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17/07/2024 | CJUE | N°T-209/22

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Shahla Makhlouf contre Conseil de l'Union européenne., 17/07/2024, T-209/22


 ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

17 juillet 2024 ( *1 )

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Syrie – Gel des fonds et des ressources économiques – Restriction en matière d’admission sur le territoire des États membres – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques ou faisant l’objet de restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Inscription et maintien

du nom du requérant sur la liste –
Héritier d’une personne déjà visée par des mesures restrictives...

 ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

17 juillet 2024 ( *1 )

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Syrie – Gel des fonds et des ressources économiques – Restriction en matière d’admission sur le territoire des États membres – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques ou faisant l’objet de restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste –
Héritier d’une personne déjà visée par des mesures restrictives – Droits de la défense – Erreur d’appréciation – Responsabilité non contractuelle »

Dans l’affaire T‑209/22,

Shahla Makhlouf, demeurant à Fairfax, Virginie (États-Unis), représentée par Mes G. Karouni et E. Assogba, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Limonet et V. Piessevaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),

composé de MM. L. Truchot, président, H. Kanninen, Mme R. Frendo (rapporteure), M. M. Sampol Pucurull et Mme T. Perišin, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 16 juin 2023,

rend le présent

Arrêt

1 Par son recours, la requérante, Mme Shahla Makhlouf, demande, d’une part, sur le fondement de l’article 263 TFUE, l’annulation, premièrement, de la décision d’exécution (PESC) 2022/242 du Conseil, du 21 février 2022, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2022, L 40, p. 26), et du règlement d’exécution (UE) 2022/237 du Conseil, du 21 février 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives
en raison de la situation en Syrie (JO 2022, L 40, p. 6) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »), et, deuxièmement, de la décision (PESC) 2023/1035 du Conseil, du 25 mai 2023, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2023, L 139 p. 49), et du règlement d’exécution (UE) 2023/1027 du Conseil, du 25 mai 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en
Syrie (JO 2023, L 139, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien »), en tant que ces actes la concernent (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), et, d’autre part, sur le fondement de l’article 268 TFUE, la réparation du préjudice qu’elle aurait subi en raison de l’adoption des actes attaqués.

Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

2 La requérante est l’une des filles de M. Mohammed Makhlouf, un homme d’affaires de nationalité syrienne.

3 La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées, à compter de l’année 2011, par le Conseil de l’Union européenne à l’encontre de la Syrie et des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile syrienne.

4 Le 9 mai 2011, le Conseil a adopté la décision 2011/273/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2011, L 121, p. 11), « condamn[ant] fermement la répression violente […] des manifestations pacifiques en divers endroits dans toute la Syrie ». Il a institué, notamment, des restrictions à l’entrée sur le territoire de l’Union européenne ainsi qu’un gel des fonds et des ressources économiques de certaines personnes et entités « responsables de la répression violente
exercée contre la population civile syrienne ». Considérant qu’une action réglementaire au niveau de l’Union était nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la décision 2011/273, le Conseil a également adopté le règlement (UE) no 442/2011, du 9 mai 2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2011, L 121, p. 1).

5 Les noms des personnes « responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie » ainsi que ceux des personnes physiques ou morales et des entités qui leur sont liées ont été mentionnés à l’annexe de la décision 2011/273 et à l’annexe II du règlement no 442/2011.

6 Le 1er août 2011, le Conseil a adopté la décision d’exécution 2011/488/PESC, mettant en œuvre la décision 2011/273 (JO 2011, L 199, p. 74), et le règlement d’exécution (UE) no 755/2011, mettant en œuvre le règlement no 442/2011 (JO 2011, L 199, p. 33), afin d’inclure, notamment, le nom de M. Mohammed Makhlouf dans les annexes respectives répertoriant les personnes et les entités visées par les mesures restrictives (voir point 5 ci-dessus).

7 Le 18 janvier 2012, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 36/2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) no 442/2011 (JO 2012, L 16, p 1), et, le 31 mai 2013, la décision 2013/255/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14) (ci-après, pris ensemble, les « actes de base »), notamment, pour imposer des mesures restrictives aux personnes bénéficiant des politiques menées par le régime
syrien ou soutenant celui-ci et les personnes qui leur sont liées. Les noms de celles-ci figurent désormais à l’annexe II du règlement no 36/2012 et à l’annexe de la décision 2013/255 (ci‑après les « listes litigieuses »).

8 Compte tenu de la gravité de la situation en Syrie, ainsi qu’il ressort de son considérant 5, le Conseil a adopté, le 12 octobre 2015, la décision (PESC) 2015/1836, modifiant la décision 2013/255 (JO 2015, L 266, p. 75), et le règlement (UE) 2015/1828, modifiant le règlement no 36/2012 (JO 2015, L 266, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de 2015 »).

9 À cet égard, estimant que les mesures restrictives adoptées initialement par la décision 2011/273 n’avaient pas permis de mettre fin à la répression violente exercée par le régime syrien contre la population civile, le Conseil a décidé, ainsi qu’il ressort du considérant 5 de la décision 2015/1836, « qu’il [était] nécessaire de maintenir les mesures restrictives en vigueur et d’assurer leur efficacité, en les développant tout en maintenant l’approche ciblée et différenciée qui est la sienne et en
gardant à l’esprit la situation humanitaire de la population syrienne » estimant que « certaines catégories de personnes et d’entités [revêtaient] une importance particulière pour l’efficacité de ces mesures restrictives, étant donné la situation spécifique qui [régnait] en Syrie ».

10 Par voie de conséquence, la rédaction des articles 27 et 28 de la décision 2013/255 a été modifiée par la décision 2015/1836. Ces articles prévoient désormais des restrictions à l’entrée ou au passage en transit sur le territoire des États membres ainsi que le gel des fonds et des ressources économiques des personnes relevant des catégories de personnes mentionnées au paragraphe 2, sous a) à g), dont la liste figure à l’annexe I, excepté, conformément à leur paragraphe 3, s’il existe des
« informations suffisantes indiquant [que ces personnes] ne sont pas, ou ne sont plus, lié[e]s au régime ou qu’[elles] n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’[elles] ne sont pas associé[e]s à un risque réel de contournement ».

11 En particulier, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du considérant 7 de la décision 2015/1836, « le pouvoir en Syrie s’exerce traditionnellement sur une base familiale et le pouvoir du régime syrien actuel est essentiellement entre les mains des membres influents des familles Assad et Makhlouf », il convenait de prévoir des mesures restrictives à l’encontre de certains membres de ces familles, tant pour influencer directement le régime syrien par le biais des membres de ces familles pour que
celui-ci modifie sa politique de répression que pour éviter le risque de contournement des mesures restrictives par des membres desdites familles.

12 Ainsi, à la suite de l’adoption des actes de 2015, l’article 27, paragraphe 2, sous b), et l’article 28, paragraphe 2, sous b), de la décision 2013/255 soumettent désormais également aux mesures restrictives les « membres des familles Assad et Makhlouf » (ci-après le « critère de l’appartenance familiale »). Parallèlement, l’article 15 du règlement no 36/2012 a été complété par un paragraphe 1 bis, sous b), qui prévoit le gel des avoirs des membres de ces familles (ci-après, pris ensemble avec
l’article 27, paragraphe 2, sous b), et l’article 28, paragraphe 2, sous b), de la décision 2013/255, les « dispositions érigeant le critère de l’appartenance familiale »).

13 Le 12 septembre 2020, M. Mohammed Makhlouf est décédé (ci-après le « défunt »). À cette date, le nom de celui-ci figurait toujours sur les listes litigieuses.

14 Le 21 février 2022, par les actes initiaux, le Conseil a inséré le nom de la requérante à la ligne 320 des listes litigieuses au motif suivant :

« Fille de Mohammed Makhlouf. Membre de la famille Makhlouf. »

15 Pour justifier l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses, le Conseil s’est fondé sur la décision d’ouverture de la succession du défunt émanant d’un juge syrien portant la date du 27 septembre 2020 (ci-après la « décision d’ouverture de la succession »).

16 Trois jours après l’adoption des actes initiaux, à savoir le 24 février 2022, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/306, mettant en œuvre la décision 2013/255 (JO 2022, L 46, p. 95), et le règlement d’exécution (UE) 2022/299, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2022, L 46, p. 1), pour supprimer le nom du défunt des listes litigieuses.

17 Le 12 avril 2022, la requérante a adressé au Conseil une demande visant à retirer son nom des listes litigieuses.

18 Le Conseil a rejeté cette demande de réexamen par une lettre du 31 mai suivant (ci‑après la « réponse du Conseil »), au motif qu’il existait des raisons suffisantes pour maintenir l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses en tant que membre de la famille Makhlouf et héritière du défunt. À cette occasion, il a communiqué à cette dernière la décision d’ouverture de la succession venant au soutien du motif d’inscription du nom de celle-ci sur lesdites listes.

19 Dans sa réponse, le Conseil a informé la requérante de l’adoption de la décision (PESC) 2022/849 du Conseil, du 30 mai 2022, modifiant la décision 2013/255 (JO 2022, L 148, p. 52), et du règlement d’exécution (UE) 2022/840 du Conseil, du 31 mai 2022, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2022, L 148, p. 8), par lesquels il avait maintenu le nom de celle-ci sur les listes litigieuses jusqu’au 1er juin 2023.

20 Le 25 mai 2023, le Conseil a adopté les actes de maintien prorogeant, en substance, l’application des actes de base et des listes litigieuses, notamment à l’encontre de la requérante, jusqu’au 1er juin 2024.

Conclusions des parties

21 À la suite de l’adaptation de la requête en application de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler les actes attaqués ;

– condamner le Conseil à lui verser, d’une part, une indemnité de 30000 euros au titre du préjudice moral subi en raison de l’adoption des actes initiaux et, d’autre part, une indemnité de 30000 euros au titre du préjudice moral subi en raison des actes de maintien ;

– condamner le Conseil aux dépens.

22 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours dans son intégralité ;

– à titre subsidiaire, en cas d’annulation des actes initiaux en ce qu’ils concernent la requérante, maintenir les effets de la décision d’exécution 2022/242 à son égard jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement d’exécution 2022/237 ;

– condamner la requérante aux dépens.

En droit

Sur la recevabilité de l’adaptation de la requête

23 Par son mémoire en adaptation, la requérante demande à étendre la portée de son recours, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure, afin que celui-ci vise l’annulation des actes de maintien en ce qu’ils la concernent.

24 Lors de l’audience, le Conseil a contesté la recevabilité de l’adaptation de la requête en faisant valoir que la requérante n’avait pas contesté la décision 2022/849 ni le règlement d’exécution 2022/840, par lesquels l’inscription du nom de celle-ci sur les listes litigieuses avait été maintenue en vigueur avant l’adoption des actes de maintien.

25 À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure, « [l]orsqu’un acte, dont l’annulation est demandée, est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, le requérant peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure […], adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau ».

26 En l’espèce, premièrement, il convient d’observer que tant les actes initiaux que les actes de maintien, en tant qu’ils concernent la requérante, ont pour objet d’imposer à celle-ci des mesures restrictives individuelles consistant en des restrictions en matière d’admission et un gel de tous ses fonds et ressources économiques.

27 Deuxièmement, dans le cadre du régime instaurant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie, les mesures restrictives individuelles prennent la forme d’une inscription du nom des personnes, des entités ou des organismes ciblés sur les listes litigieuses qui figurent dans les annexes de la décision 2013/255 et du règlement no 36/2012.

28 Dans ce contexte, les actes initiaux ont modifié les annexes de la décision 2013/255 et du règlement no 36/2012 pour inscrire, notamment, le nom de la requérante sur les listes litigieuses. Quant aux actes de maintien, il y a lieu de constater, d’une part, que la décision 2023/1035 qui a prorogé jusqu’au 1er juin 2024 l’applicabilité de la décision 2013/255, dont l’annexe I, telle que modifiée par la décision d’exécution 2022/242, mentionne ledit nom et, d’autre part, que le règlement d’exécution
2023/1027 a modifié l’annexe II du règlement no 36/2012, tout en maintenant, à tout le moins implicitement, l’inscription de ce nom dans cette dernière annexe. Partant, les actes de maintien doivent être vus comme ayant remplacé, au sens de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure, les actes initiaux.

29 Il s’ensuit que, conformément à l’objectif d’économie de la procédure qui sous-tend l’article 86 du règlement de procédure (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Almaz-Antey/Conseil, T‑515/15, non publié, EU:T:2018:545, points 43 et 44), la requérante, ayant demandé l’annulation des actes initiaux dans la requête, était en droit, dans le cadre de la présente procédure, d’adapter la requête afin de demander, également, l’annulation des actes de maintien, et ce quand bien même elle n’avait
pas auparavant adapté la requête pour demander l’annulation de la décision 2022/849 et du règlement d’exécution 2022/840.

30 Il y a donc lieu de conclure que l’adaptation de la requête est recevable.

Sur les conclusions en annulation

31 Au soutien de ses conclusions en annulation, la requérante invoque quatre moyens, tirés en substance :

– le premier, de la violation des garanties procédurales ;

– le deuxième, d’une erreur d’appréciation ;

– les troisième et quatrième, d’une atteinte illégale et disproportionnée au droit fondamental à la propriété de la requérante.

32 Le Tribunal estime utile de commencer l’examen du recours par l’analyse du deuxième moyen.

Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation

33 Dans le cadre du présent moyen, formellement tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, la requérante conteste la légalité des actes attaqués et, par voie de conséquence, le bien-fondé de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses. Selon elle, le simple fait d’appartenir à la famille Makhlouf ne saurait justifier l’adoption des mesures restrictives à son égard.

34 Le Conseil conteste les arguments de la requérante.

– Observations liminaires

35 Il importe de relever d’emblée que le présent moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer au cas par cas si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de
l’ensemble des actes de l’Union (arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 61 et jurisprudence citée).

36 L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le
contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs ou à tout le moins l’un d’eux, considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

37 Il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120).

38 C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121).

39 À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122).

40 Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P
et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

41 L’appréciation du bien-fondé d’une inscription doit être effectuée en examinant les éléments de preuve non pas de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent (voir arrêt du 16 mars 2022, Sabra/Conseil, T‑249/20, EU:T:2022:140, point 41 et jurisprudence citée).

42 Enfin, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’enjeu, qui fait partie du contrôle de la proportionnalité des mesures restrictives en cause, il peut être tenu compte du contexte dans lequel s’inscrivent ces mesures, du fait qu’il était urgent d’adopter de telles mesures ayant pour objet de faire pression sur le régime syrien afin qu’il arrête la répression violente dirigée contre la population et de la difficulté d’obtenir des preuves plus précises dans un État en situation de guerre
civile doté d’un régime de nature autoritaire (voir arrêt du 16 mars 2022, Sabra/Conseil, T‑249/20, EU:T:2022:140, point 42 et jurisprudence citée).

43 Ainsi, selon la jurisprudence, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse ou d’autres sources d’information similaires (voir arrêt du 16 décembre 2020, Haswani/Conseil, T‑521/19, non publié, EU:T:2020:608, point 142 et jurisprudence citée).

44 C’est à l’aune de ces principes qu’il convient d’analyser le présent moyen.

– Sur le bien-fondé de l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses

45 Le nom de la requérante a été inscrit sur les listes litigieuses au motif qu’elle était « [f]ille de Mohammed Makhlouf [; m]embre de la famille Makhlouf » (voir point 10 ci-dessus). Ainsi, le Conseil s’est fondé sur le critère de l’appartenance familiale pour justifier l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la requérante dans les actes attaqués, en s’appuyant sur la décision d’ouverture de la succession (voir point 17 ci-dessus) dont il ressort que la requérante était l’une des
héritières du défunt.

46 Il y a lieu de relever que, d’une part, la requérante ne conteste ni l’authenticité ni la valeur probante de la décision d’ouverture de la succession. D’autre part, elle ne conteste non plus son lien de filiation avec le défunt et, partant, son appartenance à la famille Makhlouf.

47 Dans ces circonstances, le Conseil pouvait s’appuyer sur la décision d’ouverture de la succession pour étayer le motif d’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses.

48 La requérante fait toutefois valoir que les dispositions érigeant le critère de l’appartenance familiale s’opposent à toute inscription systématique fondée sur le simple fait d’appartenir à la famille Makhlouf. Elle rappelle que, en vertu la décision 2015/1836, seul un membre influent de ladite famille peut faire l’objet de mesures restrictives en raison de la situation en Syrie.

49 À cet égard, il convient de rappeler tout d’abord que le critère d’inscription général d’association avec le régime syrien énoncé à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, correspondant, en ce qui concerne le gel des fonds, à l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement no 36/2012, tel que modifié par la règlement 2015/1828, permet d’inscrire sur les listes litigieuses, une personne ou une entité
bénéficiant des politiques menées par le régime syrien ou soutenant celui-ci ainsi que les personnes qui lui sont liées.

50 Ensuite, en 2015, des critères d’inscription spécifiques sont venus compléter le critère général d’association avec le régime syrien. Ils figurent désormais à l’article 27, paragraphe 2, et à l’article 28, paragraphe 2, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et à l’article 15, paragraphe 1bis, sous b), du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828. Selon la jurisprudence, ces dispositions instaurant à l’égard de sept catégories de personnes
qui appartiennent à des groupes déterminés une présomption réfragable de lien avec le régime syrien. Parmi ces catégories figurent, notamment, les « membres des familles Assad ou Makhlouf » (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2020, Makhlouf/Conseil, C‑157/19 P, non publié, EU:C:2020:777, point 98).

51 Enfin, il a été jugé que les critères d’inscription spécifiques à l’égard des sept catégories de personnes, visées point 50 ci-dessus, sont autonomes par rapport au critère général d’association avec le régime syrien de sorte que le simple fait d’appartenir à l’une de ces sept catégories de personnes suffit pour permettre de prendre les mesures restrictives prévues à ces articles, sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve du soutien que les personnes concernées apporteraient au régime
syrien en place ou du bénéficie qu’elles en tireraient (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2020, Makhlouf/Conseil, C‑157/19 P, non publié, EU:C:2020:777, point 83).

52 Il convient d’en déduire que le critère de l’appartenance familiale, introduit par les actes de 2015, pose un critère objectif, autonome et suffisant en soi pour justifier l’adoption de mesures restrictives à l’encontre des « membres de [la] famille […] Makhlouf » par l’inscription de leurs noms sur les listes de personnes faisant l’objet de telles mesures au seul motif que ces derniers appartiennent à ladite famille. Contrairement à ce que fait valoir la requérante au point 48 ci-dessus, le
critère n’est pas limité aux membres « influents » de cette famille.

53 Il n’en demeure pas moins que l’article 27, paragraphe 3, et l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, disposent en substance que les personnes visées par les dispositions érigeant les critères d’inscription ne sont pas inscrites sur les listes litigieuses s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’elles ne sont pas associées
au régime syrien, qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas liées à un risque réel de contournement des mesures restrictives.

54 Ainsi, au vu des considérations énoncées aux points 50 à 52 ci‑dessus, le Conseil pouvait a priori, compte tenu de la décision d’ouverture de la succession, inscrire le nom de la requérante sur les listes litigieuses sur le fondement de la présomption réfragable de lien avec le régime syrien découlant du critère de l’appartenance familiale.

55 Il incombait par la suite à la requérante, dans le cadre d’une contestation des actes attaqués, d’apporter des preuves afin de renverser la présomption de lien avec le régime syrien sur laquelle le Conseil s’est fondé.

56 À cet égard, la jurisprudence a retenu, ainsi qu’il a été rappelé au point 38 ci-dessus, que, dans la mesure où la charge de la preuve quant au bien-fondé des motifs soutenant les mesures restrictives incombe en principe au Conseil, il ne saurait être imposé à une partie requérante un niveau de preuve excessif aux fins de renverser la présomption de lien avec le régime syrien (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2022, Sabra/Conseil, T‑249/20, EU:T:2022:140, points 132 et 133 et jurisprudence
citée).

57 Ainsi, une partie requérante doit être considérée comme ayant réussi à renverser la présomption d’un lien avec le régime, instaurée, notamment, par les dispositions érigeant le critère de l’appartenance familiale, si elle fait valoir des arguments ou des éléments susceptibles de remettre sérieusement en cause la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil ou leur appréciation, ou si elle produit devant le juge de l’Union un faisceau d’indices concrets, précis et concordants de
l’inexistence ou la disparition du lien avec le régime syrien, ou de l’absence d’influence sur ledit régime, ou de l’absence d’association avec un risque réel de contournement des mesures restrictives, conformément à l’article 27, paragraphe 3, et à l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et à l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828 (voir arrêt du 16 mars 2022, Sabra/Conseil,
T‑249/20, EU:T:2022:140, point 133 et jurisprudence citée).

58 Pour renverser la présomption de lien avec le régime syrien, la requérante fait valoir qu’elle a passé son enfance et son adolescence aux côtés de sa mère au Liban et qu’elle n’a jamais vécu en Syrie. À cet égard, elle précise qu’elle est issue d’un mariage qui n’a duré que quelques mois, entre le défunt et l’ex-épouse de celui-ci Mme Nawal Jazaeri, et ajoute qu’elle n’a rencontré son père qu’à l’âge de 11 ans et l’a très peu fréquenté par la suite. Enfin, elle indique être de nationalité
syrienne, mais avoir émigré en 1990 avec sa mère aux États‑Unis où elle a acquis la nationalité américaine et a suivi un cursus d’enseignement supérieur. Elle soutient qu’elle vit aux États-Unis avec son époux de nationalité saoudienne, qu’elle a épousé en 1999, et avec leurs deux enfants qui sont également de nationalité américaine.

59 À l’appui de son argumentation, la requérante produit les éléments de preuve suivants :

– une copie de son passeport délivré par les autorités américaines ;

– une copie de son diplôme d’éducation secondaire obtenu en 1984 au Liban ;

– une copie de deux diplômes, l’un délivré en 1992 par l’University of Utah (université de l’Utah, États-Unis) et l’autre en 2016 par George Mason University (université de George-Mason, Virginie, États-Unis) ;

– une copie de son acte de mariage avec un ressortissant d’Arabie saoudite, conclu à Fairfax, Virginie (États‑Unis), en 1999 ;

– une copie des passeports américains de ses deux enfants mineurs nés, respectivement, en Arabie saoudite en 2007 et aux États‑Unis en 2009 ;

– une copie des relevés de notes de ses enfants, établis par des établissements scolaires à Fairfax ;

– une copie de deux factures de taxe d’habitation émises pour un logement situé à Fairfax pour les années 2017 et 2021 ;

– l’assurance d’une voiture émise au nom de la requérante et envoyée à la même adresse à Fairfax ;

– une copie d’un relevé de compteur d’eau au nom de la requérante pour la période du 8 août 2017 au 3 novembre 2022, indiquant la même adresse à Fairfax ;

– l’avis de décès.

60 À titre liminaire, il convient de relever que les éléments de preuve apportés par la requérante, dont certains émanent d’autorités gouvernementales et administratives ainsi que d’entreprises privées qui ne sont pas, en principe, susceptibles d’être manipulées ou influencées par la requérante, ont été établis in tempore non suspecto en dehors de leur utilisation dans le cadre de la présente procédure ou de la procédure administrative l’ayant précédée.

61 Par ailleurs, l’affirmation de la requérante selon laquelle elle n’a jamais vécu en Syrie est corroborée par la copie de son passeport indiquant le Liban comme lieu de naissance et par un diplôme d’éducation secondaire émis par un établissement scolaire libanais.

62 Les autres éléments de preuve démontrent que la requérante vit depuis plusieurs dizaines d’années aux États-Unis, qu’elle est mariée à un ressortissant de l’Arabie saoudite et que leurs enfants sont des citoyens des États-Unis où y sont scolarisés.

63 Selon la jurisprudence, le seul fait de vivre hors de Syrie ne constitue pas, en soi, une circonstance suffisante permettant d’affirmer ne pas être lié au régime syrien (arrêts du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 104, et du 14 avril 2021, Al‑Tarazi/Conseil, T‑260/19, non publié, EU:T:2021:187, point 149) et le Conseil, qui ne conteste aucun des éléments de preuve avancés par la requérante, estime que ceux-ci ne sont pas de nature à renverser la présomption d’un lien
au régime, telle qu’instaurée par le critère de l’appartenance familiale.

64 Toutefois, au stade de la réplique, la requérante a produit l’avis de décès de son père publié en arabe (ci-après l’« avis de décès »), dont elle déclare n’avoir pris connaissance qu’à la suite de la communication de celui-ci à des tiers au cours d’une autre procédure juridictionnelle. Elle précise qu’elle n’en disposait pas au moment de l’introduction du recours, dans la mesure où elle vivait totalement éloignée du contexte syrien et n’avait pas été associée aux obsèques du défunt.

65 D’une part, cette déclaration est corroborée par le fait que l’avis de décès mentionne les noms des cinq fils et deux filles du défunt, mais pas celui de la requérante.

66 D’autre part, l’avis de décès mentionne les noms de deux épouses du défunt, à savoir Mmes Ghada Mhana et Hala Tarif Almaghout, sans pour autant faire référence à la mère de la requérante, Mme Nawal Jazaeri. Cette omission est d’autant plus caractérisée que ledit avis mentionne d’autres proches du défunt qui sont décédés avant lui.

67 Ainsi, le défaut de mention du nom de la mère de la requérante dans l’avis de décès est de nature à corroborer l’affirmation de la requérante quant à la courte durée de la relation entre sa mère et le défunt.

68 Dans ce contexte, il convient de relever que la requérante est née en 1967, tandis que les listes litigieuses attestent que M. Rami Makhlouf, le fils aîné du défunt et de sa deuxième épouse, est né en 1969, ce qui est également de nature à confirmer la courte durée de l’union entre les parents de la requérante.

69 Ces éléments ressortant de l’avis de décès sont, plus généralement, de nature à étayer l’affirmation de la requérante quant à son éloignement, depuis son enfance, non seulement du contexte syrien, mais également de la famille du défunt à laquelle elle apparaît étrangère.

70 Cette conclusion s’impose à plus forte raison eu égard aux éléments de preuve produits par la requérante qui attestent que, depuis son déménagement en 1990, le centre de ses intérêts se trouve aux États-Unis. D’une part, cela est confirmé par deux diplômes délivrés par des établissements universitaires américains, le premier remontant à 1992 et le second datant de 2016.

71 D’autre part, la requérante apporte également diverses factures se rattachant à l’établissement de son foyer à Fairfax.

72 À la lumière des considérations figurant au point 60 ci-dessus, il y a lieu de juger ( 1 ) que les éléments produits par la requérante revêtent un caractère concordant et crédible et que, pris dans leur ensemble, ils étayent à suffisance de droit ses affirmations quant à son éloignement de la famille Makhlouf.

73 Ainsi, les éléments de preuve fournis par la requérante constituent un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants de l’inexistence ou la disparition du lien avec le régime syrien, ou de l’absence d’influence sur ledit régime, ou de l’absence d’association avec un risque réel de contournement des mesures restrictives au sens de la jurisprudence rappelée au point 57 ci-dessus, de sorte que la requérante doit être considérée comme ayant valablement renversé la présomption de
lien avec le régime syrien découlant du critère de l’appartenance familiale.

74 À cet égard, dans ses écritures, le Conseil se borne à faire valoir que les actes attaqués avaient pour but, non seulement d’éviter la dévolution de la masse successorale du défunt à ses héritières, dont la requérante, comme il ressort du considérant 3 des actes initiaux, mais également d’empêcher que les quatre fils du défunt, déjà visés par les mesures restrictives, ne s’entendent avec la requérante pour faire échapper au gel de fonds la part de l’héritage leur revenant. Ensuite, lors de
l’audience, il a soutenu que l’éloignement physique de la requérante, à savoir sa résidence aux États-Unis, n’implique pas une prise de distance de la requérante par rapport au régime syrien ou au reste de la famille Makhlouf.

75 Toutefois, une argumentation d’ordre aussi général, voire hypothétique, aucunement étayée, ne remet pas en cause la crédibilité des indices apportés par la requérante pour renverser la présomption d’un lien avec le régime syrien.

76 Il s’ensuit que le Conseil n’a pas satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe pour établir le bien-fondé des actes attaqués à la suite de la contestation des actes attaqués par la requérante, preuves à l’appui, au sens de la jurisprudence citée aux points 38 à 40 ci-dessus.

77 Dans ces circonstances, les actes attaqués sont entachés d’une erreur d’appréciation.

78 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précédent, il convient d’accueillir le deuxième moyen et, partant, d’annuler les actes attaqués, sans qu’il soit besoin de procéder à l’analyse des première, troisième et quatrième moyens.

Sur les effets dans le temps de l’annulation des actes attaqués

79 S’agissant de la demande présentée par le Conseil à titre subsidiaire dans son mémoire en défense, tendant au maintien des effets de la décision d’exécution 2022/242 jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2022/237 à l’égard de la requérante, il convient de rappeler que, par cette décision, le Conseil avait inscrit, à compter du 21 février 2022, le nom de la requérante sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives figurant à l’annexe I de la
décision 2013/255. À la suite de l’adoption de la décision 2022/849 (voir point 19 ci-dessus), l’inscription de la requérante sur les listes litigieuses avait été prorogée jusqu’au 1er juin 2023.

80 En outre, par la décision 2023/1035, le Conseil a mis à jour l’annexe I de la décision 2013/255 en y maintenant le nom de la requérant jusqu’au 1er juin 2024 (voir point 20 ci-dessus).

81 Or, par la décision (PESC) 2024/1510 du Conseil, du 27 mai 2024, modifiant la décision 2013/255 (JO L, 2024/1510), le Conseil a mis à jour la liste des personnes visées par les mesures restrictives qui figure à l’annexe I de la décision 2013/255, en y maintenant jusqu’au 1er juin 2025 le nom de la requérante.

82 Partant, si l’annulation de la décision d’exécution 2022/242 et de la décision 2023/1035, en ce qu’elles visent la requérante, comporte l’annulation de l’inscription de son nom sur la liste figurant à l’annexe I de la décision 2013/255 pour la période allant du 21 février 2022 au 1er juin 2024, une telle annulation ne s’étend pas, en revanche, à la décision 2024/1510, qui n’est pas visée par le présent recours.

83 Par conséquent, dès lors que, à ce jour, la requérante fait l’objet de nouvelles mesures restrictives, la demande subsidiaire du Conseil relative aux effets dans le temps de l’annulation partielle de la décision d’exécution 2022/242, rappelée au point 80 ci-dessus, est devenue sans objet.

Sur les conclusions en indemnité

84 La requérante fait valoir que l’erreur d’appréciation commise par le Conseil, entachant les actes attaqués, constitue une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Elle ajoute également que les actes attaqués nuisent gravement à sa réputation.

85 Le Conseil conteste les arguments de la requérante, en faisant valoir, notamment, que les actes attaqués ne seraient entachés d’aucune illégalité et que, dès lors, les conclusions indemnitaires doivent être rejetées d’emblée.

86 Le Conseil fait également observer que la requérante n’a présenté aucun élément permettant de déterminer avec la précision requise le caractère, la réalité et l’étendue du préjudice moral qu’elle invoque. Il doute, en conséquence, de la recevabilité des conclusions indemnitaires.

87 À cet égard, il convient de rappeler que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union du fait d’un comportement illicite de ses organes, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué. En outre, dans la mesure où ces trois conditions
d’engagement de la responsabilité sont cumulatives, l’absence de l’une d’entre elles suffit pour rejeter un recours indemnitaire, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêt du 22 juin 2022, Haswani/Conseil, T‑479/21, non publié, EU:T:2022:383, point 155).

88 Au soutien de ses conclusions en indemnité, la requérante se prévaut, en substance, du fait que, en ne disposant pas d’informations ou d’éléments de preuve établissant le bien-fondé des mesures restrictives la visant, le Conseil s’est rendu coupable d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers au sens de la jurisprudence fondée sur l’article 340, deuxième alinéa, TFUE.

89 Ainsi, il convient de déterminer si l’erreur d’appréciation constatée dans le cadre du deuxième moyen constitue une illégalité de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union.

90 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, la constatation de l’illégalité d’un acte juridique de l’Union ne suffit pas, pour regrettable qu’elle soit, pour considérer que la responsabilité non contractuelle de celle-ci, tenant à l’illégalité du comportement d’une de ses institutions, soit de ce fait automatiquement engagée. Pour admettre qu’il est satisfait à cette condition, la jurisprudence exige, en effet, que la partie requérante établisse que
l’institution en cause ait commis non pas une simple illégalité, mais une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (voir arrêt du 7 juillet 2021, HTTS/Conseil, T‑692/15 RENV, EU:T:2021:410, point 53 et jurisprudence citée).

91 Or, conformément à la jurisprudence, pour évaluer si une violation d’une règle de droit de l’Union est suffisamment caractérisée, le juge de l’Union prend notamment en compte la complexité des situations à régler, les difficultés d’application ou d’interprétation des textes et, plus particulièrement, la marge d’appréciation dont dispose l’auteur de l’acte mis en cause (arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 42).

92 Ainsi, seule la constatation d’une irrégularité que n’aurait pas commise, dans des circonstances analogues, une administration normalement prudente et diligente permet d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union (arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 43).

93 La preuve d’une violation suffisamment caractérisée vise à éviter, notamment dans le domaine des mesures restrictives, que la mission que l’institution concernée est appelée à accomplir dans l’intérêt général de l’Union et de ses États membres ne soit entravée par le risque que cette institution soit finalement appelée à supporter les dommages que les personnes concernées par ses actes pourraient éventuellement subir, sans pour autant laisser peser sur celles-ci les conséquences patrimoniales ou
morales de manquements que l’institution concernée aurait commis de façon flagrante et inexcusable (voir arrêt du 7 juillet 2021, Bateni/Conseil, T‑455/17, EU:T:2021:411, point 87 et jurisprudence citée).

94 En l’espèce, ainsi qu’il a été mentionné au point 15 ci-dessus, le Conseil disposait, au moment de l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses, de la décision d’ouverture de la succession du défunt faisant état, notamment, de l’appartenance de la requérante à la famille Makhlouf. Celle-ci ne conteste ni l’exactitude ou la véracité des informations d’ordre factuel, ni la valeur probante de cette décision. Ainsi, ce document, émanant d’un juge syrien, constitue un élément de
preuve suffisant permettant au Conseil d’étayer, a priori, le motif d’inscription de la requérante sur les listes litigieuses sur la base du critère de l’appartenance familiale.

95 À cet égard, il convient de rappeler que le critère de l’appartenance familiale constitue un critère d’inscription objectif, autonome et suffisant, de sorte que le Conseil n’était pas tenu de démontrer l’existence d’un lien entre la requérante, membre de la famille Makhlouf, et le régime syrien (voir point 52 ci-dessus).

96 Ainsi, le Conseil disposait, au moment de l’adoption des actes attaqués, d’un élément de preuve suffisant pour considérer que les conditions de la présomption de lien avec le régime syrien étaient remplies, de sorte que l’argument de la requérante selon lequel, en substance, l’erreur d’appréciation commise par le Conseil constitue une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers ne saurait prospérer.

97 En effet, l’erreur d’appréciation en tant que moyen avancé à l’appui d’un recours en annulation doit être distinguée de la méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposent au pouvoir d’appréciation invoquée pour constater une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers dans le cadre du recours en indemnité (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2021, Bateni/Conseil, T‑455/17, EU:T:2021:411, point 113).

98 À cet égard, il convient de relever que la requérante ne développe aucune argumentation spécifique permettant de comprendre en quoi le fait que le Conseil a commis une erreur d’appréciation constitue une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union. Elle se borne à évoquer l’incapacité du Conseil de fournir les éléments de preuve permettant d’établir le
bien‑fondé des actes attaqués.

99 Or, l’existence d’une erreur d’appréciation ne permet pas de conclure, de manière automatique et comme cela est suggéré par la requérante, que le Conseil a commis une violation suffisamment caractérisée des conditions matérielles d’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses.

100 Dès lors, nonobstant l’illégalité dont sont entachés les actes attaqués, en vue de la décision d’ouverture de la succession appréciée à l’aune de la présomption de lien avec le régime syrien découlant du critère de l’appartenance familiale, il ne saurait être retenu que le Conseil a méconnu manifestement et gravement les limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation pour ainsi engager la responsabilité non contractuelle de l’Union.

101 Dans ces circonstances, quand bien même le Conseil n’a pas satisfait à la charge de la preuve qui lui incombait pour établir le bien-fondé des actes attaqués dans le cadre de leur contestation, il ne saurait être considéré que cette erreur d’appréciation revêtait un caractère flagrant et inexcusable, au sens de la jurisprudence citée aux points 95 et 96ci‑dessus, telle qu’elle n’aurait pas été commise par une administration normalement prudente et diligente placée dans des circonstances
analogues.

102 Les conditions d’engagement de responsabilité de l’Union étant cumulatives, il convient de rejeter les conclusions indemnitaires, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres conditions évoquées au point 89 ci-dessus ni, à plus forte raison, la recevabilité desdites conclusions.

Sur les dépens

103 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il convient de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

déclare et arrête :

  1) La décision d’exécution (PESC) 2022/242 du Conseil, du 21 février 2022, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie, et le règlement d’exécution (UE) 2022/237 du Conseil, du 21 février 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie, sont annulés en tant que ceux-ci concernent Mme Shahla Makhlouf.

  2) La décision (PESC) 2023/1035 du Conseil, du 25 mai 2023, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie, et le règlement d’exécution (UE) 2023/1027 du Conseil, du 25 mai 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie, sont annulés en tant que ceux-ci concernent Mme Makhlouf.

  3) Le recours est rejeté pour le surplus.

  4) Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Truchot

Kanninen

Frendo

Sampol Pucurull

Perišin
 
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 juillet 2024.

Le greffier

V. Di Bucci

Le président

S. Papasavvas

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( *1 ) Langue de procédure : le français.

( 1 ) Redondance « considérations ... considéré ».


Synthèse
Formation : Neuvième chambre élargie
Numéro d'arrêt : T-209/22
Date de la décision : 17/07/2024
Type de recours : Recours en responsabilité, Recours en annulation

Analyses

Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Syrie – Gel des fonds et des ressources économiques – Restriction en matière d’admission sur le territoire des États membres – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques ou faisant l’objet de restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste – Héritier d’une personne déjà visée par des mesures restrictives – Droits de la défense – Erreur d’appréciation – Responsabilité non contractuelle.

Relations extérieures

Politique étrangère et de sécurité commune


Parties
Demandeurs : Shahla Makhlouf
Défendeurs : Conseil de l'Union européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Frendo

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2024:498

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