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19/06/2025 | CJUE | N°C-419/24

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Société Nouvelle de l’Hôtel Plaza SAS contre YG et Pôle emploi., 19/06/2025, C-419/24


 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

19 juin 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 98/59/CE – Licenciements collectifs – Article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) – Notion de “travailleurs habituellement employés” – Travailleurs mis à disposition par une entreprise extérieure dans le cadre d’un contrat de prestation de services – Modalités de calcul du nombre desdits travailleurs dans l’établissement – Absence d’obligation spécifique imposée par cette directive à l’égard d’une sit

uation telle que celle en cause au
principal – Inapplicabilité de ladite directive – Incompétence de la Cour »

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 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

19 juin 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 98/59/CE – Licenciements collectifs – Article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) – Notion de “travailleurs habituellement employés” – Travailleurs mis à disposition par une entreprise extérieure dans le cadre d’un contrat de prestation de services – Modalités de calcul du nombre desdits travailleurs dans l’établissement – Absence d’obligation spécifique imposée par cette directive à l’égard d’une situation telle que celle en cause au
principal – Inapplicabilité de ladite directive – Incompétence de la Cour »

Dans l’affaire C‑419/24,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 12 juin 2024, parvenue à la Cour le 13 juin 2024, dans la procédure

Société Nouvelle de l’Hôtel Plaza SAS

contre

YG,

Pôle emploi,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. D. Gratsias, président de chambre, Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), présidente de la cinquième chambre, et M. B. Smulders, juge,

avocat général : Mme L. Medina,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour la Société Nouvelle de l’Hôtel Plaza SAS, par Me J.-J. Gatineau, avocat,

– pour le gouvernement français, par Mme B. Dourthe et M. T. Lechevallier, en qualité d’agents,

– pour l’Irlande, par Mme M. Browne, Chief State Solicitor, Mme A. Burke, MM. T. Joyce et M. Tierney, en qualité d’agents, assistés de M. D. Ryan, BL,

– pour le gouvernement italien, par M. S. Fiorentino, en qualité d’agent, assisté de M. P. Garofoli, avvocato dello Stato,

– pour la Commission européenne, par Mme S. Delaude et M. B.‑R. Killmann, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO 1998, L 225, p. 16).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Société Nouvelle de l’Hôtel Plaza SAS (ci-après la « société Hôtel Plaza ») à YG et à Pôle emploi au sujet du licenciement de YG pour motif économique.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 98/59 :

« Aux fins de l’application de la présente directive :

a) on entend par “licenciements collectifs” : les licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs lorsque le nombre de licenciements intervenus est, selon le choix effectué par les États membres :

i) soit, pour une période de trente jours :

– au moins égal à 10 dans les établissements employant habituellement plus de 20 et moins de 100 travailleurs,

– au moins égal à 10 % du nombre des travailleurs dans les établissements employant habituellement au moins 100 et moins de 300 travailleurs,

– au moins égal à 30 dans les établissements employant habituellement au moins 300 travailleurs ;

ii) soit, pour une période de quatre-vingt-dix jours, au moins égal à 20, quel que soit le nombre des travailleurs habituellement employés dans les établissements concernés ;

[...]

Pour le calcul du nombre de licenciements prévus au premier alinéa, point a), sont assimilées aux licenciements les cessations du contrat de travail intervenues à l’initiative de l’employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs, à condition que les licenciements soient au moins au nombre de cinq. »

4 L’article 2 de cette directive, qui figure dans la section II, intitulée « Information et consultation », de celle-ci, prévoit :

« 1.   Lorsqu’un employeur envisage d’effectuer des licenciements collectifs, il est tenu de procéder, en temps utile, à des consultations avec les représentants des travailleurs en vue d’aboutir à un accord.

2.   Les consultations portent au moins sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés.

Les États membres peuvent prévoir que les représentants des travailleurs pourront faire appel à des experts, conformément aux législations et/ou pratiques nationales.

3.   Afin de permettre aux représentants des travailleurs de formuler des propositions constructives, l’employeur est tenu, en temps utile au cours des consultations :

a) de leur fournir tous renseignements utiles et

b) de leur communiquer, en tout cas, par écrit :

i) les motifs du projet de licenciement ;

ii) le nombre et les catégories des travailleurs à licencier ;

iii) le nombre et les catégories des travailleurs habituellement employés ;

iv) la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer les licenciements ;

v) les critères envisagés pour le choix des travailleurs à licencier dans la mesure où les législations et/ou pratiques nationales en attribuent la compétence à l’employeur ;

vi) la méthode de calcul envisagée pour toute indemnité éventuelle de licenciement autre que celle découlant des législations et/ou pratiques nationales.

L’employeur est tenu de transmettre à l’autorité publique compétente au moins une copie des éléments de la communication écrite prévus au premier alinéa, point b) i) à v).

4.   Les obligations prévues aux paragraphes 1, 2 et 3 s’appliquent indépendamment du fait que la décision concernant les licenciements collectifs émane de l’employeur ou d’une entreprise qui contrôle cet employeur.

En ce qui concerne les infractions alléguées aux obligations d’information, de consultation et de notification prévues par la présente directive, toute justification de l’employeur fondée sur le fait que l’entreprise qui a pris la décision conduisant aux licenciements collectifs ne lui a pas fourni l’information nécessaire ne saurait être prise en compte. »

5 La section III de ladite directive, intitulée « Procédure de licenciement collectif », comprend les articles 3 et 4 de celle-ci. L’article 3, paragraphe 1, premier et troisième alinéas, de la même directive dispose :

« L’employeur est tenu de notifier par écrit tout projet de licenciement collectif à l’autorité publique compétente.

[...]

La notification doit contenir tous renseignements utiles concernant le projet de licenciement collectif et les consultations des représentants des travailleurs prévues à l’article 2, notamment les motifs de licenciement, le nombre des travailleurs à licencier, le nombre des travailleurs habituellement employés et la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer les licenciements. »

6 L’article 4, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 98/59 est libellé comme suit :

« Les licenciements collectifs dont le projet a été notifié à l’autorité publique compétente prennent effet au plus tôt trente jours après la notification prévue à l’article 3, paragraphe 1, sans préjudice des dispositions régissant les droits individuels en matière de délai de préavis. »

7 Aux termes de l’article 5 de la directive 98/59, qui figure dans la section IV, intitulée « Dispositions finales », de celle-ci :

« La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs ou de permettre ou de favoriser l’application de dispositions conventionnelles plus favorables aux travailleurs. »

Le droit français

8 L’article L. 1111-2 du code du travail, dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code du travail »), prévoit :

« Pour la mise en œuvre des dispositions du présent code, les effectifs de l’entreprise sont calculés conformément aux dispositions suivantes :

1° Les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein et les travailleurs à domicile sont pris intégralement en compte dans l’effectif de l’entreprise ;

2° Les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée, les salariés titulaires d’un contrat de travail intermittent, les salariés mis à la disposition de l’entreprise par une entreprise extérieure qui sont présents dans les locaux de l’entreprise utilisatrice et y travaillent depuis au moins un an, ainsi que les salariés temporaires, sont pris en compte dans l’effectif de l’entreprise à due proportion de leur temps de présence au cours des douze mois précédents. Toutefois, les
salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée et les salariés mis à disposition par une entreprise extérieure, y compris les salariés temporaires, sont exclus du décompte des effectifs lorsqu’ils remplacent un salarié absent ou dont le contrat de travail est suspendu, notamment du fait d’un congé de maternité, d’un congé d’adoption ou d’un congé parental d’éducation ;

3° Les salariés à temps partiel, quelle que soit la nature de leur contrat de travail, sont pris en compte en divisant la somme totale des horaires inscrits dans leurs contrats de travail par la durée légale ou la durée conventionnelle du travail. »

9 L’article L. 1233-61, premier alinéa, du code du travail dispose :

« Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l’employeur établit et met en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. »

10 Aux termes de l’article L. 1233-62 du code du travail :

« Le plan de sauvegarde de l’emploi prévoit des mesures telles que :

1° Des actions en vue du reclassement interne sur le territoire national, des salariés sur des emplois relevant de la même catégorie d’emplois ou équivalents à ceux qu’ils occupent ou, sous réserve de l’accord exprès des salariés concernés, sur des emplois de catégorie inférieure ;

1°bis Des actions favorisant la reprise de tout ou partie des activités en vue d’éviter la fermeture d’un ou de plusieurs établissements ;

2° Des créations d’activités nouvelles par l’entreprise ;

3° Des actions favorisant le reclassement externe à l’entreprise, notamment par le soutien à la réactivation du bassin d’emploi ;

4° Des actions de soutien à la création d’activités nouvelles ou à la reprise d’activités existantes par les salariés ;

5° Des actions de formation, de validation des acquis de l’expérience ou de reconversion de nature à faciliter le reclassement interne ou externe des salariés sur des emplois équivalents ;

6° Des mesures de réduction ou d’aménagement du temps de travail ainsi que des mesures de réduction du volume des heures supplémentaires réalisées de manière régulière lorsque ce volume montre que l’organisation du travail de l’entreprise est établie sur la base d’une durée collective manifestement supérieure à trente‑cinq heures hebdomadaires ou 1600 heures par an et que sa réduction pourrait préserver tout ou partie des emplois dont la suppression est envisagée. »

11 L’article L. 1235-10, premier alinéa, du code du travail est libellé comme suit :

« Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, le licenciement intervenu en l’absence de toute décision relative à la validation ou à l’homologation [d’un plan de sauvegarde de l’emploi] ou alors qu’une décision négative a été rendue est nul. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

12 Le 12 octobre 1992, YG a été engagée par la société Hôtel Plaza, qui exploite un hôtel en France, en qualité de cheffe de projet senior.

13 Depuis l’année 2017, dans le cadre de l’exploitation de cet hôtel, la société GSF Jupiter, prestataire de services externe, a mis onze de ses salariés à la disposition de la société Hôtel Plaza pour effectuer des prestations d’entretien et de nettoyage dans les locaux de cet hôtel.

14 Au mois de septembre 2018, la société Hôtel Plaza a informé son personnel que des travaux de rénovation de grande ampleur de l’hôtel géré par celle-ci seraient réalisés, entraînant un arrêt de l’exploitation de cet hôtel pendant au moins 20 mois, et que, pour cette raison, elle allait engager une procédure de licenciement collectif pour motif économique à l’égard de l’ensemble du personnel d’exploitation, visant 29 des 39 salariés que comptait son effectif. Aucun plan de sauvegarde de l’emploi
n’a été établi ni mis en œuvre avant que ne soient décidés les licenciements des salariés concernés.

15 Le 5 décembre 2018, YG a saisi le conseil de prud’hommes de Nice (France) d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur ainsi qu’une demande en paiement de différentes sommes y afférentes.

16 La procédure de licenciement collectif pour motif économique a été engagée le 11 décembre 2018, date à laquelle a eu lieu la première consultation des délégués du personnel. À cette date, les onze salariés de la société GSF Jupiter étaient toujours mis à la disposition de la société Hôtel Plaza.

17 Par un courrier du 22 janvier 2019, YG s’est vu notifier son licenciement pour motif économique à titre conservatoire.

18 Le 29 janvier 2019, YG a accepté le contrat de sécurisation professionnelle qui lui avait été proposé, ses relations contractuelles avec la société Hôtel Plaza ayant pris fin, à l’issue d’un délai de réflexion, le 31 janvier 2019.

19 Après que son licenciement a pris effet, YG a informé le conseil de prud’hommes de Nice du maintien de la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et a sollicité, à titre subsidiaire, d’une part, la nullité de son licenciement pour absence de plan de sauvegarde de l’emploi et, d’autre part, sa réintégration au sein de la société Hôtel Plaza.

20 Après que, par jugement du 13 août 2020, cette juridiction a débouté YG de l’ensemble de ses demandes, cette dernière a interjeté appel de ce jugement devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence (France), laquelle a, par arrêt du 25 novembre 2021, infirmé ledit jugement. Cette juridiction a constaté la nullité du licenciement au motif que la société Hôtel Plaza n’a pas comptabilisé les salariés mis à sa disposition par la société GSF Jupiter dans son effectif aux fins de déterminer si elle devait,
en vertu de l’article L. 1233-61 du code du travail, établir un plan de sauvegarde de l’emploi, a condamné la société Hôtel Plaza à verser diverses sommes à YG et a ordonné le remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage qui avaient été versées à YG dans la limite de six mois d’indemnités.

21 La société Hôtel Plaza a formé un pourvoi contre cet arrêt devant la Cour de cassation (France), qui est la juridiction de renvoi.

22 Au soutien de son pourvoi, cette société fait valoir que l’effectif de cinquante salariés requis pour l’application de l’article L. 1233-61 du code du travail ne vise que les salariés qu’elle aurait le pouvoir de licencier. Ces salariés seraient également les seuls susceptibles de bénéficier d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

23 Selon la société Hôtel Plaza, les salariés mis à disposition par une entreprise extérieure seraient comptabilisés dans l’effectif de l’entreprise, en application de l’article L. 1111-2 du code du travail, dans la seule hypothèse de mesures qui bénéficieraient à la communauté de travail, telle la mise en place des institutions représentatives du personnel dans l’entreprise, que ces salariés de l’entreprise extérieure formeraient avec les salariés de l’entreprise utilisatrice elle-même. Il n’en
irait pas ainsi de la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde, les salariés mis à disposition ne pouvant pas être licenciés par l’entreprise utilisatrice ni donc bénéficier des mesures prévues par un tel plan.

24 En conséquence, la société Hôtel Plaza soutient que la cour d’appel d’Aix-en-Provence a violé les articles L. 1233-61 et L. 1111-2 du code du travail en ayant jugé que les salariés mis à sa disposition par la société GSF Jupiter devaient être comptabilisés dans le calcul du seuil de cinquante salariés requis pour la mise en place du plan de sauvegarde de l’emploi.

25 La juridiction de renvoi fait observer que le litige au principal porte sur la question de savoir s’il convient de comptabiliser, pour déterminer si le seuil de cinquante salariés prévu à l’article L. 1233-61 du code du travail a été atteint, les personnes mises à la disposition de la société Hôtel Plaza par la société GSF Jupiter.

26 À cet égard, la juridiction de renvoi fait référence à l’arrêt du 9 juillet 2015, Balkaya (C‑229/14, EU:C:2015:455, point 33), par lequel la Cour aurait jugé que la notion de « travailleur », visée à l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 98/59, ne peut être définie par un renvoi aux droits des États membres, mais doit trouver une interprétation autonome et uniforme dans l’ordre juridique de l’Union, dans la mesure où, s’il en était autrement, les modalités de
calcul des seuils qui y sont prévus, et, partant, ces seuils eux-mêmes, seraient à la disposition des États membres, ce qui pourrait conduire à priver cette directive de son plein effet.

27 Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 1er, paragraphe 1, [premier alinéa,] sous a), de la [directive 98/59] [...] doit-il être interprété en ce sens que doivent être comptabilisés comme travailleurs dans le calcul des effectifs prévu par cette disposition les salariés mis à la disposition de l’entreprise par une entreprise extérieure qui sont présents dans les locaux et travaillent habituellement dans l’entreprise utilisatrice au moment de la mise en œuvre de la procédure de licenciement ? »

Sur la compétence de la Cour

28 La société Hôtel Plaza et la Commission européenne excipent de l’incompétence de la Cour pour connaître de la demande de décision préjudicielle, au motif que la réglementation nationale en cause au principal ne relèverait pas du champ d’application du droit de l’Union. À cet égard, elles font valoir, notamment, que le litige au principal porte uniquement sur la question de savoir si cette société était tenue, conformément à la réglementation nationale applicable, d’établir un plan de sauvegarde
de l’emploi, et que la directive 98/59, qui ne prévoit aucune obligation spécifique pour les employeurs concernés d’établir et de mettre en œuvre un tel plan, n’est pas applicable en l’occurrence.

29 À cet égard, il importe de relever, d’emblée, qu’il appartient à la Cour d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (arrêt du 3 juin 2021, Servicio Aragonés de Salud, C‑942/19, EU:C:2021:440, point 28 et jurisprudence citée).

30 Il résulte également de la jurisprudence de la Cour que celle-ci n’est, en principe, compétente que pour interpréter des dispositions du droit de l’Union qui sont effectivement applicables à l’affaire au principal (arrêt du 3 juin 2021, Servicio Aragonés de Salud, C‑942/19, EU:C:2021:440, point 29 et jurisprudence citée).

31 Ainsi, lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître [voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2021, INSS (Pension de veuvage fondée sur le concubinage), C‑244/20, EU:C:2021:854, point 59 et jurisprudence citée].

32 En l’occurrence, s’agissant de la directive 98/59, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il ne suffit pas, afin de constater que les dispositions du droit national en cause au principal relèvent du champ d’application de cette directive, que ces dispositions fassent partie d’une réglementation nationale plus large, dont certaines autres dispositions ont été adoptées afin de transposer ladite directive dans le droit interne. En effet, pour que soit constatée l’applicabilité de la même
directive à la situation en cause au principal, encore faut-il que celle-ci impose une obligation spécifique à l’égard de la situation en cause, qui a été mise en œuvre par les dispositions du droit national concernées (voir, par analogie, arrêt du 17 mars 2021, Consulmarketing, C‑652/19, EU:C:2021:208, point 37 et jurisprudence citée).

33 Afin d’apprécier la compétence de la Cour pour connaître de la présente demande de décision préjudicielle, il y a donc lieu de vérifier si la directive 98/59 régit l’établissement et la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, tel que celui qui fait l’objet du litige au principal, ou impose une obligation spécifique à l’égard de la situation en cause dans l’affaire au principal [voir, par analogie, arrêt du 14 octobre 2021, INSS (Pension de veuvage fondée sur le concubinage), C‑244/20,
EU:C:2021:854, point 62 et jurisprudence citée].

34 Or, force est de constater qu’il ne découle pas de la directive 98/59 une quelconque obligation d’établir et de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi tel que celui qui fait l’objet du litige au principal, ni aucune autre obligation spécifique à l’égard de la situation en cause dans le cadre de ce litige.

35 À cet égard, il convient de rappeler que l’objectif principal de cette directive consiste à faire précéder les licenciements collectifs de l’information et de la consultation des représentants des travailleurs ainsi que de l’information de l’autorité publique compétente. En vertu de l’article 2, paragraphe 2, de ladite directive, les consultations portent sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par le
recours à des mesures sociales d’accompagnement visant, notamment, l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés. En outre, en vertu de l’article 2, paragraphe 3, et de l’article 3, paragraphe 1, de la même directive, l’employeur doit notifier à l’autorité publique compétente tout projet de licenciement collectif et lui transmettre les éléments et les renseignements mentionnés dans ces dispositions (arrêt du 17 mars 2021, Consulmarketing, C‑652/19, EU:C:2021:208, point 40
et jurisprudence citée).

36 Partant, il ne ressort pas de ces obligations en matière d’information, de consultation et de notification, mises à la charge des employeurs en vertu de la directive 98/59, une obligation spécifique, dans le cadre de la procédure de licenciement collectif pour motif économique, d’établir et de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi, telle que celle prévue par la réglementation nationale en cause au principal.

37 De même, il importe de relever que le seuil « d’au moins cinquante salariés », à partir duquel l’employeur concerné se voit imposer l’obligation d’établir et de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi en vertu de l’article L. 1233-61, premier alinéa, du code du travail, ne correspond à aucun des seuils établis à l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de cette directive.

38 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que ladite directive n’assure qu’une harmonisation partielle des règles de protection des travailleurs en cas de licenciement collectif, à savoir celles concernant la procédure à suivre lors de tels licenciements (arrêt du 17 mars 2021, Consulmarketing, C‑652/19, EU:C:2021:208, point 41 et jurisprudence citée). À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 5 de la même directive a accordé la faculté aux États membres d’appliquer ou d’introduire des
dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs ou de permettre ou de favoriser l’application de dispositions conventionnelles plus favorables aux travailleurs.

39 Ainsi, une disposition du droit national, telle que l’article L. 1233-61, premier alinéa, du code du travail, qui exige que, lorsque le projet de licenciement dans une entreprise d’au moins cinquante salariés concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l’employeur établisse et mette en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre ne saurait, en principe, être considérée comme relevant du champ d’application de la
directive 98/59 et demeure, en conséquence, du ressort des États membres (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, point 33).

40 Dans ce cadre, il importe cependant de souligner qu’il ne ressort pas de la décision de renvoi que le droit national a rendu applicable les modalités de calcul prévues à l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de cette directive à des cas tels que celui en cause au principal (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 53 ainsi que jurisprudence citée).

41 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, en l’absence d’une quelconque obligation spécifique imposée par la directive 98/59 à l’égard d’une situation telle que celle en cause au principal, l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de cette directive ne trouve pas à s’appliquer.

42 Par conséquent, la Cour n’est pas compétente pour connaître de la présente demande de décision préjudicielle.

Sur les dépens

43 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête :

  La Cour n’est pas compétente pour connaître de la demande de décision préjudicielle introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 12 juin 2024.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Dixième chambre
Numéro d'arrêt : C-419/24
Date de la décision : 19/06/2025

Analyses

Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 98/59/CE – Licenciements collectifs – Article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) – Notion de “travailleurs habituellement employés” – Travailleurs mis à disposition par une entreprise extérieure dans le cadre d’un contrat de prestation de services – Modalités de calcul du nombre desdits travailleurs dans l’établissement – Absence d’obligation spécifique imposée par cette directive à l’égard d’une situation telle que celle en cause au principal – Inapplicabilité de ladite directive – Incompétence de la Cour.


Parties
Demandeurs : Société Nouvelle de l’Hôtel Plaza SAS
Défendeurs : YG et Pôle emploi.

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:464

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