ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)
10 juillet 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Travailleurs migrants – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 3 – Champ d’application matériel – Libre circulation des travailleurs – Article 45 TFUE – Règlement (UE) no 492/2011 – Article 7 – Égalité de traitement – Avantages sociaux – Enfant mineur handicapé d’un travailleur frontalier – Aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés – Condition de résidence – Proportionnalité »
Dans l’affaire C‑257/24,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landessozialgericht Nordrhein-Westfalen (tribunal supérieur du contentieux social de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Allemagne), par décision du 8 avril 2024, parvenue à la Cour le 12 avril 2024, dans la procédure
PE, représentée par ses parents
contre
Städteregion Aachen,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. D. Gratsias, président de chambre, MM. E. Regan (rapporteur) et J. Passer, juges,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. B.-R. Killmann ainsi que Mme F. van Schaik, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 988/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009 (JO 2009, L 284, p. 43) (ci–après le « règlement no 883/2004 »), de l’article 7, paragraphe 2, du règlement
(UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO 2011, L 141, p. 1), ainsi que de l’article 20 TFUE et de l’article 21, paragraphe 1, TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant PE, une enfant mineur représentée par ses parents, à la Städteregion Aachen (région urbaine d’Aix-la-Chapelle, Allemagne) au sujet du refus de lui accorder une aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement no 883/2004
3 Figurant dans le titre I du règlement no 883/2004, intitulé « Dispositions générales », l’article 3 de ce règlement, intitulé « Champ d’application matériel », dispose :
« 1. Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent :
a) les prestations de maladie ;
[...]
3. Le présent règlement s’applique également aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif visées à l’article 70.
[...]
5. Le présent règlement ne s’applique pas :
a) à l’assistance sociale et médicale ;
[...] »
4 Figurant dans le titre III du règlement no 883/2004, intitulé « Dispositions particulières applicables aux différentes catégories de prestations », sous son chapitre 9, intitulé « Prestations spéciales en espèces à caractère non contributif », l’article 70 de ce règlement, intitulé « Dispositions générales », prévoit, à son paragraphe 2, sous c) :
« Aux fins du présent chapitre, on entend par “prestations spéciales en espèces à caractère non contributif” les prestations :
[...]
c) qui sont énumérées à l’annexe X ».
5 L’annexe X dudit règlement, sous la rubrique « Allemagne », est libellée comme suit :
« a) Revenu minimal de subsistance pour personnes âgées et pour personnes ayant une capacité limitée à subvenir à leurs besoins (chapitre 4 du livre XII du code social).
b) Les prestations visant à garantir des moyens d’existence au titre de l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi, sauf si, en ce qui concerne ces prestations, les conditions d’obtention d’un complément temporaire à la suite de la perception d’une prestation de chômage (article 24, paragraphe 1, du livre II du code social) sont remplies. »
Le règlement no 492/2011
6 L’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement no 492/2011 prévoit :
« 1. Le travailleur ressortissant d’un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage.
2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. »
Le droit allemand
7 Le Neuntes Buch Sozialgesetzbuch (code de la sécurité sociale, neuvième livre), intitulé « Réadaptation et participation des personnes handicapées », dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « SGB IX »), prévoit les conditions auxquelles est subordonné l’octroi de l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés.
8 L’article 101, paragraphe 1, du SGB IX dispose :
« Les Allemands qui résident habituellement à l’étranger ne bénéficient pas de prestations d’aide à l’intégration. Il ne peut y être dérogé au cas par cas que dans la mesure où cela est inévitable en raison d’une situation d’urgence exceptionnelle et qu’il est en même temps prouvé qu’un retour sur le territoire allemand n’est pas possible pour les raisons suivantes :
1. soins et éducation d’un enfant qui doit rester à l’étranger pour des raisons juridiques ;
2. l’intéressé fait l’objet d’une prise en charge de longue durée au sein d’une institution ou a absolument besoin de soins ; ou
3. acte de la puissance publique ».
9 L’article 104, paragraphe 1, de ce SGB IX énonce :
« Les prestations d’aide à l’intégration sont déterminées en fonction des particularités de chaque cas, notamment en fonction de la nature des besoins, de la situation personnelle, du milieu social et des propres moyens et ressources [...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 La requérante au principal, une ressortissante allemande et irlandaise née en Allemagne en 2009, vit avec ses parents en Belgique à proximité de la frontière allemande. Sa mère, ressortissante allemande, est employée comme médecin salariée à plein temps à Aix-la-Chapelle (Allemagne). Son père, ressortissant irlandais, était fonctionnaire de l’Union européenne en poste à Maastricht (Pays-Bas).
11 La requérante au principal souffre d’un handicap mental nécessitant des soins spécifiques. Après avoir fréquenté une école d’enseignement spécialisé à Eupen (Belgique), elle est scolarisée, depuis l’année scolaire 2017/2018, dans des écoles inclusives à Aix-la-Chapelle. À sa demande, la région urbaine d’Aix-la-Chapelle lui a accordé, conformément aux dispositions du SGB IX, l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés pour les années
scolaires 2017/2018 à 2020/2021, en prenant en charge les frais d’une assistance scolaire à raison, initialement, de 15 heures, puis de 35 heures, par semaine.
12 Par décision du 9 juin 2021, la région urbaine d’Aix-la-Chapelle a rejeté une demande visant à l’octroi de cette aide à l’intégration pour l’année scolaire 2021/2022, au motif que la requérante au principal ayant sa résidence habituelle en Belgique ne remplit pas la condition de résidence sur le territoire national découlant de l’article 101, paragraphe 1, du SGB IX. Par décision du 20 août 2021, cette autorité a, pour le même motif, rejeté l’opposition formée par la requérante au principal
contre la décision initiale de rejet.
13 Par jugement du 25 janvier 2022, le Sozialgericht Aachen (tribunal du contentieux social d’Aix-la-Chapelle, Allemagne) a rejeté, également pour ce motif, le recours introduit par la requérante au principal, représentée par ses parents, contre ces décisions. Cette juridiction a, en outre, considéré que le droit à l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés prévue par le SGB IX ne saurait davantage être fondé sur le droit de l’Union, dès lors que
celle-ci ne relève pas des « prestations de maladie », visées à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, et que l’article 3, paragraphe 5, sous a), de ce règlement dispose expressément que ledit règlement ne s’applique pas à l’« assistance sociale et médicale ».
14 La requérante au principal, représentée par ses parents, a saisi le Landessozialgericht Nordrhein-Westfalen (tribunal supérieur du contentieux social de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours visant à réformer ce jugement et à condamner la région urbaine d’Aix-la-Chapelle, en modifiant la décision du 9 juin 2021, telle que confirmée par la décision du 20 août 2021, à lui rembourser les frais engagés pour le recours à une assistance scolaire pour la
période comprise entre le1er août 2021 et le 30 novembre 2021, à hauteur de 12782,32 euros, la Communauté germanophone de Belgique ayant pris en charge, à titre gracieux, les frais d’accompagnement scolaire pour la période allant du 1er décembre 2021 au 30 juin 2022.
15 La juridiction de renvoi constate que, au regard du droit national, le recours dont elle est saisie devrait être rejeté. Elle s’interroge cependant sur le point de savoir si le droit national est, à cet égard, compatible avec le droit de l’Union.
16 En premier lieu, cette juridiction se demande si la présente affaire relève du champ d’application du règlement no 883/2004. En tant que prestation de participation à l’éducation sous forme d’une assistance scolaire aux enfants handicapés, l’aide à l’intégration en cause au principal ne semblerait pas constituer une prestation de sécurité sociale relevant du champ d’application matériel de ce règlement, dès lors qu’elle n’est pas subordonnée à des exigences objectives, tel, notamment, le degré de
handicap, et qu’elle est accordée en fonction des besoins personnels de l’intéressé, sur la base d’un examen individuel de ces besoins par l’autorité nationale compétente.
17 En outre, il serait douteux que l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés prévue par le SGB IX puisse être qualifiée de « prestation de maladie », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004, dès lors que la notion de « maladie », dans son sens habituel, implique une altération temporaire de l’état de santé, alors que cette aide à l’intégration a pour but de permettre à ses bénéficiaires de suivre une formation
adaptée à leurs capacités et à leurs performances ainsi que de promouvoir leur participation à la vie en société.
18 L’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés prévue par le SGB IX semblerait donc plutôt relever de la notion d’« assistance sociale », laquelle, en vertu de l’article 3, paragraphe 5, sous a), du règlement no 883/2004, serait explicitement exclue du champ d’application matériel de ce règlement. En effet, cette aide à l’intégration n’aurait pas de rapport avec l’un des risques visés à l’article 3, paragraphe 1, dudit règlement. En outre, les
périodes d’activité professionnelle, de cotisation ou d’affiliation ne joueraient aucun rôle dans l’ouverture du droit à cette dernière, celle-ci étant fournie au cas par cas et de manière subsidiaire. Ladite aide à l’intégration ne serait pas non plus une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif, au sens de l’article 70 du même règlement, puisqu’elle ne figure pas à l’annexe X de celui-ci.
19 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi estime qu’il est nécessaire de clarifier la question de savoir si l’exclusion d’un citoyen de l’Union de l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés prévue par le SGB IX est compatible avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011, selon lequel tout travailleur ressortissant d’un État membre a droit, sur le territoire des autres États membres, aux mêmes avantages sociaux que les travailleurs
nationaux. Étant donné que la mère de la requérante au principal a fait usage de son droit à la libre circulation, elle serait en droit d’invoquer cette disposition à l’égard de l’État membre dont elle a la nationalité. La Cour ne se serait cependant pas encore prononcée sur le point de savoir si une aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance pour la scolarisation de l’enfant handicapé d’un travailleur frontalier constitue un « avantage social », au sens de ladite disposition.
L’interprétation large qu’il convient d’accorder à la notion d’« avantage social » pourrait plaider en faveur de son inclusion dans celle-ci. La condition de résidence à laquelle est subordonné l’octroi de l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés prévue par le SGB IX pourrait donc constituer une discrimination indirecte, étant donné qu’elle est susceptible, par nature, d’affecter davantage les travailleurs frontaliers que les travailleurs
nationaux.
20 En ce qui concerne la justification d’une telle restriction, cette juridiction observe que la mise en péril de l’équilibre financier du système de sécurité sociale peut constituer un but légitime d’intérêt général susceptible de justifier l’exclusion des non-résidents du droit aux prestations. À cet égard, l’existence, dans le SGB IX, d’exceptions à cette exclusion en cas de difficultés particulières, liées essentiellement à la fourniture probable de prestations dans l’État membre de résidence,
permettrait d’écarter toute discrimination injustifiée. Par ailleurs, il pourrait être soutenu que le principe de non-discrimination, consacré de manière générale à l’article 18 TFUE, a été concrétisé à l’article 3, paragraphe 5, sous a), du règlement no 883/2004 en ce qui concerne les prestations d’assistance sociale, ce qui justifierait que l’aide à l’intégration en cause ne puisse pas être attribuée à des personnes ne résidant pas sur le territoire national. Ladite exclusion confirmerait ainsi
le principe de territorialité fondé sur le droit international public, selon lequel les prestations d’assistance financées par l’impôt ne doivent être accordées qu’aux personnes résidant sur le territoire national.
21 Cela étant, il ne serait pas certain que l’exclusion des non-résidents du bénéfice de l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés prévue par le SGB IX soit réellement nécessaire à une utilisation à bon escient des ressources fiscales. En particulier, il ne serait pas clair dans quelle mesure la République fédérale d’Allemagne ferait effectivement l’économie de dépenses grâce à cette exclusion introduite à la suite d’un durcissement de la
réglementation le 1er janvier 2004. En outre, en raison de ladite exclusion, les citoyens allemands non-résidents seraient potentiellement contraints de retourner en Allemagne, ce qui entraînerait une augmentation des coûts pour cet État membre. Dans la mesure où le législateur national aurait cherché, par ce durcissement, à réduire le recours abusif à cette aide à l’intégration, cet objectif paraîtrait également douteux, notamment au regard du principe de proportionnalité. En effet, le risque
d’abus ne se poserait pas en ce qui concerne les prestations en nature fournies sur le territoire allemand. Il n’existerait pas non plus d’éléments indiquant que la requérante au principal aurait commis un abus de droit en créant artificiellement les conditions pour l’obtention des avantages sociaux visés à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011. Enfin, dans la mesure où l’objectif de l’exclusion des non-résidents serait de dispenser les autorités nationales compétentes d’un examen
fastidieux des conditions d’octroi aux citoyens allemands non-résidents, sa nécessité resterait discutable puisque ces prestations sont fournies sur le territoire allemand.
22 En troisième lieu, la juridiction de renvoi se demande si l’exclusion des non-résidents de l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés constitue une restriction objectivement justifiée du droit que les citoyens de l’Union tirent de l’article 20 TFUE et de l’article 21, paragraphe 1, TFUE. En effet, la requérante au principal serait désavantagée du seul fait qu’elle a choisi de faire usage de sa liberté de circuler en établissant sa résidence
habituelle en Belgique.
23 Dans ces conditions, le Landessozialgericht Nordrhein-Westfalen (tribunal supérieur du contentieux social de Rhénanie-du-Nord-Westphalie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 3 du [règlement no 883/2004] doit-il être interprété en ce sens que l’aide à l’intégration prévue par le [SGB IX] sous forme de prestations d’assistance scolaire est une prestation, au sens de cet article 3, et relève donc du champ d’application matériel de ce règlement ?
En cas de réponse négative à la première question :
2) L’article 7, paragraphe 2, du [règlement no 492/2011] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition de droit national qui subordonne les prestations d’aide à l’intégration prévues par le SGB IX, sous forme de prestations d’assistance scolaire, à une résidence habituelle sur le territoire national ?
3) Le fait que l’octroi de l’aide à l’intégration sociale prévue par le SGB IX sous forme de prestations d’assistance scolaire est refusé aux citoyens de l’Union qui ont leur domicile ou leur résidence habituelle dans un autre État membre (proche de la frontière), alors que la prestation en nature est fournie dans l’État de résidence, constitue-t-il une restriction non justifiée du droit que les citoyens de l’Union tirent de l’article 20 [TFUE] et de l’article 21, paragraphe 1, [TFUE] ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
24 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3 du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’une prestation, telle que l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés prévue par le SGB IX, relève du champ d’application matériel de ce règlement.
25 Afin de répondre à cette question, il importe, en premier lieu, de vérifier si une telle aide à l’intégration constitue une prestation de « sécurité sociale », au sens de l’article 3, paragraphe 1, dudit règlement.
26 Selon une jurisprudence constante, la distinction entre les prestations relevant du champ d’application du règlement no 883/2004 et celles qui en sont exclues repose essentiellement sur les éléments constitutifs de chaque prestation, notamment les finalités et les conditions d’octroi de celle-ci, et non pas sur le fait qu’une prestation soit ou non qualifiée de prestation de sécurité sociale par la législation nationale (arrêt du 11 avril 2024, Sozialministeriumservice, C‑116/23, EU:C:2024:292,
point 32 et jurisprudence citée).
27 Ainsi, une prestation peut être considérée comme étant une prestation de sécurité sociale, au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, dans la mesure où, d’une part, elle est octroyée, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, aux bénéficiaires sur la base d’une situation légalement définie et, d’autre part, elle se rapporte à l’un des risques énumérés expressément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 883/2004. Ces deux
conditions sont cumulatives (arrêt du 11 avril 2024, Sozialministeriumservice, C‑116/23, EU:C:2024:292, point 33 et jurisprudence citée).
28 S’agissant de la première condition énoncée au point précédent, il y a lieu de rappeler que celle-ci est satisfaite lorsque l’octroi d’une prestation s’effectue au regard de critères objectifs qui, dès lors qu’ils sont remplis, ouvrent le droit à la prestation sans que l’autorité nationale compétente puisse tenir compte d’autres circonstances personnelles (arrêt du 11 avril 2024, Sozialministeriumservice, C‑116/23, EU:C:2024:292, point 34 et jurisprudence citée).
29 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés prévue par le SGB IX n’est pas subordonnée à la satisfaction de conditions objectives, telles que, notamment, un taux ou un niveau précis d’incapacité ou de handicap, mais qu’elle est accordée par l’autorité nationale compétente, conformément à l’article 104, paragraphe 1, du SGB IX, en fonction des besoins personnels de l’intéressé, sur la base
d’un examen individuel et discrétionnaire de sa situation par cette autorité.
30 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés prévue par le SGB IX ne remplit pas la première des deux conditions cumulatives énoncées au point 27 du présent arrêt, si bien que cette aide ne constitue pas une prestation de « sécurité sociale », au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 883/2004.
31 Cependant, il importe de rappeler que l’article 3, paragraphe 3, de ce règlement étend son application aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif visées à son article 70. Dans ces conditions, il convient, en second lieu, de vérifier si l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés prévue par le SGB IX constitue une telle prestation.
32 À cet égard, il suffit de relever qu’il ressort du libellé même de l’article 70, paragraphe 2, sous c), du règlement no 883/2004 que les prestations spéciales en espèces à caractère non contributif sont entendues comme étant uniquement celles qui sont énumérées à l’annexe X de ce règlement. Or, l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés prévue par le SGB IX ne figure pas dans cette annexe. Elle ne constitue donc pas une telle prestation (voir, en
ce sens, arrêt du 12 mars 2020, Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail d’Alsace-MoselleC‑769/18, EU:C:2020:203, point 35).
33 En conséquence, il convient de répondre à la première question que l’article 3 du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’une prestation, telle que l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés prévue par le SGB IX, ne relève pas du champ d’application matériel de ce règlement, dès lors que l’octroi de cette prestation n’est pas subordonné à la satisfaction de conditions objectives, mais repose sur une appréciation individuelle par
l’autorité nationale compétente des besoins de la personne concernée.
Sur la deuxième question
34 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui subordonne l’octroi d’une aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire à l’enfant handicapé d’un travailleur frontalier, ressortissant de l’Union, à la condition que cet enfant réside sur le territoire national.
35 Afin de répondre à cette question, il convient, en premier lieu, de rappeler que tout ressortissant de l’Union, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité, qui fait usage du droit à la libre circulation des travailleurs et qui exerce une activité professionnelle dans un État membre autre que celui de sa résidence, relève du champ d’application de l’article 45 TFUE, disposition que le règlement no 492/2011 vise à concrétiser (arrêt du 2 avril 2020, PF e.a., C‑830/18,
EU:C:2020:275, point 21 ainsi que jurisprudence citée.).
36 Ainsi, ce règlement bénéficie indifféremment tant aux travailleurs migrants résidant dans un État membre d’accueil qu’aux travailleurs frontaliers qui, tout en exerçant leur activité salariée dans ce dernier État membre, résident dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2023, Thermalhotel Fontana, C‑411/22, EU:C:2023:490, point 34 et jurisprudence citée).
37 En l’occurrence, il y a lieu de constater que la mère de la requérante au principal est une ressortissante allemande qui travaille en Allemagne, mais qui réside en Belgique.
38 Ayant exercé sa liberté de circulation, un tel travailleur frontalier est donc en droit de se prévaloir, à l’encontre de l’État membre dont il a la nationalité, du règlement no 492/2011, et notamment de l’article 7, paragraphe 2, de celui-ci, lequel consacre le principe d’égalité de traitement entre les travailleurs en ce qui concerne le bénéfice des « avantages sociaux », au sens de cette disposition. Les membres de la famille d’un tel travailleur frontalier sont des bénéficiaires indirects de
cette égalité de traitement (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, PF e.a., C‑830/18, EU:C:2020:275, points 25 et 26 ainsi que jurisprudence citée).
39 En deuxième lieu, en ce qui concerne la notion d’« avantages sociaux », au sens de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, celle-ci englobe tous les avantages qui sont liés ou non à un contrat d’emploi, généralement reconnus aux travailleurs nationaux du simple fait de leur résidence sur le territoire national, et dont l’extension aux travailleurs ressortissants d’autres États membres apparaît de nature à faciliter leur
mobilité. La référence faite par cette disposition aux avantages sociaux ne saurait être interprétée limitativement (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2024, Sozialministeriumservice, C‑116/23, EU:C:2024:292, point 51 et jurisprudence citée).
40 Constituent ainsi des avantages sociaux les prestations sociales attribuées à l’enfant à charge d’un travailleur migrant qui doit contribuer à son entretien (voir en ce sens, notamment, arrêts du 20 juin 1985, Deak, 94/84, EU:C:1985:264, point 24 ; du 18 juin 1987, Lebon, 316/85, EU:C:1987:302, point 13, et du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 39 ainsi que jurisprudence citée).
41 Il s’ensuit qu’une aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés, telle que celle prévue par le SGB IX, constitue un avantage social, au sens de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011.
42 En troisième lieu, il y a lieu de souligner que cette disposition constitue une expression particulière, dans le domaine spécifique de l’octroi d’avantages sociaux, du principe d’égalité de traitement consacré à l’article 45 TFUE et doit être interprétée de la même façon que cette dernière disposition (arrêt du 2 avril 2020, PF e.a., C‑830/18, EU:C:2020:275, point 29 ainsi que jurisprudence citée).
43 Ce principe d’égalité de traitement prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (arrêt du 2 avril 2020, PF e.a., C‑830/18, EU:C:2020:275, point 30 et jurisprudence citée).
44 Or, une condition de résidence, telle que celle en cause au principal, à laquelle la réglementation de l’État membre concerné subordonne l’octroi de l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés, est susceptible, par sa nature même, de défavoriser les travailleurs frontaliers qui résident dans un autre État membre, si bien qu’elle constitue une discrimination indirecte relevant de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 (voir, en ce
sens, arrêt du 2 avril 2020, PF e.a., C‑830/18, EU:C:2020:275, points 31 et 32 ainsi que jurisprudence citée).
45 De ce fait, une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui désavantage certains travailleurs au seul motif qu’ils ont établi leur résidence habituelle dans un autre État membre, constitue une restriction à la libre circulation des travailleurs, au sens de l’article 45 TFUE, en ce que, même indistinctement applicable, elle est susceptible d’empêcher ou de dissuader, notamment, un ressortissant d’un État membre de quitter son État d’origine pour exercer son droit à la
libre circulation (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, PF e.a., C‑830/18, EU:C:2020:275, point 36 et jurisprudence citée).
46 Selon la jurisprudence de la Cour, une telle restriction à la libre circulation des travailleurs ne peut être admise qu’à la condition d’être objectivement justifiée. Pour cela, elle doit être propre à garantir la réalisation d’un objectif légitime et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir en ce sens, notamment, arrêts du 13 décembre 2012, Caves Krier Frères, C‑379/11, EU:C:2012:798, point 48, et du 2 avril 2020, PF e.a., C‑830/18, EU:C:2020:275, point 39
ainsi que jurisprudence citée).
47 En l’occurrence, le gouvernement allemand soutient que la condition de résidence en cause au principal est justifiée par l’objectif consistant à garantir, d’une part, un lien réel entre le demandeur de l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés et l’État membre octroyant cette aide et, d’autre part, l’équilibre financier du système national de sécurité sociale.
48 À cet égard, il convient de rappeler que, certes, les objectifs poursuivis par une réglementation nationale visant à établir un lien réel entre le demandeur d’une prestation sociale et l’État membre compétent ainsi qu’à préserver l’équilibre financier du système national de sécurité sociale constituent, en principe, des objectifs légitimes susceptibles de justifier des restrictions à la libre circulation des travailleurs [voir en ce sens, notamment, arrêt du 25 juillet 2018, A (Aide pour une
personne handicapée), C‑679/16, EU:C:2018:601, point 69 et jurisprudence citée].
49 Toutefois, une condition de résidence, telle que celle en cause au principal, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs. En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, dès lors que les travailleurs frontaliers contribuent financièrement aux politiques sociales de l’État membre d’accueil par les contributions fiscales et sociales qu’ils paient dans ce dernier dans le cadre de l’activité salariée qu’ils y exercent, ils doivent pouvoir bénéficier, notamment, des
avantages sociaux dans les mêmes conditions que les travailleurs résidents (voir en ce sens, notamment, arrêt du 16 mai 2024, Hocinx, C‑27/23, EU:C:2024:404, point 31 et jurisprudence citée).
50 Dans cette mesure, il existe un lien de rattachement réel et suffisant entre le demandeur de l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés et l’État membre compétent, lequel est de nature à permettre à ce dernier de s’assurer que la charge économique associée au versement de cette prestation ne devienne pas déraisonnable [voir, par analogie, arrêt du 25 juillet 2018, A (Aide pour une personne handicapée), C‑679/16, EU:C:2018:601, point 71 et
jurisprudence citée].
51 Par ailleurs, pour autant que le gouvernement allemand met en exergue la nécessité de tenir compte de l’environnement social de la personne handicapée afin de s’assurer que cette aide à l’intégration corresponde précisément à ses besoins spécifiques individuels et, partant, de pouvoir en contrôler l’efficacité ainsi que les effets, il suffit de relever qu’il ressort de la décision de renvoi que ladite aide est une prestation en nature fournie sur le territoire allemand dans le cadre de la
scolarisation de l’enfant handicapé, si bien que les autorités allemandes sont parfaitement en mesure d’effectuer tous les contrôles nécessaires aux fins d’une telle individualisation, même si cet enfant et ses parents résident habituellement dans un autre État membre. Par ailleurs, et en tout état de cause, ce gouvernement n’explique pas en quoi le fait de résider sur le territoire national serait nécessaire à l’individualisation d’une telle prestation en nature.
52 En conséquence, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui subordonne l’octroi d’une aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire à l’enfant handicapé d’un travailleur frontalier, ressortissant de l’Union, à la condition que cet enfant réside sur le territoire national, dès lors qu’une telle condition va au-delà de ce qui est
nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis par cette réglementation.
Sur la troisième question
53 Compte tenu de la réponse apportée à la deuxième question, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.
Sur les dépens
54 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :
1) L’article 3 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) no 988/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009,
doit être interprété en ce sens que :
une prestation, telle que l’aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire aux enfants handicapés prévue par le Neuntes Buch Sozialgesetzbuch (code de la sécurité sociale, neuvième livre), ne relève pas du champ d’application matériel du règlement no 883/2004, tel que modifié par le règlement no 988/2009, dès lors que l’octroi de cette prestation n’est pas subordonné à la satisfaction de conditions objectives, mais repose sur une appréciation individuelle par l’autorité
nationale compétente des besoins de la personne concernée.
2) L’article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union,
doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à une réglementation nationale qui subordonne l’octroi d’une aide à l’intégration sous forme de prestations d’assistance scolaire à l’enfant handicapé d’un travailleur frontalier, ressortissant de l’Union, à la condition que cet enfant réside sur le territoire national, dès lors qu’une telle condition va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis par cette réglementation.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.