DOCUMENT DE TRAVAIL
ORDONNANCE DU TRIBUNAL (septième chambre)
21 juin 2017 (*)
« Recours en annulation – Union douanière – Décision de la Commission constatant que le remboursement des droits à l’importation n’est pas justifié dans un cas particulier – Recours d’un autre opérateur – Défaut d’affectation directe – Irrecevabilité »
Dans l’affaire T‑347/16,
Inox Mare Srl, établie à Rimini (Italie), représentée par M^e R. Holzeisen, avocat,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par MM. A. Caeiros, J. Baquero Cruz et D. Nardi, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2015) 9672 final de la Commission, du 6 janvier 2016, constatant que le remboursement des droits à l’importation n’est pas justifié dans un cas particulier (REM 02/14),
LE TRIBUNAL (septième chambre),
composé de M^mes V. Tomljenović, président, A. Marcoulli (rapporteur) et M. A. Kornezov, juges,
greffier : M. E. Coulon,
rend la présente
Ordonnance
Antécédents du litige
1 La requérante, Inox Mare Srl, est une société de capitaux de droit italien qui importe et commercialise dans l’Union européenne des produits de fixation en acier inoxydable. Entre 2010 et 2012, la requérante aurait acheté d’énormes quantités de produits de fixation en acier inoxydable originaires des Philippines, lesquels, en réalité, auraient été originaires de Taïwan.
2 À partir du mois de mars 2013, l’Agenzia delle Dogane e dei Monopoli, (Agence des douanes et des monopoles, Italie), en se fondant sur des informations transmises par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) dans le cadre de l’enquête OF/2013/0086/B1, a notifié à la requérante, par le biais de cinq de ses bureaux périphériques, 42 procès-verbaux de constatation de contournement de droits de douane, suivis de 43 avis de recouvrement et de 43 décisions d’application de pénalités pour
un montant total de plus de 8,5 millions d’euros.
3 Le 13 mai 2016, dans le cadre d’une procédure l’opposant à l’un des services périphériques de l’Agence des douanes et des monopoles, la requérante a eu connaissance, en tant que document joint aux mémoires de cette agence, de la décision C(2015) 9672 final de la Commission, du 6 janvier 2016, constatant que le remboursement des droits à l’importation n’était pas justifié dans un cas particulier (REM 02/14) (ci-après la « décision attaquée »).
4 La décision attaquée est adressée au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (article 2) et mentionne que le remboursement de droits à l’importation demandé par le Royaume-Uni en faveur d’un importateur britannique n’est pas justifié (article 1).
5 En particulier, il ressort de la décision attaquée que, le 27 mars 2014, le Royaume-Uni, en vertu de l’article 220, paragraphe 2, sous b), et de l’article 236 du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO 1992, L 302, p. 1, ci-après le « code des douanes communautaire ») ainsi que de l’article 871, paragraphe 1, deuxième tiret, du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines
dispositions d’application du règlement n° 2913/92 (JO 1993, L 253, p. 1, ci-après le « règlement d’exécution du code des douanes communautaire »), a présenté à la Commission européenne une demande de remboursement de droits à l’importation en faveur d’un importateur britannique ayant importé, en 2010, des produits de fixation en acier inoxydable originaires de Taïwan déclarés comme étant originaires des Philippines (considérants 1, 4 et 13 de la décision attaquée). Après analyse des
informations fournies par le Royaume-Uni (considérants 14 à 35 de la décision attaquée), la Commission a conclu que le remboursement des droits à l’importation demandé n’était pas justifié en vertu de l’article 220, paragraphe 2, sous b), et de l’article 236 du code des douanes communautaire (considérant 36 de la décision attaquée).
Procédure et conclusions des parties
6 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 juin 2016, la requérante a introduit le présent recours, tendant à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
7 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 16 septembre 2016, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, tendant à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme irrecevable ;
– condamner la requérante aux dépens.
8 La requérante a déposé ses observations sur l’exception d’irrecevabilité le 2 novembre 2016 dans lesquelles elle conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission comme non fondée.
En droit
9 En vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. En l’espèce, la Commission ayant demandé qu’il soit statué sur l’irrecevabilité, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer sur cette demande sans poursuivre la procédure.
10 La Commission, d’une part, conteste l’application dans le temps, dans la présente espèce, des règles de fond du règlement (UE) n° 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union (JO 2013, L 269, p. 1, ci-après le « code des douanes de l’Union »), dont les dispositions sont invoquées par la requérante, et soutient que les règles de fond du code des douanes communautaire mentionné au point 5 ci-dessus sont applicables en
l’espèce. D’autre part, en se fondant sur l’ordonnance du 21 avril 2016, Makro autoservicio mayorista et Vestel Iberia/Commission (C‑264/15 P et C‑265/15 P, non publiée, EU:C:2016:301), la Commission fait valoir, en substance, que la requérante n’est pas directement affectée par la décision attaquée, dès lors que cette dernière, qui concerne un autre importateur, laisse un pouvoir d’appréciation aux autorités douanières italiennes.
11 La requérante, s’agissant de la règlementation applicable, fait valoir que la contestation de la Commission n’est qu’un prétexte, puisqu’elle a un intérêt à agir indépendamment du code des douanes applicable dans le temps. Elle ajoute que, en tout état de cause, les règles de procédure du code des douanes de l’Union s’appliqueraient à une demande de remise ou de remboursement qu’elle présenterait, sans préjudice de l’application des règles de fond du code des douanes communautaire, à
savoir l’article 220, paragraphe 2, sous b), de ce code.
12 S’agissant de la recevabilité du recours, la requérante soutient, tout d’abord, que sa situation est semblable, et même identique, à celle de l’importateur britannique visé par la décision attaquée et que, partant, cette décision ferait obstacle à ce que les autorités douanières italiennes soumettent à la Commission une demande de remboursement de droits à l’importation en sa faveur, empêcherait lesdites autorités d’apprécier sa situation de manière autonome et réduirait leur marge
d’appréciation à néant. En outre, la requérante soutient que la décision attaquée produit des effets juridiques à l’égard de tous les importateurs qui, comme l’importateur britannique visé par ladite décision, ont été victimes d’un défaut de contrôle de l’autorité douanière philippine sur les déclarations de l’exportateur philippin. Ensuite, la requérante soutient que sa situation serait différente de celle qui a fait l’objet de l’ordonnance du 21 avril 2016, Makro autoservicio mayorista et
Vestel Iberia/Commission (C‑264/15 P et C‑265/15 P, non publiée, EU:C:2016:301), invoquée par la Commission. De plus, elle fait valoir que, en l’espèce, dans le contentieux national l’opposant à l’Agence des douanes et des monopoles, cette dernière aurait invoqué la décision attaquée au soutien des actes d’imposition qui lui ont été adressés. Enfin, la requérante soutient que lui refuser la possibilité d’attaquer la décision attaquée constituerait une violation de son droit à un recours
effectif, puisque le renvoi préjudiciel serait une alternative incertaine et hypothétique par rapport au recours en annulation et que la seule possibilité d’attaquer les actes d’imposition nationaux n’offrirait pas une protection effective.
Considérations liminaires
13 Il y a lieu de relever que le recours ne porte pas sur une décision relative à une demande de remboursement ou de remise présentée par la République italienne à la Commission, en faveur de la requérante, sur le fondement d’une disposition du code des douanes communautaire ou du code des douanes de l’Union, mais qu’il porte sur une décision de la Commission relative à une demande de remboursement présentée par le Royaume-Uni, en faveur d’un importateur britannique, sur le fondement de
l’article 220, paragraphe 2, sous b), et de l’article 236 du code des douanes communautaire ainsi que de l’article 871, paragraphe 1, deuxième tiret, du règlement d’exécution du code des douanes communautaire.
14 Dans le cadre de la présente procédure incidente sur la recevabilité du recours, la requérante fait valoir que la décision attaquée préjugerait son droit à présenter utilement une demande de remise aux autorités douanières italiennes, exclurait toute marge d’appréciation de ces autorités afin d’évaluer une telle demande et les empêcherait de soumettre ladite demande à la Commission.
15 Il ressort des écritures de la requérante qu’elle se réfère à une éventuelle demande de remise, l’exonérant du paiement des droits à l’importation réclamés par les autorités douanières italiennes, qu’elle présenterait en raison d’une erreur des autorités compétentes, au titre de l’article 220, paragraphe 2, sous b), et de l’article 236 du code des douanes communautaire ou au titre de l’article 119, paragraphes 1 et 3, du code des douanes de l’Union, selon le code des douanes applicable
dans le temps.
16 À ce dernier égard, il y a lieu de rappeler que les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, à la différence des règles de fond qui sont habituellement interprétées comme ne visant pas, en principe, des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur (arrêt du 23 février 2006, Molenbergnatie, C‑201/04, EU:C:2006:136, point 31).
17 Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence du Tribunal qu’une demande de remise de droits à l’importation doit être examinée au regard des règles matérielles applicables au moment de la naissance de la dette douanière, c’est-à-dire à l’époque des importations litigieuses et des acceptations des déclarations en douane qui y sont afférentes (voir, en ce sens, arrêt du 19 février 1998, Eyckeler & Malt/Commission, T‑42/96, EU:T:1998:40, point 53 et jurisprudence citée).
18 En l’espèce, il ressort de la requête que les importations de la requérante ont eu lieu entre 2010 et 2012. Partant, une éventuelle demande de remise des droits afférents à ces importations devrait être examinée au regard des règles matérielles applicables à l’époque de ces importations, à savoir les règles contenues aux articles 220 et 236 du code des douanes communautaire. En effet, en vertu de l’article 288, paragraphes 1 et 2, du code des douanes de l’Union, les articles 116 à 121
de ce code, concernant le remboursement et la remise de droits à l’importation, ne s’appliquent qu’à partir du 1^er mai 2016.
19 En revanche, conformément à la jurisprudence selon laquelle les dispositions d’ordre procédural ont vocation à s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur (arrêt du 3 décembre 2013, JAS/Commission, T‑573/11, non publié, EU:T:2013:623, point 53), les règles de procédure applicables à une éventuelle demande de remise qui serait présentée par la requérante seraient celles du code des douanes de l’Union, qui s’appliquent depuis le 1^er mai 2016, à savoir
l’article 116 de ce code.
20 Cela étant, il convient d’observer que les règles pertinentes du code des douanes communautaire, ou de son règlement d’exécution, et du code des douanes de l’Union sont, en substance, similaires aux fins de la présente affaire (voir points 23, 25 et 26 ci-après).
Sur l’affectation directe de la requérante
21 Il convient de rappeler que la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet du recours requiert la réunion de deux critères cumulatifs, à savoir que la mesure contestée de l’Union, en premier lieu, produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et, en second lieu, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires qui sont chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un
caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (voir arrêt du 10 septembre 2009, Commission/Ente per le Ville Vesuviane et Ente per le Ville Vesuviane/Commission, C‑445/07 P et C‑455/07 P, EU:C:2009:529, point 45 et jurisprudence citée, et ordonnance du 9 juillet 2013, Regione Puglia/Commission, C‑586/11 P, non publiée, EU:C:2013:459, point 31 et jurisprudence citée).
22 Conformément à la jurisprudence citée au point 21 ci-dessus, la requérante ne peut être considérée comme étant directement concernée par la décision attaquée que si cette dernière, à supposer même qu’elle produise directement des effets sur sa situation juridique, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux autorités nationales aux fins de sa mise en œuvre à son égard (voir, en ce sens, ordonnance du 21 avril 2016, Makro autoservicio mayorista et Vestel Iberia/Commission, C‑264/15 P et
C‑265/15 P, non publiée, EU:C:2016:301, point 46).
23 À cet égard, il convient de relever que l’article 116, paragraphe 3, deuxième alinéa, du code des douanes de l’Union, tout comme, d’ailleurs, l’article 871, paragraphe 2, du règlement d’exécution du code des douanes communautaire, dispose que l’autorité douanière nationale ne procède pas à la transmission d’un dossier à la Commission lorsque cette dernière a déjà adopté une décision sur un dossier présentant des éléments de fait et de droit comparables ou est déjà saisie d’un tel
dossier. Or, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, une telle disposition n’exclut pas tout pouvoir d’appréciation de l’autorité douanière nationale (voir, en ce sens, ordonnance du 21 avril 2016, Makro autoservicio mayorista et Vestel Iberia/Commission, C‑264/15 P et C‑265/15 P, non publiée, EU:C:2016:301, point 47).
24 En effet, il appartient à l’autorité douanière nationale de juger du degré de similitude entre le dossier à l’égard duquel la Commission a déjà adopté une décision ou duquel la Commission est déjà saisie et celui dont l’autorité douanière nationale est saisie. À cette fin, cette dernière doit prendre en compte toute particularité, de fait ou de droit, de nature à caractériser la situation spécifique de chaque opérateur (voir, en ce sens, ordonnance du 21 avril 2016, Makro autoservicio
mayorista et Vestel Iberia/Commission, C‑264/15 P et C‑265/15 P, non publiée, EU:C:2016:301, point 48).
25 Le rôle des autorités douanières ne se limite pas, dans le contexte de l’article 116 du code des douanes de l’Union, tout comme, d’ailleurs, de l’article 871 du règlement d’exécution du code des douanes communautaire, à celui d’un simple intermédiaire. Elles doivent au contraire évaluer le comportement de l’intéressé (voir, en ce sens, arrêt du 29 septembre 2009, Thomson Sales Europe/Commission, T‑225/07 et T‑364/07, non publié, EU:T:2009:363, point 203).
26 Il ressort notamment de l’article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes communautaire, tout comme, d’ailleurs, de l’article 119, paragraphe 1, du code des douanes de l’Union, établissant les conditions pour procéder à la remise ou au remboursement de droits à l’importation en raison d’une erreur des autorités compétentes, que l’autorité douanière saisie d’un telle demande doit évaluer, notamment, si le débiteur pouvait déceler l’erreur en cause et a agi de bonne foi –
l’article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes communautaire prévoyant également la condition que le débiteur ait observé toutes les dispositions prévues par la règlementation en vigueur en ce qui concerne la déclaration en douane. En outre, l’article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes communautaire, tout comme, d’ailleurs, l’article 119, paragraphe 3, du code des douanes de l’Union, prévoit que, lorsque le statut préférentiel d’une marchandise est établi sur la base
d’un système de coopération administrative impliquant les autorités d’un pays tiers qui ont délivré un certificat qui se révèle incorrect, le débiteur peut invoquer sa bonne foi lorsqu’il peut démontrer que, pendant la période des opérations commerciales concernées, il a fait diligence pour s’assurer que toutes les conditions pour le traitement préférentiel avaient été respectées.
27 Or, l’évaluation de la situation d’un opérateur par l’autorité douanière nationale, et notamment de son comportement, de son expérience, de sa bonne foi et de sa diligence, ne saurait être préjugée par l’évaluation que la Commission a effectuée à cet égard au sujet d’un autre opérateur, puisque les situations d’opérateurs différents peuvent être dissemblables quant à leur comportement, à leur expérience, à leur bonne foi et à leur diligence.
28 Ainsi, en l’espèce, l’autorité douanière italienne saisie d’une éventuelle demande de remise de droits à l’importation de la requérante est tenue d’examiner sa situation spécifique, en prenant en compte toute particularité, de fait ou de droit, pouvant la caractériser, et peut parvenir à la conclusion que sa situation particulière est suffisamment dissemblable de celle de l’opérateur visé par la décision attaquée pour pouvoir justifier une issue différente et, partant, la transmission
de son dossier à la Commission.
29 Dès lors que les autorités douanières nationales exercent une appréciation propre sur la demande de remise présentée par chaque opérateur, et notamment par rapport à la situation d’un autre importateur dont la demande de remboursement a été considérée par la Commission comme devant être rejetée, une des conditions cumulatives de l’affectation directe visées au point 21 ci-dessus fait défaut en l’espèce. Partant, la requérante ne saurait être regardée comme étant directement concernée
par la décision attaquée.
30 Aucun des arguments invoqués par la requérante n’est de nature à infirmer cette appréciation.
31 Premièrement, l’argument de la requérante selon lequel la décision attaquée l’empêcherait de présenter « utilement » une demande au titre de l’article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes communautaire ne saurait être retenu, dès lors que la décision attaquée n’affecte nullement la possibilité de présenter une telle demande et ne préjuge pas son issue, puisque celle-ci dépend notamment de la situation spécifique de la requérante, qu’il appartient à l’autorité douanière
nationale d’examiner.
32 Deuxièmement, l’argument de la requérante selon lequel la décision attaquée empêcherait les autorités douanières italiennes de soumettre son cas à la Commission ne saurait également être retenu, dès lors que, ainsi qu’il a été relevé au point 28 ci-dessus, à la suite de l’examen de la situation spécifique de la requérante, les autorités douanières italiennes peuvent conclure que sa situation est suffisamment dissemblable de celle de l’importateur visé par la décision attaquée pour
pouvoir justifier une issue différente.
33 Troisièmement, la requérante argue que sa situation est identique à celle de l’importateur britannique visé par la décision attaquée, puisque les autorités douanières nationales agissent sous l’effet contraignant du rapport de l’OLAF THOR(2015) 40189 du 26 novembre 2015 et de la recommandation du directeur général de l’OLAF y afférente THOR(2015) 42057 du 9 décembre 2015. Un tel argument ne saurait toutefois être retenu.
34 En effet, il y a lieu d’observer qu’il découle des dispositions du règlement (UE, Euratom) n° 883/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 septembre 2013, relatif aux enquêtes effectuées par l’OLAF et abrogeant le règlement (CE) n° 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil et le règlement (Euratom) n° 1074/1999 du Conseil (JO 2013, L 248, p. 1), et en particulier du considérant 31 et de l’article 11 de ce règlement, que le rapport et les recommandations établies par l’OLAF à
la suite d’une enquête externe et transmises aux autorités compétentes des États membres concernés ne sauraient aboutir d’une manière automatique à l’ouverture d’une procédure administrative ou judiciaire à l’échelle nationale, ni, a fortiori, à l’adoption d’actes juridiques subséquents. En effet, il incombe aux autorités nationales de décider des suites à leur donner et ces dernières sont donc les seules autorités à pouvoir arrêter des décisions susceptibles d’affecter la situation juridique
des personnes à l’endroit desquelles l’OLAF aurait recommandé l’engagement de telles procédures (voir, par analogie, arrêt du 6 avril 2006, Camós Grau/Commission, T‑309/03, EU:T:2006:110, point 51 et jurisprudence citée).
35 Cette conclusion n’est pas remise en cause par la circonstance, invoquée par la requérante, que l’article 11, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement n° 883/2013 dispose que les recommandations établies par l’OLAF « indiquent, le cas échéant, les mesures disciplinaires, administratives, financières et/ou judiciaires que doivent prendre […] les autorités compétentes des États membres concernés ».
36 En effet, il y a lieu de relever que l’expression « doivent prendre » qui figure dans la version française de l’article 11, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement n° 883/2013, ainsi qu’en substance dans la version italienne (devono adottare), ne figure pas dans d’autres versions linguistiques de cette même disposition, telles que les versions anglaise, allemande, bulgare, grecque ou portugaise.
37 En effet, il y a lieu de rappeler que toutes les versions linguistiques d’un texte du droit de l’Union doivent, par principe, se voir reconnaître la même valeur. Afin de préserver l’unité d’interprétation du droit de l’Union, il importe dès lors, en cas de divergences entre ces versions, d’interpréter la disposition concernée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir arrêt du 20 septembre 2012, Hongrie/Commission,
T‑89/10, non publié, EU:T:2012:451, point 43 et jurisprudence citée).
38 Or, en l’espèce, tout d’abord, force est de constater que l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 883/2013 ne porte pas sur les effets, mais uniquement sur le contenu du rapport et des recommandations de l’OLAF. Ainsi, notamment, dans la version anglaise de cette disposition, le terme « shall » se réfère expressément au contenu des recommandations (shall […] indicate). Ensuite, ce sont les paragraphes 3 et 6 de l’article 11 du règlement n° 883/2013 qui régissent, respectivement, la
transmission du rapport et des recommandations aux autorités nationales compétentes et le suivi de cette transmission. Ces dispositions ne prévoient pas d’obligations quant aux suites que lesdites autorités devraient donner aux actes en question à l’égard des personnes qui y sont nommées. Enfin, il y a lieu de rappeler qu’il ressort du considérant 31 du règlement n° 883/2013 qu’il appartient aux autorités nationales de décider des suites à donner aux rapports de l’OLAF.
39 Par conséquent, en considération de l’économie générale et de la finalité de la réglementation en cause, l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 883/2013 ne saurait être interprété dans le sens qu’il emporte des obligations pour les autorités nationales destinataires du rapport et des recommandations de l’OLAF invoqués par la requérante quant aux suites que lesdites autorités devraient donner aux actes en question à l’égard des personnes qui y sont nommées.
40 Par ailleurs, ainsi qu’il a été constaté au point 28 ci-dessus, il appartient aux autorités douanières nationales d’apprécier la situation spécifique de la requérante, en prenant en compte toute particularité, de fait ou de droit, pouvant la caractériser.
41 Quatrièmement, la requérante soutient que la décision attaquée produirait des effets juridiques à l’égard de tous les importateurs qui, comme l’importateur britannique visé par ladite décision, auraient été victimes d’un défaut de contrôle de l’autorité douanière philippine sur les déclarations de l’exportateur philippin. Cet argument ne saurait être retenu.
42 En effet, même à supposer que la décision attaquée contienne des appréciations sur l’activité de contrôle de l’autorité douanière philippine, cette circonstance ne préjugerait pas l’appréciation, par les autorités douanières nationales, de la situation spécifique de la requérante au regard notamment de son comportement, de son expérience, de sa bonne foi et de sa diligence.
43 Cinquièmement, la requérante argue que la situation qui fait l’objet du présent litige serait différente de celle qui a fait l’objet de l’ordonnance du 21 avril 2016, Makro autoservicio mayorista et Vestel Iberia/Commission (C‑264/15 P et C‑265/15 P, non publiée, EU:C:2016:301), invoquée par la Commission.
44 Elle fait valoir, d’une part, que l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 21 avril 2016, Makro autoservicio mayorista et Vestel Iberia/Commission (C‑264/15 P et C‑265/15 P, non publiée, EU:C:2016:301), citée au point 43 ci-dessus, concernerait une demande de remise présentée pour une raison d’équité, au titre de l’article 239 du code des douanes communautaire et de l’article 905 du règlement d’exécution du code des douanes communautaire, et non une demande de remise présentée en
raison d’une erreur des autorités compétentes, au titre de l’article 220, paragraphe 2, sous b), et de l’article 236 du code des douanes communautaire ainsi que de l’article 871 du règlement d’exécution du code des douanes communautaire.
45 À cet égard, il suffit cependant de constater que, au point 47 de l’ordonnance du 21 avril 2016, Makro autoservicio mayorista et Vestel Iberia/Commission (C‑264/15 P et C‑265/15 P, non publiée, EU:C:2016:301), la Cour a visé tant les demandes prévues à l’article 905 du règlement d’exécution du code des douanes communautaire que celles prévues à l’article 871 de ce même règlement. En effet, les règles concernant la transmission d’une demande à la Commission contenues aux articles 871 et
905 du règlement d’exécution du code des douanes communautaire sont substantiellement les mêmes, que cette demande soit fondée sur une erreur des autorités compétentes ou sur une raison d’équité. De même, dans le code des douanes de l’Union, les règles concernant la transmission de demandes à la Commission, tant en raison d’une erreur des autorités compétentes que pour une raison d’équité, sont substantiellement les mêmes et sont contenues à l’article 116, paragraphe 3, de ce code.
46 D’autre part, la requérante soutient que l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 21 avril 2016, Makro autoservicio mayorista et Vestel Iberia/Commission (C‑264/15 P et C‑265/15 P, non publiée, EU:C:2016:301), citée au point 43 ci-dessus, se différencie de la présente espèce, puisqu’elle n’impliquait pas un rapport et des recommandations de l’OLAF contraignants pour les autorités douanières nationales. Or, il y a lieu de rappeler que le rapport et les recommandations de l’OLAF
n’emportent pas d’obligations pour les autorités nationales destinataires quant aux suites que lesdites autorités devraient donner auxdits actes à l’égard des personnes qui y sont nommées (voir points 34 à 39 ci-dessus). En tout état de cause, il y a lieu de relever qu’il ressort des points 21 à 23 de l’arrêt du 12 mars 2015, Vestel Iberia et Makro autoservicio mayorista/Commission (T‑249/12 et T‑269/12, non publié, EU:T:2015:150) qu’il y avait bien eu une enquête de l’OLAF.
47 Sixièmement, la requérante fait valoir que, dans le contentieux national l’opposant à l’Agence des douanes et des monopoles, cette dernière aurait invoqué la décision attaquée au support des actes d’imposition qu’elle lui a adressés, ce qui démontrerait l’intention de cette agence de s’y conformer et, par conséquent, l’affectation directe de la requérante à la lumière des arrêts du 23 novembre 1971, Bock/Commission (62/70, EU:C:1971:108), et du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki
e.a./Commission (11/82, EU:C:1985:18).
48 D’une part, il convient de relever que la circonstance que les autorités italiennes aient invoqué la décision attaquée dans le cadre d’une procédure nationale est sans incidence sur la qualité pour agir de la requérante à l’encontre de ladite décision au titre de l’article 263 TFUE.
49 D’autre part, la jurisprudence invoquée par la requérante pour démontrer son affectation directe n’est pas transposable en l’espèce.
50 En effet, aux points 23 et 26 de l’ordonnance du 6 mars 2014, Northern Ireland Department of Agriculture and Rural Development/Commission (C‑248/12 P, non publiée, EU:C:2014:137), la Cour elle-même a constaté que la solution consacrée dans l’arrêt du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission (11/82, EU:C:1985:18), s’expliquait par les situations spécifiques au regard desquelles elle avait été rendue et que cela ressortait des termes mêmes de cet arrêt.
51 À ce titre, il suffit de rappeler que tant l’arrêt du 23 novembre 1971, Bock/Commission (62/70, EU:C:1971:108), que l’arrêt du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission (11/82, EU:C:1985:18), concernaient des cas particuliers où la Commission avait autorisé, à la demande d’un État membre, l’adoption par ce dernier de mesures de sauvegarde. Dans ces circonstances, il ne fait aucun doute que l’État membre ayant demandé de telles mesures y donnera suite pour en tirer toutes les
conséquences (voir ordonnance du 8 juillet 2004, Regione Siciliana/Commission, T‑341/02, EU:T:2004:228, point 79).
52 Aucune des circonstances mentionnées au point 51 ci-dessus n’existe en l’espèce, puisque ce ne sont pas les autorités douanières italiennes qui ont demandé à la Commission l’adoption de la décision attaquée afin de pouvoir rejeter une demande de remise de la requérante. En outre, la décision attaquée ne produit pas d’effets juridiques obligatoires sur les autorités douanières nationales, auxquelles il appartient d’apprécier la situation spécifique de la requérante.
53 Septièmement, la requérante soutient que lui refuser la possibilité d’attaquer la décision attaquée constituerait une violation de son droit à un recours effectif, puisque le renvoi préjudiciel serait une alternative incertaine et hypothétique par rapport au recours en annulation et que la seule possibilité d’attaquer les actes d’imposition douanière n’offrirait pas une protection effective.
54 Tout d’abord, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence constante du Tribunal que l’application du droit matériel douanier de l’Union, y compris notamment l’adoption de décisions exigeant le paiement a posteriori des droits non perçus, relève de la compétence exclusive des autorités douanières nationales. Les décisions adoptées par ces autorités, en application de ce droit, peuvent être attaquées devant les juridictions nationales, ces dernières pouvant ensuite saisir la
Cour de justice en vertu de l’article 267 TFUE (arrêt du 16 avril 2015, Schenker Customs Agency/Commission, T‑576/11, EU:T:2015:206, point 49 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 12 novembre 2013, Wünsche Handelsgesellschaft International/Commission, T‑147/12, non publié, EU:T:2013:587, points 24 et 25 et jurisprudence citée).
55 En effet, la requérante n’est nullement dépourvue de la possibilité de contester, incidemment, la validité de la décision attaquée en sollicitant du juge national qu’il adresse à la Cour une question préjudicielle à cette fin, au cas où les autorités italiennes décideraient, dans l’exercice de leur compétence propre, de lui faire application des appréciations, contenues dans cette décision, relatives aux opérations réalisées par l’importateur britannique visé par la décision attaquée
(voir, en ce sens, arrêt du 12 mars 2015, Vestel Iberia et Makro autoservicio mayorista/Commission, T‑249/12 et T‑269/12, non publié, EU:T:2015:150, point 87).
56 En outre, en ce qui concerne l’argument de la requérante tiré, en substance, de la supposée ineffectivité relative du renvoi préjudiciel en l’espèce au regard du recours direct en annulation, il convient de rappeler qu’une telle allégation, à la supposer établie, ne saurait autoriser le Tribunal à se substituer au pouvoir constituant de l’Union en vue de procéder à une modification du système des voies de recours et des procédures établi par les traités et destiné à confier à la Cour et
au Tribunal le contrôle de la légalité des actes des institutions. En aucun cas elle ne permet de déclarer recevable un recours en annulation formé par une personne physique ou morale qui ne satisfait pas aux conditions posées par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (voir, par analogie, arrêt du 27 juin 2000, Salamander e.a./Parlement et Conseil, T‑172/98 et T‑175/98 à T‑177/98, EU:T:2000:168, point 75 et jurisprudence citée, et ordonnance du 12 janvier 2007, SPM/Commission, T‑447/05,
EU:T:2007:3, point 82 et jurisprudence citée).
57 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la requérante n’est pas directement concernée par la décision attaquée au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
58 Partant, le présent recours doit être rejeté comme irrecevable.
Sur les dépens
59 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (septième chambre)
ordonne :
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) Inox Mare Srl supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.
Fait à Luxembourg, le 21 juin 2017.
Le greffier Le président
E. Coulon V. Tomljenović
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* Langue de procédure : l’italien.