ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)
19Â juin 2025Â ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Article 7, paragraphe 1 – Contrat de prêt hypothécaire indexé sur une devise étrangère contenant des clauses abusives – Effets de la constatation du caractère abusif d’une clause – Nullité de ce contrat – Restitution par le consommateur du montant du prêt obtenu en vertu d’un contrat nul indépendamment des remboursements effectués – Effet dissuasif de
l’interdiction des clauses abusives – Acquiescement du consommateur à la demande de restitution – Obligation pour le juge national d’assortir le jugement de condamnation de la force exécutoire immédiate »
Dans l’affaire C‑396/24 [Lubreczlik] ( i ),
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie, Pologne), par décision du 22 avril 2024, parvenue à la Cour le 6 juin 2024, dans la procédure
mBank S.A.,
contre
BL,
CY,
et
PU,
QS,
contre
mBank S.A.,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de M. N. Jääskinen, président de chambre, M. A. Arabadjiev et Mme R. Frendo (rapporteure), juges,
avocat général : M. R. Norkus,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour PU et QS, par Me P. Dagiel, radca prawny,
– pour mBank S.A., par MeA. Cudna-Wagner, radca prawny, et Me B. Miąskiewicz, adwokat,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par M. P. Kienapfel et Mme M. Owsiany-Hornung, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre de deux litiges opposant, respectivement, mBank S.A. à BL et à CY et PU et QS à mBank au sujet de demandes de restitution des sommes versées en exécution de contrats de prêt rendus invalides par la présence de clauses abusives.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
4 Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de cette directive :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
Le droit polonais
Le code civil
5 L’article 58, paragraphe 1, de l’Ustawa – Kodeks cywilny (loi portant code civil), du 23 avril 1964 (Dz. U. de 1964, no 16, position 93), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code civil »), prévoit qu’un acte juridique contraire à la loi ou visant à contourner la loi est nul et non avenu, à moins qu’une disposition pertinente n’en dispose autrement, notamment qu’elle prévoie que les dispositions invalides de l’acte juridique soient remplacées par les dispositions
pertinentes de la loi.
6 Conformément à l’article 3851, paragraphe 1, première phrase, du code civil, les clauses d’un contrat conclu avec un consommateur qui n’ont pas fait l’objet d’une négociation individuelle ne lient pas le consommateur lorsqu’elles définissent les droits et obligations de celui-ci d’une façon contraire aux bonnes mœurs, en portant manifestement atteinte à ses intérêts.
7 L’article 405 de ce code dispose :
« Toute personne qui, sans fondement juridique, a obtenu un avantage pécuniaire aux dépens d’une autre personne est tenue de restituer l’avantage en nature et, si cela n’est pas possible, d’en restituer la valeur. »
8 L’article 410 dudit code prévoit :
« 1.   Les dispositions des articles précédents s’appliquent notamment à l’indu.
2.   Une prestation est indue si la personne qui l’a fournie n’était absolument pas tenue de la fournir ou n’était pas tenue de la fournir à la personne à qui elle a été fournie, si le fondement de cette prestation a disparu, si le but visé par ladite prestation n’a pas été atteint ou si l’acte juridique exigeant cette prestation était nul et n’est pas devenu valable après que cette dernière a été fournie. »
9 L’article 498 du même code dispose :
« 1.   Lorsque deux personnes sont simultanément et réciproquement débiteurs et créanciers, chacune d’elles peut procéder à la compensation entre sa créance et celle de l’autre partie si les deux créances portent sur de l’argent ou des choses d’une même nature désignées uniquement par leur genre, si les deux créances sont exigibles et peuvent être invoquées devant une juridiction ou une autre autorité de l’État.
2.   Par l’effet de la compensation, les deux créances se compensent à concurrence de la créance la moins élevée. »
10 L’article 499 du code civil prévoit :
« La compensation s’opère par déclaration à l’autre partie. La déclaration a un effet rétroactif à dater du moment où la compensation est devenue possible. »
Le code de procédure civile
11 L’article 98 de l’Ustawa Kodeks postępowania cywilnego (loi portant code de procédure civile), du 17 novembre 1964 (Dz. U. de 2023, position 1550), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code de procédure civile »), prévoit :
« La partie qui succombe est tenue de rembourser à la partie adverse, à la demande de celle-ci, les frais nécessaires pour faire valoir utilement ses droits ou pour se défendre utilement (dépens). »
12 Aux termes de l’article 102 du code de procédure civile :
« Dans des cas particulièrement justifiés, la juridiction peut ne condamner la partie qui a succombé qu’à une partie des dépens ou ne pas la condamner du tout aux dépens. »
13 L’article 2031 de ce code dispose, à ses paragraphes 2 et 3 :
« 2.   Le défendeur peut faire valoir une compensation au plus tard lors de l’introduction d’un litige au fond ou dans un délai de deux semaines à compter de la date à laquelle sa créance est devenue exigible.
3.   On ne peut faire valoir une compensation que dans un acte de procédure. Les règles relatives au recours s’appliquent mutatis mutandis à cet acte, à l’exception des règles relatives aux dépens. »
14 L’article 320 dudit code prévoit :
« Dans des cas particulièrement justifiés, la juridiction peut échelonner en plusieurs mensualités la prestation à laquelle le défendeur a été condamné et, dans les cas de livraison d’un bien immobilier ou d’évacuation de locaux, fixer une date appropriée pour l’exécution de cette prestation. »
15 L’article 333 du même code prévoit, à son paragraphe 1 :
« La juridiction constate d’office que le jugement est immédiatement exécutoire si :
[...]
2) elle fait droit à une prestation à laquelle a acquiescé le défendeur ;
[...] »
16 Aux termes de l’article 334, paragraphes 1 et 2, du code de procédure civile :
« 1.   La juridiction peut subordonner le caractère immédiatement exécutoire d’un jugement à la constitution par la partie requérante d’une garantie appropriée.
2.   La garantie peut également consister à s’abstenir de remettre à la partie requérante des objets saisis chez le défendeur ou des sommes d’argent après leur exécution, ou à s’abstenir de vendre des biens mobiliers saisis. »
17 L’article 335, paragraphe 1, de ce code dispose :
« La juridiction ne déclarera pas le caractère exécutoire de son jugement, même en assortissant sa déclaration d’une garantie, si l’exécution du jugement risque d’entraîner un préjudice irréparable pour le défendeur. [...] »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
18 Les deux affaires au principal, jointes par le Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie, Pologne), qui est la juridiction de renvoi, ont pour origine deux contrats de prêt hypothécaire conclus par des consommateurs, pour le premier, par BL et CY et, pour le second, par PU et QS.
19 S’agissant de la première affaire, cette juridiction indique que BRE Bank S.A, à laquelle a succédé mBank, avait conclu au cours de l’année 2007 avec BL et CY un contrat de prêt hypothécaire indexé sur le cours du franc suisse, portant sur un montant de 493770,02 zlotys polonais (PLN) (environ 115500 euros). BL et CY ont remboursé un montant total de 1052843,95 PLN (environ 247054 euros), effectuant, au cours de l’année 2016, un remboursement anticipé du prêt. Au cours du mois de novembre 2020,
ils ont saisi ladite juridiction d’une demande de paiement dirigée contre mBank pour un montant de 571740,41 PLN (environ 133700 euros), augmenté des intérêts de retard légaux à compter de la date de dépôt du recours jusqu’à la date de paiement, en faisant valoir, notamment, le caractère illicite des clauses relatives aux prestations essentielles énumérées au contrat.
20 La juridiction de renvoi, par un arrêt du 16 mai 2022, a condamné mBank à verser à BL et à CY la somme demandée, augmentée des intérêts de retard légaux.
21 mBank a ensuite introduit une action devant cette juridiction visant, selon elle, à résoudre les questions litigieuses soulevées dans le cadre du grief tiré de la nullité du contrat et qui n’avaient pas pu être résolues dans le cadre de la procédure engagée par BL et CY. Elle a demandé que BL et CY soient condamnés à lui payer la somme de 493770,02 PLN (environ 115500 euros), augmentée des intérêts de retard légaux.
22 Dans la seconde affaire, PU et QS ont introduit, au cours du mois de décembre 2023, une action devant la juridiction de renvoi contre mBank visant à faire constater le caractère abusif de certaines clauses du contrat de prêt hypothécaire indexé sur le cours du franc suisse ainsi que la nullité de ce contrat et à demander, en conséquence, le remboursement des montants versés au titre dudit contrat, à savoir 362801,12 PLN (environ 84880 euros) et 65,91 francs suisses (CHF) (environ 70 euros),
majorés des intérêts légaux. mBank a conclu au rejet du recours au motif que le contrat est valide et a introduit une demande reconventionnelle aux fins de condamnation des requérants au principal à lui verser la somme de 360000,03 PLN (environ 84270 euros), à savoir le montant du prêt accordé, majorée des intérêts de retard légaux.
23 PU et QS ont demandé le rejet de la demande reconventionnelle en faisant valoir une exception fondée sur la présentation d’une déclaration de compensation à mBank, exception finalement retirée par leur mandataire.
24 La juridiction de renvoi s’interroge, en premier lieu, sur la manière dont doit s’effectuer la restitution des prestations fournies par les parties en cas de nullité d’un contrat de prêt en raison de la présence de clauses abusives.
25 À cet égard, elle indique que, d’une part, en droit polonais, lorsqu’un contrat de crédit est déclaré nul, les versements effectués en exécution de ce contrat, que ce soit par les emprunteurs ou par l’institution financière, constituent des paiements indus au sens de l’article 410, paragraphe 2, du code civil, qui doivent être restitués en vertu des dispositions combinées de l’article 410, paragraphe 1, et de l’article 405 du code civil.
26 D’autre part, il résulterait de la jurisprudence du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), fondée depuis l’année 2021 sur la théorie dite « des deux prétentions », que le consommateur et le prêteur bénéficient, chacun, d’un droit, distinct et indépendant l’un de l’autre, à la restitution des prestations monétaires effectuées en exécution de ce contrat. Chacune des parties pourrait donc réclamer le remboursement intégral des sommes versées, qu’elle soit ou non encore débitrice de l’autre partie et
quel que soit le montant de sa propre dette.
27 Cette approche impliquerait pour le consommateur une obligation de restitution de la totalité du montant du crédit, quel que soit le montant des remboursements déjà effectués, y compris lorsqu’il a remboursé la totalité du montant nominal du crédit ou a même effectué des paiements excédant ce montant. Il s’ensuivrait que l’application de la théorie dite « des deux prétentions » conduirait, en pratique, à une situation où le consommateur qui souhaite se prévaloir de la protection garantie par la
directive 93/13 doit s’attendre à ce que le professionnel lui réclame la restitution de la totalité des sommes versées en exécution du contrat nul. En outre, si le consommateur ne s’exécute pas volontairement, le professionnel pourrait intenter une action en justice pour le contraindre au règlement de ces sommes, majorées des intérêts, et le faire condamner aux frais de justice, qui seraient considérables et représenteraient une charge importante pour le consommateur moyen.
28 La juridiction de renvoi ajoute que la question de la restitution mutuelle des prestations fournies par les parties à un contrat de crédit déclaré nul pourrait être résolue par le dépôt d’une déclaration de compensation effective conformément à l’article 499 du code civil, ce qui permettrait une annulation des créances réciproques à concurrence de la créance la moins élevée et aboutirait, le cas échéant, à l’extinction de l’obligation. Néanmoins, le dépôt d’une telle déclaration ou le fait
d’opposer une exception de compensation au cours d’une procédure judiciaire serait soumis à des conditions procédurales complexes, qui, selon cette juridiction, seraient susceptibles de pénaliser le consommateur.
29 Si le consommateur ne parvient pas à faire valoir la compensation dans le cadre de son mémoire en défense, la possibilité d’obtenir une restitution des sommes versées à la banque pourrait se traduire, en pratique, par une multiplication des procédures et donc des frais supplémentaires pour ce consommateur.
30 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi estime que la jurisprudence nationale fondée sur la théorie dite « des deux prétentions » est contraire à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 dans la mesure où cette disposition s’oppose à ce que le consommateur soit tenu de procéder à une restitution sans qu’il soit tenu compte, pour déterminer l’étendue de son obligation de restitution, des paiements qu’il a effectués en exécution du contrat déclaré nul et, notamment, du fait qu’il a pu
rembourser le montant du prêt. Selon cette juridiction, cette situation pénalise le consommateur, d’autant plus que la nullité du contrat de prêt peut avoir comme conséquence de rendre immédiatement exigible le montant du prêt restant dû dans des proportions risquant d’excéder les capacités financières du consommateur. Dans de telles circonstances, le professionnel ne serait pas dissuadé d’insérer des clauses abusives dans ses contrats.
31 En second lieu, la juridiction de renvoi relève que l’article 333, paragraphe 1, point 2, du code de procédure civile impose aux juridictions d’assortir leurs jugements de la force exécutoire immédiate dans l’hypothèse où elles font droit à une prétention à laquelle le défendeur a acquiescé.
32 Or, selon cette juridiction, dès lors que la prétention du professionnel, en cas de nullité du contrat, est généralement fondée et que le consommateur en est pleinement conscient, ce dernier a tendance à y acquiescer en raison des avantages procéduraux qu’il en tire, à savoir le fait que l’affaire pourra être traitée comme un « cas particulièrement justifié » au sens de l’article 102 du code de procédure civile, ce qui permet au juge de condamner le consommateur au paiement d’une partie seulement
des dépens supportés par le professionnel qui a obtenu gain de cause, voire de ne pas le condamner à ce titre. Toutefois, cet acquiescement aboutirait à une obligation pour le consommateur de restitution de la totalité du montant du prêt obtenu et à la possibilité pour le prêteur de faire exécuter la décision ordonnant cette restitution immédiatement. Une telle situation ne pourrait pas nécessairement être empêchée par l’application de différentes dispositions du code de procédure civile portant
sur la possibilité d’ordonner un échelonnement du paiement ou de subordonner le caractère immédiatement exécutoire du jugement à la constitution d’une garantie, dans la mesure où ces possibilités sont laissées à la discrétion du juge.
33 La juridiction de renvoi indique que cette situation pénalise le consommateur qui se trouve exposé à un risque financier très élevé, y compris celui de perdre le contrôle de ses biens saisis dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée, et cela même s’il a déjà remboursé le crédit intégralement ou en grande partie. Le consommateur pourrait, en conséquence, être dissuadé d’invoquer le caractère abusif de clauses contractuelles et de se prévaloir des droits prévus par la directive 93/13.
34 Dans ces conditions, le Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 7, paragraphe 1, de la directive [93/13] s’oppose-t-il à une jurisprudence nationale selon laquelle, lorsqu’une clause d’un contrat est qualifiée d’abusive (notamment une clause d’un contrat de crédit conclu avec un consommateur) de sorte que le contrat est nul (en particulier un contrat de crédit), le consommateur est tenu de restituer au professionnel la totalité du montant nominal du crédit obtenu de ce dernier en exécution du contrat nul et le professionnel est en droit
d’exiger du consommateur la restitution de la totalité du montant nominal du crédit déboursé au consommateur en exécution du contrat nul, [dans les deux cas] quel que soit le montant des remboursements effectués par le consommateur en exécution de ce contrat et quel que soit le montant réel restant dû ?
2) L’article 7, paragraphe 1, de la directive [93/13] s’oppose-t-il à une jurisprudence nationale selon laquelle une juridiction nationale, saisie d’une action en restitution des prestations fournies par un professionnel à un consommateur en exécution d’un contrat de crédit nul, est tenue d’accorder au professionnel la totalité des sommes versées par celui-ci au consommateur en exécution du contrat de crédit nul, que le consommateur soit ou non toujours débiteur du professionnel et quel que soit
le montant des prestations fournies par le consommateur au professionnel en exécution du contrat de crédit nul ?
3) L’article 7, paragraphe 1, de la directive [93/13] s’oppose-t-il à une réglementation nationale en vertu de laquelle, en cas d’acquiescement au recours par un consommateur dans une affaire introduite par un professionnel, une juridiction nationale est tenue de déclarer d’office que le jugement est immédiatement exécutoire ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur les première et deuxième questions
35 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi se demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale selon laquelle, lorsqu’un contrat de prêt est déclaré invalide, car il contient une clause qualifiée d’abusive, le professionnel est en droit d’exiger du consommateur la restitution de la totalité du montant nominal du prêt accordé, quel que
soit le montant des remboursements effectués par le consommateur en exécution de ce contrat et quel que soit le montant restant dû.
36 Il convient de rappeler, à titre liminaire, que, aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux.
37 Or, si la directive 93/13 vise à assurer un niveau élevé de protection du consommateur, elle ne préconise pas de solutions uniformes en ce qui concerne les conséquences à tirer de la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle [voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2023, M. B. e.a. (Effets de l’invalidation d’un contrat), C‑6/22, EU:C:2023:216, point 58 et jurisprudence citée].
38 Cela étant, les conséquences qu’il convient de tirer de la constatation du caractère abusif d’une clause contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur doivent permettre la réalisation de deux objectifs. D’une part, le juge doit veiller à ce que puisse être rétablie l’égalité entre les parties au contrat que l’application d’une clause abusive à l’égard du consommateur aurait mise en péril. D’autre part, il y a lieu de s’assurer que le professionnel soit dissuadé
d’insérer de telles clauses dans les contrats qu’il propose aux consommateurs (arrêt du 25 novembre 2020, Banca B., C‑269/19, EU:C:2020:954, point 38).
39 Lorsque le contrat ne peut subsister après la suppression des clauses abusives concernées, que l’annulation dudit contrat aurait des conséquences particulièrement préjudiciables pour le consommateur et qu’il n’existe aucune disposition de droit national à caractère supplétif, le juge national doit prendre, en tenant compte de l’ensemble de son droit interne, toutes les mesures nécessaires afin de protéger le consommateur des conséquences particulièrement préjudiciables que l’annulation dudit
contrat pourrait provoquer (arrêt du 25 novembre 2020, Banca B., C‑269/19, EU:C:2020:954, point 45).
40 En l’occurrence, la constatation judiciaire de la nullité d’un contrat de prêt en raison d’une clause abusive y figurant a pour conséquence, en droit polonais, que les paiements effectués en exécution de ce contrat, que ce soit par les emprunteurs ou par l’institution financière, constituent des paiements indus au sens de l’article 410, paragraphe 2, du code civil, qui doivent être restitués en vertu des dispositions combinées de l’article 410, paragraphe 1, et de l’article 405 du code civil.
41 Selon la juridiction de renvoi, il résulte, en substance, de la jurisprudence du Sąd Najwyższy (Cour suprême), visée aux points 26 et 27 du présent arrêt et qui se fonde sur la théorie dite « des deux prétentions », que chaque partie à un tel contrat qui, en conséquence de cette constatation de la nullité de ce dernier, s’est, tout à la fois, enrichie et appauvrie sans cause peut réclamer le remboursement intégral des sommes versées en exécution du contrat déclaré nul, quel que soit le montant
des remboursements effectués et le montant restant dû au titre du prêt. Or, selon le gouvernement polonais, cette jurisprudence en aurait remplacé une autre appliquée par la majorité des juridictions polonaises, qui, après détermination des règlements réciproques des parties au contrat de prêt invalidé, permettait de retenir une seule créance au profit de la partie ayant effectué le versement le plus important en exécution de ce contrat.
42 À cet égard, il importe de rappeler que les juridictions nationales doivent faire tout ce qui relève de leur compétence, en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité de la directive 93/13 et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci [voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2023, Getin Noble Bank (Suspension de l’exécution d’un contrat de
crédit), C‑287/22, EU:C:2023:491, point 56 et jurisprudence citée].
43 L’exigence d’une telle interprétation conforme inclut, notamment, l’obligation, pour les juridictions nationales, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive. Partant, une juridiction nationale ne saurait valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter une disposition du droit national en conformité avec le droit de l’Union en raison du seul fait que
cette disposition a, de manière constante, été interprétée dans un sens qui n’est pas compatible avec ce dernier droit [arrêt du 15 juin 2023, Getin Noble Bank (Suspension de l’exécution d’un contrat de crédit), C‑287/22, EU:C:2023:491, point 57 et jurisprudence citée].
44 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale selon laquelle, lorsqu’une clause d’un contrat de prêt qualifiée d’abusive rend celui-ci invalide, le professionnel est en droit d’exiger du consommateur la restitution de la totalité du montant nominal du prêt obtenu, quel que soit le montant des remboursements effectués par le
consommateur en exécution de ce contrat et quel que soit le montant restant dû.
Sur la troisième question
45 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi se demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 1 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle, en cas d’acquiescement par le consommateur à la demande introduite par un professionnel de restitution des montants versés en exécution d’un contrat de prêt déclaré invalide en raison d’une clause abusive y figurant, la juridiction saisie est tenue de déclarer d’office le
jugement faisant droit à cette demande immédiatement exécutoire.
Sur la recevabilité
46 Dans leurs observations écrites, mBank et le gouvernement polonais émettent des doutes quant à la recevabilité de la troisième question en ce qu’elle serait de nature hypothétique, en l’absence de toute déclaration d’acquiescement de la part des emprunteurs dans les deux affaires au principal.
47 À cet égard, il convient de rappeler qu’il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour, lesquelles bénéficient d’une présomption de pertinence. Partant, dès lors que la question posée porte sur
l’interprétation ou la validité d’une règle du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer, sauf s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, si le problème est de nature hypothétique ou encore si la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à cette question (arrêt du 21 décembre 2021, Trapeza Peiraios, C‑243/20, EU:C:2021:1045, point 25
et jurisprudence citée).
48 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi, d’une part, que le défendeur peut acquiescer à la demande de la partie adverse à tout stade de la procédure. D’autre part, le consommateur aurait tendance à acquiescer à la demande du professionnel de restitution des fonds versés en exécution d’un contrat de prêt rendu invalide en raison de la présence d’une clause abusive, dans la mesure où cet acquiescement aurait pour conséquence une diminution du montant des frais de procédure devant être
supportés par le défendeur.
49 Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que l’interprétation sollicitée de la directive 93/13 soit sans aucun rapport avec la réalité de l’objet du litige au principal ou que le problème soulevé présente un caractère hypothétique.
50 Partant, il y a lieu de considérer que la troisième question est recevable.
Sur le fond
51 La juridiction de renvoi relève, d’une part, que l’acquiescement du consommateur à la demande de restitution du professionnel des montants versés en exécution d’un contrat de prêt déclaré invalide par l’effet d’une clause abusive y figurant permet que l’affaire concernée soit traitée comme un « cas particulièrement justifié » au sens de l’article 102 du code de procédure civile, de sorte que le consommateur pourrait être condamné à une partie seulement des dépens supportés par le professionnel,
voire ne pas être condamné à ce titre. D’autre part, en cas d’acquiescement, le juge national est obligé d’assortir son jugement de la force exécutoire immédiate, ce qui exclut l’application de l’article 320 du code de procédure civile, sur le fondement duquel le juge peut, dans des cas particulièrement justifiés, ordonner un paiement échelonné du montant auquel a été condamné le consommateur. Selon cette juridiction, une telle situation expose le consommateur à un risque financier très élevé et,
en conséquence, peut le dissuader d’invoquer le caractère abusif des clauses contractuelles.
52 mBank et le gouvernement polonais font observer que le juge national peut ne pas déclarer le jugement immédiatement exécutoire si le consommateur acquiesce à l’action en restitution du professionnel, tout en demandant un échelonnement du paiement des sommes dues en vertu de l’article 320 du code de procédure civile, pour autant que l’exécution du jugement risque d’entraîner, pour la personne condamnée, un préjudice irréparable conformément à l’article 335 du code de procédure civile.
53 À cet égard, il suffit de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre du système de coopération judiciaire établi par l’article 267 TFUE, de vérifier ou de remettre en cause l’exactitude de l’interprétation du droit national faite par le juge national, cette interprétation relevant de la compétence exclusive de ce dernier. Aussi, la Cour saisie à titre préjudiciel par une juridiction nationale doit s’en tenir à l’interprétation du droit national qui lui a été exposée par ladite
juridiction (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Trapeza Peiraios, C‑243/20, EU:C:2021:1045, point 53 et jurisprudence citée).
54 Il convient de rappeler que, lorsque le juge national estime que le contrat de prêt en cause ne peut, conformément au droit des contrats, juridiquement subsister après la suppression des clauses abusives concernées et lorsqu’il n’existe aucune disposition de droit national à caractère supplétif ou de disposition applicable en cas d’accord des parties au contrat susceptible de se substituer auxdites clauses, il y a lieu de considérer que le niveau élevé de protection du consommateur qui doit être
assuré conformément à la directive 93/13 exige que, afin de restaurer l’équilibre réel entre les droits et les obligations réciproques des cocontractants, le juge national prenne, en tenant compte de l’ensemble de son droit interne, toutes les mesures nécessaires afin de protéger le consommateur des conséquences particulièrement préjudiciables que l’annulation du contrat de prêt en cause pourrait provoquer à son égard, notamment du fait de l’exigibilité immédiate de la créance du professionnel Ã
l’égard de celui-ci [arrêt du 16 mars 2023, M. B. e.a. (Effets de l’invalidation d’un contrat), C‑6/22, EU:C:2023:216, point 60 ainsi que jurisprudence citée].
55 En l’occurrence, l’obligation pour le juge national d’assortir de la force exécutoire immédiate le jugement faisant droit à la demande de restitution du professionnel des montants versés en exécution d’un contrat de prêt invalide semble être susceptible de décourager le consommateur d’acquiescer à cette demande. Une telle situation expose, en effet, le consommateur à un réel risque financier, en ce que le renoncement à l’acquiescement le prive, selon les indications de la juridiction de renvoi,
d’une possible condamnation seulement partielle aux dépens supportés par le professionnel, voire à une dispense de condamnation, alors que la formulation d’un tel acquiescement le contraint, par l’effet de l’application de l’article 333, paragraphe 1, point 2, du code de procédure civile relatif au caractère immédiatement exécutoire du jugement le condamnant, à une restitution immédiate des fonds qui lui ont été versés par ce professionnel.
56 Dans ce contexte, le juge saisi est tenu de faire, dans la mesure du possible, application du droit national de manière à ce que les conséquences qui, selon ce droit, découlent de la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle ne portent pas atteinte à l’objectif de la directive 93/13 d’assurer un niveau élevé de protection du consommateur conformément à la jurisprudence citée au point 54 du présent arrêt.
57 Par conséquent, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’identifier des dispositions du droit national, telles que celles relatives à la possible prise en compte du préjudice irréparable pour le consommateur pouvant résulter du caractère immédiatement exécutoire du jugement le condamnant et à un possible échelonnement du paiement des sommes dues, pour s’assurer que son obligation d’assortir ce jugement d’une telle force exécutoire, en cas d’acquiescement du consommateur à la demande de
restitution du professionnel, ne nuit pas à l’objectif d’une protection élevée du consommateur poursuivi par la directive 93/13.
58 Dans ces circonstances, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle, en cas d’acquiescement par le consommateur à la demande, introduite par un professionnel, de restitution des montants versés en exécution d’un contrat de prêt déclaré invalide en raison d’une clause abusive y figurant, la juridiction saisie est tenue de déclarer d’office le
jugement faisant droit à cette demande immédiatement exécutoire, pour autant que le droit interne ne permette pas à cette juridiction d’adopter toutes les mesures nécessaires afin de protéger le consommateur des conséquences particulièrement préjudiciables que cette déclaration pourrait provoquer à l’égard de celui-ci.
Sur les dépens
59 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
 Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :
 1) L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,
doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à une jurisprudence nationale selon laquelle, lorsqu’une clause d’un contrat de prêt qualifiée d’abusive rend celui-ci invalide, le professionnel est en droit d’exiger du consommateur la restitution de la totalité du montant nominal du prêt, quel que soit le montant des remboursements effectués par le consommateur en exécution de ce contrat et quel que soit le montant restant dû.
 2) L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13
doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle, en cas d’acquiescement par le consommateur à la demande, introduite par un professionnel, de restitution des montants versés en exécution d’un contrat de prêt déclaré invalide en raison d’une clause abusive y figurant, la juridiction saisie est tenue de déclarer d’office le jugement faisant droit à cette demande immédiatement exécutoire, pour autant que le droit interne ne permette pas à cette juridiction d’adopter toutes les
mesures nécessaires afin de protéger le consommateur des conséquences particulièrement préjudiciables que cette déclaration pourrait provoquer à l’égard de celui-ci.
 Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.
( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.