La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/09/2020 | CJUE | N°T-549/19

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Medac Gesellschaft für klinische Spezialpräparate mbH contre Commission européenne., 23/09/2020, T-549/19


 ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

23 septembre 2020 ( *1 )

« Médicaments à usage humain – Médicaments orphelins – Demande d’autorisation de mise sur le marché du médicament Trecondi‑tréosulfan – Décision de rayer un médicament du registre des médicaments orphelins – Article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 141/2000 – Notion de “méthode satisfaisante” – Article 5, paragraphe 12, sous b), du règlement no 141/2000 – Erreur de droit »

Dans l’affaire T‑549/19,

Medac Gesellschaft f

r klinische Spezialpräparate mbH, établie à Wedel (Allemagne), représentée par Me P. von Czettritz, avocat,

partie requérante,

...

 ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

23 septembre 2020 ( *1 )

« Médicaments à usage humain – Médicaments orphelins – Demande d’autorisation de mise sur le marché du médicament Trecondi‑tréosulfan – Décision de rayer un médicament du registre des médicaments orphelins – Article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 141/2000 – Notion de “méthode satisfaisante” – Article 5, paragraphe 12, sous b), du règlement no 141/2000 – Erreur de droit »

Dans l’affaire T‑549/19,

Medac Gesellschaft für klinische Spezialpräparate mbH, établie à Wedel (Allemagne), représentée par Me P. von Czettritz, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B.-R. Killmann et A. Sipos, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation partielle de la décision d’exécution C(2019) 4858 final de la Commission, du 20 juin 2019, portant autorisation de mise sur le marché du médicament à usage humain Trecondi-tréosulfan,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de MM. A. Kornezov (rapporteur), président, J. Passer et G. Hesse, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt ( 1 )

Antécédents du litige

1 Par décision de la Commission des Communautés européennes du 23 février 2004, un médicament potentiel à base de tréosulfan, dont le promoteur est la requérante, Medac Gesellschaft für klinische Spezialpräparate mbH, a été désigné comme médicament orphelin et inscrit au registre des médicaments orphelins de l’Union européenne conformément au règlement (CE) no 141/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1999, concernant les médicaments orphelins (JO 2000, L 18, p. 1) (ci-après la
« décision de désignation de 2004 »), pour l’indication thérapeutique suivante : « traitement de conditionnement préalable à une greffe allogénique de cellules souches hématopoïétiques ».

2 Le 13 octobre 2017, la requérante a présenté à l’Agence européenne des médicaments (EMA) et, plus précisément, au comité des médicaments orphelins prévu à l’article 4 du règlement no 141/2000 (ci‑après le « COMP »), un rapport sur le maintien de la désignation du tréosulfan en tant que médicament orphelin au moment de l’octroi de l’autorisation de mise sur le marché (AMM).

[omissis]

4 Le 8 novembre 2018, dans le cadre de la procédure déclenchée par le rapport de la requérante du 13 octobre 2017 sur le maintien de la désignation du tréosulfan en tant que médicament orphelin au moment de l’octroi de l’AMM, le COMP a transmis à la requérante un avis provisoire concernant le maintien de ladite désignation (ci-après l’« avis provisoire du 8 novembre 2018 »). Dans cet avis, le COMP a constaté que le critère de la prévalence énoncé à l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement
no 141/2000 était satisfait, à savoir que ledit médicament était destiné au traitement d’une affection entraînant une menace pour la vie ou une invalidité chronique ne touchant pas plus de cinq personnes sur dix mille dans l’Union européenne, au moment où la demande est introduite. S’agissant de l’existence d’un bénéfice notable au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 141/2000, ce comité a considéré que la requérante devait établir l’existence d’un tel bénéfice par rapport
aux médicaments busulfan (Busilvex) et thiotépa (Tepadina) ainsi qu’aux médicaments à base de melphalan et de cyclophosphamide autorisés au niveau national.

[omissis]

7 Le 19 décembre 2018, le COMP a adopté un avis sur le maintien de la désignation du Trecondi-tréosulfan en tant que médicament orphelin au moment de l’octroi de l’AMM, dans lequel il concluait que la requérante avait démontré que le Trecondi-tréosulfan procurerait un bénéfice notable par rapport au busulfan (Busilvex) et au thiotépa (Tepadina), mais non par rapport aux médicaments à base de melphalan et de cyclophosphamide.

8 Le 19 mars 2019, la requérante a demandé au COMP, au titre de l’article 5, paragraphe 7, du règlement no 141/2000, de réexaminer son avis du 19 décembre 2018. À cette fin, elle a présenté de nouvelles analyses de comparaison du Trecondi-tréosulfan avec les traitements à base de melphalan et de cyclophosphamide.

9 Le 8 mai 2019, le COMP a adopté son avis final sur le maintien de la désignation du Trecondi-tréosulfan en tant que médicament orphelin au moment de l’octroi de l’AMM (ci‑après l’« avis final du COMP »), dans lequel il a confirmé les conclusions auxquelles il était parvenu dans son avis du 19 décembre 2018. En particulier, il a considéré que les analyses présentées par la requérante dans sa demande de réexamen du 19 mars 2019 n’étaient pas assez fiables et a, par conséquent, maintenu sa position
selon laquelle elle n’avait pas établi l’existence d’un bénéfice notable du Trecondi-tréosulfan par rapport aux médicaments à base de melphalan et de cyclophosphamide. Dès lors, selon l’avis final du COMP, les conditions de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 141/2000 n’étaient pas remplies au moment de l’octroi de l’AMM, raison pour laquelle ledit comité a recommandé à la Commission de ne pas maintenir la désignation du Trecondi-tréosulfan en tant que médicament orphelin au moment
de l’octroi de l’AMM.

10 Le 20 juin 2019, la Commission a adopté la décision C(2019) 4858 final portant AMM du médicament à usage humain Trecondi-tréosulfan au titre du règlement no 726/2004 (ci-après la « décision attaquée »). L’article 1er de cette décision énonce que « l’[AMM] prévue à l’article 3 du règlement [...] no 726/2004 est octroyée pour le médicament “Trecondi-tréosulfan”, dont le résumé des caractéristiques figure à l’annexe I de [cette] décision », et que ce médicament « est inscrit au registre des
médicaments de l’Union […] sous la référence EU/1/18/1351 ».

11 Cependant, en se fondant sur l’avis final du COMP, la Commission a décidé que le Trecondi-tréosulfan ne remplissait plus les critères de désignation établis à l’article 3 du règlement no 141/2000 et que, dès lors, il ne pouvait être désigné comme médicament orphelin (considérant 4 de la décision attaquée). Par conséquent, l’article 5 de la décision attaquée énonce que le « médicament “Trecondi-tréosulfan” ne doit pas être classé en tant que médicament orphelin » et qu'« [i]l y a lieu de mettre à
jour le registre […] des médicaments orphelins [de l’Union] en conséquence ».

Procédure et conclusions des parties

12 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 août 2019, la requérante a introduit le présent recours.

13 Le même jour, la requérante a introduit une demande en référé, laquelle a été rejetée par ordonnance du 26 septembre 2019, Medac Gesellschaft für klinische Spezialpräparate/Commission (T‑549/19 R, non publiée, EU:T:2019:695), confirmée par ordonnance du 26 février 2020, Medac Gesellschaft für klinische Spezialpräparate/Commission [C‑832/19 P(R), non publiée, EU:C:2020:112].

14 Le 18 octobre 2019, la Commission a déposé son mémoire en défense.

15 Le 23 avril 2020, le Tribunal a invité les parties, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 de son règlement de procédure, à répondre à certaines questions (ci-après la « première MOP »).

16 Le 12 mai 2020, la requérante a informé le Tribunal qu’elle ne souhaitait plus être entendue lors d’une audience et a demandé au Tribunal de lui permettre de présenter des observations écrites.

17 Le 8 juin 2020, les parties ont déposé leurs réponses aux questions posées dans le cadre de la première MOP (ci-après les « réponses à la première MOP »).

18 Le 18 juin 2020, le Tribunal a invité les parties, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, à présenter leurs observations, y compris en ce qui concernait les réponses à la première MOP. La requérante a déféré à cette demande le 2 juillet 2020, et la Commission le 15 juillet 2020.

19 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler l’article 5 de la décision attaquée ;

– condamner la Commission aux dépens.

20 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours comme non fondé ;

– condamner la requérante aux dépens.

21 En l’absence de demande en ce sens formulée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure, le 17 juillet 2020, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, a, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure, décidé de statuer sans phase orale de la procédure.

22 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 18 août 2020, la requérante a présenté de nouvelles offres de preuve au soutien des troisième et cinquième moyens de la requête au titre de l’article 85 du règlement de procédure et, à titre subsidiaire, un moyen nouveau au titre de l’article 84 du règlement de procédure. Elle a également demandé la réouverture de la phase orale de la procédure au titre de l’article 113, paragraphe 2, du règlement de procédure. Le Tribunal a décidé de ne pas rouvrir cette
dernière, aucune des conditions prévues à l’article 113, paragraphe 2, du règlement de procédure n’étant remplie en l’espèce. En particulier, les nouvelles offres de preuve et les nouveaux arguments de la requérante ne sont pas de nature à exercer une influence décisive sur la décision du Tribunal pour les raisons exposées ci-après.

En droit

23 La requérante invoque, à l’appui de son recours, cinq moyens, tirés, le premier, d’une erreur de droit manifeste dans l’interprétation de la notion de « méthode satisfaisante » au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 141/2000, le deuxième, d’un détournement de pouvoir et d’une méconnaissance de l’avis de la Commission du 18 novembre 2016 sur l’application des articles 3, 5 et 7 du règlement no 141/2000 (JO 2016, C 424, p. 3, ci-après l'« avis de la Commission de 2016 »), le
troisième, d’une violation des principes d’égalité de traitement et de protection de la confiance légitime en ce que la Commission se serait fondée sur une définition de l’affection orpheline visée par le médicament Trecondi‑tréosulfan plus large que celle initialement retenue, le quatrième, d’un détournement de pouvoir manifeste résultant de la non‑acceptation et du rejet des donnés de comparaison qu’elle a fournies et, le cinquième, d’un détournement de pouvoir en raison d’une violation du
principe d’égalité de traitement du fait du rejet des données de comparaison indirectes.

[omissis]

Sur les premier et deuxième moyens

[omissis]

Sur le fond

49 L’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 141/2000 prévoit des critères alternatifs pour la désignation d’un médicament en tant que médicament orphelin, à savoir qu’il n’existe pas de méthode satisfaisante de diagnostic, de prévention ou de traitement de cette affection ayant été autorisée dans l’Union (première hypothèse), ou, s’il en existe, que le médicament en question procurera, par rapport aux méthodes satisfaisantes existantes, un bénéfice notable à ceux atteints de cette
affection (seconde hypothèse).

50 La notion d’« affection » à laquelle l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 141/2000 fait référence est celle définie par l’article 3, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, à savoir une affection entraînant une menace pour la vie ou une invalidité chronique ne touchant pas plus de cinq personnes sur dix mille dans l’Union, au moment où la demande est introduite.

51 En l’espèce, ainsi qu’il a été relevé au point 9 ci-dessus, le COMP a conclu que la requérante avait démontré que le Trecondi‑tréosulfan procurerait un bénéfice notable par rapport aux médicaments à base de busulfan (Busilvex) et de thiotépa (Tepadina), mais non par rapport aux médicaments à base de melphalan et de cyclophosphamide. Dans ce contexte, la requérante considère, en substance, que les médicaments à base de melphalan et de cyclophosphamide ne constituent pas, compte tenu de leurs RCP
respectifs, des « méthodes satisfaisantes » pour le traitement de l’affection orpheline visée par le Trecondi-tréosulfan et que, par conséquent, le COMP a écarté à tort le critère de désignation prévu à l’article 3, paragraphe 1, sous b), première hypothèse, du règlement no 141/2000.

52 À cet égard, il y a lieu de souligner que, pour qu’un médicament puisse être qualifié de « méthode satisfaisante » au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 141/2000, il doit être « autorisé » dans l’Union ou dans un État membre de l’Union pour la même « affection » orpheline que celle visée par le médicament dont l’AMM en tant que médicament orphelin est demandée.

53 En effet, selon l’article 2, paragraphe 3, second alinéa, sous a), du règlement no 847/2000, les « méthodes [satisfaisantes] peuvent consister en médicaments, dispositifs médicaux ou autres méthodes de diagnostic, de prévention ou de traitement autorisés et utilisés dans [l’Union] », ladite méthode devant, en outre, viser l’« affection considérée » ou « cette affection ».

54 Afin de déterminer le champ d’application de l’autorisation d’un médicament dans l’Union, force est de rappeler, d’abord, que, aux termes de l’article 6, paragraphe 1, première alinéa, de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67), « [a]ucun médicament ne peut être mis sur le marché d’un État membre sans qu’une [AMM] ait été délivrée par l’autorité compétente de
cet État membre, conformément à la [...] directive, ou qu’une autorisation […] ait été délivrée conformément aux dispositions du règlement [no 726/2004] ». L’article 6, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la même directive prévoit, lorsqu’un médicament a obtenu une première autorisation de mise sur le marché conformément au premier alinéa, ce qui suit :

« [T]out dosage, forme pharmaceutique, voie d’administration et présentation supplémentaires, ainsi que toute modification et extension, doivent également obtenir une autorisation conformément au premier alinéa ou être inclus dans l’[AMM] initiale. Toutes ces autorisations de mise sur le marché sont considérées comme faisant partie d’une même autorisation globale, notamment aux fins de l’application de l’article 10, paragraphe 1. »

55 Ensuite, en vue de l’octroi d’une AMM au niveau national, une demande doit être introduite auprès de l’autorité compétente de l’État membre concerné. Cette demande inclut, en vertu de l’article 8, paragraphe 3, sous j), de la directive 2001/83, un RCP. Selon l’article 11 de cette directive, le RCP comporte une série de renseignements sur le médicament en cause dans l’ordre précisé par cette disposition, tels que les indications thérapeutiques (point 4.1), la posologie et le mode d’administration
pour les adultes et, dans la mesure où cela est nécessaire, pour les enfants (point 4.2) et la « date de mise à jour du texte » du RCP (point 10). Conformément à l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2001/83, quand une AMM est délivrée, l’autorité compétente de l’État membre concerné informe le titulaire qu’elle approuve le RCP.

56 Enfin, après la délivrance d’une AMM, l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2001/83 oblige le titulaire de l’AMM à veiller à ce que les informations sur le médicament soient mises à jour d’après, notamment, les connaissances scientifiques actuelles, y compris les conclusions des évaluations et les recommandations rendues publiques par l’intermédiaire du portail web européen sur les médicaments, institué en vertu de l’article 26 du règlement no 726/2004.

57 Ainsi, la portée de l’autorisation du médicament existant est définie dans la décision portant AMM, dont fait partie le RCP du médicament en cause, tel qu’éventuellement mis à jour au moment de la demande d’AMM du médicament orphelin.

58 Il s’ensuit, premièrement, que l’utilisation hors RCP d’un médicament ne peut être considérée, compte tenu de ce qui précède, comme étant « autorisée » et que, par conséquent, un médicament utilisé hors RCP ne peut pas constituer une « méthode satisfaisante [...] ayant été autorisée dans l’[Union] » au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 141/2000.

59 Cette conclusion est corroborée par l’avis de la Commission de 2016, dont le point B.4, intitulé « Méthode satisfaisante autorisée dans l’Union », prévoit, en ses troisième et quatrième alinéas, ce qui suit :

« [L]es médicaments pris en considération doivent être autorisés pour le traitement de la maladie en soi ou, tout au moins, traiter exactement le même ensemble de symptômes.

Toute référence à un médicament déjà autorisé doit se limiter aux termes de l’[AMM]. Une utilisation ou administration qui ne respecte pas le résumé approuvé des caractéristiques du produit (“utilisation hors RCP”) ne peut donc être considérée comme une méthode satisfaisante aux fins de l’article 3, paragraphe 1, [sous] b). »

60 Cette conclusion n’est, par ailleurs, pas contestée par les parties. En particulier, la Commission admet, dans son mémoire en défense, que l’utilisation hors RCP ne peut être considérée comme une méthode satisfaisante.

61 Deuxièmement, pour vérifier si la méthode existante invoquée vise la même « affection » que celle visée par le médicament orphelin faisant l’objet de la demande, il y a lieu de prendre en considération l’ensemble des éléments essentiels encadrant l’utilisation autorisée de la méthode existante, et notamment son indication thérapeutique et la population visée par celle-ci, tels que définis dans son RCP.

62 À cet égard, il convient de souligner que le RCP d’un médicament ne peut faire l’objet que d’une interprétation stricte. En effet, avant d’octroyer une AMM, y compris dans le cadre de la modification ou de l’extension d’une AMM existante, l’autorité compétente doit s’assurer, sur la base des documents et des renseignements fournis par le promoteur, que le bénéfice du médicament lié à l’efficacité l’emporte sur les risques potentiels (voir considérant 7 et article 26 de la directive 2001/83). Dans
le même sens, selon le considérant 14 du règlement no 726/2004, « les critères de qualité, de sécurité et d’efficacité prévus par les directives 2001/83/CE et 2001/82/CE [...] doivent permettre d’évaluer le rapport bénéfice/risque de tout médicament aussi bien lors de sa mise sur le marché qu’au moment du renouvellement de l’autorisation et à tout moment que l’autorité compétente juge approprié ».

63 À cette fin, ainsi qu’il a été rappelé au point 54 ci-dessus, l’article 6, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2001/83 prévoit que toute modification et extension d’une AMM existante doit également obtenir une autorisation conformément au premier alinéa de cette disposition ou être inclus dans l’AMM initiale, tandis que l’article 23, paragraphe 3, de la directive 2001/83 oblige le titulaire d’un médicament déjà autorisé à mettre à jour les informations sur ce médicament d’après les
connaissances scientifiques actuelles.

64 Il s’ensuit que toute modification du RCP, loin d’être une formalité, doit faire l’objet d’un examen supplémentaire du rapport bénéfice-risque et de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité du médicament pour la nouvelle indication proposée, assortie, le cas échéant, de tests cliniques.

65 Partant, l’AMM d’un médicament ne s’étend pas au diagnostic, à la prévention ou au traitement d’affections ou de catégories de patients qui ne sont pas mentionnées dans son RCP.

66 Troisièmement, il y a lieu de souligner que, lorsque le médicament faisant l’objet de la demande d’AMM en tant que médicament orphelin est destiné au diagnostic, à la prévention ou au traitement d’affections ou de catégories de patients pour lesquelles, ne serait-ce qu’en partie, les médicaments de référence ne sont pas autorisés, selon leurs RCP respectifs, ces derniers médicaments ne sauraient être considérés comme étant des « méthodes satisfaisantes » pour ces affections ou ces catégories de
patients.

67 En effet, compte tenu du fait que certaines affections sont si peu fréquentes que l’industrie pharmaceutique est peu encline à développer des médicaments destinés à les diagnostiquer, les prévenir ou les traiter dans les conditions normales du marché (considérant 1 du règlement no 141/2000) et que l’objectif du règlement no 141/2000, énoncé à son article 1er, est précisément d’instaurer des mesures d’incitation destinées à favoriser la recherche, le développement et la mise sur le marché des
médicaments visant à traiter de telles affections, le fait d’exclure un médicament potentiel des bénéfices prévus par le règlement no 141/2000 au motif de l’existence de « méthodes satisfaisantes » uniquement pour une partie des affections rares visées par celui-ci est contraire à l’objectif visé.

68 Par ailleurs, il importe de souligner que l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 141/2000 permet, précisément au stade de l’octroi de l’AMM d’un médicament orphelin, de tenir compte des hypothèses de chevauchement partiel avec l’AMM d’autres médicaments, lorsqu’il prévoit que « l’[AMM] délivrée pour un médicament orphelin n’est valable que pour les indications thérapeutiques répondant aux critères énoncés à l’article 3 » et que « [c]ette disposition n’exclut pas la possibilité d’introduire
une demande d’[AMM] distincte, pour d’autres indications n’entrant pas dans le champ d’application du présent règlement ». Ainsi, dans la mesure où certaines indications thérapeutiques d’un médicament répondent aux critères de désignation énoncés à l’article 3 du règlement no 141/2000, ce médicament est, en principe, éligible à la désignation en tant que médicament orphelin pour ces indications, tandis que, en ce qui concerne les indications pour lesquelles il ne répond pas aux critères énoncés à
l’article 3 de ce règlement, une AMM distincte peut être accordée, en dehors du champ d’application du règlement no 141/2000.

69 C’est à la lumière de ce qui précède qu’il convient donc d’examiner si, en l’espèce, le traitement de l’affection orpheline et les catégories de patients visées par le Trecondi‑tréosulfan sont également couverts par les médicaments à base de melphalan et de cyclophosphamide, selon leurs RCP respectifs.

70 À cet égard, il y a lieu de relever que, selon le point 4.1 du RCP du Trecondi-tréosulfan, annexé à la décision attaquée, « le tréosulfan en association avec la fludarabine est indiqué comme partie du traitement de conditionnement préalable à une greffe allogénique de [CSH] chez les patients adultes atteints de pathologies malignes et bénignes et chez les patients pédiatriques âgés de plus d’un mois, atteints de pathologies malignes ».

71 Selon les explications fournies par la requérante aux points 6 à 9 de la requête, non contestées par la Commission, le terme « greffe de CSH » désigne le transfert de cellules souches sanguines d’un donneur à un receveur, qui est réalisé dans le cas de maladies hématologiques malignes concernant le système hématopoïétique du patient ainsi que dans le cas de certaines affections bénignes. S’agissant du prélèvement de cellules souches sanguines sur le donneur, il en existe trois types, à savoir le
prélèvement de cellules souches sanguines dans la moelle osseuse, dans le sang périphérique ou dans le sang placentaire. Les termes « traitement de conditionnement » désignent alors le traitement préalable à la greffe de cellules souches sanguines. L’objectif du conditionnement préalable à une greffe de cellules souches est, premièrement, l’induction d’une suppression immunitaire chez le patient, afin d’assurer la phase de régénération de l’hématopoïèse faisant suite à la greffe allogénique et
d’empêcher un rejet de greffe primaire, deuxièmement, l’efficacité antileucémique, dans le but d’éliminer le plus de cellules malignes possible, et, troisièmement, l’induction d’une myélosuppression (dépression médullaire) pour « faire de la place » aux cellules souches du donneur devant être greffées. En outre, une distinction doit être faite entre la greffe autologue de CSH, dans le cadre de laquelle le donneur et le receveur sont une seule et même personne, et la greffe allogénique de cellules
souches, dans le cadre de laquelle le receveur reçoit des cellules d’une autre personne saine.

72 Cela étant précisé, force est de relever que les RCP des médicaments comparés font apparaître des différences manifestes, dont certaines ne sont pas contestées par les parties.

73 En effet, en premier lieu, s’agissant des pathologies traitées respectivement par le Trecondi-tréosulfan et par les médicaments à base de melphalan, il y a lieu de relever, premièrement, que, selon les termes du point 4.1 du RCP du Trecondi‑tréosulfan, ce médicament est autorisé pour le traitement de conditionnement préalable à une greffe de CSH sans restriction en ce qui concerne les pathologies auxquelles ce traitement vise à remédier. En revanche, selon le RCP du médicament à base de melphalan
autorisé en Allemagne, versé au dossier par la requérante, celui-ci vise le traitement, « avec ou sans greffe » de CSH chez les patients atteints de certaines pathologies seulement, limitativement énumérées dans le RCP. De même, le RCP dudit médicament, tel qu’autorisé en France, contient une liste limitative de pathologies et précise que, au-delà d’une certaine dose, une « autogreffe de cellules souches du sang est indispensable ».

74 Il en résulte que, tandis que les médicaments à base de melphalan ne sont autorisés que pour le traitement de patients atteints des pathologies limitativement énumérées dans les RCP, le Trecondi-tréosulfan est autorisé non seulement pour les patients atteints de ces pathologies, par exemple, du myélome multiple ou du neuroblastome chez l’enfant, mais aussi pour les patients atteints d’autres pathologies, non couvertes par le RCP des médicaments à base de melphalan. Cette constatation n’est pas
contestée par la Commission. En effet, dans sa réponse à la première MOP, la Commission a confirmé que l’AMM du Trecondi‑tréosulfan couvrait le traitement non seulement des pathologies indiquées dans les RCP des médicaments à base de melphalan et de cyclophosphamide, mais également des pathologies qui n’y étaient pas indiquées, comme le syndrome myélodysplasique, affection qui par ailleurs figure parmi celles faisant l’objet de l’essai clinique portant la référence MC‑FludT.14/L sur la base
duquel la requérante a fondé sa demande d’AMM.

75 Deuxièmement, la Commission ne conteste pas non plus que les médicaments en cause diffèrent quant aux populations qu’ils visent. Ainsi, comme le fait valoir la requérante, le Trecondi‑tréosulfan est indiqué, selon son RCP, pour le traitement préalable à une greffe allogénique de CSH chez les patients pédiatriques âgés de plus d’un mois, atteints de pathologies malignes. En revanche, les RCP des médicaments à base de melphalan sont indiqués chez les enfants pour une seule pathologie, à savoir le
neuroblastome.

76 À cet égard, il y a lieu de souligner que le législateur de l’Union accorde une importance particulière à la disponibilité dans l’Union de médicaments à usage pédiatrique. À cette fin, il a adopté le règlement (CE) no 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relatif aux médicaments à usage pédiatrique, modifiant le règlement (CEE) no 1768/92, les directives 2001/20/CE et 2001/83 ainsi que le règlement no 726/2004 (JO 2006, L 378, p. 1), qui a pour objectifs, ainsi qu’il
ressort de son considérant 4, en premier lieu, de faciliter le développement et l’accessibilité de médicaments à usage pédiatrique, en deuxième lieu, d’assurer que ces médicaments font l’objet de recherches d’une grande qualité, conformes aux règles éthiques, et qu’ils sont dûment autorisés en vue d’un usage en pédiatrie et, en troisième lieu, d’améliorer les informations disponibles sur l’usage de médicaments au sein des diverses populations pédiatriques. Pour réaliser ces objectifs, le
règlement no 1901/2006 prévoit un mécanisme tendant à contraindre les entreprises pharmaceutiques à envisager de manière systématique la possibilité d’un usage pédiatrique des médicaments qu’elles développent (arrêt du 14 décembre 2011, Nycomed Danmark/EMA, T‑52/09, EU:T:2011:738, point 43). Il s’ensuit que revêtent une importance particulière les informations relatives aux populations pédiatriques contenues dans les RCP des médicaments comparés, y compris dans le cadre de l’analyse de
l’existence d’une « méthode satisfaisante » au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 141/2000.

77 En second lieu, s’agissant de la comparaison entre le Trecondi‑tréosulfan et les médicaments à base de cyclophosphamide, premièrement, il y a lieu de relever que, selon les RCP de ces derniers, tels qu’ils sont autorisés en Allemagne, versés au dossier par la requérante, ceux-ci sont indiqués, outre pour le traitement chimiothérapique de certaines affections, pour le « conditionnement avant greffe de moelle osseuse » dans le cas de certaines pathologies limitativement énumérées (anémie aplastique
grave ; leucémie myéloïde aiguë et leucémie lymphoïde aiguë ; leucémie myéloïde chronique), à la différence donc du RCP du Trecondi‑tréosulfan qui vise le traitement de conditionnement préalable à une greffe de CSH pour toute sorte de pathologies malignes et bénignes chez l’adulte. Ainsi, à titre d’exemple, les RCP des médicaments à base de cyclophosphamide ne visent pas le syndrome myélodysplasique ou des pathologies bénignes chez l’adulte, à la différence du Trecondi‑tréosulfan. La Commission
ne conteste pas ces différences.

78 Deuxièmement, la Commission ne conteste pas non plus que les médicaments en cause diffèrent quant aux populations qu’ils visent. En effet, tandis que les RCP des médicaments à base de cyclophosphamide mentionnent uniquement le traitement de rhabdomyosarcome chez l’enfant, le RCP du Trecondi-tréosulfan vise toutes les pathologies malignes chez l’enfant âgé de plus d’un mois.

79 Il ressort des points 69 à 78 ci-dessus que le RCP du Trecondi‑tréosulfan couvre des pathologies et des populations qui ne sont pas couvertes par les RCP des médicaments à base de melphalan et de cyclophosphamide.

80 Il s’ensuit que, pour ces pathologies et populations, les médicaments à base de melphalan et de cyclophosphamide ne peuvent pas être considérés comme des méthodes satisfaisantes au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), première hypothèse, du règlement no 141/2000.

81 Il est vrai, comme le souligne la Commission, qu’il existe un chevauchement partiel entre les affections et les populations visées par les médicaments comparés. Toutefois, il n’en demeure pas moins que le Trecondi-tréosulfan est indiqué pour le traitement de conditionnement préalable d’une greffe allogénique de CSH dans le cas de certaines pathologies et de certaines catégories de patients pour le traitement desquels les médicaments à base de melphalan et de cyclophosphamide ne le sont pas. Pour
ces pathologies et patients, ces médicaments ne sont pas autorisés, de sorte qu’ils ne peuvent pas être considérés comme étant des « méthodes satisfaisantes », conformément aux considérations figurant aux points 69 à 78 ci-dessus.

[omissis]

90 Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu d’accueillir les premier et deuxième moyens du recours et, sans qu’il soit besoin d’examiner les quatrième et cinquième moyens du recours, ainsi que la recevabilité ou le bien-fondé d’un éventuel moyen nouveau soulevé par la requérante à titre subsidiaire le 18 août 2020, y compris les nouvelles offres de preuves présentées à cette date (voir point 22 ci-dessus), d’annuler l’article 5 de la décision attaquée.

[omissis]

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

  1) L’article 5 de la décision d’exécution C(2019) 4858 (final) de la Commission européenne, du 20 juin 2019, portant autorisation de mise sur le marché du médicament à usage humain Trecondi‑tréosulfan, est annulé.

  2) La Commission est condamnée aux dépens, y compris ceux relatifs à la procédure de référé.

Kornezov

Passer

  Hesse

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 septembre 2020.

Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.

( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.


Synthèse
Formation : Dixième chambre
Numéro d'arrêt : T-549/19
Date de la décision : 23/09/2020
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

Médicaments à usage humain – Médicaments orphelins – Demande d’autorisation de mise sur le marché du médicament Trecondi‑tréosulfan – Décision de rayer un médicament du registre des médicaments orphelins – Article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 141/2000 – Notion de “méthode satisfaisante” – Article 5, paragraphe 12, sous b), du règlement no 141/2000 – Erreur de droit.

Santé publique

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Medac Gesellschaft für klinische Spezialpräparate mbH
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Kornezov

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2020:444

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award