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18/05/2022 | CJUE | N°T-609/19

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Canon Inc. contre Commission européenne., 18/05/2022, T-609/19


 ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

18 mai 2022 ( *1 )

« Concurrence – Concentrations – Secteur de la fabrication d’instruments médicaux – Décision infligeant des amendes pour la réalisation d’une opération de concentration avant sa notification et son autorisation – Article 4, paragraphe 1, article 7, paragraphe 1, et article 14 du règlement (CE) no 139/2004 – Opération provisoire et opération finale – Structure de portage – Concentration unique – Droits de la défense – Confiance légitime – Principe de légalité 

Proportionnalité – Montant des
amendes – Circonstances atténuantes »

Dans l’affaire T‑609/19,

Canon Inc., é...

 ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

18 mai 2022 ( *1 )

« Concurrence – Concentrations – Secteur de la fabrication d’instruments médicaux – Décision infligeant des amendes pour la réalisation d’une opération de concentration avant sa notification et son autorisation – Article 4, paragraphe 1, article 7, paragraphe 1, et article 14 du règlement (CE) no 139/2004 – Opération provisoire et opération finale – Structure de portage – Concentration unique – Droits de la défense – Confiance légitime – Principe de légalité – Proportionnalité – Montant des
amendes – Circonstances atténuantes »

Dans l’affaire T‑609/19,

Canon Inc., établie à Tokyo (Japon), représentée par Mes U. Soltész, W. Bosch, C. von Köckritz, K. Winkelmann, M. Reynolds, J. Schindler, D. Arts et W. Devroe, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. G. Conte et C. Urraca Caviedes, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme A.-L. Meyer et M. O. Segnana, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision C(2019) 4559 final de la Commission, du 27 juin 2019, infligeant des amendes pour défaut de notification d’une concentration en violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) no 139/2004 et pour réalisation d’une concentration en violation de l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement (affaire M.8179 – Canon/Toshiba Medical Systems Corporation), et, à titre subsidiaire,
à la suppression ou à la réduction du montant des amendes infligées à la requérante,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. S. Frimodt Nielsen et R. Norkus (rapporteur), juges,

greffier : Mme M. Zwozdziak-Carbonne, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 8 juillet 2021,

rend le présent

Arrêt ( 1 )

I. Antécédents du litige

1 La requérante, Canon Inc., est une société multinationale spécialisée dans la fabrication de produits d’imagerie et optiques, y compris de caméras, de caméscopes, de photocopieurs, de photorépéteurs et d’imprimantes d’ordinateur. Depuis qu’elle a acquis Toshiba Medical Systems Corporation (ci-après « TMSC »), la requérante est également spécialisée dans la fabrication d’équipements médicaux.

2 TMSC, active dans le développement, la fabrication et la vente d’équipements médicaux ainsi que dans la fourniture de services techniques en la matière, était, avant son acquisition par la requérante, une filiale détenue à 100 % par Toshiba Corporation (ci‑après « Toshiba »). À la suite de cette acquisition, TMSC a été rebaptisée « Canon Medical Systems Corporation ».

A. Acquisition par la requérante de TMSC

3 Au début de l’année 2016, Toshiba a connu d’importantes difficultés financières. En particulier, compte tenu de ses prévisions de résultats, Toshiba considérait qu’elle encourait un risque de devoir signaler des résultats négatifs aux actionnaires pour l’exercice 2015 (clos le 31 mars 2016). Dès lors qu’aucune société publique d’une taille analogue à celle de Toshiba n’avait jamais signalé des résultats négatifs aux actionnaires dans la période récente au Japon, il était difficile de prévoir
l’impact d’un tel événement sur les performances commerciales, la condition financière et la valeur marchande de Toshiba.

4 En conséquence, Toshiba a entamé un processus d’appel d’offres accéléré pour la vente de TMSC.

5 Dans un premier temps, le 19 février 2016, Toshiba a proposé aux soumissionnaires une structure de transaction, qualifiée de proposition « 80/20 ».

6 Dans le cadre du processus d’appel d’offres, chaque soumissionnaire a fait des propositions qui prenaient en considération la situation financière de Toshiba. Dans son offre, la requérante a proposé une nouvelle structure transactionnelle à Toshiba. La raison d’être de cette nouvelle structure était que la vente de TMSC soit reconnue comme un apport en capital dans les comptes de Toshiba au plus tard le 31 mars 2016, sans que toutefois la requérante n’en acquière formellement le contrôle avant
d’avoir obtenu les autorisations nécessaires auprès des autorités de concurrence compétentes.

7 Grâce à la nouvelle structure transactionnelle proposée par la requérante, selon Toshiba, TMSC ne serait plus l’une de ses filiales au regard des principes comptables généralement acceptés aux États-Unis (« United States GAAP ») (considérant 13 de la décision attaquée).

8 Selon Toshiba, après avoir examiné la faisabilité et les effets de la proposition de chaque soumissionnaire, elle a considéré que la proposition de la requérante était la plus compétitive et la seule dans laquelle le transfert de l’intégralité du prix d’achat n’était pas subordonné à des autorisations relevant du contrôle des concentrations (considérant 14 de la décision attaquée).

9 L’acquisition de TMSC par la requérante a été annoncée publiquement le 17 mars 2016. Le même jour, la requérante a annoncé qu’elle avait conclu avec Toshiba un accord de cession de parts portant sur l’acquisition de TMSC auprès de Toshiba, et Toshiba et TMSC ont annoncé que Toshiba avait accepté de vendre TMSC à la requérante et que TMSC n’était plus une filiale du groupe Toshiba.

10 À la suite de la proposition de la requérante, TMSC a converti ses 134980060 actions ordinaires et a créé de nouvelles catégories d’actions afin de pouvoir mettre en œuvre la structure de transaction.

11 Le 15 mars 2016, les statuts de TMSC ont été modifiés afin d’y inclure les nouvelles catégories d’actions et actions supplémentaires.

12 Premièrement, TMSC a créé trois catégories d’actions :

– les actions de catégorie A (actions avec droit de vote),

– l’action de catégorie B (action sans droit de vote) et

– les actions de catégorie C (actions avec droit de vote et option de rachat pouvant être exercée par TMSC).

13 Deuxièmement, TMSC a converti toutes ses actions ordinaires en actions de catégorie C et créé des options sur actions pour le rachat obligatoire de toutes les actions de catégorie C.

14 Troisièmement, le 16 mars 2016, TMSC a converti les actions de catégorie C et émis en contrepartie :

– 20 actions de catégorie A,

– une action de catégorie B et

– 100 options sur actions liées aux actions de la catégorie C.

15 L’offre de la requérante consistait en une structure d’opérations en deux étapes.

16 Dans un premier temps, le 17 mars 2016, la requérante et Toshiba ont conclu un « Shares and Other Securities Transfer Agreement » par lequel la requérante a acquis l’action sans droit de vote de catégorie B pour 4930 yens (environ 40 euros) et 100 options sur actions avec droit de vote de catégorie C de TMSC pour 665497806400 yens (environ 5280000000 euros), droit de vote qui ne pouvait cependant pas être exercé tant que les options sur actions n’étaient pas exercées. Le même jour, MS Holding,
véhicule de titrisation créé spécifiquement aux fins de l’opération le 8 mars 2016, et Toshiba ont conclu un « Excluded share Transfert Agreement », par lequel MS Holding a acquis les 20 actions avec droit de vote restantes de catégorie A de TMSC pour 98600 yens (environ 800 euros). Ces deux opérations sont désignées conjointement par l’expression « opération provisoire » dans la décision C(2019) 4559 final de la Commission, du 27 juin 2019, infligeant des amendes pour défaut de notification
d’une concentration en violation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) no 139/2004 et pour réalisation d’une concentration en violation de l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement (affaire M.8179 – Canon/Toshiba Medical Systems Corporation, ci‑après la « décision attaquée »).

17 Dans un second temps, le 19 décembre 2016, la requérante, après avoir obtenu la dernière autorisation de concentration pertinente, a exercé ses 100 options sur actions de catégorie C pour acquérir les actions avec droit de vote sous-jacentes de TMSC, tandis que TMSC a acquis l’action sans droit de vote de catégorie B de la requérante pour 4930 yens (environ 40 euros) et les 20 actions avec droit de vote restantes de catégorie A de MS Holding pour 36098600 yens (environ 300000 euros). Ces deux
opérations sont désignées conjointement, dans la décision attaquée, par l’appellation « opération finale ».

18 L’ensemble de ces opérations est désigné, dans la décision attaquée, par le terme « concentration ».

B. Phase de pré‑notification

19 Le 11 mars 2016, la requérante a envoyé à la Commission européenne une demande de désignation d’une équipe au regard de son projet d’acquérir le contrôle exclusif de TMSC au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement CE sur les concentrations ») (JO 2004, L 24, p. 1).

20 Dans un courriel du 5 avril 2016, la requérante a adressé à la Commission la partie du formulaire CO relative à la structure de l’opération envisagée ainsi qu’une brève présentation décrivant les différentes étapes de l’opération.

21 Le 28 avril 2016, la requérante a soumis à la Commission un premier projet de formulaire CO. Le 11 mai 2016, cette dernière a adressé à la requérante plusieurs questions sur le projet de formulaire CO, dont trois sur la structure de l’opération, auxquelles la requérante a répondu le 27 mai 2016.

C. Notification et décision autorisant la concentration

22 Le 12 août 2016, la requérante a notifié à la Commission, conformément à l’article 4 du règlement no 139/2004, l’acquisition du contrôle exclusif de TMSC par l’acquisition de 100 % de ses actions, conformément à la procédure normale de contrôle des concentrations. La requérante a précisé que la notification devait être entendue comme couvrant toute la concentration, c’est-à-dire la transaction provisoire et la transaction finale.

23 Dans le cadre de l’appréciation de la concentration, l’enquête de la Commission n’a abouti à mettre en évidence aucun indice susceptible de faire apparaître des problèmes au regard du droit de la concurrence. C’est la raison pour laquelle la Commission a adopté, le 19 septembre 2016, une décision d’autorisation, conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 139/2004 et à l’article 57 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE).

D. Procédure administrative et décision attaquée

24 Le 18 mars 2016, quelques jours après avoir reçu la demande de la requérante que soit désignée une équipe concernant son projet d’acquérir le contrôle exclusif de TMSC, la Commission a été saisie par un plaignant anonyme.

25 Le 11 mai 2016, la Commission a adressé à la requérante une demande de renseignements concernant son premier projet de formulaire de notification du 28 avril 2016, en réponse à laquelle la requérante a soumis ses observations.

26 Le 29 juillet 2016, la Commission a informé la requérante qu’elle avait ouvert une enquête susceptible d’aboutir à l’imposition d’amendes au titre de l’article 14, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement no 139/2004 en raison de possibles violations de l’obligation de suspension prévue à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement et de l’obligation de notification prévue à l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement.

27 Le 5 septembre 2016, la Commission a reçu un mémoire supplémentaire de la requérante.

28 Le 6 octobre 2016, une réunion s’est tenue entre la Commission et la requérante.

29 Par décision du 7 octobre 2016 prise au titre de l’article 11, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, la Commission a demandé à la requérante, à TMSC et à Toshiba de fournir des informations et des documents internes. La requérante et TMSC ont répondu le 4 novembre 2016. Toshiba a fourni ses réponses entre le 4 novembre et le 1er décembre 2016.

30 Le 5 novembre 2016, la requérante a adressé une lettre à la Commission relative à ses observations concernant la réunion du 6 octobre 2016 et la décision du 7 octobre 2016.

31 Faisant suite à des courriels de la Commission, Toshiba, TMSC et la requérante ont fourni des documents additionnels, respectivement les 15 février, 24 février et 15 mars 2017.

32 Le 6 juillet 2017, en vertu de l’article 18 du règlement no 139/2004, la Commission a adressé à la requérante une communication des griefs, dans laquelle elle conclut à titre préliminaire que la requérante a enfreint intentionnellement, ou au moins par négligence, l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, et dans laquelle elle indique envisager, par conséquent, l’imposition d’amendes au titre de l’article 14, paragraphe 2, dudit règlement.

33 Le 15 mars 2018, la requérante a présenté des observations écrites et a demandé à être entendue.

34 Le 3 mai 2018 s’est tenue une audition au cours de laquelle la requérante a présenté ses arguments.

35 Le 8 mai 2018, la Commission a envoyé à la requérante un courriel comprenant des questions auxquelles la requérante n’avait pu répondre au cours de l’audition du 3 mai 2018. La requérante a soumis ses réponses le 24 mai 2018.

36 Le 11 juin 2018, la Commission a reçu des informations additionnelles de la part de la requérante. Par ailleurs, en réponse à la communication des griefs, la requérante a demandé à la Commission de clore la procédure d’infraction à la lumière du critère défini par la Cour dans l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371).

37 Le 30 novembre 2018, la Commission a publié une communication des griefs supplémentaire, dans laquelle elle conclut à titre préliminaire que le comportement de la requérante constitue une infraction à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, également sur la base de l’interprétation du cadre juridique retenue dans l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371).

38 Le 21 janvier 2019, la requérante a soumis ses réponses à la communication des griefs supplémentaire et a demandé que soit tenue une seconde audition, laquelle a eu lieu le 14 février 2019.

39 Le 25 février 2019, la Commission a envoyé à la requérante un courriel comprenant des questions auxquelles la requérante n’avait pu répondre au cours de l’audition du 14 février 2019. La requérante a soumis ses réponses le 13 mars 2019.

40 Le 3 avril 2019, la requérante a soumis à la Commission des commentaires supplémentaires concernant l’approche de cette dernière s’agissant de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371).

41 Le 27 juin 2019, la Commission a adopté la décision attaquée.

42 Les quatre premiers articles du dispositif de la décision attaquée sont libellés comme suit :

« Article premier

En ne notifiant pas une concentration de dimension européenne avant sa réalisation (le 17 mars 2016) sans y être expressément autorisée par l’article 7, paragraphe 2, du règlement […] no 139/2004 ou par une décision prise en application de l’article 7, paragraphe 3, de ce règlement, [la requérante] a violé, au moins par négligence, l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement.

Article 2

En réalisant une concentration de dimension européenne (le 17 mars 2016) avant son autorisation (le 19 septembre 2016), [la requérante] a violé, au moins par négligence, l’article 7, paragraphe 1, du règlement […] no 139/2004.

Article 3

Une amende de 14000000 euros est infligée à [la requérante], conformément à l’article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 139/2004, pour l’infraction visée à l’article 1er de la présente décision.

Article 4

Une amende de 14000000 euros est infligée à [la requérante], conformément à de l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement (CE) no 139/2004 pour l’infraction visée à l’article 2 de la présente décision. »

II. Procédure et conclusions des parties

43 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 septembre 2019, la requérante a introduit le présent recours.

44 Le 27 novembre 2019, la Commission a déposé le mémoire en défense.

45 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 14 janvier 2020, le Conseil de l’Union européenne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission.

46 Par décision du 5 mars 2020, la présidente de la sixième chambre du Tribunal a admis cette intervention. Le Conseil a déposé le mémoire en intervention le 24 avril 2020 et les parties principales ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

47 Les parties principales ont déposé la réplique et la duplique respectivement les 18 mars et 26 juin 2020.

48 Par lettre du 28 juillet 2020, la requérante a formulé une demande d’audience de plaidoiries, au titre de l’article 106, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.

49 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée ;

– à titre subsidiaire, annuler ou réduire significativement les amendes imposées ;

– condamner la Commission aux dépens.

50 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens.

51 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter dans son intégralité l’exception d’illégalité soulevée à l’égard de l’article 14, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement no 139/2004.

III. En droit

52 Au soutien du recours, la requérante soulève trois moyens, tirés, le premier, de l’absence de violation par elle de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, le deuxième, de la violation de l’article 14 du règlement no 139/2004 et, le troisième, de la violation de l’article 18 du règlement no 139/2004 et de l’article 48, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

A. Sur le premier moyen, tiré de l’absence de violation par la requérante de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004

53 À titre liminaire, il importe de relever que, au considérant 99 de la décision attaquée, la Commission résume l’approche qu’elle a retenue pour conclure à la violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, comme suit :

« […]

a) L’opération provisoire et l’opération finale constituaient, ensemble, une concentration unique au sens de l’article 3 du règlement [no 139/2004] et de la jurisprudence des juridictions de l’Union, consistant en l’acquisition du contrôle de TMSC par [la requérante] (voir section 4.1).

b) Faisant partie d’une concentration unique, les opérations provisoire et finale étaient intrinsèquement étroitement liées. En effet, l’opération provisoire était une étape nécessaire pour parvenir à un changement de contrôle de TMSC, présentant un lien fonctionnel direct avec la réalisation de l’acquisition du contrôle de TMSC par [la requérante]. Pour ces raisons, l’opération provisoire a contribué (du moins en partie) au changement de contrôle de TMSC au sens de l’arrêt Ernst & Young. En
procédant à l’opération provisoire, [la requérante] a partiellement réalisé la concentration unique consistant en l’acquisition [par elle] du contrôle de TMSC (voir section 4.2).

c) Du fait qu’elle a réalisé en partie la concentration consistant en l’acquisition du contrôle de TMSC avant notification à la Commission et autorisation par cette dernière, [la requérante] a enfreint l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement [no 139/2004] (voir section 4.3). »

54 Le premier moyen s’articule autour de quatre branches. La première branche est tirée de ce que l’opération provisoire ne constituerait pas une acquisition de contrôle par la requérante. La deuxième branche est tirée de l’absence de réalisation partielle violant l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. La troisième branche est tirée de prétendues erreurs manifestes commises dans l’application de la notion de « réalisation partielle » d’une « concentration
unique ». La quatrième branche est tirée du fait que la procédure de contrôle ex ante des concentrations n’aurait jamais été contournée.

1.   Sur la première branche, tirée de ce que l’opération provisoire ne constituerait pas une acquisition de contrôle

55 Dans le cadre de la première branche, la requérante soutient que l’opération provisoire n’a pas abouti à une acquisition de contrôle par elle et ne saurait, par conséquent, constituer un cas de réalisation anticipée d’une opération de concentration.

56 Cette première branche se subdivise en deux sous-branches. Dans le cadre de la première sous-branche, la requérante soutient qu’il n’y aurait réalisation anticipée d’une opération de concentration que dans l’hypothèse d’une acquisition du contrôle. Dans le cadre de la seconde sous-branche, la requérante soutient que la jurisprudence antérieure confirmerait que le changement de contrôle est le seul critère pertinent.

a)   Sur la première sous-branche, selon laquelle la réalisation anticipée d’une concentration suppose l’acquisition de contrôle

57 La requérante avance qu’il résulte du libellé de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 qu’il n’y a réalisation anticipée d’une opération de concentration que lorsqu’il y a acquisition du contrôle. Il serait constant que la notion de « concentration » employée dans ces dispositions doit être définie à la lumière de l’article 3 dudit règlement, selon lequel les concentrations sont des acquisitions qui conduisent à un changement durable du contrôle
direct ou indirect. Par ailleurs, la requérante renvoie aux points 44 et suivants de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), selon lesquels la réalisation anticipée d’une opération de concentration est étroitement liée à la notion de concentration au sens de l’article 3 du règlement no 139/2004, laquelle requiert une acquisition du contrôle, au point 46 dudit arrêt, selon lequel seules les « opérations contribuant à changer durablement le contrôle sur l’entreprise cible »
relèvent de l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement, et aux points 49 et 60 dudit arrêt, selon lesquels les opérations ne « contribuent [pas] à changer durablement le contrôle » lorsqu’elles ne présentent pas de « lien fonctionnel direct avec la réalisation » de la concentration, c’est-à-dire lorsqu’elles ne présentent pas « en tant que telle[s] » de lien avec le changement de contrôle, ce critère excluant toutes les opérations qui présentent un « lien conditionnel avec la concentration » en
ce sens qu’elles sont « accessoires ou préparatoires » à sa réalisation. Or, au considérant 134 de la décision attaquée, la Commission reconnaîtrait expressément que la requérante n’a pas acquis le contrôle sur TMSC avant l’autorisation de la Commission du 19 septembre 2016. En outre, la requérante renvoie à l’arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281), selon lequel l’obligation de suspension entend éviter que la Commission se retrouve dans une situation où une
décision d’incompatibilité nécessiterait d’être complétée par une décision de dissolution destinée à mettre fin à l’obtention du contrôle intervenue avant même que la Commission ne se prononce sur ses effets concurrentiels et en conclut que son champ d’application ne devrait pas s’étendre au-delà de ce qui est nécessaire pour s’assurer que les restructurations des entreprises n’entraînent pas de préjudice durable pour la concurrence. Enfin, le contrôle de l’opération par la Commission n’aurait à
aucun moment et en aucune façon été entravé, étant donné que la requérante n’aurait acquis le contrôle sur TMSC qu’après avoir obtenu toutes les autorisations des autorités de concurrence concernées, dont celle de la Commission.

58 La Commission conteste les arguments de la requérante.

59 Il est constant entre les parties que TMSC n’était pas contrôlée par la requérante pendant l’opération provisoire.

60 Il convient donc de déterminer si, comme le soutient la requérante, il ne peut y avoir de réalisation anticipée d’une concentration que dans l’hypothèse d’un contrôle de l’entreprise cible.

61 À cet égard, il convient de rappeler que la réalisation d’une concentration, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, a lieu dès que les parties à une concentration mettent en œuvre des opérations contribuant à changer durablement le contrôle sur l’entreprise cible (arrêts du 31 mai 2018, Ernst & Young, C‑633/16, EU:C:2018:371, point 46, et du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C‑10/18 P, EU:C:2020:149, point 50).

62 Répond ainsi à l’exigence d’assurer un contrôle efficace des concentrations la circonstance que toute réalisation partielle d’une concentration relève du champ d’application de ce même article. En effet, s’il était interdit aux parties à une concentration de réaliser une concentration au moyen d’une seule opération, mais il leur était loisible de parvenir au même résultat par des opérations partielles successives, cela réduirait l’effet utile de l’interdiction édictée à l’article 7 du règlement
no 139/2004 et mettrait ainsi en danger le caractère préalable du contrôle prévu par ce règlement ainsi que la poursuite des objectifs de celui‑ci (arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young, C‑633/16, EU:C:2018:371, point 47).

63 C’est dans cette même optique que le considérant 20 dudit règlement prévoit qu’il convient de traiter comme une concentration unique des opérations étroitement liées en ce qu’elles font l’objet d’un lien conditionnel ou prennent la forme d’une série de transactions sur titres effectuées dans un délai raisonnablement bref (arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young, C‑633/16, EU:C:2018:371, point 48).

64 Toutefois, dès lors que de telles opérations, bien qu’accomplies dans le cadre d’une concentration, ne sont pas nécessaires pour parvenir à un changement du contrôle d’une entreprise concernée par cette concentration, elles ne relèvent pas de l’article 7 du règlement no 139/2004. En effet, ces opérations, même si elles peuvent être accessoires ou préparatoires à la concentration, ne présentent pas de lien fonctionnel direct avec la réalisation de celle-ci, de telle sorte que leur mise en œuvre
n’est en principe pas susceptible de porter atteinte à l’efficacité du contrôle des concentrations (arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young, C‑633/16, EU:C:2018:371, point 49).

65 Enfin, la Cour a conclu que l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 devait être interprété en ce sens qu’une concentration n’est réalisée que par une opération qui, en tout ou en partie, en fait ou en droit, contribue au changement de contrôle de l’entreprise cible (arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young, C‑633/16, EU:C:2018:371, point 59).

66 L’article 7, paragraphe 1, et l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 étant deux dispositions concernant la notion de « réalisation d’une concentration », il y a lieu de considérer que ce que la Cour, saisie d’une demande préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), a indiqué s’agissant de la première de ces dispositions vaut également pour la seconde.

67 C’est donc à juste titre que la Commission soutient qu’il résulte de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), que la Cour a opéré une distinction entre les notions de « concentration » et de « réalisation d’une concentration ».

68 À cet égard, il résulte du point 45 de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), que, conformément à l’article 3 du règlement no 139/2004 auquel est définie la notion de concentration, une concentration est réputée réalisée « lorsqu’un changement durable du contrôle » a lieu, alors qu’il résulte du point 46 dudit arrêt que la « réalisation d’une concentration » peut avoir lieu « dès que les parties à une concentration mettent en œuvre des opérations contribuant à changer
durablement le contrôle sur l’entreprise cible », c’est-à-dire éventuellement avant l’acquisition du contrôle de l’entreprise cible.

69 Cette conclusion est corroborée par le point 59 de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), dont il résulte que, pour qu’il y ait réalisation d’une concentration, au sens de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, il suffit qu’une opération, en tout ou en partie, en fait ou en droit, contribue au changement de contrôle de l’entreprise cible.

70 Ainsi, il ressort de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), que la notion de « réalisation d’une concentration », telle que prévue à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, ne se limite pas à la situation dans laquelle l’acheteur final acquiert le contrôle de l’entreprise cible, mais recouvre également toute opération qui « contribue » à un tel changement de contrôle.

71 À cet égard, l’argument de la requérante selon lequel la Cour, dans l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), aurait exclu, de manière générale, « toutes les opérations qui présentent un “lien conditionnel avec la concentration” en ce sens qu’elles sont “accessoires ou préparatoires” à sa réalisation » est erroné, dès lors que ce que la Cour a indiqué, au point 49 de cet arrêt (voir point 64 ci-dessus), c’est que les opérations qui n’étaient pas nécessaires pour obtenir un
changement de contrôle et qui dès lors, même si elles pouvaient être accessoires ou préparatoires à la concentration, ne présentaient pas de lien fonctionnel direct avec la réalisation de la concentration ne relevaient pas de l’article 7 du règlement no 139/2004. Il résulte donc de ce point que les opérations relèvent de la notion de « réalisation d’une concentration », même si cette réalisation est partielle au sens des points 47 et 51 dudit arrêt, si elles contribuent, en tout ou en partie, au
changement de contrôle de l’entreprise cible.

72 En outre, la conclusion énoncée au point 69 ci-dessus ne saurait être remise en cause par l’argumentation de la requérante en ce qu’elle procède à une interprétation littérale d’un extrait de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. Celle‑ci invoque le cas de figure dans lequel les concentrations doivent être notifiées « après [...] l’acquisition d’une participation de contrôle ». En effet, ledit règlement détaille dans ce paragraphe différents cas de figure possibles de l’acquisition
de contrôle et précise à quel moment, selon les cas, la notification doit avoir lieu. Comme le relève la Commission, la référence à l’« acquisition d’une participation de contrôle » peut porter sur les situations régies par l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 : même si elles ne sont pas soumises à la condition suspensive de l’autorisation de concentration, la réalisation d’offres publiques d’achat et de transactions sur titres pourrait conduire à l’acquisition d’une participation
de contrôle sans enfreindre l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, sous réserve du respect des exigences établies au paragraphe 2 de cette disposition. Cependant, la requérante ne prétend pas que la présente espèce relève du champ d’application de l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement.

73 Dès lors, contrairement à ce que soutient la requérante, le critère retenu par l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), pour déterminer si l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 a été violé n’est pas celui de savoir s’il y a eu acquisition du contrôle de l’entreprise cible, mais, comme le soutient la Commission, celui de savoir si l’opération en cause a contribué, en tout ou en partie, en fait ou en droit, au changement de contrôle de ladite entreprise. Un tel
critère est applicable, par analogie, s’agissant de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.

74 En ce qui concerne l’interprétation que fait la requérante de l’arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281), selon laquelle seules les opérations qui nécessitent des mesures de dissolution équivalent à des actes qui portent atteinte à l’efficacité du système de contrôle des concentrations, il y a lieu de relever que cette interprétation est inexacte. En effet, ce qu’a indiqué le Tribunal dans cet arrêt, c’est que, d’une part, sans acquisition du contrôle, la
Commission ne disposait pas du pouvoir de dissoudre une concentration (arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission, T‑411/07, EU:T:2010:281, point 66) et que, d’autre part, l’acquisition d’une participation qui ne conférait pas, en tant que telle, le contrôle au sens de l’article 3 du règlement no 139/2004 pouvait relever du champ d’application de l’article 7 dudit règlement (arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission, T‑411/07, EU:T:2010:281, point 83). En d’autres termes, le
Tribunal a déclaré que, si l’acquisition du contrôle était nécessaire pour que la Commission puisse exercer son pouvoir de dissoudre la concentration, cette acquisition du contrôle n’était pas nécessaire pour qu’une opération relève du champ d’application de l’article 7 du règlement no 139/2004.

75 Enfin, en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel le contrôle de l’opération par la Commission n’aurait à aucun moment et en aucune façon été entravé, étant donné qu’elle n’aurait acquis le contrôle sur TMSC qu’après avoir obtenu toutes les autorisations des autorités de concurrence concernées, il est erroné.

76 En effet, la requérante considère que « les concentrations sont définies comme des acquisitions qui conduisent à un changement durable du contrôle direct ou indirect » et, donc, que tant que le contrôle n’est pas acquis, il n’y a pas de réalisation anticipée de la concentration.

77 Ainsi, la requérante confond les notions de « réalisation » et d’« acquisition », lesquelles sont deux notions distinctes dans le règlement no 139/2004.

78 En effet, le terme « réalisation » est relatif à la concentration (ou à la transaction comme visée par l’article 7, paragraphe 4, du règlement no 139/2004) tandis que le terme « acquisition » est relatif au contrôle.

79 Or, ces deux termes ne sauraient être confondus. La « réalisation » de la concentration peut s’inscrire dans la durée, ce qui explique les notions de réalisation partielle et de concentration unique, tandis que l’« acquisition » du contrôle ne peut s’inscrire dans la durée. En effet, soit le contrôle est acquis, dès lors qu’une entité a la possibilité d’exercer une influence déterminante sur la société cible, soit il n’est pas acquis. La notion d’acquisition du contrôle ne saurait donc recouvrir
une acquisition « partielle ». Partant, un prétendu « contrôle partiel » ne peut être la condition d’une réalisation partielle de la concentration, contrairement à ce que soutient la requérante.

80 Ainsi, le contrôle de la Commission, pour être effectif, doit être réalisé non seulement avant l’acquisition du contrôle, mais également avant la réalisation, même partielle, de la concentration. En effet, comme il a déjà été relevé au point 62 ci‑dessus, s’il était interdit aux parties à une concentration de réaliser une concentration au moyen d’une seule opération, mais il leur était loisible de parvenir au même résultat par des opérations partielles successives, cela réduirait l’effet utile de
l’interdiction édictée à l’article 7 du règlement no 139/2004 et mettrait ainsi en danger le caractère préalable du contrôle prévu par ce règlement ainsi que la poursuite des objectifs de celui‑ci (arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young, C‑633/16, EU:C:2018:371, point 47).

81 Dès lors, il convient de rejeter la première sous‑branche du premier moyen.

b)   Sur la seconde sous-branche, selon laquelle la jurisprudence antérieure confirmerait que le changement de contrôle est le seul critère pertinent

82 La requérante soutient que la décision attaquée méconnaît la jurisprudence des juridictions de l’Union européenne.

83 Ainsi, premièrement, la requérante renvoie au point 25 de l’arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281), selon lequel une concentration n’est réalisée que lorsqu’une entreprise acquiert le contrôle d’une autre, c’est-à-dire la possibilité d’exercer une influence déterminante, et au point 85 dudit arrêt, selon lequel, en l’absence de prise de contrôle effective, la participation litigieuse ne peut être assimilée à une concentration qui a déjà été réalisée.
Deuxièmement, la requérante avance que, dans l’arrêt du 13 septembre 2010, Éditions Odile Jacob/Commission (T‑279/04, non publié, EU:T:2010:384), le Tribunal a accepté une structure de portage parce qu’aucun contrôle n’avait été transféré avant l’obtention de l’autorisation. Le Tribunal aurait confirmé, dans cet arrêt, que le fait de confier des actions à une société constituée dans le seul but de les accueillir ne conduit pas à une acquisition de contrôle par l’acquéreur final et ne relève donc
pas du champ d’application de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. Troisièmement, selon la requérante, dans l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753), le Tribunal a rejeté, aux points 148 et suivants dudit arrêt, relatifs au considérant 20 du règlement no 139/2004, l’idée selon laquelle, en cas de réalisation anticipée d’une concentration, deux opérations devraient être qualifiées de « concentration unique » au seul motif qu’elles sont
étroitement liées. À cet égard, il résulterait du point 44 de l’arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission (C‑10/18 P, EU:C:2020:149), que le considérant 20 du règlement no 139/2004 ne constitue pas une base juridique permettant de conclure à l’existence d’une « concentration unique ». La position exprimée par la Commission dans son mémoire en défense selon laquelle un « projet économique unique » de deux opérations peut conduire à une « concentration unique » devrait donc être rejetée. En
outre, la requérante renvoie au point 128 de l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753), selon lequel le critère pertinent est celui du moment auquel l’acquisition du contrôle a eu lieu. Par ailleurs, la requérante affirme que la notion de « concentration unique » ne saurait être invoquée pour établir la réalisation anticipée d’une concentration et indique que le Tribunal a précisé, au point 151 dudit arrêt, que, lorsque ces opérations, prises ensemble, ne
sont pas suffisantes afin de transférer le contrôle de l’entreprise cible, cela n’a « aucun sens » de les qualifier de concentration unique. Enfin, la Commission elle-même aurait soutenu, au point 105 de la décision C(2014) 5089 final de la Commission, du 23 juillet 2014, infligeant une amende pour la réalisation d’une concentration en violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 (affaire COMP/M.7184 – Marine Harvest/Morpol), que la question de
savoir si ces deux étapes faisaient partie de la même opération, autrement dit l’existence d’une « concentration unique », était « dénuée de pertinence » dans le cadre de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.

84 La Commission conteste les arguments de la requérante.

85 Premièrement, il convient de relever que le point 25 de l’arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281), ne concerne pas la position du Tribunal, mais relate le raisonnement de la Commission dans la décision relative à cette affaire. Quant au point 85 dudit arrêt, si le Tribunal a effectivement indiqué que, en l’absence de prise de contrôle effective, la participation litigieuse dans ladite affaire ne pouvait « être assimilée à une “concentration” qui a “déjà été
réalisée” », il ne saurait être déduit de cette affirmation qu’une concentration ne peut être partiellement réalisée par une opération contribuant à un changement de contrôle.

86 En outre, ainsi qu’il a été relevé au point 74 ci‑dessus, le Tribunal a indiqué dans l’arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281, point 83), que l’acquisition d’une participation qui ne conférait pas, en tant que telle, le contrôle au sens de l’article 3 du règlement no 139/2004 pouvait relever du champ d’application de l’article 7 dudit règlement. Il ressort ainsi de cet arrêt du Tribunal, prononcé antérieurement à l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young
(C‑633/16, EU:C:2018:371), que la réalisation d’une concentration ne devait pas nécessairement être interprétée comme une acquisition de contrôle.

87 Par conséquent, l’arrêt du 6 juillet 2010, Aer Lingus Group/Commission (T‑411/07, EU:T:2010:281), n’exclut pas que l’interdiction prévue à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 englobe également la réalisation partielle, c’est-à-dire des opérations ne transférant pas, en tant que telles, le contrôle.

88 Deuxièmement, en ce qui concerne l’arrêt du 13 septembre 2010, Éditions Odile Jacob/Commission (T‑279/04, non publié, EU:T:2010:384), il convient de rectifier la conclusion qu’en tire la requérante, à savoir que le fait de confier des actions à une société constituée dans le seul but de les accueillir n’aurait pas conduit à une acquisition de contrôle par l’acquéreur final et ne relèverait donc pas du champ d’application de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, en la replaçant dans
son contexte.

89 D’une part, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 13 septembre 2010, Éditions Odile Jacob/Commission (T‑279/04, non publié, EU:T:2010:384), et la présente affaire ne sont pas pleinement comparables. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 13 septembre 2010, Éditions Odile Jacob/Commission (T‑279/04, non publié, EU:T:2010:384), la requérante contestait que la structure de portage relevait de l’article 3, paragraphe 5, sous a), du règlement (CEE) no 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989,
relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1989, L 395, p. 1), alors que, dans la présente affaire, la requérante ne prétend pas que la structure de portage en cause relève d’une telle exception.

90 Dès lors qu’il s’agit de deux structures de portage différentes, les conclusions tirées à l’égard de la première ne peuvent être étendues, de manière générale, à la seconde.

91 D’autre part, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 13 septembre 2010, Éditions Odile Jacob/Commission (T‑279/04, non publié, EU:T:2010:384), comme l’a souligné la Commission au point 175 de la décision attaquée, et comme la Cour, saisie sur pourvoi, l’avait relevé, le recours de la requérante dans ladite affaire visait uniquement l’annulation de la décision litigieuse par laquelle la Commission avait déclaré l’opération de concentration en cause compatible avec le marché commun (arrêt du
6 novembre 2012, Éditions Odile Jacob/Commission, C‑551/10 P, EU:C:2012:681, point 36). La question en litige portait ainsi sur la légalité de la décision de la Commission autorisant la concentration, et non sur la question de la mise en œuvre précoce des concentrations au moyen d’une structure de portage. Pour cette raison, la Cour a relevé que, pour que le Tribunal puisse se prononcer sur la légalité de la décision litigieuse, l’examen de la question de savoir si Lagardère SCA avait acquis un
contrôle unique ou conjoint avec la banque NBP des actifs cibles, par l’opération de portage en cause, n’était pas nécessaire et que les constatations du Tribunal relatives à cette question devaient donc être considérées comme surabondantes (arrêt du 6 novembre 2012, Éditions Odile Jacob/Commission, C‑551/10 P, EU:C:2012:681, point 40).

92 En outre, en tout état de cause, dans son recours devant le Tribunal, la partie requérante dans cette affaire soutenait que le portage des actifs cibles avait donné à l’acquéreur final, dès leur acquisition par la société de portage, la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité liée à ces derniers, en ce que ce portage aurait conféré à l’acquéreur final, sur tout ou partie des actifs cibles, des droits de propriété ou de jouissance, au sens de l’article 3, paragraphe 3,
sous a), du règlement no 4064/89, tel que modifié par le règlement (CE) no 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO 1997, L 180, p. 1) (arrêt du 13 septembre 2010, Éditions Odile Jacob/Commission, T‑279/04, non publié, EU:T:2010:384, point 119).

93 La partie requérante dans cette affaire avait ainsi isolé l’opération donnant lieu à l’acquisition des actifs cibles par la société de portage et soutenu que celle‑ci avait déjà conduit à une acquisition de contrôle.

94 Dans ce contexte, le Tribunal a indiqué que, étant donné que le portage des actifs cibles ne pouvait, dans cette espèce, être considéré comme une opération de concentration au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 4064/89, l’interdiction faite aux parties à une telle opération, par l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 4064/89, de la réaliser avant qu’elle ne soit notifiée et déclarée compatible avec le marché commun n’avait donc pas pu être violée (arrêt du
13 septembre 2010, Éditions Odile Jacob/Commission, T‑279/04, non publié, EU:T:2010:384, point 171).

95 Cette déclaration du Tribunal n’a ainsi été formulée qu’en réponse à l’allégation de la requérante selon laquelle la décision d’autorisation de la concentration était invalide, notamment parce que l’acquéreur final, par une opération de portage, aurait acquis le contrôle soit unique, soit conjoint des actifs cibles dès l’acquisition de ceux-ci par la société de portage (détenue indirectement, mais à 100 % par la banque NBP), sans notification préalable de la concentration.

96 Le Tribunal n’a donc pas examiné la question de savoir si l’acquisition des actifs cibles par la société de portage constituait, comme en l’espèce, la réalisation partielle d’une concentration unique, mais si cette acquisition, effectuée dans le cadre d’une structure de portage, avait, en tant que telle, transféré le contrôle à l’acquéreur.

97 Troisièmement, en ce qui concerne l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753), à titre liminaire, il convient de constater que les parties principales s’opposent quant à la question de savoir quel a été le critère utilisé dans la décision attaquée pour caractériser la réalisation anticipée d’une concentration.

98 En effet, la requérante considère que la Commission a, dans la décision attaquée, estimé qu’il était suffisant d’établir que l’opération provisoire et l’opération finale constituaient une concentration unique, tandis que le critère approprié aurait été d’apprécier si l’opération provisoire lui a permis d’acquérir le contrôle de TMSC.

99 À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il résulte du considérant 99 de la décision attaquée (voir point 53 ci‑dessus), la Commission n’a pas considéré comme suffisant d’établir que l’opération provisoire et l’opération finale constituaient une concentration unique, mais a relevé, premièrement, que l’opération provisoire et l’opération finale constituaient, ensemble, une concentration unique, deuxièmement, que l’opération provisoire avait contribué partiellement au changement de
contrôle de TMSC au sens de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), et que, en procédant à cette opération provisoire, la requérante avait partiellement réalisé la concentration unique consistant en l’acquisition du contrôle de TMSC par la requérante et, troisièmement, que cette réalisation partielle, antérieure à la notification à la Commission, avait violé l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.

100 En ce qui concerne le renvoi, par la requérante, aux points 148 et suivants de l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753), contrairement à ce que soutient la requérante, le Tribunal n’a pas rejeté l’idée selon laquelle, en cas de réalisation anticipée d’une concentration, deux opérations devraient être qualifiées de « concentration unique » au seul motif qu’elles étaient étroitement liées, puisqu’il a simplement indiqué que le règlement no 139/2004 ne donnait
pas une définition exhaustive des conditions dans lesquelles deux opérations constituaient une concentration unique (arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission, T‑704/14, EU:T:2017:753, point 150). Quant au point 44 de l’arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission (C‑10/18 P, EU:C:2020:149), auquel la requérante renvoie également, la Cour y indique simplement qu’il ne saurait valablement être déduit du seul libellé du considérant 20 du règlement no 139/2004 une interprétation de la
notion de « concentration unique » qui ne serait pas conforme aux dispositions de ce règlement. Il ne saurait donc être déduit de ce point que, dans cet arrêt, la Cour rejette l’approche de la Commission selon laquelle un « projet économique unique » de deux opérations peut conduire à une « concentration unique ».

101 Ainsi, comme l’indique la Commission, ni le Tribunal ni la Cour n’ont remis en cause le fait que deux opérations pouvaient conduire à une opération unique.

102 À cet égard, sans être contredit par la Cour, le Tribunal a relevé, au point 90 de l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753), que la Commission s’était, dans plusieurs décisions, appuyée sur le concept de « concentration unique » et que le Tribunal avait entériné ce concept, notamment dans l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64).

103 En ce qui concerne le renvoi au point 128 de l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest (T‑704/14, EU:T:2017:753), il convient de souligner que cette affaire concernait l’application de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 à une suite d’opérations, pour lesquelles il n’était pas contesté que le contrôle de l’entreprise cible avait déjà été acquis lors de la première opération. C’est donc dans ce cadre que le Tribunal a conclu que, lorsque l’acquisition du contrôle exclusif de fait
de la seule entreprise cible avait lieu au moyen d’une seule première transaction, les transactions ultérieures par lesquelles l’acquéreur obtenait des parts supplémentaires de cette entreprise n’étaient plus pertinentes pour acquérir le contrôle (arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission, T‑704/14, EU:T:2017:753, point 128). Dès lors, cette conclusion ne saurait avoir pour conséquence que la réalisation anticipée ne peut avoir lieu que dans l’hypothèse d’un changement de contrôle lors
de la première opération dans le contexte d’une concentration unique telle qu’en l’espèce.

104 En ce qui concerne le renvoi au point 151 de l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest (T‑704/14, EU:T:2017:753), il y a lieu de relever que la citation produite par la requérante est inexacte, car elle est incomplète. En effet, ce qui n’aurait « aucun sens » à ce point, selon le Tribunal, ce serait de considérer que toutes les opérations qui font l’objet d’un lien conditionnel ou prennent la forme d’une série de transactions sur titres effectuées dans un délai raisonnablement bref devraient
être traitées comme une concentration unique, et ce même lorsque ces opérations, prises ensemble, ne seraient pas suffisantes afin de transférer le contrôle de l’entreprise cible (arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission, T‑704/14, EU:T:2017:753, point 151). Ainsi, par ce point, le Tribunal a simplement souligné que seules les opérations qui, dans leur ensemble, transfèrent le contrôle, peuvent constituer une « concentration unique ».

105 Or, en l’espèce, dans la décision attaquée, la Commission ne soutient pas que l’opération provisoire a, à elle seule, suffi à transférer le contrôle de TMSC à la requérante. En effet, dans la décision attaquée, la Commission a conclu que c’est l’opération finale, qui constituait une concentration unique avec l’opération provisoire, qui a transféré le contrôle de TMSC à la requérante.

106 Enfin, l’argument de la requérante renvoyant à la position de la Commission exprimée au point 105 de la décision dans l’affaire Marine Harvest/Morpol est inopérant, car il ne s’agissait pas, dans cette affaire, de l’acquisition d’une entreprise cible au moyen d’une structure de portage comme en l’espèce, mais d’une situation dans laquelle la Commission avait conclu que Marine Harvest ASA avait acquis le contrôle de Morpol ASA par le biais d’un seul achat de 48,5 % des actions de Morpol, et non
par le biais d’opérations partielles multiples portant sur des éléments d’actifs constituant, en fin de compte, une seule entité économique (arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C‑10/18 P EU:C:2020:149, point 29).

107 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la seconde sous‑branche du premier moyen doit être rejetée, ainsi que la première branche dudit moyen dans son ensemble.

2.   Sur la deuxième branche, tirée de l’absence de réalisation partielle violant l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004

108 Il convient de relever que, à la section 4.1 de la décision attaquée, la Commission a conclu que l’opération provisoire et l’opération finale constituaient conjointement une concentration unique, car « elles s’inscriv[ai]ent dans un projet économique unique grâce auquel [la requérante] a acquis le contrôle de TMSC auprès de Toshiba » (considérant 101 de la décision attaquée). Pour parvenir à cette conclusion, la Commission s’est fondée sur trois éléments. Premièrement, l’opération provisoire
n’aurait été réalisée que dans la perspective de l’opération finale (section 4.1.1 de la décision attaquée). Deuxièmement, l’unique finalité de MS Holding aurait été de faciliter l’acquisition du contrôle de TMSC par la requérante (section 4.1.2). Troisièmement, la requérante aurait été la seule partie à même de déterminer l’identité de l’acquéreur final de TMSC et assumait le risque économique de l’ensemble de l’opération dès l’opération provisoire (section 4.1.3).

109 À titre liminaire, il convient de rappeler qu’il est indifférent que l’acquisition, directe ou indirecte, du contrôle d’une ou plusieurs entreprises ait été réalisée en une ou plusieurs étapes par le biais d’une ou plusieurs transactions, pour autant que le résultat atteint constitue une seule opération de concentration (voir, en ce sens, arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T‑282/02, EU:T:2006:64, point 104).

110 Que les parties, lorsqu’elles notifient une concentration à la Commission, projettent de conclure deux ou plusieurs transactions ou qu’elles les aient déjà conclues préalablement à leur notification est également indifférent. Il revient à la Commission, dans tous les cas de figure, d’apprécier si ces transactions présentent un caractère unitaire de sorte qu’elles constituent une seule opération de concentration au sens de l’article 3 du règlement no 139/2004 (arrêt du 23 février 2006, Cementbouw
Handel & Industrie/Commission, T‑282/02, EU:T:2006:64, point 105).

111 Une telle démarche vise à identifier, en fonction des circonstances de fait et de droit propres à chaque cas d’espèce et dans un souci de rechercher la réalité économique qui sous-tend les opérations, la finalité économique poursuivie par les parties, en examinant, en présence de plusieurs transactions juridiquement distinctes, si les entreprises concernées auraient été disposées à conclure chaque transaction prise isolément ou si, au contraire, chaque transaction ne constitue qu’un élément
d’une opération plus complexe, sans laquelle elle n’aurait pas été conclue par les parties (arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T‑282/02, EU:T:2006:64, point 106).

112 En d’autres termes, afin de déterminer le caractère unitaire des transactions en cause, il s’agit, dans chaque cas d’espèce, d’apprécier si ces transactions sont interdépendantes de sorte que l’une n’aurait pas été réalisée sans l’autre (arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T‑282/02, EU:T:2006:64, point 107).

113 Cette démarche tend, d’une part, à assurer aux entreprises qui notifient une opération de concentration le bénéfice de la sécurité juridique pour l’ensemble des transactions qui réalisent cette opération et, d’autre part, à permettre à la Commission d’exercer un contrôle efficace sur les opérations de concentration qui sont susceptibles d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. Ces deux buts constituent, au
demeurant, l’objectif principal du règlement no 139/2004 (voir arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T‑282/02, EU:T:2006:64, point 108 et jurisprudence citée).

114 Il s’ensuit qu’une opération de concentration, au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, peut se réaliser même en présence d’une pluralité de transactions juridiques formellement distinctes dès lors que ces transactions sont interdépendantes de sorte qu’elles ne seraient pas réalisées les unes sans les autres et dont le résultat consiste à conférer à une ou à plusieurs entreprises le contrôle économique, direct ou indirect, sur l’activité d’une ou de plusieurs autres
entreprises (arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T‑282/02, EU:T:2006:64, point 109).

115 C’est notamment à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient d’examiner les cinq griefs avancés par la requérante sous forme de cinq sous-branches, selon lesquels, premièrement, le fait que « l’opération provisoire n’a été entreprise que dans la perspective de l’opération finale » est dénué de pertinence et n’est pas établi à suffisance de droit par la Commission, deuxièmement, le seul but de MS Holding n’était pas de « faciliter la prise du contrôle par la requérante de TMSC »,
troisièmement, le prétendu pouvoir de déterminer l’identité de l’acquéreur final et les risques économiques sont dénués de pertinence, quatrièmement, les conditions de la « réalisation partielle » au sens de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), ne sont pas remplies et, cinquièmement, l’opération provisoire n’a pas « contribué à changer durablement le contrôle » sur TMSC au sens de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371).

[omissis]

d)   Sur la quatrième sous‑branche, selon laquelle les conditions de la « réalisation partielle » au sens de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16), ne sont pas remplies

214 La requérante avance que si, au point 47 de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), la Cour a reconnu que, dans certaines circonstances, une « réalisation partielle » pouvait constituer une réalisation anticipée d’une concentration, une telle « réalisation partielle » ne peut exister que dans l’hypothèse d’une acquisition d’un « contrôle partiel ». Cela signifierait que l’acquéreur s’est vu conférer une certaine influence sur la prise de décisions stratégiques par la
cible. Or, la requérante n’aurait disposé d’aucun droit particulier susceptible de lui avoir conféré une telle influence sur la cible avant l’obtention des autorisations. En outre, la Cour ayant précisé, au point 46 dudit arrêt, qu’il n’y a violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 que lorsque les parties mettent en œuvre des opérations contribuant à changer durablement le contrôle sur l’entreprise cible, le « contrôle » constituerait l’élément essentiel, y compris en cas
de réalisation partielle. Enfin, il résulterait du point 61 de l’arrêt susmentionné, dans lequel la Cour a considéré que la mesure préparatoire en cause n’avait pas contribué à l’acquisition du contrôle, parce que les acquéreurs n’avaient pas eu la possibilité d’exercer une « influence quelconque » sur la cible, que, si un acquéreur n’a acquis « aucune influence », il n’y a pas de réalisation partielle.

215 La Commission conteste les arguments de la requérante.

216 En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel il résulte du point 47 de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), qu’une « réalisation partielle » d’une concentration ne peut exister que dans l’hypothèse d’une acquisition d’un « contrôle partiel », il est inexact.

217 Aux termes du point 47 de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), toute réalisation partielle d’une concentration relève du champ d’application de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.

218 Ainsi qu’il a été rappelé au point 73 ci‑dessus, il résulte de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), que le critère, pour déterminer si l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ont été violés, n’est pas celui de savoir s’il y a eu acquisition du contrôle, y compris donc d’un « contrôle partiel », de l’entreprise cible, mais, comme le soutient la Commission, celui de savoir si l’opération en cause a contribué à un changement de
contrôle de ladite entreprise.

219 En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel il résulte du point 46 de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), que le « contrôle » constitue l’élément « essentiel », il est également inexact.

220 Aux termes du point 46 de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), la réalisation d’une concentration a lieu dès que les parties à une concentration mettent en œuvre des opérations contribuant à changer durablement le contrôle sur l’entreprise cible.

221 En outre, il résulte du point 59 de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371) (voir point 65 ci‑dessus), qu’une concentration peut être réalisée par une opération qui, en tout ou en partie, en fait ou en droit, contribue au changement de contrôle de l’entreprise cible.

222 Ainsi, comme le fait valoir la Commission, si des opérations « contribuent » à un changement de contrôle au sens de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), y compris des opérations qui ne permettent pas de transférer, à elles seules, le contrôle, elles constituent une réalisation partielle d’une concentration.

223 En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel il résulte du point 61 de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), que, si un acquéreur n’a acquis « aucune influence », il n’y a pas de réalisation partielle, il convient de relever que si la Cour a considéré que la mesure en cause dans cette affaire ne relevait pas du champ d’application de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, parce que, parmi d’autres motifs, elle n’avait pas donné à
l’entreprise concernée une « influence quelconque » sur les sociétés cibles, la requérante a eu, en l’espèce, une certaine influence, puisque, comme le souligne la Commission au considérant 157 de la décision attaquée et ainsi qu’il a déjà été relevé (voir points 195 et 208 ci‑dessus), à partir de la date de l’opération provisoire, et indépendamment des résultats de l’autorisation de concentration, la requérante détenait la compétence exclusive de déterminer l’identité de l’acquéreur final de
TMSC. Si elle avait été empêchée de l’acquérir elle-même, la requérante aurait encore pu décider de l’identité de l’acquéreur final. C’est donc à juste titre que la Commission a indiqué, au considérant 155 de la décision attaquée, que la requérante avait acquis la possibilité d’exercer un certain degré d’influence sur TMSC à la suite de l’opération provisoire.

224 Il y a donc lieu de rejeter la quatrième sous‑branche.

e)   Sur la cinquième sous‑branche, selon laquelle l’opération provisoire n’a pas « contribué à changer durablement le contrôle » sur TMSC au sens de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16)

225 La requérante considère que le raisonnement de la Commission énoncé au considérant 143 de la décision attaquée, selon lequel l’opération provisoire était nécessaire pour obtenir un changement dans le contrôle de TMSC, en ce sens que cette opération présentait un lien fonctionnel direct avec la réalisation de la concentration, et selon lequel cela signifie que l’opération provisoire a contribué – au moins en partie – à changer le contrôle de l’entreprise cible au sens de l’arrêt du 31 mai 2018,
Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), est erroné pour plusieurs raisons.

1) Sur le critère du lien fonctionnel direct au sens de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16)

226 La requérante soutient que le « lien fonctionnel direct » requis par la Cour dans l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), pour retenir l’existence d’une réalisation anticipée d’une concentration n’existe que si l’acte entraîne en lui‑même le changement de contrôle. Or, la requérante rappelle que, selon le considérant 134 de la décision attaquée, elle n’a pas exercé de contrôle sur TMSC. Dans cet arrêt, la Cour aurait exclu l’existence d’une violation de l’obligation de
suspension lorsque l’acquéreur n’a pas acquis la possibilité d’exercer une « influence quelconque » sur la cible. En outre, il ressortirait clairement des points 48 et 49 dudit arrêt que même des opérations consécutives faisant partie d’une concentration unique ne constituent pas une réalisation anticipée d’une concentration dès lors que la première opération n’est pas « nécessaire » pour parvenir à un changement de contrôle, mais n’est qu’« accessoire » ou « préparatoire ». En l’espèce, le
transfert des actions à MS Holding n’était pas nécessaire pour que la requérante acquière le contrôle de TMSC.

227 La Commission conteste les arguments de la requérante.

228 Ainsi qu’il a déjà été relevé au point 73 ci‑dessus, le critère retenu par l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), pour déterminer si l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ont été violés n’est pas celui de savoir s’il y a eu acquisition du contrôle de l’entreprise cible, mais celui de savoir si l’opération en cause a contribué, en tout ou en partie, en fait ou en droit, au changement de contrôle de ladite entreprise.

229 Ainsi, le fait, souligné au considérant 134 de la décision attaquée et auquel renvoie la requérante, que celle‑ci n’a pas exercé de contrôle sur TMSC au cours de la période provisoire ne signifie pas que cette opération provisoire n’a pas contribué, en tout ou en partie, au changement de contrôle de l’entreprise cible (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young, C‑633/16, EU:C:2018:371, point 46).

230 Il convient donc de rejeter l’argument de la requérante selon lequel le « lien fonctionnel direct » prétendument requis par la Cour dans l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), pour retenir l’existence d’une réalisation anticipée d’une concentration n’existe que si l’acte entraîne en lui-même le changement de contrôle.

231 Selon le point 49 de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), les opérations qui ne sont pas nécessaires pour obtenir un changement de contrôle, en ce qu’elles ne présentent pas de lien fonctionnel direct avec la réalisation d’une concentration, ne satisfont pas au critère de la contribution à un changement de contrôle et, par conséquent, ne violent pas l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 lorsqu’elles sont réalisées avant la
notification et l’autorisation de la concentration.

232 En l’espèce, contrairement à ce que soutient la requérante, et ainsi qu’il est indiqué au considérant 149 de la décision attaquée, l’opération provisoire était nécessaire, car, premièrement, sans la structure de transaction en deux étapes proposée par la requérante, Toshiba aurait été dans l’impossibilité de renoncer au contrôle de TMSC et de percevoir de manière irréversible le paiement de TMSC avant la fin du mois de mars 2016, car Toshiba aurait dû attendre les autorisations des autorités de
concurrence pour la vente de TMSC. Deuxièmement, dans le cadre de cette structure en deux étapes, l’opération provisoire constituait une étape nécessaire pour parvenir à une modification du contrôle de TMSC. L’objectif de cette structure en deux étapes était que l’opération provisoire permette, d’une part, à un acheteur intermédiaire d’acheter tous les titres de vote de TMSC, mais sans qu’il soit nécessaire de satisfaire aux exigences en matière de notification et, d’autre part, à la requérante
de verser le prix de TMSC à Toshiba de manière irréversible tout en obtenant le plus de certitudes quant au fait qu’elle acquerra finalement le contrôle de TMSC. Troisièmement, aucune des structures d’opérations alternatives hypothétiques ne pouvait répondre à la nécessité pour Toshiba de recevoir un montant important d’apport en capital avant le 31 mars 2016.

233 En outre, comme le relève la Commission au considérant 154 de la décision attaquée, la Cour, dans l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), n’a pas qualifié le « lien fonctionnel direct » comme étant une exigence distincte de celle de la contribution à un changement de contrôle devant être remplie pour qu’une opération relève du champ d’application de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. Le critère retenu par ledit arrêt est celui de savoir si l’opération
en cause a contribué, en tout ou en partie, en fait ou en droit, au changement de contrôle de l’entreprise cible (voir point 73 ci‑dessus).

234 Enfin, au considérant 154 de la décision attaquée, la Commission cite les observations de la requérante faisant suite à la communication des griefs, dans lesquelles la requérante indique elle-même que « l’établissement de MS Holding était [...] nécessaire à la cession de TMSC par Toshiba, compte tenu de la situation financière de Toshiba ».

235 Par cette réponse, il y a lieu de considérer que la requérante a elle‑même admis que l’opération provisoire présentait un « lien fonctionnel direct » avec le changement de contrôle de TMSC.

[omissis]

3.   Sur la troisième branche, tirée de l’existence d’erreurs manifestes commises dans l’application de la notion de « réalisation partielle d’une “concentration unique” »

302 À titre liminaire, la requérante entend souligner le contexte dans lequel a été prise la décision attaquée. Selon la requérante, la Commission ne saurait se fonder sur la notion de « concentration unique » pour établir l’existence d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. La Commission confondrait deux notions distinctes, à savoir, d’une part, la notion de concentration unique qui concernerait la question de la compétence et
permettrait de déterminer si deux opérations différentes doivent être notifiées conjointement à la Commission, c’est-à-dire en particulier vérifier si le chiffre d’affaires des deux opérations doit être combiné dans le cadre du calcul des seuils de notification, et, d’autre part, la notion de concentration dans un contexte de prétendue réalisation anticipée d’une concentration en violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. La requérante
ajoute que c’est parce que la Commission n’a trouvé aucun élément prouvant que la requérante aurait contrôlé TMSC dès l’opération provisoire qu’elle a fondé une théorie novatrice et inédite de « réalisation partielle d’une concentration unique ». La Commission entendrait ainsi, de manière abusive, établir une nouvelle règle interdisant les structures dites de portage, même lorsqu’elles ne conduisent pas à une acquisition de contrôle antérieure aux autorisations.

303 La Commission conteste les arguments de la requérante.

304 Quant à l’argument de la requérante selon lequel la notion de concentration unique ne concernerait que la question de la compétence de la Commission, selon que certains seuils sont atteints ou non, mais pas la question de l’éventuelle violation de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, il suffit de constater que la Cour a eu l’occasion de relever que des arguments qui conduiraient à inclure des opérations dans la notion de concentration unique
conduiraient de facto à les inclure dans le champ d’application de l’article 7 du règlement no 139/2004 (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C‑10/18 P, EU:C:2020:149, point 53). Ainsi, ce qui relève de la notion de « concentration unique » relève du champ d’application de l’article 7 du règlement no 139/2004 et donc, logiquement, de celui de l’article 4 dudit règlement.

305 Quant à l’argument de la requérante selon lequel la Commission a entendu établir une nouvelle règle interdisant les structures dites de portage, même lorsqu’elles ne conduisent pas à une acquisition de contrôle antérieure aux autorisations, il convient de nuancer cette affirmation.

306 En effet, comme il a déjà été relevé au point 73 ci‑dessus, il résulte de l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371), que, pour déterminer si l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ont été violés, il n’est pas indispensable qu’il y ait eu une acquisition du contrôle de l’entreprise cible. Il peut suffire que l’opération en cause ait contribué, en tout ou en partie, en fait ou en droit, au changement de contrôle de ladite entreprise.

307 Il est toutefois exact que c’est la première fois que la Commission relève l’existence d’une violation des obligations de notification et de suspension dans le cadre d’une opération de concentration unique impliquant une structure de portage.

308 À l’appui de sa troisième branche, la requérante développe son argumentation autour de trois points.

a)   Sur l’argument selon lequel la notion de « concentration unique » ne peut se fonder sur le considérant 20 du règlement no 139/2004

309 Selon le considérant 20, in fine, du règlement no 139/2004, il convient « de traiter comme une concentration unique des opérations qui sont étroitement liées en ce qu’elles font l’objet d’un lien conditionnel ou prennent la forme d’une série de transactions sur titres effectuées dans un délai raisonnablement bref ».

310 La requérante soutient que la Commission n’a pas apporté, dans la décision attaquée, la preuve de l’existence d’un lien conditionnel entre les opérations provisoire et finale. Si les autorisations nécessaires dans le cadre de la procédure de contrôle n’avaient pas été obtenues, la requérante aurait pu trouver un acquéreur tiers pour les options sur actions. En outre, selon la requérante, la conclusion de la Commission, dans la décision attaquée, relative à l’existence d’une concentration unique
ne saurait se fonder sur le considérant 20 du règlement no 139/2004, comme l’ont constaté tant le Tribunal dans l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753), que la Cour dans l’arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission (C‑10/18 P, EU:C:2020:149). La requérante souligne par ailleurs que, au point 126 de son arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753), le Tribunal a précisé qu’il ne saurait être déduit de l’arrêt du
23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64), que, à chaque fois que plusieurs transactions sont interdépendantes, elles constituent nécessairement une concentration unique. Enfin, la requérante souligne que, selon le considérant 20 du règlement no 139/2004, la notion de concentration unique n’est pertinente que dans deux situations : lorsque deux opérations font l’objet d’un lien conditionnel et lorsqu’elles sont effectuées dans un délai raisonnablement
bref. Or, le cas d’espèce ne correspondrait à aucune de ces deux situations. Ces deux acquisitions n’auraient pas été effectuées dans un délai raisonnablement bref, puisque ce n’est que neuf mois après l’opération provisoire que la requérante a été en mesure d’exercer ses options sur actions.

311 La Commission conteste les arguments de la requérante.

312 En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la Commission n’a pas apporté, dans la décision attaquée, la preuve de l’existence d’un lien conditionnel entre les opérations provisoire et finale, il suffit de constater qu’il est inexact, ainsi qu’il a été constaté aux points 228 à 235 ci‑dessus.

313 À cet égard, le fait qu’il n’était pas absolument certain que les autorités de concurrence donnent les autorisations nécessaires ne saurait remettre en cause ce constat.

314 En effet, outre le fait que, comme la requérante l’indique elle-même, la probabilité d’obtenir les autorisations était élevée, un refus des autorités de concurrence n’aurait pas entraîné la résolution de la transaction. Le prix de TMSC a été versé de manière irréversible par la requérante à Toshiba, qui a pu l’inscrire en temps utile dans ses comptes. Il importe peu, dès lors, que la requérante soit bien l’acquéreur final de TMSC, ou qu’elle aurait dû le vendre à un acquéreur tiers de son choix.

315 En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la Commission ne pouvait fonder sa conclusion, dans la décision attaquée, de l’existence d’une concentration unique sur le considérant 20 du règlement no 139/2004, certes, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 91 de l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753), la notion de« concentration unique » figure uniquement au considérant 20 du règlement no 139/2004 et non dans les articles de ce règlement
(arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C‑10/18 P, EU:C:2020:149, point 42).

316 Au point 150 de l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753), le Tribunal a estimé que ce considérant ne contenait pas de définition exhaustive des conditions dans lesquelles deux opérations constituent une concentration unique. Il s’est fondé, à ce titre, sur la nature spécifique dudit considérant, qui, bien que pouvant permettre d’éclairer l’interprétation qu’il convient de donner à une règle de droit, ne saurait, à défaut d’avoir une valeur juridique
contraignante propre, constituer une telle règle (arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C‑10/18 P, EU:C:2020:149, point 43).

317 Or, si le considérant 20 du règlement no 139/2004 est susceptible de servir d’élément d’interprétation des dispositions de ce règlement, il ne saurait être valablement déduit du seul libellé de ce considérant une interprétation de la notion de « concentration unique » qui ne serait pas conforme à ces dispositions. En ce sens, la Cour a d’ailleurs eu l’occasion, à plusieurs reprises, d’indiquer que les considérants d’un acte de l’Union n’ont pas de valeur juridique contraignante et ne sauraient
être utilement invoqués pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné ni pour interpréter ces dispositions dans un sens manifestement contraire à leur libellé (arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission, C‑10/18 P, EU:C:2020:149, point 44).

318 En l’espèce, il y a lieu de constater que la Commission n’a pas fondé la décision attaquée sur le seul considérant 20 du règlement no 139/2004, mais sur l’article 3 du règlement no 139/2004, interprété à la lumière dudit considérant.

319 En ce qui concerne l’argument de la requérante tiré du point 126 de l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753), il est exact que le Tribunal y a indiqué, en réponse à un argument de la requérante dans cette affaire, fondé sur la notion du lien conditionnel tel que mentionné au considérant 20 du règlement no 139/2004, qu’il ne saurait être déduit du point 107 de l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64),
selon lequel, afin de déterminer le caractère unitaire des transactions en cause, il s’agit, dans chaque cas d’espèce, d’apprécier si ces transactions sont interdépendantes de sorte que l’une n’aurait pas été réalisée sans l’autre, que, à chaque fois que plusieurs transactions sont interdépendantes, elles constituent nécessairement une concentration unique.

320 Cependant, il convient de relever que les circonstances de cette affaire diffèrent de la présente espèce.

321 Cette affaire concernait l’acquisition du producteur et transformateur norvégien de saumon Morpol. Dans un premier temps, l’acquéreur a conclu un contrat d’acquisition d’actions par lequel il a acquis, sans notification préalable, 48,5 % du capital social de Morpol. Dans un second temps, il a acquis les actions restantes en lançant une offre publique obligatoire d’achat sur celles-ci.

322 Le Tribunal a constaté que, dans cette affaire, il y avait déjà eu acquisition du contrôle dès la conclusion du contrat d’acquisition d’actions (arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission, T‑704/14, EU:T:2017:753, point 132).

323 Dès lors, le Tribunal a conclu qu’il ne saurait être déduit de l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64), que, dans une situation dans laquelle l’acquisition du contrôle d’une seule entreprise cible a eu lieu par le biais d’une seule opération, il est nécessaire de considérer cette opération comme faisant partie d’une concentration unique, lorsque le rachat d’actions ayant abouti à la prise du contrôle et une offre publique d’achat obligatoire
ultérieure sont interdépendants (arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission, T‑704/14, EU:T:2017:753, point 133).

324 Ainsi, comme le souligne la Commission, la limitation prévue au point 126 de l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753), visait simplement à exclure la situation spécifique décrite au point 133 dudit arrêt et non à rejeter la notion de concentration unique.

325 D’ailleurs, le Tribunal a relevé que la Commission s’est, dans plusieurs décisions, appuyée sur le concept d’une « concentration unique » (arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission, T‑704/14, EU:T:2017:753, point 90), et il a entériné ce concept, notamment dans l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64).

326 Enfin, il y a lieu de souligner que la Cour a, dans l’arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest/Commission (C‑10/18 P, EU:C:2020:149), rejeté le pourvoi contre l’arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission (T‑704/14, EU:T:2017:753).

b)   Sur l’argument selon lequel le point 35 de la CJC constitue un fondement insuffisant pour les notions de « concentration unique » et de « réalisation partielle » de la Commission

1) Sur l’argument selon lequel la CJC ne constitue pas une base juridique suffisante et n’est pas juridiquement contraignante

327 D’une part, la requérante avance que la CJC ne constitue pas la base juridique appropriée en matière de réalisation anticipée d’une concentration, étant donné qu’elle n’aborde pas la question du moment auquel une concentration est réalisée au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. À supposer même qu’il soit possible de qualifier les « opérations de portage » au sens du point 35 de la CJC de « concentration unique », ledit point de la CJC ne sous-entendrait pas qu’une
« réalisation partielle » d’une « structure de portage » constitue une violation de l’article 4, paragraphe 1, [ou] de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. D’autre part, la requérante soutient que, lorsque la CJC s’écarte du règlement no 139/2004 et de la jurisprudence applicable, elle n’est pas contraignante pour les parties.

328 La Commission conteste les arguments de la requérante.

329 En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la CJC ne constituerait pas une base juridique suffisante, il convient de relever que, au considérant 75 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que, pour déterminer si plusieurs opérations font partie d’une concentration unique, il convenait de s’attacher à « l’objectif économique poursuivi par les parties », conformément à l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64, point 106)
(voir point 111 ci‑dessus).

330 Par ailleurs, au considérant 99, sous b), de la décision attaquée, la Commission a considéré que « l’opération provisoire a[vait] contribué (du moins en partie) au changement de contrôle de TMSC au sens de l’arrêt [du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371)] [ ; e]n procédant à l’opération provisoire, [la requérante] a partiellement réalisé la concentration unique consistant en l’acquisition du contrôle de TMSC par [la requérante] ».

331 Enfin, au considérant 101 de la décision attaquée, la Commission a expliqué qu’elle considérait que l’opération provisoire et l’opération finale constituaient une concentration unique au sens de l’article 3 du règlement no 139/2004 et de la jurisprudence des juridictions de l’Union, étant donné que, bien qu’étant juridiquement distinctes, elles s’inscrivaient dans le cadre d’un projet économique unique par lequel la requérante avait acquis le contrôle de TMSC auprès de Toshiba. Dans ce
considérant, la Commission a ajouté que les transactions successives conclues entre Toshiba, MS Holding et la requérante correspondaient étroitement au type de structure de transaction de concentration unique décrit au point 35 de la CJC.

332 Ainsi, la Commission a appliqué, dans la décision attaquée, la notion de concentration unique telle qu’elle est interprétée par le Tribunal dans l’arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T‑282/02, EU:T:2006:64), et a considéré que l’opération provisoire avait donné lieu à une réalisation partielle d’une concentration unique sur la base de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, tels qu’ils sont interprétés par la Cour dans
l’arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young (C‑633/16, EU:C:2018:371). Ce n’est que de manière subsidiaire que la Commission a fait mention du point 35 de la CJC.

333 C’est donc à tort que la requérante soutient que la CJC constitue la base juridique de la décision attaquée.

334 En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la CJC ne serait pas juridiquement contraignante à son détriment, ainsi qu’il a été relevé, la décision attaquée n’est pas fondée sur la CJC. Par ailleurs, elle n’est pas non plus fondée sur les autres points de la CJC.

335 Il y a donc lieu de rejeter l’argument de la requérante selon lequel la CJC ne constitue pas une base juridique suffisante et n’est pas juridiquement contraignante.

2) Sur l’argument selon lequel les conditions prévues au point 35 de la CJC ne sont pas remplies

336 La requérante avance que, à supposer que le point 35 de la CJC soit applicable au cas d’espèce, les conditions d’un « accord de portage » ne sont pas remplies, étant donné que, d’une part, selon ce point, l’« acquéreur provisoire acquiert généralement les actions “pour le compte” de l’acquéreur final », alors que MS Holding n’a pas acquis TMSC « pour le compte » de la requérante, et que, d’autre part, il n’existait pas de « lien direct » ou d’« accord prévoyant la revente future » entre le
« premier acquéreur » et l’« acquéreur final ». À cet égard, la requérante avance que MS Holding pouvait exercer tous les droits de vote dans TMSC et que les administrateurs de MS Holding disposaient du droit de céder leurs actions, étant donné qu’ils pouvaient céder des actions de catégorie A sans l’approbation de la requérante. Une cession hypothétique d’actions de catégorie A par les administrateurs de MS Holding n’aurait requis que l’approbation des administrateurs de TMSC et MS Holding
aurait pu aisément obtenir cette approbation en raison de son pouvoir de supprimer ou de remplacer l’intégralité du conseil d’administration de TMSC.

337 La Commission conteste les arguments de la requérante.

338 Il y a lieu de rappeler que le point 35 de la CJC mentionné, comme il a été relevé (voir points 332 et 334 ci‑dessus), de manière subsidiaire dans la décision attaquée ne constitue pas la base juridique de la décision attaquée.

339 Dès lors, il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante selon lequel les conditions prévues au point 35 de la CJC ne sont pas remplies.

[omissis]

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

  1) Le recours est rejeté.

  2) Canon Inc. est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

  3) Le Conseil de l’Union européenne supportera ses propres dépens.

Marcoulli

Frimodt Nielsen

  Norkus

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 mai 2022.

Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : T-609/19
Date de la décision : 18/05/2022
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Concurrence – Concentrations – Secteur de la fabrication d’instruments médicaux – Décision infligeant des amendes pour la réalisation d’une opération de concentration avant sa notification et son autorisation – Article 4, paragraphe 1, article 7, paragraphe 1, et article 14 du règlement (CE) no 139/2004 – Opération provisoire et opération finale – Structure de portage – Concentration unique – Droits de la défense – Confiance légitime – Principe de légalité – Proportionnalité – Montant des amendes – Circonstances atténuantes.

Concentrations entre entreprises

Concurrence


Parties
Demandeurs : Canon Inc.
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Norkus

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2022:299

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