ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
3 juillet 2025 ( *1 )
« Pourvoi – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Biélorussie en ce qui concerne la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme – Listes de personnes, d’entités et d’organismes auxquels s’applique un gel de fonds et de ressources économiques – Inscription et maintien sur ces listes du nom d’entreprises biélorusses appartenant dans leur quasi-totalité à l’État – Critère d’inscription lié au “soutien au régime de Loukachenko” – Obligation pour certaines entreprises
biélorusses appartenant à ou contrôlées par l’État de verser à ce dernier une partie de leurs bénéfices en vertu d’une mesure étatique obligatoire »
Dans l’affaire C‑326/24 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 2 mai 2024,
Grodno Azot AAT, établie à Grodno (Biélorussie),
Khimvolokno Plant, établie à Grodno,
représentées initialement par Me L. Engelen, advocaat, et Me N. Montag, avocată, puis par Me M. Krestiyanova, avocate, et Me N. Montag, avocată,
parties requérantes,
l’autre partie à la procédure étant :
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Antoniadis et A. Boggio-Tomasaz, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. D. Gratsias, E. Regan, J. Passer et B. Smulders (rapporteur), juges,
avocat général : Mme L. Medina,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur pourvoi, Grodno Azot AAT et Khimvolokno Plant demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 21 février 2024, Grodno Azot et Khimvolokno Plant/Conseil (T‑117/22, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2024:112), par lequel celui-ci a rejeté leur recours visant à l’annulation, premièrement, de la décision d’exécution (PESC) 2021/2125 du Conseil, du 2 décembre 2021, mettant en œuvre la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation
en Biélorussie (JO 2021, L 430 I, p. 16), et du règlement d’exécution (UE) 2021/2124 du Conseil, du 2 décembre 2021, mettant en œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2021, L 430 I, p. 1) (ci‑après, pris ensemble, les « actes initiaux litigieux »), et, deuxièmement, de la décision (PESC) 2023/421 du Conseil, du 24 février 2023, modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives
en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2023, L 61, p. 41), et du règlement d’exécution (UE) 2023/419 du Conseil, du 24 février 2023, mettant en œuvre l’article 8 bis du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2023, L 61, p. 20) (ci‑après, pris ensemble, les « actes de
maintien litigieux »), en tant que ces quatre actes (ci-après, pris ensemble, les « actes litigieux »), les concernent.
Le cadre juridique et les antécédents du litige
2 Aux fins du présent pourvoi, le contexte factuel et juridique de la présente affaire, tel qu’exposé aux points 2 à 17 de l’arrêt attaqué, peut être résumé comme suit.
3 La présente affaire s’inscrit dans le contexte des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis l’année 2004 en raison de la gravité de la situation en Biélorussie en ce qui concerne la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme.
4 Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 18 mai 2006, le règlement (CE) no 765/2006, concernant des mesures restrictives à l’encontre du président Loukachenko et de certains fonctionnaires de Biélorussie (JO 2006, L 134, p. 1), dont l’intitulé a été remplacé, aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement (UE) no 588/2011 du Conseil, du 20 juin 2011 (JO 2011, L 161, p. 1), par celui de « Règlement (CE) no 765/2006 du Conseil, du 18 mai 2006, concernant des mesures restrictives à
l’encontre de la Biélorussie ».
5 Le 15 octobre 2012, le Conseil a adopté la décision 2012/642/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2012, L 285, p. 1).
6 L’article 4, paragraphe 1, de cette décision se lit comme suit :
« Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes et entités ci-après, de même que tous les fonds et ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par les personnes ou entités ci-après :
a) les personnes, entités ou organismes responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement, d’une autre manière, à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie, ou toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme qui leur est associé, ainsi que les personnes morales, les entités ou les organismes qu’ils détiennent ou contrôlent ;
b) les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes qui profitent du régime de Loukachenk[o] ou le soutiennent, ainsi que les personnes morales, les entités ou les organismes qu’ils détiennent ou contrôlent,
dont la liste figure à l’annexe. »
7 L’article 2, paragraphes 4 et 5, du règlement no 765/2006, tel que modifié par le règlement (UE) no 1014/2012 du Conseil, du 6 novembre 2012 (JO 2012, L 307, p. 1), renvoie à l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642 et prévoit les mêmes critères d’inscription sur les listes de personnes, d’entités et d’organismes auxquels s’applique un gel de fonds et de ressources économiques que ceux prescrits par cette dernière disposition, notamment, le critère de « soutien » au
« régime de Loukachenko » (ci-après le « critère du soutien au régime de Loukachenko »).
8 Le 2 décembre 2021, le Conseil a adopté les actes initiaux litigieux. Il ressort des considérants 4 de ceux-ci que, « [e]u égard à la gravité de la situation en Biélorussie, il convient d’inscrire dix-sept personnes et onze entités sur la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives ».
9 Par les actes initiaux litigieux, l’inscription « Société par actions ouverte “Grodno Azot”[, y] compris la succursale “Khimvolokno Plant” de la société par actions “Grodno Azot” » a été insérée dans le tableau B de la liste figurant à l’annexe de la décision 2012/642 et dans le tableau B de la liste figurant à l’annexe I du règlement no 765/2006 (ci-après, prises ensemble, les « listes litigieuses ») aux motifs suivants (ci-après l’« exposé des motifs ») :
« Grodno Azot est une grande entreprise d’État qui produit des composés azotés, basée à Grodno. Loukachenk[o] l’a décrite comme une “entreprise très importante, une entreprise stratégique”. Grodno Azot détient également l’usine Khimvolokno, qui est un grand fabricant de polyamide et de polyester et de matériaux composites. Grodno Azot et son usine Khimvolokno représentent une source importante de revenus pour le régime de Loukachenk[o]. Grodno Azot soutient donc le régime de Loukachenk[o].
Loukachenk[o] a visité l’entreprise et a rencontré ses représentants et discuté de la modernisation de l’usine et de différentes formes d’aides d’État. Loukachenk[o] a également promis qu’un prêt serait utilisé pour construire une nouvelle usine d’azote à Grodno. Grodno Azot tire donc profit du régime de Loukachenk[o].
Les travailleurs de Grodno Azot, y compris ceux de l’usine Khimvolokno, qui ont participé aux manifestations pacifiques contre le régime et qui ont fait grève, ont été licenciés, intimidés et menacés à la fois par la direction de Grodno Azot et par des représentants du régime. Grodno Azot est donc responsable de la répression de la société civile. »
10 Le 24 février 2023, le Conseil a adopté les actes de maintien litigieux par lesquels il a maintenu les noms des requérantes sur les listes litigieuses pour des motifs en substance identiques à ceux retenus dans les actes initiaux litigieux.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
11 Par requête du 2 mars 2022, telle qu’adaptée par la suite, les requérantes ont demandé au Tribunal d’annuler les actes litigieux, en tant qu’ils les concernent, en se fondant, pour ce qui est de chacun de ces actes, sur deux moyens tirés, en substance, d’une erreur dans l’appréciation des faits et d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642.
12 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours des requérantes.
13 À cet égard, s’agissant, en premier lieu, de la demande d’annulation partielle des actes initiaux litigieux, le Tribunal a, dans un premier temps, au point 38 de l’arrêt attaqué, déduit de différents éléments factuels avancés par les requérantes et par le Conseil au cours de la procédure devant le Tribunal, voire d’informations publiées sur un site Internet, mentionnés aux points 33 à 37 de cet arrêt, que le Conseil n’avait pas commis d’erreur d’appréciation des faits en considérant que Grodno
Azot était une grande entreprise d’État ayant été décrite par le président Loukachenko comme étant une « entreprise très importante, une entreprise stratégique », que Grodno Azot détenait Khimvolokno Plant et que Grodno Azot et Khimvolokno Plant représentaient une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko.
14 Dans un second temps, le Tribunal a examiné successivement, aux points 44 à 63 de l’arrêt attaqué, les arguments soulevés par les requérantes tenant à contester la qualification des éléments énoncés au point 38 de cet arrêt de soutien au régime de Loukachenko, pour conclure, au point 64 de cet arrêt, que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Conseil avait estimé que la position des requérantes dans l’économie biélorusse, la circonstance selon laquelle elles appartenaient à l’État ainsi
que le fait qu’elles représentaient une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko constituaient, pris ensemble, des éléments suffisants pour considérer qu’elles soutenaient ledit régime, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.
15 En particulier, le Tribunal a, premièrement, estimé, aux points 47 et 48 de l’arrêt attaqué, que, contrairement aux allégations des requérantes, il ressortait des motifs des actes initiaux litigieux, d’une part, que le Conseil ne s’était pas appuyé uniquement sur la circonstance selon laquelle les requérantes appartenaient à l’État biélorusse pour considérer qu’elles soutenaient le régime de Loukachenko, mais avait également pris en compte à cette fin un ensemble d’éléments parmi lesquels le fait
que celles-ci représentaient une source importante de revenus pour ce régime et, d’autre part, que le Conseil n’avait pas considéré que toute entreprise appartenant à l’État était automatiquement une source de revenus pour ce régime, mais avait considéré que le fait que les requérantes étaient une source de revenus pour ledit régime s’ajoutait à la circonstance qu’elles appartenaient à l’État.
16 Dans ce contexte, aux points 49 et 50 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a notamment renvoyé à sa jurisprudence relative au libellé clair et précis de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, qui vise les personnes et les entités qui « soutiennent [le régime de Loukachenko] », ainsi qu’à l’objectif poursuivi par cette disposition.
17 Par ailleurs, aux points 51 et 52 de l’arrêt attaqué, le Tribunal, en se fondant sur les termes du considérant 6 de la décision 2012/642, a relevé que l’article 4, paragraphe 1, sous b), de cette décision couvre non seulement le soutien politique à ce régime, mais également le soutien financier ou matériel à ce dernier.
18 Deuxièmement, aux points 54 à 56 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’argumentation des requérantes selon laquelle elles ne contrôlaient pas l’utilisation qui était faite des ressources versées à l’État biélorusse et que celles-ci ne servaient pas à financer les dépenses personnelles du président Loukachenko, concluant au point 57 de cet arrêt que, le Conseil ayant retenu que les requérantes représentaient une source de revenus pour le régime de Loukachenko pour faire application du critère
du soutien au régime, il n’avait pas à démontrer, à cet effet, que les requérantes, du fait de leurs contributions financières, étaient responsables de violations des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit ou de la répression de la société civile et de l’opposition démocratique.
19 Troisièmement, aux points 59 à 63 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’argumentation des requérantes selon laquelle les dividendes qu’elles avaient l’obligation de verser à l’État biélorusse en vertu de l’édit du président de la République de Biélorussie no 637, du 28 décembre 2005, relatif à la procédure d’inscription au budget d’une partie des bénéfices des entreprises d’État, des associations d’État qui sont des organisations commerciales, ainsi que des revenus tirés de dividendes (des
parts du capital social) des sociétés économiques détenues par l’État ou les communes, et à la formation d’un fonds budgétaire spécifique de l’État pour le développement national (Registre national des actes juridiques de la République de Biélorussie no 1/7075, du 29 décembre 2005, ci‑après l’« édit no 637/2005 »), lorsqu’elles réalisaient un bénéfice, devaient être assimilés à des « impôts » et ne pouvaient dès lors, conformément à sa jurisprudence issue notamment de l’arrêt du 6 octobre 2015,
Chyzh e.a./Conseil (T-276/12, EU:T:2015:748, point 169), constituer un soutien au régime de Loukachenko, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.
20 À cet égard, d’une part, le Tribunal a relevé, au point 61 de l’arrêt attaqué, qu’il ressortait du paragraphe 1.1 de l’édit no 637/2005 que l’obligation de verser une part des bénéfices à l’État ou à des entités infraétatiques ne concernait qu’une catégorie délimitée d’opérateurs économiques et non l’ensemble des contribuables biélorusses.
21 D’autre part, au point 62 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a indiqué qu’il ressortait des termes du paragraphe 1.2 de l’édit no 637/2005 que le versement dont il s’agissait était formellement distinct des impôts et s’ajoutait à ceux-ci.
22 Le Tribunal en a déduit, au point 63 de l’arrêt attaqué, que la circonstance selon laquelle les requérantes étaient tenues de verser une part de leurs bénéfices à l’État en vertu de l’édit no 637/2005 ne contredisait pas l’appréciation selon laquelle elles soutenaient financièrement le régime de Loukachenko, mais confirmait cette appréciation dès lors que, par cet édit, ledit régime avait accru le contrôle qu’il exerçait déjà, en tant qu’unique actionnaire, sur les ressources des requérantes en
s’assurant de disposer régulièrement d’une part des bénéfices qu’elles réalisaient.
23 S’agissant, en second lieu, de la demande d’annulation partielle des actes de maintien litigieux, le Tribunal a relevé, au point 74 de l’arrêt attaqué, que deux articles publiés sur Internet avaient été ajoutés au dossier constitué par le Conseil lors de l’adoption de ces actes. Selon le premier article publié le 18 avril 2022, après avoir enregistré une perte en 2020, Grodno Azot avait dégagé un bénéfice net de près de 530000000 roubles biélorusses (BYN) (environ 175000000 euros) en 2021 et
avait annoncé le paiement de plus de 100000000 BYN (environ 33195000 euros) de dividendes. Selon le second article, publié le 20 octobre 2022, le ministre de l’Économie biélorusse avait déclaré que les revenus de Grodno Azot avaient augmenté de près de 20 % entre le mois de janvier et le mois d’août 2022. Selon le Tribunal, les requérantes n’avaient pas contesté le bien-fondé de ces informations. Il en a conclu, au point 75 de l’arrêt attaqué, que le Conseil n’avait pas commis d’erreur
d’appréciation en estimant, à la suite d’un réexamen de la situation des requérantes, que celles-ci représentaient une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko.
Les conclusions des parties
24 Les requérantes demandent à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– de statuer elle-même définitivement sur le litige, si celui-ci est en état d’être jugé ;
– à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue de nouveau, et
– de condamner le Conseil aux dépens de la procédure devant la Cour ainsi qu’à ceux de la procédure devant le Tribunal.
25 Le Conseil demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi ;
– à titre subsidiaire, si la Cour devait décider d’annuler l’arrêt attaqué et de rendre elle-même une décision définitive, de rejeter le recours tendant à l’annulation des actes litigieux, et
– de condamner les requérantes aux dépens tant de la procédure en première instance que de la présente procédure de pourvoi.
Sur le pourvoi
26 Les requérantes soulèvent quatre moyens à l’appui de leur pourvoi. Le premier moyen est tiré d’une violation des principes et des règles juridiques relatifs à la charge de la preuve. Le deuxième moyen porte sur une interprétation erronée de la nature et de la fonction des dividendes en l’espèce et dans tout régime fiscal. Le troisième moyen est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation tenant à l’absence d’analyse du caractère « important » du prétendu soutien économique. Par leur quatrième
moyen, les requérantes font valoir une violation de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
27 Par leur premier moyen, visant les points 32, 36 à 39, 42, 47, 48, 52, 55 et 57 de l’arrêt attaqué, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce que, pour parvenir à la conclusion selon laquelle le Conseil n’a pas commis une erreur d’appréciation lorsqu’il a constaté qu’elles étaient une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko, cette juridiction se serait fondée exclusivement sur les informations relatives aux dividendes alors que celles-ci ne
figuraient pas et n’étaient pas non plus évoquées dans le premier dossier de preuves du Conseil. Ce faisant, le Tribunal aurait justifié rétroactivement le motif de désignation avancé par le Conseil au titre du critère du soutien au régime, ce qui constituerait un renversement de la charge de la preuve et une violation d’autres principes et règles en matière de preuve. Le Conseil, lorsqu’il décide d’imposer une mesure restrictive, devrait disposer, dans le dossier de preuves initial, de tous les
éléments pertinents à cette fin ce qui, en l’occurrence, ne serait manifestement pas le cas des informations susmentionnées.
28 Le premier dossier de preuves du Conseil comprendrait seulement, au titre des éléments censés démontrer le fait que les requérantes seraient une « source importante de revenus pour le régime de Loukachenko », un extrait du site Internet des requérantes présentant la taille de celles-ci ainsi que des informations sur leurs bénéfices nets en 2018 et sur leurs chiffres d’affaires en 2020. Or, aucun de ces éléments n’expliquerait, loin s’en faut, de quelle manière les requérantes auraient apporté un
soutien économique important à ce régime.
29 En particulier, dans ce premier dossier, aucune référence n’aurait été faite, même indirectement, aux dividendes payés par les requérantes à l’État biélorusse. Des éléments de preuve relatifs aux dividendes auraient été fournis par les requérantes dans leur requête. Si le Tribunal a présenté ces éléments comme étant des preuves complémentaires, il découlerait des points 52 et 55 de l’arrêt attaqué qu’il a fondé sa conclusion selon laquelle les requérantes fourniraient un soutien au régime en
étant une source importante de revenus pour ce dernier uniquement sur ces éléments de preuve.
30 Ainsi, en méconnaissance des principes relatifs à la charge de la preuve rappelés dans l’arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi (C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 120 et 121), le Tribunal se serait fondé sur des éléments de preuve dont le Conseil n’a pas eu connaissance avant le 2 mars 2022, date à laquelle les requérantes les ont présentés, alors que la désignation est intervenue le 2 décembre 2021.
31 Pour le cas où il découlerait de la jurisprudence du Tribunal que celui-ci peut s’appuyer sur des éléments de preuve soumis par un requérant non seulement à décharge, mais également à charge afin de corroborer ou de renforcer les éléments de preuve retenus par le Conseil pour fonder les mesures restrictives en cause, il n’y aurait en l’occurrence aucun élément de preuve à corroborer ou à étayer. Le Tribunal se serait, en effet, simplement appuyé sur des éléments de preuve qui n’étaient pas même
évoqués dans le dossier de preuves du Conseil et aurait ainsi réécrit, de fait, la motivation fournie par ce dernier.
32 Partant, le Tribunal n’aurait pas respecté les principes et règles relatifs à la charge de la preuve en ce qu’il a conclu, d’une part, que sont établis les faits décrits dans l’exposé des motifs étayant l’allégation selon laquelle les requérantes seraient « une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko » et, d’autre part, qu’ils relèvent du champ d’application de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.
33 Le Conseil conteste l’argumentation des requérantes.
Appréciation de la Cour
34 Afin de vérifier si le Tribunal a méconnu les règles relatives à la charge de la preuve en matière de mesures restrictives, il convient de rappeler que, lors du contrôle de telles mesures, les juridictions de l’Union doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu des traités, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (arrêt du 29 novembre 2018, Bank Tejarat/Conseil, C‑248/17 P, EU:C:2018:967, point 38 et jurisprudence
citée).
35 L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire le nom d’une personne sur la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique, en l’espèce,
une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend les actes attaqués, de sorte que le contrôle juridictionnel ne se limite pas à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’entre eux considéré comme étant suffisant en soi pour soutenir lesdits actes, sont étayés. En outre, c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le
bien‑fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien‑fondé desdits motifs (arrêt du 29 novembre 2018, Bank Tejarat/Conseil, C‑248/17 P, EU:C:2018:967, point 39 et jurisprudence citée).
36 En l’occurrence, il importe de souligner que, ainsi qu’il a été constaté au point 37 de l’arrêt attaqué, dans leurs écritures soumises devant le Tribunal, les requérantes ont reconnu que, pendant la période allant de l’année 2018 à l’année 2020, elles ont versé à l’État biélorusse une partie de leurs bénéfices et ont produit des documents relatifs à ces versements. Les requérantes ont ainsi confirmé la circonstance essentielle selon laquelle elles représentaient une source de revenus pour le
régime de Loukachenko.
37 Dans ces conditions, le Conseil n’était pas tenu d’apporter des éléments de preuve pour étayer cette circonstance essentielle établissant le bien‑fondé de l’exposé des motifs, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 35 du présent arrêt.
38 Le fait que les requérantes ont présenté les informations relatives auxdits versements comme étant des éléments « à décharge » est sans pertinence, comme l’a observé à bon droit le Tribunal au point 37 de l’arrêt attaqué.
39 Dès lors, il ne saurait être considéré que, en tenant compte, notamment, de ces informations produites au cours de l’instance par les requérantes et relatives aux versements à l’État biélorusse d’une partie de leurs bénéfices afin de déterminer si ces versements constituaient un soutien au régime de Loukachenko justifiant leur inscription sur la liste de personnes et d’entités faisant l’objet de mesures restrictives sous la forme d’un gel de fonds et de ressources économiques, le Tribunal aurait
inversé la charge de la preuve incombant au Conseil (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2018, Bank Tejarat/Conseil, C‑248/17 P, EU:C:2018:967, point 41).
40 Pour autant que les requérantes soulignent l’importance que revêtirait la circonstance que les données relatives aux versements d’une partie de leurs bénéfices soient mentionnées par le Conseil dans l’exposé des motifs ou soient consignées dans le dossier déposé à l’appui de cet exposé et donc expressément prises en compte par cette institution lors de l’adoption de la mesure restrictive concernée, ce qui exclut leur communication a posteriori, elles semblent avancer en réalité un argument tiré
de ce que le Tribunal a, à tort, omis de constater une violation par ladite institution de l’exigence de motivation prévue à l’article 296 TFUE.
41 À cet égard, il importe de relever que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son
contrôle sur la légalité de cet acte (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 49 et jurisprudence citée).
42 Par ailleurs, s’agissant notamment des actes imposant des mesures restrictives, la Cour a déjà jugé qu’il importe peu que ces actes n’aient pas mentionné explicitement certains versements afin de caractériser les modalités et l’étendue du soutien financier apporté au gouvernement de l’État tiers faisant l’objet de telles mesures. En effet, selon la jurisprudence de la Cour, le caractère suffisant de la motivation d’un acte doit être apprécié au regard du contexte de cet acte ainsi que de
l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée, si bien qu’un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la mesure prise à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2016, Bank of Industry and Mine/Conseil, C‑358/15 P, EU:C:2016:338, point 63 et jurisprudence citée).
43 Or, au vu des informations qui leur ont été fournies dans l’exposé des motifs et dans le dossier du Conseil, à savoir, essentiellement, celles relatives au fait que, en tant qu’entreprises d’État, elles devaient être considérées comme apportant un soutien financier au régime de Loukachenko en raison, à l’évidence, du versement d’une partie de leurs bénéfices à l’État biélorusse, les actes litigieux étaient suffisamment motivés dès lors que, d’une part, les requérantes ont pu contester et ont
effectivement contesté devant le Tribunal la pertinence, aux fins de l’application du critère du soutien au régime de Loukachenko, desdits versements, lesquels, il convient de le rappeler, avaient été mentionnés par les requérantes elles-mêmes, et, d’autre part, cette motivation a permis au Tribunal d’exercer le contrôle de légalité de ces actes.
44 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter le premier moyen.
Sur le deuxième moyen
Argumentation des parties
45 Par leur deuxième moyen, visant les points 60 à 67 de l’arrêt attaqué, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en rejetant leur argument selon lequel les dividendes versés à l’État biélorusse au titre de l’édit no 637/2005 devaient, eu égard à leur nature et à leur fonction, être assimilés à des impôts, de sorte que, selon la jurisprudence du Tribunal, ils ne sauraient, par principe, constituer un soutien au régime de Loukachenko, au sens de l’article 4,
paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642. Ce faisant, le Tribunal aurait interprété de manière erronée la nature et la fonction non seulement des dividendes en l’espèce qui revêtent un caractère obligatoire, mais également de tout régime fiscal, quel que soit l’État concerné, et ce en refusant d’assimiler ces dividendes à des impôts au motif que les impôts s’appliquent à l’ensemble des contribuables biélorusses alors que le calcul desdits dividendes correspond à une assiette particulière
définie par l’édit no 637/2005, et que leur paiement ne concerne qu’une catégorie spécifique d’entités.
46 En premier lieu, contrairement à ce qu’aurait conclu le Tribunal, tous les contribuables biélorusses ne paieraient pas les mêmes impôts. Tous les régimes fiscaux, dans le monde entier, définiraient l’objet de l’impôt concerné et les personnes qui en sont redevables et, en l’occurrence, ce seraient les entreprises biélorusses appartenant à l’État qui sont tenues de verser des dividendes obligatoires. En outre, l’édit no 637/2005 distinguerait différentes catégories d’entreprises appartenant à
l’État, à savoir les entreprises appartenant entièrement à l’État et celles dont l’État détient au moins 50 % des actions. De nombreux impôts en Biélorussie, comme les dividendes obligatoires, viseraient des catégories déterminées de personnes. L’assujettissement des entreprises d’État au paiement de dividendes obligatoires ne serait pas différent de l’application sélective d’autres impôts.
47 En deuxième lieu, au point 62 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’aurait pas tenu compte du fait que, comme tout autre impôt biélorusse, et comme partout ailleurs dans le monde, le calcul des dividendes obligatoires en Biélorussie s’effectue sur la base d’une assiette déterminée, en l’occurrence, conformément au second alinéa du paragraphe 1.2 de l’édit no 637/2005.
48 En troisième lieu, la conclusion du Tribunal au point 63 de l’arrêt attaqué selon laquelle l’État biélorusse, « en tant qu’unique actionnaire », n’a fait qu’accroître son contrôle sur les sociétés telles que les requérantes en imposant une distribution obligatoire des bénéfices serait en contradiction avec le point 33 de cet arrêt, aux termes duquel cet État ne détenait que « 99,96 % [du capital social des requérantes] ».
49 Cette conclusion serait illogique, car, en tant qu’actionnaire unique ou même majoritaire d’entreprises, un État posséderait déjà le contrôle de celles-ci et ne pourrait l’augmenter. Ainsi, l’État pourrait unilatéralement décider de la distribution des dividendes.
50 En quatrième lieu, il existerait d’autres éléments, ignorés par le Tribunal, qui confirmeraient que les dividendes obligatoires en Biélorussie sont des impôts.
51 Premièrement, la perception des dividendes obligatoires en Biélorussie relèverait de la compétence des autorités fiscales, conformément aux procédures fiscales applicables. Deuxièmement, l’approche consistant à percevoir des dividendes après l’impôt sur les sociétés s’inspirerait du principe d’imposition des bénéfices exceptionnels. Troisièmement, plusieurs impôts biélorusses trouveraient leur origine dans d’autres actes juridiques que le code des impôts. Quatrièmement, l’absence de versement ou
le versement tardif des dividendes obligatoires seraient sanctionnés de la même manière que l’absence de paiement ou le paiement tardif des impôts. Cinquièmement, les dividendes obligatoires ainsi que l’impôt sur les sociétés seraient versés au même bénéficiaire et sur le même compte bancaire. Sixièmement, comme tout autre impôt, une dette au titre du versement des dividendes obligatoires pourrait être compensée par une créance résultant d’un trop versé concernant un autre impôt, tel que l’impôt
sur les sociétés. Septièmement, contrairement aux dividendes ordinaires, pour lesquels la société qui les verse agit en tant qu’agent fiscal et retient les impôts sur les dividendes distribués, qu’elle paie au trésor public, aucun impôt ne grèverait les dividendes obligatoires biélorusses, conformément au principe selon lequel il ne peut y avoir d’impôt sur l’impôt consacré à l’article 166 du code fiscal biélorusse.
52 Le Conseil soutient que l’argumentation des requérantes est, à titre principal, partiellement irrecevable, pour ce qui est des allégations dirigées contre les points 61 et 62 de l’arrêt attaqué en ce que ces points contiendraient des constatations factuelles, et partiellement non fondée. À titre subsidiaire, le Conseil fait valoir qu’une telle argumentation est non fondée.
Appréciation de la Cour
53 Il importe de constater, comme l’a fait le Tribunal au point 37 de l’arrêt attaqué, que, dans leurs écritures, les requérantes « reconna[issent] qu’elle[s] [ont] versé des dividendes » à l’État biélorusse qui détient la quasi-totalité du capital de Grodno Azot et que celles-ci ont d’ailleurs produit un document dont il ressort que cette société a versé au budget de la République de Biélorusse des dividendes d’un montant de 8481000 BYN (environ 3526000 euros) en 2018, de 34200000 BYN (environ
14604000 euros) en 2019 et de 6835000 BYN (environ 2462000 euros) en 2020.
54 C’est donc à juste titre que le Tribunal a pu estimer, au point 64 de l’arrêt attaqué, que c’était sans commettre d’erreur de droit que le Conseil avait estimé que les requérantes représentaient « une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko » et que cette circonstance, prise ensemble avec la position des requérantes dans l’économie biélorusse, et le fait qu’elles appartenaient à l’État à 99,96 % de leur capital, constituaient des éléments suffisants pour considérer qu’elles
fournissaient un soutien audit régime, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, cette disposition visant en particulier les personnes et les entités qui soutiennent financièrement le même régime (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2016, Bank of Industry and Mine/Conseil, C‑358/15 P, EU:C:2016:338, point 81).
55 Une telle interprétation du critère de soutien au régime de Loukachenko, en ce qu’elle se concentre sur le soutien financier apporté à ce régime, s’inscrit d’ailleurs dans l’objectif principal que poursuit cette disposition, à savoir celui d’accroître la pression exercée sur ledit régime afin que celui-ci mette fin à la violation grave et persistante en Biélorussie des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit ainsi qu’à la répression à l’égard de la société civile et de
l’opposition démocratique.
56 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la qualification d’impôt ou de dividende au titre duquel les sommes sont versées à l’État biélorusse n’est pas déterminante pour identifier un « soutien au régime de Loukachenko », au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642. En effet, dans l’un et l’autre cas, il s’agit de sommes versées à l’État par une entité dont ce dernier détient la quasi‑totalité du capital, en application d’une réglementation étatique imposant ce
versement. Exclure de tels versements de cette notion de « soutien au régime de Loukachenko », au seul motif que les sommes dues sont qualifiées d’impôts, pourrait permettre de contourner les règles de l’Union par une augmentation du taux d’imposition des bénéfices, réalisés par de telles entités, en contrepartie d’une diminution du montant des dividendes, dont le paiement au profit de l’État est imposé par le droit biélorusse lorsqu’une entreprise appartenant à l’État biélorusse réalise des
bénéfices (voir, par analogie, arrêt du 12 mai 2016, Bank of Industry and Mine/Conseil, C‑358/15 P, EU:C:2016:338, point 80).
57 Il s’ensuit que, dans la mesure où les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir, au point 59 de l’arrêt attaqué, indûment restreint la notion d’« impôt » dans ce contexte et, par conséquent, aux points 60 à 62 de cet arrêt, d’avoir constaté à tort que leurs versements à l’État biélorusse ne pouvaient pas être assimilés à de tels impôts, leur argumentation est inopérante, dès lors qu’elle ne saurait, en tout état de cause, remettre en cause la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu, au
point 64 dudit arrêt et rappelée au point 54 du présent arrêt, selon laquelle il existait en l’occurrence des éléments suffisants pour considérer que les requérantes fournissaient un « soutien au régime de Loukachenko », au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.
58 Il en va de même de l’argumentation des requérantes relative au point 63 de l’arrêt attaqué. En particulier, à ce point, le Tribunal a jugé que l’obligation des requérantes, en vertu du droit biélorusse, de verser une part de leurs bénéfices à l’État « confirme » l’appréciation selon laquelle elles soutenaient financièrement le régime de Loukachenko, dès lors que, en imposant cette obligation, ce régime a accru le contrôle qu’il exerçait. Il ressort du terme « confirme » et, plus généralement,
d’une lecture d’ensemble des points 58 à 64 de l’arrêt attaqué que la considération figurant au point 63 de ce dernier n’est nullement nécessaire afin de parvenir à la conclusion à laquelle il est fait référence au point précédent du présent arrêt.
59 Or, selon une jurisprudence constante, les griefs dirigés contre des motifs surabondants d’une décision du Tribunal sont inopérants dès lors qu’ils ne sauraient entraîner l’annulation de cette décision (voir, en ce sens, arrêts du 7 novembre 2002, Hirschfeldt/AEE, C‑184/01 P, EU:C:2002:645, point 48, et du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 63 ainsi que jurisprudence citée).
60 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen.
Sur le troisième moyen
Argumentation des parties
61 Par leur troisième moyen, visant les points 36 à 38, 47 à 57 et 74 à 79 de l’arrêt attaqué, les requérantes font grief au Tribunal d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en omettant de se prononcer sur la question de savoir si le soutien économique fourni sous forme de versements de dividendes au titre des années 2018, 2019 et 2020, dont elles ont précisé les montants dans leurs écritures, était « important », conformément à la qualification en ce sens figurant dans l’exposé des
motifs. Cette erreur serait avérée s’agissant tant de l’analyse des actes initiaux litigieux que des actes de maintien litigieux.
62 Ni cet exposé ni le premier dossier de preuves du Conseil ne contiendraient des données permettant de justifier le bien-fondé de cette qualification.
63 À titre subsidiaire, les requérantes soutiennent que, si le Tribunal avait dûment analysé la question de savoir si elles sont une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko, ce qu’il n’a pas fait, il aurait répondu par la négative à cette question.
64 Dans ce contexte, les requérantes se réfèrent à l’arrêt du 29 avril 2015, Bank of Industry and Mine/Conseil (T‑10/13, EU:T:2015:235), et, en particulier au point 186 de cet arrêt, dans lequel le Tribunal a conclu que l’entreprise d’État en cause avait versé des montants « considérables » au profit de la trésorerie nationale iranienne qui constituaient un soutien financier au gouvernement iranien.
65 Or, aurait été en cause dans l’affaire ayant conduit à cet arrêt un versement pour un montant total d’au moins 76 millions d’euros sur une période de référence de cinq ans et donc une somme considérablement plus élevée que les montants versés par les requérantes à l’État biélorusse au titre des dividendes obligatoires pour les années 2018, 2019 et 2020. Partant, ces derniers montants ne sauraient être qualifiés de source importante de revenus, ce que confirmerait l’expression desdits montants en
pourcentages du produit intérieur brut (PIB) de la République de Biélorussie pour les années concernées, soit, respectivement, 0,0069 %, 0,0253 % et 0,0045 % de ce PIB.
66 Cette conclusion s’imposerait également s’agissant du versement en lien avec les actes de maintien litigieux. Il ressortirait en effet du second dossier de preuves du Conseil que les requérantes ont versé en 2022 une somme de 33195000 euros au titre des dividendes obligatoires représentant 0,0471 % du PIB de la République de Biélorussie pour cette année. Ce montant serait considérablement inférieur à ce que le Tribunal a qualifié d’« important » dans l’arrêt du 29 avril 2015, Bank of Industry and
Mine/Conseil (T‑10/13, EU:T:2015:235).
67 Enfin, les dividendes obligatoires versés par les requérantes, qu’ils soient en lien avec les actes initiaux litigieux ou avec les actes de maintien litigieux, ne représenteraient pas une source de revenus pour l’État, étant donné que le total de ces dividendes serait inférieur aux remboursements de taxe sur la valeur ajoutée reçus par celles-ci pour la période allant de l’année 2018 à l’année 2022.
68 Le Conseil conteste l’argumentation des requérantes.
Appréciation de la Cour
69 Il importe de relever que, si, au point 64 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Conseil a notamment estimé que les requérantes représentaient « une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko », cette conclusion prend nécessairement en compte les sommes versées telles que spécifiées au point 37 de cet arrêt et implique donc que le Tribunal a retenu le caractère important de ladite source de revenus, confirmant ainsi
l’appréciation du Conseil en ce sens et la validité des actes initiaux litigieux.
70 Il en va de même pour ce qui concerne l’appréciation des actes de maintien litigieux ainsi qu’il ressort d’une lecture combinée des points 74 et 76 de l’arrêt attaqué.
71 Force est donc de constater que le troisième moyen procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué.
72 Pour autant que, à titre d’argumentation subsidiaire, les requérantes remettent en cause l’appréciation du Tribunal quant à l’importance de la source de revenus que représentaient celles-ci pour le régime de Loukachenko au regard des sommes versées à l’État biélorusse au titre de l’édit no 637/2005, il y a lieu de constater qu’il s’agit d’une appréciation d’éléments de fait qui ne peut, sauf dénaturation de ces éléments, être soumise au contrôle de la Cour au stade du pourvoi (voir, en ce sens,
arrêt du 28 avril 2022, Yieh United Steel/Commission, C‑79/20 P, EU:C:2022:305, point 52 et jurisprudence citée).
73 Partant, cette argumentation subsidiaire est irrecevable, faute pour les requérantes d’avoir démontré une telle dénaturation de la part du Tribunal (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2022, Yieh United Steel/Commission, C‑79/20 P, EU:C:2022:305, point 53 et jurisprudence citée).
74 Il en va ainsi en particulier des arguments des requérantes selon lesquels les sommes versées au titre de l’édit no 637/2005 ne peuvent être qualifiées d’importantes dès lors que le montant total des versements est significativement inférieur à celui considéré comme étant « considérable » par le Tribunal au point 186 de l’arrêt du 29 avril 2015, Bank of Industry and Mine/Conseil (T‑10/13, EU:T:2015:235), ou que leur montant individuel n’apparaît pas important s’il est exprimé en pourcentage du
PIB de la République de Biélorussie.
75 Ces arguments doivent, en tout état de cause, être rejetés dès lors qu’ils manquent en fait. En effet, d’une part, à l’évidence, comme l’a d’ailleurs fait valoir à bon droit le Conseil, le point 186 de cet arrêt ne saurait en aucun cas être compris comme étant l’indication d’une limite en deçà de laquelle un soutien financier ne saurait être considéré comme étant important.
76 D’autre part, compte tenu également du large pouvoir d’appréciation qui revient au Conseil lors de l’adoption de mesures restrictives en application, notamment, du critère de soutien au régime de Loukachenko visé à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, rien ne s’oppose à ce que cette institution apprécie l’importance d’un tel soutien en fonction des versements en cause exprimés en montants absolus plutôt qu’en un pourcentage du PIB de la République de la Biélorussie.
77 En outre, si, de fait, le Conseil et le Tribunal ont retenu, voire confirmé, le caractère important des sommes versées par les requérantes au titre de l’édit no 637/2005, ce motif est, en tout état de cause, manifestement surabondant au regard du libellé clair et précis de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642 qui s’oppose à l’imposition d’une condition supplémentaire non prévue à cette disposition telle que celle de l’importance du soutien au régime de Loukachenko.
L’argumentation subsidiaire des requérantes est donc également inopérante, conformément à la jurisprudence issue, notamment, des arrêts du 7 novembre 2002, Hirschfeldt/AEE (C‑184/01 P, EU:C:2002:645, point 48), et du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 63).
78 Enfin, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, l’argument tiré de la violation du principe de proportionnalité que les requérantes avancent au soutien de leur troisième moyen est irrecevable au stade du pourvoi, dès lors qu’il est constant qu’il n’a pas été soulevé devant le Tribunal (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, World Duty Free Group et Espagne/Commission, C‑51/19 P et C‑64/19 P, EU:C:2021:793, points 54 et 55).
79 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le troisième moyen doit être rejeté.
Sur le quatrième moyen
Argumentation des parties
80 Par leur quatrième moyen, portant contestation des points 47 à 52 de l’arrêt attaqué, les requérantes font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, en ce qu’il a jugé que le critère du soutien au régime qui y est prévu est rempli pour toutes les entreprises d’État dès lors qu’elles apportent nécessairement un soutien important au régime simplement en raison de leur structure de propriété, donnant
ainsi une interprétation excessivement large de cette disposition conduisant à une violation de l’article 21 TUE ainsi que, comme elles le précisent dans leur mémoire en duplique, des principes de proportionnalité, de sécurité juridique et d’équité consacrés par le droit de l’Union.
81 Les requérantes déduisent des différents éléments figurant au premier alinéa de l’exposé des motifs et du fait que le Conseil n’a jamais évoqué de quelconques paiements concrets qu’elles auraient effectués au profit de l’État biélorusse que l’interprétation que le Tribunal a donnée de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642 confirme que toute entreprise appartenant à l’État est automatiquement une source de revenus pour celui-ci et qu’une grande entreprise stratégique et
importante appartenant à l’État est nécessairement une source importante de revenus pour ce dernier.
82 Dès lors que, comme tout fonctionnaire, les entreprises appartenant à l’État procureraient nécessairement un avantage à celui-ci au titre de la contribution qu’elles apportent en nature au secteur public, il s’ensuivrait que la preuve du soutien apporté au régime devrait aller au‑delà du simple constat de la qualité d’entreprise d’État. Or, en l’espèce, le Conseil n’aurait produit aucun élément de preuve de paiements ou de contributions financières spécifiques que les requérantes auraient
effectués ou fournies au profit de l’État biélorusse, mais se serait fondé sur la taille de celles-ci, sur leur bénéfice net de 2018 et sur leur chiffre d’affaires de 2020.
83 L’approche du Tribunal aurait pour résultat de conférer au Conseil un pouvoir discrétionnaire illimité pour décider qui sanctionner, même s’il n’y a pas de preuves concrètes, précises et concordantes du soutien apporté au régime de Loukachenko.
84 Le Conseil conteste l’argumentation des requérantes.
Appréciation de la Cour
85 Il découle clairement des points 47 et 64 de l’arrêt attaqué que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le Tribunal ne s’est pas appuyé uniquement sur la circonstance selon laquelle les requérantes appartenaient à l’État biélorusse pour considérer qu’elles soutenaient le régime de Loukachenko, mais qu’il a correctement pris en compte à cette fin d’autres éléments, tel le fait que celles‑ci représentaient une source importante de revenus pour ce régime.
86 Par ailleurs, il ressort du point 55 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a estimé, à bon droit, que l’élément essentiel sur lequel s’est fondée l’appréciation du critère du soutien était les flux financiers, à savoir les versements par les requérantes d’une partie de leurs bénéfices à l’État biélorusse, considérés comme étant un soutien financier au régime de Loukachenko, et non l’appartenance de celles-ci à l’État.
87 Compte tenu de tout ce qui précède, il convient de rejeter le quatrième moyen ainsi que le pourvoi dans son intégralité.
Sur les dépens
88 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, cette dernière statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
89 Le Conseil ayant conclu à la condamnation aux dépens des requérantes et celles-ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Conseil.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Grodno Azot AAT et Khimvolokno Plant sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.