ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)
17 avril 2024 ( *1 )
« Aides d’État – Législation fiscale suédoise – Taxe sur le risque systémique des établissements de crédit – Décision de ne pas soulever d’objections – Caractère sélectif – Objectif de la mesure – Dérogation au système de référence »
Dans l’affaire T‑112/22,
Ideella föreningen Svenska Bankföreningen med firma Svenska Bankföreningen, Näringsverksamhet, établie à Stockholm (Suède),
Länsförsäkringar Bank AB, établie à Stockholm,
représentées par Mes P. Hansson, M. Eriksson, M. Persson et A. Andersson, avocats,
parties requérantes,
contre
Commission européenne, représentée par Mmes F. Tomat et A. Steiblytė, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenue par
Royaume de Suède, représenté par Mmes C. Meyer-Seitz, A. Runeskjöld, F.-L. Göransson, H. Shev, H. Eklinder et R. Shahsavan Eriksson, en qualité d’agents,
partie intervenante,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),
composé de MM. S. Papasavvas, président, R. da Silva Passos, M. Jaeger, S. Gervasoni et Mme N. Półtorak (rapporteure), juges,
greffier : M. P. Cullen, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 9 novembre 2023,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Ideella föreningen Svenska Bankföreningen med firma Svenska Bankföreningen, Näringsverksamhet et Länsförsäkringar Bank AB, demandent l’annulation de la décision COM(2021) 8637 final de la Commission européenne, du 24 novembre 2021, concernant la mesure d’État SA.56348 (2021/N) – Suède : taxe suédoise sur les établissements de crédit (ci‑après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
2 La première requérante, Ideella föreningen Svenska Bankföreningen med firma Svenska Bankföreningen, Näringsverksamhet, est une association suédoise de banquiers, qui représente ses 31 membres dans le cadre d’affaires d’intérêt commun, tant au niveau national qu’au niveau international. Ses membres sont des banques et des institutions financières établies en Suède.
3 La seconde requérante, Länsförsäkringar Bank, est membre de cette association de banquiers.
4 Le 3 septembre 2021, le Royaume de Suède a, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, notifié à la Commission un projet de loi relative à une taxe sur les risques due par les établissements de crédit ainsi que des projets de modification de la loi relative au crédit pour impôt étranger (ci-après, pris ensemble, le « projet de loi ») Le Royaume de Suède estimait néanmoins que la taxe instaurée (ci‑après la « taxe ») ne remplissait pas les critères de sélectivité prévus à l’article 107,
paragraphe 1, TFUE et que celle-ci ne constituait donc pas une aide d’État. Le projet de loi a été adopté et la loi est entrée en vigueur le 1er janvier 2022.
5 En vertu du point 2.1, section 1, du projet de loi, les établissements de crédit sont tenus de s’acquitter de la taxe au bénéfice de l’État.
6 Conformément au point 2.1, section 4, du projet de loi, les établissements de crédit suédois sont assujettis à la taxe dès lors que la somme de leurs dettes au début de l’exercice fiscal dépasse la valeur du seuil prévu par le projet de loi. S’agissant des établissements de crédit étrangers, cette disposition prévoit que ceux-ci sont imposés dès lors que, au début de l’exercice fiscal, ils ont des dettes attribuables aux activités commerciales exercées à partir d’une succursale suédoise dont la
somme dépasse la valeur du seuil prévu par le projet de loi. Dans les motifs du projet de loi relatifs à ladite section, il est renvoyé au droit suédois aux fins de la définition des établissements de crédit, à savoir les banques suédoises et les sociétés suédoises actives sur le marché du crédit, ainsi que les banques étrangères et les sociétés de crédit étrangères. Il en résulte que neuf établissements de crédit sont assujettis à la taxe.
7 Au point 2.1, section 5, du projet de loi, la valeur du seuil est fixée à 150 milliards de couronnes suédoises (SEK) (environ 13,3 milliards d’euros) pour les exercices fiscaux commençant en 2022. Pour les exercices fiscaux commençant en 2023 ou plus tard, le seuil s’élève à 150 milliards de SEK multipliés par un chiffre représentant le rapport entre le montant de base du prix en 2022 et le montant de base du prix pour l’année au cours de laquelle l’exercice fiscal en question a commencé, exprimé
sous forme de pourcentage à deux décimales arrondi vers le bas, majoré de deux points de pourcentage.
8 Le point 2.1, section 6, du projet de loi régit la situation des établissements de crédit faisant partie d’un groupe d’établissements de crédit. Ainsi, les dettes combinées des établissements de crédit du groupe au début de l’exercice fiscal sont prises en compte aux fins de l’application du point 2.1, section 4, du projet de loi. Toutefois, dans le cas d’un établissement de crédit étranger faisant partie d’un groupe, seules les dettes attribuables aux activités commerciales de l’établissement de
crédit qui sont exercées à partir d’une succursale suédoise sont prises en compte dans le calcul des dettes combinées. Il est également prévu que, outre les allocations et les réserves non imposées, certaines dettes ne sont pas prises en compte dans le calcul des dettes combinées, à savoir, d’une part, les dettes envers un établissement de crédit suédois faisant partie du même groupe et, d’autre part, les dettes envers un établissement de crédit étranger faisant partie du même groupe, dans la
mesure où les créances correspondant à ces dettes sont attribuables aux activités commerciales de l’établissement de crédit étranger qui étaient exercées à partir d’une succursale suédoise.
9 Le point 2.1, section 9, du projet de loi fixe le taux d’imposition à 0,05 % de la somme des dettes de l’établissement de crédit assujetti. Au point 2.2 du projet de loi, il est prévu que le taux est porté à 0,06 % pour l’exercice fiscal de 2023.
10 Au point 2.3, chapitre 5, section 1, du projet de loi, il est prévu que, sous certaines conditions, une entité assujettie à la taxe et qui a des dettes envers un établissement de crédit étranger au sein du même groupe a droit à un crédit pour l’impôt étranger payé par cet établissement de crédit étranger.
11 Le 30 septembre 2021, la Commission a adressé une demande de renseignements au Royaume de Suède à laquelle celui‑ci a répondu le 5 octobre 2021.
Décision attaquée
12 Par la décision attaquée, la Commission a estimé que la taxe ne constituait pas une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, au motif qu’elle ne remplissait pas le critère de sélectivité prévu par cette disposition.
13 À cet égard, en premier lieu, s’agissant de l’identification du régime fiscal « normal », la Commission a considéré que ledit régime étant limité à la taxe, qui poursuivait une logique propre, il était indépendant des autres régimes fiscaux nationaux dont les éléments constitutifs étaient cohérents avec son objectif, à savoir celui de renforcer les finances publiques au moyen de contributions de grands établissements de crédit susceptibles d’être à l’origine de coûts indirects importants pour la
société, créant ainsi la possibilité de supporter de tels coûts indirects découlant de crises financières futures. La Commission a conclu que le régime « normal » n’était pas conçu selon des paramètres manifestement discriminatoires visant à contourner le droit de l’Union sur les aides d’État.
14 En second lieu, premièrement, la Commission a estimé que les établissements de crédit exclusivement visés par la taxe, dont les dettes étaient une source d’instabilité à l’égard notamment du système financier et de l’économie réelle, se distinguaient des autres établissements financiers, ceux-ci ne présentant pas le même degré de risque de générer une telle instabilité. Dès lors, selon la Commission, les autres établissements financiers n’étaient pas dans une situation factuelle et juridique
comparable au regard de l’objectif assigné à la taxe.
15 Deuxièmement, la Commission a considéré que le seuil des dettes établi par la taxe visait à refléter la taille des établissements de crédit et, par conséquent, le risque d’engendrer des coûts indirects significatifs. Ainsi, les établissements de crédit dont les dettes ne dépassaient pas le seuil prévu par la taxe n’étaient pas dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des établissements dont les dettes dépassaient ce seuil, au regard de l’objectif assigné à la taxe et, dès
lors, leur exemption de la taxe ne constituait pas une dérogation au régime « normal ».
Conclusions des parties
16 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
17 La Commission, soutenue par le Royaume de Suède, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérantes aux dépens.
En droit
18 À l’appui de leur recours, les requérantes invoquent un moyen unique tiré de la violation de leurs droits procéduraux.
19 Selon les requérantes, dans le cadre de son analyse de la taxe, la Commission aurait dû éprouver des difficultés sérieuses. Par conséquent, elle aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen et leur donner la possibilité de faire connaître leur point de vue et d’exercer ainsi leurs droits procéduraux. Dans ce contexte, les requérantes contestent l’examen de la Commission relatif au caractère sélectif de la taxe effectué dans la décision attaquée.
20 La Commission, soutenue par le Royaume de Suède, conteste l’argumentation des requérantes.
Observations liminaires
21 Il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure de contrôle des aides d’État, doivent être distinguées, d’une part, la phase préliminaire d’examen des aides instituée à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se forger une première opinion sur la mesure notifiée, et, d’autre part, la procédure formelle d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.
22 La légalité d’une décision, telle que la décision attaquée, de ne pas soulever d’objections, fondée sur l’article 4, paragraphe 3, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9), dépend du point de savoir si l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait, lors de la phase préliminaire d’examen de la mesure notifiée, aurait dû objectivement susciter des doutes quant à la
qualification d’aide de cette mesure au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, étant donné que de tels doutes doivent donner lieu à l’ouverture d’une procédure formelle d’examen à laquelle peuvent participer les parties intéressées visées à l’article 1er, sous h), de ce règlement (voir, par analogie, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 38).
23 Lorsqu’une partie requérante demande l’annulation d’une décision de ne pas soulever d’objections, elle met en cause essentiellement le fait que la décision prise par la Commission à l’égard de l’aide en cause a été adoptée sans que cette institution ouvre la procédure formelle d’examen, violant, ce faisant, ses droits procéduraux. Afin qu’il soit fait droit à sa demande d’annulation, la partie requérante peut invoquer tout moyen de nature à démontrer que l’appréciation des informations et des
éléments dont la Commission dispose, lors de la phase préliminaire d’examen de la mesure notifiée, aurait dû susciter des doutes quant à la qualification d’aide de cette mesure au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 39 et jurisprudence citée).
24 La preuve de l’existence de tels doutes, qui doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de la décision de ne pas soulever d’objections que dans son contenu, doit être rapportée par le demandeur de l’annulation de cette décision, à partir d’un faisceau d’indices concordants (arrêts du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 40, et du 19 septembre 2018, HH Ferries e.a./Commission, T‑68/15, EU:T:2018:563, point 63).
À cet égard, il n’appartient pas au Tribunal de déterminer s’il existe des indices probants de l’absence de doutes quant à la qualification d’aide de la mesure en cause. Il lui revient, au contraire, de rechercher si la partie requérante a apporté la preuve de l’existence de tels doutes, le cas échéant à l’aide d’un faisceau d’indices concordants (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 73).
25 Dans ce contexte, le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire constitue un indice de l’existence de difficultés sérieuses dans l’appréciation de la mesure en cause, dont la présence oblige celle‑ci à ouvrir la procédure formelle d’examen (voir arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 41 et jurisprudence citée).
26 Enfin, la notion de « difficultés sérieuses » revêt un caractère objectif. Il en découle que le contrôle de légalité effectué par le Tribunal sur l’existence de difficultés sérieuses ne peut se limiter à la recherche de l’erreur manifeste d’appréciation (voir arrêts du 27 septembre 2011, 3F/Commission, T‑30/03 RENV, EU:T:2011:534, point 55 et jurisprudence citée, et du 10 juillet 2012, Smurfit Kappa Group/Commission, T‑304/08, EU:T:2012:351, point 80 et jurisprudence citée).
27 C’est à l’aune de cette jurisprudence qu’il convient d’examiner l’argumentation des requérantes visant à établir l’existence de doutes quant à la qualification d’aide de la taxe au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui auraient dû amener la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen.
28 À cet égard, il convient de rappeler que la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle
doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 66 et jurisprudence citée).
29 Les requérantes précisent que « [l]e présent recours conteste la validité de l’examen par la Commission de la mesure notifiée en ce qui concerne le critère de sélectivité » dans la mesure où la Commission aurait rencontré des difficultés sérieuses à cet égard et aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen.
30 S’agissant de la condition relative à l’octroi d’un avantage sélectif, celle-ci impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de
discriminatoire (voir arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 67 et jurisprudence citée).
31 En ce qui concerne, en particulier, les mesures nationales conférant un avantage fiscal, il y a lieu de rappeler qu’une mesure de cette nature, qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation plus favorable que les autres contribuables, est susceptible de procurer un avantage sélectif aux bénéficiaires et de constituer, partant, une « aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Ainsi, est notamment considérée comme une
aide d’État une intervention qui allège les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise et qui, de ce fait, sans être une subvention au sens strict du mot, est de même nature et a des effets identiques (voir, en ce sens, arrêts du 16 mars 2021, Commission/Pologne, C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 30, et du 16 mars 2021, Commission/Hongrie, C‑596/19 P, EU:C:2021:202, point 36).
32 Aux fins de qualifier une mesure fiscale nationale de « sélective », la Commission doit identifier, dans un premier temps, le système de référence, à savoir le régime fiscal « normal » applicable dans l’État membre concerné, et démontrer, dans un deuxième temps, que la mesure fiscale en cause déroge à ce système de référence, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce dernier, dans une situation factuelle et
juridique comparable. La notion d’« aide d’État » ne vise toutefois pas les mesures introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime juridique en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable et, partant, a priori sélectives, lorsque l’État membre concerné parvient à démontrer, dans un troisième temps, que cette différenciation est justifiée, en ce sens qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système
dans lequel ces mesures s’inscrivent (voir arrêts du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, points 57 et 58 et jurisprudence citée, et du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 68 et jurisprudence citée).
33 En l’espèce, les requérantes contestent l’examen de la Commission réalisé dans la décision attaquée relatif aux deux premières étapes exposées au point 32 ci-dessus.
34 Ainsi qu’il ressort des considérants 66, 70 et 72 de la décision attaquée, la Commission a conclu, d’une part, que le système de référence n’avait pas été conçu de manière manifestement discriminatoire et, d’autre part, que l’absence d’assujettissement à la taxe de certains types d’opérateurs ou des opérateurs dont les dettes cumulées étaient inférieures au seuil fixé dans le projet de loi ne constituait pas une dérogation au système de référence dans la mesure où ces opérateurs ne se trouvaient
pas, au regard de l’objectif assigné à la taxe, dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des établissements bancaires assujettis à cette taxe.
35 Par conséquent, il convient d’examiner les arguments des requérantes relatifs aux différents éléments de la taxe analysés par la Commission dans la décision attaquée, après avoir déterminé l’objectif poursuivi par le législateur national.
Sur l’objectif de la taxe
36 Les requérantes soutiennent que l’objectif de la taxe est biaisé dans la mesure où elle cible les « grands établissements de crédit », en dépit du fait que tous les établissements de crédit sont susceptibles de contribuer aux coûts indirects en cas de crise financière. De plus, la taxe ciblerait quelques entreprises, dans un marché qui en compterait plus d’une centaine d’autres. Ces quelques entreprises feraient ainsi face à une hausse considérable de leurs impôts. La taxe serait conçue de telle
sorte que seules quelques entreprises contribueraient au financement de ces coûts indirects. Il serait toutefois constant que les entreprises qui ne sont pas assujetties à la taxe sont également à l’origine de coûts indirects. Partant, la mesure notifiée créerait une discrimination injustifiée, qui aurait dû être patente pour la Commission au regard des informations dont elle disposait lorsqu’elle a adopté la décision attaquée. Selon les requérantes, le fait que les recettes issues de cette taxe
soient destinées à être utilisées en vue d’effectuer des dépenses publiques supplémentaires, l’objectif de la taxe n’étant pas de créer un fonds destiné à compenser des coûts indirects futurs, conduit, à tout le moins, à s’interroger sur l’objectif effectif de la taxe.
37 En outre, les requérantes font valoir que le projet de loi précise que l’objectif de la taxe est d’accroître l’imposition des grands établissements de crédit qui, en cas de crise financière, seraient probablement à l’origine de coûts indirects importants pour la société. Les requérantes indiquent que ces coûts auraient pour origine première les difficultés à obtenir des prêts auprès des banques en période de crise financière. Les coûts indirects, définis de manière vague dans le projet de loi,
seraient, en substance, tous les coûts que l’État peut être amené à supporter en cas de ralentissement de l’activité économique. De plus, l’objectif de la taxe ne serait pas de créer un fonds destiné à compenser des coûts indirects futurs, mais de renforcer les finances publiques afin de pouvoir procéder à des dépenses publiques supplémentaires.
38 La Commission, soutenue par le Royaume de Suède, conteste l’argumentation des requérantes.
39 En l’espèce, ainsi qu’il découle du point 5.1 des motifs du projet de loi, la taxe vise à renforcer les finances publiques par leur amélioration et par la préservation de la dette publique à un niveau bas afin de fournir une marge pour la gestion des crises financières futures. En particulier, il est considéré que, avec des finances publiques plus fortes, le Royaume de Suède serait mieux préparé à affronter les défis et à appliquer les mesures nécessaires en situation de crise.
40 Il est en outre précisé dans le projet de loi que les crises financières sont coûteuses et peuvent générer, notamment, des coûts indirects résultant du déclin du cycle économique et de la détérioration des finances publiques. Toutefois, tous les établissements de crédit ne poseraient pas le même risque pour le fonctionnement du système financier. En effet, les grands établissements de crédit constitueraient une partie tellement importante de ce système que leur défaillance ou leur perturbation
sérieuse poserait, à titre individuel, un risque systémique et aurait un impact très négatif sur ledit système, ainsi que sur l’économie en général. Ainsi, les problèmes d’un des grands établissements de crédit risqueraient de se répandre rapidement à tout le système bancaire. En particulier, la possession croisée d’obligations financières favoriserait la propagation rapide d’un problème dans une partie du système financier aux autres parties de ce système, menaçant ainsi sa stabilité. Les petits
établissements de crédit qui ne seraient pas de taille critique pour le système financier n’affecteraient pas les développements macroéconomiques au même degré que les grands établissements. Par conséquent, les établissements de crédit qui, en raison de leur taille et de leur importance pour le fonctionnement du système financier et du développement macroéconomique, seraient en mesure, dans le cas d’une crise financière dont la survenance ne pourrait pas être exclue, de causer des coûts indirects
significatifs pour la société, devraient payer la taxe.
41 Il ressort de ces motifs du projet de loi que l’objectif de la taxe est de renforcer les finances publiques par leur amélioration et par la préservation de la dette publique à un niveau bas afin de fournir une marge pour la gestion des crises financières futures en imposant le paiement de la taxe aux grands établissements de crédit, dont la défaillance ou la perturbation sérieuse poserait, à titre individuel et en raison de leur taille et de leur importance pour le fonctionnement du système
financier, un risque systémique et aurait un impact très négatif sur ledit système et sur l’économie en général, provoquant ainsi des coûts indirects significatifs pour la société.
42 À cet égard, il convient de relever que, lors de l’audience, les requérantes ont invoqué la possibilité que des établissements de crédit non assujettis à la taxe, pris collectivement, soient la cause de coûts indirects significatifs pour la société. Toutefois, même à le supposer recevable, cet argument doit être rejeté. D’une part, ainsi qu’il ressort du point 41 ci-dessus, la conception de la taxe est fondée sur les caractéristiques individuelles des établissements de crédit. D’autre part, ainsi
qu’il ressort du considérant 25 de la décision attaquée, les établissements de crédit assujettis à la taxe représentent 90 % du total des dettes de tous les établissements de crédit opérant en Suède. Or, en se limitant à indiquer que ce pourcentage n’est peut-être pas correct sans étayer cette allégation par des éléments de preuve, les requérantes ne sont pas parvenues à remettre utilement en cause le constat selon lequel les établissements de crédit non assujettis à la taxe ne représentent que
10 % du total des dettes de tous les établissements de crédit opérant en Suède. Par conséquent, les requérantes n’ont pas démontré que la défaillance desdits établissements de crédit non assujettis à la taxe, même pris collectivement, poserait un risque systémique et aurait un impact très négatif sur le système financier et sur l’économie en général, provoquant ainsi des coûts indirects significatifs pour la société.
43 De plus, les requérantes n’ont pas remis en cause la possibilité que seuls les grands établissements de crédit puissent provoquer, à titre individuel, par leur défaillance, un risque systémique et avoir un impact très négatif sur le système financier et sur l’économie en général, en provoquant ainsi des coûts indirects significatifs pour la société. En effet, dans leurs observations sur le mémoire en intervention du Royaume de Suède, elles contestent ce constat sans étayer leur position, tout en
admettant que la probabilité pour une banque d’être à l’origine de coûts indirects provient de deux facteurs indépendants, à savoir, d’une part, la probabilité que cette banque fasse faillite et, d’autre part, des effets causés par la faillite de cette banque.
Sur le système de référence
44 Les requérantes font valoir que la Commission disposait d’éléments de preuve qui auraient dû susciter des doutes quant à la compatibilité des éléments du système de référence avec l’objectif de la taxe. Les requérantes soutiennent que la Commission semble avoir déterminé le système de référence en se fondant sur une interprétation trop large de la souveraineté fiscale dont jouissent les États membres.
45 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
46 À cet égard, il convient de rappeler que lorsque la mesure fiscale en question est indissociable du système général d’imposition de l’État membre concerné, c’est à ce système qu’il convient de se référer. En revanche, lorsqu’il apparaît qu’une telle mesure est clairement détachable dudit système général, il ne peut être exclu que le cadre de référence devant être pris en compte soit plus restreint que ce système général, voire qu’il s’identifie à la mesure elle-même, lorsque celle-ci se présente
comme une règle dotée d’une logique juridique autonome et qu’il est impossible d’identifier un ensemble normatif cohérent en dehors de cette mesure (arrêt du 6 octobre 2021, World Duty Free Group et Espagne/Commission, C‑51/19 P et C‑64/19 P, EU:C:2021:793, point 63). Ainsi, une mesure peut constituer son propre cadre de référence lorsqu’elle instaure un régime fiscal clairement délimité, poursuivant des objectifs spécifiques et se distinguant ainsi de tout autre régime fiscal appliqué dans
l’État membre concerné (arrêt du 15 novembre 2018, World Duty Free Group/Commission, T‑219/10 RENV, EU:T:2018:784, point 127).
47 En l’espèce, la Commission a défini le système de référence comme étant limité à la taxe, ce que les requérantes ne contestent pas en tant que tel.
48 Il convient de relever que les caractéristiques constitutives de la taxe forment, en principe, le système de référence ou le régime fiscal « normal » aux fins de l’analyse de la condition de sélectivité. Cela étant, il n’est pas exclu que ces caractéristiques puissent révéler un élément manifestement discriminatoire, ce qu’il appartient toutefois aux requérantes de démontrer (voir, en ce sens, arrêts du 16 mars 2021, Commission/Pologne, C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 42, et du 16 mars 2021,
Commission/Hongrie, C‑596/19 P, EU:C:2021:202, point 48). Toutefois, dans le contexte de la présente affaire, s’agissant d’un refus de la part de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen, les requérantes doivent démontrer l’existence de difficultés sérieuses rencontrées par la Commission dans son examen de la condition de sélectivité, seule en cause en l’espèce.
49 Dans ce contexte, il y a lieu de préciser que, afin d’évaluer si les caractéristiques de la taxe révèlent un élément manifestement discriminatoire, il convient de déterminer si le choix des critères d’imposition, en favorisant certains établissements de crédit, apparaît incohérent au regard de l’objectif de cette taxe (voir, en ce sens, arrêts du 16 mars 2021, Commission/Pologne, C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 43, et du 16 mars 2021, Commission/Hongrie, C‑596/19 P, EU:C:2021:202, point 49).
50 À cet égard, en dehors des domaines dans lesquels le droit fiscal de l’Union fait l’objet d’une harmonisation, c’est l’État membre concerné qui détermine, par l’exercice de ses compétences propres en matière de fiscalité directe et dans le respect de son autonomie fiscale et du droit de l’Union, les caractéristiques constitutives de l’impôt, lesquelles définissent, en principe, le système de référence ou le régime fiscal « normal », à partir duquel il convient d’analyser la condition relative à
la sélectivité. Il en va notamment ainsi de la détermination du choix du taux de l’impôt, de l’assiette de l’impôt, de son fait générateur, du seuil et des modalités de calcul de la base d’imposition (voir, en ce sens, arrêts du 16 mars 2021, Commission/Pologne, C‑562/19 P, EU:C:2021:201, points 38 et 39, et du 26 avril 2018, ANGED, C‑236/16 et C‑237/16, EU:C:2018:291, point 43). En outre, que l’imposition soit à taux unique ou progressive, le niveau de prélèvement fait également partie, comme le
champ des assujettis, des caractéristiques fondamentales du régime juridique d’un prélèvement fiscal (voir, en ce sens, arrêts du 16 mai 2019, Pologne/Commission, T‑836/16 et T‑624/17, EU:T:2019:338, point 65, et du 27 juin 2019, Hongrie/Commission, T‑20/17, EU:T:2019:448, point 80).
51 Ainsi, il importe de tenir compte de ce que, en l’absence de règlementation de l’Union, relèvent de la compétence fiscale des États membres la détermination des bases d’imposition et la répartition de la charge fiscale sur les différents facteurs de production et les différents secteurs économiques (arrêt du 26 avril 2018, ANGED, C‑233/16, EU:C:2018:280, point 50).
52 Selon les requérantes, les paramètres de la taxe ne sont manifestement pas compatibles avec l’objectif de celle-ci, ce qui, compte tenu des informations dont disposait la Commission, aurait dû susciter des doutes quant à la qualification d’aide de la taxe.
53 En particulier, elles visent, premièrement, l’assiette de la taxe basée sur les dettes des établissements de crédit, deuxièmement, les assujettis à la taxe, troisièmement, le seuil de la taxe et, quatrièmement, le mécanisme de consolidation dans le cadre du calcul du seuil et de l’assiette fiscale.
Sur l’assiette de la taxe basée sur les dettes des établissements de crédit
54 Selon les requérantes, les dettes ne sont pas associées aux risques, contrairement aux actifs. Il en serait de même de la taille des établissements de crédit, ainsi que l’affirmeraient certaines institutions nationales, la littérature économique et les notations de crédit attribuées aux grands établissements de crédit suédois. De plus, les coûts indirects ou le risque de tels coûts ne seraient pas directement proportionnels aux dettes d’un établissement de crédit, ce qui aurait été porté à la
connaissance de la Commission. Certes, il n’appartiendrait pas à la Commission de choisir l’indicateur le plus approprié pour évaluer le risque de coûts indirects dans le cadre de son examen préliminaire de la taxe. Toutefois, la Commission serait tenue de déterminer si l’assiette fiscale choisie par le Royaume de Suède introduisait un paramètre manifestement discriminatoire dans le système de référence. En outre, les requérantes soutiennent que, contrairement à ce qui est exigé par la
jurisprudence récente relative aux mesures fiscales et à la sélectivité, soit la mesure notifiée imposait une charge fiscale importante sur l’ensemble de l’assiette fiscale des entreprises, soit elle n’imposait absolument aucune charge fiscale.
55 La Commission, soutenue par le Royaume de Suède, conteste l’argumentation des requérantes.
56 Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que le volume des dettes d’un établissement de crédit était un indicateur parmi d’autres de sa taille en général, de son importance et du risque que sa défaillance pourrait poser pour la situation macroéconomique en Suède. Ainsi, selon la Commission, ce critère était cohérent avec l’objectif de la taxe et ne révélait aucun élément manifestement discriminatoire.
57 À cet égard, il y a lieu de relever que le droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce qu’une imposition non progressive soit assise sur la somme cumulée des dettes des établissements de crédit. La circonstance qu’il existerait des indicateurs plus pertinents ou plus précis que la somme cumulée des dettes des établissements de crédit est indifférente en matière d’aides d’État, dès lors que le droit de l’Union en cette matière vise seulement la suppression des avantages sélectifs dont pourraient
bénéficier certaines entreprises au détriment d’autres qui seraient placées dans une situation comparable (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 16 mars 2021, Commission/Pologne, C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 41, et du 16 mars 2021, Commission/Hongrie, C‑596/19 P, EU:C:2021:202, point 47).
58 Il convient également de relever que, ainsi qu’il est exposé aux points 40 et 41 ci-dessus, la taxe ne vise pas à prévenir ou à remédier aux risques que les établissements de crédit représentent, mais à renforcer les finances publiques nationales afin de fournir une marge pour la gestion des crises financières futures en imposant le paiement de la taxe aux grands établissements de crédit, dont la défaillance ou la perturbation sérieuse poserait, à titre individuel et en raison de leur taille et
de leur importance pour le fonctionnement du système financier, un risque systémique et aurait un impact très négatif sur ledit système et sur l’économie en général, provoquant ainsi des coûts indirects significatifs pour la société.
59 En outre, notamment dans le contexte de la possession croisée d’obligations financières, mentionné au point 40 ci-dessus, plus le niveau des dettes est élevé, plus grand est le risque pour le système financier dans la mesure où, en cas de défaillance, l’établissement de crédit concerné peut ne pas être en mesure d’honorer ses dettes importantes ce qui, par voie de conséquence, crée un risque de provoquer des défaillances auprès de ses créanciers et, par conséquent, des coûts indirects
significatifs pour la société. Il en résulte qu’un critère fondé sur le niveau de la dette, tel que celui retenu par la législation nationale en l’espèce, afin de distinguer entre les établissements de crédit selon que leur impact sur le système financier est plus ou moins fort, est cohérent avec l’objectif poursuivi (voir, par analogie, arrêt du 26 avril 2018, ANGED, C‑233/16, EU:C:2018:280, point 53).
60 Il en ressort que le législateur national n’a pas considéré que les dettes des grands établissements de crédit les rendaient plus exposés à des risques, mais que, en revanche, il s’est focalisé sur la question de savoir si, une fois matérialisée, la défaillance d’un établissement de crédit pouvait provoquer, à titre individuel, des coûts indirects significatifs pour la société.
61 Il s’ensuit que les requérantes n’ont pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des difficultés sérieuses dans le cadre de l’appréciation concernant l’assiette de la taxe.
Sur les assujettis à la taxe
62 Les requérantes invoquent, outre l’hétérogénéité des neuf établissements assujettis à la taxe, l’absence de corrélation entre la liste de ces établissements et la liste des établissements d’importance systémique identifiés par le Riksgäldskontoret (comptoir de la dette nationale, Suède) dans le cadre de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises
d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) n 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190), en ce que cette dernière liste ne comprend que six des neufs établissements de crédit soumis à la taxe, sans que la Commission ait fourni une explication à cet
égard. En outre, un des établissements de crédit assujettis à la taxe accorderait des prêts exclusivement aux communes suédoises et, ainsi, ne serait à l’origine d’aucun coût indirect.
63 À cet égard, les requérantes observent que, en application de la directive 2014/59, les banques alimentent un fonds de résolution et que, des neuf banques identifiées par le comptoir de la dette nationale comme étant d’importance systémique, ce qui implique des contributions sensiblement plus élevées audit fonds et le respect d’exigences plus strictes, seules six étaient tenues de s’acquitter de la taxe. De plus, en raison de ces contributions plus élevées et de ces exigences plus strictes, les
établissements d’importance systémique seraient plus résilients et moins susceptibles d’engendrer des coûts indirects.
64 Les requérantes invoquent également l’existence de mécanismes de stabilité financière des établissements de crédit, notamment le règlement (UE) no 575/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) no 648/2012 (JO 2013, L 176, p. 1).
65 À ces mécanismes s’ajouteraient, d’une part, le fait que le Royaume de Suède a opté pour des exigences plus strictes que celles prescrites par la législation de l’Union et, d’autre part, le mécanisme de garantie des dépôts bancaires des déposants particuliers à hauteur de 100000 euros en vertu de la directive 2014/49/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, relative aux systèmes de garantie des dépôts (JO 2014, L 173, p. 149). Par ailleurs, lors des tests de résistance effectués
en 2021 par l’Autorité bancaire européenne (ABE), les cinq banques suédoises ayant fait l’objet de ces tests auraient obtenu d’excellents résultats.
66 Les requérantes soulignent en outre l’environnement concurrentiel du secteur financier national. Selon elles, cet aspect serait pertinent afin de comprendre le lien entre les entreprises assujetties à la taxe et le risque d’engendrer des coûts indirects en fonction de leurs parts de marché dans les différents secteurs financiers. Or, toutes les banques assujetties à la taxe ne détiendraient pas de parts de marché élevées sur tous les marchés pertinents. De plus, selon les requérantes, si les
banques sont en concurrence sur le même marché et que certaines sont assujetties à la taxe et que d’autres en sont exonérées de manière sélective, cela affecte et modifie la concurrence sur le marché, ce qui révélerait l’existence d’une discrimination.
67 Les requérantes ajoutent que le secteur financier suédois comprend de nombreuses entreprises différentes actives dans un ou plusieurs segments du marché qui sont en concurrence avec les établissements de crédit assujettis à la taxe.
68 Selon les requérantes, l’absence d’exigences imposées à ces autres établissements financiers peut représenter une menace supplémentaire pour la stabilité financière et des risques supplémentaires de coûts indirects pour l’État. Les requérantes avancent également l’importance des fonds hypothécaires dans le secteur des prêts hypothécaires aux ménages.
69 Les requérantes concluent que, dès lors que tous les établissements de crédit sont à l’origine de coûts indirects, il n’est pas nécessaire d’opérer une distinction entre les établissements de crédit aux fins de l’assujettissement à la taxe.
70 La Commission, soutenue par le Royaume de Suède, conteste l’argumentation des requérantes.
71 Dans la décision attaquée, la Commission a estimé que les assujettis à la taxe étaient les grands établissements de crédit dont la défaillance ou la perturbation sérieuse de leurs activités pouvait provoquer, à titre individuel, des coûts indirects significatifs pour la société suédoise en cas de crise financière. Selon la Commission, les grands établissements de crédit pourraient revêtir une importance systémique, avoir une influence et un impact sur le marché et étaient de taille critique pour
l’économie réelle. La Commission a observé que, ainsi que l’indique le Royaume de Suède, les petits établissements de crédit pourraient affecter les développements macroéconomiques dans un degré différent de celui des grands établissements de crédit.
72 En outre, les autres institutions financières seraient soumises à un régime règlementaire différent et généralement moins strict, ce qui indiquerait qu’elles auraient une capacité moindre de générer des risques systémiques et des coûts indirects. S’agissant des fonds hypothécaires, qui, selon la Commission, possédaient en tout état de cause une part limitée sur le marché des hypothèques, celle-ci a considéré que ces fonds n’étaient pas engagés dans certaines activités telles que l’acceptation de
dépôts ou l’octroi de prêts à des sociétés non financières, d’autant plus qu’ils se distinguaient des établissements de crédit dans leur fonctionnement et s’inscrivaient dans un cadre règlementaire différent.
73 En l’espèce, en premier lieu, il convient d’écarter l’argument des requérantes tiré de l’absence de corrélation parfaite entre la liste des établissements d’importance systémique identifiés par le comptoir de la dette nationale et la liste des établissements de crédit assujettis à la taxe. En effet, ainsi que l’affirment les requérantes, le comptoir de la dette nationale est l’autorité de résolution suédoise au sens de la directive 2014/59. En outre, lors de l’audience, les requérantes ont
affirmé, en substance, que la liste des établissements d’importance systémique identifiés par le comptoir de la dette nationale n’a pas été établie sur la base de critères spécifiques et qu’il ne s’agissait donc pas des mêmes critères que ceux qui ont été utilisés pour établir la liste des établissements de crédit assujettis à la taxe.
74 De plus, ainsi que le confirment les requérantes, le régime mis en place par la directive 2014/59, ainsi que par le règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225,
p. 1), vise à minimiser les coûts directs importants pour la société, notamment en cas de défaillance de ces établissements, et non les coûts indirects. Les requérantes précisent, toutefois, que les entreprises auxquelles les règles les plus strictes de ce régime s’appliquent sont moins susceptibles d’engendrer des coûts indirects, puisqu’elles sont moins susceptibles d’être défaillantes. Cependant, ainsi qu’il ressort du point 60 ci-dessus, la taxe ne vise pas les établissements de crédit qui
représentent un risque plus important de défaillance, mais s’applique aux établissements de crédit dont la défaillance, une fois matérialisée, peut provoquer, à titre individuel, des coûts indirects significatifs pour la société.
75 La même conclusion s’impose s’agissant du règlement no 575/2013, de la directive 2014/49 et des tests de résistance effectués en 2021 par l’ABE. En effet, d’une part, les exigences en matière de fonds propres et le mécanisme de garantie des dépôts bancaires visent à remédier aux coûts directs en évitant que les établissements de crédit soient défaillants et que les déposants, personnes physiques, subissent la perte de leurs dépôts. D’autre part, les tests de résistance portent sur le risque pour
un établissement de crédit d’être défaillant. Or, la taxe ne vise pas à prévenir d’éventuelles défaillances des établissements bancaires, ni à éviter des coûts directs, mais à prendre en considération les coûts indirects provoqués par la défaillance éventuelle des établissements de crédit assujettis à la taxe.
76 En second lieu, s’agissant de l’environnement concurrentiel du secteur financier national, qui, selon les requérantes, serait pertinent afin de comprendre le lien entre les entreprises assujetties à la taxe et le risque d’engendrer des coûts indirects en fonction de leurs parts de marché dans les différents secteurs financiers, premièrement, il suffit de constater que le fait générateur de la taxe n’est pas constitué par les parts de marché détenues par les assujettis à la taxe, mais par le
niveau de leurs dettes. Or, conformément à la jurisprudence citée au point 50 ci-dessus, le Royaume de Suède était en droit de déterminer, par l’exercice de ses compétences propres en matière de fiscalité directe et dans le respect de son autonomie fiscale et du droit de l’Union, le fait générateur de la taxe et l’assiette de cette taxe.
77 Deuxièmement, les requérantes ne soutiennent pas que d’autres entreprises actives dans un ou plusieurs segments du marché, qui seraient en concurrence avec les établissements de crédit assujettis à la taxe, possédaient des dettes supérieures à 150 milliards de SEK. En effet, elles se limitent à soutenir que ces entreprises sont en concurrence avec les établissements de crédit assujettis à la taxe sans expliquer comment leur défaillance pourrait provoquer, à titre individuel, des coûts indirects
significatifs pour la société.
78 Troisièmement, s’agissant de l’argument tiré de ce que l’absence d’exigences imposées à d’autres établissements financiers pourrait représenter une menace supplémentaire pour la stabilité financière et des risques supplémentaires de coûts indirects pour l’État, il suffit de constater que, à l’appui de leur argument, les requérantes ne fournissent pas d’explications permettant de conclure à une quelconque menace pour la stabilité financière, de sorte que cet argument peut être écarté comme n’étant
pas étayé.
79 Quatrièmement, en ce qui concerne l’argument selon lequel un des établissements de crédit assujetti à la taxe prêterait exclusivement aux communes suédoises et, ainsi, ne serait à l’origine d’aucun coût indirect, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, dans le cas d’un régime d’aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques générales du régime en cause, sans être tenue d’examiner chaque cas d’application particulier de ce régime. Ainsi, la Commission, dans une
décision qui porte sur un tel régime, n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement de ce régime (voir, en ce sens, arrêts du 28 juillet 2011, Diputación Foral de Vizcaya e.a./Commission, C‑471/09 P à C‑473/09 P, non publié, EU:C:2011:521, points 98 et 99, et du 30 avril 2019, UPF/Commission, T‑747/17, EU:T:2019:271, point 60). Au demeurant, lors de l’audience, les requérantes n’ont pas contesté les arguments de la Commission et du Royaume
de Suède selon lesquels ledit établissement de crédit n’était pas complètement exempté de tout risque de défaillance.
80 Cinquièmement, s’agissant de l’argument tiré de ce que tous les établissements de crédit sont à l’origine de coûts indirects, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il est indiqué au point 41 ci-dessus, le législateur fiscal suédois a eu pour objectif d’assujettir à la taxe les établissements de crédit dont la défaillance ou la perturbation sérieuse poserait, à titre individuel et en raison de leur taille et leur importance pour le fonctionnement du système financier, un risque systémique et
aurait un impact très négatif sur ledit système et sur l’économie en général, provoquant ainsi des coûts indirects significatifs pour la société. Ainsi, même si tous les établissements de crédit peuvent être à l’origine de certains coûts indirects, c’est-à-dire qu’ils peuvent contribuer à générer ces coûts, il n’en résulte pas que, en cas de défaillance, tous les établissements de crédit sont susceptibles de provoquer lesdites conséquences. En outre, il ne saurait être contesté que l’impact sur
le système financier des établissements de crédit dépend largement de la taille de ceux-ci et du niveau de leurs dettes, ainsi qu’il a été relevé au point 59 ci-dessus (voir, par analogie, arrêt du 26 avril 2018, ANGED, C‑233/16, EU:C:2018:280, point 53). Par ailleurs, lors de l’audience, les requérantes ont admis que les plus grands établissements de crédit provoquent des coûts indirects plus importants.
81 Enfin, ainsi qu’il ressort des points 42 et 43 ci-dessus, d’une part, les requérantes n’ont pas remis en cause la capacité des seuls grands établissements de crédit à provoquer, à titre individuel, par leur défaillance, un risque systémique, à avoir un impact très négatif sur le système financier et sur l’économie en général et à provoquer des coûts indirects significatifs pour la société. D’autre part, elles n’ont pas démontré que la défaillance des établissements non assujettis à la taxe, même
pris collectivement, aurait les mêmes conséquences.
82 Dès lors, les requérantes n’ont pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des difficultés sérieuses dans le cadre de l’appréciation concernant les assujettis à la taxe.
Sur le seuil d’assujettissement à la taxe
83 Les requérantes soutiennent que tous les établissements de crédit seraient à l’origine de coûts indirects pour la société en cas de crise financière. De plus, dans le projet de loi, le gouvernement suédois n’aurait pas démontré que les risques encourus se réalisaient uniquement lorsque le seuil d’assujettissement à la taxe était dépassé. Ainsi, les grandes banques paieraient pour l’ensemble des coûts indirects dont elles sont à l’origine, alors que leurs concurrents seraient exonérés de manière
sélective du paiement de tout coût dont ils seraient à l’origine.
84 En outre, la taxe ne serait pas une taxe à finalité spéciale, dès lors que son objet serait purement fiscal, consistant à augmenter les recettes fiscales sans chercher à influencer le comportement des assujettis.
85 Les requérantes ajoutent que, dès lors qu’une entreprise atteindrait la valeur du seuil d’imposition, la taxe serait exigée sur la base de l’ensemble des dettes prises en compte dans le calcul dudit seuil. De plus, le seuil de la taxe ne saurait être assimilé à un taux progressif d’impôt.
86 Elles contestent également l’analyse de la Commission et son interprétation de l’arrêt du 26 avril 2018, ANGED (C‑233/16, EU:C:2018:280), sur lequel la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée. En effet, d’une part, il s’agirait d’un cadre différent de celui de l’espèce et, d’autre part, le seuil d’assujettissement à la taxe en cause dans cette affaire aurait été appliqué différemment en ce que ladite taxe aurait été imposée uniquement à la fraction dépassant le seuil, ce qui ne serait
pas le cas en l’espèce.
87 La Commission, soutenue par le Royaume de Suède, conteste l’argumentation des requérantes.
88 Dans la décision attaquée, la Commission a indiqué que le seuil de 150 milliards de SEK ne constituait pas un élément manifestement discriminatoire et représentait l’expression légitime de l’exercice de la souveraineté du Royaume de Suède. De plus, l’application de ce seuil assurerait que les assujettis à la taxe représentent 90 % du total du bilan agrégé de tous les établissements de crédit en Suède, y compris les succursales suédoises des établissements de crédit étrangers.
89 À cet égard, selon la jurisprudence, il existe des impôts dont la nature n’empêche pas qu’ils soient assortis de dispositifs de modulation, pouvant aller jusqu’à des exonérations, sans pour autant que lesdits dispositifs conduisent à l’octroi d’avantages sélectifs. Des dispositions particulières prévues pour certaines entreprises à raison de situations qui leur sont propres, les faisant bénéficier d’une modulation, voire d’une exonération d’impôt, ne doivent pas s’analyser comme constitutives
d’un avantage sélectif si ces dispositions ne contreviennent pas à l’objectif de l’impôt en question (voir, en ce sens, arrêts du 16 mai 2019, Pologne/Commission, T‑836/16 et T‑624/17, EU:T:2019:338, point 89, et du 27 juin 2019, Hongrie/Commission, T‑20/17, EU:T:2019:448, point 101).
90 En outre, il convient de relever que la détermination du niveau du seuil d’imposition et des modalités de calcul de la base d’imposition relève de la marge d’appréciation du législateur national et repose, en outre, sur des appréciations techniques et complexes pour lesquelles le juge de l’Union ne saurait appliquer qu’un contrôle juridictionnel limité (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2018, ANGED, C‑236/16 et C‑237/16, EU:C:2018:291, point 43).
91 Il ressort de cette jurisprudence que le Royaume de Suède ne saurait être empêché, d’une part, de mettre en place une taxe assortie d’un seuil d’imposition et, d’autre part, d’établir un dispositif de modulation allant jusqu’à une exonération des établissements de crédit se trouvant sous ledit seuil, pourvu que ces éléments ne contreviennent pas à l’objectif de la taxe.
92 Dès lors, il convient d’examiner si ledit seuil ne contrevient pas à l’objectif de la taxe ou n’est pas manifestement discriminatoire.
93 À cet égard, d’une part, s’agissant de l’argument selon lequel tous les établissements de crédit seraient à l’origine de coûts indirects pour la société en cas de crise financière, il y a lieu de rappeler que, en l’espèce, ainsi qu’il est indiqué au point 41 ci-dessus, l’objectif de la taxe est de renforcer les finances publiques par leur amélioration et par la préservation de la dette publique à un niveau bas afin de fournir une marge pour la gestion des crises financières futures en imposant le
paiement de la taxe aux grands établissements de crédit, dont la défaillance ou la perturbation sérieuse poserait, à titre individuel et en raison de leur taille et de leur importance pour le fonctionnement du système financier, un risque systémique et aurait un impact très négatif sur ledit système et sur l’économie en général, provoquant ainsi des coûts indirects significatifs pour la société. Le Royaume de Suède considère que la défaillance d’un établissement de crédit dont les dettes
dépassent le seuil de 150 milliards de SEK poserait de tels risques et génèrerait des coûts indirects significatifs pour la société. Les requérantes ne remettent pas en cause ce constat du législateur national et, ainsi qu’il est relevé au point 43 ci-dessus, elles ne soutiennent pas que la défaillance d’un établissement de crédit dont les dettes se situent en dessous dudit seuil pourrait provoquer les mêmes conséquences. En outre, ainsi qu’il est indiqué au point 59 ci-dessus, notamment dans le
contexte de la possession croisée d’obligations financières, plus le niveau d’endettement est élevé, plus grand est le risque pour le système financier dans la mesure où, en cas de défaillance, l’établissement de crédit concerné pourrait ne pas être en mesure d’honorer ses dettes importantes ce qui, par voie de conséquence, entraînerait un risque de provoquer des défaillances auprès de ses créanciers et ainsi un risque systémique.
94 D’autre part, s’agissant de l’argument selon lequel, la taxe ne serait pas une taxe à finalité spéciale et ne viserait pas à influencer le comportement des assujettis, les requérantes n’ont pas expliqué pour quel motif il serait requis que la taxe vise à influencer le comportement des assujettis. En effet, ainsi qu’il ressort de son objectif, la taxe vise le renforcement des finances publiques par leur amélioration et par la préservation de la dette publique à un niveau bas afin de fournir une
marge pour la gestion des crises financières futures. Aucune autre finalité particulière, telle que l’influence du comportement des assujettis, n’a été évoquée dans le projet de loi. Ainsi, cet argument ne saurait prospérer, dès lors que la taxe n’a pas pour objet de prévenir la prise de risque des établissements de crédit assujettis à celle‑ci ou leur défaillance, mais d’assurer une bonne gestion des finances publiques dans l’hypothèse d’une défaillance de l’un de ces établissements.
95 De même, le fait que le produit de la taxe alimente le budget de l’État est en harmonie avec l’objectif cité au point 94 ci-dessus.
96 En outre, d’une part, ainsi qu’il ressort du dossier et ainsi qu’il a été confirmé par les requérantes lors de l’audience, il n’existait pas d’établissements de crédit non assujettis à la taxe dont le niveau des dettes est proche du seuil de 150 milliards de SEK.
97 D’autre part, sans que cela soit utilement contesté par les requérantes (voir point 42 ci-dessus), il ressort de la décision attaquée que l’application de ce seuil assure que les assujettis à la taxe représentent 90 % du total du bilan agrégé de tous les établissements de crédit en Suède.
98 Il s’ensuit que les requérantes n’ont pas avancé d’arguments permettant de regarder le seuil de 150 milliards de SEK comme manifestement inapproprié au regard des objectifs de la taxe. Elles n’ont pas davantage indiqué quel autre niveau aurait été approprié pour ce seuil. En effet, il apparaît qu’elles contestent l’existence même d’un seuil. Toutefois, conformément à la jurisprudence citée aux points 89 et 90 ci-dessus, la mise en place par le législateur national de seuils n’est pas, en
elle-même, contraire au droit de l’Union.
99 Il s’ensuit que les requérantes n’ont pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des difficultés sérieuses dans le cadre de l’appréciation concernant le seuil d’assujettissement à la taxe.
Sur le mécanisme de consolidation
100 Les requérantes contestent le mécanisme de consolidation pour les situations intragroupes retenu aux fins du calcul du seuil et de l’assiette fiscale, en ce que les dettes intragroupes des établissements de crédit nationaux et des succursales transfrontalières sont prises en compte dans le calcul du seuil. En effet, il n’existerait pas de lien direct entre les coûts indirects en Suède et les dettes attribuables à une succursale étrangère d’un établissement de crédit suédois, alors que les dettes
de ces succursales représenteraient une part non négligeable de l’ensemble de l’assiette fiscale.
101 De plus, en ce qui concerne les coûts indirects, les filiales étrangères d’établissements de crédit suédois et les succursales étrangères de ces établissements de crédit se trouveraient dans une situation similaire. Or, ces deux situations seraient traitées différemment, seules les dettes des succursales étrangères des établissements de crédit suédois seraient intégrées dans l’assiette de la taxe. De surcroît, en asymétrie avec le traitement des succursales étrangères d’un établissement de
crédit suédois dont les dettes seraient prises en compte aux fins du calcul de la taxe, les dettes des succursales situées en Suède des établissements de crédit étrangers seraient également prises en considération pour ledit calcul.
102 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
103 À cet égard, tout d’abord, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il ressort du considérant 59 de la décision attaquée et sans que cela soit remis en cause par les requérantes, la succursale d’un établissement de crédit suédois ne possède pas de personnalité juridique indépendante par rapport à l’établissement dont elle dépend et est couverte par la même licence, par opposition à des filiales qui constituent des entités juridiques séparées. Ainsi, toute obligation financière d’une succursale
revient à l’établissement de crédit suédois dont elle dépend et une crise touchant cette succursale affecterait sa société mère en causant des coûts indirects, non seulement dans l’État de son implantation, mais également en Suède. Par conséquent, il n’y a pas lieu de considérer que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à ce mécanisme, dès lors que les succursales d’un établissement de crédit suédois sont rattachées à ce dernier et que, partant, leur défaillance produirait des effets
également en Suède.
104 Ensuite, pour les mêmes motifs, il y a lieu d’écarter l’argument selon lequel les filiales étrangères et les succursales étrangères d’un établissement de crédit suédois se trouveraient dans une situation similaire, dès lors que, ainsi qu’il est indiqué au considérant 60 de la décision attaquée, à la différence des succursales, les filiales sont des entités juridiques qui sont séparées de leurs sociétés mères et qui opèrent sous une licence distincte délivrée par leur État d’implantation.
105 Enfin, les requérantes n’ont pas démontré l’existence d’une asymétrie entre le traitement des dettes des succursales étrangères d’un établissement de crédit suédois et les dettes des succursales situées en Suède des établissements de crédit étrangers. En effet, au considérant 61 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que les succursales implantées en Suède d’établissements de crédit étrangers pouvaient entraîner des coûts indirects tant en Suède que dans l’État où la société mère est
située. Par conséquent, cette circonstance ne comporte aucune asymétrie, dès lors que les dettes des succursales étrangères d’un établissement de crédit suédois sont prises en compte en Suède sans que cela empêche, le cas échéant, une éventuelle prise en compte de ces dettes également dans l’État d’implantation des succursales.
106 Dès lors, les requérantes n’ont pas démontré que le mécanisme de consolidation constitue un élément manifestement discriminatoire et, partant, que la Commission aurait dû rencontrer des difficultés sérieuses dans le cadre de son appréciation à cet égard.
Sur la dérogation au système de référence
107 Les requérantes soulignent que, si le Tribunal devait admettre le système de référence tel qu’il est défini dans la décision attaquée, leurs arguments relatifs aux éléments constitutifs de ce système demeureraient valables à l’égard des dérogations à ce dernier.
108 En outre, en ce qui concerne l’existence d’une dérogation concernant le traitement des établissements de crédit dont les dettes ne dépassent pas le seuil de 150 milliards de SEK, les requérantes soutiennent que les activités des établissements de crédit dont les dettes sont inférieures au seuil n’impliquent pas que l’État ne serait pas exposé à des coûts indirects à leur égard en cas de crise financière. En effet, la différence entre ces établissements de crédit et ceux dont les dettes dépassent
ledit seuil ne porterait pas sur l’existence de risques encourus par l’État, mais sur leur étendue. Dès lors, il existerait une dérogation au système de référence, en ce qu’il serait manifestement opéré une discrimination entre des entreprises se trouvant dans une situation juridique et factuelle comparable. Qui plus est, d’un point de vue juridique, les établissements de crédit dont les dettes seraient supérieures et ceux dont les dettes seraient inférieures audit seuil ne seraient pas soumis à
des obligations de conformité, comptables et fiscales manifestement différentes, qui seraient fondées sur le même type et sur le même niveau de seuil de dettes.
109 De plus, la taxe serait une contribution générale aux recettes de l’État qui pourrait être utilisée à des fins différentes, dont l’objectif réel serait de renforcer les finances publiques au moyen de contributions des grands établissements de crédit. Ainsi, selon les requérantes, il n’y avait pas de raison valable d’introduire des différenciations entre les entreprises d’un secteur particulier, dès lors que l’objectif de la taxe avait une nature générale. De surcroît, le gouvernement aurait dû
proposer de réserver les fonds récoltés de la taxe pour les futures crises financières.
110 S’agissant de l’existence de dérogations en ce qui concerne le traitement des autres établissements financiers, les requérantes renvoient aux arguments rappelés au point 68 ci-dessus.
111 Par conséquent, selon les requérantes, la taxe est a priori sélective et la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen.
112 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.
113 Dans la décision attaquée, d’une part, la Commission a considéré que la taxe ne constituait pas une dérogation au système de référence au regard du traitement d’autres institutions financières. En effet, celles-ci n’auraient pas une structure de dettes présentant le même degré d’instabilité et seraient soumises à des régimes règlementaires différents et moins stricts, ce qui suggérerait qu’elles sont moins susceptibles de générer un risque systémique et des coûts indirects. Dès lors, ces
institutions ne se trouveraient pas dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des établissements de crédit au regard de l’objectif de la taxe.
114 S’agissant des fonds hypothécaires, qui en tout état de cause auraient une part limitée sur le marché des hypothèques, la Commission a considéré qu’ils n’étaient pas engagés dans certaines activités critiques similaires à celles des établissements de crédit. De plus, ils se distingueraient dans leur fonctionnement et s’inscriraient dans un cadre règlementaire différent et ne seraient pas en mesure de générer des coûts indirects dans les mêmes proportions que les établissements de crédit.
115 D’autre part, les grands établissements de crédit pourraient revêtir une importance systémique, avoir une influence et un impact sur le marché et seraient critiques pour l’économie réelle, contrairement aux petits établissements de crédit. Ainsi, les premiers seraient davantage susceptibles de provoquer des coûts indirects en cas de crise. Dès lors, les grands établissements de crédit ne se trouveraient pas dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des petits établissements de
crédit au regard de l’objectif de la taxe.
116 Selon une jurisprudence constante, le fait que seuls les contribuables remplissant les conditions pour l’application d’une mesure peuvent bénéficier de celle-ci ne saurait, en lui-même, conférer à cette mesure un caractère sélectif (voir arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 59 et jurisprudence citée ; arrêt du 16 mars 2021, Commission/Hongrie, C‑596/19 P, EU:C:2021:202, point 58).
117 En outre, ainsi qu’il est rappelé au point 89 ci-dessus, le caractère sélectif d’un impôt fait défaut si les différences d’imposition et les avantages qui peuvent en découler, même justifiés par la seule logique gouvernant la répartition de l’impôt entre les contribuables, résultent de l’application pure et simple, non dérogatoire, du régime « normal », si les situations comparables sont traitées de manière comparable et si ces dispositifs de modulation ne méconnaissent pas l’objectif de l’impôt
concerné. De même, des dispositions particulières prévues pour certaines entreprises à raison de situations qui leur sont propres, les faisant bénéficier d’une modulation, voire d’une exonération d’impôt, ne doivent pas s’analyser comme constitutives d’un avantage sélectif si ces dispositions ne contreviennent pas à l’objectif de l’impôt en question (arrêts du 16 mai 2019, Pologne/Commission, T‑836/16 et T‑624/17, EU:T:2019:338, point 89, et du 27 juin 2019, Hongrie/Commission, T‑20/17,
EU:T:2019:448, point 101).
118 En revanche, si des entreprises se trouvant dans une situation comparable au regard de l’objectif de l’impôt ou de la logique justifiant une modulation de celui-ci ne se voient pas appliquer un traitement égal à cet égard, cette discrimination engendre un avantage sélectif susceptible de constituer une aide d’État si les autres conditions énoncées à l’article 107, paragraphe 1, TFUE sont réunies (arrêt du 27 juin 2019, Hongrie/Commission, T‑20/17, EU:T:2019:448, point 102).
119 À titre liminaire, il convient de rappeler que les arguments des requérantes relatifs au système de référence ayant été analysés aux points 54 à 106 ci-dessus, ils doivent également être écartés dans le cadre de l’examen du présent grief dans la mesure où, s’agissant du système de référence, ces arguments ont été examinés dans un contexte similaire, à savoir l’existence d’une discrimination manifeste.
120 Cela étant précisé, en premier lieu, s’agissant de l’existence de dérogations concernant le traitement des établissements de crédit dont les dettes ne dépassent pas le seuil de 150 milliards de SEK, il convient de rappeler, ainsi qu’il a été indiqué au point 41 ci-dessus, qu’il ressort des motifs du projet de loi que l’objectif de la taxe était de renforcer les finances publiques par leur amélioration et par la préservation de la dette publique à un niveau bas afin de fournir une marge pour la
gestion des crises financières futures en imposant le paiement de la taxe aux grands établissements de crédit, dont la défaillance ou la perturbation sérieuse poserait, à titre individuel et en raison de leur taille et leur importance pour le fonctionnement du système financier, un risque systémique et aurait un impact très négatif sur ledit système et sur l’économie en général, provoquant ainsi des coûts indirects significatifs pour la société.
121 Or, les requérantes se limitent à soutenir que l’État serait exposé à des coûts indirects en cas de crise financière également de la part des établissements de crédit non assujettis à la taxe. Toutefois, les requérantes n’ont pas expliqué pour quel motif la Commission aurait dû avoir des doutes quant à l’importance systémique de ces établissements de crédit au regard des coûts indirects éventuels ou quant au fait que, par leur défaillance, ils pourraient, à titre individuel, avoir un impact si
négatif sur ledit système et sur l’économie en général qu’ils provoqueraient des coûts indirects significatifs pour la société. Par ailleurs, ainsi qu’il est mentionné aux points 80 et 81 ci-dessus, les requérantes ont admis que les plus grands établissements de crédit provoquent des coûts indirects plus importants et n’ont pas remis en cause la capacité des seuls grands établissements de crédit à provoquer, à titre individuel, par leur défaillance, un risque systémique et à avoir un impact très
négatif sur le système financier et sur l’économie en général et à provoquer des coûts indirects significatifs pour la société.
122 De plus, s’agissant de l’argument selon lequel tous les établissements de crédit seraient à l’origine de coûts indirects pour la société en cas de crise financière, il y a lieu de l’écarter pour les motifs exposés au point 80 ci-dessus.
123 Dès lors, les requérantes n’ont pas démontré l’existence d’un faisceau d’indices concordants susceptible de démontrer que les établissements de crédit dont les dettes dépassaient le seuil se trouvaient, au regard de l’objectif de la taxe, dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des établissements de crédit dont les dettes ne dépassaient pas ce seuil. Par ailleurs, ainsi qu’il est indiqué au point 96 ci-dessus, il ressort du dossier qu’il n’existait aucun établissement de
crédit non assujetti à la taxe dont le niveau des dettes était proche du seuil de 150 milliards de SEK. Or, il importe de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée au point 24 ci-dessus, il n’appartient pas au Tribunal de déterminer s’il existe des indices probants de l’absence de doutes quant à la qualification d’aide de la mesure en cause, mais, au contraire, il lui revient de rechercher si la partie requérante a apporté la preuve de l’existence de tels doutes.
124 En second lieu, tout d’abord, s’agissant de l’existence de dérogations en ce qui concerne le traitement des autres établissements financiers, il y a lieu de relever qu’un simple rapport de concurrence ne saurait conduire en lui-même à la conclusion selon laquelle ces établissements se trouvent, au regard de l’objectif de la taxe, dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des établissements de crédit assujettis à cette taxe.
125 Ensuite, s’agissant de l’argument tiré de ce que l’absence d’exigences imposées à d’autres établissements financiers pourrait représenter une menace supplémentaire pour la stabilité financière et des risques supplémentaires de coûts indirects pour l’État, il convient de l’écarter pour les motifs exposés au point 78 ci-dessus.
126 Enfin, les requérantes déplorent que la Commission n’ait pas correctement évalué le niveau des dettes combinées des fonds hypothécaires. Toutefois, les requérantes, sans indiquer la valeur exacte de ces dettes, invoquent certains montants totaux des prêts hypothécaires aux ménages, à savoir les montants respectifs de 19 milliards de SEK (environ 1,68 milliard d’euros) et de 35,1 milliards de SEK (environ 3,1 milliards d’euros). Cependant, outre le fait que ces montants se rapportent aux données
collectives des fonds hypothécaires, alors que le seuil de la taxe est relatif à des données propres à chaque établissement de crédit, les chiffres invoqués ne se rapprochent pas du seuil de la taxe, à savoir 150 milliards de SEK.
127 Il y a dès lors lieu de conclure que les arguments des requérantes concernant l’existence de dérogations au système de référence ne permettent pas de démontrer que la Commission aurait dû rencontrer des difficultés sérieuses dans le cadre de son appréciation à cet égard.
128 Il résulte de l’ensemble des appréciations qui précèdent que les requérantes n’ont pas démontré que la Commission aurait dû avoir des doutes quant à la qualification de la taxe au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui auraient dû l’amener à ouvrir la procédure formelle d’examen. Par conséquent, le recours doit être rejeté dans son intégralité, sans qu’il soit nécessaire de recourir aux mesures d’organisation de la procédure, sollicitées par les requérantes, dès lors qu’il revient au
Tribunal, conformément à l’article 90, paragraphe 1, de son règlement de procédure, de ne les ordonner que s’il le juge utile.
Sur les dépens
129 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
130 Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de celle-ci.
131 Le Royaume de Suède supportera ses propres dépens, conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Ideella föreningen Svenska Bankföreningen med firma Svenska Bankföreningen, Näringsverksamhet et Länsförsäkringar Bank AB sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
3) Le Royaume de Suède supportera ses propres dépens.
Papasavvas
da Silva Passos
Jaeger
Gervasoni
Półtorak
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 avril 2024.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.