ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
4 septembre 2024 ( *1 )
« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Syrie – Gel des fonds – Restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Maintien du nom du requérant sur les listes des personnes, des entités et des organismes concernés – Critère du lien avec des membres des familles Assad ou Makhlouf – Exception d’illégalité – Erreurs d’appréciation – Responsabilité non contractuelle »
Dans l’affaire T‑503/23,
Ammar Sharif, demeurant à Beyrouth (Liban), représenté par Mes G. Karouni et K. Assogba, avocats,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Lejeune et M. V. Piessevaux, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre),
composé de MM. J. Svenningsen, président, J. Laitenberger et J. Martín y Pérez de Nanclares (rapporteur), juges,
greffier : M. L. Ramette, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 16 avril 2024,
rend le présent
Arrêt ( 1 )
1 Par son recours, le requérant, M. Ammar Sharif, demande, d’une part, sur le fondement de l’article 263 TFUE, l’annulation de la décision (PESC) 2023/1035 du Conseil, du 25 mai 2023, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2023, L 139, p. 49), et du règlement d’exécution (UE) 2023/1027 du Conseil, du 25 mai 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie
(JO 2023, L 139, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), pour autant que ces actes le concernent, et, d’autre part, sur le fondement de l’article 268 TFUE, la réparation du préjudice qu’il aurait subi du fait de l’adoption des actes attaqués. À titre incident, il demande, sur le fondement de l’article 277 TFUE, de faire déclarer inapplicables l’article 27, paragraphe 2, sous b), et paragraphe 3, l’article 28, paragraphe 2, sous b), et paragraphe 3, de la décision 2013/255/PESC du
Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14), telle que modifiée par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 75), et l’article 15, paragraphe 1 bis, sous b), du règlement (UE) no 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) no 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE)
2015/1828 du Conseil, du 12 octobre 2015 (JO 2015, L 266, p. 1).
I. Antécédents du litige
[omissis]
A. Sur l’inscription initiale du nom du requérant sur les listes en cause et sur le maintien de ladite inscription jusqu’au 1er juin 2019
11 Par la décision d’exécution (PESC) 2016/1897 du Conseil, du 27 octobre 2016, mettant en œuvre la décision 2013/255 (JO 2016, L 293, p. 36), et par le règlement d’exécution (UE) 2016/1893 du Conseil, du 27 octobre 2016, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2016, L 293, p. 25) (ci-après, pris ensemble, les « actes de 2016 »), le nom du requérant a été inséré à la ligne 212 de la liste figurant à l’annexe I, section A (Personnes), de la décision 2013/255 et à la ligne 212 de la liste
figurant à l’annexe II, section A (Personnes), du règlement no 36/2012 (ci-après, prises ensemble, les « listes en cause »), en mentionnant les motifs suivants :
« Homme d’affaires syrien influent exerçant ses activités en Syrie, actif dans les secteurs des banques, des assurances et [de l’hôtellerie]. Partenaire fondateur de Byblos Bank Syria, principal actionnaire de Unlimited Hospitality Ltd et membre du conseil d’administration de Solidarity Alliance Insurance Company et de Al-Aqueelah Takaful Insurance Company. »
[omissis]
13 Le 29 mai 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/917, modifiant la décision 2013/255 (JO 2017, L 139, p. 62), qui a prorogé l’application de ladite décision jusqu’au 1er juin 2018, et le règlement d’exécution (UE) 2017/907, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2017, L 139, p. 15) (ci-après, pris ensemble, les « actes de 2017 »).
[omissis]
15 Le 28 mai 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/778, modifiant la décision 2013/255 (JO 2018, L 131, p. 16), qui a prorogé l’application de ladite décision jusqu’au 1er juin 2019, et le règlement d’exécution (UE) 2018/774, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2018, L 131, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de 2018 »).
[omissis]
17 Par l’arrêt du 4 avril 2019, Sharif/Conseil (T‑5/17, EU:T:2019:216), le Tribunal a rejeté le recours formé par le requérant contre les actes de 2016, de 2017 et de 2018, pour autant qu’ils le concernaient. Le Tribunal a considéré au point 70 dudit arrêt que l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause était justifiée par le fait que le Conseil avait produit un faisceau d’indices concrets, précis et concordants susceptible de mettre en évidence le fait que le requérant était un homme
d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie. Le requérant n’a pas introduit de pourvoi contre cet arrêt.
B. Sur le maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause
18 Le 17 mai 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/806, modifiant la décision 2013/255 (JO 2019, L 132, p. 36), qui a prorogé l’application de ladite décision jusqu’au 1er juin 2020, et le règlement d’exécution (UE) 2019/798, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2019, L 132, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de 2019 »). Ces actes ne mentionnent pas le nom du requérant, ni modifient les motifs d’inscription de son nom sur les listes en cause.
[omissis]
20 Le 28 mai 2020, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2020/719, modifiant la décision 2013/255 (JO 2020, L 168, p. 66), qui a prorogé l’application de ladite décision jusqu’au 1er juin 2021, et le règlement d’exécution (UE) 2020/716, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2020, L 168, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de 2020 »).
21 En vertu des actes de 2020, les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause tels qu’ils résultaient des actes de 2016, de 2017, de 2018 et de 2019 ont été remplacés par le motif suivant :
« Lié à un membre de la famille Makhlouf (beau-frère de [M.] Rami Makhlouf). »
[omissis]
23 Par l’arrêt du 28 avril 2021, Sharif/Conseil (T‑540/19, non publié, EU:T:2021:220), le Tribunal a rejeté le recours formé par le requérant contre les actes de 2019 et de 2020, pour autant qu’ils le concernaient. Le Tribunal a considéré au point 144 de cet arrêt que les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, tels qu’ils ressortaient des actes de 2019, étaient suffisamment étayés, de sorte que, au regard du critère de l’homme d’affaires influent exerçant ses activités en
Syrie, l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause était bien fondée. Par ailleurs, le Tribunal a estimé au point 174 dudit arrêt que le motif d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause en vertu des actes de 2020 était suffisamment étayé, de sorte que, au regard du critère du lien avec des membres des familles Assad ou Makhlouf, l’inscription du nom du requérant sur lesdites listes était bien fondée. Le requérant n’a pas introduit de pourvoi contre l’arrêt
susmentionné.
24 Le 25 mai 2023, le Conseil a adopté les actes attaqués. Le motif d’inscription du nom du requérant est resté inchangé par rapport à celui des actes de 2020. Par lettre du 26 mai 2023, le Conseil a informé le représentant du requérant du maintien de son nom sur les listes en cause.
II. Conclusions des parties
25 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– constater l’illégalité de l’article 27, paragraphe 2, sous b), et paragraphe 3, de l’article 28, paragraphe 2, sous b), et paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et de l’article 15, paragraphe 1 bis, sous b), du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, et les déclarer inapplicables à l’égard du requérant, pour autant que ces dispositions le concernent ;
– annuler les actes attaqués, pour autant qu’ils le concernent ;
– condamner le Conseil au paiement de la somme de 10000 euros au titre des dommages et intérêts en réparation de tous préjudices confondus ;
– condamner le Conseil aux dépens.
26 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner le requérant aux dépens ;
– à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où les actes attaqués seraient annulés, ordonner que les effets de la décision 2023/1035 soient maintenus en ce qui concerne le requérant jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2023/1027 prenne effet.
III. En droit
A. Sur les conclusions en annulation
[omissis]
1. Sur le premier moyen, tiré de l’exception d’illégalité en raison d’une violation du principe d’égalité de traitement
28 Le requérant excipe de l’illégalité de l’article 27, paragraphe 2, sous b), et paragraphe 3, de l’article 28, paragraphe 2, sous b), et paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et de l’article 15, paragraphe 1 bis, sous b), du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, dans la mesure où, en substance, ces articles contreviennent au principe d’égalité de traitement.
29 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
30 Selon l’article 277 TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE pour invoquer devant la Cour de justice de l’Union européenne l’inapplicabilité de cet acte.
31 L’article 277 TFUE constitue l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester, par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’une décision qui lui est adressée, la validité des actes de portée générale qui forment la base juridique d’une telle décision si cette partie ne disposait pas du droit d’introduire, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours direct contre ces actes, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été en mesure d’en demander
l’annulation. L’acte général dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours et il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question (voir arrêt du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 55 et jurisprudence citée).
32 Concernant l’intensité du contrôle juridictionnel, selon une jurisprudence constante, les juridictions de l’Union doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité FUE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union. Cette exigence est expressément consacrée à l’article 275, second alinéa, TFUE (voir arrêts du 28 novembre 2013,
Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 58 et jurisprudence citée, et du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 65 et jurisprudence citée).
33 Il n’en demeure pas moins que, ainsi que le Conseil l’a rappelé à bon droit, ce dernier dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41 et jurisprudence citée). Or, contrairement à ce qu’avance le requérant, la détermination de l’étendue du pouvoir d’appréciation du Conseil est
pertinente afin de définir la portée du contrôle juridictionnel. En effet, compte tenu du large pouvoir d’appréciation du Conseil, les règles de portée générale définissant ces critères et ces modalités, telles que les dispositions des actes attaqués prévoyant le critère litigieux visé par le présent moyen, font l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint, se limitant à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence
d’erreur de droit ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir [voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, points 44 et 45, et du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 149 (non publié)].
34 En l’espèce, le nom du requérant est inscrit sur les listes en cause en raison de son lien avec M. Rami Makhlouf, dont il est le beau-frère.
35 Il y a lieu d’en déduire que le nom du requérant a été maintenu sur les listes en cause en raison de son lien avec un membre de la famille Makhlouf. Autrement dit, l’inscription dudit nom est fondée sur le critère défini à l’article 27, paragraphe 2, dernière partie de phrase, et à l’article 28, paragraphe 2, dernière partie de phrase, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, lu en combinaison avec le critère défini au paragraphe 2, sous b), de chacune desdites
dispositions, repris, en ce qui concerne le gel des fonds, à l’article 15, paragraphe 1 bis, dernière partie de phrase, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, lu en combinaison avec le critère défini au paragraphe 1 bis, sous b), de ladite disposition, à savoir le critère du lien avec des membres des familles Assad ou Makhlouf.
36 À titre liminaire, il convient de relever que le requérant excipe de l’illégalité de l’article 27, paragraphe 2, sous b), de l’article 28, paragraphe 2, sous b), de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et de l’article 15, paragraphe 1 bis, sous b), du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, qui concernent le critère des membres des familles Assad ou Makhlouf. Néanmoins, il ressort très clairement des écritures du requérant, et cela n’a pas
été contesté par le Conseil, que celui-ci entendait viser la légalité du critère d’inscription à l’aune duquel son nom a été maintenu sur les listes en cause, à savoir le critère du lien avec des membres des familles Assad ou Makhlouf. Par conséquent, il y a lieu de considérer que l’exception d’illégalité invoquée par le requérant concerne, outre l’article 27, paragraphe 3, et l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, l’article 27,
paragraphe 2, dernière partie de phrase, et l’article 28, paragraphe 2, dernière partie de phrase, de ladite décision, lus respectivement en combinaison avec le paragraphe 2, sous b), de chacune desdites dispositions, et l’article 15, paragraphe 1 bis, dernière partie de phrase, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, lu en combinaison avec le paragraphe 1 bis, sous b), de ladite disposition.
37 Le requérant allègue une violation du principe d’égalité de traitement, dans la mesure où, contrairement aux autres catégories de personnes visées à l’article 27, paragraphe 2, à l’article 28, paragraphe 2, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et à l’article 15, paragraphe 1 bis, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, bénéficiant des dispositions de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de ladite décision, les
personnes inscrites sur les listes en cause en raison de leurs liens avec des membres des familles Assad ou Makhlouf sont dans l’impossibilité théorique et pratique de renverser la présomption de lien avec le régime syrien.
38 À cet égard, il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement, qui constitue un principe fondamental du droit, interdit que des situations comparables soient traitées de manière différente ou que des situations différentes soient traitées de manière égale, à moins que de tels traitements ne soient objectivement justifiés (arrêt du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, point 135).
39 Or, il ressort clairement du libellé de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, que ces dispositions s’appliquent à toutes les catégories de personnes mentionnées au paragraphe 2 de ces deux articles, y compris donc, dès lors qu’elles y figurent, les personnes inscrites sur les listes en cause en raison de leurs liens avec des membres des familles Assad ou Makhlouf.
40 Par conséquent, il convient de rejeter l’argument du requérant relatif à l’impossibilité théorique pour les personnes inscrites sur les listes en cause en raison de leurs liens avec des membres des familles Assad ou Makhlouf de faire usage des dispositions de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836.
41 Quant à l’impossibilité pratique alléguée, il est exact que, ainsi que le soutient le requérant et l’admet le Conseil, un lien de famille ne peut pas, en principe, être dissout. Néanmoins, d’une part, il ne découle pas du libellé de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, qu’il soit attendu des personnes inscrites sur les listes en cause en raison de leur lien familial avec des membres des familles Assad
ou Makhlouf qu’elles apportent nécessairement la preuve de la dissolution de ce lien familial pour démontrer qu’elles ne sont pas, ou ne sont plus, liées au régime syrien ou qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas associées à un risque réel de contournement.
42 D’ailleurs, il convient de relever que si tel était le cas, les membres des familles Assad ou Makhlouf seraient dans l’incapacité totale de bénéficier de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836. Cela reviendrait donc à établir une présomption irréfragable de lien à leur égard avec le régime syrien. Or, il a été jugé que la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, n’instaure pas de
présomption irréfragable de soutien ou de lien au régime syrien à l’encontre des membres des familles Assad ou Makhlouf, dans la mesure où les noms des personnes appartenant à ces familles ne sont pas inscrits sur la liste des personnes et des entités faisant l’objet de mesures restrictives s’il est établi que ces personnes ne sont pas, ou ne sont plus, liées à ce régime (arrêt du 1er octobre 2020, Makhlouf/Conseil, C‑157/19 P, non publié, EU:C:2020:777, point 98). Ainsi, si de telles personnes
peuvent bénéficier de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, les personnes qui leur sont liées le peuvent aussi.
43 D’autre part, il convient de rappeler que la présomption de lien avec le régime syrien doit être considérée comme étant renversée si la partie requérante fait valoir des arguments ou des éléments susceptibles de remettre sérieusement en cause la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil ou leur appréciation, notamment au regard des conditions posées par l’article 27, paragraphe 3, et l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ou
si elle produit devant le juge de l’Union un faisceau d’indices de l’inexistence ou de la disparition du lien avec ledit régime, de l’absence d’influence sur ledit régime ou de l’absence d’association avec un risque réel de contournement des mesures restrictives, conformément à l’article 27, paragraphe 3, et à l’article 28, paragraphe 3, de cette décision (arrêt du 8 juillet 2020, Zubedi/Conseil, T‑186/19, EU:T:2020:317, point 71).
44 Dès lors, le requérant dispose de différents moyens pour renverser la présomption de lien avec le régime syrien et n’est donc pas limité à démontrer la disparition du lien de famille avec M. Rami Makhlouf ni à attendre que le nom de ce dernier soit radié des listes en cause.
45 Par ailleurs, contrairement à ce qu’allègue le requérant, en raison de leur comportement individuel, des personnes ayant des liens avec des membres des familles Assad ou Makhlouf peuvent se distancer du régime syrien et ainsi apporter des indices qu’elles ne lui sont plus liées. Cela vaut également pour des personnes, telles que le requérant, qui sont liées à ces membres par des liens du mariage. En effet, le fait d’être le beau-frère de M. Rami Makhlouf n’empêche nullement le requérant de
démontrer qu’il a rompu tout lien avec le régime syrien, par exemple en dénonçant publiquement ses actions, en agissant contre lesdites actions, ou en refusant de donner suite aux instructions qu’il aurait pu recevoir, ou encore qu’il n’est pas associé à un risque réel de contournement, en apportant des indices de ce qu’il n’a plus aucun contact avec une personne proche du régime syrien et, en l’occurrence, avec M. Rami Makhlouf.
46 Or, de tels arguments et de telles preuves, susceptibles de permettre aux personnes inscrites sur les listes en cause de bénéficier de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, peuvent être apportés par toutes les personnes entrant dans les différentes catégories mentionnées à l’article 27, paragraphe 2, et à l’article 28, paragraphe 2, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836,
et à l’article 15, paragraphe 1 bis, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828.
47 Ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, les personnes ayant des liens avec des membres des familles Assad ou Makhlouf ne se trouvent pas dans l’impossibilité pratique de faire usage de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836.
48 À cet égard, il convient d’ailleurs de relever que le requérant a avancé, dans le cadre du présent recours, des arguments qui, selon lui, permettaient de renverser la présomption de lien avec des membres des familles Assad ou Makhlouf. Ces arguments seront examinés lors de l’analyse du second moyen, tiré de l’absence de base factuelle suffisante et de l’erreur d’appréciation.
49 Dans ces conditions, les personnes ayant des liens avec des membres des familles Assad ou Makhlouf font l’objet du même traitement juridique que les personnes appartenant aux autres catégories mentionnées à l’article 27, paragraphe 2, et à l’article 28, paragraphe 2, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et à l’article 15, paragraphe 1 bis, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828.
50 Par conséquent, le requérant n’a pas démontré que l’article 27, paragraphe 2, dernière partie de phrase, l’article 28, paragraphe 2, dernière partie de phrase, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, lus respectivement en combinaison avec le paragraphe 2, sous b), de chacune desdites dispositions, l’article 27, paragraphe 3, et l’article 28, paragraphe 3, de la première décision, ainsi que l’article 15, paragraphe 1 bis, dernière partie de phrase, du règlement
no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, lu en combinaison avec le paragraphe 1 bis, sous b), de ladite disposition contrevenaient au principe d’égalité de traitement.
[omissis]
63 Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure au rejet de l’exception d’illégalité et, partant, du premier moyen.
2. Sur le second moyen, tiré de l’absence de base factuelle suffisante et de l’erreur d’appréciation
[omissis]
b) Sur la première branche, tirée de l’absence de base factuelle suffisante
[omissis]
2) Sur le bien-fondé de la première branche
82 Le requérant soutient que, en raison du motif d’inscription de son nom sur les listes en cause, son sort dépend inexorablement de la situation de M. Rami Makhlouf. Or, la situation de ce dernier n’aurait cessé d’évoluer au fil des dernières années, de sorte qu’il ne serait plus dans le cercle du pouvoir et serait totalement en dehors du monde économique, politique ou financier en Syrie. À cet égard, le requérant souligne, dans la réplique, que tout élément factuel nouveau affectant la situation
de M. Rami Makhlouf doit impacter sa propre situation.
83 Le requérant fait valoir, en substance, que les changements dans la situation de M. Rami Makhlouf constituent des faits notoires qui ne sauraient échapper à la connaissance du Conseil, et ce d’autant plus qu’ils sont relayés par des médias qui servent systématiquement et régulièrement de référence au Conseil pour documenter ses dossiers lors de l’inscription ou du maintien du nom d’une personne sur les listes en cause.
84 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
85 En l’espèce, les arguments du requérant tendent à faire constater que le Conseil n’a pas dûment réexaminé la situation de M. Rami Makhlouf, alors qu’il en avait l’obligation. Or, si le Conseil avait procédé à ce réexamen, il aurait constaté que sa situation avait changé, ce qui aurait eu un impact sur la situation du requérant.
86 À cet égard, il convient de relever, à l’instar du Conseil, que le contrôle exercé par le Tribunal dans la présente affaire ne peut porter que sur le bien-fondé de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause et ne saurait donc remettre en cause la légalité des décisions par lesquelles le Conseil a inscrit le nom de M. Rami Makhlouf sur lesdites listes (voir, en ce sens, arrêts du 11 mai 2017, Barqawi/Conseil, T‑303/15, non publié, EU:T:2017:328, point 42, et du 18 mai 2022,
Foz/Conseil, T‑296/20, EU:T:2022:298, point 115).
87 La circonstance, invoquée par le requérant, selon laquelle son sort serait lié à celui de M. Rami Makhlouf ne saurait justifier une approche différente, pas plus que son argument selon lequel on ne saurait lui demander d’attendre que M. Rami Makhlouf introduise un recours, au risque de vider son propre recours de toute sa substance.
88 En effet, selon une jurisprudence constante, la présomption de légalité des actes des institutions de l’Union implique que ceux-ci produisent des effets juridiques aussi longtemps qu’ils n’ont pas été retirés, annulés dans le cadre d’un recours en annulation ou déclarés invalides à la suite d’un renvoi préjudiciel ou d’une exception d’illégalité (voir arrêt du 18 mai 2022, Foz/Conseil, T‑296/20, EU:T:2022:298, point 116 et jurisprudence citée).
89 Or, d’une part, le requérant ne prétend pas être le destinataire des actes par lesquels le nom de M. Rami Makhlouf a été inscrit sur les listes en cause, ni en demander l’annulation par le biais du présent recours. Ainsi, il ne saurait se prévaloir, dans le cadre de la présente procédure, d’une violation par le Conseil de l’obligation de réexamen de la situation de M. Rami Makhlouf, ni d’une mauvaise interprétation par le Conseil du contenu des annexes qu’il a produites pour démontrer que M. Rami
Makhlouf n’avait plus de liens avec le régime syrien.
90 D’autre part, il est vrai que le requérant a soulevé une exception d’illégalité à l’égard de l’article 27, paragraphe 2, dernière partie de phrase, de l’article 28, paragraphe 2, dernière partie de phrase, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, lus respectivement en combinaison avec le paragraphe 2, sous b), de chacune desdites dispositions, de l’article 27, paragraphe 3, de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255 ainsi modifiée et de l’article 15,
paragraphe 1 bis, dernière partie de phrase, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, lu en combinaison avec le paragraphe 1 bis, sous b), dudit article. Cependant, il l’a fait en soutenant que ces articles violaient le principe d’égalité de traitement, dans la mesure où la catégorie des personnes liées aux membres des familles Assad ou Makhlouf ne pourrait pas, tant en théorie qu’en pratique, être en mesure de bénéficier de l’article 27, paragraphe 3, et de
l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255 modifiée. Certes, le requérant a également avancé que le critère des membres des familles Assad ou Makhlouf n’était plus pertinent. Néanmoins, cet argument, développé au stade de la réplique, a été rejeté comme étant irrecevable, dès lors qu’il a été regardé, aux points 59 et 62 ci-dessus, comme étant nouveau. En tout état de cause, il convient de relever que la pertinence et la légalité de ce critère d’inscription, qui vise l’ensemble des
membres influents de ces deux familles, ne sauraient être remises en cause par la seule situation de M. Rami Makhlouf.
91 En outre, les actes concernant M. Rami Makhlouf n’ont pas été retirés et, par ailleurs, leurs effets n’ont pas été suspendus à la suite d’une demande de mesures provisoires. Dès lors, les actes par lesquels le nom de M. Rami Makhlouf a été inscrit sur les listes en cause continuent de produire des effets juridiques.
92 Par ailleurs, lors de l’audience, le requérant a avancé l’argument selon lequel, dans le cadre de la présente branche, le Tribunal ne serait pas amené à vérifier la persistance du lien entre M. Rami Makhlouf et le régime syrien, mais seulement si sa situation avait changé. Un tel argument ne saurait prospérer. En effet, d’une part, il apparaît être en contradiction avec la thèse soutenue par le requérant dans ses écritures, dans lesquelles, tout d’abord, il invite, in fine, le Tribunal à
constater que M. Rami Makhlouf ne fait plus partie du cercle du pouvoir, visant ainsi le lien de ce dernier avec le régime syrien, ensuite, il reproche au Conseil de ne pas avoir modifié le motif d’inscription de M. Rami Makhlouf et, enfin, il mentionne explicitement l’obligation de réexamen du Conseil à l’égard de la situation de M. Rami Makhlouf. D’autre part, le simple constat d’un changement de la situation de M. Rami Makhlouf est susceptible d’emporter des conséquences, ne serait-ce que sur
le plan du respect des droits de la défense et de la sécurité juridique, dans la mesure où le Tribunal serait, en tout état de cause, amené à porter une appréciation sur la situation d’un tiers au présent litige.
93 Il convient encore d’ajouter que, alors qu’il n’appartient pas au Tribunal, dans le cadre du présent recours, de statuer sur le bien-fondé de l’inscription du nom de M. Rami Makhlouf sur les listes en cause, rien n’empêchait le requérant de s’adresser au Conseil avant l’adoption des actes attaqués afin de l’inviter à réexaminer sa situation à l’aune de celle de M. Rami Makhlouf en lui soumettant les éléments de preuve produits dans le cadre de la présente procédure. En effet, ainsi qu’il ressort
de l’article 32, paragraphes 2 et 3, du règlement no 36/2012, le requérant peut, à tout moment, présenter une demande de réexamen ou des observations (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2021, Al-Imam/Conseil, T‑203/20, EU:T:2021:605, point 95). Or, force est de constater que, ainsi que le soutient le Conseil sans être contredit par le requérant, ce dernier n’a pas saisi cette opportunité.
94 Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter la première branche du second moyen.
[omissis]
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) M. Ammar Sharif est condamné aux dépens.
Svenningsen
Laitenberger
Martín y Pérez de Nanclares
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 4 septembre 2024.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le français.
( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.