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17/07/2024 | CJUE | N°T-142/22

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Landesbank Baden-Württemberg contre Conseil de résolution unique., 17/07/2024, T-142/22


 ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

17 juillet 2024 ( *1 )

« Union économique et monétaire – Union bancaire – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement (MRU) – Fonds de résolution unique (FRU) – Décision du CRU sur le calcul des contributions ex ante pour 2017 – Obligation de motivation – Protection juridictionnelle effective – Égalité de traitement – Principe de proportionnalité – Marge d’appréciation du CRU – Exception d’illégalité – Marge

d’appréciation de la Commission – Limitation des
effets de l’arrêt dans le temps »

Dans l’affaire T‑142/22,

L...

 ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

17 juillet 2024 ( *1 )

« Union économique et monétaire – Union bancaire – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement (MRU) – Fonds de résolution unique (FRU) – Décision du CRU sur le calcul des contributions ex ante pour 2017 – Obligation de motivation – Protection juridictionnelle effective – Égalité de traitement – Principe de proportionnalité – Marge d’appréciation du CRU – Exception d’illégalité – Marge d’appréciation de la Commission – Limitation des
effets de l’arrêt dans le temps »

Dans l’affaire T‑142/22,

Landesbank Baden-Württemberg, établie à Stuttgart (Allemagne), représentée par Mes H. Berger, M. Weber et D. Schoo, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de résolution unique (CRU), représenté par MM. J. Kerlin, T. Wittenberg et D. Ceran, en qualité d’agents, assistés de Mes H.‑G. Kamann et P. Gey, avocats,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie),

composé de MM. A. Kornezov, président, G. De Baere, D. Petrlík (rapporteur), K. Kecsmár et Mme S. Kingston, juges,

greffier : Mme S. Jund, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 7 mars 2023,

rend le présent

Arrêt ( 1 )

1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Landesbank Baden-Württemberg, demande l’annulation de la décision SRB/ES/2021/82 du Conseil de résolution unique (CRU), du 15 décembre 2021, sur le calcul des contributions ex ante pour 2017 au Fonds de résolution unique concernant Landesbank Baden-Württemberg (ci-après la « décision attaquée »).

[omissis]

III. Conclusions des parties

20 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée, y compris ses annexes ;

– à titre subsidiaire, constater que la décision attaquée est juridiquement inexistante, en ce qu’elle la concerne ;

– condamner le CRU aux dépens.

21 Le CRU conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens ;

– à titre subsidiaire, en cas d’annulation de la décision attaquée, maintenir les effets de la décision attaquée jusqu’à son remplacement ou, à tout le moins, pendant une période de six mois à compter de la date à laquelle le jugement sera définitif.

IV. En droit

[omissis]

B.   Sur les moyens portant sur la légalité de la décision attaquée

[omissis]

2. Sur le deuxième moyen, tiré de défauts de motivation

[omissis]

d) Sur la septième branche, portant sur la rétention des données des autres établissements

239 La requérante soutient pour la première fois, dans son mémoire en réplique, que les exigences posées par la Cour dans l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU (C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601), concernant la mise en balance de l’obligation de motivation pesant sur le CRU avec l’obligation de ce dernier de respecter le secret des affaires des établissements concernés ne sont pas applicables dans la présente affaire. En effet, conformément à l’arrêt du
19 juin 2018, Baumeister (C‑15/16, EU:C:2018:464, points 54 et 56), les données des autres établissements sur lesquelles est fondée la décision attaquée ne seraient plus couvertes par le secret des affaires, car, la date de référence pour la période de contribution 2017 étant le 31 décembre 2015, ces données dateraient de plus de cinq ans.

240 Le CRU conteste cette argumentation, sans pour autant remettre en question la recevabilité de cette branche.

241 Il convient de rappeler que le principe même de la méthode de calcul des contributions ex ante, tel qu’il ressort de la directive 2014/59 et du règlement no 806/2014, implique l’utilisation, par le CRU, de données couvertes par le secret des affaires ne pouvant pas être reprises dans la motivation de la décision de fixation des contributions ex ante (arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 114).

242 À cet égard, le CRU a fourni, dans la décision attaquée, les raisons pour lesquelles les données des établissements qui avaient été prises en compte aux fins du calcul des contributions ex ante pour 2017 étaient couvertes par le secret des affaires.

243 En particulier, le CRU a observé, au considérant 100 de la décision attaquée, que les secrets d’affaires des établissements – c’est-à-dire toutes les informations concernant l’activité professionnelle des établissements qui, en cas de divulgation à un concurrent et/ou à un public plus large, pourraient porter gravement atteinte aux intérêts de l’établissement – étaient considérés comme des informations confidentielles. Dans le cadre du calcul des contributions ex ante, les informations fournies
par les établissements par l’intermédiaire de leurs formulaires de déclaration des données, sur lesquelles le CRU s’appuie pour calculer leur contribution ex ante, étaient considérées comme des secrets d’affaires.

244 En outre, aux considérants 102 à 105 de la décision attaquée, le CRU a relevé qu’il lui était interdit de divulguer les données de chaque établissement qui constituaient la base des calculs dans ladite décision, alors qu’il était autorisé à divulguer les données agrégées et communes, dans la mesure où ces données étaient cumulées. Cela étant, les établissements bénéficiaient, selon ladite décision, d’une transparence totale sur le calcul de leur contribution annuelle de base et de leur
multiplicateur d’ajustement pour les étapes de calcul de cette contribution, telles qu’elles étaient définies à l’annexe I du règlement délégué 2015/63, qui portaient sur le « calcul des indicateurs bruts » (étape 1), le « rééchelonnement des indicateurs » (étape 3) et le « calcul de l’indicateur composite » (étape 5). En outre, les établissements étaient en mesure d’obtenir les données communes utilisées indifféremment par le CRU pour tous les établissements ajustés en fonction de leur profil
de risque pour les étapes de calcul portant sur la « discrétisation des indicateurs » (étape 2), l’« intégration du signe affecté » (étape 4) et le « calcul des contributions annuelles » (étape 6).

245 Or, la requérante conteste le caractère suffisant de ces explications, en ce que, à la date à laquelle la décision attaquée a été adoptée, les données des autres établissements dataient de six ans et, de ce fait, n’étaient plus couvertes par le secret des affaires et en ce que, en dépit de cela, le CRU n’a pas fourni les raisons pour lesquelles ces données n’ont pas été divulguées.

246 Pour apprécier cet argument, il y a lieu de rappeler que, lorsque les informations qui ont pu constituer des secrets d’affaires à une certaine époque datent de cinq ans ou plus, elles sont considérées, en principe, du fait de l’écoulement du temps, comme étant historiques et comme ayant perdu, de ce fait, leur caractère secret, à moins que, exceptionnellement, la partie qui se prévaut de ce caractère ne démontre que, en dépit de leur ancienneté, ces informations constituent encore des éléments
essentiels de sa position commerciale ou de celles de tiers concernés (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2018, Baumeister, C‑15/16, EU:C:2018:464, point 54 et jurisprudence citée).

247 À cet égard, il n’est pas contesté que les données individuelles des établissements sur lesquelles est fondée la décision attaquée pour le calcul de la contribution ex ante de la requérante dataient, au moment de l’adoption de cette décision, de plus de cinq ans.

248 Cependant, ainsi que le CRU l’a expliqué dans sa duplique et lors de l’audience, sans être contredit par la requérante, la position relative d’un établissement par rapport à celle de ses concurrents peut, dans la réalité économique du secteur bancaire, demeurer identique ou semblable pendant une période prolongée, allant au-delà de cinq ans. En effet, certains éléments, tels que le modèle commercial ou les activités d’un tel établissement, restent stables à court et à moyen terme, de sorte qu’un
établissement présentant jadis un profil de risque élevé, au regard des données datant de plus que cinq ans, peut continuer à présenter un tel profil à la fin de la période initiale. Ainsi, en dépit de leur ancienneté, ces informations constituent encore des éléments essentiels de la position commerciale des établissements de crédit. Dans ces conditions, si de telles données essentielles étaient divulguées à travers la motivation de la décision attaquée, les opérateurs économiques actifs dans le
secteur bancaire pourraient se fonder sur elles afin d’en déduire la position commerciale actuelle d’un établissement.

249 La requérante ne saurait ainsi prétendre que le CRU aurait dû divulguer dans la motivation de la décision attaquée les données individuelles des autres établissements permettant de vérifier le calcul de sa contribution ex ante, puisque, bien que celles-ci datent de six ans, elles constituent encore des éléments essentiels de la position commerciale de ces établissements.

250 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel le CRU, pour s’acquitter de son obligation de motivation, doit lui fournir, sous une forme anonymisée, une liste de toutes les données des établissements qui se trouvent dans le même bin qu’elle.

251 D’une part, imposer au CRU une telle exigence irait au-delà des exigences imposées par la jurisprudence qui ont été rappelées aux points 217, 220 et 221 ci-dessus.

252 D’autre part, le CRU a soutenu, sans être sérieusement contredit sur ce point, que même une liste avec des données anonymisées pour un bin particulier risquait de permettre aux opérateurs économiques actifs dans le domaine bancaire, lesquels sont des opérateurs avisés, d’apprendre des secrets d’affaires de certains établissements. À cet égard, la requérante n’a pas, notamment, contesté que de tels opérateurs savaient quels établissements avaient tendance à avoir des valeurs élevées pour certains
indicateurs de risque. Or, s’ils obtenaient des listes avec de telles données chaque année, ils pourraient suivre l’évolution des indicateurs de risque de ces établissements, quand bien même ceux-ci seraient composés de données commercialement sensibles. Un tel risque existe en particulier en ce qui concerne les grands établissements et ceux établis dans les États membres dans lesquels il n’existe qu’un nombre limité d’établissements redevables de la contribution ex ante. En effet, il n’est pas
exclu que, dans ces hypothèses, un opérateur avisé soit en position de déduire l’identité de tels établissements, quand bien même ces derniers auraient été anonymisés. Ainsi, il ne saurait être reproché au CRU de ne pas avoir établi de liste de toutes les données anonymisées des établissements qui se trouvaient dans un même bin.

253 À la lumière de ce qui précède, la septième branche du deuxième moyen doit être rejetée.

e) Sur la troisième branche, portant sur la motivation du niveau cible annuel

254 La requérante soutient qu’il est impossible de comprendre, sur la base de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles le niveau cible annuel a été fixé à 1/8 de 1,05 % du montant total des dépôts couverts. Les explications supplémentaires fournies par le CRU aux points 17 et suivants de l’annexe III de cette décision ne suffiraient d’ailleurs pas pour éclairer la manière dont le niveau cible annuel a été effectivement déterminé. De plus, le CRU n’aurait pas communiqué le niveau cible final
pronostiqué ni son interprétation du plafond mentionné à l’article 70, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 806/2014. Or, ainsi que la décision fixant les contributions ex ante pour la période de contribution 2022 le montrerait, le CRU s’estimerait être habilité à augmenter librement le niveau cible annuel en appliquant un coefficient qui n’est pas prévu par la réglementation applicable et à imposer ainsi aux établissements une charge disproportionnée.

255 Le CRU rétorque qu’il ressort des considérants 50 à 63 de la décision attaquée et des points 19 à 25 de l’annexe III de cette décision qu’il a fourni une motivation suffisante en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel pour la période de contribution 2017.

256 En particulier, le CRU aurait déterminé le niveau cible annuel en tenant compte de tous les éléments pertinents ainsi que des critères énoncés à l’article 69, paragraphe 2, du règlement no 806/2014. Par ailleurs, en ce qui concerne la croissance attendue des dépôts couverts, la décision attaquée aurait expliqué, d’une part, que, selon les données fournies par les systèmes de garantie des dépôts, la somme des dépôts couverts aurait augmenté de 2,2 % entre 2015 et 2016 et que, d’autre part, le
taux prévisionnel de croissance de ces dépôts serait compris entre 1 % et 4 %. En outre, la manière dont les éventuels effets procycliques ont été pris en compte aurait été exposée au considérant 61 de la décision attaquée et aux points 23 et suivants de l’annexe III de cette décision.

257 Enfin, il aurait été possible pour la requérante de calculer le niveau cible final estimé en 2017 sur la base des données dont elle avait connaissance, tandis que l’absence de divulgation de l’interprétation du CRU concernant le plafond de 12,5 % prévu à l’article 70, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 806/2014 ne serait pas de nature à affecter la motivation de la décision attaquée.

258 À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article 69, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, au terme de la période initiale, les moyens financiers disponibles dans le FRU doivent atteindre le niveau cible final, qui correspond à au moins 1 % du montant des dépôts couverts de l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participants.

259 Selon l’article 69, paragraphe 2, du règlement no 806/2014, au cours de la période initiale, les contributions ex ante doivent être réparties aussi uniformément que possible dans le temps jusqu’à ce que le niveau cible final mentionné au point 258 ci-dessus soit atteint, mais en tenant dûment compte de la phase du cycle d’activité et de l’incidence que les contributions procycliques peuvent avoir sur la position financière des établissements.

260 L’article 70, paragraphe 2, du règlement no 806/2014 précise que, chaque année, les contributions dues par l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participants ne dépassent pas 12,5 % du niveau cible final.

261 En ce qui concerne le mode de calcul des contributions ex ante, l’article 4, paragraphe 2, du règlement délégué 2015/63 prévoit que le CRU détermine leur montant sur la base du niveau cible annuel, compte tenu du niveau cible final, et sur la base du montant moyen des dépôts couverts de l’année précédente, calculé trimestriellement, pour tous les établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participants.

262 En l’espèce, ainsi qu’il ressort du considérant 63 de la décision attaquée, le CRU a fixé, pour la période de contribution 2017, le montant du niveau cible annuel à 7161808441 euros.

263 Aux considérants 51 et 52 de la décision attaquée, le CRU a expliqué, en substance, que, en vue de déterminer le niveau cible annuel, il avait pris en compte le niveau cible final estimé pour 2023, la nécessité de répartir les contributions ex ante aussi uniformément que possible pendant la période initiale ainsi que la phase du cycle d’activité et les effets que ces contributions auraient sur la situation financière des établissements. Par la suite, le CRU a considéré approprié de fixer un
coefficient qui était fondé sur ces paramètres et sur les moyens financiers déjà disponibles au sein du FRU (ci-après le « coefficient »). Le CRU a appliqué ce coefficient à un huitième du montant moyen des dépôts couverts en 2016, aux fins d’obtenir le niveau cible annuel.

264 Aux considérants 54 à 62 de la décision attaquée, le CRU a exposé la démarche suivie pour déterminer le niveau cible annuel.

265 Au considérant 54 de la décision attaquée, le CRU a expliqué qu’une attention particulière devait être portée à l’évolution attendue des dépôts couverts pendant la période initiale, puisque, si ces dépôts croissaient dans le temps, fixer le niveau cible annuel à 1 % du montant desdits dépôts ne suffirait pas pour atteindre le niveau cible final.

266 À cet égard, le CRU a constaté, au considérant 55 de la décision attaquée, que le montant moyen des dépôts couverts, calculé trimestriellement, s’élevait pour l’année 2016 à 5,546 billions d’euros.

267 Aux considérants 56 à 58 de la décision attaquée, le CRU a présenté l’évolution pronostiquée des dépôts couverts pour les six années restantes de la période initiale, à savoir de 2018 à 2023. Il a estimé que les taux annuels de croissance de ces dépôts jusqu’à la fin de la période initiale se situeraient entre 1 % et 4 %.

268 Aux considérants 59 à 61 de la décision attaquée, le CRU a présenté une évaluation de la phase du cycle d’activité et de l’effet procyclique potentiel que les contributions ex ante pourraient avoir sur la situation financière des établissements. Pour ce faire, il a indiqué avoir tenu compte de plusieurs éléments, tels que, notamment, la prévision de croissance du produit intérieur brut pour 2017 de la Commission ou encore des indicateurs clés pour le secteur bancaire de la zone euro, comme la
solvabilité, la qualité des actifs et la rentabilité des établissements. À cet égard et en vue de ne pas aggraver les effets procycliques des contributions ex ante sur la solvabilité du secteur bancaire, le CRU a considéré qu’il serait pertinent de déterminer le niveau cible annuel au regard d’un taux d’évolution des dépôts couverts qui serait inférieur à celui préconisé, car étant le plus crédible.

269 Au considérant 62 de la décision attaquée, le CRU a conclu que, en raison des incertitudes entourant la relance économique, de leur impact négatif sur la croissance future des dépôts couverts et sur le cycle d’activité et du nombre limité de données susceptibles d’indiquer l’évolution future de ces dépôts, il était pertinent d’adopter une approche prudente en ce qui concernait les taux de croissance desdits dépôts pour les années à venir jusqu’à 2023.

270 Au regard de ces considérations, le CRU a calculé, au considérant 63 de la décision attaquée, le montant du niveau cible annuel en multipliant le montant moyen des dépôts couverts en 2016 par le coefficient de 1,05 % et en divisant le résultat de ce calcul par huit, conformément à la formule mathématique suivante, figurant au considérant 63 de ladite décision :

« Cible0 [montant du niveau cible annuel] = Total dépôts couverts2016 * 0,0105 * ⅛ = EUR 7161808441. »

271 Lors de l’audience, le CRU a cependant indiqué qu’il avait déterminé le niveau cible annuel pour la période de contribution 2017 comme suit.

272 Premièrement, sur la base d’une analyse prospective, le CRU a fixé le montant des dépôts couverts de l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participants, pronostiqué pour la fin de la période initiale. Pour aboutir à ce montant, le CRU a pris en compte le montant moyen des dépôts couverts en 2016, le taux de croissance annuel de ces dépôts ainsi que le nombre de périodes de contribution restantes jusqu’à la fin de la période initiale.

273 Deuxièmement, conformément à l’article 69, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, le CRU a calculé 1 % du montant pronostiqué des dépôts couverts à la fin de la période initiale pour obtenir le montant estimé du niveau cible final devant être atteint le 31 décembre 2023.

274 Troisièmement, le CRU a déduit de ce dernier montant les ressources financières déjà disponibles dans le FRU en 2017, pour obtenir le montant qu’il restait à percevoir pendant les périodes de contribution restantes avant la fin de la période initiale.

275 Quatrièmement, le CRU a divisé ce dernier montant par le nombre de périodes de contribution restantes, pour le répartir uniformément entre ces périodes. Le niveau cible annuel pour la période de contribution 2017 a été ainsi fixé au montant mentionné au point 262 ci-dessus, à savoir environ 7,161 milliards d’euros.

276 Afin d’examiner si le CRU a respecté son obligation de motivation en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel, il convient tout d’abord de rappeler qu’un défaut ou une insuffisance de motivation constitue un moyen d’ordre public pouvant, voire devant, être soulevé d’office par le juge de l’Union (voir arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, EU:C:2009:742, point 34 et jurisprudence citée). Par conséquent, le Tribunal peut, voire doit, prendre en compte
également d’autres défauts de motivation que ceux invoqués par la requérante, et ce, notamment, lorsque ceux-ci se révèlent au cours de la procédure.

277 À cette fin, les parties ont été entendues, au cours de la phase orale de la procédure, sur tous les éventuels défauts de motivation dont serait entachée la décision attaquée en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel. En particulier, interrogé expressément et à plusieurs reprises à cet égard, le CRU a décrit, étape par étape, la méthode qu’il avait réellement suivie pour déterminer le niveau cible annuel pour la période de contribution 2017, telle qu’elle est exposée aux
points 274 à 277 ci-dessus.

278 En ce qui concerne, ensuite, le contenu de l’obligation de motivation, il ressort de la jurisprudence que la motivation d’une décision prise par une institution ou un organe de l’Union doit être, notamment, dépourvue de contradictions pour permettre aux intéressés de connaître les motifs réels de cette décision, en vue de défendre leurs droits devant la juridiction compétente, et à cette dernière d’exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation
of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 169 et jurisprudence citée ; du 22 septembre 2005, Suproco/Commission, T‑101/03, EU:T:2005:336, points 20 et 45 à 47, et du 16 décembre 2015, Grèce/Commission, T‑241/13, EU:T:2015:982, point 56).

279 De même, lorsque l’auteur de la décision attaquée fournit certaines explications concernant les motifs de celle-ci au cours de la procédure devant le juge de l’Union, ces explications doivent être cohérentes avec les considérations exposées dans cette décision (voir, en ce sens, arrêts du 22 septembre 2005, Suproco/Commission, T‑101/03, EU:T:2005:336, points 45 à 47, et du 13 décembre 2016, Printeos e.a./Commission, T‑95/15, EU:T:2016:722, points 54 et 55).

280 En effet, si les considérations exposées dans la décision attaquée ne sont pas cohérentes avec de telles explications fournies lors de la procédure juridictionnelle, la motivation de la décision concernée ne remplit pas les fonctions rappelées aux points 210 et 211 ci-dessus. En particulier, une telle incohérence empêche, d’une part, les intéressés de connaître les motifs réels de la décision attaquée, avant l’introduction du recours, et de préparer leur défense à leur égard et, d’autre part, le
juge de l’Union d’identifier les motifs ayant servi de véritable support juridique à cette décision et d’examiner leur conformité aux règles applicables.

281 Enfin, il y a lieu de rappeler que, lorsque le CRU adopte une décision fixant les contributions ex ante, il doit porter à la connaissance des établissements concernés la méthode de calcul de ces contributions (voir arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 122).

282 Il doit en aller de même pour la méthode de détermination du niveau cible annuel, ce montant revêtant une importance essentielle dans l’économie d’une telle décision. En effet, ainsi qu’il ressort du point 16 ci-dessus, le mode de calcul des contributions ex ante consiste en la répartition dudit montant entre tous les établissements concernés, de sorte qu’une augmentation ou une réduction de ce même montant entraîne une augmentation ou une réduction correspondante de la contribution ex ante de
chacun de ces établissements.

283 Il ressort de ce qui précède que, si le CRU est tenu de fournir aux établissements, par le biais de la décision attaquée, des explications concernant la méthode de détermination du niveau cible annuel, ces explications doivent être cohérentes avec les explications fournies par le CRU pendant la procédure juridictionnelle et portant sur la méthode réellement appliquée.

284 Or, tel n’est pas le cas dans la présente affaire.

285 En effet, il convient tout d’abord de relever que la décision attaquée a exposé, au considérant 63, une formule mathématique qu’elle a présentée comme étant à la base de la détermination du niveau cible annuel. Or, il s’avère que cette formule n’intègre pas les éléments de la méthode réellement appliquée par le CRU, telle qu’explicitée lors de l’audience. En effet, ainsi qu’il ressort des points 272 à 275 ci-dessus, le CRU a obtenu le montant du niveau cible annuel, dans le cadre de cette
méthode, en déduisant du niveau cible final les moyens financiers disponibles dans le FRU, en vue de calculer le montant qu’il restait à percevoir jusqu’à la fin de la période initiale et en divisant ce dernier montant par le nombre de périodes de contribution restantes. Or, ces deux étapes de calcul ne trouvent aucune expression dans ladite formule mathématique.

286 Des incohérences similaires affectent également la manière dont a été fixé le coefficient de 1,05 %, qui joue pourtant un rôle primordial dans la formule mathématique mentionnée au point 285 ci-dessus. En effet, ainsi qu’il ressort des considérants 51 et 52 de la décision attaquée, ce coefficient pourrait être compris en ce sens qu’il se base sur l’estimation du niveau cible final pour 2023, sur la nécessité de répartir les contributions ex ante aussi uniformément que possible pendant la période
initiale ainsi que sur une analyse portant sur la phase du cycle d’activité et sur les effets que ces contributions auraient sur la situation financière des établissements. Or, comme le CRU l’a reconnu lors de l’audience, ce coefficient a été fixé de manière à pouvoir justifier le résultat du calcul du montant du niveau cible annuel, c’est-à-dire après que le CRU a calculé ce montant en application des quatre étapes exposées aux points 272 à 275 ci-dessus et, notamment, par la division par le
nombre de périodes de contribution restantes du montant issu de la déduction des moyens financiers disponibles dans le FRU du niveau cible final. Or, cette démarche ne ressort aucunement de la décision attaquée.

287 Il s’ensuit que, en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel, la méthode réellement appliquée par le CRU, telle qu’explicitée lors de l’audience, ne correspond pas à celle décrite dans la décision attaquée, de sorte que les motifs réels, au regard desquels a été fixé ce niveau cible, ne pouvaient être identifiés sur la base de la décision attaquée ni par les établissements ni par le Tribunal.

288 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater que la décision attaquée est entachée de vices de motivation en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel.

289 La troisième branche du deuxième moyen doit ainsi être accueillie. Compte tenu des enjeux juridiques et économiques de la présente affaire, il est pourtant dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de poursuivre l’examen des autres moyens du recours.

[omissis]

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

déclare et arrête :

  1) La décision SRB/ES/2021/82 du Conseil de résolution unique (CRU), du 15 décembre 2021, sur le calcul des contributions ex ante pour 2017 au Fonds de résolution unique concernant Landesbank Baden-Württemberg est annulée.

  2) Les effets de la décision SRB/ES/2021/82 sont maintenus jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai raisonnable qui ne saurait dépasser six mois à compter de la date du prononcé du présent arrêt, d’une nouvelle décision du CRU fixant la contribution ex ante au Fonds de résolution unique de Landesbank Baden-Württemberg pour la période de contribution 2017.

  3) Le CRU supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Landesbank Baden‑Württemberg.

Kornezov

De Baere

Petrlík

  Kecsmár

Kingston

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 juillet 2024.

Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.

( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.


Synthèse
Formation : Huitième chambre élargie
Numéro d'arrêt : T-142/22
Date de la décision : 17/07/2024

Analyses

Union économique et monétaire – Union bancaire – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement (MRU) – Fonds de résolution unique (FRU) – Décision du CRU sur le calcul des contributions ex ante pour 2017 – Obligation de motivation – Protection juridictionnelle effective – Égalité de traitement – Principe de proportionnalité – Marge d’appréciation du CRU – Exception d’illégalité – Marge d’appréciation de la Commission – Limitation des effets de l’arrêt dans le temps.


Parties
Demandeurs : Landesbank Baden-Württemberg
Défendeurs : Conseil de résolution unique.

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2024:487

Source

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