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11/09/2024 | CJUE | N°T-494/22

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, NKO AO National Settlement Depository (NSD) contre Conseil de l'Union européenne., 11/09/2024, T-494/22


 ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)

11 septembre 2024 ( *1 )

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds des ressources économiques – Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Notion de “sou

tien matériel ou financier au gouvernement de la
Fédération de Russie” – Liberté d’entreprise – Droit de propri...

 ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)

11 septembre 2024 ( *1 )

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds des ressources économiques – Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Notion de “soutien matériel ou financier au gouvernement de la
Fédération de Russie” – Liberté d’entreprise – Droit de propriété – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑494/22,

NKO AO National Settlement Depository (NSD), établie à Moscou (Russie), représentée par Mes N. Tuominen, M. Krestiyanova, J.‑P. Fierens et par C. Gieskes, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bishop, en qualité d’agent, assisté de Me B. Maingain, avocat,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par MM. J.-F. Brakeland, G. von Rintelen, L. Mantl et Mme M. Carpus Carcea, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie),

composé de M. D. Spielmann, président, Mme M. Brkan (rapporteure), MM. I. Gâlea, T. Tóth et S. L. Kalėda, juges,

greffier : Mme I. Kurme, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure, notamment

– la requête déposée au greffe du Tribunal le 12 août 2022,

– les ordonnances du 31 mars 2023, NSD/Conseil (T‑494/22, non publiée, EU:T:2023:196), et du 31 mars 2023, NSD/Conseil (T‑494/22, non publiée, EU:T:2023:197), rejetant la demande d’intervention de M. A. Lipatov et celle de Maritime Bank JSC,

– le mémoire en adaptation déposé par la requérante au greffe du Tribunal le 25 avril 2023,

– le mémoire en adaptation déposé par la requérante au greffe du Tribunal le 24 novembre 2023,

à la suite de l’audience du 23 janvier 2024,

rend le présent

Arrêt

1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, NKO AO National Settlement Depository (NSD), demande l’annulation, premièrement, de la décision (PESC) 2022/883 du Conseil, du 3 juin 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 153, p. 92), et du règlement d’exécution (UE) 2022/878 du Conseil, du 3 juin 2022, mettant en
œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 153, p. 15, ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »), deuxièmement, de la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté
et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 134), et du règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 1, ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de mars 2023 »), et, troisièmement, de la décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre
2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 104), et du règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de
l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 3, ci-après, les « actes de maintien de septembre 2023 »), en tant que l’ensemble de ces actes (ci-après, les « actes attaqués ») inscrit et maintient son nom sur les listes annexées auxdits actes.

I. Antécédents du litige

2 La requérante est une société de droit russe qui est dépositaire agréée fournissant des services d’archivage et de conservation de titres en tant que dépositaire central et qui fournit également des services financiers, notamment en tant qu’organisme de crédit non bancaire disposant d’une licence lui donnant le droit de fournir des services de règlement bancaire.

3 La présente affaire s’inscrit dans le contexte des mesures restrictives décidées par l’Union européenne eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

4 Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).

5 Le même jour, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) no 269/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

6 Le 25 février 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin, notamment, d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.

7 L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145 ainsi modifiée (ci-après la « décision 2014/145 modifiée ») prévoit que :

« 1.   Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

[…]

f) à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ce gouvernement […]

2.   Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

8 Les modalités de ce gel de fonds sont définies aux paragraphes suivants de l’article 2 de la décision 2014/145 modifiée.

9 Le règlement no 269/2014, dans sa version modifiée par le règlement 2022/330 (ci-après le « règlement no 269/2014 modifié »), impose l’adoption des mesures de gel de fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145 modifiée. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de ce règlement reprend pour l’essentiel l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision.

10 Le 3 juin 2022, compte tenu de la poursuite par la Fédération de Russie de sa guerre d’agression contre l’Ukraine, le Conseil a adopté les actes initiaux par lesquels il a ajouté le nom de la requérante sur les listes des personnes, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives figurant à l’annexe de la décision 2014/145 modifiée et à l’annexe I du règlement no 269/2014 modifié (ci-après les « listes litigieuses »).

11 Les motifs de l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses sont les suivants :

« [La requérante] est un établissement financier non bancaire russe et un dépositaire central de titres en Russie. Il s’agit du principal dépositaire de titres de Russie, par la valeur des capitaux propres et titres de créance détenus, et le seul à avoir accès au système financier international.

[La requérante] est reconnu[e] comme un établissement financier russe d’importance systémique par le gouvernement et la Banque centrale de Russie. [Elle] joue un rôle essentiel dans le fonctionnement du système financier russe et sa connexion au système financier international, permettant ainsi directement et indirectement au gouvernement russe de mener ses activités et politiques et de mobiliser ses ressources.

[La requérante] est presque entièrement détenu[e] par la Bourse de Moscou, qui a pour mission de fournir un accès exhaustif aux marchés financiers russes. Par son rôle et ses actionnaires, la Bourse de Moscou est, quant à elle, largement sous [le] contrôle du gouvernement russe. Par conséquent, [la requérante] est une entité ou une organisation apportant un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la
déstabilisation de l’Ukraine. »

12 Le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne du 3 juin 2022 (JO 2022, C 219 I, p. 1), un avis à l’attention des personnes, entités et organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par les actes initiaux. Cet avis indiquait, notamment, que les personnes concernées pouvaient adresser au Conseil une demande de réexamen de la décision par laquelle leurs noms avaient été inscrits sur les listes litigieuses, en y joignant des pièces justificatives.

13 Par une lettre du 4 août 2022, la requérante a demandé au Conseil de fournir la motivation et les éléments de preuve justifiant son inscription sur les listes litigieuses.

14 Le 10 août 2022, le Conseil a communiqué à la requérante le dossier WK 7236/2022/EXT 1 (ci-après le « premier dossier de preuves »), sur lequel il avait fondé sa décision.

II. Faits postérieurs à l’introduction du recours

15 Le 14 septembre 2022, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/1530 modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 239, p. 149), et le règlement d’exécution (UE) 2022/1529 mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 239, p. 1). Il résulte de la décision 2022/1530 que la décision 2014/145 est applicable jusqu’au 15 mars 2023 et que les mesures restrictives individuelles applicables à la requérante sont ainsi prolongées, le nom de celle-ci étant maintenu sur les listes litigieuses pour les
mêmes motifs que ceux exposés au point 11 ci-dessus.

16 Par un courrier du 22 décembre 2022, le Conseil a informé la requérante qu’il envisageait de maintenir les mesures restrictives prises à son égard, lui a communiqué le dossier WK 17708/2022 INIT (ci-après le « deuxième dossier de preuves ») et l’a invitée à lui faire part de ses observations au plus tard le 12 janvier 2023.

17 Le 13 mars 2023, le Conseil a adopté les actes de maintien de mars 2023. Il résulte de la décision 2023/572 que la décision 2014/145 est applicable jusqu’au 15 septembre 2023 et que les mesures restrictives individuelles applicables à la requérante sont ainsi prolongées, le nom de celle-ci étant maintenu sur les listes litigieuses pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 11 ci-dessus.

18 Par une lettre du 14 mars 2023, le Conseil a informé la requérante de sa décision de maintenir son inscription sur les listes litigieuses et l’a invitée à lui faire part de ses observations au plus tard le 1er juin 2023.

19 Par une lettre du 10 juillet 2023, le Conseil a informé la requérante qu’il envisageait de maintenir les mesures restrictives prises à son égard, lui a communiqué le dossier WK 7807/2023 REV2 (ci-après le « troisième dossier de preuves ») et l’a invitée à lui faire part de ses observations au plus tard le 25 juillet 2023.

20 Le 13 septembre 2023, le Conseil a adopté les actes de maintien de septembre 2023. Il résulte de la décision 2023/1767 que la décision 2014/145 est applicable jusqu’au 15 mars 2024 et que les mesures restrictives individuelles applicables à la requérante sont ainsi prolongées, le nom de celle-ci étant maintenu sur les listes litigieuses pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 11 ci-dessus.

III. Conclusions des parties

21 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler les actes attaqués ;

– condamner le Conseil aux dépens.

22 Le Conseil, soutenu par la Commission européenne, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours en annulation ;

– condamner la requérante aux dépens.

IV. En droit

23 Avant d’examiner le bien-fondé des moyens invoqués par la requérante, il convient d’examiner la recevabilité du recours en tant qu’il vise le règlement d’exécution 2023/1765.

A.   Sur la recevabilité du recours en tant qu’il vise le règlement d’exécution 2023/1765

24 Dans ses observations sur le second mémoire en adaptation de la requête, la Commission soutient que celui-ci est manifestement irrecevable en ce qu’il tend à l’annulation du règlement d’exécution 2023/1765, dans la mesure où il ne remplit pas les conditions de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. Selon la Commission, ledit règlement d’exécution ne remplace pas et ne modifie pas les actes attaqués en ce qui concerne la requérante.

25 La requérante soutient que le second mémoire en adaptation des conclusions est recevable, en tant qu’il a pour objet, pour ce qui la concerne, l’annulation du règlement d’exécution 2023/1765.

26 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure dispose que, lorsqu’un acte, dont l’annulation est demandée, est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, la partie requérante peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau.

27 L’appréciation de la recevabilité du recours formé contre le règlement d’exécution 2023/1765 doit être opérée à la lumière de l’obligation du Conseil de procéder à un réexamen périodique de la liste figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014, conformément à l’article 14, paragraphe 4, du ce même règlement. À cet égard, il y a lieu de relever que les règlements d’exécution adoptés à la suite de réexamens, y compris le règlement d’exécution 2023/1765, font seulement état des modifications et
des suppressions apportées aux listes litigieuses à l’issue de ce réexamen, de sorte que, en vertu de ces règlements d’exécution, les inscriptions qui n’ont pas été modifiées ou supprimées sont prorogées (voir, par analogie, arrêt du 28 avril 2021, Sharif/Conseil, T-540/19, non publié, EU:T:2021:220, point 48).

28 Selon la jurisprudence, même dans le cas où la personne concernée n’est pas mentionnée par un acte subséquent modifiant la liste sur laquelle son nom a été inscrit et même si cet acte subséquent ne modifie pas les motifs pour lesquels le nom de cette personne a initialement été inscrit, un tel acte doit être compris comme constituant une manifestation de la volonté du Conseil de maintenir le nom de la personne concernée sur ladite liste, avec pour conséquence le maintien du gel de ses fonds,
étant donné que le Conseil a l’obligation de procéder à un examen de cette liste à intervalles réguliers (voir arrêt du 8 juillet 2020, Neda Industrial Group/Conseil, T‑490/18, non publié, EU:T:2020:318, point 52 et jurisprudence citée).

29 En outre, conformément à l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, lorsque des observations sont formulées ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil doit revoir sa décision d’inscrire une personne sur les listes litigieuses. En l’espèce, par la lettre du 15 septembre 2023, le Conseil a indiqué à la requérante que, à la suite de sa demande du 25 juillet 2023 visant à ce que son inscription sur les listes litigieuses soit réexaminée, il avait décidé de
maintenir les mesures restrictives prises à son égard par l’adoption de la décision 2023/1767 et du règlement no 269/2014 tel que modifié par le règlement d’exécution 2023/1765. Dès lors, il y a lieu de considérer que, tant la décision 2023/1767 que le règlement d’exécution 2023/1765 résultent d’un réexamen de la situation de la requérante.

30 Au demeurant, s’il est vrai que les motifs d’inscription de la requérante sur les listes litigieuses n’ont pas été modifiés dans les actes de maintien de septembre 2023, il y a toutefois lieu de constater que ceux-ci se fondent sur des preuves additionnelles produites par le Conseil dans le troisième dossier de preuves.

31 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le présent recours est recevable en ce qu’il vise à obtenir l’annulation du règlement d’exécution 2023/1765 en tant qu’il concerne la requérante.

B.   Sur le fond

32 À l’appui de son recours, la requérante soulève quatre moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’obligation de motivation, le deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation, le troisième, d’une violation disproportionnée des droits fondamentaux et, le quatrième, de l’insuffisance des preuves.

1. Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

33 La requérante soutient que la motivation des actes attaqués n’est pas conforme aux exigences établies par la jurisprudence relative à l’article 296 TFUE. Selon elle, le Conseil s’est limité à reformuler le critère d’inscription sur le fondement duquel son nom avait été inscrit sur les listes litigieuses. En outre, elle considère que les actes attaqués ne contiennent pas d’éléments précis et concrets, n’indiquent pas le moment ni les circonstances de l’aide apportée au gouvernement russe afin de
permettre à ce dernier de mener ses activités et politiques et de mobiliser ses ressources et ne mentionnent pas d’opération spécifique. De plus, selon la requérante, le motif tiré de ce qu’elle est indirectement sous le contrôle du gouvernement russe est erroné.

34 Par ailleurs, la requérante reproche au Conseil de ne pas avoir exposé les raisons pour lesquelles les mesures restrictives prises à son égard impliquaient un gel des avoirs de ses clients.

35 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.

36 Il y a lieu de rappeler que l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (arrêt du 15 novembre 2012,
Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 49).

37 La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de cet acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par ledit acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est, notamment, pas exigé que la motivation
spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Par conséquent, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est
intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, points 53 et 54 ; voir, également, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 48 et jurisprudence citée).

38 Ainsi, le degré de précision de la motivation d’un acte doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles celui-ci doit intervenir (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 104 et jurisprudence citée).

39 En outre, la jurisprudence a précisé que la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive ne devait pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considérait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé devait faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 105 et jurisprudence citée).

40 En l’espèce, tant les actes initiaux que les actes de maintien de mars 2023 et de septembre 2023 précisent le contexte, dans le cadre de leurs considérants respectifs, et les fondements juridiques sur lesquels ils ont été adoptés. En particulier, il ressort des préambules des actes attaqués que la gravité de la situation en Ukraine ainsi que la poursuite des actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de ce pays justifient l’inscription des
personnes désignées sur les listes litigieuses ainsi que leur maintien sur lesdites listes.

41 En outre, l’énoncé des circonstances factuelles, tel que rappelé au point 11 ci-dessus, constitue une motivation suffisamment claire et précise pour permettre à la requérante de comprendre les raisons pour lesquelles son nom a été inscrit, puis maintenu, sur les listes litigieuses et au Tribunal d’exercer son contrôle. Contrairement à ce que fait valoir la requérante, il ressort des actes attaqués que ceux-ci ne se limitent pas à une reformulation du critère d’inscription prévu à l’article 2,
paragraphe 1, sous f), de la décision 2014/145 modifiée. Plus particulièrement, les motifs d’inscription précisent que la requérante est le principal dépositaire de titres de Russie, qu’elle dispose d’un accès au système financier international et qu’elle est reconnue comme étant un établissement financier d’importance systémique qui joue un rôle essentiel dans le fonctionnement du système financier russe, de sorte qu’elle permet directement ou indirectement au gouvernement russe de mener ses
activités et politiques et de mobiliser ses ressources. Par ailleurs, les motifs d’inscription mentionnent également le fait que la requérante est sous le contrôle du gouvernement russe.

42 De plus, dès lors qu’il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption de l’acte, l’argument selon lequel les actes attaqués n’identifient pas le moment ni les circonstances de l’aide apportée au gouvernement et ne mentionnent pas d’opération spécifique ne saurait prospérer.

43 En ce qui concerne l’argument tiré de ce que l’énoncé des motifs d’inscription serait erroné en tant qu’il est fait état de ce que la requérante est indirectement sous le contrôle du gouvernement russe, il convient de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une forme substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’un acte consiste à exprimer formellement les
motifs sur lesquels repose cet acte. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond dudit acte, mais non la motivation de celui-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (arrêts du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 96, et du 22 juin 2022, Haswani/Conseil, T‑479/21, non publié, EU:T:2022:383, point 57). Il s’ensuit que l’argument de la requérante doit être écarté.

44 S’agissant de l’argument de la requérante tiré de ce que le Conseil n’a pas exposé les raisons pour lesquelles les mesures restrictives en cause impliquaient un gel des avoirs de ses clients et de ce qu’il aurait dû identifier tous ceux qui, parmi ces derniers, étaient affectés par lesdites mesures ainsi que vérifier si chacun d’eux remplissait individuellement les conditions prévues par les critères d’inscription, il y a lieu de relever que, ainsi que le fait valoir le Conseil, l’obligation de
motivation n’emporte pas l’obligation d’exposer toutes les conséquences de l’adoption de l’acte attaqué sur d’autres personnes, pas plus qu’elle n’oblige le Conseil à identifier toutes les personnes susceptibles d’être affectées indirectement par les mesures restrictives visant la requérante.

45 Partant, le premier moyen doit être rejeté.

2. Sur les deuxième et quatrième moyens, tirés d’une erreur manifeste d’appréciation et de l’insuffisance des preuves

46 Il y a lieu de relever que l’argumentation au soutien du quatrième moyen se limite, en substance, à faire valoir que les motifs d’inscription ne sont pas étayés par des preuves suffisantes. Dès lors que l’examen de l’erreur d’appréciation implique la vérification du caractère suffisant de la base factuelle du Conseil, il convient d’examiner le quatrième moyen conjointement avec le deuxième moyen, lequel est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation.

47 Le deuxième moyen s’articule en trois branches, tirées, la première, d’une erreur manifeste d’appréciation en tant qu’il est constaté que la requérante est une institution importante pour le système financier russe permettant au gouvernement russe de mener ses activités et politiques et de mobiliser ses ressources, la deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation en tant qu’il est constaté que la requérante est sous le contrôle dudit gouvernement et, la troisième, d’une erreur manifeste
d’appréciation en ce que le Conseil n’a pas établi l’existence d’un lien suffisant entre la requérante et le gouvernement russe.

a) Considérations liminaires

48 En premier lieu, il importe de relever que le deuxième moyen soulevé par la requérante doit être considéré comme étant tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont satisfaits, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle,
en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 121 et jurisprudence citée).

49 L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend
ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme étant suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20,
non publié, EU:T:2022:674, point 62).

50 Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne ou l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en
général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée ; arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, points 63 et 66).

51 C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. À cette fin, il n’est pas requis que le Conseil produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe
que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, points 66 et 67 ; voir, également, arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 73 et jurisprudence citée).

52 Dans cette hypothèse, il incombe au juge de l’Union de vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et d’apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

53 S’agissant, plus particulièrement, du contrôle de légalité exercé sur les actes de maintien du nom de la personne concernée sur les listes litigieuses, il convient de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est
ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’incidence de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur les listes litigieuses ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (voir arrêt du 27 avril 2022, Ilunga
Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 55 et jurisprudence citée ; arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 67).

54 Il en résulte que, pour justifier le maintien du nom d’une personne sur une liste des personnes et des entités faisant l’objet de mesures restrictives, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, la réinscription ou le maintien précédent du nom de cette personne sur ladite liste, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription demeurent inchangés et, d’autre part, le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces
éléments de preuve seraient devenus obsolètes (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 99). À ce titre, l’évolution du contexte inclut la prise en considération, d’une part, de la situation du pays à l’égard duquel le système de mesures restrictives a été établi ainsi que de la situation particulière de la personne concernée (arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 78 ; voir également, en ce
sens, arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 101), et, d’autre part, de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, la réalisation des objectifs visés par les mesures restrictives (arrêt du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 56 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 82 à 84 et jurisprudence citée).

55 En second lieu, il convient de relever que le nom de la requérante a été inscrit sur les listes litigieuses sur le fondement du critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous f), de la décision 2014/145 modifiée, lequel vise, notamment, les personnes morales, entités ou organismes qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie (ci-après le « critère du soutien matériel ou financier au gouvernement »).

56 La finalité poursuivie par les mesures restrictives est d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 163 et jurisprudence citée), en particulier en accroissant le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité
territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 157).

57 Il y a lieu de préciser que le critère du soutien matériel ou financier au gouvernement n’exige pas que les personnes ou entités concernées apportent un soutien qui soit directement ou indirectement lié à l’annexion de la Crimée ou à la déstabilisation de l’Ukraine. En effet, le soutien matériel ou financier au sens de ce critère doit être compris comme tout soutien qui est susceptible, par son importance quantitative ou qualitative, de fournir audit gouvernement des ressources ou des facilités
d’ordre matériel ou financier lui permettant de poursuivre ses actions de déstabilisation de l’Ukraine (voir, par analogie, arrêt du 7 avril 2016, Central Bank of Iran/Conseil, C‑266/15 P, EU:C:2016:208, point 44).

58 C’est à la lumière de ces principes qu’il convient de vérifier si le Conseil a commis une erreur d’appréciation en décidant d’inscrire, puis de maintenir, le nom de la requérante sur les listes litigieuses sur le fondement du critère du soutien matériel ou financier au gouvernement.

b) Sur les éléments figurant dans les dossiers de preuves du Conseil

59 En l’espèce, pour justifier l’inscription et le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses, le Conseil a produit trois dossiers de preuves.

60 Pour justifier l’inscription initiale de la requérante sur les listes litigieuses, le Conseil a fourni le premier dossier de preuves comportant des éléments d’information publiquement accessibles, à savoir des liens vers des sites Internet, des captures d’écran et des articles d’information. Il s’agit, notamment, des éléments suivants :

– une capture d’écran d’une page de présentation de la requérante figurant sur son site Internet, consultée le 29 avril 2022 (pièce no 1) ;

– une capture d’écran d’une autre page de présentation de la requérante figurant sur son site Internet, consultée le 12 mai 2022 (pièce no 2) ;

– un extrait d’une note technique intitulée « Programme d’évaluation du secteur financier de la Fédération de Russie, infrastructure financière », publiée en juillet 2016, disponible sur le site Internet « worldbank.org », consulté le 12 mai 2022 (pièce no 7) ;

– un extrait d’un rapport sur les performances financières de la requérante au deuxième trimestre 2021, publié le 2 septembre 2021 sur le site Internet de l’Association des dépositaires centraux de titres eurasiens, consulté le 12 mai 2022 (pièce no 8) ;

– une dépêche intitulée « La Russie a payé des coupons sur sept émissions obligataires de l’OFZ – ministère des Finances », publiée le 31 mars 2022 sur le site Internet d’information « reuters.com », consulté le 2 mai 2022 (pièce no 11).

61 Pour justifier le maintien de l’inscription de la requérante sur les listes litigieuses au titre des actes de maintien de mars 2023, le Conseil s’est également fondé sur les éléments de preuve fournis dans le deuxième dossier de preuves comportant des éléments d’information publiquement accessibles, à savoir des liens vers des sites Internet, des captures d’écran et des articles d’information. Il s’agit, notamment, des éléments suivants :

– un extrait du rapport annuel de la Bourse de Moscou (ci-après « MOEX ») pour l’année 2021, publié le 4 mars 2022, disponible sur le site Internet de cette entreprise, consulté le 22 novembre 2022 (pièce no 2) ;

– un communiqué de presse se rapportant à la notation financière de la requérante, publié sur le site Internet de cette dernière le 15 novembre 2022, consulté le 22 novembre 2022 (pièce no 3) ;

– une dépêche intitulée « Le ministère des Finances a transféré 4,9 milliards de roubles à la NSD pour payer le coupon des euro-obligations Russie 2042 », publiée le 5 octobre 2022 sur le site Internet d’information « interfax.ru », consulté le 25 novembre 2022 (pièce no 5) ;

– un article intitulé « Le ministère des Finances a payé des coupons en roubles pour deux émissions d’euro-obligations », publié le 16 septembre 2022 sur le site Internet d’information « ria.ru », consulté le 17 novembre 2022 (pièce no 8) ;

– un article intitulé « Le ministère des Finances a payé en roubles le coupon des euro-obligations arrivant à échéance en 2035 », publié le 29 septembre 2022 sur le site Internet d’information « ria.ru », consulté le 17 novembre 2022 (pièce no 9) ;

– une capture d’écran d’une publication figurant sur le site Internet officiel du ministre russe des Finances, se rapportant au succès du paiement de coupons sur des euro-obligations, consultée le 25 novembre 2022 (pièce no 10).

62 En l’espèce, les motifs d’inscription et de maintien de la requérante sur les listes litigieuses étant restés inchangés, il n’y a pas lieu d’opérer de distinction entre, d’une part, les actes initiaux et, d’autre part, les actes de maintien de mars 2023 et de septembre 2023, dès lors que la vérification des informations figurant dans l’exposé des motifs ainsi que dans les éléments de preuve, qui figurent dans les dossiers de preuve, porte, en substance, sur les mêmes circonstances factuelles.

c) Sur les preuves annexées aux mémoires du Conseil

63 Lors de l’audience, la requérante a soutenu que les preuves produites par le Conseil, annexées au mémoire en défense et à la duplique, devaient être déclarées irrecevables.

64 En premier lieu, s’agissant des preuves annexées au mémoire en duplique, la requérante fait valoir que celles-ci ont été produites tardivement en violation de l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure.

65 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure dispose que les preuves et les offres de preuve sont présentées dans le cadre du premier échange de mémoires. Le paragraphe 2 de cet article ajoute que les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve dans la réplique et la duplique à l’appui de leur argumentation, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié.

66 En outre, l’article 85, paragraphe 2, du règlement de procédure doit être lu à la lumière de l’article 92, paragraphe 7, dudit règlement, qui prévoit expressément que la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve restent réservées. Par conséquent, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante, la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve fournies à la suite d’une preuve contraire de la partie adverse ne sont pas visées par la règle de forclusion prévue par l’article 85,
paragraphe 2, de ce règlement (arrêts du 18 septembre 2017, Uganda Commercial Impex/Conseil, T‑107/15 et T‑347/15, non publié, EU:T:2017:628, point 72, et du 13 septembre 2023, ITD et Danske Fragtmænd/Commission, T‑525/20, EU:T:2023:542, point 78).

67 En l’espèce, il ressort du mémoire en duplique que les annexes D.1 à D.6 dudit mémoire constituent des preuves relatives à l’importance des dépositaires centraux de titres (ci-après les « DCT ») et de la requérante dans le bon fonctionnement du système financier. Il y a lieu de relever que ces preuves ont été produites par le Conseil pour répondre aux arguments de la requérante dans la réplique visant à contester la fiabilité des éléments fournis dans le mémoire en défense.

68 L’annexe D.7 du mémoire en duplique, relative aux systèmes de paiement d’importance systémique, a été produite par le Conseil pour répondre à l’argument du mémoire en réplique par lequel la requérante conteste avoir favorisé le gouvernement russe en sa qualité d’opérateur d’un système de paiement d’importance systémique.

69 Les annexes D.8 et D.9 du mémoire en duplique, concernant la Banque centrale de la Fédération de Russie, visent à répondre aux arguments du mémoire en réplique selon lesquels cette institution financière serait indépendante des autorités fédérales russes. L’annexe D.10 du mémoire en duplique, se rapportant à la banque russe Sberbank, a été produite pour répondre à l’argumentation du mémoire en réplique faisant état de l’indépendance de cette institution financière à l’égard du gouvernement russe.
Les annexes D.11 et D.12 du mémoire en duplique, qui portent sur la VEB.RF, visent à répondre à l’argumentation du mémoire en réplique par laquelle il est soutenu que cette institution financière gère ses actifs de manière indépendante.

70 Ainsi, il y a lieu de considérer que les annexes du mémoire en duplique, en ayant pour but de réfuter les arguments ou les éléments de preuve présentés par la requérante dans le mémoire en réplique, constituent une preuve contraire au sens de l’article 92, paragraphe 7, du règlement de procédure.

71 Partant, les annexes du mémoire en duplique sont recevables.

72 En second lieu, la requérante soutient que le Tribunal ne saurait prendre en compte les preuves annexées au mémoire en défense et au mémoire en duplique au motif que celles-ci ne figuraient pas dans le premier dossier de preuves.

73 Selon une jurisprudence constante, la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté (arrêts du 3 septembre 2015, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 22, et du 8 mars 2023, Prigozhina/Conseil, T‑212/22, non publié, EU:T:2023:104, point 80).

74 Il y a également lieu de rappeler que le contrôle de la légalité au fond qui incombe au Tribunal doit être effectué, en ce qui concerne en particulier le contentieux des mesures restrictives, à l’aune non seulement des éléments figurant dans les exposés des motifs des actes litigieux, mais également de ceux que le Conseil fournit, en cas de contestation, au Tribunal pour établir le bien-fondé des faits allégués dans ces exposés (arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316,
point 64).

75 Certes, ainsi que le relève la requérante, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil (T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317), le Tribunal avait jugé que le Conseil devait disposer des éléments pour établir le bien-fondé des faits allégués dans l’exposé des motifs au moment de l’adoption des actes litigieux (point 52 de cet arrêt). Toutefois, ce faisant, le Tribunal n’a pas entendu exclure toute possibilité de prendre en compte, lors de son contrôle de légalité
des actes attaqués, des preuves additionnelles qui ne figuraient pas dans le dossier de preuve et qui sont produites aux fins de confirmer le bien-fondé des faits allégués dans les motifs d’inscription, dès lors, d’une part, que ces preuves corroborent des éléments dont le Conseil disposait et, d’autre part, que lesdites preuves se rapportent à des faits antérieurs à l’adoption des actes attaqués en cause.

76 En l’espèce, s’agissant des annexes B.1 à B.6 du mémoire en défense, à savoir des éléments de nature biographique se rapportant à certains membres du conseil d’administration de MOEX, il y a lieu de relever que plusieurs éléments se rapportent à des personnalités qui n’étaient pas membres du conseil d’administration en exercice au moment de l’adoption des actes initiaux. Par conséquent, les preuves produites dans les annexes B.1 à B.6 du mémoire en défense ne sauraient être prises en compte pour
vérifier le bien-fondé des actes initiaux.

77 S’agissant des annexes du mémoire en duplique, ainsi que cela ressort des points 67 à 69 ci-dessus, celles-ci ont été produites par le Conseil non pas pour étayer le bien-fondé des faits allégués dans les motifs d’inscription, mais pour répondre aux arguments soulevés par la requérante dans son mémoire en réplique. Dès lors qu’il ne s’agit pas de preuves produites pour étayer le bien-fondé des faits exposés dans les motifs d’inscription, les principes énoncés aux points 73 à 75 ci-dessus ne sont
pas applicables. Ainsi, en l’espèce, les preuves produites au stade du mémoire en duplique peuvent être prises en compte par le Tribunal pour contrôler le bien-fondé des allégations de la requérante.

d) Sur la première branche du deuxième moyen, tirée de ce que la requérante ne permettrait pas au gouvernement de mobiliser ses ressources

78 La requérante soutient que l’affirmation selon laquelle elle serait le seul dépositaire de titres en Russie ayant accès au système financier international est erronée, dans la mesure où d’autres dépositaires en Russie détiendraient des comptes-titres auprès de DCT internationaux.

79 La requérante indique que, en tant que DCT au sens du droit russe, elle constitue une partie de la chaîne internationale des opérations sur titres et participe à l’exploitation, à la conservation, au règlement et aux paiements relatifs à divers titres. Elle soutient que la majeure partie de ses activités en tant que DCT est destinée aux acteurs privés du marché, et non au gouvernement russe. En ce qui concerne les obligations émises par le ministère russe des Finances, elle fait valoir qu’elle
n’est que l’un des nombreux établissements financiers qui participent aux émissions d’obligations. En outre, la requérante précise que, en tant que DCT, elle agit uniquement pour le compte et sur ordre de clients et qu’elle ne place pas ses propres actifs sur ses comptes ouverts auprès de DCT étrangers, lesquels ne sont détenus par elle qu’à titre fiduciaire pour le compte de ses clients. La requérante soutient également que, en tant que DCT, ses relations avec des entités liées au gouvernement
russe sont des relations commerciales de pleine concurrence qui ne se distinguent pas de celles avec ses autres clients des secteurs public et privé. Dès lors, elle conteste que ses relations avec les entités liées au gouvernement russe soient considérées comme un soutien matériel ou financier audit gouvernement. Par ailleurs, dans ses observations sur le mémoire en intervention de la Commission, la requérante fait valoir que le ministère russe des Finances peut émettre des obligations sans
recourir à ses services.

80 De plus, la requérante conteste l’importance du système de paiement qu’elle exploite et, en tout état de cause, considère que le Conseil n’a pas prouvé que le fait d’exploiter un système de paiement d’importance nationale et systémique impliquait de permettre au gouvernement russe de mener ses activités et politiques et de mobiliser ses ressources. À cet égard, la requérante soutient que, en sa qualité de gestionnaire d’un système de paiement, ses relations avec les entités liées au gouvernement
russe s’effectuent dans des conditions de pleine concurrence, de sorte que la fourniture de services en cette qualité n’équivaut pas à un soutien matériel ou financier audit gouvernement. Par ailleurs, la requérante relève que l’objectif visant à compromettre le fonctionnement de l’économie russe n’a pas été atteint, dans la mesure où il existe de nombreux autres systèmes de paiement importants capables de remplir les mêmes fonctions.

81 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.

82 En premier lieu, il convient de vérifier si le Conseil a commis une erreur d’appréciation en considérant que la requérante était une institution financière d’importance systémique jouant un rôle essentiel dans le fonctionnement du système financier russe.

83 À cet égard, selon la pièce no 1 du premier dossier de preuves, la requérante est considérée comme « une composante essentielle de l’infrastructure financière russe ». Il ressort de la pièce no 2 de ce même dossier que la Banque centrale de la Fédération de Russie considère que la requérante constitue « une infrastructure de marché financier d’importance systémique : un dépositaire central de titres d’importance systémique, un dépositaire de règlement, un référentiel commercial et un registre des
transactions financières ». De plus, dans la pièce no 2 du premier dossier de preuves, il est précisé que le système de paiement exploité par la requérante est d’importance systémique et nationale. Cet élément de preuve fait également état de la connexion de la requérante avec le système financier international étant donné qu’elle est présentée comme possédant des comptes-titres auprès d’autres DCT et de DCT internationaux dans huit pays, des comptes auprès de banques dépositaires étrangères
ainsi que des comptes de correspondants auprès de grandes banques étrangères et russes. En outre, selon la pièce no 2 du premier dossier de preuves, en 2020, la valeur des actifs, dont les titres étaient conservés par la requérante, avait atteint 63,6 billions de roubles (soit environ 636 milliards d’euros).

84 Il y a lieu de relever que la pièce no 7 du premier dossier de preuves fait également état de la connexion de la requérante avec le système financier international et que la pièce no 8 de ce dossier confirme l’importance des actifs, dont les titres sont conservés auprès de la requérante, lesquels avaient atteint, au deuxième trimestre 2020, un montant de 69,5 billions de roubles (soit environ 695 milliards d’euros).

85 Ainsi, il y a lieu de constater que le Conseil disposait, dès l’adoption des actes initiaux, d’une base factuelle suffisante pour considérer que la requérante était une institution financière importante pour le système financier russe ayant des connexions avec le système financier international.

86 Par ailleurs, la pièce no 3 du deuxième dossier de preuves confirme, au stade de l’adoption des actes de maintien de mars 2023 et de septembre 2023, l’importance de la requérante pour le système financier russe étant donné qu’elle est décrite comme ayant une « importance critique » en tant que DCT et comme ayant un « rôle exceptionnel sur le marché russe des services financiers pour assurer le bon fonctionnement de l’infrastructure du marché ».

87 Les arguments de la requérante ne sont pas de nature à remettre en cause cette conclusion.

88 Premièrement, la requérante conteste l’importance des DCT dans le système financier et leurs liens avec les gouvernements. Or, il ressort des précisions apportées par le Conseil dans ses mémoires et par la Commission lors de l’audience que les DCT sont considérés comme des entités d’importance systémique qui sont essentielles, notamment, pour la mise en œuvre efficace de la politique monétaire, la crédibilité d’un programme de gestion de la dette publique, la gestion des garanties ainsi que la
sécurité et l’efficience des marchés de titres. Les allégations de la requérante sont contredites non seulement par les documents de travail du Fonds monétaire international (annexe D.1 du mémoire en duplique), mais également par les informations provenant de la Bundesbank (Banque fédérale d’Allemagne) (annexe D.3 du mémoire en duplique) ou de la Banka Slovenije (Banque centrale de Slovénie) (annexe D.4 du mémoire en duplique). Force est de constater que la requérante n’a apporté aucun élément de
nature à remettre en cause la fiabilité de ces informations.

89 Deuxièmement, s’agissant de l’argumentation de la requérante tendant à contester l’importance du système de paiement qu’elle exploite, il y a lieu de relever que cette dernière n’a apporté aucun élément de preuve permettant d’étayer son affirmation selon laquelle, en substance, son système de paiement a été reconnu comme étant d’importance systémique uniquement du fait qu’elle traitait des opérations de paiement effectuées dans le cadre d’un commerce organisé. En effet, ainsi que le relève à
juste titre le Conseil, l’article 22, paragraphe 1, de la loi fédérale russe no 161-FZ, du 27 juin 2011, relative au système de paiement national, fourni par la requérante, énonce les critères pour désigner un système de paiement d’importance systémique, mais n’indique pas que la requérante est désignée comme tel sur le fondement du critère relatif au traitement d’opérations effectuées dans le cadre du commerce organisé. En outre, contrairement à ce qu’allègue la requérante, son système de
paiement n’a pas été considéré comme étant d’importance nationale du seul fait que les infrastructures informatiques qu’elle utilisait étaient situées en Russie. Certes, selon l’article 22, paragraphe 13, de ladite loi, lu conjointement avec la note de la Banque centrale de la Fédération de Russie du 25 juillet 2014, relative aux exigences en matière de technologies de l’information utilisées par les opérateurs exploitant des services de paiement aux fins de la reconnaissance en tant que système
de paiement d’importance nationale, versée au dossier par la requérante, l’un des critères pour être reconnu comme un établissement d’importance nationale tient à l’exigence selon laquelle les infrastructures informatiques doivent être situées en Russie. Toutefois, cette disposition exige également que soit satisfait un autre critère tenant à la démonstration que la Fédération de Russie, la Banque centrale de la Fédération de Russie ou des citoyens de la Fédération de Russie contrôlent
directement ou indirectement l’opérateur du système de paiement et des opérateurs de services de l’infrastructure de paiement. En tout état de cause, force est de constater que ni la loi fédérale russe no 161-FZ, du 27 juin 2011, relative au système de paiement national ni la note de la Banque centrale de la Fédération de Russie susmentionnée ne sont susceptibles de remettre en cause l’importance du système de paiement exploité par la requérante ou le fait qu’il s’agit d’une institution
financière d’importance systémique en Russie. Au demeurant, il y a lieu de relever qu’il ressort de l’annexe C.6 du mémoire en réplique que le système de paiement de la requérante est, notamment, utilisé par la Banque centrale de la Fédération de Russie dans le cadre du refinancement des établissements de crédit ou des opérations d’« open market » qui permettent de fournir ou de gérer les liquidités sur le marché. Par conséquent, la requérante ne saurait faire valoir que le système de paiement
qu’elle exploite est dépourvu d’importance étant donné qu’il est, notamment, utilisé pour la mise en œuvre de la politique monétaire russe.

90 Quant à l’argument de la requérante selon lequel l’objectif visant à compromettre le fonctionnement de l’économie russe n’aurait pas été atteint, notamment du fait qu’il existe 54 autres systèmes de paiement capables de remplir les mêmes fonctions que celui qu’elle exploite, il y a lieu de relever que cette dernière n’apporte aucune preuve de l’existence de ces autres systèmes de paiement ni aucun élément qui permettrait de considérer qu’il s’agit de systèmes de paiement d’importance systémique.
Par ailleurs, le prétendu fait que les mesures restrictives n’auraient pas atteint leur objectif n’est pas de nature à remettre en cause le constat selon lequel la requérante exploite un système de paiement d’importance systémique. En effet, un tel fait est dénué de rapport avec l’importance systémique dudit système de paiement.

91 Troisièmement, la requérante ne conteste pas avoir des connexions avec le système financier international, mais soutient que d’autres dépositaires de titres russes ont également accès au système financier international. En particulier, elle relève que deux autres institutions financières détiennent des comptes-titres directement auprès d’Euroclear. Dès lors, elle soutient que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en constatant dans les motifs d’inscription qu’elle constituait le seul
dépositaire russe à avoir accès au système financier international. À cet égard, il convient de relever que l’inscription de la requérante sur les listes litigieuses est justifiée par son rôle dans le fonctionnement du système financier russe, en particulier en tant que dépositaire central de titres, et par sa connexion avec le système financier international. Par conséquent, à supposer même que le Conseil ait commis une erreur en constatant que la requérante était le seul dépositaire de titres
en Russie à avoir une connexion avec le système financier international, une telle erreur ne saurait être, à elle seule, de nature à affecter la légalité des actes attaqués. En effet, la circonstance selon laquelle il pourrait y avoir d’autres dépositaires de titres ayant accès au système financier international n’infirme pas la constatation selon laquelle la requérante était le seul dépositaire central en Russie et qu’elle jouait un rôle essentiel dans le fonctionnement du système financier
russe.

92 Il résulte des considérations qui précèdent que la requérante n’a pas démontré que le Conseil avait commis une erreur d’appréciation en constatant qu’elle était une institution financière d’importance systémique jouant un rôle essentiel dans le fonctionnement du système financier russe.

93 En second lieu, il convient de vérifier si, compte tenu du rôle important de la requérante dans le système financier russe, c’est à tort que le Conseil a constaté qu’elle permettait directement ou indirectement au gouvernement russe de mener ses activités et politiques et de mobiliser ses ressources.

94 Premièrement, il ressort de la pièce no 2 du premier dossier de preuves que, en 2020, les obligations émises par le ministère russe des Finances représentaient une part de 22 % de l’ensemble des actifs conservés par la requérante, ce qui correspondait ainsi à un montant d’environ 12,72 billions de roubles (soit environ 127,2 milliards d’euros). Selon la pièce no 8 du même dossier de preuves, au deuxième trimestre 2021, la valeur du solde des obligations fédérales conservées par la requérante
avait augmenté pour atteindre 15,2 billions de roubles (soit environ 152 milliards d’euros). En outre, cette dernière assure la gestion des obligations fédérales étant donné que, ainsi que cela ressort de la pièce no 11 du premier dossier de preuves, elle reçoit des versements du ministère russe des Finances afin d’assurer le paiement des intérêts aux créanciers des obligations fédérales.

95 Ainsi, pour ce qui est des actes initiaux, avec le premier dossier de preuves, le Conseil disposait d’une base factuelle suffisante pour constater que, par les services qu’elle offrait au gouvernement russe en tant que DCT dans le cadre de l’émission, de la conservation et de la gestion des obligations fédérales, la requérante lui permettait de mener ses activités et politiques et de mobiliser ses ressources.

96 Cette conclusion est confirmée au stade de l’adoption des actes de maintien de mars 2023 et de septembre 2023. En effet, il ressort de la pièce no 2 du deuxième dossier de preuves que, à la fin de l’année 2021, la valeur du solde des obligations fédérales conservées par la requérante avait atteint 15,5 billions de roubles (soit environ 155 milliards d’euros). En outre, le deuxième dossier de preuves contient des pièces indiquant des montants de plusieurs milliards de roubles transférés à la
requérante par le ministère russe des Finances afin de payer les coupons sur certaines obligations, en particulier sur les euro-obligations « Russie-2042 » (pièce no 5) ainsi que sur des euro-obligations arrivant à maturité en 2023 et en 2043 (pièce no 8), en 2035 (pièce no 9) ainsi qu’en 2027 et en 2032 (pièce no 10).

97 Les arguments de la requérante ne sauraient remettre en cause cette conclusion.

98 Tout d’abord, contrairement à ce que fait valoir la requérante, le fait qu’elle n’acquiert pas les obligations émises par le ministère russe des Finances pour son propre compte, mais qu’elle agit uniquement pour le compte et sur ordre de clients ne remet pas en cause le constat selon lequel, par les services financiers qu’elle offre en tant que DCT au gouvernement russe dans le cadre de ses émissions obligataires, elle contribue, ainsi que le soutiennent à juste titre le Conseil et la Commission,
à la crédibilité du programme de gestion de la dette publique. Ainsi, par son rôle d’intermédiaire financier dans le cadre de la conservation et de la gestion des obligations fédérales, la requérante permet au gouvernement russe de mobiliser des ressources financières. En ce sens, il y a lieu de rappeler que, selon la pièce no 2 du premier dossier de preuves et la pièce no 2 du deuxième dossier de preuves, la requérante conserve et gère un montant quantitativement important d’obligations
fédérales, dont elle assure l’intégrité et le versement des coupons aux créanciers pour le compte du gouvernement russe.

99 Ensuite, s’il est vrai que, dans le cadre des émissions d’obligations du ministère russe des Finances, la requérante participe aux émissions susmentionnées aux côtés d’autres établissements financiers et de cabinets d’avocats internationaux, il convient toutefois de tenir compte du rôle crucial des services qu’elle fournit dans le cadre de la gestion de la dette publique de la Fédération de Russie. En effet, le suivi et la conservation des obligations fédérales ainsi que l’implication de la
requérante dans le versement des intérêts aux créanciers contribuent, ainsi que cela a été relevé au point 98 ci-dessus, à la crédibilité du programme de gestion de la dette publique, ce qui la distingue des autres établissements financiers impliqués dans les émissions des obligations fédérales. À cet égard, en ce qui concerne l’argument tiré de ce que le ministère russe des Finances pourrait émettre des obligations en recourant aux services d’autres dépositaires de titres russes ou de
dépositaires de titres étrangers, force est de constater qu’il n’est étayé par aucun élément de preuve. En tout état de cause, un tel argument ne saurait prospérer. À supposer même que le gouvernement russe puisse recourir à d’autres opérateurs, ce seul fait ne serait pas de nature à remettre en cause l’importance acquise par la requérante dans le cadre de l’émission et de la gestion des obligations fédérales étant donné qu’elle conservait dans ses registres des obligations fédérales pour un
montant de plusieurs billions de roubles, à savoir 15,5 billions de roubles (soit environ 155 milliards d’euros), à la fin de l’année 2021. De plus, il ressort de la pièce no 2 du premier dossier de preuves que, en 2020, le gouvernement russe a eu recours aux services de la requérante pour l’émission d’obligations fédérales pour un montant de 4,7 billions de roubles (soit environ 47 milliards d’euros). Selon la pièce no 2 du deuxième dossier de preuves, entre 2020 et 2021, le montant total des
obligations fédérales conservées par la requérante a augmenté de 13,3 %. Or, de tels éléments sont de nature à conforter l’importance des services offerts par la requérante au gouvernement russe dans le cadre de son programme d’émission de titres de dette publique. Par ailleurs, la circonstance selon laquelle la requérante, en tant que DCT, a fourni également des services à des entreprises privées ne saurait remettre en cause le fait que les services fournis audit gouvernement dans le cadre de la
gestion de la dette publique permettaient à ce dernier de mobiliser ses ressources.

100 Enfin, s’agissant de l’argumentation selon laquelle les relations de la requérante avec les entités liées au gouvernement russe constitueraient des relations commerciales de pleine concurrence comparables aux relations avec ses clients privés, il y a lieu de relever que, à lui seul, un tel fait ne saurait remettre en cause l’importance des services offerts par la requérante dans le cadre de l’émission, de la conservation et de la gestion des obligations fédérales, ce fait étant sans rapport avec
l’importance desdits services. Au demeurant, selon la pièce no 11 du premier dossier de preuves, au mois de mars 2022, la requérante a informé les investisseurs que, conformément à une injonction de la Banque centrale de la Fédération de Russie, les détenteurs étrangers d’obligations fédérales n’étaient plus autorisés à percevoir le paiement des coupons sur lesdites obligations. Dès lors, du fait que la requérante devait se conformer à l’injonction de la Banque centrale, lors de l’adoption des
actes initiaux, le Conseil pouvait valablement considérer que la requérante n’opérait plus dans des conditions normales d’exploitation commerciale. Il y a lieu de relever que la requérante ne conteste pas ce fait étant donné que, dans ses observations sur le mémoire en intervention de la Commission, elle a confirmé que, le 28 février 2022, la Banque centrale de la Fédération de Russie avait adressé aux dépositaires de titres une injonction contraignante leur demandant de suspendre temporairement
les opérations visant à débiter les titres d’émetteurs russes sur les comptes-titres de détenteurs désignés étrangers ou de titulaires étrangers. Il s’ensuit que, à compter de la mise en œuvre, par la requérante, de l’injonction de la Banque centrale de la Fédération de Russie du 28 février 2022, celle-ci n’était plus fondée à soutenir que ses relations avec les entités liées au gouvernement russe étaient des relations de pleine concurrence comparables aux relations avec ses clients privés.

101 Deuxièmement, il y a lieu de relever que, selon la pièce no 8 du premier dossier de preuves, le Trésor fédéral russe a utilisé le système de gestion des garanties de la requérante pour le placement de liquidités dans le cadre d’opérations de pension pour un montant ayant atteint 40,8 billions de roubles (soit environ 408 milliards d’euros) en 2021. Ce fait est corroboré par la pièce no 2 du deuxième dossier de preuves dans le cadre de l’adoption des actes de maintien de mars 2023. En réponse à
une mesure d’organisation de la procédure, la requérante a confirmé que le Trésor fédéral russe utilisait son système de gestion des garanties. Dans sa réponse, la requérante a émis une réserve tendant à faire valoir que les pièces produites par le Conseil ne seraient pas fiables. Or, il suffit de relever que la pièce no 2 du deuxième dossier de preuves est un rapport de MOEX, à savoir la société qui détient plus de 99 % des parts sociales de la requérante, de sorte que cette dernière ne saurait
faire valoir que les informations qu’il comporte ne sont pas fiables. En outre, s’agissant de l’indication selon laquelle le Trésor fédéral russe utiliserait le système de gestion des garanties de la requérante dans des conditions de pleine concurrence comparables à celles appliquées aux clients privés, pour les mêmes raisons que celles exposées au point 100 ci-dessus, la requérante ne saurait se prévaloir d’un tel fait pour contester l’importance des services qu’elle fournit au gouvernement
russe. Ainsi, eu égard au montant des liquidités placées par le Trésor fédéral russe en recourant au système de gestion des garanties de la requérante, le Conseil pouvait considérer, sans commettre d’erreur d’appréciation, que cette dernière permettait au gouvernement russe de mobiliser des ressources.

102 Troisièmement, il ressort également de la pièce no 8 du premier dossier de preuves et de la pièce no 2 du deuxième dossier de preuves que la Banque centrale de la Fédération de Russie a utilisé le système de gestion des garanties de la requérante pour des transactions ayant atteint un montant de 2,3 billions de roubles (soit environ 23 milliards d’euros) en 2021. En outre, dans la pièce no 8 du premier dossier de preuves, les opérations de prise en pension de la Banque centrale de la Fédération
de Russie impliquant le recours à des services financiers fournis par la requérante sont décrites comme étant des opérations destinées à soutenir l’économie nationale.

103 Au demeurant, ainsi que cela ressort du point 89 ci-dessus, la Banque centrale de la Fédération de Russie utilise également le système de paiement de la requérante pour réaliser des opérations de politique monétaire.

104 Or, il y a lieu de constater, à l’instar de ce que la Commission a indiqué en réponse à une question du Tribunal, que la gestion des liquidités est une composante importante de la politique monétaire ayant une incidence sur les performances de l’économie russe et donc indirectement sur les revenus de la Fédération de Russie. Il s’ensuit que les services fournis par la requérante à la Banque centrale de la Fédération de Russie pouvaient valablement être considérés comme permettant indirectement
au gouvernement russe de mobiliser des ressources.

105 Quatrièmement, ainsi que le fait valoir à juste titre le Conseil, étant donné le rôle important de la requérante dans le système financier russe, lequel renforce l’efficacité des marchés financiers, elle contribue à attirer les investissements en Russie, favorisant ainsi la croissance économique, et, par voie de conséquence, elle contribue à permettre indirectement au gouvernement russe de mobiliser ses ressources.

106 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de relever que le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en constatant que la requérante permettait au gouvernement russe de mener ses activités et politiques et de mobiliser ses ressources. Compte tenu de l’importance des services financiers fournis par la requérante, tant audit gouvernement qu’à la Banque centrale de la Fédération de Russie, et de sa contribution plus générale au bon fonctionnement du système financier russe, il y
a lieu de constater que le Conseil pouvait valablement considérer que la requérante fournissait un soutien matériel ou financier important, d’un point de vue quantitatif et qualitatif, au gouvernement de la Fédération de Russie lui permettant de mobiliser ses ressources financières dans le but de poursuivre ses actions de déstabilisation de l’Ukraine.

107 Partant, la première branche du deuxième moyen doit être écartée.

e) Sur la deuxième branche du deuxième moyen, tirée de ce que la requérante ne serait pas sous le contrôle du gouvernement russe

108 La requérante conteste le constat selon lequel elle serait contrôlée par le gouvernement russe. Elle soutient que MOEX et elle-même sont des entités juridiques distinctes et que le Conseil n’a pas établi qu’elle était contrôlée par MOEX. En outre, la requérante fait valoir que ledit gouvernement n’est pas en mesure d’exercer un contrôle, ni de droit ni de fait, sur MOEX.

109 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.

110 Il y lieu de relever que le critère du soutien matériel ou financier au gouvernement, prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous f), de la décision 2014/145 modifiée, ne nécessite pas d’établir l’exercice d’un contrôle par ledit gouvernement sur la personne, l’entité ou l’organisme qui lui apporte un soutien.

111 Ainsi, dès lors qu’il ressort de l’examen de la première branche que le Conseil disposait d’une base factuelle suffisante et n’a pas commis d’erreur d’appréciation en constatant que la requérante fournissait un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, la constatation selon laquelle cette dernière est contrôlée par ledit gouvernement constitue un élément de contexte supplémentaire qui ne saurait avoir de caractère déterminant pour justifier son inscription sur les
listes litigieuses.

112 Il en résulte que les arguments de la requérante tendant à contester le bien-fondé de cette constatation doivent être écartés comme étant inopérants.

113 Partant, la deuxième branche du deuxième moyen doit être écartée.

f) Sur la troisième branche du deuxième moyen, tirée de l’absence de lien suffisant entre la requérante et le gouvernement russe

114 La requérante fait valoir, en substance, que les actes attaqués ne démontrent pas en quoi les mesures restrictives dont elle fait l’objet sont prises à l’encontre de la Fédération de Russie.

115 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.

116 À cet égard, il y a lieu de relever que la requérante a été inscrite sur les listes litigieuses sur le fondement du critère du soutien matériel ou financier au gouvernement prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous f) de la décision 2014/145 modifiée. Or, il résulte de l’examen de la première branche du présent moyen que le Conseil disposait d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour justifier l’inscription de la requérante sur lesdites listes sur le fondement de ce
critère. Il s’ensuit que le Conseil a établi un lien suffisant entre la requérante et la Fédération de Russie, la démonstration de l’existence d’un lien supplémentaire allant au-delà du soutien matériel ou financier prévu par le critère d’inscription retenu à l’égard de la requérante n’étant pas nécessaire.

117 Dès lors, la troisième branche du deuxième moyen doit être écartée.

118 Partant, il convient de rejeter le deuxième moyen et, compte tenu des considérations figurant aux points 46 et 47 ci-dessus, le quatrième moyen dans leur intégralité.

3. Sur le troisième moyen, tiré d’une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux

119 La requérante fait valoir que les actes attaqués violent sa liberté d’entreprise et son droit de propriété garantis par les articles 16 et 17 de la Charte. Elle considère que les actes attaqués l’empêchent d’exercer librement une activité économique et de s’acquitter de ses obligations envers ses clients, ce qui porte atteinte à sa liberté d’entreprise et à son droit de propriété.

120 En outre, la requérante estime que les actes attaqués ne respectent pas le contenu essentiel de ses droits garantis par les articles 16 et 17 de la Charte. Elle considère également que les mesures en cause ne sont ni appropriées ni nécessaires pour atteindre les buts poursuivis par le Conseil. La requérante soutient également que le Conseil n’a pas démontré que les mesures restrictives en cause constituaient le moyen le moins contraignant d’atteindre l’objectif poursuivi ni que des mesures moins
contraignantes n’auraient pu être adoptées.

121 De plus, selon la requérante, il n’y a pas de lien suffisant entre les mesures restrictives en cause et les objectifs poursuivis et il ne saurait être admis que les sociétés non contrôlées par l’État peuvent être visées par de telles mesures au seul motif qu’elles exercent leurs activités dans un secteur économique important.

122 La requérante se prévaut également de ce que les mesures adoptées à son égard portent atteinte aux droits fondamentaux de ses clients qui ne peuvent pas disposer de leurs titres, qu’elle détient à titre fiduciaire sur ses comptes gelés auprès de dépositaires de titres établis dans l’Union.

123 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.

124 Il y a lieu de rappeler que la liberté d’entreprise et le droit de propriété sont consacrés, respectivement, à l’article 16 et à l’article 17 de la Charte.

125 Il y a également lieu de rappeler que les droits fondamentaux invoqués par la requérante ne constituent pas des prérogatives absolues et que leur exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par les objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union, à condition que de telles restrictions répondent effectivement auxdits objectifs d’intérêt général et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des
droits ainsi garantis (arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 148, et du 25 juin 2020, VTB Bank/Conseil, C‑729/18 P, non publié, EU:C:2020:499, point 80).

126 Pour être conforme au droit de l’Union, une atteinte aux droits fondamentaux en cause doit être prévue par la loi, respecter le contenu essentiel desdits droits, viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union, et ne pas être disproportionnée (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 222 et jurisprudence citée).

127 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de déterminer si les actes attaqués constituent une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprise et au droit de propriété.

128 En premier lieu, il convient d’examiner l’argumentation par laquelle la requérante fait valoir que les mesures restrictives prises à son égard ont entraîné le gel des fonds ou des ressources économiques appartenant à ses clients pour un montant d’environ 1,479 milliard d’euros, de sorte que lesdites mesures violent le droit de propriété desdits clients.

129 À cet égard, il y a lieu de relever que la requérante ne saurait invoquer au soutien de son recours en annulation un droit de propriété dont elle n’est pas titulaire (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2022, Anglo Austrian AAB et Belegging-Maatschappij Far-East/BCE, T‑797/19, sous pourvoi, EU:T:2022:389, point 285). En effet, selon la jurisprudence, la violation d’un droit subjectif ne peut, en principe, être invoquée que par la personne dont le droit a prétendument été violé, et non par des
tiers (voir, par analogie, arrêt du 19 septembre 2019, Zhejiang Jndia Pipeline Industry/Commission, T‑228/17, EU:T:2019:619, point 36 et jurisprudence citée). En l’espèce, ainsi que l’a reconnu la requérante lors de l’audience, ses clients disposent de voies de recours devant des juridictions nationales, devant lesquelles ils peuvent, notamment, faire valoir une atteinte à leur droit de propriété consacré à l’article 17 de la Charte.

130 En outre, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la dérogation, qui était prévue à l’article 2, paragraphe 15 de la décision 2014/145 modifiée et à l’article 6 ter, paragraphe 5, du règlement no 269/2014 modifié, n’aurait pas permis à ses clients d’obtenir le dégel de leurs fonds ou de leurs ressources économiques en raison de l’inaction des autorités nationales ou de conditions trop restrictives imposées par lesdites autorités, il y a lieu de relever que, par cet argument, la
requérante ne conteste pas en réalité la légalité de ladite dérogation adoptée par le Conseil, mais la légalité des mesures adoptées par les autorités nationales dans le cadre de la mise en œuvre de cette disposition.

131 Or, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, le Tribunal n’est pas compétent pour exercer un contrôle de légalité des décisions adoptées par les autorités nationales ou de jugements rendus par les juridictions nationales (voir, en ce sens, ordonnances du 5 octobre 1983, Chatzidakis Nevas/Caisse des juristes à Athènes, 142/83, EU:C:1983:267, point 4, et du 24 août 2010, Grúas Abril
Asistencia/Commission, T‑386/09, non publiée, EU:T:2010:331, point 28). En effet, selon une jurisprudence bien établie, il n’appartient qu’aux juridictions nationales compétentes de contrôler la validité des mesures nationales d’exécution des actes de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 1996, Branco/Commission, T‑271/94, EU:T:1996:103, point 53, et du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 268).

132 En outre, il y a lieu de rappeler que, lorsqu’elle statue sur une demande de déblocage de fonds gelés conformément aux dérogations prévues par la décision 2014/145 modifiée et le règlement no 269/2014 modifié, l’autorité nationale compétente met en œuvre le droit de l’Union. Il s’ensuit que, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, elle est tenue de respecter la Charte, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 12 juin 2014, Peftiev, C‑314/13,
EU:C:2014:1645, point 24, et du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 266).

133 Il en résulte que, pour les clients de la requérante qui ne sont visés par aucune mesure restrictive et dont les fonds ou les ressources économiques sont gelés en raison des mesures restrictives adoptées à l’égard de la requérante, dans le cadre de l’examen d’une demande de déblocage desdits fonds ou desdites ressources économiques, il incombe aux autorités nationales de s’assurer que l’ingérence dans le droit de propriété de ces clients respecte les conditions prévues à l’article 52 de la
Charte.

134 En second lieu, il convient de relever que la liberté d’entreprise de la requérante, de même que son droit de propriété relatif aux fonds propres ou aux ressources économiques lui appartenant déposés auprès d’institutions financières établies dans l’Union, sont restreints par les mesures restrictives qui lui sont appliquées. Dès lors, il convient de vérifier si les conditions pour justifier une ingérence dans ses droits fondamentaux, rappelées au point 126 ci-dessus, sont réunies.

135 Premièrement, il y a lieu de constater que les mesures restrictives en cause sont prévues par la loi, puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant, notamment, une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union, à savoir, respectivement, l’article 29 TUE et l’article 215 TFUE.

136 Deuxièmement, il convient de rappeler que les mesures restrictives adoptées ont pour effet de geler les fonds propres ou les ressources économiques appartenant à la requérante à titre conservatoire. En outre, les actes attaqués s’appliquent pour six mois et font l’objet d’un suivi constant, comme cela est prévu à l’article 6 de la décision 2014/145. Dès lors que lesdites mesures sont temporaires et réversibles, il y a lieu de considérer qu’elles ne portent pas atteinte au contenu essentiel de la
liberté d’entreprise et du droit de propriété de la requérante. Force est de constater que la requérante n’a développé aucune argumentation étayée susceptible de remettre en cause cette conclusion.

137 Troisièmement, les mesures restrictives en cause répondent à un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union, de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 150). En effet, elles visent à exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. À cet égard,
en février 2022, le Conseil a souhaité affaiblir stratégiquement l’économie russe, d’une part, en interdisant, notamment, le financement de la Fédération de Russie, de son gouvernement et de sa Banque centrale et, d’autre part, en appliquant de telles mesures, notamment, dans le domaine de la finance, de la défense et de l’énergie. Il ressort, en outre, du considérant 11 de la décision 2022/329 que le Conseil a estimé que, eu égard à la gravité de la situation en Ukraine, il convenait de
modifier les critères de désignation. Dès lors, il apparaît que l’Union cherche à réduire les revenus de l’État russe et à mettre la pression sur le gouvernement russe, afin de diminuer sa capacité à financer les actions de celui-ci compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et d’y mettre fin en vue de la préservation de la stabilité européenne et mondiale. Or, il s’agit là d’un objectif qui relève de ceux poursuivis dans le cadre de la politique
étrangère et de sécurité commune visés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, tels que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale.

138 Quatrièmement, il convient de vérifier si la limitation de la liberté d’entreprise et du droit de propriété de la requérante, relatif aux fonds propres ou aux ressources économiques lui appartenant, est proportionnée à l’objectif poursuivi par les mesures restrictives.

139 Tout d’abord, s’agissant du caractère approprié des mesures restrictives visant la requérante, il convient de relever que, au regard d’objectifs d’intérêt général aussi fondamentaux pour la communauté internationale que sont le maintien de la paix et de la sécurité internationale, ces mesures ne sauraient, en tant que telles, passer pour inadéquates (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 2 décembre 2020, Kalai/Conseil, T‑178/19, non publié, EU:T:2020:580, point 171 et jurisprudence citée,
et du 3 février 2021, Boshab/Conseil, T‑111/19, non publié, EU:T:2021:54, point 150 et jurisprudence citée). En l’espèce, la requérante ne saurait faire valoir que les mesures restrictives adoptées à son égard sont inappropriées en raison de liens insuffisants avec l’objectif poursuivi par les actes attaqués en ce qu’elle aurait été inscrite sur les listes litigieuses au motif qu’elle exerçait ses activités dans un secteur important de l’économie russe. En effet, dès lors que l’objectif des
actes attaqués consiste à réduire les revenus de l’État russe et à mettre la pression sur le gouvernement russe, afin de diminuer la capacité de ce dernier à financer ses actions compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, l’approche consistant à cibler les opérateurs économiques qui, à l’instar de la requérante, apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement russe répond de manière cohérente audit objectif et ne saurait, par conséquent,
être considérée comme étant inappropriée au regard de l’objectif poursuivi (voir, par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 147).

140 Ensuite, en ce qui concerne le caractère nécessaire des mesures restrictives, si la requérante fait valoir que des mesures alternatives moins contraignantes auraient permis d’atteindre les objectifs poursuivis, force est toutefois de constater qu’elle n’invoque aucune mesure alternative moins contraignante ni ne démontre que le Conseil pouvait envisager d’adopter des mesures moins contraignantes tout aussi appropriées que celles prévues par les actes attaqués. Or, ainsi que le relève le Conseil,
il a déjà été jugé que des mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettaient pas aussi efficacement d’atteindre l’objectif poursuivi, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (arrêts du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 182, et du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié,
EU:T:2022:317, point 136).

141 Enfin, la mise en balance des intérêts en jeu démontre que les inconvénients des mesures restrictives pour la requérante ne sont pas démesurés étant donné l’importance primordiale du maintien de la paix et de la sécurité internationale.

142 En effet, ainsi que l’ont relevé le Conseil et la Commission, les effets des mesures restrictives se limitent au territoire de l’Union, de sorte qu’elles ne concernent tout au plus qu’une partie des fonds propres ou des ressources économiques appartenant à la requérante et qu’elles n’empêchent pas cette dernière d’exercer ses activités dans le pays dans lequel elle est établie ou dans d’autres pays tiers.

143 Il y a également lieu de constater que, s’il est vrai que les mesures restrictives empêchent la requérante d’utiliser les fonds ou les ressources économiques lui appartenant, elles ne la privent toutefois pas du droit de percevoir, conformément à l’article 2, paragraphe 6, sous a), de la décision 2014/145 et à l’article 7, paragraphe 2, sous a), du règlement no 269/2014, les intérêts ou autres rémunérations de ses comptes gelés sur lesquels sont déposés lesdits fonds et lesdites ressources, pour
autant que tous ces intérêts et autres rémunérations soient également gelés.

144 En outre, les actes attaqués prévoient des dérogations permettant aux autorités nationales d’autoriser le déblocage de certains fonds ou de certaines ressources économiques. En effet, l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 prévoit la possibilité d’autoriser l’utilisation de fonds ou de ressources économiques gelés pour faire face aux besoins essentiels des personnes morales, des entités ou des organismes inscrits sur les listes litigieuses, pour le remboursement de dépenses engagées
pour des services juridiques, pour le règlement des frais ou de commissions liées à la garde ou à la gestion courante des fonds ou des ressources gelés ainsi que pour couvrir des dépenses extraordinaires.

145 De plus, l’article 2, paragraphe 5, de la décision 2014/145 et l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 prévoient la possibilité d’un déblocage de certains fonds propres ou de certaines ressources économiques gelés appartenant à la requérante afin de lui permettre d’effectuer un paiement dû au titre d’un contrat ou d’un accord conclu avant la date de son inscription sur les listes litigieuses.

146 Il s’ensuit que l’ingérence dans la liberté d’entreprise et le droit de propriété de la requérante ne saurait être considérée comme étant disproportionnée.

147 Les autres arguments de la requérante ne sont pas susceptibles de remettre en cause cette conclusion.

148 Premièrement, en ce qui concerne l’argument tiré, en substance, de ce que l’atteinte à la liberté d’entreprise de la requérante serait d’autant plus importante du fait de l’impossibilité alléguée d’honorer ses obligations contractuelles à l’égard de ses clients au motif que les dérogations ne lui auraient pas permis de restituer à ses clients leurs titres qu’elle détenait sur ses comptes gelés, il convient d’examiner successivement la dérogation prévue à l’article 2, paragraphe 5, de la décision
2014/145 et à l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 ainsi que celle qui était prévue à l’article 2, paragraphe 19, de la décision 2014/145 modifiée et à l’article 6 ter, paragraphe 5, du règlement no 269/2014 modifié.

149 D’une part, il y a lieu de relever que, selon la dérogation prévue à l’article 2, paragraphe 5 de la décision 2014/145, laquelle était applicable au moment de l’adoption des actes initiaux, le gel de fonds ou de ressources économiques d’une personne, d’une entité ou d’un organisme n’interdit pas à cette personne, cette entité ou cet organisme d’effectuer un paiement dû au titre d’un contrat conclu avant la date à laquelle cette personne, cette entité ou cet organisme a été inscrit sur la liste
figurant à l’annexe de cette décision, dès lors que l’État membre concerné s’est assuré que le paiement n’était pas reçu, directement ou indirectement, par une personne physique ou morale, une entité ou un organisme inscrit sur ladite liste.

150 Ainsi, conformément à l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, les autorités nationales peuvent autoriser le déblocage de certains fonds ou de certaines ressources économiques gelés d’une personne, d’une entité ou d’un organisme à condition d’établir que, ainsi que cela ressort du point a) de cette disposition, ces fonds ou ces ressources économiques seront utilisés par cette personne, cette entité ou cet organisme et que, ainsi que cela ressort du point b) de cette même disposition,
le paiement à effectuer n’enfreint pas l’interdiction, prévue à l’article 2, paragraphe 2, dudit règlement, de mettre, directement ou indirectement, des fonds ou des ressources économiques à la disposition de personnes, d’entités ou d’organismes inscrits sur les listes litigieuses ou à des personnes, des entités ou des organismes qui leur sont associés.

151 Il y a lieu de relever que la notion de « fonds » fait l’objet d’une définition large à l’article 1er, sous g), du règlement no 269/2014, en ce qu’elle vise tous « les actifs financiers et les avantages économiques de toute nature ». Il en va de même pour ce qui concerne la notion de « ressources économiques », définie à l’article 1er, sous d), du même règlement, laquelle recouvre « les avoirs de toute nature, corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers, qui ne sont pas des fonds, mais
qui peuvent être utilisés pour obtenir des fonds, des biens ou des services ». Dès lors que des fonds ou des ressources économiques sont susceptibles d’être débloqués pour permettre à une personne, une entité ou un organisme d’effectuer un « paiement » au titre d’un contrat ou d’un accord conclu avec un tiers avant l’inscription sur les listes litigieuses, la notion de « paiement » doit nécessairement faire l’objet d’une interprétation large et ne saurait être limitée aux seuls paiements sous
forme d’un transfert d’une somme d’argent. En effet, ainsi que l’a relevé la Commission lors de l’audience, une interprétation restrictive de la notion de « paiement » serait contradictoire avec la possibilité de débloquer des fonds ou des ressources économiques définis largement afin de réaliser un paiement.

152 Il s’ensuit que, au moment de l’adoption des actes initiaux, la dérogation prévue à l’article 2, paragraphe 5, de la décision 2014/145 et à l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 permettait aux autorités nationales d’autoriser un déblocage de fonds ou de ressources économiques de la requérante afin de lui permettre de réaliser un paiement prenant la forme d’une restitution des titres de ses clients qu’elle détenait dans ses comptes gelés auprès de dépositaires de titres établis dans
l’Union.

153 Contrairement à ce que soutiennent le Conseil et la Commission, dans le cadre des opérations à réaliser par la requérante afin de mettre les titres appartenant à ses clients à la disposition de ces derniers, en application de la dérogation mentionnée au point 152 ci-dessus, l’article 2, paragraphe 2 du règlement no 269/2014 ne s’oppose pas au paiement, par lesdits clients, de commissions ou de frais à la requérante afin qu’elle effectue lesdites opérations. En effet, la possibilité pour la
requérante de recevoir un paiement en contrepartie d’un service rendu dans le cadre de l’exécution d’un contrat ou d’un accord qui a été conclu avant son inscription sur les listes litigieuses est expressément prévue à l’article 7, paragraphe 2, sous b), du règlement no 269/2014, à condition que ces paiements effectués par les clients soient gelés conformément à l’article 2, paragraphe 1 dudit règlement.

154 Certes, l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 269/2014 prévoit que le paiement que doit réaliser la requérante ne doit pas enfreindre l’article 2, paragraphe 2, du même règlement, à savoir l’interdiction de mettre, directement ou indirectement, des fonds ou des ressources économiques à la disposition de personnes, d’entités ou d’organismes inscrits sur la liste figurant à son annexe I ou à celle de personnes, d’entités ou d’organismes qui leur sont associés. Toutefois, cette
interdiction ne vise pas les paiements qui sont susceptibles d’être réalisés, par les clients de la requérante, à cette dernière en contrepartie du service rendu pour la restitution de leurs titres en exécution d’un contrat ou d’un accord qui a été conclu avant son inscription sur ladite liste. Elle vise à interdire à la requérante d’effectuer un paiement, en l’occurrence la restitution d’un titre, à une personne visée par des mesures restrictives. En effet, ainsi que cela ressort de
l’article 2, paragraphe 5, de la décision 2014/145, à la lumière de laquelle l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 269/2014 doit être interprété (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 141), la condition prévue à cette disposition du règlement no 269/2014 vise l’obligation pour les autorités nationales de s’assurer que le paiement effectué par la requérante n’est pas reçu, directement ou indirectement, par une personne, une entité ou un
organisme inscrit sur les listes litigieuses.

155 S’agissant de l’argumentation tirée de l’inaction des autorités nationales à la suite des demandes de la requérante visant à recourir à la dérogation prévue à l’article 2, paragraphe 5, de la décision 2014/145 et à l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, celle-ci ne saurait prospérer. En effet, ainsi que cela a été rappelé au point 131 ci-dessus, dans le cadre du recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, le Tribunal n’est pas compétent pour examiner la légalité des actes
adoptés par les autorités nationales dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l’Union.

156 Par ailleurs, il y a lieu de relever que, avant l’adoption des actes de maintien de mars 2023, par l’adoption de la décision (PESC) 2022/1907 du Conseil, du 6 octobre 2022, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 259 I, p. 98), et du règlement (UE) 2022/1905 du Conseil, du 6 octobre 2022, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 259 I, p. 76), une dérogation a été introduite respectivement à l’article 2, paragraphe 19, de la décision 2014/145 modifiée et à l’article 6 ter, paragraphe 5,
du règlement no 269/2014 modifié, afin d’autoriser le déblocage de fonds ou de ressources économiques gelés appartenant à la requérante ou la mise à la disposition de celle-ci de fonds ou de ressources économiques pour mettre fin, au plus tard le 7 janvier 2023, aux opérations, aux contrats ou aux autres accords conclus avec elle ou l’associant d’une autre façon.

157 Lors de l’audience, le Conseil a indiqué que la dérogation mentionnée au point 156 ci-dessus avait été introduite afin de surmonter les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la dérogation prévue à l’article 2, paragraphe 5, de la décision 2014/145 et à l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 pour les opérations visant à permettre à la requérante de restituer à ses clients leurs titres qu’elle détenait dans ses comptes gelés auprès de dépositaires de titres établis dans
l’Union.

158 Il ressort du libellé de la dérogation prévue à l’article 2, paragraphe 19 de la décision 2014/145 modifiée et à l’article 6 ter, paragraphe 5, du règlement no 269/2014 modifié que celle-ci précise les conditions dans lesquelles les autorités nationales peuvent autoriser le déblocage de fonds ou de ressources économiques de la requérante pour permettre à ses clients de se voir restituer leurs titres conservés dans les comptes gelés de cette dernière. À cet égard, il y a lieu de relever que la
requérante ne conteste pas la légalité de cette dérogation, mais la légalité des mesures adoptées par les autorités nationales dans le cadre de sa mise en œuvre. Or, ainsi que cela a été rappelé au point 131 ci-dessus, dans le cadre d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, le Tribunal n’est pas compétent pour connaître de la légalité des actes adoptés par les autorités nationales pour assurer la mise en œuvre du droit de l’Union.

159 Au demeurant, il y a lieu de relever que, par l’adoption de la décision (PESC) 2023/1218 du Conseil, du 23 juin 2023, modifiant la décision 2014/145 (JO 2023, L 159 I, p. 526), et du règlement (UE) 2023/1215 du Conseil, du 23 juin 2023, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2023, L 159 I, p. 330), une dérogation additionnelle a été introduite, respectivement, à l’article 2, paragraphe 25, de la décision 2014/145 modifiée et à l’article 6 ter, paragraphe 5 bis, du règlement no 269/2014 modifié.
Conformément à l’article 2, paragraphe 25 de la décision 2014/145 modifiée, les autorités nationales pouvaient, sous réserve du respect de certaines conditions, autoriser la conversion, au plus tard le 24 décembre 2023, par des ressortissants ou des résidents d’un État membre ou par une entité établie dans l’Union, d’un certificat d’actions étrangères avec un titre sous-jacent russe détenu auprès de la requérante, aux fins de la vente du titre sous-jacent et de la mise à disposition de fonds
liés à la conversion du certificat d’actions étrangères et à la vente directe ou indirecte du titre sous-jacent à la requérante.

160 Il résulte des considérations qui précèdent que, en ce qui concerne tant les actes initiaux que les actes de maintien de mars 2023 et de septembre 2023, la requérante n’est pas fondée à faire valoir une éventuelle atteinte supplémentaire à sa liberté d’entreprise tirée de ce que les dérogations prévues par la décision 2014/145 et le règlement no 269/2014 n’auraient pas été susceptibles de lui permettre de restituer les titres de ses clients, qu’elle détenait dans ses comptes gelés auprès de
dépositaires établis dans l’Union.

161 Deuxièmement, la requérante ne saurait faire valoir que l’application des mesures restrictives prises à son égard serait disproportionnée au motif qu’elle n’aurait commis aucune infraction. En effet, il y a lieu de rappeler que les mesures restrictives constituent des mesures préventives ciblées, qui visent, notamment, conformément l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE, à la préservation de la paix, à la prévention des conflits et au renforcement de la sécurité internationale. En outre, les
dispositions de la décision 2014/145 ne visent ni à punir ni à empêcher la réitération d’un quelconque comportement. Ces mesures ont pour seul objet de préserver les actifs détenus par les personnes, les entités et les organismes visés à l’article 2, paragraphe 1, de ladite décision, conformément aux objectifs mentionnés à l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE (voir, par analogie, arrêt du 15 février 2023, Belaeronavigatsia/Conseil, T‑536/21, EU:T:2023:66, points 34 et 35).

162 Troisièmement, à supposer que la requérante entende faire valoir que, par l’adoption des actes attaqués, le Conseil aurait empiété sur les compétences de l’Union dans le domaine de la politique commerciale commune, il y a lieu de rappeler que, pour atteindre les objectifs mentionnés à l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE, le Conseil est compétent, sur le fondement des dispositions des traités relatives à la politique étrangère et de sécurité commune, notamment l’article 29 TUE et
l’article 215, paragraphe 2, TFUE, pour adopter des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, de groupes ou d’entités non étatiques. En outre, les compétences de l’Union au titre de la politique étrangère et de sécurité commune et au titre d’autres dispositions du traité FUE, telles que celles relevant de la politique commerciale commune, ne s’excluent pas mutuellement, mais se complètent, chacune ayant son propre champ d’application et visant à atteindre des objectifs
différents (voir, par analogie, arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 61). Or, en l’espèce, les objectifs poursuivis par les actes attaqués ne concernent pas la politique commerciale commune, mais la politique étrangère et de sécurité commune. Dès lors, la requérante ne saurait soutenir que le Conseil aurait empiété sur la compétence de l’Union en matière de politique commerciale commune en adoptant des mesures restrictives à son égard.

163 Partant, il convient de rejeter le troisième moyen.

164 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté dans son intégralité.

V. Sur les dépens

165 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.

166 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs propres dépens. En l’espèce, la Commission supportera ses propres dépens.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie)

déclare et arrête :

  1) Le recours est rejeté.

  2) NKO AO National Settlement Depository (NSD) supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

  3) La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Spielmann

Brkan

Gâlea

  Tóth

Kalėda

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 septembre 2024.

Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Première chambre élargie
Numéro d'arrêt : T-494/22
Date de la décision : 11/09/2024

Analyses

Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds des ressources économiques – Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Notion de “soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie” – Liberté d’entreprise – Droit de propriété – Proportionnalité.


Parties
Demandeurs : NKO AO National Settlement Depository (NSD)
Défendeurs : Conseil de l'Union européenne.

Origine de la décision
Date de l'import : 13/09/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2024:607

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