ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
17 février 2016 ( *1 )
«Aide juridictionnelle — Demande présentée antérieurement à l’introduction d’un recours — Recours envisagé par la personne physique — Irrecevabilité manifeste — Recours envisagé par la personne morale — Admission»
Dans l’affaire T‑376/15 AJ,
KJ, demeurant à Paris (France),
KK, établie à Paris,
parties demanderesses,
contre
Agence exécutive pour les petites et moyennes entreprises (EASME), représentée par M. P. Lambert, Mme E. Fierro Sedano et M. I. Jimeno Hierro, en qualité d’agents, assistés de Me J. Stuyck, avocat,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande d’aide juridictionnelle au titre de l’article 147 du règlement de procédure du Tribunal,
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
rend la présente
Ordonnance ( 1 )
Demande et procédure
1 Par demande déposée au greffe du Tribunal le 7 juillet 2015, les parties demanderesses, M. KJ et KK, société dont M. KJ est le représentant et l’unique actionnaire, ont demandé leur admission au bénéfice de l’aide juridictionnelle, en application des dispositions de l’article 147 du règlement de procédure du Tribunal, en vue d’introduire un recours tendant à l’annulation de décisions portant, d’une part, rejet de la proposition déposée par KK en réponse à l’appel à propositions et activités
connexes au titre des programmes de travail 2014-2015 relevant du programme-cadre pour la recherche et l’innovation (2014-2020) – Horizon 2020 et du programme de recherche et de formation de la Communauté européenne de l’énergie atomique (2014-2018) complétant le programme-cadre Horizon 2020 (JO 2013, C 361, p. 9, ci-après l’« appel à proposition H2020-SMEINST-1-2014 ») et, d’autre part, rejet de la demande de révision de l’évaluation qui avait conduit au rejet de la proposition déposée par cette
société (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées »).
2 Dans ses observations, déposées au greffe du Tribunal le 4 septembre 2015, l’Agence exécutive pour les petites et moyennes entreprises (EASME) conclut au rejet de la demande.
3 Par lettre du 21 octobre 2015, les parties demanderesses ont produit un addendum à leur demande d’aide juridictionnelle comportant des pièces justificatives relatives à leur situation financière, que le président du Tribunal a décidé de verser au dossier.
4 Le 12 novembre 2015, en application de l’article 10, paragraphe 6, et de l’article 89, paragraphe 3, sous c) et d), du règlement de procédure, le président du Tribunal a invité KK à fournir ses comptes annuels au titre des trois derniers exercices clos. Il a également posé à KK des questions relatives à sa situation économique actuelle (description de l’activité exacte de l’entreprise et de son fonctionnement, nombre d’employés, description de ses actifs et de ses passifs, description de son
chiffre d’affaires et explication sommaire de l’origine de celui-ci, description des charges de l’entreprise et explication sommaire de la source de ces charges ainsi que, en cas d’activité déficitaire, explication des sources de financement de la société). Cette dernière a déposé ses pièces et les réponses aux questions le 30 novembre 2015.
En droit
5 Aux termes de l’article 146, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure, l’octroi de l’aide juridictionnelle est subordonné à la double condition que, d’une part, le demandeur soit, en raison de sa situation économique, dans l’incapacité totale ou partielle de faire face aux frais liés à l’assistance et à la représentation en justice devant le Tribunal et que, d’autre part, son action ne paraisse pas manifestement irrecevable ou manifestement non fondée.
Sur la demande de M. KJ
[omissis]
12 M. KJ n’ayant pas d’intérêt à agir contre les décisions attaquées, le recours qu’il envisage d’introduire apparaît manifestement irrecevable. Dès lors, aux termes de l’article 146, paragraphe 2, du règlement de procédure, sa demande d’aide juridictionnelle doit être rejetée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les autres conditions prévues audit article sont réunies.
Sur la demande de la société KK
13 En premier lieu, en ce qui concerne la situation économique de KK, celle-ci a produit ses comptes annuels (bilan comptable et compte de résultat) pour les trois derniers exercices clos, tels que déposés auprès de l’administration fiscale. Il ressort de ces comptes que la société, dont les produits sont en phase de développement, n’a réalisé aucun chiffre d’affaires pour les trois derniers exercices clos. Elle ne dispose pas d’actifs, autres que le savoir-faire de son actionnaire unique et de ses
collaborateurs, et fait face à un passif de [confidentiel] ( 2 ) au terme de l’exercice clos le 31 décembre 2014. D’après les indications fournies par la société, ce passif est lié au paiement des charges sociales ainsi qu’aux investissements effectués par la société pour permettre le développement de ses produits. La société indique que ce passif est financé par des apports de son actionnaire unique, au moyen de ses économies et d’emprunts qu’il a contractés.
[omissis]
15 Or, il ressort de ces éléments que KK ne dispose pas, en propre, des ressources nécessaires pour faire face aux frais de l’instance.
16 Toutefois, l’appréciation de sa situation économique aux fins de décider si une personne morale doit être admise au bénéfice de l’aide juridictionnelle ne saurait être faite au seul regard de ses ressources prises isolément, indépendamment de la situation des détenteurs directs ou indirects de son capital.
17 En effet, aux termes de l’article 47, troisième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice. C’est à la lumière de ce principe, invocable par les personnes morales (arrêt du 22 décembre 2010, DEB,C‑279/09, Rec, EU:C:2010:811, point 59), que doivent être interprétées les conditions
d’octroi de l’aide juridictionnelle, énoncées aux articles 146 à 150 du règlement de procédure.
18 Or, une personne morale ne saurait être considérée comme étant privée d’un accès effectif à la justice au sens de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux du seul fait que les détenteurs directs ou indirects de son capital refuseraient d’utiliser les ressources dont ils disposent afin de permettre à cette personne morale d’introduire une action en justice. Dans de telles circonstances, il n’appartient pas au budget de l’Union, au travers des fonds mis à la disposition du Tribunal, de
suppléer à la carence de personnes qui contrôlent la personne morale en cause et qui, en définitive, sont principalement intéressées à la défense de ses droits.
19 Par conséquent, pour apprécier la situation économique d’une personne morale demandant le bénéfice de l’aide juridictionnelle, il doit être tenu compte non seulement de ses ressources financières propres, mais également des ressources dont dispose globalement le groupe d’entreprises auquel elle appartient directement ou indirectement et des possibilités financières de ses actionnaires et associés, personnes physiques ou morales [voir, par analogie, ordonnances du 7 mai 1982,
Hasselblad/Commission,86/82 R, Rec, EU:C:1982:151, point 4, du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission,C‑335/99 P(R), Rec, EU:C:1999:608, point 64, et du 7 décembre 2010, ArcelorMittal Wire France e.a./Commission,T‑385/10 R, EU:T:2010:502, points 39 à 60].
20 En l’espèce, il est constant que KK, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, est détenue par un actionnaire unique, M. KJ.
21 Il ressort des documents produits en annexe à la demande d’aide juridictionnelle que M. KJ a déclaré à l’administration fiscale un revenu brut nul pour 2014. Ses revenus proviennent des prestations d’assistance sociale, qui s’élèvent à [confidentiel] mensuels en septembre 2015. Enfin, il indique ne disposer d’aucun bien mobilier ou immobilier.
22 Il convient d’en conclure que M. KJ se trouve dans l’incapacité, au moins partielle, de suppléer à l’impossibilité pour KK de faire face aux frais de l’instance en cause.
23 KK remplit donc la première condition d’attribution de l’aide juridictionnelle, énoncée à l’article 146, paragraphe 1, du règlement de procédure.
24 Il convient toutefois de rappeler que, aux termes de l’article 150 du règlement de procédure, si les conditions qui ont fait admettre l’aide juridictionnelle se modifient en cours d’instance, le président peut en retirer le bénéfice, soit d’office, soit sur demande, l’intéressé entendu.
25 En second lieu, en ce qui concerne l’action envisagée par la société demanderesse, celle-ci consiste en l’introduction d’un recours contre les décisions attaquées.
[omissis]
29 En l’espèce, les éléments fournis par KK dans sa demande, même s’ils sont sommaires, sont suffisants pour apprécier cette demande au regard de l’article 146, paragraphe 2, du règlement de procédure.
[omissis]
31 À cet égard, il doit être souligné que le contrôle opéré par le juge lorsqu’il examine si les conditions de l’article 146, paragraphe 2, du règlement de procédure sont réunies vise à éviter que l’aide juridictionnelle soit accordée pour une action manifestement insusceptible de prospérer.
32 Or, à la lumière des pièces fournies, l’action envisagée par KK ne paraît, en première analyse et dans son ensemble, a priori, ni manifestement irrecevable ni manifestement non fondée.
33 Il convient, en conséquence, d’accorder à KK le bénéfice de l’aide juridictionnelle.
34 Conformément à l’article 148, paragraphe 7, du règlement de procédure, l’ordonnance accordant l’aide juridictionnelle peut déterminer le montant qui sera versé à l’avocat chargé de représenter l’intéressé ou fixer un plafond que les débours et honoraires de l’avocat ne pourront, en principe, pas dépasser.
35 En l’espèce, il y a lieu de réserver la décision sur le montant des frais et honoraires à prendre en charge au titre de l’aide juridictionnelle gratuite. Toutefois, il y a lieu de préciser, dès à présent, le plafond que les débours et honoraires de l’avocat ne pourront, en principe, pas dépasser.
36 Dès lors, compte tenu de l’objet et de la nature du litige, des difficultés prévisibles de la cause, de l’ampleur prévisible du travail que la procédure contentieuse causera aux conseils et des intérêts économiques que le litige représente pour la partie, les frais et honoraires de l’avocat désigné au titre de l’aide juridictionnelle ne pourront, en principe, dépasser un montant, hors TVA, de 3000 euros pour la défense de KK.
Par ces motifs,
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
ordonne :
1) KK est admise au bénéfice de l’aide juridictionnelle.
2) Un montant correspondant aux frais d’assistance et de représentation de KK sera versé à l’avocat chargé de la représenter, sur la base de pièces justificatives, dans la limite d’un montant de 3000 euros.
3) La demande d’aide juridictionnelle de M. KJ est rejetée.
Fait à Luxembourg, le 17 février 2016.
Le greffier
E. Coulon
Le président
M. Jaeger
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( *1 ) Langue de procédure : le français.
( 1 ) Ne sont reproduits que les points de la présente ordonnance dont le Tribunal estime la publication utile.
( 2 ) Données confidentielles occultées.