaire de la société Transneft (voir points 80 à 84 ci-dessus) et qu’il n’a pas apporté, dans les dossiers de preuves de juin et de juillet 2023, d’éléments de nature à remettre en cause cette conclusion. Par conséquent, ces relations d’affaires ne sauraient
constituer un avantage tiré de M. Tokarev au sens du deuxième volet du critère g) modifié. Il en résulte que les arguments du Conseil tendant à démontrer l’existence d’un avantage tiré du lien entre la requérante et la société Ronin Europe ainsi que ceux relatifs à la persistance de relations d’affaires entre elle et la société Ronin Trust ne sauraient prospérer pour justifier le bien-fondé des actes de maintien de septembre 2023.
150 En second lieu, dans la mesure où les motifs d’inscription font état d’un lien entre le patrimoine immobilier de la requérante et M. Tokarev, il convient de vérifier si la base factuelle du Conseil contient des éléments tendant à démontrer que ce patrimoine est susceptible de constituer un avantage tiré de son père au sens du deuxième volet du critère g) modifié.
151 Premièrement, en ce qui concerne le bien immobilier situé à Jūrmala en Lettonie, la requérante a démontré que, depuis son divorce en juin 2019, elle n’avait plus de participation dans la société Dzintaru 34 qui détient ce bien (voir point 88 ci-dessus). Au demeurant, ce constat est confirmé par la pièce no 7 du dossier de preuves WK 1128/2023 INIT et la pièce no 1 du dossier de preuves de juillet 2023. Par conséquent, étant donné que la requérante ne disposait plus de ce bien immobilier au
moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2023, celui-ci ne saurait justifier le maintien de son inscription sur les listes litigieuses sur le fondement du deuxième volet du critère g) modifié.
152 Deuxièmement, en ce qui concerne les biens immobiliers situés en Croatie, il ressort de la pièce no 5 du dossier de preuves de juillet 2023 que la villa Karolina a été acquise par la requérante en 2009. Or, à supposer même que ce bien puisse être considéré comme constituant un avantage tiré de son père, il remonte à une période antérieure à l’annexion de la Crimée en février 2014. Dès lors, pour justifier le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses sur le fondement du deuxième
volet du critère g) modifié, le Conseil ne pouvait pas se fonder sur le fait qu’elle détenait, par l’intermédiaire de la société Katina, la villa Karolina au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2023. Quant à l’appartement en Croatie d’une valeur d’environ 700000 euros que la requérante détient par l’intermédiaire de la société TGA, il convient de constater que les éléments de preuve ne précisent pas la date d’acquisition de ce bien et ne contiennent aucune information
permettant d’établir qu’il pourrait constituer un avantage tiré de son père. Ainsi, la simple détention par la requérante de cet autre bien situé en Croatie ne pouvait justifier le maintien de son nom sur les listes litigieuses sur le fondement du critère de désignation retenu à son égard.
153 S’agissant du complexe hôtelier d’une valeur de plusieurs milliards d’USD qui aurait été acquis par la famille Tokarev en Croatie, les éléments figurant dans les dossiers de preuves de juin et de juillet 2023 ne permettent pas de surmonter les incertitudes découlant de l’imprécision des pièces du dossier de preuves initial et du dossier WK 1128/2023 INIT (voir points 90 et 119 ci-dessus). En effet, il y a lieu de relever que la pièce no 4 du dossier de preuves de juin 2023 et les pièces nos 2,
4, 6 et 7 du dossier de preuves de juillet 2023 ne contiennent pas d’informations supplémentaires par rapport à celles figurant dans le dossier de preuves initial et dans un article du Moscow Post publié en 2016 (annexe D.1). Certes, la pièce no 4 du dossier de preuves de juin 2023 et les pièces nos 2 et 4 du dossier de preuves de juillet 2023 confirment que la requérante avait perçu, au cours de l’année 2005, des revenus d’une société dénommée Caprice-Stell qui détenait indirectement des
participations dans une société hôtelière, laquelle était présentée comme étant la propriétaire d’un complexe hôtelier en Croatie. Toutefois, à supposer même que le fait que la requérante ait perçu des revenus de Caprice-Stell puisse être considéré comme constituant la preuve de l’acquisition d’un complexe hôtelier, il y a lieu de constater que les faits remontent à un passé lointain, antérieur à l’annexion de la Crimée en février 2014. Au demeurant, aucune des pièces des dossiers de preuves
n’indique que la requérante aurait perçu une rémunération de la part de Caprice-Stell après l’année 2005, pas plus qu’elles n’indiquent qu’elle détiendrait directement ou indirectement un complexe hôtelier en Croatie au moment de l’adoption des actes de septembre 2023. Au contraire, il ressort de la pièce no 5 du dossier de preuves de juillet 2023 que, en Croatie, la requérante était uniquement propriétaire, en mars 2023, de la villa Karolina, détenue par l’intermédiaire de la société Katina, et
d’un appartement d’une valeur d’environ 700000 euros, détenu par l’intermédiaire de la société TGA. Il s’ensuit que le Conseil ne saurait se fonder sur le fait supposé que la requérante aurait acquis un complexe hôtelier en Croatie pour justifier le maintien de son nom sur les listes litigieuses sur le fondement du deuxième volet du critère g) modifié.
154 Troisièmement, en ce qui concerne les biens immobiliers à Moscou, il y a lieu de rappeler que les liens entre les sociétés du groupe RPA et la société Ronin Trust ne sont pas susceptibles d’établir un lien entre la requérante et son père. Par conséquent, à supposer qu’il existe un lien entre Ronin Trust et la société Ostozhenka 19, par l’intermédiaire de laquelle la requérante détient la maison historique mentionnée au point 87 ci-dessus, ce fait ne serait pas pertinent pour établir que ce bien
immobilier constitue un avantage tiré de M. Tokarev après l’annexion de la Crimée en février 2014. De même, le Conseil n’invoque aucun élément pour soutenir que l’appartement situé rue de Brusov constituerait un tel avantage. Au demeurant, il y a lieu de constater que les dossiers de preuve ne contiennent pas d’indices suffisamment concrets, précis et concordants qui permettraient d’établir l’existence de liens entre l’un de ces biens, la société Transneft ou M. Tokarev susceptibles de démontrer
que l’un d’entre eux constitue un avantage tiré par la requérante de son père au sens du deuxième volet du critère g) modifié.
155 Quatrièmement, pour constater que la requérante tire un avantage de son père dans le domaine immobilier, le Conseil ne saurait se fonder sur le fait que la requérante détenait, au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2023, des participations dans le complexe immobilier Gelendzhik Resort Meridian. En effet, étant donné que ce bien immobilier n’est pas mentionné parmi les biens figurant dans les motifs d’inscription des actes de maintien de septembre 2023, sauf à admettre une
substitution de motifs, il ne saurait être admis que le Conseil se prévale du fait que la requérante détienne des participations dans ce bien immobilier pour justifier le bien-fondé desdits actes. En tout état de cause, il y a lieu de constater que le Conseil n’a pas démontré que ce bien immobilier, que la requérante détient, notamment, avec M. Stanislav Chemezov, pouvait être lié à M. Tokarev.
156 Ainsi, eu égard aux considérations qui précèdent, c’est à juste titre que la requérante soutient que la base factuelle du Conseil n’était pas suffisante pour démontrer que, lors de l’adoption des actes de maintien de septembre 2023, un bien de son patrimoine immobilier constituait un avantage tiré de M. Tokarev au sens du deuxième volet du critère g) modifié.
157 Les arguments du Conseil ne sont pas susceptibles de remettre en cause cette conclusion.
158 Premièrement, en ce qui concerne l’argument tiré de ce que les affaires de la requérante étaient liées à son père lorsqu’elle détenait la société Irvin 2 du fait que, selon les pièces nos 3 et 5 du dossier de preuves de juin 2023, M. Tokarev avait fait pression sur une ministre de la Santé en vue de favoriser l’attribution de contrats à cette société, il y a lieu de relever que ce fait concernait le secteur pharmaceutique, et non le patrimoine immobilier de la requérante. Or, eu égard au libellé
des motifs d’inscription, qui se limitent à mentionner le patrimoine immobilier de la requérante, le Conseil ne saurait se prévaloir d’un avantage obtenu par la requérante n’ayant aucun lien avec ce patrimoine. En tout état de cause, force est de constater que le fait en cause remonte à un passé lointain, antérieur à l’annexion de la Crimée.
159 Deuxièmement, s’agissant du fait ressortant de la pièce no 7 du dossier de preuves de juillet 2023, selon lequel l’ex-époux de la requérante était bénéficiaire de sociétés ayant conclu des contrats avec la société Transneft, notamment après l’annexion de la Crimée, il est vrai qu’un tel élément serait pertinent pour démontrer l’existence d’un schéma de gestion familiale des affaires de nature à accroître la fortune de la requérante à une période appropriée aux fins de l’appréciation de
l’existence d’un avantage au sens du deuxième volet du critère g) modifié. Toutefois, alors que les motifs d’inscription identifient le patrimoine immobilier de la requérante comme constituant un avantage au sens dudit critère, force est de constater que le Conseil ne se prévaut d’aucun élément qui permettrait d’établir un lien entre les contrats de Transneft dont l’ex-époux de la requérante aurait indirectement bénéficié et un éventuel accroissement du patrimoine immobilier de la requérante. En
outre, ainsi qu’il ressort du point 154 ci-dessus, les éléments des dossiers de preuves ne contiennent pas d’indices suffisamment concrets, précis et concordants qui permettraient d’établir un tel lien.
160 Troisièmement, au soutien de son argumentation concernant la gestion familiale des affaires, le Conseil ne saurait se fonder sur les informations figurant dans la pièce no 4 du dossier de preuves de juin 2023 et dans la pièce no 2 du dossier de preuves de juillet 2023. En effet, ces pièces, dont le contenu est sensiblement analogue, font état d’une relation d’affaires passée entre la requérante et l’un de ses anciens associés dans la société dénommée Région-Finance. Or, il y a lieu de constater
que ces pièces ne permettent pas d’établir une implication de M. Tokarev dans cette relation d’affaires. Par ailleurs, ainsi que le relève à juste titre la requérante, les faits mentionnés ne sauraient être rattachés aux motifs d’inscription. Quant à la pièce no 2 du dossier de preuves de juin 2023, celle-ci est invoquée par le Conseil pour mettre en évidence un schéma de gestion familiale qui concernerait le complexe immobilier Gelendzhik Resort Meridian. Or, il y a lieu de constater que cette
pièce se limite à indiquer que la requérante détient des participations dans ce complexe avec M. Stanislav Chemezov et ne permet pas d’établir un quelconque lien entre ledit complexe et M. Tokarev. En ce qui concerne la pièce no 6 du dossier de preuves de juillet 2023, il y a lieu de constater qu’elle n’apporte pas d’informations supplémentaires, par rapport aux autres pièces des dossiers de preuves, en ce qui concerne le complexe hôtelier en Croatie ou le complexe Gelendzhik Resort Meridian,
qui permettraient d’établir l’existence d’un avantage tiré de M. Tokarev. De même, pour les mêmes raisons que celles exposées ci-dessus, le Conseil ne saurait se prévaloir de la relation d’affaires de la requérante avec son ancien associé dans la société Région-Finance afin d’établir un lien avec son père.
161 Quatrièmement, le Conseil ne saurait se prévaloir d’un contexte caractérisé par le népotisme ni se fonder sur le seul fait que, au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2023, la requérante était une femme d’affaires prospère détenant un important patrimoine immobilier pour justifier l’inscription de son nom sur le fondement du deuxième volet du critère g) modifié. En effet, dès lors qu’il ressort en substance des motifs d’inscription que le patrimoine immobilier de la
requérante constitue l’avantage tiré de M. Tokarev, il revenait au Conseil de démontrer que le père de la requérante avait contribué à un accroissement de ce patrimoine immobilier après l’annexion de la Crimée en février 2014. Or, il ressort des considérations qui précèdent que le Conseil n’a pas fait état d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir un tel accroissement du patrimoine immobilier de la requérante. Au demeurant, il y a lieu de constater
que le Conseil n’a pas non plus démontré que M. Tokarev avait contribué à un accroissement non négligeable du patrimoine non immobilier de la requérante après l’annexion de la Crimée.
162 Il s’ensuit qu’il y a lieu d’accueillir le moyen tiré d’une erreur d’appréciation en tant qu’il est dirigé contre les actes de maintien de septembre 2023.
163 Partant, au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens, y compris l’exception d’illégalité visant le deuxième volet du critère g) modifié, il convient d’annuler les actes attaqués pour autant qu’ils concernent la requérante.
2. Sur les effets de l’annulation des actes attaqués
164 Le Conseil a demandé, dans le cadre de son deuxième chef de conclusions, que, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les actes attaqués en ce qu’ils concernent la requérante, celui-ci ordonne le maintien des effets des décisions 2022/1530, 2023/572 et 2023/1767 en ce qui concerne la requérante jusqu’à ce que l’annulation partielle des règlements d’exécution 2022/1529, 2023/571 et 2023/1765 prenne effet.
165 À cet égard, il convient de rappeler que, par les décisions 2022/1530, 2023/572, et 2023/1767, le Conseil a mis à jour la liste des personnes visées par les mesures restrictives qui figure à l’annexe I de la décision 2014/145, telle que modifiée, en y maintenant le nom de la requérante, et ce jusqu’au 15 mars 2024.
166 Or, par la décision (PESC) 2024/847, du 12 mars 2024, modifiant la décision 2014/145 (JO L, 2024/847), le Conseil a mis à jour la liste des personnes visées par les mesures restrictives qui figure à l’annexe I de la décision 2014/145, telle que modifiée, en y maintenant le nom de la requérante jusqu’au 15 septembre 2024.
167 Partant, si l’annulation des décisions 2022/1530, 2023/572 et 2023/1767, en ce qu’elles visent la requérante, comporte l’annulation du maintien de son nom sur la liste qui figure à l’annexe I de la décision 2014/145, telle que modifiée, pour la période allant du 15 septembre 2022 au 15 mars 2024, une telle annulation ne s’étend pas, en revanche, à la décision 2024/847, qui n’est pas visée par le présent recours.
168 Par conséquent, dès lors que, à ce jour, la requérante fait l’objet de nouvelles mesures restrictives, la demande subsidiaire du Conseil relative aux effets dans le temps de l’annulation partielle des décisions 2022/1530, 2023/572 et 2023/1767 est devenue sans objet.
B. Sur la demande en indemnité
169 La requérante soutient que le renouvellement des mesures restrictives à son égard, par les actes de maintien de septembre 2022, lui a causé un préjudice moral. Elle considère que lesdits actes ont suscité l’opprobre et la méfiance à son égard. Selon la requérante, l’atteinte à sa réputation est d’autant plus importante qu’elle a des relations sociales dans les États membres, notamment en Croatie et à Chypre. Dès lors que l’inscription de son nom sur les listes litigieuses aurait fait l’objet
d’une forte communication et médiatisation, la requérante estime que l’annulation des actes attaqués n’est pas susceptible de constituer une réparation du préjudice subi. Par ailleurs, dans ses observations sur le mémoire en intervention de la Commission, la requérante soutient que l’atteinte à sa réputation découle également du retrait de sa nationalité chypriote à la suite de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.
170 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.
171 Il ressort de la jurisprudence que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre la violation de l’obligation qui incombe à l’auteur de l’acte et le dommage subi par les personnes lésées (voir, en ce sens, arrêt du
19 avril 2012, Artegodan/Commission, C‑221/10 P, EU:C:2012:216, point 80 et jurisprudence citée).
172 Selon une jurisprudence constante, les conditions pour l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, sont cumulatives (voir, en ce sens, arrêt du 7 décembre 2010, Fahas/Conseil, T‑49/07, EU:T:2010:499, point 93, et ordonnance du 17 février 2012, Dagher/Conseil, T‑218/11, non publiée, EU:T:2012:82, point 34). Il s’ensuit que, lorsque l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans
qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (voir, en ce sens, arrêts du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, EU:C:1999:402, point 14, et du 26 octobre 2011, Dufour/BCE, T‑436/09, EU:T:2011:634, point 193).
173 Il découle d’une jurisprudence bien établie que la constatation de l’illégalité d’un acte juridique de l’Union, dans le cadre par exemple d’un recours en annulation, ne suffit pas, pour regrettable qu’elle soit, pour considérer que la responsabilité non contractuelle de celle-ci, tenant à l’illégalité du comportement de l’une de ses institutions, est, de ce fait, automatiquement engagée. Pour admettre qu’il est satisfait à cette condition, la jurisprudence exige, en effet, que la partie
requérante établisse que l’institution en cause a commis non pas une simple illégalité, mais une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêts du 5 juin 2019, Bank Saderat/Conseil, T‑433/15, non publié, EU:T:2019:374, point 48, et du 7 juillet 2021, HTTS/Conseil, T‑692/15 RENV, EU:T:2021:410, point 53).
174 L’exigence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit de l’Union découle de la nécessité d’une mise en balance entre, d’une part, la protection des particuliers contre les agissements illégaux des institutions et, d’autre part, la marge de manœuvre qui doit être reconnue à ces dernières afin de ne pas paralyser leur action. Cette mise en balance se révèle d’autant plus importante dans le domaine des mesures restrictives, dans lequel les obstacles rencontrés par le Conseil en
matière de disponibilité des informations rendent souvent l’évaluation à laquelle il doit procéder particulièrement difficile (arrêts du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 34, et du 7 juillet 2021, Bateni/Conseil, T‑455/17, EU:T:2021:411, point 90).
175 Par ailleurs, la preuve d’une violation suffisamment caractérisée vise à éviter, notamment dans le domaine des mesures restrictives, que la mission que l’institution concernée est appelée à accomplir dans l’intérêt général de l’Union et de ses États membres ne soit entravée par le risque que cette institution soit finalement appelée à supporter les dommages que les personnes concernées par ses actes pourraient éventuellement subir, sans pour autant laisser peser sur ces particuliers les
conséquences patrimoniales ou morales de manquements que l’institution concernée aurait commis de façon flagrante et inexcusable (arrêts du 5 juin 2019, Bank Saderat/Conseil, T‑433/15, non publié, EU:T:2019:374, point 49, et du 7 juillet 2021, HTTS/Conseil, T‑692/15 RENV, EU:T:2021:410, point 54).
176 En effet, l’objectif plus large du maintien de la paix et de la sécurité internationales, conformément aux finalités de l’action extérieure de l’Union énoncées à l’article 21 TUE, est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, découlant, pour certains opérateurs économiques, des décisions de mise en œuvre des actes adoptés par l’Union en vue de la réalisation de cet objectif fondamental (arrêts du 5 juin 2019, Bank Saderat/Conseil, T‑433/15, non publié, EU:T:2019:374,
point 50, et du 7 juillet 2021, HTTS/Conseil, T‑692/15 RENV, EU:T:2021:410, point 55).
177 En ce qui concerne la condition de la réalité du dommage, selon la jurisprudence, la responsabilité de l’Union ne saurait être engagée que si la partie requérante a effectivement subi un préjudice réel et certain. Il incombe à la partie requérante d’apporter des preuves concluantes tant de l’existence que de l’étendue du préjudice qu’elle invoque (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, points 61 et 62 et jurisprudence citée).
178 Enfin, il y a lieu de rappeler que l’existence d’un préjudice réel et certain ne saurait être envisagée de manière abstraite par le juge de l’Union, mais doit être appréciée en fonction des circonstances de fait précises qui caractérisent chaque espèce soumise à ce dernier (voir arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 79 et jurisprudence citée).
179 En l’espèce, en ce qui concerne l’atteinte supposée à la réputation de la requérante, il y a lieu de constater que cette argumentation n’est pas étayée. En effet, la requérante se limite à soutenir que les actes attaqués ont suscité l’opprobre et la méfiance à son égard sans produire aucune preuve au soutien de cette allégation. En outre, elle n’a fourni aucun élément établissant l’existence de relations sociales en Croatie ou à Chypre. De même, la requérante n’a pas non plus établi, par des
preuves, que l’inscription de son nom a fait l’objet d’une large couverture médiatique.
180 Par ailleurs, en ce qui concerne l’argument tiré de l’atteinte à sa réputation résultant du retrait de sa nationalité chypriote, sans qu’il y ait lieu de statuer sur la recevabilité de cet argument soulevé pour la première fois dans les observations de la requérante sur le mémoire en intervention de la Commission, il convient de relever que ce préjudice résulte d’un acte adopté par des autorités nationales, et non d’un acte adopté par les institutions de l’Union, de sorte qu’il n’est pas de
nature à engager la responsabilité extracontractuelle de ces dernières. La circonstance selon laquelle le retrait de la nationalité chypriote est consécutif à l’adoption de mesures restrictives à l’égard de la requérante n’est pas de nature à changer cette conclusion. En effet, les institutions de l’Union ne sauraient engager leur responsabilité extracontractuelle pour des actes juridiques adoptés par les États membres à la suite de l’inscription du nom d’une personne sur les listes litigieuses.
181 Il y a lieu d’ajouter que la requérante ne présente aucun élément de preuve qui pourrait justifier le montant de 1000000 euros demandé à titre de réparation de son supposé préjudice moral, alors qu’il lui incombait de le faire conformément à la jurisprudence citée aux points 177 et 178 ci-dessus.
182 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de conclure que la condition relative à la réalité du dommage n’est, en l’espèce, pas remplie.
183 En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que le constat de l’illégalité des mesures restrictives prises à l’encontre d’une personne ou d’une entité est de nature à constituer une forme de réparation du préjudice moral subi par la personne ou l’entité concernée (voir, en ce sens, arrêt du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission, C‑239/12 P, EU:C:2013:331, point 72).
184 Au vu des considérations qui précèdent, la demande en indemnité, qui concerne les actes de maintien de septembre 2022, doit être rejetée, dès lors que la réalité et l’étendue du préjudice allégué ne sont pas établies à suffisance de droit.
V. Sur les dépens
185 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
186 En outre, selon l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.
187 En l’espèce, le Conseil ayant succombé pour l’essentiel, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière. La Commission supportera, quant à elle, ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre élargie)
déclare et arrête :
1) La décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, le règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la
souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, le règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant
l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, la décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, le règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux
actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine sont annulés, dans la mesure où le nom de Mme Maya Tokareva a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.
2) La demande en indemnité présentée par Mme Tokareva est rejetée.
3) Le Conseil de l’Union européenne est condamné à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de Mme Tokareva.
4) La Commission européenne supportera ses propres dépens.
Spielmann
Mastroianni
Brkan
Gâlea
Kalėda
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 septembre 2024.
Le greffier
V. Di Bucci
Le président
D. Spielmann
Table des matières
I. Antécédents du litige
II. Faits postérieurs à l’introduction du recours
III. Conclusions des parties
IV. En droit
A. Sur la demande en annulation des actes attaqués
1. Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation
a) Considérations liminaires
b) Sur l’erreur de droit, fondée sur l’inscription de la requérante en tant que personne associée à M. Stanislav Chemezov
c) Sur l’erreur d’appréciation en tant que la requérante a été inscrite en tant que personne associée à son père
1) Sur les actes de maintien de septembre 2022
i) Sur la fiabilité des éléments du dossier de preuves initial
ii) Sur l’annexe B.5 du mémoire en défense
iii) Sur le bien-fondé du maintien de l’inscription de la requérante en qualité de personne associée à son père
2) Sur les actes de maintien de mars 2023
i) Sur la fiabilité des éléments de preuve
ii) Sur le bien-fondé du maintien de l’inscription de la requérante en qualité de personne associée à son père
d) Sur l’application à la requérante du deuxième volet du critère g) modifié
1) Sur la fiabilité des éléments de preuve
2) Sur le bien-fondé du maintien du nom de la requérante sur le fondement du deuxième volet du critère g) modifié
2. Sur les effets de l’annulation des actes attaqués
B. Sur la demande en indemnité
V. Sur les dépens
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( *1 ) Langue de procédure : le français.