La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/03/2022 | CJUE | N°T-350/17

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Singapore Airlines Ltd et Singapore Airlines Cargo Pte Ltd contre Commission européenne., 30/03/2022, T-350/17


 ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

30 mars 2022 ( *1 )

« Concurrence – Ententes – Marché du fret aérien – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord entre la Communauté et la Suisse sur le transport aérien – Coordination d’éléments du prix des services de fret aérien (surtaxe carburant, surtaxe sécurité, paiement d’une commission sur les surtaxes) – Échange d’informations – Compétence territoriale de la Commission – Principe n

e bis in idem – Contrainte étatique – Infraction unique
et continue – Montant de l’amende – Valeur des ventes – Gravité ...

 ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

30 mars 2022 ( *1 )

« Concurrence – Ententes – Marché du fret aérien – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord entre la Communauté et la Suisse sur le transport aérien – Coordination d’éléments du prix des services de fret aérien (surtaxe carburant, surtaxe sécurité, paiement d’une commission sur les surtaxes) – Échange d’informations – Compétence territoriale de la Commission – Principe ne bis in idem – Contrainte étatique – Infraction unique
et continue – Montant de l’amende – Valeur des ventes – Gravité de l’infraction – Compétence de pleine juridiction »

Dans l’affaire T‑350/17,

Singapore Airlines Ltd, établie à Singapour (Singapour),

Singapore Airlines Cargo Pte Ltd, établie à Singapour,

représentées par MM. J. Kallaugher, J. P. Poitras, solicitors, et Me J. Ruiz Calzado, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. A. Dawes et C. Urraca Caviedes, en qualité d’agents, assistés de M. C Brown, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2017) 1742 final de la Commission, du 17 mars 2017, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire AT.39258 – Fret aérien), en tant qu’elle vise les requérantes, et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende qui leur
a été infligée,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

composé de MM. H. Kanninen (rapporteur), président, J. Schwarcz, C. Iliopoulos, D. Spielmann et Mme I. Reine, juges,

greffier : Mme E. Artemiou, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 26 juin 2019,

rend le présent

Arrêt ( 1 )

[omissis]

II. Procédure et conclusions des parties

60 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er juin 2017, les requérantes ont introduit le présent recours.

61 La Commission a déposé le mémoire en défense au greffe du Tribunal le 29 septembre 2017.

62 Les requérantes ont déposé la réplique au greffe du Tribunal le 15 décembre 2017.

63 La Commission a déposé la duplique au greffe du Tribunal le 2 mars 2018.

64 Le 24 avril 2019, sur proposition de la quatrième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 de son règlement de procédure, de renvoyer la présente affaire devant une formation de jugement élargie.

65 Le 7 juin 2019, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a posé des questions écrites aux parties. Ces dernières ont répondu dans le délai imparti.

66 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 26 juin 2019. Les requérantes ont produit, à cette occasion, une nouvelle pièce que le Tribunal a décidé de verser au dossier tout en réservant la question de sa recevabilité.

67 Par ordonnance du 31 juillet 2020, le Tribunal (quatrième chambre élargie), considérant qu’il était insuffisamment éclairé et qu’il y avait lieu d’inviter les parties à présenter leurs observations concernant un argument sur lequel elles n’avaient pas débattu, a ordonné la réouverture de la phase orale de la procédure en application de l’article 113 du règlement de procédure.

68 Les parties ont, dans le délai imparti, répondu à une série de questions posées par le Tribunal le 4 août 2020, puis soumis des observations sur leurs réponses respectives.

69 Par décision du 6 novembre 2020, le Tribunal a clos de nouveau la phase orale de la procédure.

70 Les requérantes concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée, en tout ou en partie, en tant qu’elle les concerne ;

– en outre, ou à titre subsidiaire, réduire significativement le montant de l’amende qui leur a été infligée ;

– condamner la Commission aux dépens ;

– adopter toute mesure nécessaire dans les circonstances de l’affaire.

71 La Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– modifier le montant de l’amende infligée aux requérantes en leur retirant le bénéfice de la réduction générale de 50 % et de la réduction générale de 15 % dans l’hypothèse où le Tribunal jugerait que le chiffre d’affaires provenant de la vente de services de fret entrants ne pouvait pas être inclus dans la valeur des ventes ;

– condamner les requérantes aux dépens.

III. En droit

[omissis]

A.   Sur les conclusions en annulation

[omissis]

6. Sur le quatrième moyen, tiré d’erreurs de droit, d’appréciation et de fait dans la constatation de la participation des requérantes à l’infraction unique et continue

[omissis]

b) Sur la deuxième branche, prise d’une violation du principe ne bis in idem en ce que la Commission aurait retenu la participation des requérantes à l’infraction unique et continue sur les liaisons intra-Union avant le 1er mai 2004 et sur les liaisons Union-Suisse

519 Les requérantes font valoir que les comportements antérieurs au 1er mai 2004 ne sauraient leur être opposés pour établir leur participation à une infraction en rapport avec les liaisons intra-Union, de même que les comportements en lien avec les liaisons Union-Suisse, sans contrevenir au principe ne bis in idem, dès lors que la décision du 9 novembre 2010 n’avait pas constaté leur participation à une telle infraction.

520 Selon les requérantes, les principes découlant de l’arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582), mentionnés aux considérants 1056 et 1057 de la décision attaquée, ne devraient pas conduire à écarter le principe ne bis in idem, dans la mesure où, d’une part, l’arrêt du 16 décembre 2015, Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo Pte/Commission (T‑43/11, non
publié, EU:T:2015:989), ne prononçait pas l’annulation de la décision du 9 novembre 2010 au regard d’un défaut purement formel, mais d’une violation grave des droits de la défense et, d’autre part, la décision attaquée a une portée substantiellement plus large que cette décision.

521 La Commission conteste l’argumentation des requérantes.

522 Il est de jurisprudence constante que le principe ne bis in idem, par ailleurs énoncé à l’article 50 de la Charte, doit être respecté dans les procédures de mise en œuvre du droit de la concurrence qui tendent à l’infliction d’amendes. Ce principe interdit qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois du fait d’un comportement anticoncurrentiel du chef duquel elle a été sanctionnée ou dont elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus
susceptible de recours (voir arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2012:72, point 94 et jurisprudence citée).

523 En l’espèce, les requérantes se prévalent de la décision du 9 novembre 2010 qui constituerait, selon elles, une décision antérieure et définitive les déclarant non responsables de l’infraction unique et continue pour les liaisons intra-Union et Union-Suisse.

524 Il convient d’abord de déterminer si l’allégation des requérantes selon laquelle ladite décision constitue une déclaration de non-responsabilité est fondée.

525 À cet égard, il convient de relever qu’une telle déclaration suppose que la responsabilité de l’entreprise concernée ait été appréciée à l’issue d’un examen des circonstances de l’affaire, en d’autres termes qu’il y ait eu une appréciation du fond de l’affaire. Une telle appréciation suppose, à son tour, que la Commission se soit livrée à l’étude ou à l’évaluation des preuves versées au dossier et ait porté une appréciation sur la participation de l’entreprise concernée à l’un ou à l’ensemble
des comportements ayant fait l’objet de la communication des griefs, aux fins de déterminer si sa responsabilité a été établie.

526 En l’espèce, au point 1582 de la communication des griefs, la Commission indiquait qu’elle « envisage[ait] […] d’adopter une décision […] constatant que les entreprises qui sont les destinataires de la présente communication des griefs ont violé l’article [101 TFUE], l’article 53 de l’accord EEE et l’article 8 de l’accord [CE-Suisse sur le transport aérien] ». Ainsi qu’il ressort du point 8 ci-dessus, les requérantes figuraient parmi ces destinataires.

527 Il ressort des points 3, 129, 1389, 1395 et 1434, ainsi que du point 1575, sous c), et du point 1577 de la communication des griefs que l’infraction que la Commission envisageait de retenir au point 1582 de ladite communication couvrait, notamment, les liaisons intra-Union pour l’ensemble de la période infractionnelle et les liaisons Union-Suisse à partir du 1er juin 2002.

528 Il s’ensuit que, dans la communication des griefs, la Commission envisageait de tenir les requérantes pour responsables d’une violation des règles de concurrence pertinentes sur les liaisons intra-Union et Union-Suisse.

529 En revanche, dans la décision du 9 novembre 2010, la Commission ne s’est pas expressément prononcée sur la responsabilité des requérantes sur les liaisons intra-Union et Union-Suisse. Dans le dispositif de cette décision, elle les a tenues pour responsables de l’infraction unique et continue en tant qu’elle concernait les liaisons Union-pays tiers (article 2 de la décision du 9 novembre 2010) et les liaisons EEE sauf Union-pays tiers (article 3 de cette décision), mais pas en tant qu’elle
concernait les liaisons intra-EEE, qui incluent les liaisons intra-Union (article 1er de ladite décision), ni les liaisons Union-Suisse (article 4 de la même décision). Elle ne les a pas non plus sanctionnées au titre d’une violation des règles de concurrence pertinentes sur ces deux dernières catégories de liaisons. Pour autant, la Commission n’a pas explicitement exclu qu’elles fussent responsables de telles violations sur lesdites catégories de liaisons.

530 La question est donc de savoir s’il peut être déduit de ce silence que, dans la décision du 9 novembre 2010, la Commission a implicitement déclaré les requérantes non responsables de l’infraction unique et continue en tant qu’elle concerne les liaisons intra-Union et Union-Suisse, de sorte qu’elle ne pourrait plus les condamner à cet égard dans la décision attaquée sans violer le principe ne bis in idem.

531 À cet égard, il convient de rappeler que la mission de surveillance que confèrent l’article 105, paragraphe 1, TFUE, l’article 55, paragraphe 1, de l’accord EEE et l’accord CE-Suisse sur le transport aérien à la Commission en matière de concurrence n’implique pas, pour elle, l’obligation de se prononcer sur l’existence ou non d’une infraction aux règles pertinentes de concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T‑24/90, EU:T:1992:97, points 74 à 76, et du
16 octobre 2013, Vivendi/Commission, T‑432/10, non publié, EU:T:2013:538, point 68). Il ne saurait non plus être déduit des dispositions du règlement no 1/2003 et des dispositions d’exécution de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien que la Commission aurait l’obligation de constater et de sanctionner tout comportement anticoncurrentiel (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2015, Philips/Commission, T‑92/13, non publié, EU:T:2015:605,
point 112).

532 Il ne saurait davantage découler des dispositions du règlement no 1/2003 ou des dispositions d’exécution de l’article 53 de l’accord EEE ou de l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien qu’une telle obligation incomberait à la Commission lorsque cette dernière indique, dans la communication des griefs, qu’elle envisage de constater une violation des règles de concurrence pertinentes. La Commission ne saurait ainsi être contrainte, dans la décision finale, de se prononcer sur
l’existence ou non d’une violation des règles de concurrences pertinentes qu’elle aurait envisagé de constater dans la communication des griefs.

533 Il ne saurait dès lors être conclu que, en s’abstenant de retenir une violation des règles de concurrence pertinentes dans la décision finale quant à certains comportements visés dans la communication des griefs, la Commission a, implicitement, mais nécessairement, effectué une déclaration de non-responsabilité à cet égard.

534 L’économie générale du règlement no 1/2003 confirme cette interprétation. Il convient, en effet, de relever que c’est de l’article 10 du règlement no 1/2003, qui l’habilite à procéder au constat de l’inapplication de l’article 101 TFUE à un comportement donné, notamment parce que les conditions de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne sont pas remplies, que la Commission tire son pouvoir de constater l’absence de violation de l’article 101 TFUE et ainsi d’adopter une décision « négative » sur le
fond susceptible d’empêcher un constat ultérieur d’infraction audit article (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 2011, Tele2 Polska, C‑375/09, EU:C:2011:270, points 23, 24, 28 et 29). Il en est de même lorsque la Commission fait usage des pouvoirs qui lui sont conférés par le règlement no 1/2003 pour l’application de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien.

535 Or, l’article 10 du règlement no 1/2003 est la seule base légale sur laquelle la Commission peut se fonder pour adopter une décision constatant l’inapplication des règles du traité en matière de concurrence à un comportement individuel donné.

536 Cela ressort, premièrement, du libellé du titre de l’article 10 dudit règlement ainsi que de ses dispositions. En effet, celui-ci porte sur la « constatation d’inapplication », et dispose que « [l]orsque l’intérêt public [de l’Union] concernant l’application des articles [101 et 102 TFUE] le requiert, la Commission, agissant d’office, peut constater par voie de décision que l’article [101 TFUE] est inapplicable à un accord, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée soit
parce que les conditions de l’article [101], paragraphe 1, [TFUE] ne sont pas remplies, soit parce que les conditions de l’article [101], paragraphe 3, [TFUE] sont remplies ».

537 Deuxièmement, il convient de relever qu’aucune autre disposition du règlement no 1/2003 ne confère à la Commission la faculté de constater l’inapplication des règles du traité en matière de concurrence à un comportement individuel donné. Le considérant 14 de ce règlement explicite l’intention du législateur de limiter strictement la faculté de la Commission à cet égard aux hypothèses couvertes par l’article 10 de ce règlement, en indiquant qu’un tel constat ne peut intervenir que dans « des cas
exceptionnels et lorsque l’intérêt public [de l’Union] le requiert ».

538 Troisièmement, la Cour a jugé que l’ouverture d’une procédure par la Commission en vue de sanctionner des comportements anticoncurrentiels ne dessaisit pas de manière permanente et définitive les autorités de concurrence des États membres de leur compétence pour appliquer l’article 101 TFUE aux comportements concernés, la compétence desdites autorités étant en effet restaurée dès que la procédure engagée par la Commission s’achève, y compris par le biais d’une décision prise sur le fondement de
l’article 7 du règlement no 1/2003 (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2012:72, points 79, 80, 86 et 87). C’est dans ce contexte qu’il convient d’apprécier la portée à donner au silence de la Commission quant à certains comportements, dans le cadre d’une décision prise sur le fondement de l’article 7 du règlement no 1/2003. Or, interpréter ce silence comme un constat implicite d’absence de violation des règles de concurrence aboutirait à ce que
les autorités de concurrence des États membres ne puissent jamais recouvrer leur compétence pour appliquer l’article 101 TFUE relativement à des comportements à l’égard desquels la Commission a ouvert une procédure puis clôturé celle-ci par l’adoption d’une décision prise sur le fondement de l’article 7 du règlement no 1/2003, au motif que le principe ne bis in idem serait violé. Une telle interprétation irait à l’encontre de la jurisprudence rappelée au présent point.

539 Quatrièmement, il y a lieu de souligner que la Cour s’est penchée sur la portée des décisions prises par les autorités de concurrence des États membres sur le fondement de l’article 5, second alinéa, du règlement no 1/2003, par lesquelles elles considèrent, sur la base des informations dont elles disposent, que les conditions d’une interdiction ne sont pas réunies. Il ressort ainsi des points 22 à 28 de l’arrêt du 3 mai 2011, Tele2 Polska (C‑375/09, EU:C:2011:270), que de telles décisions
n’emportent pas de déclaration de non-responsabilité susceptible d’empêcher un constat ultérieur d’infraction. Autrement dit, le comportement anticoncurrentiel d’une entreprise visé par une décision de ce type est susceptible de faire l’objet, ultérieurement, de poursuites et le cas échéant, d’une condamnation, sans qu’il y ait lieu de considérer que ces dernières violent le principe ne bis in idem [voir, en ce sens, arrêts du 3 mai 2011, Tele2 Polska, C‑375/09, EU:C:2011:270, points 22 à 28 ;
du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, points 28 à 31 ; voir également, en ce sens, conclusions de l’avocat général Mazák dans l’affaire Tele2 Polska, C‑375/09, EU:C:2010:743, point 30].

540 À cet égard, il importe de relever qu’une décision de non-lieu à intervenir prise sur le fondement de l’article 5, second alinéa, du règlement no 1/2003 peut être adoptée après l’examen sur le fond d’un comportement et l’envoi d’un acte d’accusation, sur le modèle de la communication des griefs adressée par la Commission en application de l’article 10 du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission, en application des
articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18).

541 Ainsi, ni l’état d’avancement de la procédure, ni l’étendue de l’analyse du bien-fondé des accusations réalisée dans ce cadre par l’autorité de concurrence compétente ne sont de nature à modifier la portée de son silence dans la décision finale quant à tout ou partie de la responsabilité de l’entreprise mise en cause.

542 Ces considérations, bien qu’elles s’inscrivent dans le cadre de l’interprétation des dispositions de l’article 5, second alinéa, du règlement no 1/2003, renseignent utilement sur la portée des décisions prises par la Commission sur le fondement de l’article 7 du règlement no 1/2003, du point de vue de l’application du principe ne bis in idem. En effet, le contexte propre à ces deux articles peut être rapproché, dans la mesure où ils doivent, l’un et l’autre, être appréciés, notamment, à l’aune
des pouvoirs spécifiquement dévolus à la Commission au titre de l’article 10 de ce règlement. En outre, un texte du droit dérivé de l’Union devant être interprété, dans la mesure du possible, dans le sens de sa conformité avec les dispositions des traités et les principes généraux du droit de l’Union, la portée donnée par la Cour, dans son arrêt du 3 mai 2011, Tele2 Polska (C‑375/09, EU:C:2011:270), à la faculté de décider qu’il n’y a pas lieu à intervenir se comprend comme impliquant la
conformité de cette faculté, ainsi entendue, avec le principe ne bis in idem.

543 Dès lors, à supposer même qu’une décision prise par la Commission sur le fondement de l’article 7 du règlement no 1/2003 soit constitutive, s’agissant des comportements pour lesquels les conditions d’une interdiction n’ont pas été déclarées réunies, d’une décision de non-lieu à intervenir, elle ne saurait emporter de déclaration de non-responsabilité.

544 En l’espèce, il convient de constater que la décision du 9 novembre 2010 est une décision de constatation d’infraction prise sur le fondement de l’article 7 du règlement no 1/2003. En revanche, il ne ressort pas de ladite décision, et il n’est d’ailleurs pas soutenu devant le Tribunal, que la Commission aurait également entendu faire application, dans le cadre de cette décision, de l’article 10 du règlement no 1/2003.

545 Il s’ensuit que la décision du 9 novembre 2010, qui n’a pas été adoptée sur le fondement de l’article 10 du règlement no 1/2003 aux fins de constater l’absence de violation par les requérantes de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, sur les liaisons intra-EEE et Union-Suisse, et qui ne contient pas, dans son dispositif, de déclaration en ce sens, ne saurait constituer une déclaration de non-responsabilité des
requérantes à cet égard.

546 Enfin, dans la mesure où les requérantes font valoir que les principes découlant de l’arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582), ne doivent pas conduire à écarter l’application du principe ne bis in idem, il y a lieu de constater que cet argument repose sur la prémisse selon laquelle les conditions d’application dudit principe étaient réunies. Or, ainsi qu’il
ressort du point 545 ci-dessus, les requérantes n’ont pas été déclarées non responsables des comportements en cause par une décision antérieure, de sorte que le principe ne bis in idem ne trouve pas, en l’espèce, à s’appliquer. La prémisse sur laquelle repose le présent argument fait, partant, défaut.

547 À supposer que les requérantes aient entendu en outre, par référence à cette jurisprudence, faire valoir que l’arrêt du 16 décembre 2015, Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo Pte/Commission (T‑43/11, non publié, EU:T:2015:989), valait « acquittement » dans la mesure où l’annulation prononcée par le Tribunal ne l’aurait pas été au regard d’un défaut purement formel, il suffit de relever que ce dernier a estimé que la décision du 9 novembre 2010 était entachée d’un vice de motivation
justifiant son annulation (voir point 16 ci-dessus), de sorte que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, cette décision a bien été annulée pour des motifs de forme sans qu’il ait été statué au fond sur les faits reprochés.

548 À cet égard, il importe de souligner également que, par cet arrêt, le Tribunal a annulé la décision du 9 novembre 2010 au motif, notamment, que celle-ci comportait des contradictions s’agissant de l’étendue de la responsabilité des requérantes quant aux liaisons intra-Union et Union-Suisse.

549 Il y a lieu, au regard de ce qui précède, de rejeter la présente branche, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le caractère définitif de la prétendue déclaration de non-responsabilité ou sur l’existence d’une seconde procédure concernant les mêmes faits qui découlerait de l’adoption de la décision attaquée suite à l’annulation, par le Tribunal, de la décision du 9 novembre 2010.

[omissis]

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête :

  1) Le recours est rejeté.

  2) La Commission européenne supportera le tiers de ses dépens.

  3) Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo supporteront leurs propres dépens ainsi que les deux tiers des dépens de la Commission.

Kanninen

Schwarcz

Iliopoulos

  Spielmann

Reine

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 mars 2022.

Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre élargie
Numéro d'arrêt : T-350/17
Date de la décision : 30/03/2022
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Concurrence – Ententes – Marché du fret aérien – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord entre la Communauté et la Suisse sur le transport aérien – Coordination d’éléments du prix des services de fret aérien (surtaxe carburant, surtaxe sécurité, paiement d’une commission sur les surtaxes) – Échange d’informations – Compétence territoriale de la Commission – Principe ne bis in idem – Contrainte étatique – Infraction unique et continue – Montant de l’amende – Valeur des ventes – Gravité de l’infraction – Compétence de pleine juridiction.

Ententes

Concurrence


Parties
Demandeurs : Singapore Airlines Ltd et Singapore Airlines Cargo Pte Ltd
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Kanninen

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2022:186

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award