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25/10/2023 | CJUE | N°T-136/19

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Bulgarian Energy Holding EAD e.a. contre Commission européenne., 25/10/2023, T-136/19


 ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

25 octobre 2023 ( *1 )

« Concurrence – Abus de position dominante – Marché intérieur du gaz naturel – Décision constatant une infraction à l’article 102 TFUE – Marché réglementé – Définition du marché pertinent – Gazoduc de transit roumain 1 – Titulaire d’un droit d’usage exclusif du gazoduc roumain 1 – Refus d’accès – Obligation de fourniture publique – Exception de l’action étatique – Gestionnaire de réseau de transport – Gestionnaire d’installation de stoc

kage – Stratégie anticoncurrentielle – Effets d’éviction –
Infraction unique et continue – Droits de la défense »

Dans l’a...

 ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

25 octobre 2023 ( *1 )

« Concurrence – Abus de position dominante – Marché intérieur du gaz naturel – Décision constatant une infraction à l’article 102 TFUE – Marché réglementé – Définition du marché pertinent – Gazoduc de transit roumain 1 – Titulaire d’un droit d’usage exclusif du gazoduc roumain 1 – Refus d’accès – Obligation de fourniture publique – Exception de l’action étatique – Gestionnaire de réseau de transport – Gestionnaire d’installation de stockage – Stratégie anticoncurrentielle – Effets d’éviction –
Infraction unique et continue – Droits de la défense »

Dans l’affaire T‑136/19,

Bulgarian Energy Holding EAD, établie à Sofia (Bulgarie),

Bulgartransgaz EAD, établie à Sofia,

Bulgargaz EAD, établie à Sofia,

représentées par Mes M. Powell, A. Komninos, H. Gafsen et W. De Catelle, avocats,

parties requérantes,

soutenues par

République de Bulgarie, représentée par Mmes L. Zaharieva et T. Mitova, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. H. van Vliet, G. Meessen, J. Szczodrowski et Mme C. Georgieva, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Overgas Inc., établie à Sofia, représentée par Mes S. Cappellari et S. Gröss, avocats,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

composé, lors des délibérations, de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise, P. Nihoul, Mme R. Frendo (rapporteure) et M. J. Martín y Pérez de Nanclares, juges,

greffier : Mme I. Kurme, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 29 septembre 2022,

rend le présent

Arrêt ( 1 )

[omissis]

I. Antécédents du litige

2 BEH est une société entièrement détenue par l’État bulgare. Les droits de l’État bulgare dans BEH sont exercés par le ministre de l’Énergie bulgare. BEH possède plusieurs filiales actives dans le domaine de l’énergie en Bulgarie. Dans le secteur du gaz, elle détient 100 % du capital de ses filiales Bulgargaz et Bulgartransgaz.

3 Bulgargaz est le fournisseur public de gaz en Bulgarie.

4 Bulgartransgaz est :

– le gestionnaire du réseau de transport de gaz (ci-après le « GRT ») autorisé en Bulgarie ; à ce titre, elle exploite le réseau de transport de gaz bulgare (ci-après le « réseau de transport ») et le gazoduc de transit bulgare ;

– le gestionnaire (ci-après le « GIS ») de la seule installation de stockage de gaz naturel de ce pays, située sous terre à Chiren (ci-après la « station de stockage de Chiren »).

A. Contexte factuel

[omissis]

1.   Sur l’approvisionnement en gaz en Bulgarie

6 Pendant la période infractionnelle, il y avait deux sources d’approvisionnement en gaz en Bulgarie, à savoir la production domestique et les importations provenant de la Russie. La production domestique étant négligeable à cette époque, l’approvisionnement du pays dépendait presque entièrement des importations de gaz russe.

7 Le gaz russe était acheminé vers la Bulgarie via l’Ukraine, puis la Roumanie, par trois gazoducs, à savoir les gazoducs de transit roumains 1, 2 et 3, gérés par Transgaz SA, le gestionnaire du réseau de transport de gaz en Roumanie.

8 Le gazoduc de transit roumain 1 (ci-après le « gazoduc roumain 1 ») traversait la Roumanie depuis le point d’entrée, à savoir la station de comptage de gaz Isaccea 1, sis à la frontière ukraino-roumaine, jusqu’au point d’entrée du réseau de transport Negru Vodă 1, sis à la frontière roumano-bulgare. Le réseau de transport, qui, à son tour, était relié à la station de stockage de Chiren, était un réseau purement national auquel étaient raccordés la majorité des clients et les réseaux de
distribution locaux de la Bulgarie, à l’exception des clients et des réseaux de distribution situés au sud-ouest de la Bulgarie.

9 Les gazoducs de transit roumains 2 et 3 transportaient le gaz russe de la frontière ukraino-roumaine à la frontière roumano-bulgare, aux points d’entrée Negru Vodă 2 et 3, et fusionnaient sur le territoire bulgare, formant le gazoduc de transit bulgare. Ce gazoduc était utilisé pour un approvisionnement limité dans le sud-ouest de la Bulgarie et transportait principalement du gaz vers l’ancienne République yougoslave de Macédoine, la Grèce, et la Turquie.

10 Dès lors, et à tout le moins jusqu’au mois d’avril 2016, le gazoduc roumain 1 était la seule voie viable pour acheminer du gaz vers la Bulgarie en vue de l’approvisionnement de la plus grande partie du pays.

11 Le gazoduc roumain 1, avec une capacité totale de 7,4 milliards de mètres cubes par an, a été construit en 1974, conformément à l’accord intergouvernemental conclu entre la République populaire de Bulgarie et la République socialiste de Roumanie le 29 novembre 1970 (ci-après l’« accord intergouvernemental de 1970 »).

12 Le 5 juillet 1974, le prédécesseur de Bulgargaz, la société Neftochim, a conclu un accord avec la société Rompetrol, prédécesseur de Transgaz, pour l’utilisation du gazoduc roumain 1. Cet accord est resté en vigueur jusqu’en 2005.

13 Le 18 février 2003, la République de Bulgarie et la Roumanie ont conclu un nouvel accord intergouvernemental (ci-après l’« accord intergouvernemental de 2003 »). En vertu de l’article 3 de cet accord, les parties contractantes se sont engagées à contraindre leurs opérateurs gaziers respectifs, à savoir Bulgargaz et Transgaz, à conclure un nouveau contrat pour l’utilisation du gazoduc roumain 1, afin de refléter les nouveaux tarifs de transit.

14 Ainsi, le 19 octobre 2005, Transgaz et Bulgargaz ont conclu un nouvel accord (ci-après l’« accord de 2005 »), en vertu duquel Bulgargaz s’est vu octroyer l’usage exclusif du gazoduc roumain 1 jusqu’au 31 décembre 2011. Ce contrat garantissait, en substance, une capacité annuelle de 6,49 milliards de mètres cubes. En contrepartie, Bulgargaz versait à Transgaz une redevance annuelle fixe, indépendante de la capacité réellement utilisée. En 2009, cet accord a été prorogé jusqu’au 31 décembre 2016.

2.   Sur la fourniture de gaz en Bulgarie

15 Pendant la période infractionnelle, Bulgargaz achetait du gaz en provenance de Russie et était le seul ou le principal importateur de gaz russe en Bulgarie. Elle avait également acquis la plupart de la production domestique de gaz. Bulgargaz était ainsi le principal fournisseur de gaz, d’une part, en ce qui concernait le commerce de gros en aval et, d’autre part, en ce qui concernait les clients finals, à savoir les entreprises directement raccordées au réseau de transport.

16 Durant la période infractionnelle, Bulgargaz opérait en tant que fournisseur public de gaz sur les marchés bulgares, en vertu de la licence no JI-214-14/29.11.2006 pour la fourniture publique de gaz sur le territoire de la République de Bulgarie (ci-après la « licence de Bulgargaz »). Cette licence lui avait été attribuée par la décision no P-046 de la Komisia za energiyno i vodno regulirane (commission de régulation de l’énergie et de l’eau, Bulgarie, ci-après le « régulateur bulgare »), du
29 novembre 2006 (ci-après la « décision du régulateur bulgare »), sur le fondement du ЗАКОН ЗА ЕНЕРГЕТИКАТА (loi sur l’énergie), du 9 décembre 2003 (DV no 107, du 9 décembre 2003 ), modifiée en dernier lieu le 13 décembre 2018 (DV no 103, du 13 décembre 2018 ) (ci-après la « loi bulgare sur l’énergie »), pour une durée de 35 ans (article 2.6.1 de ladite licence).

[omissis]

4.   Sur la station de stockage de Chiren

21 Le gaz naturel peut être stocké en vue d’une utilisation ultérieure dans des installations souterraines de stockage de gaz. Ces installations peuvent servir d’outil pour ajuster l’offre à la demande, principalement au regard des variations saisonnières de la demande de gaz. En outre, en particulier lorsqu’il existe une forte dépendance à une seule source d’approvisionnement, ces installations peuvent offrir d’importantes possibilités de secours en cas de rupture d’approvisionnement.

22 En Bulgarie, la station de stockage de Chiren, avec une capacité de 0,5 milliard de mètres cubes, était la seule installation de stockage existante pendant la période infractionnelle. Celle-ci n’était pas une station de stockage multi-cycle, étant donné que le gaz pouvait uniquement y être injecté pendant les mois dits « d’été » et retiré pendant les mois dits « d’hiver ».

[omissis]

C. Décision attaquée

34 Dans la décision attaquée, la Commission a conclu, en substance, que les requérantes avaient commis une infraction unique et continue à l’article 102 TFUE entre le 30 juillet 2010 et le 1er janvier 2015 (voir considérant 653).

[omissis]

II. Conclusions des parties

56 Les requérantes, soutenues par la République de Bulgarie, concluent, dans le dernier état de leurs conclusions, à ce qu’il plaise au Tribunal :

– adopter une mesure d’organisation de la procédure ou une mesure d’instruction, enjoignant à la Commission de produire la communication des griefs dans l’affaire AT.39816 – Approvisionnement en gaz en amont en Europe centrale et orientale (ci-après l’« affaire Gazprom »), ainsi que les documents auxquels celle-ci renvoie dans la mesure où ils concernent le marché du gaz bulgare ;

– annuler en tout ou partie la décision attaquée, pour ce qui les concerne ou ce qui concerne l’une d’entre d’elles ;

– à défaut, annuler l’amende qui leur a été imposée ou en réduire le montant ;

– condamner la Commission aux dépens.

57 La Commission, soutenue par Overgas, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner les requérantes aux dépens.

III. En droit

58 Les requérantes soulèvent sept moyens, respectivement tirés :

– le premier, d’une violation de leurs droits de la défense, du principe de bonne administration et du principe de transparence ;

– le deuxième, d’un défaut de motivation et d’erreurs de droit et de fait concernant la définition du marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1 ;

– le troisième, de la constatation erronée d’une position dominante des requérantes sur les marchés pertinents ;

– le quatrième, de la constatation erronée d’un abus de position dominante de leur part ;

– le cinquième, d’une appréciation erronée de la durée de l’infraction alléguée ;

– le sixième, de ce qu’elles ont été privées de la possibilité de conclure l’affaire par le biais d’engagements, conformément à l’article 9 du règlement no 1/2003 ;

– le septième, d’erreurs dans le calcul du montant de l’amende.

[omissis]

A. Sur le deuxième moyen, tiré d’un défaut de motivation et d’erreurs de droit et de fait concernant la définition du marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1

[omissis]

3.   Sur la troisième branche, tirée d’erreurs de droit et d’appréciation des faits dans la définition du marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1

79 Les requérantes, soutenues par la République de Bulgarie, font valoir que la définition du marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1 est entachée :

– d’une erreur de droit, en ce que la Commission a omis d’opérer une distinction entre les marchés primaire et secondaire des capacités sur le gazoduc roumain 1 ;

– d’une première erreur d’appréciation des faits, en ce que la Commission n’a pas identifié Transgaz comme étant un fournisseur de services liés aux capacités sur le gazoduc roumain 1 ;

– d’une seconde erreur d’appréciation des faits, en ce que la Commission a identifié Bulgargaz comme étant un fournisseur de capacités sur ledit gazoduc, et non comme étant un acheteur.

80 Il convient de commencer par l’examen conjoint des deux premières erreurs soulevées par les requérantes.

a)   Sur les erreurs de droit et de fait, tirées, respectivement, de ce que la Commission a omis de distinguer les marchés primaire et secondaire des capacités sur le gazoduc roumain 1 et n’a pas identifié Transgaz comme étant un fournisseur desdites capacités

81 Les requérantes avancent que le règlement (CE) no 715/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant les conditions d’accès aux réseaux de transport de gaz naturel et abrogeant le règlement (CE) no 1775/2005 (JO 2009, L 211, p. 36), opère une distinction entre les marchés primaire et secondaire des capacités en gaz. Elles relèvent que, en vertu dudit règlement, seul le GRT peut vendre des capacités sur le marché primaire, alors que les utilisateurs du réseau peuvent
seulement revendre des capacités sur le marché secondaire. Ainsi, en omettant de distinguer les marchés primaire et secondaire des capacités en gaz, la Commission aurait, d’une part, commis une erreur de droit en adoptant une définition du marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1 contraire au règlement no 715/2009 et, d’autre part, méconnu le fait que Transgaz était le fournisseur sur ledit marché primaire.

82 À cet égard, il est vrai que le règlement no 715/2009 opère une distinction entre les marchés primaire et secondaire des capacités en gaz. En vertu dudit règlement, le marché primaire est le marché des capacités échangées directement par le GRT (voir article 2, paragraphe 1, point 22), tandis que le marché secondaire est le marché des capacités échangées autrement que sur le marché primaire (voir article 2, paragraphe 1, point 6).

83 Cependant, le considérant 34 du règlement no 715/2009 précise que ce dernier, tout comme les lignes directrices adoptées en vertu de celui-ci, sont sans préjudice de l’application des règles de l’Union en matière de concurrence.

84 En outre, ainsi qu’il ressort des paragraphes 2 et 3 de la communication sur la définition du marché, le concept de marché en matière de concurrence diffère des autres concepts de marché souvent utilisés dans d’autres contextes (arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 97). Son objet principal est d’identifier de manière systématique les contraintes que la concurrence fait peser sur les entreprises en cause (arrêt du 18 mai 2022, Wieland-Werke/Commission,
T‑251/19, non publié, EU:T:2022:296, point 40).

85 Ainsi, dans le cadre de l’application de l’article 102 TFUE, la définition du marché en cause est opérée en vue de définir le périmètre à l’intérieur duquel doit être appréciée la question de savoir si une entreprise est à même de se comporter, dans une mesure appréciable, indépendamment de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs et donc si elle détient une position dominante au sens de cette disposition (arrêts du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission,
322/81, EU:C:1983:313, point 37, et du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 30).

86 Il résulte d’une jurisprudence constante que, aux fins de l’examen de la position, éventuellement dominante, d’une entreprise, les possibilités de concurrence doivent être appréciées dans le cadre du marché regroupant l’ensemble des produits ou des services qui, en fonction de leurs caractéristiques, sont particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et qui sont peu interchangeables avec d’autres produits ou services, ces possibilités de concurrence devant également être appréciées à
la lumière des conditions de concurrence et de la structure de l’offre et de la demande (voir arrêts du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, EU:C:1983:313, point 37 et jurisprudence citée, et du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 31 et jurisprudence citée).

87 Dès lors, afin de déterminer si la Commission était tenue d’opérer une distinction entre les marchés primaire et secondaire des capacités sur le gazoduc roumain 1, il convient de vérifier si, pendant la période infractionnelle, cette distinction était pertinente au regard des services offerts sur chacun desdits marchés, pour ainsi définir le périmètre à l’intérieur duquel devait être appréciée la question de savoir si les requérantes détenaient une position dominante sur ce marché pertinent.

88 Or, il est constant que, pendant la période infractionnelle, le gazoduc roumain 1 était la seule voie viable pour acheminer le gaz russe vers la Bulgarie, de sorte que les services de capacités sur ledit gazoduc n’étaient pas interchangeables avec d’autres services au sens de la jurisprudence citée au point 86 ci-dessus, aux fins de transporter du gaz entre la Russie et la Bulgarie. Il s’ensuit a contrario, et toujours au sens de la même jurisprudence, que les services de capacités sur les
marchés primaire et secondaire sur le gazoduc roumain 1 constituaient un ensemble de services particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et, dès lors, étaient interchangeables entre eux.

89 À cet égard, la Commission a relevé à juste titre que, pendant la période infractionnelle, Bulgargaz avait, en vertu de l’accord de 2005, non seulement réservé toutes les capacités sur le gazoduc roumain 1, mais qu’elle pouvait également empêcher toute tentative de la part de Transgaz d’octroyer des capacités à des tiers sur le marché primaire (voir considérants 260 et 261 de la décision attaquée). En effet, l’article 17.1 dudit accord stipulait que « le gazoduc [roumain 1] [était] réservé à
l’usage exclusif de [Bulgargaz], et [que,] sans le consentement de [Bulgargaz,] il n’[était] pas possible de raccorder d’autres clients à ce gazoduc, et aucune autre quantité de gaz naturel ne sera[it] transportée ».

90 Ainsi, malgré le fait que Transgaz était le GRT du gazoduc roumain 1, pendant la période infractionnelle :

– Bulgargaz était le seul opérateur à pouvoir offrir des services de capacités sur ledit gazoduc sur le marché secondaire, grâce à l’exclusivité d’utilisation de cette infrastructure que lui octroyait l’accord de 2005 ;

– Bulgargaz possédait également, en vertu du droit de consentement préalable que lui conférait l’accord de 2005, la possibilité de s’opposer à toute demande d’accès sur le marché primaire.

91 Dès lors, la distinction entre les marchés primaire et secondaire n’était pas pertinente pour l’analyse faite au titre de l’article 102 TFUE.

92 Les requérantes considèrent que cette conclusion est erronée car, selon elles, en vertu du règlement no 715/2009, Transgaz était tenue de reprendre unilatéralement les capacités inutilisées par Bulgargaz sur le gazoduc roumain 1 et de les offrir aux tiers, et ce indépendamment de l’existence de l’accord de 2005. À ce propos, elles relèvent que ledit règlement et les lignes directrices annexées à celui-ci dans leur rédaction en vigueur jusqu’au 16 septembre 2012 (ci-après les « lignes directrices
de 2009 ») concernant les procédures de gestion de la congestion contractuelle ont un effet direct. Partant, elles soutiennent que le fait que la Roumanie n’ait pas mis en œuvre ces règles ne peut pas leur porter préjudice.

93 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu du règlement no 715/2009 :

– la capacité ferme est la capacité de transport de gaz dont le GRT garantit par contrat le caractère non interruptible (voir article 2, paragraphe 1, point 16) ;

– la capacité technique est la capacité ferme maximale que le GRT peut offrir aux utilisateurs du réseau compte tenu de l’intégrité du système et des exigences d’exploitation du réseau de transport (voir article 2, paragraphe 1, point 18) ;

– il y a une congestion contractuelle lorsque le niveau de la demande de capacité ferme dépasse la capacité technique (voir article 2, paragraphe 1, point 21) ;

– la capacité inutilisée est la capacité ferme obtenue par un utilisateur du réseau au titre d’un contrat de transport mais que cet utilisateur n’a pas nominée à l’échéance du délai fixé dans le contrat (voir article 2, paragraphe 1, point 4) ;

– la capacité interruptible est la capacité de transport de gaz qui peut être interrompue par le GRT conformément aux conditions stipulées dans le contrat de transport (voir article 2, paragraphe 1, point 13).

94 L’article 16, paragraphe 3, sous a), du règlement no 715/2009 prévoit que, en cas de congestion contractuelle, le GRT offre la capacité inutilisée sur le marché primaire, à tout le moins sur la base d’un arrangement à court terme (c’est-à-dire à un jour) et interruptible.

95 Les lignes directrices de 2009, qui ont complété le règlement no 715/2009, prévoyaient, à leur point 2.2, paragraphe 1, que, au cas où une capacité contractuelle resterait inutilisée, les GRT devaient proposer cette capacité sur le marché primaire sur une base interruptible par le biais de contrats à durée variable. Toutefois, cette obligation ne concernait que le cas où la capacité inutilisée n’était pas offerte par l’utilisateur du réseau concerné sur le marché secondaire à un prix raisonnable.

96 En revanche, en ce qui concerne la possibilité de retirer et de réattribuer une capacité inutilisée en tant que capacité ferme, les lignes directrices de 2009 prévoyaient uniquement, à leur point 2.2, paragraphe 4, que, en cas de besoin, les GRT s’efforceraient d’offrir, à tout le moins partiellement, la capacité inutilisée en tant que capacité ferme.

97 Deux constatations ressortent de l’article 16, paragraphe 3, sous a), du règlement no 715/2009, interprété à la lumière des lignes directrices de 2009. En premier lieu, Transgaz devait offrir les capacités inutilisées sur le gazoduc roumain 1 uniquement si Bulgargaz ne les proposait pas sur le marché secondaire à un prix raisonnable. En second lieu, dans un tel cas, Transgaz était uniquement obligée d’offrir les capacités inutilisées de Bulgargaz à des tiers en tant que capacités à court terme et
interruptibles, et non en tant que capacités fermes.

98 Or, au considérant 35 de la décision attaquée, non contesté par les requérantes, la Commission a relevé que les fournisseurs de gaz en aval ne pouvaient normalement pas s’appuyer sur les capacités interruptibles pour respecter leurs obligations de fourniture à l’égard de leurs clients, car ces capacités n’étaient pas garanties par le GRT. Dès lors, l’offre de la part de Transgaz des capacités inutilisées par Bulgargaz en tant que capacités à court terme et interruptibles n’aurait pas permis pas
audit GRT de satisfaire les besoins constants des entreprises souhaitant obtenir un accès au gazoduc roumain 1.

99 La modification des lignes directrices de 2009 par l’adoption de la décision 2012/490/UE de la Commission, du 24 août 2012, modifiant l’annexe I du règlement no 715/2009 (JO 2012, L 231, p. 16, ci-après les « lignes directrices de 2012 »), confirme que l’obligation prévue à l’article 16, paragraphe 3, du règlement no 715/2009 était insuffisante. En effet, il ressort du deuxième considérant de la décision 2012/490/UE que les lignes directrices de 2012 ont été adoptées, car la pratique avait montré
que, malgré l’application de certains principes de gestion de la congestion, tels que l’offre de capacités interruptibles, la congestion contractuelle continuait d’entraver le développement d’un marché intérieur du gaz efficace.

100 Dès lors, afin de résoudre cette situation, les lignes directrices de 2012 ont prévu quatre procédures différentes qui avaient pour objet de permettre aux GRT, en cas de congestion contractuelle, de réattribuer les capacités inutilisées en tant que capacités fermes. Seules trois de ces procédures devaient être mises en œuvre à compter du 1er octobre 2013 et, dès lors, au cours de la période infractionnelle.

101 En l’espèce, les requérantes se réfèrent à deux de ces mécanismes, à savoir, d’une part, le mécanisme d’accroissement de la capacité par un système de surréservation et de rachat prévu au point 2.2.2 des lignes directrices de 2012 (ci-après le « mécanisme de surréservation et de rachat ») et, d’autre part, le mécanisme « use-it-or-lose-it » (UIOLI) d’offre de capacités à long terme prévu au point 2.2.5 desdites lignes directrices (ci-après le « mécanisme UIOLI » et, pris avec le mécanisme de
surréservation et de rachat, les « mécanismes incitatifs »).

102 En premier lieu, le mécanisme de surréservation et de rachat permettait au GRT d’accroître la capacité de son réseau en offrant une capacité additionnelle en tant que capacité ferme excédant celle qui pouvait être transportée. Le GRT devait racheter la capacité finalement nominée par les utilisateurs qui excédait ce que le réseau de transport du gaz était en mesure de transporter (voir point 2.2.2, paragraphes 1 et 6, des lignes directrices de 2012). Pour inciter le GRT à assumer les risques
liés à la survente, le système prévoyait une compensation financière (voir point 2.2.2, paragraphe 3, des lignes directrices de 2012).

103 Pour que le mécanisme de surréservation et de rachat puisse s’appliquer, les lignes directrices de 2012 prévoyaient qu’il devait être préalablement approuvé par l’autorité de régulation nationale (ci-après le « régulateur national ») et faire l’objet de consultations avec les régulateurs nationaux des États membres frontaliers (voir point 2.2.2, paragraphe 1, desdites lignes directrices).

104 En second lieu, en vertu du mécanisme UIOLI, les régulateurs nationaux étaient tenus de demander au GRT de retirer, en tout ou partie, les capacités contractuelles systématiquement sous-utilisées par un utilisateur du réseau à un point d’interconnexion lorsque ce dernier n’avait ni vendu ni offert sa capacité non utilisée à des conditions raisonnables et que d’autres utilisateurs du réseau demandaient des capacités fermes (voir point 2.2.5, paragraphe 1, des lignes directrices de 2012).

105 Toutefois, pour que le GRT puisse utiliser le mécanisme UIOLI, le régulateur national devait préalablement déterminer que les conditions prévues par les lignes directrices de 2012 permettant à un GRT de retirer les capacités étaient remplies (voir point 2.2.5, paragraphes 1 et 4, des lignes directrices de 2012).

106 Les requérantes avancent, en substance, que, à partir de 2012, Transgaz aurait pu utiliser les mécanismes incitatifs pour retirer unilatéralement les capacités inutilisées par Bulgargaz sur le gazoduc roumain 1 et les réattribuer à des tiers.

107 À cet égard, il ressort des points 103 à 105 ci-dessus, que, pour que ces mécanismes incitatifs puissent s’appliquer, le régulateur roumain devait adopter certaines mesures préalables.

108 Or, aux considérants 293 et 294 de la décision attaquée, la Commission a constaté que le régulateur roumain n’avait pas, à l’époque, pris les mesures préalables nécessaires pour permettre au GRT d’utiliser les mécanismes incitatifs.

109 Les requérantes contestent cependant la nécessité de l’intervention du régulateur roumain pour que Transgaz puisse offrir à des tiers les capacités inutilisées par Bulgargaz sur le gazoduc roumain 1.

110 La position des requérantes ne résiste pas à l’analyse. En effet, en l’absence d’intervention préalable du régulateur national pendant la période infractionnelle, les mécanismes incitatifs ne pouvaient pas être mis en œuvre (voir points 103 et 105 ci-dessus). Cela signifie que, pendant cette période, Transgaz n’aurait pas pu se prévaloir de ces mécanismes pour retirer unilatéralement les capacités inutilisées par Bulgargaz sur le gazoduc roumain 1 et offrir ces dernières à des tiers en tant que
capacités fermes. Dès lors, Transgaz ne pouvait offrir à des tiers lesdites capacités inutilisées, en vertu du règlement no 715/2009, qu’en tant que capacités à court terme et interruptibles.

111 Or, ainsi qu’il ressort du point 98 ci-dessus, une offre à court terme et interruptible n’aurait pas permis à Transgaz, en pratique, de contourner les restrictions imposées par l’accord de 2005 et, ainsi, de répondre aux besoins constants des fournisseurs souhaitant avoir accès au gazoduc roumain 1, étant donné qu’une telle capacité n’aurait pas eu d’attrait pour les fournisseurs de gaz en aval, car elle ne leur permettait pas de respecter leurs obligations de fourniture à l’égard de leurs
clients.

112 Dans ces conditions, la distinction entre les marchés primaire et secondaire de capacités de gaz n’était pas pertinente en l’espèce pour apprécier si les requérantes jouissaient d’une position dominante concernant les services de capacités sur le gazoduc roumain 1. En effet, ainsi qu’il a été constaté au point 89 ci-dessus, du fait de l’accord de 2005, non seulement Bulgargaz était, tout au long de la période infractionnelle, le seul fournisseur possible de services de capacités sur le gazoduc
roumain 1 sur le marché secondaire, mais elle contrôlait également l’accès des tiers au marché primaire grâce à l’exclusivité d’utilisation dudit gazoduc et au droit de consentement préalable dont elle était titulaire en vertu de l’accord de 2005. De même, Transgaz ne pouvant offrir des capacités inutilisées, sans le consentement de Bulgargaz, qu’en tant que capacités à court terme et interruptibles pendant la période infractionnelle, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la
Commission n’a pas retenu que Transgaz était un fournisseur dans le cadre de la définition du marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1.

113 Ces conclusions ne sont pas remises en cause par les autres arguments invoqués par les requérantes.

114 En premier lieu, les requérantes avancent que la définition du marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1 adoptée par la Commission s’écarte de sa pratique décisionnelle.

115 Or, il y a lieu de rappeler que la Commission est tenue de procéder à une analyse individualisée des circonstances propres à chaque affaire, sans être liée par des décisions antérieures qui concernent d’autres opérateurs économiques, d’autres marchés de produits et de services, ou d’autres marchés géographiques à des moments différents (voir arrêt du 9 septembre 2009, Clearstream/Commission, T‑301/04, EU:T:2009:317, point 55 et jurisprudence citée). En outre, les opérateurs économiques ne sont
pas fondés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une pratique décisionnelle antérieure qui est susceptible d’être modifiée, en fonction du changement des circonstances ou de l’évolution de l’analyse de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T‑162/10, EU:T:2015:283, points 142 et 143).

116 Ainsi, les requérantes ne sont pas en droit de remettre en cause les constatations de la Commission au motif qu’elles diffèrent de celles faites antérieurement dans une autre affaire (arrêt du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T‑210/01, EU:T:2005:456, point 118 ; voir, également, arrêt du 9 septembre 2009, Clearstream/Commission, T‑301/04, EU:T:2009:317, point 55 et jurisprudence citée).

117 En second lieu, les requérantes font valoir que la Legea nr. 123/2012 energiei electrice și a gazelor naturale (loi no 123/2012, relative à l’électricité et au gaz naturel), du 10 juillet 2012 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 485, du 16 juillet 2012, ci-après la « loi roumaine sur l’énergie »), a incorporé le règlement no 715/2009 et a fourni à Transgaz, en tant que GRT, des pouvoirs de retrait des capacités inutilisées sur le gazoduc roumain 1. À cet égard, elles se réfèrent à
l’article 130, paragraphe 1, et à l’article 194 de ladite loi ainsi qu’à la méthodologie d’attribution des capacités sur le gazoduc roumain 1, publiée par le régulateur roumain le 11 juillet 2012 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 472, du 11 juillet 2012, ci-après la « méthodologie d’allocation des capacités »).

118 Cet argument ne saurait prospérer pour les raisons suivantes.

119 Premièrement, l’article 130, paragraphe 1, de la loi roumaine sur l’énergie n’était pas applicable au gazoduc roumain 1. En effet, cette disposition imposait au GRT d’assurer l’attribution des capacités au sein des gazoducs d’interconnexion, conformément au règlement no 715/2009 [voir article 130, paragraphe 1, sous q), de la loi roumaine sur l’énergie]. Selon ladite loi, un gazoduc d’interconnexion était un gazoduc de transport franchissant une frontière entre deux États membres de l’Union dans
le seul but de raccorder les systèmes de transport de gaz de ces deux États (voir article 100, paragraphe 34, de ladite loi). Or, le gazoduc roumain 1 n’était pas raccordé au réseau de transport de gaz roumain pendant la période infractionnelle et ne constituait donc pas un gazoduc d’interconnexion au sens de l’article 130, paragraphe 1, de la loi roumaine sur l’énergie.

120 Deuxièmement, l’article 194 de la loi roumaine sur l’énergie prévoyait que la violation, par le GRT, des dispositions concernant les mécanismes relatifs à l’attribution des capacités et à la gestion de la congestion prévues par le droit de l’Union constituait aussi une violation des règles roumaines applicables en la matière (voir article 194, paragraphe 36, de ladite loi). Cependant, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du point 110 ci-dessus, la réglementation de l’Union en vigueur à
l’époque ne permettait pas à Transgaz de retirer des capacités inutilisées et de les réattribuer à des tiers en tant que capacités fermes, l’article 194 de la loi roumaine sur l’énergie ne l’habilitait pas davantage à agir en ce sens.

121 Troisièmement, s’agissant de la méthodologie d’allocation des capacités, elle n’imposait pas à Transgaz, en tant que GRT, de retirer toute capacité existante inutilisée par Bulgargaz, mais l’obligeait uniquement à vendre les capacités disponibles sur ledit gazoduc (voir article 1er de ladite méthodologie), à savoir les capacités qui ne faisaient pas l’objet d’un contrat. Or, en vertu de l’article 17.1 de l’accord de 2005, « le gazoduc [roumain 1 était] réservé à l’usage exclusif de [Bulgargaz],
et sans le consentement de [Bulgargaz] il n’[était] pas possible de raccorder d’autres clients à ce gazoduc, et aucune quantité de gaz naturel autre que celle délivrée par [Bulgargaz] à [Transgaz] à [la station de comptage de gaz] Isaccea 1 ne sera[it] transportée ». Ledit accord étant resté en vigueur tout au long de la période infractionnelle, force est de constater qu’il n’y avait aucune capacité disponible que Transgaz aurait pu vendre aux entreprises tierces sur ce gazoduc à cette époque.

122 Partant, les griefs tirés de ce que la Commission aurait commis une erreur de droit, en omettant d’opérer une distinction entre les marchés primaire et secondaire de capacités sur le gazoduc roumain 1, et une erreur d’appréciation, en omettant d’identifier Transgaz comme étant un fournisseur desdites capacités, doivent être rejetés.

b)   Sur l’erreur de fait, tirée de l’identification de Bulgargaz comme étant un fournisseur sur le gazoduc roumain 1

123 En premier lieu, les requérantes font valoir que Bulgargaz était uniquement un acquéreur de services de capacités sur le gazoduc roumain 1 sur le marché primaire desdits services, et non un fournisseur desdits services.

124 Or, la décision attaquée ne qualifie pas Bulgargaz de fournisseur sur le marché primaire des services de capacités sur le gazoduc roumain 1. En effet, la Commission s’est bornée à indiquer que Transgaz avait attribué des capacités sur ce marché primaire à Bulgargaz en concluant l’accord de 2005 (voir considérant 291 de la décision attaquée). Toutefois, ainsi qu’il ressort des points 89 et 90 ci-dessus, compte tenu de l’exclusivité d’utilisation dudit gazoduc et du droit de consentement préalable
accordés à Bulgargaz par l’article 17.1 dudit accord, lequel est resté en vigueur tout au long de la période infractionnelle, la Commission a constaté que Transgaz ne pouvait pas offrir aux tiers de capacités sur le marché primaire sans le consentement de Bulgargaz et que, dès lors, cette dernière était la seule à pouvoir fournir aux tiers un accès au gazoduc roumain 1 (voir considérants 261, 288 et 306 de la décision attaquée).

125 Partant, l’argument des requérantes tiré du fait que la Commission aurait erronément qualifié Bulgargaz de fournisseur sur le marché primaire des services de capacités sur le gazoduc roumain 1 doit être rejeté.

126 En second lieu, les requérantes avancent que la Commission a erronément conclu, au considérant 292 de la décision attaquée, que Bulgargaz pouvait revendre des capacités sur le marché secondaire du gazoduc roumain 1 pendant la période infractionnelle, alors que Transgaz n’avait pas encore adopté les règles permettant de tels échanges conformément à l’article 22 du règlement no 715/2009.

127 À cet égard, il est certes vrai que l’article 22 du règlement no 715/2009 imposait aux GRT l’adoption de certaines mesures pour permettre et faciliter l’échange de capacités sur le marché secondaire. Toutefois, il convient de relever que le 31 janvier 2013, Bulgargaz a conclu un accord avec Overgas en vertu duquel cette dernière s’est vu octroyer un accès au gazoduc roumain 1, alors même que les mesures envisagées par l’article 22 dudit règlement n’avaient toujours pas été adoptées par Transgaz.

128 Dès lors, ainsi que l’a constaté la Commission au considérant 292 de la décision attaquée, la circonstance selon laquelle Transgaz n’avait pas adopté les mesures envisagées par l’article 22 du règlement no 715/2009 ne constituait pas, dans les faits, un obstacle à ce que Bulgargaz puisse offrir des capacités sur le marché secondaire des capacités sur le gazoduc roumain 1.

129 Il s’ensuit que le grief des requérantes selon lequel la Commission aurait commis une erreur de fait en considérant que Bulgargaz pouvait fournir des capacités sur le gazoduc roumain 1 n’est pas fondé.

130 En conséquence, la présente branche et, partant, le deuxième moyen pris dans son ensemble doivent être rejetés.

B. Sur le troisième moyen, tiré de la constatation erronée d’une position dominante des requérantes sur les marchés pertinents

131 Les requérantes contestent la conclusion énoncée aux considérants 426 et 427 de la décision attaquée, selon laquelle le groupe BEH occupait, par le biais de Bulgargaz et de Bulgartransgaz, une position dominante sur les cinq marchés pertinents.

132 Le moyen s’articule en deux branches. Les requérantes avancent que la Commission a erronément conclu, d’une part, que Bulgargaz occupait une position dominante sur le marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1 et, d’autre part, que BEH occupait indirectement une telle position sur les cinq marchés en cause.

1.   Sur la première branche, tirée du constat erroné d’une position dominante de Bulgargaz sur le marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1

133 En premier lieu, les requérantes avancent que la définition du marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1 est entachée d’erreurs de droit et de fait. Dès lors, la conclusion selon laquelle Bulgargaz est dominante sur ce marché serait également erronée.

134 À cet égard, il ressort de l’analyse du deuxième moyen que c’est sans commettre d’erreur de droit et de faitque la Commission a défini le marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1. Il s’ensuit que le premier argument des requérantes doit être écarté d’emblée.

135 En second lieu, les requérantes estiment que, même dans l’hypothèse où la définition du marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1 serait correcte, l’appréciation de la Commission selon laquelle Bulgargaz y occupait une position dominante est erronée.

136 Les requérantes font plus particulièrement valoir que la décision attaquée ne contient pas d’analyse de la structure du marché ou du pouvoir de marché des entreprises actives sur le gazoduc roumain 1, en méconnaissance des exigences formulées aux points 13 à 15 de la communication relative aux orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article [102 TFUE] aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes (JO 2009, C 45, p. 7). Partant, elles
considèrent que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit que Bulgargaz était dominante sur le marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1.

137 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la position dominante visée à l’article 102 TFUE concerne une position de puissance économique détenue par une entreprise, qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité d’adopter des comportements indépendants dans une mesure appréciable à l’égard de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs. L’existence
d’une position dominante résulte en général de la réunion de facteurs divers qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants (arrêts du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, 27/76, EU:C:1978:22, points 65 et 66, et du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, EU:C:1979:36, points 38 et 39).

138 En outre, l’existence d’une position dominante n’exclut pas l’existence d’une certaine concurrence, mais met l’entreprise qui en bénéficie en mesure, sinon de décider, d’influencer notablement les conditions dans lesquelles la concurrence se développera et, en tout état de cause, de se comporter dans une large mesure sans devoir en tenir compte et sans pour autant que son attitude lui porte préjudice (arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, EU:C:1979:36, point 39).

139 En l’espèce, la Commission a relevé que les infrastructures de transport de gaz constituaient un monopole naturel et que, dès lors, l’entreprise qui contrôlait la capacité sur ces infrastructures devenait un partenaire commercial incontournable, dont le pouvoir de marché ne pouvait être neutralisé. S’agissant du gazoduc roumain 1, la Commission a conclu que, pendant la période infractionnelle, c’était Bulgargaz qui contrôlait toute possibilité d’accès des tiers à celui-ci (voir considérants 335,
418 et 420 de la décision attaquée).

140 Les requérantes estiment que cette appréciation est entachée de quatre erreurs.

a)   Sur le premier grief, tiré de ce que la Commission a erronément considéré que Bulgargaz contrôlait l’accès des tiers au gazoduc roumain 1

141 Les requérantes soutiennent que la Commission a considéré à tort que Bulgargaz contrôlait l’accès des tiers au gazoduc roumain 1. Elles affirment que ce contrôle était exercé par Transgaz, en tant que GRT de cette infrastructure.

142 À l’appui de ce grief, en premier lieu, les requérantes font valoir que, même si l’accord de 2005 était un contrat d’exclusivité, Bulgargaz s’était vu conférer seulement des droits de consultation en ce qui concernait la possibilité d’offrir des capacités aux tiers, lesquels n’ont jamais été utilisés.

143 À cet égard, il convient de rappeler que, selon le libellé de l’article 17.1 de l’accord de 2005, « le gazoduc [roumain 1] est réservé à l’usage exclusif de [Bulgargaz], et sans le consentement de [Bulgargaz] il n’est pas possible de raccorder d’autres clients à ce gazoduc, et aucune autre quantité de gaz naturel ne sera transportée ».

144 Il est dès lors évident que Transgaz ne pouvait pas offrir à des tiers de capacités sur le gazoduc roumain 1 sans obtenir le consentement préalable de Bulgargaz.

145 Cette interprétation de l’accord de 2005 est corroborée par les échanges entre Transgaz et BEH lors de leur réunion du 24 janvier 2011. Il ressort, en effet, du compte rendu de cette réunion préparé par BEH, daté du 31 janvier 2011, que Transgaz a demandé à BEH s’il était possible de récupérer une partie de la capacité inutilisée sur le gazoduc roumain 1 en vue de la future construction d’un terminal de gaz naturel liquéfié près de Constanţa (Roumanie) (ci-après le « terminal à Constanţa »). BEH
a répondu que la totalité de la capacité dudit gazoduc avait été réservée à Bulgargaz, mais que la possibilité évoquée par Transgaz pouvait néanmoins faire l’objet d’une discussion qui devait, d’abord, avoir lieu au niveau gouvernemental [voir considérant 297, sous a), de la décision attaquée].

146 Il s’ensuit que, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, l’accord de 2005 ne conférait pas à Bulgargaz de simples droits de consultation, mais lui accordait un véritable pouvoir de consentement préalable en ce qui concernait toute tentative de Transgaz de reprendre des capacités inutilisées sur le gazoduc roumain 1, y compris pour offrir de telles capacités à des tiers.

147 En second lieu, les requérantes considèrent que le fait que Bulgargaz ait sous-loué une partie de sa capacité à Overgas dès 2013 n’étaye pas la conclusion selon laquelle Bulgargaz contrôlait l’accès au gazoduc roumain 1. Elles soutiennent que cela n’était qu’un geste de bonne foi de Bulgargaz envers Overgas, eu égard au fait que les règles permettant les échanges sur le marché secondaire n’avaient pas encore été établies.

148 À cet égard, il convient de relever que le fait que Bulgargaz ait sous-loué à Overgas une partie de la capacité du gazoduc roumain 1, indépendamment du caractère allégué de bonne foi qu’a pu revêtir cet acte, illustre que, dans les faits, Bulgargaz a réussi à donner à des tiers un accès à ce gazoduc, malgré l’absence de règles régissant le marché secondaire des services de capacités.

149 Cette circonstance était pertinente pour l’analyse effectuée dans la décision attaquée étant donné que, en vertu de l’accord de 2005, Bulgargaz avait réservé la capacité sur le gazoduc roumain 1 dans des conditions d’exclusivité. Dès lors, un tiers souhaitant avoir accès à ce gazoduc pendant la période infractionnelle ne l’aurait obtenu que si Bulgargaz avait consenti à ce que Transgaz offre des capacités conformément aux termes de l’article 17.1 de l’accord de 2005, ou si Bulgargaz avait
accepté de sous-louer une partie de sa capacité, comme elle l’a fait avec Overgas à partir du 1er janvier 2013.

150 Il s’ensuit que c’est à bon droit que la Commission a considéré que Bulgargaz contrôlait l’accès des tiers au gazoduc roumain 1 pendant la période infractionnelle.

151 Dès lors, il y a lieu d’écarter le premier grief.

b)   Sur le deuxième grief, tiré de ce que la Commission n’a pas identifié Transgaz comme étant un fournisseur de services de capacités sur le gazoduc roumain 1

152 Les requérantes considèrent que l’appréciation de la position dominante de Bulgargaz sur le marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1 est entachée d’une erreur de fait, en ce que elle n’identifie pas tous les fournisseurs de services de capacités présents sur ce marché.

153 Sur ce point, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir ignoré que Bulgargaz n’était pas le GRT du gazoduc roumain 1 et que Transgaz avait des pouvoirs réglementaires qui lui permettaient de retirer des capacités inutilisées de manière unilatérale pour les offrir aux tiers. Ce faisant, la Commission aurait omis d’identifier le fournisseur principal et dominant sur le marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1.

154 À cet égard, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que, comme il ressort des points 89 et 90 ci-dessus ainsi que de l’analyse du premier grief, la Commission a constaté que, bien que Bulgargaz n’ait pas été le GRT du gazoduc roumain 1, elle en contrôlait l’accès en vertu de l’accord de 2005.

155 En second lieu, il ressort de la décision attaquée que, avant d’examiner la question de savoir si Bulgargaz jouissait d’une position dominante sur le marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1, la Commission a conclu à juste titre que, pendant la période infractionnelle, Transgaz n’aurait pas pu retirer de capacités unilatéralement et les offrir à des tiers en tant que capacités fermes (voir points 97 et 98 ci-dessus).

156 À cet égard, dans son analyse, la Commission a indiqué que les lignes directrices de 2012 en vertu desquelles les GRT pouvaient mettre en œuvre les mécanismes incitatifs, qui leur permettaient de lutter contre l’accumulation de capacités et ainsi d’offrir des capacités contractuelles inutilisées à des tiers à long terme, ne sont entrées en vigueur que le 1er octobre 2013. Elle a également constaté que, pour que Transgaz puisse mettre en œuvre ces mécanismes, lesdites lignes directrices
exigeaient que le régulateur roumain adopte préalablement certaines mesures et que, en l’occurrence, ces mesures n’avaient pas été adoptées avant la fin de la période infractionnelle (voir considérants 293 et 294 de la décision attaquée).

157 Dès lors, les requérantes ne sauraient avancer que l’analyse de la Commission a ignoré que Transgaz était le GRT du gazoduc roumain 1 ou qu’elle n’a pas examiné la question relative aux pouvoirs réglementaires de celle-ci, avant de conclure que Bulgargaz détenait une position dominante sur le marché des services de capacités sur ledit gazoduc.

158 Les requérantes estiment, en tout état de cause, que l’interprétation faite par la Commission du cadre réglementaire applicable est erronée et que l’intervention du régulateur roumain n’était pas requise pour que Transgaz puisse offrir les capacités inutilisées par Bulgargaz sur le gazoduc roumain 1 à des tiers.

159 Or, il convient de rappeler que, pendant la période infractionnelle, le règlement no 715/2009, interprété à la lumière des lignes directrices de 2009 et de celles de 2012, ne permettait pas à Transgaz d’offrir à des tiers les capacités inutilisées par Bulgargaz sur le gazoduc roumain 1 en tant que capacités fermes sans le consentement de celle-ci. En effet, le cadre réglementaire alors applicable ne permettait à Transgaz de retirer unilatéralement les capacités contractuelles inutilisées par
Bulgargaz pour les offrir à des tiers qu’en tant que capacités interruptibles et à court terme, ce qui, ainsi qu’il ressort des points 93 à 111 ci-dessus, aurait été insuffisant pour permettre à Transgaz de donner un accès aux tiers permettant à ceux-ci de respecter leurs obligations à l’égard de leurs clients. En revanche, la possibilité d’offrir des capacités inutilisées en tant que capacités fermes nécessitait l’intervention préalable du régulateur roumain, ainsi qu’il ressort des points 102
à 107 ci-dessus. Or, ce dernier n’a pas pris les mesures nécessaires durant la période infractionnelle.

160 Il s’ensuit que, pendant la période infractionnelle, sans le consentement de Bulgargaz, Transgaz pouvait uniquement offrir à des tiers des services de capacités limités et insuffisants sur le gazoduc roumain 1. Dès lors, le fait que le cadre réglementaire de l’Union permettait à Transgaz d’offrir des capacités inutilisées en tant que capacités à court terme et interruptibles ne suffisait pas pour permettre à celle-ci de contourner les restrictions imposées par l’article 17.1 de l’accord de 2005
et ne pouvait, ainsi, avoir un effet sensible sur le contrôle effectif exercé par Bulgargaz sur le gazoduc roumain 1.

161 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que c’est à juste titre que la Commission n’a pas identifié Transgaz comme étant une réelle source d’approvisionnement alternative pour des tiers souhaitant avoir accès au gazoduc roumain 1 pendant la période infractionnelle.

162 Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments des requérantes.

163 En premier lieu, à l’appui de leur argument selon lequel Transgaz aurait pu retirer à Bulgargaz des capacités sur le gazoduc roumain 1 unilatéralement, les requérantes invoquent le règlement (UE) no 984/2013 de la Commission, du 14 octobre 2013, relatif à l’établissement d’un code de réseau sur les mécanismes d’attribution des capacités dans les systèmes de transport de gaz et complétant le règlement no 715/2009 (JO 2013, L 273, p. 5).

164 Or, il ressort de l’article 28 du règlement no 984/2013 que les dispositions pertinentes de ce règlement ne sont entrées en vigueur que le 1er novembre 2015, soit après la fin de la période infractionnelle. Partant, ces dispositions ne peuvent avoir d’incidence sur l’appréciation des faits et l’argument des requérantes doit être écarté d’emblée comme étant inopérant.

165 En deuxième lieu, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir recueilli le point de vue de Transgaz et celui du régulateur roumain sur la question de savoir si Bulgargaz jouissait d’une position dominante sur le marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1.

166 Cet argument est voué au rejet dans la mesure où, pour évaluer les pouvoirs conférés aux GRT par le droit de l’Union et par le droit national applicable et ainsi prendre position sur le fait de savoir si Bulgargaz jouissait d’une position dominante sur le marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1, l’appréciation juridique de la Commission ne dépendait pas du point de vue de Transgaz ni de celui du régulateur roumain.

167 En troisième lieu, les requérantes avancent, en substance, que la Commission ne pouvait pas conclure que Bulgargaz était dominante sur le marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1, car elle avait déjà conclu, dans l’affaire AT.40335 – Interconnexions gazières en Roumanie (ci-après l’« affaire Transgaz »), que Transgaz occupait une position dominante sur ce même marché.

168 À cet égard, il ressort de la décision C(2020) 1232 de la Commission, du 6 mars 2020, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE (affaire Transgaz), telle que publiée sur son site Internet, que, au terme de l’évaluation préliminaire de cette affaire, la Commission a conclu que Transgaz bénéficiait d’une position dominante au sens de l’article 102 TFUE sur le marché du transport de gaz naturel en Roumanie, y compris le transport au moyen des interconnexions avec les pays
voisins. Elle a toutefois précisé que les trois gazoducs de transit exploités parallèlement par Transgaz, dont le gazoduc roumain 1 fournissant le marché bulgare, ne faisaient pas partie de son évaluation préliminaire, étant donné que ceux-ci n’étaient pas connectés au réseau de transport de gaz roumain (voir considérant 25 de la décision du 6 mars 2020).

169 La Commission n’a donc pas conclu, dans l’affaire Transgaz, que l’entreprise visée par cette enquête occupait une position dominante sur le marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1.

170 Dès lors, il y a lieu de rejeter l’argument des requérantes tiré de ce que les conclusions préliminaires de la Commission dans l’affaire Transgaz l’empêchaient de conclure que Bulgargaz était dominante sur le marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1 pendant la période infractionnelle.

171 Partant, le deuxième grief doit être rejeté.

[omissis]

C. Sur le quatrième moyen, tiré de la constatation erronée d’un abus de position dominante des requérantes

223 Le quatrième moyen s’articule, en substance, autour de six « sous-moyens ». Les trois premiers sont respectivement tirés d’erreurs de droit et de fait entachant la décision attaquée en ce qui concerne la constatation, par les requérantes, d’un refus d’accès :

– au gazoduc roumain 1 ;

– au réseau de transport ;

– à la station de stockage de Chiren.

[omissis]

1.   Principes et jurisprudence applicables

[omissis]

c)   Sur la notion d’« abus de position dominante »

235 Aux termes de l’article 102, premier alinéa, TFUE, est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre les États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.

236 Il incombe donc à une entreprise en position dominante une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur (arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 135 ; voir, également, arrêt du 25 mars 2021, Slovak Telekom/Commission, C‑165/19 P, EU:C:2021:239, point 40 et jurisprudence citée).

237 Si l’article 102 TFUE énumère des pratiques abusives, cette énumération n’épuise pas pour autant les modes d’exploitation abusive de position dominante interdits par le traité FUE (voir arrêt du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C‑95/04 P, EU:C:2007:166, point 57 et jurisprudence citée).

238 Ainsi, selon une jurisprudence constante, la notion d’« exploitation abusive d’une position dominante » au sens de l’article 102 TFUE est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché
ou au développement de cette concurrence [voir arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 148 et jurisprudence citée].

239 Enfin, il doit être rappelé que le caractère abusif d’un comportement du type de celui examiné en l’espèce suppose que celui-ci ait eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction reprochés, en ce sens qu’il était susceptible de rendre plus difficile la pénétration ou le maintien des concurrents sur le marché en cause et, ce faisant, d’avoir une incidence sur la structure de marché. Cette appréciation doit être effectuée au regard de l’ensemble
des circonstances factuelles pertinentes entourant ledit comportement [voir arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 154 et jurisprudence citée, et du 12 mai 2022, Servizio Elettrico Nazionale e.a., C‑377/20, EU:C:2022:379, points 50, 61, 64 et 72 et jurisprudence citée].

240 Toutefois, ces effets d’éviction ne doivent pas être purement hypothétiques. En conséquence, la Commission ne peut pas s’appuyer sur les effets que la pratique en cause pourrait ou aurait pu produire si certaines circonstances particulières, qui n’étaient pas celles prévalant sur le marché au moment de sa mise en œuvre et dont la réalisation apparaissait, alors, peu probable, s’étaient réalisées ou se réalisent (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, Post Danmark, C‑23/14, EU:C:2015:651,
point 65, et du 12 mai 2022, Servizio Elettrico Nazionale e.a., C‑377/20, EU:C:2022:379, point 70).

[omissis]

2.   Sur le premier « sous-moyen », tiré de la constatation erronée d’un refus d’accès au gazoduc roumain 1

[omissis]

b)   Sur la deuxième branche, tirée d’une erreur de droit dans l’application de la théorie des « infrastructures essentielles » en ce qu’un refus d’approvisionnement abusif a été imputé à Bulgargaz, simple utilisatrice du gazoduc roumain 1

250 Les requérantes soutiennent que la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit, en ce qu’elle impute un refus d’approvisionnement abusif sur le gazoduc roumain 1 à Bulgargaz, alors que cette dernière n’était ni la propriétaire ni le GRT de cette infrastructure essentielle et qu’elle n’en est qu’une simple utilisatrice. Or, selon les arrêts du 26 novembre 1998, Bronner (C‑7/97, ci-après l’« arrêt Bronner , EU:C:1998:569), et du 10 juillet 1991, RTE/Commission (T‑69/89, EU:T:1991:39), sur
lesquels la Commission a fondé son analyse au considérant 549 de la décision attaquée, et la jurisprudence postérieure relative au refus d’octroyer un accès à une infrastructure essentielle, un comportement abusif ne pourrait être imputé qu’au propriétaire ou à l’exploitant de ladite infrastructure, en ce sens qu’un accès à des infrastructures essentielles aurait toujours été lié intrinsèquement à la propriété et au contrôle de l’infrastructure ou du service en cause.

[omissis]

254 Ensuite, il ressort des considérants 532 et 549 à 564 de la décision attaquée que la Commission a apprécié la validité du comportement de Bulgargaz sur le marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1 au regard de la jurisprudence issue du point 41 de l’arrêt Bronner et, également, du point 73 de l’arrêt du 10 juillet 1991, RTE/Commission (T‑69/89, EU:T:1991:39).

255 Selon cette jurisprudence, le refus, de la part d’une entreprise en position dominante, de fournir un service auquel les tiers doivent avoir accès pour pouvoir exercer une activité sur un marché voisin, notamment en aval, constitue une violation de l’article 102 TFUE si les trois conditions cumulatives suivantes sont réunies :

– le refus du service est de nature à éliminer toute concurrence, de la part du demandeur dudit service, sur ce marché ;

– le service en cause est indispensable à l’exercice de l’activité du demandeur, en ce sens qu’il n’existe aucun substitut réel ou potentiel à ce service ;

– ledit refus ne peut être objectivement justifié.

256 Les conditions énoncées dans l’arrêt Bronner s’appliquent, en principe, à des infrastructures ou à des services qui sont souvent qualifiés d’« infrastructures essentielles », en ce qu’ils sont indispensables pour exercer une activité sur un marché, dans la mesure où il n’en existe aucun substitut réel ou potentiel [arrêts du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, EU:T:1998:198, points 208 et 212, et du 10 novembre 2021, Google et
Alphabet/Commission (Google Shopping), T‑612/17, sous pourvoi, EU:T:2021:763, point 215], de telle sorte qu’en refuser l’accès peut conduire à l’élimination de toute concurrence de la part du demandeur d’accès.

257 À cet égard, la Cour a déjà souligné que le constat qu’une entreprise dominante avait abusé de sa position en raison d’un refus de contracter avec un concurrent avait pour conséquence que cette entreprise était forcée de contracter avec ce concurrent. Or, une telle obligation est particulièrement attentatoire à la liberté de contracter et au droit de propriété de l’entreprise dominante dès lors qu’une entreprise, même dominante, reste, en principe, libre de refuser de contracter et d’exploiter
l’infrastructure qu’elle a développée pour ses propres besoins (arrêt du 25 mars 2021, Slovak Telekom/Commission, C‑165/19 P, EU:C:2021:239, point 46).

258 Ainsi, la jurisprudence relative aux « infrastructures essentielles » a trait aux situations dans lesquelles cette liberté de contracter et, notamment, le libre exercice d’un droit exclusif, qui sanctionne la réalisation d’un investissement ou d’une création, peut être limitée dans l’intérêt d’une concurrence non faussée dans le marché intérieur, à l’exclusion de tout autre comportement [voir, en ce sens, arrêts du 1er juillet 2010, AstraZeneca/CommissionT‑321/05, EU:T:2010:266, point 679, et du
10 novembre 2021, Google et Alphabet/Commission (Google Shopping), T‑612/17, sous pourvoi, EU:T:2021:763, point 215].

259 En l’espèce, comme le font valoir à juste titre les requérantes, Bulgargaz n’était pas propriétaire du gazoduc roumain 1. Néanmoins, il ressort du dossier ainsi que du point 14 ci-dessus que, en vertu de l’accord de 2005, celle-ci bénéficiait de l’utilisation exclusive de cette infrastructure.

260 À cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, qu’il est constant entre les parties que, pendant la période infractionnelle, le gazoduc roumain 1 était la seule voie viable pour acheminer le gaz russe vers la Bulgarie (voir point 88 ci-dessus). Dès lors, celui-ci constituait une infrastructure indispensable au sens de l’arrêt Bronner (voir point 256 ci-dessus).

261 En second lieu, ainsi qu’il ressort des points 143 et 144 ci-dessus, l’accord de 2005 prévoyait, d’une part, que le gazoduc roumain 1 était réservé à l’usage exclusif de Bulgargaz et, d’autre part, que Transgaz ne pouvait pas offrir de capacités sur ledit gazoduc à des tiers sans obtenir le consentement préalable de celle-ci. Par conséquent, bien que Bulgargaz n’ait pas été la propriétaire du gazoduc roumain 1, le droit exclusif dont elle bénéficiait se concrétisait, pendant la période
infractionnelle, par une situation de contrôle et, donc, par une position dominante sur le marché des services de capacités sur ledit gazoduc dans la mesure où l’accès des tiers au gazoduc roumain 1 était impossible sans son accord.

262 À cet égard, il convient de relever, comme le fait M. l’avocat général Rantos dans ses conclusions dans l’affaire European Superleague Company (C‑333/21, EU:C:2022:993, point 138), que, conformément à la théorie des « infrastructures essentielles », une obligation de coopérer avec ses concurrents peut être imposée à toute entreprise dominante qui possède ou contrôle une « infrastructure essentielle » en la contraignant à conférer à ces derniers un accès à cette infrastructure sans aucune
discrimination.

263 Dans ces circonstances, est dénuée de pertinence la nature du droit exclusif reliant Bulgargaz à l’infrastructure, dans la mesure où ce droit exclusif se concrétisait par une situation de contrôle sur le gazoduc roumain 1 qui constituait une « infrastructure essentielle » au sens de la jurisprudence citée au point 256 ci-dessus. Au demeurant, les requérantes elles-mêmes reconnaissent explicitement que la jurisprudence relative aux « infrastructures essentielles » s’applique à des situations
liées au contrôle de ladite infrastructure, même si elles estiment, à tort, que la qualité de propriétaire est également requise.

264 Or, la nature juridique du lien entre l’entreprise dominante et l’infrastructure ou le service qu’elle contrôle ne saurait être un facteur décisif pour déterminer si un refus d’accès à une « infrastructure essentielle » opposé par une entreprise en position dominante constitue une violation de l’article 102 TFUE.

265 C’est donc à juste titre que la Commission a apprécié le comportement de Bulgargaz sur le marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1 à l’aune, notamment, du point 41 de l’arrêt Bronner.

266 Cette conclusion n’est pas infirmée par le récent arrêt du 12 janvier 2023, Lietuvos geležinkeliai/Commission (C‑42/21 P, EU:C:2023:12), rendu après la clôture de la phase orale de la procédure dans la présente affaire, mais qui a confirmé l’analyse du Tribunal dans l’arrêt du 18 novembre 2020, Lietuvos geležinkeliai/Commission (T‑814/17, EU:T:2020:545). Dans cette affaire, qui concernait la suppression d’une voie ferrée, la Cour a jugé que l’hypothèse de la destruction d’une infrastructure par
une entreprise dominante, situation dans laquelle l’infrastructure devient inévitablement inutilisable non seulement par les concurrents, mais également par l’entreprise dominante elle-même, doit être distinguée de celle d’un refus d’accès, au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Bronner (arrêt du 12 janvier 2023, Lietuvos geležinkeliai/Commission, C‑42/21 P, EU:C:2023:12, points 81 et 83).

267 Dans ce contexte, la Cour a certes confirmé que l’analyse à l’aune des critères issus de l’arrêt Bronner s’imposait en cas de refus d’accès à une infrastructure dont l’entreprise dominante est propriétaire et qu’elle a développée pour les besoins de sa propre activité, au moyen de ses propres investissements. Elle a également conclu que le Tribunal n’avait pas commis d’erreur de droit en jugeant, en substance, que, eu égard à leur finalité, lesdits critères n’ont pas vocation à s’appliquer
lorsque, dans une situation de destruction d’infrastructure, l’infrastructure en cause a été financée au moyen non pas d’investissements propres à l’entreprise dominante, mais de fonds publics et que cette entreprise n’est pas la propriétaire de cette infrastructure (arrêt du 12 janvier 2023, Lietuvos geležinkeliai/Commission, C‑42/21 P, EU:C:2023:12, points 86 et 87).

268 Toutefois, cette jurisprudence n’exclut pas l’application des critères issus de l’arrêt Bronner dans une situation telle que celle de la présente espèce où, d’une part, ainsi qu’il ressort des points 261 à 263 ci-dessus, bien que n’étant pas la propriétaire du gazoduc roumain 1, Bulgargaz bénéficiait d’un droit exclusif sur celui-ci qui se concrétisait, pendant la période infractionnelle, par une situation de contrôle assimilable à celle d’un propriétaire et où, d’autre part, s’il est vrai que
ce n’est pas Bulgargaz qui a développé le gazoduc roumain 1, il n’en demeure pas moins que, au titre de l’accord de 2005, elle acquittait, en contrepartie de l’usage de cette infrastructure, une redevance annuelle fixe constituant ainsi son investissement au regard du droit exclusif qui lui avait été octroyé par Transgaz.

269 Dès lors, la deuxième branche, tirée du fait que l’arrêt Bronner et la jurisprudence qui en est issue quant au refus d’octroyer un accès à une « infrastructure essentielle » ne sauraient être applicables qu’à l’entreprise qui en détiendrait la propriété ainsi que le contrôle doit être rejetée.

[omissis]

g)   Sur la septième branche, tirée de l’absence de valeur probante de la réservation de la totalité de la capacité sur le gazoduc roumain 1

470 Les requérantes contestent, en substance, la valeur probante de la réservation, au profit de Bulgargaz, de la totalité de la capacité du gazoduc roumain 1 pour établir un refus d’approvisionnement, alors qu’aucune demande individuelle d’accès audit gazoduc n’a été refusée.

471 La Commission conteste cette branche.

472 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la réservation de la totalité de la capacité du gazoduc roumain 1, prévue à l’article 17.1 de l’accord de 2005, alors que Bulgargaz n’utilisait qu’une partie limitée de la capacité disponible, est l’un des indices sur lesquels la Commission s’est fondée pour démontrer :

– d’une part et, comme cela a été confirmé dans l’analyse faite dans le cadre du troisième moyen (voir points 133 à 171 ci-dessus), l’existence d’une position dominante de Bulgargaz sur le marché des services de capacités sur le gazoduc roumain 1 ;

– d’autre part, l’existence d’une accumulation de capacités sur le gazoduc roumain 1, constitutive d’un refus d’approvisionnement de la part de Bulgargaz [voir considérant 534, sous a), de la décision attaquée] ; la Commission a ainsi estimé que Bulgargaz aurait dû, soit renoncer à l’exclusivité stipulée à son bénéfice dans l’accord de 2005, soit offrir la capacité du gazoduc roumain 1 sur le marché secondaire selon une procédure objective, transparente et non discriminatoire (voir
considérants 542, 563 et 564 de la décision attaquée).

473 Or, en premier lieu, en vertu d’une jurisprudence constante, la constatation de l’existence d’une position dominante n’implique, par elle-même, aucun reproche à l’égard de l’entreprise concernée. C’est l’exploitation abusive d’une telle position dominante que l’article 102 TFUE interdit (voir arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C‑209/10, EU:C:2012:172, point 21 et jurisprudence citée).

474 Il incombe, à cet égard, à la Commission, pour caractériser une telle exploitation abusive, d’identifier en quoi l’entreprise en cause, en utilisant sa position dominante, a eu recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale, lesquels ont eu pour effet de faire obstacle au maintien du degré de concurrence existant sur le marché ou au développement de cette concurrence (voir arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C‑209/10, EU:C:2012:172, point 24 et jurisprudence
citée).

475 Ainsi, l’exclusivité contractuelle consentie à Bulgargaz par l’accord de 2005, quand bien même cette dernière n’aurait utilisé qu’une partie des capacités du gazoduc roumain 1, ne saurait constituer une exploitation abusive de la position dominante de cette requérante, s’il n’est pas prouvé par la Commission que le comportement de celle-ci, dans les faits, lui avait conféré la capacité d’évincer les concurrents des marchés bulgares de fourniture de gaz, notamment au sens de l’arrêt Bronner et de
la jurisprudence postérieure concernant le refus d’accès à une « infrastructure essentielle » citée aux points 255 et 256 ci-dessus.

476 Or, les faits démontrent que la réservation, par Bulgargaz, de la totalité de la capacité du gazoduc roumain 1, prévue à l’article 17.1 de l’accord de 2005, n’a pas empêché cette dernière, dès la première demande d’accès à la capacité inutilisée dudit gazoduc qu’elle a reçue le23 novembre 2012, d’octroyer à Overgas ledit accès, à compter du 1er janvier 2013, sans que la Commission réussisse à démontrer le caractère tardif ou insatisfaisant de cet accès et donc le fait que le comportement de
Bulgargaz relevait, à cet égard, de l’article 102 TFUE.

477 La Commission n’a pas non plus établi à suffisance de droit que Bulgargaz se serait opposée, de manière abusive, à des demandes d’accès d’autres tiers. Ainsi :

– il ressort du point 284 ci-dessus que la Commission n’a ni démontré ni même allégué que la demande de Transgaz du 24 janvier 2011 constituait une demande d’accès au gazoduc roumain 1 visant à permettre à cet opérateur d’entrer sur les marchés bulgares de fourniture de gaz, ce qu’elle a, par ailleurs, admis lors de l’audience ; selon la jurisprudence, les requérantes n’étaient donc pas tenues d’y répondre favorablement [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18,
EU:C:2020:52, points 42, 43 et 46] ;

– la Commission a aussi concédé ne pas avoir la preuve que Transgaz aurait transmis à Bulgargaz des demandes individuelles d’accès au gazoduc roumain 1 émanant de tiers, notamment celles qu’Overgas lui avaient adressées en 2010 ;

– la Commission n’a pas non plus établi que la demande de C Energy Group du 26 septembre 2013 était suffisamment précise et sérieuse pour constituer une demande d’accès au gazoduc roumain 1 à laquelle Bulgargaz était tenue de répondre (voir analyse de la sixième branche ci-dessus).

478 En outre, la Commission ne pouvait pas s’appuyer sur la supposition selon laquelle, du fait de la réservation par Bulgargaz de la totalité de la capacité du gazoduc roumain 1, des tiers auraient renoncé à présenter des demandes d’accès à cette capacité (voir considérants 278 et 537, in fine, de la décision attaquée). En effet, elle n’a apporté aucun élément établissant une telle renonciation et n’a donc pas satisfait à la charge de la preuve qui lui incombait. Il convient d’ailleurs de souligner
que, en vertu de son article 17.3, l’accord de 2005 et son contenu revêtaient un caractère confidentiel et que la Commission est restée en défaut de démontrer que, en dépit de cette clause de confidentialité, les tiers avaient pu avoir connaissance de la clause d’exclusivité figurant dans l’accord de 2005 au profit de Bulgargaz. En tout état de cause, à supposer que de telles renonciations aient eu lieu, les tiers concernés n’ayant, par définition, déposé aucune demande en ce sens, il ne peut
pas être reproché de refus d’accès à Bulgargaz du fait qu’elle n’ait pas répondu à des demandes qui ne lui ont jamais été adressées.

479 En second lieu, la Commission a considéré que la partie de l’infraction relative au gazoduc roumain 1 ne s’était poursuivie que jusqu’au 1er janvier 2015, c’est-à-dire jusqu’à la date à partir de laquelle Bulgargaz aurait, selon elle, accordé aux tiers un accès audit gazoduc satisfaisant (voir considérant 651 de la décision attaquée).

480 Or, force est de constater que, à cette date, les dispositions de l’accord de 2005 octroyant une exclusivité d’utilisation du gazoduc roumain 1 à Bulgargaz étaient toujours en vigueur. Il n’a, en effet, été mis fin à cette exclusivité contractuelle que le 30 septembre 2016, lorsque l’accord de 2005 a été résilié, soit un an et neuf mois après la fin de la période infractionnelle. Par conséquent, la Commission elle-même a implicitement admis que l’existence de ce droit exclusif contractuel
n’était pas déterminante.

481 Dans ce contexte, l’indice tiré de la réservation, par Bulgargaz, de la totalité de la capacité du gazoduc roumain 1 au titre de l’accord de 2005, alors que celle-ci n’en utilisait qu’une partie, est insuffisant pour établir le prétendu abus sur le marché des capacités dudit gazoduc.

482 La septième branche doit donc être accueillie.

h)   Sur la huitième branche, tirée de l’absence de valeur probante des discussions relatives à la renégociation de l’accord de 2005

483 Les requérantes, soutenues par la République de Bulgarie, contestent la valeur probante des discussions relatives à la renégociation de l’accord de 2005. À cet égard, la décision attaquée établirait erronément que lesdites discussions intergouvernementales constituaient un refus d’octroyer un accès au gazoduc roumain 1 et que Bulgargaz n’avait pas agi d’une manière constructive durant les négociations relatives à l’accord de 2005. À cet égard, elles invoquent trois griefs :

– le caractère intergouvernemental de la renégociation de l’accord de 2005 ;

– le caractère constructif de leur comportement durant les négociations ;

– le fait qu’elles ne sont pas responsables de la durée de ces négociations.

484 La Commission conteste cette branche.

1) Sur le premier grief, tiré du caractère intergouvernemental de la renégociation de l’accord de 2005

485 Les requérantes, soutenues par la République de Bulgarie, font valoir que les discussions sur la renégociation de l’accord de 2005 ont été engagées et se sont tenues à un niveau intergouvernemental, impliquant les autorités gouvernementales et réglementaires de la République de Bulgarie et de la Roumanie. Ces discussions ne pourraient donc être imputées à Bulgargaz. Les requérantes invoquent trois éléments à cet égard :

– « l’adossement » de l’accord de 2005 à l’accord intergouvernemental de 2003 ;

– le fait que la renégociation de l’accord de 2005 a eu pour objet de résoudre les préoccupations soulevées dans la procédure d’infraction contre la Roumanie ;

– le caractère central de la sécurité de l’approvisionnement en gaz de la Bulgarie et du rôle de fournisseur public de Bulgargaz dans la renégociation de l’accord de 2005.

[omissis]

iii) Sur le caractère central de la sécurité de l’approvisionnement en gaz de la Bulgarie et du rôle de Bulgargaz, en tant que fournisseur public, dans la renégociation de l’accord de 2005

529 Les requérantes soutiennent que, dans le cadre de la renégociation de l’accord de 2005, Bulgargaz a agi en qualité de fournisseur public de dernier ressort, chargé d’un service d’intérêt économique général et tenu, à ce titre, de garantir un approvisionnement en gaz dans l’ensemble de la Bulgarie. Selon elles, la proposition de garantie d’une capacité minimale par Transgaz sur le gazoduc roumain 1 à hauteur de [3-4] milliards de mètres cubes (sur une capacité totale de 7,4 milliards de mètres
cubes) par an répondait aux obligations de fourniture publique incombant à Bulgargaz.

530 À cet égard, il ressort du projet de protocole d’accord que la renégociation de l’accord de 2005 devait conduire, d’une part, à la suppression de l’exclusivité d’utilisation du gazoduc roumain 1 au profit de Bulgargaz et, d’autre part, à la modification de la redevance annuelle fixe versée à Transgaz en vertu dudit accord, afin de répondre aux préoccupations de la Commission exprimées dans le cadre de la procédure d’infraction contre la Roumanie.

531 Lors de la réunion du 10 octobre 2012, Bulgargaz a avancé la proposition de garantie d’une capacité minimale à hauteur de [3-4] milliards de mètres cubes par an, tout en indiquant à Transgaz que, en contrepartie, elle était prête à libérer la capacité disponible restante [voir considérant 297, sous h), de la décision attaquée et point 468 ci-dessus].

532 Il a ensuite été convenu, lors de la réunion du 9 décembre 2013 entre Bulgargaz, Transgaz et les autorités régulatrices et gouvernementales de la République de Bulgarie et de la Roumanie, d’arrêter l’approche à adopter pour demander à la Commission d’approuver la proposition de garantie d’une capacité minimale. Les parties se sont ainsi mises d’accord sur une série d’actions pour faire avancer les négociations. Ainsi :

– Bulgargaz devait envoyer une lettre à Transgaz détaillant sa proposition et indiquant qu’elle donnait son accord pour que la capacité sur le gazoduc roumain 1, à l’exception de celle dont elle avait demandé la réservation, soit libérée ;

– le régulateur bulgare devait envoyer une lettre à Transgaz soutenant la modification proposée de l’accord de 2005 et indiquer les raisons justifiant la proposition de garantie d’une capacité minimale ;

– le ministère de l’Économie, de l’Énergie et du Tourisme bulgare devait envoyer une lettre à Transgaz exposant les raisons justifiant de préserver l’accord de 2005 jusqu’à la fin de l’année 2016.

533 À la suite de cette réunion, par sa lettre de 14 décembre 2013 visée au point 525 ci-dessus, Bulgargaz a indiqué à Transgaz qu’elle acceptait de lui restituer les capacités inutilisées sur le gazoduc roumain 1 à condition que le « prix du service de transit », à savoir la redevance annuelle fixe stipulée par l’accord de 2005, soit modifié. Bulgargaz proposait donc de discuter de la modification de la clause d’exclusivité prévue par l’article 17.1 de l’accord de 2005 ainsi que de la redevance
annuelle fixe. Elle indiquait également que, si Transgaz acceptait sa proposition, elle serait prête à signer un accord de modification.

534 Le 13 janvier 2014, le vice-ministre de l’économie de la République de Bulgarie a envoyé à son homologue roumain une lettre exposant les raisons pour lesquelles l’accord de 2005 était important pour la sécurité de l’approvisionnement du pays en gaz (ci-après la « lettre ministérielle bulgare »), laquelle indiquait ce qui suit :

« L’approvisionnement en gaz naturel en Bulgarie est assuré principalement par des importations en provenance d’une seule source (la Fédération de Russie), le long d’une seule liaison (via les territoires de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Roumanie), sur la base de contrats à long terme. Actuellement, les sources et les routes alternatives ne sont pas encore disponibles, les interconnexions avec les réseaux de transport de gaz des pays voisins manquent dans une large mesure, alors que les
capacités de stockage de gaz et surtout les taux de retraits journaliers sont insuffisants. Ces éléments déterminent les risques liés à la sécurité de l’approvisionnement, ce qui a été démontré lors [de la crise] du gaz du mois de janvier 2009 durant [laquelle] la Bulgarie était l’État membre de l’Union européenne le plus touché. La source externe unique et les contrats d’approvisionnement à long terme affectent le faible degré de libéralisation du marché de gaz du pays et déterminent le rôle
important du fournisseur public [Bulgargaz].

Les calculs utilisant la formule N-1 de la norme d’infrastructure, selon l’article 6 du règlement (UE) no 994/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 20 octobre 2010, concernant des mesures visant à garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz, montrent que, en cas de perturbation de la seule plus grande infrastructure gazière (depuis la Russie via l’Ukraine, la Moldavie et la Roumanie), la capacité de l’infrastructure restante (écoulement à rebours depuis la Grèce, augmentation de la
production domestique de gaz et retrait de la station de stockage de Chiren) ne sera pas en mesure de fournir le volume de gaz requis pour satisfaire la demande totale de gaz de la Bulgarie pour un jour de demande exceptionnellement élevée de gaz, ce qui intervient statistiquement une fois tous les 20 ans […] ».

535 Ainsi, la lettre ministérielle bulgare montre que la proposition de garantie d’une capacité minimale était justifiée par la très forte dépendance de la Bulgarie à l’égard du gaz en provenance de Russie pour assurer la sécurité de l’approvisionnement sur son territoire et, partant, à l’égard de l’accès au gazoduc roumain 1, qui était l’unique réseau capable d’acheminer ce gaz vers la Bulgarie.

536 La lettre que le régulateur bulgare a adressée au régulateur roumain le 16 janvier 2014 soulignait, quant à elle, que Bulgargaz était quasi intégralement dépendante, en amont, d’un seul fournisseur de gaz, à savoir Gazprom et ses filiales Overgas et Wintershall Erdgas Handelshaus Zug (ci-après « WIEE »), et que l’accord de 2005 revêtait ainsi une « importance exceptionnelle » pour la sécurité de l’approvisionnement de la République de Bulgarie.

537 Le 13 janvier 2014, Transgaz a répondu à la lettre de Bulgargaz du 14 décembre 2013 visée au point 525 ci-dessus en soulignant que le droit de l’Union et les ordonnances publiées par le régulateur roumain en 2012 exigeaient que toute la capacité sur le gazoduc roumain 1 soit offerte au marché et attribuée d’une manière transparente. Toutefois, compte tenu des circonstances liées à la sécurité de l’approvisionnement en gaz de la Bulgarie ainsi que de l’étroite coopération entre la République de
Bulgarie et la Roumanie, Transgaz acceptait la solution d’offrir au marché uniquement les capacités inutilisées par Bulgargaz, sous réserve de l’approbation de la Commission à cet égard.

538 Transgaz soulignait ainsi que la proposition de Bulgargaz de se voir réserver une partie de la capacité du gazoduc roumain 1 dérogeait, certes, au cadre réglementaire applicable, lequel imposait au GRT d’offrir aux enchères la totalité de la capacité dudit gazoduc sur le marché, mais que, eu égard à la coopération étroite de la République de Bulgarie avec la Roumanie, elle l’acceptait, car elle la considérait comme étant justifiée par la sécurité de l’approvisionnement en gaz de la Bulgarie.

539 Il ressort des échanges mentionnés aux points 531 à 538 ci-dessus que la sécurité de l’approvisionnement en gaz de la Bulgarie et l’importance du gazoduc roumain 1 à cet égard ont été un sujet de préoccupation central dans la renégociation de l’accord de 2005, ce qui explique la forte implication des autorités bulgares dans ces discussions.

540 Le troisième argument des requérantes est donc fondé.

[omissis]

i)   Conclusions sur le premier « sous-moyen »

688 Il résulte de l’ensemble des considérations exposées ci-dessus que les seules branches du premier « sous-moyen » qu’il convient de rejeter sont la première, tirée d’une erreur de droit en ce que l’article 102 TFUE a été appliqué à une clause contractuelle convenue bilatéralement, la deuxième, tirée d’une erreur de droit en ce qu’un refus d’approvisionnement abusif a été imputé à Bulgargaz, simple utilisatrice du gazoduc roumain 1, et la quatrième, tirée d’une motivation insuffisante de la
décision attaquée concernant l’inclusion dans l’infraction d’une restriction d’accès au gazoduc roumain 1 à l’encontre d’Overgas.

689 En revanche, dans la mesure où il ressort de l’analyse des autres branches que la Commission n’a pas apporté de preuves sérieuses, précises et concordantes, au sens de la jurisprudence citée au point 227 ci-dessus, permettant d’établir à suffisance de droit que les comportements reprochés à Bulgargaz concernant l’accès au gazoduc roumain 1 constituaient un refus d’accès susceptible de relever de l’article 102 TFUE, il y a lieu d’accueillir lesdites branches et, partant, le premier
« sous-moyen ».

[omissis]

5.   Conclusion sur le quatrième moyen

1106 Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit un refus d’accès aux trois infrastructures détenues par le groupe BEH susceptible de relever de l’article 102 TFUE en ce qui concerne :

– premièrement, le comportement de Bulgargaz relatif à l’accès au gazoduc roumain 1 entre le 31 janvier 2011 et le 1er janvier 2015 (voir la troisième et les cinquième à huitième branches du premier « sous-moyen » ainsi que les conclusions tirées au point 689 ci-dessus) ;

– deuxièmement, le comportement de Bulgartransgaz relatif à l’accès au réseau de transport entre le 30 juillet 2010 et le 1er janvier 2015 (voir la cinquième branche du deuxième « sous-moyen » ainsi que les conclusions tirées au point 954 ci-dessus) ;

– troisièmement, le comportement de Bulgartransgaz relatif à l’accès à la station de stockage de Chiren avant le 5 juin 2012 (voir points 1092 à 1100 ci-dessus).

1107 En revanche, les éléments du dossier permettent de démontrer que le comportement de Bulgartransgaz concernant l’accès à la station de stockage de Chiren a pu avoir une capacité à restreindre la concurrence sur les marchés bulgares de fourniture de gaz entre le 5 juin 2012 et le 19 septembre 2014 (voir points 1101 à 1104 ci-dessus).

1108 Cela étant, il convient de rappeler que le système de contrôle juridictionnel des décisions de la Commission relatives aux infractions qu’elle constate en application de l’article 102 TFUE consiste en un contrôle de la légalité conformément à l’article 263 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 42).

1109 Or, dans le cadre du contrôle de légalité visé à l’article 263 TFUE, les juridictions de l’Union ne peuvent pas substituer leur propre motivation à celle de l’auteur de l’acte en cause (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, C‑73/11 P, EU:C:2013:32, point 89 et jurisprudence citée). Ainsi que le fait observer Mme l’avocate générale Kokott dans ses conclusions dans l’affaire Frucona Košice/Commission (C‑73/11 P, EU:C:2012:535, point 92), l’interdiction d’une
substitution, par le juge de l’Union, de la motivation de l’auteur de l’acte attaqué est une expression du caractère cassatoire du recours en annulation, lequel repose sur le principe de l’équilibre institutionnel qui caractérise la structure et le fonctionnement de l’Union. Le maintien de cet équilibre institutionnel implique que chacune des institutions exerce ses compétences dans le respect de celles des autres.

1110 Ainsi, si la Commission est compétente pour adopter des décisions appliquant l’article 102 TFUE, le juge de l’Union est, quant à lui, au titre de l’article 263 TFUE, compétent, notamment, pour contrôler la légalité de la motivation de ces décisions, sans pouvoir, en principe, substituer sa propre motivation à celle de la Commission ni compléter la motivation de cette dernière.

1111 À cet égard, il convient de relever que la motivation de la décision attaquée repose sur deux piliers fondamentaux, à savoir, d’une part, la stratégie anticoncurrentielle mise en œuvre par les requérantes visant à protéger la position dominante de Bulgargaz sur les marchés bulgares de fourniture de gaz et, d’autre part, la notion d’« infraction unique et continue ».

1)   La stratégie anticoncurrentielle

1112 La décision attaquée a retenu que les comportements des requérantes relatifs au gazoduc roumain 1, au réseau de transport et à la station de stockage de Chiren, qui ont consisté à empêcher, restreindre et retarder l’accès à chacune de ces infrastructures, s’inséraient dans une stratégie anticoncurrentielle visant à protéger la position dominante de Bulgargaz sur les marchés bulgares de fourniture de gaz, en verrouillant l’accès des tiers auxdits marchés [voir considérant 389, considérant 454,
sous b), et considérants 467, 569, 572 et 643]. Selon la Commission, cette stratégie a été conçue par BEH et mise en œuvre par ses filiales Bulgargaz et Bulgartransgaz (voir considérant 570 de ladite décision).

1113 À cet égard, au considérant 567 de la décision attaquée, la Commission a expliqué que, compte tenu de la nature fragmentée des pratiques en cause, pour prouver cette stratégie d’ensemble, elle s’était fondée sur un faisceau d’indices démontrant :

– la cohérence de l’infraction dans le temps ;

– la nature comparable et la complémentarité des pratiques en cause ;

– la norme commune des comportements des requérantes relatifs à chaque infrastructure, consistant dans la capacité d’évincer les concurrents des marchés bulgares de fourniture de gaz.

1114 Ainsi, la Commission a observé, premièrement, que ces pratiques, consistant à accumuler les capacités sur le gazoduc roumain 1 et à empêcher, restreindre et retarder l’accès au réseau de transport et à la station de stockage de Chiren « se compl[étai]ent et se renfor[çai]ent mutuellement » (voir considérant 577 de la décision attaquée).

1115 Deuxièmement, la Commission a souligné que les « pratiques étaient explicitement liées, en subordonnant l’accès au réseau de transport […] (contrôlé par Bulgartransgaz) à l’accès des tiers au gazoduc roumain 1 (contrôlé par Bulgargaz et soumis à l’autorisation de BEH) » (voir considérant 577 de la décision attaquée). À ce propos, il y a lieu de rappeler que la Commission a conclu que l’exigence de Bulgartransgaz de fournir des preuves de la capacité réservée sur le gazoduc roumain 1 exploité
par Bulgargaz, qui appartenait au même groupe d’entreprises, avait « de facto rendu [l’]accès [au réseau de transport] impossible jusqu’en 2013 » (voir considérants 475 et 480 de la décision attaquée).

1116 Troisièmement, la Commission a indiqué que le réseau de transport était la seule infrastructure susceptible d’acheminer du gaz à la station de stockage de Chiren et que, dès lors, l’accès audit réseau était requis pour obtenir l’accès au stockage. Elle a également constaté que la capacité à accéder à ladite station pendant la période infractionnelle était « indirectement liée à la capacité à accéder au gazoduc roumain 1 [qui] […] était la seule route acheminant du gaz au réseau de transport […]
durant [cette] période » (voir considérant 578 de la décision attaquée).

1117 La Commission a, dès lors, conclu que Bulgartransgaz et Bulgargaz avaient « été en mesure d’influencer et de contribuer conjointement à la prévention, à la restriction et au retardement de l’accès des tiers à l’infrastructure détenue ou contrôlée par le groupe BEH » (voir considérant 579 de la décision attaquée). Elle a, en outre, relevé, d’une part, que Bulgargaz et Bulgartransgaz coordonnaient leur comportement concernant les demandes d’accès des tiers, tout en se traitant mutuellement comme
des entités au sein d’une entreprise intégrée, et que, d’autre part, BEH était directement impliquée dans toutes les pratiques litigieuses (voir considérant 579 de ladite décision).

2)   Une infraction unique et continue

1118 La Commission a conclu que les requérantes avaient commis une infraction unique et continue à l’article 102 TFUE entre le 30 juillet 2010 et le 1er janvier 2015, en refusant aux tiers l’accès au gazoduc roumain 1, au réseau de transport et à la station de stockage de Chiren, ce qui avait conduit à un verrouillage des marchés bulgares de fourniture de gaz (voir articles 1er et 2 et considérants 1, 2 et 450 de la décision attaquée).

1119 Selon la jurisprudence, la notion d’« infraction unique et continue » a trait à un ensemble d’actions qui s’inscrivent dans un plan d’ensemble, en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence dans le marché intérieur. Aux fins de qualifier différents agissements d’infraction unique et continue, il y a lieu de vérifier s’ils présentent un lien de complémentarité, en ce sens que chacun d’entre eux est destiné à faire face à une ou à plusieurs conséquences du jeu normal de la
concurrence et contribuent, par le biais d’une interaction, à la réalisation des objectifs visés dans le cadre de ce plan global. À cet égard, il y a lieu de tenir compte de toute circonstance susceptible d’établir ou de remettre en cause ledit lien, telle que la période d’application, le contenu (y compris les méthodes employées) et, corrélativement, l’objectif des divers agissements en question (arrêts du 28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, T‑446/05,EU:T:2010:165,
point 89 ; du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 892, et du 8 septembre 2016, Arrow Group et Arrow Generics/Commission, T‑467/13, non publié, EU:T:2016:450, point 384).

1120 En l’espèce, pour démontrer que l’ensemble des pratiques des requérantes constituait une infraction unique et continue, aux considérants 608, 609 et 614 de la décision attaquée, la Commission s’est appuyée, en substance, sur le fait que celles-ci s’inséraient dans un « plan global et à long terme de verrouillage des marchés [bulgares] de fourniture de gaz […] au profit de Bulgargaz ».

1121 À cet égard, premièrement, la Commission a de nouveau souligné que Bulgargaz avait elle-même la capacité d’évincer ses concurrents et de restreindre la possibilité d’une concurrence viable sur les marchés bulgares de fourniture de gaz en accumulant des capacités sur le gazoduc roumain 1 (voir considérants 611 et 624 de la décision attaquée).

1122 Deuxièmement, la Commission a relevé que « les trois pratiques du groupe BEH » respectivement liées aux trois infrastructures qu’il contrôlait « se compl[étai]ent et se renfor[çai]ent mutuellement et [avaient] été mises en œuvre dans le seul but de verrouiller les marchés [bulgares] de fourniture de gaz » (voir considérant 612 de la décision attaquée). Elle a, à cet égard, retenu que l’accès au réseau de transport et, partant, à la station de stockage de Chiren était conditionné à l’obtention
préalable d’un accès au gazoduc roumain 1, lequel était, pendant la période infractionnelle, la seule infrastructure disponible pour acheminer du gaz par le biais dudit réseau et, partant, jusqu’à cette station de stockage (voir considérants 51, 578 et 611 de la décision attaquée).

1123 Partant, ainsi qu’il ressort des considérants 578 et 611 de la décision attaquée et ainsi que le souligne, au demeurant, la Commission dans son mémoire en défense, « sans accès au gazoduc roumain 1, les concurrents (potentiels) n’avaient pas d’accès au réseau de transport ni, partant, à [la station] de stockage [de Chiren] ».

1124 Troisièmement, la Commission a répété que Bulgargaz et Bulgartransgaz se coordonnaient en ce qui concernait l’examen des demandes d’accès des tiers et se traitaient mutuellement en tant qu’entités au sein d’une entreprise intégrée (voir considérants 579 et 612 de la décision attaquée).

1125 Quatrièmement, la Commission a retenu, une fois encore, que les pratiques reprochées étaient également « explicitement liées » dans la mesure où « l’accès au réseau de transport (contrôlé par Bulgartransgaz) était subordonné à l’accès des tiers au gazoduc roumain 1 (contrôlé par Bulgargaz) et soumis à l’autorisation de BEH » (voir considérant 612 de la décision attaquée). Elle a souligné que, même après le mois de janvier 2012, BEH avait conservé le contrôle sur Bulgartransgaz, étant donné que
l’accès au réseau de transport, et donc indirectement l’accès à la station de stockage de Chiren, était subordonné à l’obtention préalable d’un accès au gazoduc roumain 1 auprès de Bulgargaz, lui-même subordonné à l’accord préalable de BEH (voir considérant 611 de la décision attaquée).

1126 Selon la Commission, le lien entre lesdites pratiques a permis :

– d’une part, aux trois requérantes d’influencer mutuellement leur comportement, de sorte que, ensemble, elles ont contribué à empêcher, restreindre et retarder l’accès des tiers aux infrastructures détenues ou contrôlées par le groupe BEH ;

– d’autre part, au groupe BEH de coordonner son comportement d’une manière cohérente en appliquant des méthodes similaires (voir considérant 612 de la décision attaquée).

1127 Il résulte de l’ensemble des considérations exposées aux points 1112 à 1126 ci-dessus que :

– ni dans les motifs de la décision attaquée ni d’autant moins dans son dispositif la Commission n’a imputé aux requérantes plusieurs infractions distinctes, dont chacune aurait été respectivement liée à l’une des infrastructures en cause ;

– la stratégie anticoncurrentielle reprochée aux requérantes est un élément constitutif clé de l’infraction unique et continue que leur impute la décision attaquée ; ces dernières sont accusées d’avoir contribué à la mise en œuvre de cette stratégie, qui reposait sur l’interdépendance des comportements relatifs à chacune des trois infrastructures gazières en cause et avait pour seul objectif le verrouillage des marchés bulgares de fourniture de gaz afin de protéger la position dominante de
Bulgargaz sur ces marchés ;

– la Commission a souligné à plusieurs reprises, dans la décision attaquée, que les agissements de Bulgargaz concernant le gazoduc roumain 1 étaient essentiels, et suffisants à eux seuls, pour verrouiller l’accès de ses concurrents potentiels auxdits marchés.

1128 Il s’ensuit que le comportement prétendument abusif relatif au gazoduc roumain 1 constitue le pivot sur lequel reposent l’analyse de la Commission et la motivation de la décision attaquée s’agissant des éléments constitutifs de l’infraction unique et continue constatée.

1129 Dans ce contexte, la circonstance selon laquelle Bulgartransgaz a entravé l’accès de la société C à la station de stockage de Chiren en juin 2012 et celui d’Overgas entre le 1er janvier 2013 et le milieu de l’année 2014 (voir points 1101 à 1104 ci-dessus) et selon laquelle ce comportement avait, à lui seul, la capacité de produire des effets anticoncurrentiels sur les marchés bulgares de fourniture de gaz ne peut justifier, à elle seule, le constat de l’infraction unique et continue à
l’article 102 TFUE imputée aux requérantes par la décision attaquée.

1130 En effet, il convient de rappeler que les articles 1er et 2 de la décision attaquée retiennent à l’égard des requérantes « une infraction unique et continue à l’article 102 [TFUE] en [ce qu’elles ont refusé] l’accès des tiers au réseau de transport […], au gazoduc […] roumain 1 et à [la station de stockage de] Chiren aboutissant à un verrouillage sur les marchés de fourniture de gaz en Bulgarie » du « 30 juillet 2010 [au] 1er janvier 2015 ».

1131 Dès lors, au regard de l’ensemble des comportements reprochés aux requérantes dans la décision attaquée et de l’accent mis par celle-ci sur leur interdépendance, leur complémentarité et leur renforcement mutuel, il ne saurait être déduit du dispositif de la décision attaquée que celui-ci repose sur plusieurs motifs concernant des comportements abusifs distincts dont chacun suffirait, à lui seul, à le fonder.

1132 Or, selon la jurisprudence constante citée aux points 234 et 1109 ci-dessus, dans le cadre du contrôle de légalité au titre de l’article 263 TFUE, le juge de l’Union ne peut pas substituer sa propre motivation à celle de l’auteur de l’acte en cause. En l’espèce, le constat de l’infraction unique et continue imputée aux requérantes dans le dispositif de la décision attaquée, indiquant la nature et l’étendue de ladite infraction aux règles de la concurrence de l’Union et indissociable de sa
motivation, englobe l’ensemble des comportements des requérantes relatifs aux trois infrastructures gazières en cause. Comme cela est relevé aux points 1113 et 1131 ci-dessus, la caractérisation de l’infraction unique et continue se fonde sur la complémentarité et l’interdépendance de la pluralité desdits comportements.

1133 Dans ces conditions, l’unique motif tiré du comportement de Bulgartransgaz concernant la station de stockage de Chiren après le mois de juin 2012 ne saurait, sauf à dénaturer la décision attaquée en substituant une nouvelle appréciation des faits à celle de la Commission en méconnaissance de la jurisprudence citée au point 1109 ci-dessus, constituer la motivation essentielle, voire suffisante, susceptible de fonder à elle seule le dispositif de ladite décision.

1134 Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit l’infraction constitutive de l’abus de position dominante imputé aux requérantes par la décision attaquée.

1135 Il convient, dès lors, d’accueillir le quatrième moyen, sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres « sous-moyens » soulevés par les requérantes.

D. Sur le premier moyen, tiré de l’existence de vices de procédure substantiels affectant l’exercice des droits de la défense des requérantes ainsi que de la violation du principe de bonne administration

[omissis]

1.   Sur les première et deuxième branches, tirées de la violation des obligations d’enregistrement et de versement au dossier des documents relatifs aux réunions de la Commission avec Overgas ainsi que d’un accès insuffisant à ces derniers

1142 Au cours de la procédure administrative, la Commission a organisé, au total, huit réunions avec Overgas, dont :

– les cinq premières, qui ont eu lieu avant la communication des griefs aux requérantes et, plus précisément, les 13 octobre 2010, 13 janvier, 17 mars et 15 décembre 2011 ainsi que le 17 juin 2013 (ci-après les « réunions de 2010 à 2013 ») ;

– les trois réunions restantes, qui ont eu lieu après l’adoption de la communication des griefs et, plus précisément, le 13 octobre 2015 ainsi que les 17 mars et 20 octobre 2016 (ci-après les « réunions de 2015 et 2016 » et, prises avec les réunions de 2010 à 2013, les « réunions avec Overgas »).

1143 La Commission affirme avoir établi, après chacune de ces huit réunions avec Overgas, des notes succinctes non confidentielles ainsi que des comptes rendus détaillés confidentiels. À l’audience, elle a admis qu’elle ne pouvait pas indiquer, avec exactitude, la date de rédaction de ces derniers, mais que, en raison de leur degré de précision, elle présumait qu’ils avaient été rédigés juste après chaque réunion.

1144 En outre, à la suite de chacune de ces réunions avec la Commission, sauf celles du 13 octobre 2015 et du 17 mars 2016, Overgas a soumis des observations écrites (ci-après les « observations de suivi »), dans lesquelles elle a développé les arguments soulevés au cours desdites réunions.

1145 Il ressort également du dossier que les requérantes ont d’abord eu accès, notamment, aux notes succinctes des réunions de 2010 à 2013 ainsi qu’à une version non confidentielle des observations de suivi dans le cadre de l’accès au dossier effectué à la suite de la communication des griefs. Le 5 janvier 2018, à la suite de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632), qui a précisé les obligations d’enregistrement et de tenue du dossier incombant à la Commission dans
les procédures de répression des infractions à la concurrence, elles ont avancé une nouvelle demande visant, notamment, l’accès aux comptes rendus détaillés et aux notes de toute autre éventuelle réunion entre la Commission et Overgas.

1146 Le 23 mars 2018, la Commission a répondu en admettant avoir eu trois réunions avec Overgas après la communication des griefs, à savoir les réunions de 2015 et de 2016, dont elle a, à ce moment, envoyé les notes succinctes aux requérantes. Toutefois, elle a refusé l’accès aux comptes rendus détaillés au motif que, d’une part, ils contenaient des informations confidentielles et, d’autre part, on n’aurait su y trouver aucun élément de preuve qui n’était déjà présent dans les autres documents non
confidentiels auxquels les requérantes avaient eu accès, étant donné qu’elles avaient également eu accès aux observations de suivi.

1147 Les requérantes ont, de ce fait, adressé leur demande d’accès au conseiller-auditeur qui, dans sa réponse du 14 mai 2018, a indiqué qu’il considérait que le refus de divulguer les comptes rendus détaillés était justifié par des raisons de confidentialité et que ces documents ne contenaient pas d’éléments de preuve à décharge additionnels. Toutefois, afin d’équilibrer l’exercice effectif des droits de la défense des requérantes avec les préoccupations légitimes de confidentialité d’Overgas, le
conseiller-auditeur proposait un accès restreint aux comptes rendus détaillés des réunions avec Overgas, par le biais des représentants externes des requérantes, dans le cadre d’une procédure de salle d’information.

1148 En outre, par une lettre du 18 juin 2018 (ci-après la « lettre du 18 juin 2018 »), les requérantes ont demandé à la Commission de leur donner l’accès à une version moins expurgée des observations de suivi, ce que la Commission leur a refusé.

1149 Le 28 juin 2018, les représentants externes des requérantes ont eu accès aux comptes rendus détaillés des réunions avec Overgas, dans le cadre d’une procédure de salle d’information. En conformité avec les instructions données par la Commission, les représentants externes des requérantes ont pu emporter dans la salle d’information des copies, sur support en papier, de la communication des griefs, de l’exposé des faits, des notes succinctes des réunions avec Overgas et des versions non
confidentielles des observations de suivi.

1150 À cette occasion, les représentants externes des requérantes ont rédigé le rapport confidentiel de la salle d’information, dans lequel ils ont exprimé leur point de vue sur les informations qu’ils considéraient comme étant des éléments à décharge figurant dans les comptes rendus détaillés. Une version non confidentielle dudit rapport (ci-après le « rapport non confidentiel de la salle d’information ») a été établie sous le contrôle de la Commission et communiquée aux requérantes. Les
représentants pouvaient utiliser les informations mises à leur disposition dans la salle d’information aux fins de la défense des requérantes, auxquelles, toutefois, ils ne pouvaient divulguer aucune information confidentielle (ordonnance du 14 mars 2022, Bulgarian Energy Holding e.a./Commission, T‑136/19, EU:T:2022:149, points 20 à 22).

1151 Dans le cadre des deux premières branches de leur premier moyen, les requérantes avancent, en substance, deux séries d’arguments :

– la première cible la procédure d’enregistrement et de versement au dossier des notes succinctes et des comptes rendus détaillés ;

– la seconde concerne l’accès accordé aux comptes rendus détaillés et aux observations de suivi.

1152 Aux fins de l’analyse, il convient de vérifier en premier lieu si la Commission a effectivement commis les irrégularités procédurales alléguées par les requérantes ; le cas échéant, il conviendra ensuite d’examiner les conséquences de telles irrégularités sur les droits de la défense de celles-ci, et en particulier de vérifier si, compte tenu des circonstances de fait et de droit spécifiques à la présente affaire, les requérantes ont démontré à suffisance qu’elles auraient pu mieux assurer leur
défense en l’absence de l’irrégularité procédurale commise par la Commission [arrêts du 2 octobre 2003, Thyssen Stahl/Commission, C‑194/99 P, EU:C:2003:527, point 31 ; du 13 décembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T‑827/14, EU:T:2018:930, point 129, et du 15 juin 2022, Qualcomm/Commission (Qualcomm – paiements d’exclusivité), T‑235/18, EU:T:2022:358, points 160 et 202].

2.   Sur l’existence de vices de procédure

1153 À titre liminaire, il convient de relever que l’accès au dossier, prévu à l’article 27, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 et à l’article 15, paragraphes 1 et 2, du règlement no 773/2004, est l’une des garanties procédurales permettant d’appliquer le principe de l’égalité des armes et de protéger les droits de la défense des parties visées par la procédure menée par la Commission. Elles ont le droit d’avoir accès au dossier d’instruction sous réserve des secrets d’affaires d’autres
entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles.

1154 Le droit d’accès au dossier implique que la Commission doit donner à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense. Ceux-ci comprennent tant les pièces à conviction que celles à décharge, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles (voir arrêt du 25 octobre 2011,
Solvay/Commission, C‑109/10 P, EU:C:2011:686, point 54 et jurisprudence citée).

1155 La portée du droit d’accès au dossier comme partie intégrante des droits de la défense a fait l’objet d’une jurisprudence récente qui a mieux précisé les contours des obligations de la Commission, notamment en ce qui concerne les obligations d’enregistrement qui lui incombent [voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632 ; du 15 juin 2022, Qualcomm/Commission (Qualcomm – paiements d’exclusivité), T‑235/18, EU:T:2022:358, et du 14 septembre 2022,
Google et Alphabet/Commission (Google Android), T‑604/18, sous pourvoi, EU:T:2022:541].

1156 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 prévoit que, pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées, la Commission peut interroger toute personne physique ou morale qui accepte de l’être aux fins de la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête. Ladite disposition constitue donc la base juridique habilitant la Commission à procéder à un entretien dans le cadre d’une enquête et a vocation à s’appliquer à tout entretien
visant la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête (arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 84 et 86).

1157 Lorsqu’elle mène un tel entretien, la Commission a, en vertu de l’article 3 du règlement no 773/2004, l’obligation d’enregistrer, sous la forme de son choix, les déclarations faites par les personnes interrogées (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 90 et 91).

1158 Ainsi, s’il est certes permis d’exclure de la procédure administrative les éléments qui n’ont aucun rapport avec les allégations de fait et de droit figurant dans la communication des griefs et qui ne sont, par conséquent, d’aucune pertinence pour l’enquête, il ne saurait appartenir à la seule Commission de déterminer les éléments utiles à la défense de l’entreprise concernée (arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P
et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 126, et du 16 juin 2011, FMC Foret/Commission, T‑191/06, EU:T:2011:277, point 306).

1159 Dans cette perspective, les entretiens visant à collecter des informations sur l’objet de l’enquête et donc relevant de l’article 19 du règlement no 1/2003 doivent faire l’objet d’un enregistrement et ne sauraient être omis du dossier [voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2022, Qualcomm/Commission (Qualcomm – paiements d’exclusivité), T‑235/18, EU:T:2022:358, point 199].

1160 En outre, l’obligation qui incombe à la Commission, au sens de l’article 3 du règlement no 773/2004, d’enregistrer, sous la forme de son choix, les déclarations faites par les personnes interrogées au cours d’une enquête administrative ne peut pas se concrétiser dans la rédaction d’un bref résumé des sujets abordés au cours de l’entretien. La Commission doit être en mesure de fournir une indication de la teneur des discussions qui se sont tenues, en particulier de la nature des renseignements
fournis pendant l’entretien sur les sujets abordés (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 92).

1161 C’est à l’aune de ces principes qu’il y a lieu d’examiner les arguments des requérantes dénonçant des prétendus manquements de la Commission en ce qui concerne ses obligations d’enregistrement ainsi que de versement et d’accès au dossier.

a)   Sur le premier grief, tiré de l’omission d’enregistrer et d’inclure convenablement dans le dossier les déclarations faites au cours des réunions avec Overgas

1162 Les requérantes, soutenues par la République de Bulgarie, font valoir que la façon dont la Commission a enregistré ou omis d’enregistrer ses réunions avec Overgas, tout comme la manière dont elle a versé au dossier les déclarations faites au cours desdites réunions, est contraire aux obligations d’enregistrement découlant de l’article 19 du règlement no 1/2003, lu conjointement avec l’article 3 du règlement no 773/2004. La Commission aurait, de cette manière, également violé les principes de
bonne administration et de transparence ainsi que les droits de la défense des requérantes. Par conséquent, le Tribunal ne pourrait pas exercer son contrôle juridictionnel.

1163 Il y a lieu, à cet égard, de distinguer, d’une part, les arguments se rattachant aux réunions avec Overgas de 2010 à 2013 et, d’autre part, ceux portant sur les réunions de 2015 et de 2016.

1164 Le Tribunal estime qu’il convient de commencer par l’analyse des arguments concernant les réunions de 2015 et de 2016.

1) Sur les réunions de 2015 et de 2016

1165 Les requérantes font valoir que :

– aucun enregistrement concernant les réunions de 2015 et de 2016 n’a été versé au dossier au cours de l’enquête ;

– la Commission n’aurait reconnu l’existence de ces réunions ainsi que celle des comptes rendus détaillés qui y étaient afférents qu’en réponse à une demande des requérantes du 5 janvier 2018, à la suite de laquelle un accès à des notes succinctes a été accordé le 23 mars 2018.

1166 La Commission fait observer que, dès que les requérantes ont demandé si elle avait eu d’autres réunions avec Overgas après la communication des griefs, elle les a informées des réunions de 2015 et de 2016, en leur communiquant les notes succinctes qui y étaient relatives.

1167 À cet égard, la Commission fait valoir qu’au titre du paragraphe 27 de la communication de la Commission relative aux règles d’accès au dossier de la Commission dans les affaires relevant des articles [101 et 102 TFUE], des articles 53, 54 et 57 de l’Accord EEE et du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil (JO 2005, C 325, p. 7), une partie aura accès aux documents reçus après la communication des griefs dans des phases ultérieures de la procédure administrative, uniquement lorsque ces documents
peuvent constituer de nouveaux éléments de preuve, qu’ils soient à charge ou à décharge, relatifs aux allégations formulées à l’égard de cette partie dans la communication des griefs.

1168 Or, selon la Commission, les documents relatifs aux réunions de 2015 et de 2016 ne constituaient ni le fondement des griefs adressés aux requérantes ni de nouveaux éléments de preuve quant aux allégations déjà formulées et, dès lors, il ne lui incombait aucune obligation d’inclure les notes succinctes ou les comptes rendus détaillés des réunions de 2015 et de 2016 dans le dossier et d’y donner accès. Au demeurant, il lui aurait appartenu, à elle seule, de procéder à une appréciation du
caractère potentiellement à décharge de ces documents.

1169 Cependant, il ressort des notes succinctes et des comptes rendus détaillés que les réunions de 2015 et de 2016 visaient à collecter des informations relatives à l’objet de l’enquête ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée.

1170 Dans cette perspective, au vu de la jurisprudence citée aux points 1157 et 1159 ci-dessus, les entretiens visant à collecter des informations sur l’objet de l’enquête et donc relevant de l’article 19 du règlement no 1/2003, tels que les entretiens en cause, doivent faire l’objet d’un enregistrement et ne sauraient être omis du dossier d’instruction.

1171 Certes, la possibilité d’opérer une distinction entre les documents pertinents pour l’enquête et ceux qui ne le sont pas et, par conséquent, d’exclure ces derniers du dossier d’instruction demeure indispensable pour éviter que la Commission ne soit sujette à un fardeau procédural excessif. Néanmoins, il ne lui appartient pas d’écarter un élément du dossier en faisant application de son prétendu pouvoir d’appréciation quant au caractère potentiellement à charge ou à décharge de ces documents,
dès lors que l’absence de toute trace écrite d’un entretien empêcherait le Tribunal de vérifier si la Commission s’est conformée aux dispositions du règlement no 1/2003 et, plus généralement, si les droits des entreprises et des personnes physiques impliquées dans une enquête ont été pleinement respectés.

1172 En outre, l’obligation d’enregistrement prévue à l’article 3 du règlement no 773/2004 serait dépourvue de tout effet utile si l’on permettait à la Commission d’exclure, de sa propre initiative, l’enregistrement de certaines réunions, d’autant plus que, dans les circonstances de la présente affaire, les entretiens ont eu lieu avec Overgas, qui a joué un rôle non négligeable dans la décision de la Commission d’ouvrir et de poursuivre l’enquête et qui alléguait l’existence de pratiques
anticoncurrentielles des requérantes à son égard.

1173 Il s’ensuit que les arguments de la Commission fondés sur l’absence d’obligation d’enregistrer et de verser au dossier les procès-verbaux des réunions de 2015 et de 2016 qui ont eu lieu avec Overgas postérieurement à la communication des griefs sont voués au rejet.

1174 Enfin, dans la mesure où les requérantes soutiennent que la Commission aurait omis de les informer des réunions de 2015 et de 2016, il y a lieu de rappeler que, au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée, la Commission n’a effectivement pas fait état des entretiens qu’elle avait eus avec Overgas après la communication des griefs.

1175 Or, ainsi qu’il ressort des points 1157 et 1159 ci-dessus, la Commission ne saurait omettre d’inclure dans le dossier d’instruction l’enregistrement d’entretiens tels que les réunions de 2015 et de 2016 et, par conséquent, d’en informer les parties.

1176 Il s’ensuit que les arguments des requérantes relatifs aux manquements de la Commission concernant les réunions de 2015 et de 2016 sont fondés, dans la mesure où celle-ci aurait dû procéder à l’enregistrement des déclarations faites au cours de ces dernières et au versement au dossier des documents qui y étaient relatifs ainsi qu’à la mise à jour de l’index du dossier permettant aux requérantes d’être mises au courant des entretiens en cause, sous réserve de la protection de la confidentialité
de certains éléments légitimement invoquée par Overgas.

1177 La Commission a donc commis une irrégularité procédurale en omettant d’enregistrer convenablement les déclarations faites au cours des réunions de 2015 et de 2016 et de les verser au dossier ainsi que d’en informer les requérantes.

2) Sur les réunions de 2010 à 2013

1178 Les requérantes :

– reprochent à la Commission l’absence d’enregistrement convenable des réunions de 2010 à 2013, puisque cette dernière aurait seulement inclus au dossier des notes succinctes ne comportant que des résumés vagues et généraux ; par ailleurs, les notes succinctes n’auraient été versées au dossier que plusieurs années après la tenue de ces réunions, en 2014, ce qui pourrait avoir affaibli leur exactitude ;

– se plaignent de n’avoir découvert qu’en 2018 qu’il existait des comptes rendus détaillés par rapport aux notes succinctes, qui ne figuraient pas dans le dossier ; elles font valoir que la Commission ne pouvait pas expliquer la raison pour laquelle lesdits comptes rendus avaient été gardés en dehors du dossier.

1179 Ces manquements se refléteraient aussi dans l’index du dossier d’instruction, fourni après l’adoption de la communication des griefs, qui n’aurait pas énuméré avec une précision suffisante les documents recueillis au cours de l’enquête et aurait omis d’indiquer, en particulier, les comptes rendus détaillés des réunions avec Overgas.

1180 La Commission rétorque qu’il n’existe aucune exigence qu’un élément de preuve soit versé au dossier et inclus dans l’index relatif au moment auquel les réunions ont eu lieu et les notes pertinentes ont été rédigées. Elle fait valoir que, en tout état de cause, la décision attaquée ne se fonde ni sur les notes succinctes ni sur les comptes rendus détaillés des réunions en cause.

1181 La Commission soutient aussi que, grâce à l’accès donné aux notes succinctes des réunions de 2010 à 2013 après la communication des griefs, les requérantes auraient bien été en mesure d’exercer leurs droits de la défense, ce qu’elles auraient fait en présentant leurs réponses à ladite communication ainsi que des observations ultérieures dans lesquelles elles ont invoqué, en tant que circonstances atténuantes, certains éléments évoqués lors de ces réunions. Elle fait valoir, en outre, que les
observations de suivi déposées par Overgas qui développaient les points soulevés au cours de ces réunions avaient été versées au dossier et divulguées aux requérantes.

1182 À cet égard, il y a lieu de relever que les notes succinctes des réunions avec Overgas auxquelles les requérantes ont eu accès occupent, pour chaque réunion, moins d’une demi-page. Chaque demi-page contient l’indication de la date de la réunion, des participants et des sujets abordés pendant la réunion, décrits en cinq à huit lignes tout au plus.

1183 Le contenu des notes succinctes est ainsi manifestement insuffisant pour rendre compte de la teneur des discussions qui ont effectivement eu lieu entre la Commission et Overgas et, en particulier, de la nature des renseignements fournis par cette dernière sur les sujets abordés.

1184 Or, aucun élément tiré du libellé de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 ou du but qu’il poursuit ne permet d’inférer que le législateur ait entendu introduire une distinction entre, d’une part, des « notes succinctes », finalisées aux fins de l’accès au dossier, et des « comptes rendus détaillés », destinés à rester confidentiels. Une telle interprétation équivaudrait à priver de tout effet utile le droit d’accès au dossier, tel qu’évoqué au point 1153 ci-dessus, ainsi que le
principe d’égalité des armes.

1185 À cet égard, est dénué de pertinence le fait, évoqué par la Commission, que la décision attaquée ne repose ni sur les notes succinctes ni sur les comptes rendus détaillés. Le droit d’accès au dossier implique en effet que la Commission doit donner à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission,
C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 68).

1186 Il en découle que, s’agissant des notes succinctes des réunions de 2010 à 2013, la Commission n’a pas respecté les obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 19 du règlement no 1/2003, lu conjointement avec l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 773/2004 et à la lumière de la jurisprudence citée aux points 1157 et 1159 ci-dessus. Ce manquement s’est manifesté, d’une part, par l’introduction d’une distinction injustifiée entre deux types de documents, à savoir les comptes rendus
détaillés, destinés à l’utilisation interne, et les notes succinctes, destinées au dossier et ainsi à l’accès des requérantes et, d’autre part, par l’insuffisance manifeste de ces dernières à rendre compte de la teneur des discussions entre la Commission et Overgas, en particulier de la nature des renseignements fournis par cette dernière sur les sujets abordés, ainsi que le requiert la jurisprudence citée au point 1160 ci-dessus.

1187 En revanche, le Tribunal estime que l’écart temporel entre les réunions de 2010 à 2013 et le versement au dossier, en 2014 seulement, des notes succinctes s’y rapportant ne permet pas de conclure, à lui seul et en l’absence d’autres éléments de preuve ou, à tout le moins, d’indices sérieux, que la Commission aurait manqué à ses obligations quant à l’accès au dossier.

1188 En premier lieu, en dépit du versement tardif des notes succinctes des réunions avec Overgas, les requérantes ont eu la possibilité d’en tenir compte et d’exercer leurs droits de la défense, non seulement en présentant leurs réponses à la communication des griefs, mais aussi et surtout, ainsi qu’il ressort du point 1147 ci-dessus, en faisant valoir auprès du conseiller-auditeur leur demande d’accès aux comptes rendus détaillés, qui a donné lieu à l’octroi d’un accès dans le cadre d’une salle
d’information.

1189 En second lieu, s’agissant de l’argument du prétendu manque d’exactitude des notes succinctes des réunions de 2010 à 2013, tiré du fait de leur versement tardif au dossier, à supposer même que la Commission ait préparé lesdites notes en 2014, la fiabilité de leur contenu aurait été susceptible d’être affectée seulement si les comptes rendus détaillés portant sur les mêmes réunions, qui auraient nécessairement constitué la base pour la rédaction desdites notes succinctes, avaient également été
rédigés en 2014. En de telles circonstances, l’écoulement d’une période significative entre, d’une part, les réunions et, d’autre part, la préparation des comptes rendus détaillés qui y sont relatifs pourrait susciter des doutes quant à leur précision et, par voie de conséquence, quant à celle des notes succinctes dont ils sont tirés.

1190 Or, en l’espèce, les requérantes n’apportent aucun élément de preuve ou indice permettant de conclure que les comptes rendus détaillés auraient été préparés des années après la tenue, notamment, des réunions de 2010 à 2013. Au contraire, ainsi que l’a fait valoir la Commission lors de l’audience, le niveau de précision desdits comptes rendus constitue un indice démontrant qu’ils ont été rédigés à une date proche de celle des réunions auxquelles ils se rattachent.

1191 Au vu des considérations qui figurent aux points 1182 à 1186 ci-dessus, les arguments des requérantes relatifs aux manquements de la Commission concernant les réunions de 2010 à 2013 sont fondés, dans la mesure où les notes succinctes étaient manifestement insuffisantes pour rendre compte de la teneur des discussions entre la Commission et Overgas, au sens de la jurisprudence citée au point 1160 ci-dessus.

1192 La Commission a donc commis une irrégularité procédurale en omettant d’enregistrer convenablement les déclarations faites au cours des réunions de 2010 à 2013 et de les verser au dossier.

1193 Quant à l’argument de la Commission selon lequel il aurait été remédié à tout possible manquement découlant de la nature excessivement vague et générale des notes succinctes, d’une part, par l’accès à des versions non confidentielles des observations de suivi et, d’autre part, par l’accès aux comptes rendus détaillés dans le cadre de la procédure en salle d’information, les requérantes soutiennent, en substance, qu’à cause des fortes occultations, l’accès à ces documents n’aurait été d’aucune
utilité pour leur défense. Ainsi, cet argument et le second grief se recoupent et, dès lors, il convient d’en faire une analyse conjointe.

b)   Sur le second grief, relatif à l’accès aux comptes rendus détaillés et aux observations de suivi

1194 Les requérantes reprochent à la Commission, d’une part, de leur avoir donné un accès restreint aux comptes rendus détaillés et, d’autre part, de leur avoir refusé l’accès à une partie des observations de suivi, sous prétexte de la confidentialité des informations figurant dans ces documents.

1195 Ainsi, en premier lieu, les requérantes contestent que le droit d’accès aux comptes rendus détaillés des réunions avec Overgas a été remplacé, à la suite de nombreuses demandes visant l’accès, par un accès restreint, par l’intermédiaire de leurs représentants externes, dans le cadre d’une procédure de salle d’information. Le rapport rédigé par ceux-ci, transmis aux requérantes en version non confidentielle, aurait été, en raison des fortes occultations, dénué de valeur pour leur défense.

1196 En revanche, la Commission insiste sur le fait que l’accès accordé, aux représentants externes des requérantes, aux comptes rendus détaillés des réunions avec Overgas dans le cadre de la procédure de salle d’information aurait permis aux requérantes d’exprimer leur point de vue sur les informations y figurant et, ainsi, d’exercer leurs droits de la défense, tout en étant respectueux des préoccupations légitimes d’Overgas en matière de confidentialité.

1197 En second lieu, les requérantes estiment que les observations de suivi confidentielles auraient potentiellement pu contenir des éléments de preuve à décharge, de sorte qu’un accès à une version moins expurgée de ces documents leur aurait permis de mieux exercer leurs droits de la défense.

1198 La Commission rétorque que, précisément grâce à l’accès aux observations de suivi, les requérantes auraient été mises en mesure d’exercer leurs droits de la défense en présentant leurs réponses à la communication des griefs.

1199 La Commission souligne également que, entre l’accès au dossier et la présentation de leur réponses à la communication des griefs, les requérantes ne se sont jamais plaintes de ne pas avoir pu exercer leurs droits de la défense de manière effective en raison de l’occultation des parties confidentielles des observations de suivi. En outre, toute demande d’accès ultérieure aurait été tardive et injustifiée, étant donné que les requérantes avaient déjà exercé leur droit d’être entendues au sujet de
ces documents.

1200 De plus, la Commission fait valoir que la plupart des observations de suivi n’auraient fait l’objet d’aucune occultation et qu’elle n’aurait pas utilisé les informations expurgées dans le cadre de son analyse ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée.

1201 Il ressort des points 1194 à 1200 ci-dessus que, en substance, les arguments avancés par les parties dans le cadre de ce grief soulèvent deux questions, qu’il convient d’analyser dans l’ordre qui suit :

– la première question porte sur l’absence de contestation immédiate quant aux occultations dans les observations de suivi auxquelles les requérantes ont eu accès ;

– la seconde question porte sur les occultations prétendument excessives, d’une part, dans les comptes rendus détaillés qui ont fait l’objet d’un accès dans la salle d’information et, d’autre part, dans les observations de suivi.

1) Sur l’obligation de contestation immédiate quant aux occultations dans les observations de suivi

1202 S’agissant de la lettre du 18 juin 2018, par laquelle les requérantes ont demandé l’accès à une version moins expurgée des observations de suivi, la Commission fait valoir que la divulgation des versions non confidentielles de ces observations aux requérantes avait déjà eu lieu les 2 et 8 avril 2015 et que, jusqu’à la présentation de leurs réponses à l’exposé des faits le 9 décembre 2016, celles-ci n’avaient jamais indiqué qu’elles ne pouvaient pas exercer leurs droits de la défense de manière
effective en raison des occultations y figurant.

1203 En effet, il ressort de la lettre du 18 juin 2018 que la demande d’accès à des versions moins expurgées des observations de suivi était liée au fait que, lors de la constitution de la salle d’information, la Commission avait autorisé les représentants externes des requérantes à y introduire, parmi d’autres documents, les versions expurgées des observations de suivi. En avançant leur demande, les requérantes ont précisé, pour chacune des observations de suivi, quel rôle les informations
expurgées auraient pu jouer dans l’élaboration de leur défense, aussi au regard des nouveaux éléments qui auraient pu ressortir de l’accès en salle d’information.

1204 La demande des requérantes visant l’accès à des observations de suivi moins expurgées a donc été indirectement déclenchée, en substance, par l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632). En effet, c’est en s’appuyant sur cette jurisprudence nouvelle, renforçant leurs droits de la défense, que les requérantes ont demandé à la Commission, le 5 janvier 2018, de leur octroyer l’accès à des notes complètes et détaillées de tous les éventuels appels et réunions avec
Overgas. Cette démarche, ainsi qu’il ressort du point 1203 ci-dessus, a donné lieu à la procédure de salle d’information, en vue de laquelle les requérantes ont reçu les règles détaillées qui en fixaient le fonctionnement. Ces règles prévoyaient, notamment, que les versions expurgées des observations de suivi faisaient partie du nombre limité de documents que les représentants externes des requérantes pouvaient apporter dans la salle d’information.

1205 À cet égard, il ne saurait être exclu qu’une version plus complète des observations de suivi aurait pu permettre aux requérantes d’avoir une meilleure compréhension des documents auxquels elles ont eu accès dans la salle d’information par le biais de leurs représentants externes et, par conséquent, d’exercer leurs droits de la défense d’une manière plus efficace. Dans ces circonstances, il ne saurait leur être reproché de n’avoir demandé qu’à ce stade un accès plus ample auxdites observations
de suivi.

1206 Il s’ensuit que l’absence de contestation immédiate quant aux occultations dans les observations de suivi divulguées aux requérantes après la communication des griefs ne peut pas être opposée à ces dernières pour les empêcher de faire valoir la violation de leurs droits de la défense.

2) Sur l’accès aux documents mis à disposition dans la salle d’information et aux versions excessivement expurgées des observations de suivi

1207 Lorsqu’il s’agit d’octroyer ou de refuser l’accès à une partie du dossier pendant des procédures d’enquête, la Commission est, en particulier, tenue de mettre en balance le droit à la protection des secrets d’affaires des entreprises avec la garantie des droits de la défense (arrêts du 29 juin 1995, ICI/Commission, T‑36/91, EU:T:1995:118, point 98, et du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T‑210/01, EU:T:2005:456, point 631).

1208 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’ordonnance du 26 mai 2021, Bulgarian Energy Holding e.a./Commission (T‑136/19, non publiée) et à l’article 91, sous b), du règlement de procédure, et compte tenu des garanties prévues à l’article 103, paragraphe 1, dudit règlement, la Commission a déposé au dossier :

– les comptes rendus détaillés des réunions avec Overgas et les demandes de confidentialité de cette dernière relatives à ceux-ci ;

– les versions confidentielles des observations de suivi ;

– le rapport confidentiel de la salle d’information.

1209 Puis, le Tribunal a, dans le cadre de l’ordonnance du 14 mars 2022, Bulgarian Energy Holding e.a./Commission (T‑136/19, EU:T:2022:149), et conformément à l’article 103, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure, examiné les documents visés au point 1208 ci-dessus sur la base des éléments de droit et de fait invoqués par la Commission quant au caractère confidentiel desdits documents à l’égard des requérantes ainsi qu’à leur pertinence pour statuer sur le litige au vu, là où cela s’avérait
nécessaire, de mettre cette confidentialité en balance avec les exigences du droit à une protection juridictionnelle effective, notamment avec le principe du contradictoire (ordonnance du 14 mars 2022, Bulgarian Energy Holding e.a./Commission, T‑136/19, EU:T:2022:149, points 5 à 10).

1210 En particulier, le Tribunal a relevé que les représentants externes des requérantes avaient été autorisés par la Commission à communiquer à leurs clientes uniquement la version non confidentielle de leur rapport de la salle d’information (ordonnance du 14 mars 2022, Bulgarian Energy Holding e.a./Commission, T‑136/19, EU:T:2022:149, points 20 à 22).

1211 Or, il ressort de l’analyse menée aux points 26 et 27 de l’ordonnance du 14 mars 2022, Bulgarian Energy Holding e.a./Commission (T‑136/19, EU:T:2022:149), que plusieurs éléments qui avaient été occultés dans le rapport non confidentiel de la salle d’information n’avaient pas, ou, en toute hypothèse, n’avaient plus, de caractère confidentiel. Le Tribunal a donc versé au dossier le rapport confidentiel de la salle d’information, sous réserve de deux brefs éléments dépourvus de pertinence pour
statuer sur le litige.

1212 À cet égard, il ressort de l’analyse de la version non confidentielle du rapport de la salle d’information à laquelle les requérantes ont eu accès que celle-ci ne contenait, en substance, aucun élément supplémentaire au regard des notes succinctes auxquelles elles avaient eu accès, auparavant, au cours de la procédure administrative.

1213 Or, à supposer même que, au moment de la procédure de la salle d’information, certains éléments figurant dans la version confidentielle du rapport de la salle d’information, surtout s’agissant des éléments ressortant des comptes rendus détaillés des réunions de 2015 et de 2016, aient pu conserver une nature confidentielle, les informations figurant dans les comptes rendus détaillés des réunions de 2010 à 2013 revêtaient désormais une nature historique.

1214 Il s’ensuit que la Commission n’était pas en droit d’expurger le rapport de la salle d’information de tout élément pertinent au point que la version non confidentielle de celui-ci ait été pratiquement équivalente aux notes succinctes.

1215 En effet, une telle situation risque, en pratique, de compromettre le but de la procédure de salle d’information, à savoir protéger les informations confidentielles tout en donnant accès aux preuves dont une partie a besoin pour étayer sa position. Il en va d’autant plus ainsi que, comme l’ont fait valoir les requérantes, la procédure de salle d’information, telle qu’elle s’est déroulée en l’espèce, était susceptible d’affecter les droits de la défense des requérantes, qui n’ont pu les exercer
qu’indirectement, par l’intermédiaire de leurs représentants externes.

1216 Il découle des considérations exposées aux points 1207 à 1215 ci-dessus que, en octroyant aux requérantes un accès au dossier excessivement restreint dans le cadre de la procédure de salle d’information, la Commission a commis une irrégularité procédurale susceptible d’engendrer une violation des droits de la défense des requérantes.

1217 S’agissant ensuite des observations de suivi, en premier lieu, il y a lieu de relever que, pour les réunions de 2015 et de 2016, Overgas a uniquement déposé de telles observations en ce qui concernait la réunion du 20 octobre 2016. Le Tribunal rappelle que, comme cela a été constaté aux points 51 à 57 de l’ordonnance du 14 mars 2022, Bulgarian Energy Holding e.a./Commission (T‑136/19, EU:T:2022:149), ce document est dépourvu de pertinence pour statuer sur le litige.

1218 En deuxième lieu, ainsi qu’il ressort du point 49 de l’ordonnance du 14 mars 2022, Bulgarian Energy Holding e.a./Commission (T‑136/19, EU:T:2022:149), la version prétendument non confidentielle des observations de suivi de la réunion du 17 juin 2013 ne comportait aucune occultation.

1219 En troisième lieu, à la suite de la vérification de la nature des informations figurant dans les observations de suivi portant sur les quatre premières réunions de 2010 à 2013, le Tribunal a octroyé aux requérantes un accès à des versions moins expurgées de ces dernières (ordonnance du 14 mars 2022, Bulgarian Energy Holding e.a./Commission, T‑136/19, EU:T:2022:149, points 34 à 48).

1220 À cet égard, le Tribunal constate que les informations figurant dans les observations de suivi des réunions de 2010 à 2013 avaient déjà perdu leur nature confidentielle au moment où les requérantes en avaient, par la lettre du 18 juin 2018, demandé l’accès.

1221 Par conséquent, en refusant l’accès à des versions moins expurgées des observations de suivi, notamment à celles des réunions du 13 octobre 2010 ainsi que des 13 janvier, 17 mars et 15 décembre 2011, la Commission a également commis une irrégularité procédurale susceptible d’engendrer une violation du droit de la défense des requérantes.

c)   Conclusion sur les vices de procédure

1222 Il résulte des considérations exposées aux points 1177, 1192 et 1211 à 1221 ci-dessus que la Commission a commis une irrégularité procédurale en refusant aux requérantes un accès au dossier suffisant pour garantir l’exercice de leurs droits de la défense.

1223 Ainsi, au sens de la jurisprudence citée au point 1152 ci-dessus, il y lieu, à ce stade, de déterminer si, compte tenu des circonstances de fait et de droit spécifiques de la présente affaire, les requérantes ont démontré à suffisance qu’elles auraient pu mieux assurer leur défense en l’absence de l’irrégularité procédurale commise par la Commission. En effet, en l’absence d’une telle démonstration, aucune violation des droits de la défense ne saurait être établie [arrêt du 14 septembre 2022,
Google et Alphabet/Commission (Google Android), T‑604/18, sous pourvoi, EU:T:2022:541, point 934].

3.   Sur les incidences des irrégularités constatées dans la garantie des droits de la défense des requérantes

1224 Dans leurs observations déposées le 27 avril 2022 (ci-après les « observations du 27 avril 2022 »), à la suite de la production des documents non confidentiels par la Commission en exécution de l’ordonnance du 14 mars 2022, Bulgarian Energy Holding e.a./Commission (T‑136/19, EU:T:2022:149), les requérantes ont apporté des précisions pour démontrer de manière concrète que l’accès à certains éléments du dossier, non divulgués pendant la procédure administrative, leur aurait permis de mieux
assurer leur défense.

1225 C’est à l’aune de ces arguments qu’il convient de procéder à l’analyse, notamment, des éléments de preuve qui ont été divulgués aux requérantes à la suite de l’ordonnance du 14 mars 2022, Bulgarian Energy Holding e.a./Commission (T‑136/19, EU:T:2022:149), et qui, en raison de leur provenance, de leur précision et des circonstances dans lesquelles Overgas les a fournis à la Commission, auraient permis aux requérantes d’étayer de manière significative ou de consolider certains arguments dans leur
défense.

1226 À cet égard, il y a lieu de souligner d’emblée que la violation du droit d’accès au dossier n’est pas régularisée du simple fait que l’accès a été rendu possible, comme en l’espèce, au cours de la procédure juridictionnelle. En effet, se limitant à un contrôle juridictionnel des moyens soulevés, l’examen du Tribunal n’a ni pour objet ni pour effet de remplacer une instruction complète de l’affaire dans le cadre d’une procédure administrative. Par ailleurs, la prise de connaissance tardive de
certains documents du dossier ne replace pas l’entreprise qui a introduit un recours à l’encontre d’une décision de la Commission dans la situation qui aurait été la sienne si elle avait pu s’appuyer sur les mêmes documents pour présenter ses observations écrites et orales devant cette institution avant l’adoption de la décision attaquée [arrêts du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C‑110/10 P, EU:C:2011:687, point 51, et du 15 juin 2022, Qualcomm/Commission (Qualcomm – paiements
d’exclusivité), T‑235/18, EU:T:2022:358, point 200].

a)   Sur les éléments non divulgués des comptes rendus détaillés

1227 Dans leurs observations du 27 avril 2022, les requérantes soulignent l’existence d’une pluralité d’éléments qui ressortiraient des résumés des comptes rendus détaillés figurant dans le rapport confidentiel de la salle d’information, auxquels elles ont eu accès en exécution de l’ordonnance du 14 mars 2022, Bulgarian Energy Holding e.a./Commission (T‑136/19, EU:T:2022:149), qui étaient susceptibles de leur permettre de mieux assurer leur défense. Le Tribunal estime qu’il suffit, aux fins de
l’examen requis au sens de la jurisprudence citée aux points 1152 et 1223 ci-dessus, de concentrer l’analyse sur les éléments suivants.

1228 En premier lieu, les requérantes font valoir qu’il ressort du résumé de la réunion du 13 octobre 2010 qu’Overgas estimait qu’elle était empêchée d’approvisionner en gaz des clients en Bulgarie par le gouvernement bulgare. Il ressortirait notamment de ce même résumé qu’Overgas considérait les marchés bulgares de fourniture de gaz comme étant très difficiles à exploiter en raison de la transposition incorrecte et incomplète des directives de l’Union et de l’ingérence constante du gouvernement en
faveur de Bulgargaz et de Bulgartransgaz.

1229 Le Tribunal relève qu’il ressort en revanche des observations de suivi du 18 novembre 2010, auxquelles les requérantes ont eu accès pendant la procédure administrative, qu’Overgas considérait que les requérantes commettaient des violations de l’article 102 TFUE avec le soutien du régulateur bulgare et du gouvernement bulgare.

1230 Ainsi, le Tribunal estime que les précisions des requérantes quant à l’utilité des déclarations figurant au point 1228 ci-dessus pour l’exercice de leurs droits de la défense sont fondées. En effet, il s’agit d’éléments qui auraient pu avoir la capacité de confirmer et d’étayer l’argument des requérantes d’après lequel les difficultés rencontrées par Overgas pour pénétrer sur les marchés bulgares de fourniture de gaz ne leur étaient pas imputables, en particulier au vu du fait que la Commission
avait, face aux allégations d’Overgas, évoqué la possibilité que lesdites difficultés soient dues à des erreurs ou à des manquements dans la transposition de la législation européenne de la part de la République de Bulgarie.

1231 En deuxième lieu, les requérantes soulignent, dans leurs observations du 27 avril 2022, qu’il ressort du résumé de la réunion du 13 janvier 2011 qu’Overgas considérait que Transgaz, et non elles, contrôlait l’accès au gazoduc roumain 1.

1232 Or, la décision attaquée indique, au considérant 296, qu’Overgas avait contacté Transgaz pour demander l’accès au gazoduc roumain 1, sans pour autant faire état de sa déclaration explicite quant à l’entité exerçant le contrôle sur ledit gazoduc. Le Tribunal estime, à l’instar des requérantes, que la déclaration en question était susceptible d’être utilisée à décharge pour étayer la position des requérantes, telle qu’enoncée au point 282 de la décision attaquée, selon laquelle Transgaz était, en
tant que GRT, l’entité chargée d’octroyer et de gérer l’accès des tiers au gazoduc roumain 1.

1233 En troisième lieu, les requérantes font valoir qu’il ressort du résumé de la réunion du 15 décembre 2011 que la Commission et Overgas étaient d’accord sur le fait que la première demande d’accès au réseau de transport avait été présentée le 29 septembre 2010, ce qui confirmerait leur position selon laquelle tous les contacts antérieurs à cette date ne constituaient pas des demandes d’accès et selon laquelle, par conséquent, l’abus n’aurait pas pu commencer le 30 juillet 2010.

1234 Dans le cadre du deuxième « sous-moyen » de leur quatrième moyen, les requérantes font valoir que la lettre du 30 juillet 2010 ne pouvait pas constituer une demande d’accès au réseau de transport et que la Commission a erronément qualifié, au considérant 101 de la décision attaquée, les contacts entre Overgas et Bulgartransgaz antérieurs au 29 septembre 2010 de demandes d’accès audit réseau. Comme il ressort des points 790 à 797 ci-dessus, le résumé de la réunion du 15 décembre 2011 démontre
clairement que la Commission avait elle-même constaté, au cours de cette réunion, que la première demande d’accès d’Overgas à Bulgartransgaz datait du 29 septembre 2011. Cet élément, qui ne concorde pas avec les considérations exposées par la Commission dans la décision attaquée, a une portée évidente sur l’appréciation de la date du début du prétendu abus, sur l’appréciation du comportement des requérantes ainsi que sur la durée de l’infraction et, partant, sur le niveau de l’amende. C’est
donc à juste titre que les requérantes soutiennent que la divulgation de cet élément aurait pu leur permettre de mieux assurer leur défense.

1235 En quatrième lieu, il ressort du résumé de la réunion du 17 juin 2013 qu’Overgas avait, notamment, confirmé à la Commission avoir accès au gazoduc roumain 1 ainsi qu’au réseau de transport depuis le 1er janvier 2013 et que, pour ces deux infrastructures, la durée des accords pertinents avait été prolongée jusqu’au 31 décembre 2013. Selon les requérantes, cette déclaration leur aurait permis de renforcer leur argument selon lequel aucun abus n’avait eu lieu postérieurement à l’accès d’Overgas au
gazoduc roumain 1 et au réseau de transport le 1er janvier 2013.

1236 À cet égard, il convient de relever que, déjà au stade de la requête, les requérantes avaient soutenu, comme elles l’avaient fait pendant la procédure administrative, qu’Overgas n’avait jamais demandé que le contrat d’accès au gazoduc pour 2013 soit valable pendant une période particulière et qu’elle n’en avait jamais contesté la durée de trois mois. Elles ont également contesté le caractère restrictif de l’accès au réseau de transport accordé à Overgas pour l’année 2013.

1237 Dans ces circonstances, le fait que, ainsi qu’il ressort du résumé de sa réunion avec la Commission du 17 juin 2013, soit quelques mois après la signature du contrat d’accès au gazoduc pour 2013, Overgas n’ait pas manifesté son insatisfaction quant à l’accès octroyé au gazoduc roumain 1 et au réseau de transport aurait pu être utilisé par les requérantes pour étayer leur argument quant à l’absence d’abus relatifs auxdites infrastructures, à tout le moins à partir de 2013.

1238 Il découle ainsi des considérations exposées aux points 1228 à 1237 ci-dessus que les requérantes ont établi à suffisance de droit que, en l’absence de l’irrégularité de procédure commise par la Commission à l’égard de l’accès aux éléments figurant dans les comptes rendus détaillés, elles auraient eu accès à des éléments qui auraient été susceptibles de leur permettre de mieux assurer leur défense (arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C‑110/10 P, EU:C:2011:687, point 52). De surcroît,
ainsi qu’il ressort des points 1233 et 1234 ci-dessus, lus en combinaison avec les points 790 à 797 ci-dessus, certains des éléments indiqués par les requérantes dans leurs observations du 27 avril 2022 auraient même pu mettre en cause le contenu de la décision attaquée.

b)   Sur les éléments non divulgués des observations de suivi

1239 Dans leurs observations du 27 avril 2022, les requérantes concentrent leurs critiques, portant sur l’accès trop restreint accordé aux observations de suivi au cours de la procédure administrative, sur deux documents.

1240 En premier lieu, les requérantes font valoir qu’il ressort des observations de suivi du 18 novembre 2010 dans leur version la moins expurgée, à laquelle elles ont eu accès en vertu de l’ordonnance du 14 mars 2022, Bulgarian Energy Holding e.a./Commission (T‑136/19, EU:T:2022:149), qu’Overgas avait reconnu que la demande résultant des prétendus accords pour l’approvisionnement de neuf clients industriels en 2011 s’élevait à plus de 260 millions de mètres cubes. Les requérantes mettent en exergue
que ces quantités étaient considérablement inférieures au volume pour lequel, ainsi qu’il ressort du considérant 101, sous e), de la décision attaquée, Overgas avait cherché à accéder au réseau de transport, qui s’élevait à plus d’un milliard de mètres cubes.

1241 Le Tribunal constate que les requérantes auraient pu mieux assurer leurs droits de la défense en utilisant l’élément visé au point 1240 ci-dessus pour étayer leur argument tiré du fait qu’Overgas avait gonflé considérablement les quantités pour lesquelles elle demandait un accès au réseau de transport en 2011 et que, dès lors, elles avaient été contraintes de demander des éclaircissements lors de la réunion tenue avec Overgas le 1er décembre 2010.

1242 En second lieu, les requérantes font valoir qu’il ressort des observations de suivi du 10 juin 2011, dans une version moins confidentielle à laquelle elles ont eu accès en exécution de l’ordonnance du 14 mars 2022, Bulgarian Energy Holding e.a./Commission (T‑136/19, EU:T:2022:149), qu’Overgas a fondé sa plainte sur la prémisse trompeuse selon laquelle son entrée sur les marchés bulgares de fourniture de gaz aurait accru les alternatives d’approvisionnement en gaz, ce qui aurait obligé les
fournisseurs à établir leurs prix sur des principes d’économie de marché.

1243 Or, dans leurs observations du 27 avril 2022, les requérantes soutiennent qu’en 2011, la Bulgarie ne disposait que d’une seule source d’approvisionnement en amont en gaz, à savoir Gazprom, à laquelle Overgas avait un accès direct, alors que Bulgargaz n’y avait qu’un accès indirect, par l’intermédiaire d’Overgas. Elles soulignent qu’à cette époque, Overgas était l’intermédiaire de Gazprom en Bulgarie et faisait l’objet d’une enquête pour abus de position dominante, notamment parce qu’elle
facturait des prix excessifs à Bulgargaz. Donc, non seulement l’entrée d’Overgas sur le marché bulgare n’aurait pas intensifié la concurrence en aval, mais Bulgargaz n’aurait en aucun cas pu acheter du gaz à des conditions raisonnables.

1244 À cet égard, le Tribunal estime que c’est à juste titre que les requérantes soutiennent que la connaissance des éléments évoquées au point 1242 ci-dessus leur aurait permis de mieux assurer leur défense, en particulier en faisant valoir devant la Commission que les conditions relatives à une concurrence saine sur le marché en aval n’étaient pas satisfaites, principalement à cause d’Overgas (et de Gazprom), ce qui aurait pu étayer leur défense tirée d’une justification objective ou, à tout le
moins, leurs arguments en faveur d’une réduction de l’amende.

1245 Il découle des considérations figurant aux points 1239 à 1244 ci-dessus que les requérantes ont établi à suffisance de droit que, en l’absence des irrégularités commises par la Commission à l’égard des éléments figurant dans les observations de suivi d’Overgas, elles auraient eu accès à des éléments qui auraient été susceptibles de leur permettre de mieux assurer leur défense au cours de la procédure administrative, au sens de la jurisprudence citée au point 1238 ci-dessus.

c)   Conclusion sur les première et deuxième branches

1246 Il ressort de l’analyse des vices de la procédure administrative exposée aux points 1153 à 1223 ci-dessus et de leurs conséquences sur les droits de la défense des requérantes, examinées aux points 1224 à 1245 ci-dessus, que la première et la deuxième branche du premier moyen doivent être accueillies.

[omissis]

E. Conclusion sur la demande d’annulation de la décision attaquée

1259 Tant le quatrième moyen, tiré de la constatation erronée d’un abus de position dominante, que le premier moyen, tiré de la violation des droits de la défense, ayant été accueillis, il y a lieu d’annuler intégralement la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres moyens invoqués.

1260 Il s’ensuit, par voie de conséquence, qu’il n’y a pas lieu de faire droit aux demandes de mesures d’organisation de la procédure ou de mesures d’instruction des requérantes visant à obtenir, d’une part, la communication des griefs dans l’affaire Gazprom ainsi que les documents auxquels celle-ci renvoie dans la mesure où ils concernent le marché du gaz bulgare et, d’autre part, les documents sous-tendant l’affaire Transgaz, lesdites demandes étant, en l’état, dépourvues d’intérêt pour la
solution du litige [voir, en ce sens, arrêts du 25 juin 2002, British American Tobacco (Investments)/Commission, T‑311/00, EU:T:2002:167, point 50, et du 9 mars 2022, Zardini/Commission, T‑511/20, non publié, EU:T:2022:122, point 58].

[omissis]

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête :

  1) La décision C(2018) 8806 final de la Commission, du 17 décembre 2018, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE (affaire AT.39849 – BEH Gas), est annulée.

  2) La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Bulgarian Energy Holding EAD, Bulgartransgaz EAD et Bulgargaz EAD.

  3) La République de Bulgarie et Overgas Inc. supporteront leurs propres dépens.

Gervasoni

Madise

Nihoul

  Frendo

Martín y Pérez de Nanclares

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 octobre 2023.

Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre élargie
Numéro d'arrêt : T-136/19
Date de la décision : 25/10/2023
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Concurrence – Abus de position dominante – Marché intérieur du gaz naturel – Décision constatant une infraction à l’article 102 TFUE – Marché réglementé – Définition du marché pertinent – Gazoduc de transit roumain 1 – Titulaire d’un droit d’usage exclusif du gazoduc roumain 1 – Refus d’accès – Obligation de fourniture publique – Exception de l’action étatique – Gestionnaire de réseau de transport – Gestionnaire d’installation de stockage – Stratégie anticoncurrentielle – Effets d’éviction – Infraction unique et continue – Droits de la défense.

Concurrence

Position dominante


Parties
Demandeurs : Bulgarian Energy Holding EAD e.a.
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Frendo

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2023:669

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