ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)
19 juin 2025 ( *1 )
« Manquement d’État – Article 49 TFUE – Liberté d’établissement – Article 56 TFUE – Libre prestation des services – Directive 2000/31/CE – Commerce électronique – Article 8, paragraphe 1 – Service de communications commerciales fourni par un membre d’une profession réglementée – Législation nationale interdisant la publicité pour les pharmacies et pour les points de vente pharmaceutiques ainsi que pour leurs activités – Restriction – Justification – Protection de la santé publique »
Dans l’affaire C‑200/24,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 13 mars 2024,
Commission européenne, représentée par Mme U. Małecka et M. M. Mataija, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna et Mme D. Lutostańska, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de M. N. Jääskinen, président de chambre, M. A. Arabadjiev et Mme R. Frendo (rapporteure), juges,
avocat général : M. N. Emiliou,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en adoptant l’article 94a, paragraphe 1, de l’ustawa – Prawo farmaceutyczne (loi relative au droit pharmaceutique), du 6 septembre 2001 (Dz. U. no 126, position 1381), la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de
l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (JO 2000, L 178, p. 1), ainsi que des articles 49 et 56 TFUE.
I. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
1. Le traité FUE
2 L’article 49 TFUE se lit comme suit :
« [...] les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. [...]
La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés [...] »
3 L’article 56 TFUE prévoit :
« [...] les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation.
[...] »
2. Les directives 98/34 et (UE) 2015/1535
4 La directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO 1998, L 204, p. 37), telle que modifiée par le règlement (UE) no 1025/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012 (JO 2012, L 316, p. 12) (ci-après la « directive 98/34 »), a été abrogée par la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015 (JO 2015, L 241, p. 1), entrée en
vigueur le 7 octobre 2015.
5 L’article 1er, paragraphe 1, sous b), premier alinéa, de la directive 2015/1535 prévoit :
« Au sens de la présente directive, on entend par :
[...]
b) “service”, tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services. »
6 Aux termes de l’article 10, second alinéa, de la directive 2015/1535 :
« Les références faites à la directive [98/34] s’entendent comme faites à la présente directive et sont à lire selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe IV. »
7 Il résulte de ce tableau que l’article 1er, paragraphe 1, sous b), premier alinéa, de la directive 2015/1535 correspond à l’article 1er, premier alinéa, point 2, premier alinéa, de la directive 98/34.
3. La directive 2000/31
8 L’article 2 de la directive 2000/31 dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
a) “services de la société de l’information” : les services au sens de [l’article 1er, paragraphe 1, sous b), premier alinéa, de la directive 2015/1535] ;
[...]
f) “communication commerciale” : toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, des biens, des services, ou l’image d’une entreprise, d’une organisation ou d’une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou exerçant une profession réglementée. Ne constituent pas en tant que telles des communications commerciales :
– les informations permettant l’accès direct à l’activité de l’entreprise, de l’organisation ou de la personne, notamment un nom de domaine ou une adresse de courrier électronique,
– les communications relatives aux biens, aux services ou à l’image de l’entreprise, de l’organisation ou de la personne élaborées d’une manière indépendante, en particulier lorsqu’elles sont fournies sans contrepartie financière ;
[...] »
9 L’article 8 de cette directive prévoit :
« 1. Les États membres veillent à ce que l’utilisation de communications commerciales qui font partie d’un service de la société de l’information fourni par un membre d’une profession réglementée, ou qui constituent un tel service, soit autorisée sous réserve du respect des règles professionnelles visant, notamment, l’indépendance, la dignité et l’honneur de la profession ainsi que le secret professionnel et la loyauté envers les clients et les autres membres de la profession.
2. Sans préjudice de l’autonomie des organismes et associations professionnels, les États membres et la Commission encouragent les associations et les organismes professionnels à élaborer des codes de conduite au niveau communautaire pour préciser les informations qui peuvent être données à des fins de communications commerciales dans le respect des règles visées au paragraphe 1.
[...] »
4. La directive 2001/83/CE
10 La directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67), dispose, à son article 87, paragraphe 3 :
« La publicité faite à l’égard d’un médicament :
– doit favoriser l’usage rationnel du médicament, en le présentant de façon objective et sans en exagérer les propriétés ;
– ne peut être trompeuse. »
5. La directive 2006/123/CE
11 Le considérant 100 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36), énonce :
« Il convient de mettre fin aux interdictions totales des communications commerciales pour les professions réglementées, non pas en levant les interdictions relatives au contenu d’une communication commerciale sinon celles qui, de manière générale et pour une profession donnée, interdisent une ou plusieurs formes de communication commerciale, par exemple toute publicité dans un média donné ou dans certains d’entre eux. En ce qui concerne le contenu et les modalités des communications
commerciales, il convient d’inciter les professionnels à élaborer, dans le respect du droit communautaire, des codes de conduite au niveau communautaire. »
12 Aux termes de l’article 4, point 12, de cette directive :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
12) “communication commerciale”, toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, les biens, les services ou l’image d’une entreprise, d’une organisation ou d’une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou exerçant une profession réglementée. Ne constituent pas en tant que telles des communications commerciales :
a) les informations permettant l’accès direct à l’activité de l’entreprise, de l’organisation ou de la personne, notamment un nom de domaine ou une adresse de courrier électronique,
b) les communications relatives aux biens, aux services ou à l’image de l’entreprise, de l’organisation ou de la personne élaborées d’une manière indépendante, en particulier lorsqu’elles sont fournies sans contrepartie financière. »
13 L’article 24 de ladite directive dispose :
« 1. Les États membres suppriment toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées.
2. Les États membres veillent à ce que les communications commerciales faites par les professions réglementées respectent les règles professionnelles, conformes au droit communautaire, qui visent notamment l’indépendance, la dignité et l’intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel, en fonction de la spécificité de chaque profession. Les règles professionnelles en matière de communications commerciales doivent être non discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse
d’intérêt général et proportionnées. »
B. Le droit polonais
14 La loi relative au droit pharmaceutique a été modifiée par l’ustawa o refundacji leków, środków spożywczych specjalnego przeznaczenia żywieniowego oraz wyrobów medycznych (loi relative au remboursement des médicaments, des denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière et des dispositifs médicaux), du 12 mai 2011 (Dz. U. no 122, position 696) (ci-après la « loi pharmaceutique modifiée »).
15 L’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée prévoit :
« La publicité pour les pharmacies et points de vente pharmaceutiques et leurs activités est interdite. Les informations relatives à l’emplacement et aux heures d’ouverture des pharmacies ou des points de vente pharmaceutiques ne constituent pas de la publicité. »
16 Aux termes de l’article 129b, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée :
« Est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 50000 [zlotys polonais (PLN) (environ 12000 euros)] toute personne qui, en violation des dispositions de l’article 94a, fait de la publicité pour une pharmacie, un point de vente pharmaceutique ou une parapharmacie ou pour leurs activités. »
II. La procédure précontentieuse
17 Les modifications apportées à la loi relative au droit pharmaceutique sont entrées en vigueur le 1er janvier 2012. L’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée interdit la publicité pour les pharmacies, les points de vente pharmaceutiques et leurs activités. Cette disposition précise que les communications relatives aux heures d’ouverture et à l’emplacement des pharmacies et des points de vente pharmaceutiques ne constituent pas de la publicité. L’interdiction en cause est
assortie d’une amende pouvant aller jusqu’à 50000 PLN (environ 12000 euros).
18 Le 25 janvier 2019, la Commission a adressé à la République de Pologne une lettre de mise en demeure, par laquelle elle a fait valoir que ladite disposition est contraire à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31, relatif à l’utilisation des communications commerciales qui font partie d’un service de la société de l’information fourni par un membre d’une profession réglementée, ainsi qu’aux articles 49 et 56 TFUE, portant respectivement sur la liberté d’établissement et sur la libre
prestation des services.
19 En réponse, la République de Pologne a, par lettre du 25 mars 2019, tout d’abord allégué que la portée de la restriction à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services résultant de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée concerne uniquement les messages dont l’objectif explicite est d’augmenter les ventes de produits proposés en pharmacie. Ensuite, elle a exposé que cette disposition poursuit l’objectif général d’assurer un niveau élevé de protection de
la santé publique. Enfin, elle a fait valoir que ladite disposition ne viole pas la directive 2000/31, car une très grande partie des services pharmaceutiques fournis par les pharmaciens ne feraient pas partie des activités des pharmacies ou des points de vente pharmaceutiques et ne seraient donc pas visés par l’interdiction en cause.
20 N’étant pas satisfaite de la réponse apportée par la République de Pologne, la Commission a, le 3 juillet 2020, adressé un avis motivé à cet État membre, l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à ses obligations dans un délai de trois mois à compter de la réception de cet avis. Maintenant la position figurant dans la lettre de mise en demeure, la Commission a exposé, dans ledit avis, que les décisions des autorités administratives et la jurisprudence des juridictions de la
République de Pologne démontrent la portée considérable de l’interdiction résultant de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée.
21 La République de Pologne a répondu à l’avis motivé par lettre du 1er octobre 2020, en exposant les circonstances entourant l’adoption de cette disposition, qui seraient caractérisées par la présence de phénomènes négatifs sur le marché pharmaceutique polonais. En outre, cet État membre a indiqué qu’il était disposé à envisager de modifier le libellé de celle-ci.
22 À la suite d’échanges infructueux, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.
III. Sur le recours
23 À l’appui de son recours, la Commission invoque trois griefs, tirés de la violation, pour le premier, de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31, pour le deuxième, de l’article 49 TFUE et, pour le troisième, de l’article 56 TFUE.
A. Sur le premier grief, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31
1. Argumentation des parties
24 À titre liminaire, la Commission, se fondant sur l’arrêt du 4 mai 2017, Vanderborght (C‑339/15, EU:C:2017:335, point 42), expose que l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31 a pour objet de permettre aux membres d’une profession réglementée d’avoir recours aux services de la société de l’information pour promouvoir leurs activités. Elle rappelle que la Cour a considéré, aux points 43 et 44 de cet arrêt, que les communications commerciales visées à l’article 2, sous f), de cette
directive doivent être soumises au respect des règles professionnelles applicables à la profession concernée, lesquelles ne peuvent toutefois conduire à une interdiction générale et absolue de toute forme de publicité en ligne.
25 En l’espèce, la publicité pour les pharmacies, les points de vente pharmaceutiques et leurs activités, réalisée, notamment, au moyen d’un site Internet créé par une personne exerçant une profession réglementée, relèverait de cet article 8, paragraphe 1.
26 Or, l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée interdirait toute forme de communication commerciale, y compris par la voie électronique, notamment au moyen d’un site Internet créé par un pharmacien travaillant dans une pharmacie ou dans un point de vente pharmaceutique. Ainsi, cette disposition serait contraire audit article 8, paragraphe 1.
27 En conséquence, la Commission conteste le bien-fondé des arguments invoqués par la République de Pologne dans sa réponse à l’avis motivé.
28 En premier lieu, en ce que cet État membre allègue qu’il y a lieu de distinguer entre les pharmaciens, en tant que catégorie professionnelle, et les établissements dans lesquels ils travaillent, qui ne seraient pas limités aux pharmacies et aux points de vente pharmaceutiques, la Commission fait valoir que de très nombreux pharmaciens travaillent dans des pharmacies ou dans ces points de vente.
29 À cet égard, la Commission relève que, selon un rapport du Główny Urząd Statystyczny (Office central des statistiques, Pologne), durant l’année 2021, 37300 personnes étaient habilitées à exercer la profession de pharmacien en Pologne et que 26000 d’entre elles, à savoir environ 69,7 %, travaillaient dans une pharmacie ou dans un point de vente pharmaceutique.
30 La Commission ajoute que, l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31 visant tous les membres d’une profession réglementée, le droit national ne pourrait pas être considéré comme étant compatible avec cette disposition au seul motif que certains membres de la profession réglementée concernée peuvent faire leur propre publicité.
31 En deuxième lieu, en ce que la République de Pologne soutient que l’interdiction de la publicité ne s’applique qu’à l’exploitation des pharmacies et des points de vente pharmaceutiques et non aux services fournis par les pharmaciens, la Commission fait valoir qu’une telle distinction est artificielle. En effet, en vertu du droit polonais, les pharmacies devraient être détenues et exploitées par des pharmaciens ou, à tout le moins, être gérées par des pharmaciens.
32 Cette institution estime que la notion de « communication commerciale », au sens de l’article 2, sous f), de la directive 2000/31, inclut la communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, des biens ou des services fournis par les membres d’une profession réglementée ou par une entreprise ou une organisation dans laquelle ceux-ci exercent une telle profession.
33 Dès lors, pour assurer le respect de l’article 8, paragraphe 1, de cette directive, les États membres seraient, en principe, tenus d’autoriser toutes les communications commerciales de ce type. Ainsi, les pharmaciens devraient pouvoir recourir à de la publicité non seulement pour eux-mêmes et pour les services qu’ils proposent, mais également pour les pharmacies qu’ils exploitent ou qui les emploient.
34 En troisième et dernier lieu, en ce que la République de Pologne fait valoir que la loi pharmaceutique modifiée autorise les pharmacies et les points de vente pharmaceutiques notamment à vendre à distance des médicaments non soumis à prescription, la Commission considère qu’il s’agit là d’une question différente de celles qui sont pertinentes en l’espèce. En effet, la possibilité de vendre ces médicaments à distance, notamment par l’exploitation d’un site Internet, devrait être distinguée de la
possibilité de faire de la publicité pour une pharmacie et pour les services qu’elle offre, au nombre desquels pourrait, en particulier, figurer la vente de tels médicaments à distance. Or, l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée interdirait aux pharmacies de promouvoir leurs services de vente à distance, ainsi que le confirmeraient plusieurs décisions des autorités polonaises.
35 La Commission ajoute que, même dans l’hypothèse où il serait considéré que cette disposition n’interdit pas les communications commerciales relatives aux produits vendus en ligne, ladite disposition entraînerait néanmoins une interdiction générale et absolue de recourir à la publicité, contraire à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31. En effet, selon cette hypothèse, certaines communications commerciales seraient, certes, autorisées. Toutefois, les autres communications commerciales
seraient interdites.
36 À cet égard, la Commission cite plusieurs décisions d’autorités administratives et de juridictions polonaises dont il ressortirait que les communications considérées comme étant contraires à l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée concernent également les informations relatives aux services fournis par les pharmacies ainsi qu’à celles portant sur les prix des produits, et ce également par Internet.
37 L’interdiction des communications commerciales portant sur ces dernières informations serait générale et absolue, dès lors qu’il ne serait pas requis qu’elles fassent l’objet d’une appréciation individuelle. Ainsi, selon la Commission, quand bien même l’interdiction résultant de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée ne s’appliquerait pas à certaines activités des pharmaciens, elle constituerait néanmoins une interdiction totale, au sens de l’arrêt du 5 avril 2011, Société
fiduciaire nationale d’expertise comptable (C‑119/09, EU:C:2011:208, point 29), relatif à l’article 24 de la directive 2006/123, qui serait pertinent par analogie.
38 En défense, la République de Pologne fait valoir que, si l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée interdit la publicité pour les pharmacies, les points de vente pharmaceutiques et leurs activités, cette disposition n’interdit pas la publicité pour les services pharmaceutiques. L’interdiction édictée à ladite disposition s’adresserait donc tant aux exploitants de pharmacies, qui ne sont pas exclusivement des pharmaciens, qu’à tous ceux qui peuvent faire de la publicité, tels
que la presse et les agences de publicité.
39 À cet égard, d’une part, la République de Pologne fournit plusieurs données émanant de l’Office central des statistiques et du Rejestr Aptek (registre des pharmacies, Pologne), relatives au nombre de pharmacies en activité et au nombre de licences délivrées à des pharmaciens ou à des sociétés de pharmaciens. Elle infère de ces données que l’exercice de la profession de pharmacien et l’exploitation d’une pharmacie ne peuvent pas être considérés comme étant équivalents.
40 D’autre part, la République de Pologne indique que, selon les données de la Naczelna Izba Aptekarska (Chambre suprême pharmaceutique, Pologne), au 31 décembre 2022, près d’un tiers des pharmaciens étaient employés en dehors des pharmacies ou des points de vente pharmaceutiques. Cet État membre précise que les pharmaciens peuvent être employés, notamment, dans une université, des instituts scientifiques, des hôpitaux, des cliniques, des institutions chargées du contrôle et de la surveillance de la
production et de la commercialisation des médicaments, des institutions pour l’enregistrement des médicaments ainsi que des organisations non gouvernementales.
41 Il s’ensuivrait que l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée s’applique non pas à tous les aspects de l’activité de pharmacien en tant que profession réglementée, mais seulement à l’activité d’une pharmacie ou d’un point de vente pharmaceutique, qui ne devrait pas nécessairement être exercée par un pharmacien. Ainsi, l’interdiction résultant de cette disposition ne serait pas absolue et ne concernerait qu’une des formes possibles d’exercice de la profession de pharmacien.
42 Par ailleurs, la République de Pologne conteste la pertinence en l’espèce, aux fins de l’interprétation de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31, de la jurisprudence relative à l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2006/123.
2. Appréciation de la Cour
43 L’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31 énonce le principe selon lequel les États membres veillent à ce que l’utilisation de communications commerciales qui font partie d’un service de la société de l’information fourni par un membre d’une profession réglementée, ou qui constituent un tel service, soit autorisée.
44 Ce paragraphe 1 a pour objet de permettre aux membres d’une profession réglementée d’utiliser des services de la société de l’information afin de promouvoir leurs activités (arrêt du 4 mai 2017, Vanderborght, C‑339/15, EU:C:2017:335, point 42).
45 Certes, il ressort dudit paragraphe 1 que des communications commerciales ne doivent être autorisées que sous réserve du respect des règles professionnelles visant, notamment, l’indépendance, la dignité et l’honneur de la profession réglementée concernée ainsi que le secret professionnel et la loyauté tant envers les clients qu’envers les autres membres de cette profession. Toutefois, le même paragraphe 1 serait privé d’effet utile et l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union serait
compromis si des règles professionnelles pouvaient interdire de manière générale et absolue toute forme de publicité en ligne destinée à promouvoir l’activité d’une personne exerçant une profession réglementée (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2017, Vanderborght, C‑339/15, EU:C:2017:335, points 43 et 44).
46 Cette interprétation est corroborée par le fait que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2000/31 prévoit que les États membres et la Commission encouragent l’élaboration de codes de conduite ayant pour objet non pas d’interdire ce genre de publicité, mais plutôt de préciser les informations qui peuvent être données à des fins de communications commerciales dans le respect de ces règles professionnelles (arrêt du 4 mai 2017, Vanderborght, C‑339/15, EU:C:2017:335, point 45).
47 Il s’ensuit que, si le contenu et la forme des communications commerciales visées à l’article 8, paragraphe 1, de cette directive peuvent valablement être encadrés par des règles professionnelles, de telles règles ne sauraient comporter une interdiction générale et absolue de ce type de communications (arrêt du 4 mai 2017, Vanderborght, C‑339/15, EU:C:2017:335, point 46).
48 En l’espèce, en premier lieu, il n’est pas contesté que la profession de pharmacien est une profession réglementée en Pologne.
49 En deuxième lieu, la République de Pologne fait valoir que les pharmaciens ne travaillent pas tous dans une pharmacie, les études qu’ils ont accomplies leur donnant accès à d’autres activités. Toutefois, cet État membre ne conteste pas que, comme le soutient la Commission, selon un rapport de l’Office central des statistiques, durant l’année 2021, 37300 personnes étaient habilitées à exercer la profession de pharmacien en Pologne et que 26000 d’entre elles, à savoir environ 69,7 %, travaillaient
dans une pharmacie ou dans un point de vente pharmaceutique.
50 De plus, ces données sont conformes à celles de la Chambre suprême pharmaceutique, mentionnées par la République de Pologne, selon lesquelles, au 31 décembre 2022, près d’un tiers des pharmaciens étaient employés en dehors des pharmacies ou des points de vente pharmaceutiques.
51 À cet égard, il suffit de relever que, l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31 visant tous les membres d’une profession réglementée, le droit national ne saurait être considéré comme étant compatible avec cette disposition au seul motif que certains membres de la profession réglementée concernée ne relèvent pas de l’interdiction de publicité prévue par ce droit.
52 En effet, s’il en était ainsi, les États membres pourraient contourner ladite disposition par des interdictions qui épargneraient une série marginale d’activités exercées par les membres d’une profession réglementée.
53 En troisième et dernier lieu, en ce que la République de Pologne soutient, en substance, que l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée n’interdit pas aux pharmacies de vendre à distance des médicaments non soumis à prescription ni de fournir des informations relatives aux prix et au mode de livraison de ceux-ci, force est de constater que les pharmacies ne sont pourtant pas autorisées à recourir à la publicité pour leur service de vente à distance.
54 En outre, la République de Pologne ne remet pas en cause le fait que plusieurs décisions administratives et juridictionnelles polonaises, mentionnées par la Commission dans l’avis motivé, ont appliqué l’interdiction résultant de cette disposition à la diffusion d’informations relatives aux services fournis par les pharmacies ainsi qu’aux prix des produits proposés, et ce également par Internet. Bien au contraire, dans la réponse à l’avis motivé, cet État membre reconnaît que la « formulation
malheureuse [de ladite disposition] a amené les autorités de régulation pharmaceutique et les tribunaux à considérer itérativement que tout acte autre que la communication d’informations sur l’emplacement et les heures d’ouverture d’une pharmacie ou d’un point [de vente] pharmaceutique constitue une publicité ».
55 En tout état de cause, quand bien même l’interdiction résultant de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée s’appliquerait non pas à l’ensemble des activités pouvant être effectuées par les pharmaciens travaillant dans une pharmacie, mais seulement à une partie d’entre elles, cette interdiction n’en serait pas moins générale et absolue, et, partant, contraire à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31.
56 À cet égard, il convient de relever que, s’agissant de l’article 24 de la directive 2006/123, il résulte de la jurisprudence que toute interdiction pour les membres d’une profession réglementée de recourir à la communication commerciale est contraire à cette disposition, même lorsque l’interdiction en cause ne porte que sur certaines formes de communication commerciale, et non sur la totalité de celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2011, Société fiduciaire nationale d’expertise
comptable, C‑119/09, EU:C:2011:208, point 29).
57 La République de Pologne soutient que la jurisprudence relative à l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2006/123 ne peut pas être appliquée, par analogie, à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31.
58 À cet égard, tout d’abord, il y a lieu de rappeler que l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31 autorise les communications commerciales, sous réserve du respect de certaines règles professionnelles.
59 L’article 24 de la directive 2006/123, quant à lui, prévoit, à son paragraphe 1, la suppression de toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées et, à son paragraphe 2, que ces communications doivent respecter certaines règles professionnelles.
60 Or, le fait d’autoriser les communications commerciales sous réserve du respect de certaines règles professionnelles ou de supprimer les interdictions totales de communications commerciales sous réserve du respect de règles similaires aboutit à un résultat semblable, d’autant plus que les communications commerciales sont définies de manière identique dans les deux directives concernées, ainsi qu’il ressort des points 8 et 12 du présent arrêt.
61 Ensuite, est dépourvu de pertinence le fait, invoqué par la République de Pologne, que la directive 2000/31 ne contient pas de considérant comparable au considérant 100 de la directive 2006/123, sur lequel la Cour s’est fondée dans l’arrêt cité au point 56 du présent arrêt. En effet, ce considérant 100 vise uniquement à expliciter la portée de l’expression « interdictions totales » des communications commerciales, laquelle expression ne figure pas à l’article 8, paragraphe 1, de la
directive 2000/31, cette dernière disposition traitant de l’autorisation des communications commerciales et non de la suppression des interdictions de ces communications.
62 Enfin, il résulte de la jurisprudence que ces directives concrétisent, toutes les deux, la libre prestation des services consacrée à l’article 56 TFUE (arrêt du 30 mai 2024, Airbnb Ireland et Amazon Services Europe, C‑662/22 et C‑667/22, EU:C:2024:432, points 46 ainsi que 47).
63 Par conséquent, les arguments de la République de Pologne quant à l’application par analogie de la jurisprudence relative à l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2006/123 dans le cadre de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31 doivent être rejetés.
64 Dans ces conditions, il y a lieu d’accueillir le premier grief.
B. Sur les deuxième et troisième griefs, tirés de la violation des articles 49 et 56 TFUE
65 Il résulte de la jurisprudence que, lorsqu’un domaine a fait l’objet d’une harmonisation, toute mesure nationale qui en relève doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d’harmonisation et non pas de celles du droit primaire (voir, en ce sens, arrêts du 14 décembre 2004, Commission/Allemagne, C‑463/01, EU:C:2004:797, point 36 ; du 30 avril 2009, Lidl Magyarország, C‑132/08, EU:C:2009:281, point 42, ainsi que du 30 mai 2024, Airbnb Ireland et Amazon Services Europe, C‑662/22
et C‑667/22, EU:C:2024:432, point 86).
66 Dès lors que l’interdiction résultant de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée concerne non seulement les communications commerciales qui, faisant partie d’un service de la société de l’information, relèvent de l’harmonisation résultant de la directive 2000/31, mais également toute forme de publicité, il convient d’examiner également les deuxième et troisième griefs invoqués par la Commission, qui portent sur des allégations afférentes à des restrictions à la liberté
d’établissement et à la libre prestation des services, consacrées, respectivement, aux articles 49 et 56 TFUE. Ces griefs se prêtent à être examinés ensemble.
1. Sur l’existence de restrictions
a) Argumentation des parties
67 Au regard de la liberté d’établissement, la Commission fait valoir que l’interdiction résultant de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée prive les personnes établies en Pologne, mais également celles établies dans d’autres États membres, souhaitant ouvrir en Pologne une pharmacie ou un point de vente pharmaceutique de la possibilité d’informer leurs clients actuels et potentiels de leurs activités. Elle relève que cette situation est particulièrement préjudiciable à la
seconde catégorie de personnes, pour laquelle l’accès au marché est rendu plus difficile.
68 S’agissant de la libre prestation des services, la Commission soutient que cette interdiction rend plus difficile, pour les pharmaciens établis en Pologne, la prestation de services à des destinataires établis dans d’autres États membres et, pour les pharmaciens établis dans d’autres États membres, la prestation de services en Pologne. Elle fait également valoir que ladite interdiction limite la possibilité, pour les clients se trouvant en Pologne, de recourir aux services de pharmaciens d’autres
États membres et, pour les pharmaciens établis en Pologne, de bénéficier de prestations de services publicitaires.
69 La Commission précise que, au cours de la procédure précontentieuse, la République de Pologne n’a pas contesté que l’interdiction litigieuse entraîne des restrictions tant à la liberté d’établissement qu’à la libre prestation des services. Cet État membre se serait borné à maintenir que ces restrictions étaient justifiées en raison de la nécessité de protéger la santé publique.
70 Devant la Cour, la République de Pologne n’a pas présenté d’argument remettant en cause l’existence de restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, mais a maintenu que ces restrictions étaient justifiées par la raison impérieuse d’intérêt général tenant à la protection de la santé publique.
b) Appréciation de la Cour
71 Selon une jurisprudence constante, doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d’établissement et/ou à la libre prestation des services toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice des libertés garanties par les articles 49 et 56 TFUE [arrêt du 8 juin 2023, Fastweb e.a. (Périodicités de facturation), C‑468/20, EU:C:2023:447, point 81 ainsi que jurisprudence citée].
72 La notion de « restriction » couvre les mesures prises par un État membre qui, quoique indistinctement applicables, affectent l’accès au marché pour les opérateurs économiques d’autres États membres [arrêt du 8 juin 2023, Fastweb e.a. (Périodicités de facturation), C‑468/20, EU:C:2023:447, point 82 ainsi que jurisprudence citée].
73 Or, en premier lieu, une législation nationale qui interdit, de manière générale et absolue, toute publicité pour une certaine activité est de nature à restreindre la possibilité, pour les personnes exerçant cette activité, de se faire connaître auprès de leur clientèle potentielle et de promouvoir les services qu’elles se proposent d’offrir à cette dernière. Par conséquent, une telle législation nationale doit être considérée comme emportant une restriction à la libre prestation des services
(arrêt du 4 mai 2017, Vanderborght, C‑339/15, EU:C:2017:335, points 63 et 64).
74 En l’espèce, tel est le cas de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée, ainsi qu’il résulte de la manière dont cette disposition a été appliquée dans les décisions administratives et juridictionnelles polonaises sur lesquelles la Commission s’est fondée dans l’avis motivé, mentionnées au point 54 du présent arrêt, lesquelles, comme il a été rappelé à ce point, ne sont pas contestées par la République de Pologne. Ainsi, la restriction à la libre prestation des services est
établie en l’espèce.
75 En second lieu, ladite disposition empêche toute personne souhaitant exploiter une pharmacie en Pologne d’en informer les clients potentiels. L’interdiction de publicité qu’elle édicte a notamment pour effet de rendre les conditions d’accès au marché plus difficiles pour les nouvelles pharmacies.
76 Or, une telle situation est de nature à porter davantage préjudice aux opérateurs établis dans des États membres autres que la République de Pologne, qui doivent déployer des efforts supplémentaires pour se faire connaître auprès des clients résidant en Pologne. Ainsi, l’interdiction de la publicité constitue un obstacle supplémentaire à surmonter pour les opérateurs d’autres États membres souhaitant établir une pharmacie en Pologne (voir, par analogie, arrêt du 17 juillet 2008, Corporación
Dermoestética, C‑500/06, EU:C:2008:421, point 33).
77 Partant, l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée entraîne également une restriction à la liberté d’établissement.
2. Sur la justification des restrictions
a) Argumentation des parties
78 La Commission rappelle que, pendant la procédure précontentieuse, la République de Pologne a fait valoir que l’interdiction résultant de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée protège la santé publique, d’une part, en réduisant la surconsommation de médicaments et de compléments alimentaires et, d’autre part, en préservant l’indépendance professionnelle des pharmaciens. Cette institution reconnaît que la protection de la santé publique est une raison impérieuse d’intérêt
général susceptible de justifier des restrictions à la liberté d’établissement ou à la libre prestation des services. Toutefois, en l’espèce, la République de Pologne n’aurait pas démontré que les restrictions consécutives à cette interdiction étaient justifiées par une telle raison.
79 La République de Pologne maintient, devant la Cour, la position qu’elle a exposée au cours de la procédure précontentieuse.
1) Sur la surconsommation de médicaments
80 La Commission fait valoir qu’une distinction doit être établie entre deux types de publicité, à savoir, d’une part, la publicité pour les pharmacies, les points de vente pharmaceutiques ainsi que leurs activités et, d’autre part, la publicité pour les médicaments.
81 En ce qui concerne le premier type de publicité, la Commission soutient que la République de Pologne n’a pas établi l’existence d’un lien entre l’interdiction de publicité et la réduction de la surconsommation de médicaments.
82 S’agissant du second type, la Commission expose que la publicité pour les médicaments n’est pas interdite, pourvu qu’elle respecte des conditions spécifiques, telles que l’interdiction de faire la promotion de médicaments délivrés exclusivement sur ordonnance ou l’obligation de présenter le médicament de manière objective et non trompeuse ainsi que de fournir des informations sur son usage rationnel, conformément à l’article 87, paragraphe 3, de la directive 2001/83.
83 Ainsi, des mesures définissant ces conditions dans le cadre de la publicité pour les médicaments pourraient être considérées comme étant liées à l’objectif de protection de la santé publique consistant à lutter contre la surconsommation de médicaments.
84 Toutefois, d’une part, selon la Commission, s’il est vrai que, comme le soutient la République de Pologne, les activités publicitaires visent, en principe, à attirer de nouveaux clients et à fidéliser les anciens, ces activités ne conduisent pas nécessairement les clients à acheter davantage de médicaments. En revanche, la publicité pour une pharmacie pourrait avoir pour effet d’augmenter la part de marché de cette pharmacie au détriment d’autres pharmacies et d’autres lieux de vente de
médicaments.
85 D’autre part, la Commission fait valoir que, en Pologne, certains médicaments non soumis à prescription sont disponibles en dehors des pharmacies ou des points de vente pharmaceutiques, dans des magasins, des supermarchés, des kiosques ou des stations-service. La vente de ces médicaments dans de tels établissements ne nécessiterait pas de notification ni d’autorisation et, même si elle est minoritaire au regard des ventes réalisées dans une pharmacie, serait tout de même non négligeable, ainsi
que le démontrerait une étude réalisée en 2015, mentionnée par la République de Pologne. Or, la vente de médicaments dans ces établissements pourrait présenter un risque accru pour la santé en raison d’une éventuelle surconsommation ou d’un usage inapproprié.
86 À ce sujet, il importerait peu que seuls certains médicaments non soumis à prescription soient disponibles en dehors des pharmacies, dès lors que le nombre de ces médicaments serait relativement important et que la surconsommation de ceux-ci pourrait provoquer des intoxications graves.
87 La Commission en déduit que l’interdiction résultant de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée n’est pas propre à atteindre l’objectif déclaré de réduction de la surconsommation de médicaments. Bien au contraire, cette interdiction pourrait aller à l’encontre de cet objectif, en raison du fait que certains médicaments sont disponibles en vente libre dans des établissements dans lesquels les clients ne reçoivent pas de conseils professionnels sur l’usage de ceux-ci.
88 En tout état de cause, la Commission estime que, à supposer même que l’interdiction résultant de cette disposition soit propre à atteindre ledit objectif, des mesures moins restrictives permettraient de parvenir au même résultat.
89 La République de Pologne objecte que les communications publicitaires des pharmacies visent à inciter les clients potentiels à utiliser leurs services et à augmenter les ventes de produits, principalement les médicaments non soumis à prescription et les compléments alimentaires. Or, les clients des pharmacies constitueraient un type de consommateurs particulièrement vulnérables à la publicité, qui devraient être protégés contre les techniques visant à les inciter à augmenter leurs achats. Le
recours aux services des pharmacies ne devrait donc pas résulter de la publicité, mais devrait être lié aux besoins de santé du patient. Compte tenu de la nécessité de protéger la santé, la concurrence entre les pharmacies ne devrait pas être fondée sur la publicité, mais sur la qualité maximale des services fournis et sur la réputation ainsi acquise.
90 La République de Pologne ajoute que l’interdiction de la publicité pour les activités des pharmacies et des points de vente pharmaceutiques doit être appréhendée conjointement avec la publicité pour les médicaments. En vertu de l’article 87, paragraphe 3, premier tiret, de la directive 2001/83, la publicité en faveur d’un médicament devrait favoriser l’usage rationnel de celui-ci, en le présentant de façon objective et sans en exagérer les propriétés. Cette publicité ne pourrait être dissociée de
la publicité pour les pharmacies et les points de vente pharmaceutiques. Il serait donc difficile de concevoir une publicité pour une pharmacie qui n’évoquerait pas, pour le patient, des médicaments ou certains services directement ou indirectement liés à ceux-ci.
91 À cet égard, la République de Pologne précise que, avant l’introduction de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée, les règles générales nationales sur la publicité s’appliquaient aux activités pharmaceutiques. Le résultat en aurait été insatisfaisant, dès lors que les exploitants de pharmacies auraient entrepris des activités de commercialisation orientées uniquement vers des objectifs économiques. Une surconsommation notamment de médicaments en vente libre et de
compléments alimentaires s’en serait suivie.
92 La République de Pologne indique qu’il est impossible de prouver l’efficacité de l’interdiction résultant de cette disposition, du moins sous forme de données chiffrées. Toutefois, la surconsommation de médicaments et de compléments alimentaires demeurerait courante en Pologne, ainsi que le démontreraient des données statistiques comparatives avec d’autres États membres.
93 Par ailleurs, la République de Pologne indique que, si des établissements autres que les pharmacies et les points de vente pharmaceutiques, tels que les herboristeries, les magasins spécialisés en vente de matériel médical et les commerces de détail, sont autorisés à vendre certains médicaments, ce mode de commercialisation concernerait seulement certains médicaments non soumis à prescription.
2) Sur l’indépendance professionnelle des pharmaciens
94 La Commission reconnaît que certaines mesures nationales conférant aux professions médicales la maîtrise de décisions relatives à la protection de la santé publique peuvent être justifiées.
95 Toutefois, une interdiction absolue de la publicité pour les pharmacies, les points de vente pharmaceutiques et leurs activités ne serait ni propre à garantir l’indépendance professionnelle des pharmaciens ni nécessaire à cette fin.
96 La Commission estime que l’objectif de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée, indiqué par la République de Pologne dans la réponse à l’avis motivé, qui consisterait à garantir l’indépendance professionnelle des pharmaciens contre les effets de décisions publicitaires prises par des propriétaires qui ne sont pas des pharmaciens, ne peut s’appliquer aux pharmacies exploitées par des pharmaciens.
97 En outre, même dans le cas des pharmacies qui ne sont pas détenues ou contrôlées par des pharmaciens, elle considère qu’une interdiction absolue de la publicité n’est pas toujours propre à garantir l’autonomie décisionnelle des pharmaciens dans les situations ayant une incidence sur la santé des patients. La question de savoir si de telles pharmacies peuvent faire l’objet d’une publicité serait totalement distincte de celle de l’exposition éventuelle des pharmaciens à la pression que les
propriétaires de pharmacies qui ne sont pas pharmaciens peuvent exercer sur ces derniers pour qu’ils prennent, dans l’intérêt financier de la pharmacie, des décisions pourtant préjudiciables à la santé des patients.
98 En tout état de cause, selon la Commission, l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée va au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser l’objectif d’indépendance professionnelle des pharmaciens. En effet, même à supposer qu’une restriction de la publicité soit propre à garantir cet objectif, une mesure moins restrictive pourrait consister à autoriser la publicité pour les pharmacies sous certaines conditions.
99 La République de Pologne maintient la position selon laquelle l’interdiction résultant de cette disposition protège les pharmaciens contre d’éventuelles pressions exercées par les propriétaires de pharmacies ou de points de vente pharmaceutiques dans le but d’augmenter les ventes de certains produits.
b) Appréciation de la Cour
100 Selon une jurisprudence constante, une restriction à la liberté d’établissement ou à la libre prestation des services ne saurait être admise qu’à la condition, en premier lieu, d’être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et, en second lieu, de respecter le principe de proportionnalité, ce qui implique qu’elle soit propre à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre
[voir, en ce sens, s’agissant de la libre prestation des services, arrêt du 18 juin 2019, Autriche/Allemagne, C‑591/17, EU:C:2019:504, point 139 et jurisprudence citée, ainsi que, s’agissant de la liberté d’établissement, arrêt du 6 octobre 2020, Commission/Hongrie (Enseignement supérieur), C‑66/18, EU:C:2020:792, point 178 et jurisprudence citée].
101 Par ailleurs, il incombe à l’État membre concerné de démontrer que ces conditions cumulatives sont remplies [arrêt du 6 octobre 2020, Commission/Hongrie (Enseignement supérieur), C‑66/18, EU:C:2020:792, point 179 et jurisprudence citée].
102 En l’espèce, la protection de la santé publique, invoquée par la République de Pologne en tant que justification des restrictions à la liberté d’établissement ou à la libre prestation des services consécutives à l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée est l’un des objectifs figurant au nombre de ceux qui peuvent être considérés comme constituant des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une telle restriction aux libertés de circulation garanties
par le traité FUE (voir, en ce sens, arrêts du 19 mai 2009, Commission/Italie, C‑531/06, EU:C:2009:315, point 51, ainsi que du 4 mai 2017, Vanderborght, C‑339/15, EU:C:2017:335, point 67 et jurisprudence citée).
103 Toutefois, il y a lieu de vérifier si la République de Pologne, par ses arguments portant, d’une part, sur la surconsommation de médicaments et, d’autre part, sur l’indépendance professionnelle des pharmaciens, a démontré que l’interdiction résultant de cette disposition respecte le principe de proportionnalité, dont le contenu a été rappelé au point 100 du présent arrêt.
1) Sur la surconsommation de médicaments
104 À titre liminaire, il convient de relever que les pharmacies peuvent proposer des services, tels que des campagnes de dépistage, qui ne sont pas liés à la vente de médicaments et qui entrent pourtant dans le champ d’application de l’interdiction résultant de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée, ainsi qu’il résulte des éléments de preuve rapportés par la Commission mentionnés aux points 54 et 74 du présent arrêt. En particulier, la Commission a fait état d’une décision
d’une juridiction polonaise qui a considéré comme étant illégale une publicité concernant l’organisation de campagnes de dépistage.
105 Dans cette mesure, une telle interdiction n’a aucun rapport avec l’objectif de protection de la santé publique consistant à lutter contre la surconsommation de médicaments, de sorte qu’elle ne saurait être considérée comme étant justifiée.
106 En ce que l’interdiction résultant de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée vise la publicité pour les pharmacies, les points de vente pharmaceutiques et leurs services qui est liée à la vente de médicaments, premièrement, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que soutient la République de Pologne, cette publicité peut profiter aux personnes susceptibles d’acheter des médicaments, en ce qu’elle leur permet d’être informées de prix plus bas ou de services
supplémentaires offerts par une pharmacie donnée. Ainsi, à la suite de ladite publicité, ces personnes peuvent décider d’acheter leurs médicaments habituels auprès d’une pharmacie différente de celle dont elles étaient clientes auparavant, sans que cela entraîne une augmentation de la quantité de médicaments achetée par lesdites personnes.
107 En revanche, l’interdiction de cette publicité risque de favoriser les pharmacies présentes sur un marché depuis de nombreuses années, au détriment de celles qui souhaitent entrer sur ce marché et y offrir davantage de services ou des services d’une meilleure qualité.
108 Deuxièmement, il y a lieu de rappeler que, comme le souligne d’ailleurs la République de Pologne, l’article 87, paragraphe 3, de la directive 2001/83 prévoit que la publicité en faveur d’un médicament doit favoriser l’usage rationnel de ce dernier, en le présentant de façon objective et sans en exagérer les propriétés, et ne peut être trompeuse. Le législateur de l’Union a entendu permettre, par cette disposition, la promotion de médicaments sans pour autant inciter à la surconsommation de
ceux-ci.
109 Troisièmement, ainsi que le fait valoir la Commission, laquelle se fonde sur une étude de 2015 mentionnée par la République de Pologne dans sa réponse à l’avis motivé, d’une part, il est possible, dans cet État membre, d’acheter au moins certains médicaments non soumis à prescription en dehors des pharmacies, notamment dans des magasins, des supermarchés, des kiosques ou des stations-service. D’autre part, cette possibilité est utilisée dans une mesure qui, tout en demeurant moindre par rapport
aux achats effectués dans des pharmacies, n’est pas négligeable. Ainsi, selon cette étude, un tiers des personnes interrogées ont déclaré acheter des médicaments non soumis à prescription dans un supermarché.
110 Quatrièmement, la République de Pologne reconnaît que la surconsommation de médicaments demeure importante dans cet État membre, en dépit de l’interdiction résultant de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée.
111 Certes, la République de Pologne fait valoir que la surconsommation aurait été encore plus élevée sans cette interdiction, mais qu’il est impossible d’en rapporter la preuve. Toutefois, cet État membre n’a pas exposé les raisons pour lesquelles il lui était impossible de recueillir les données sur la consommation de médicaments avant que cette disposition n’entre en vigueur et de les comparer avec celles relatives à la période postérieure.
112 Il s’ensuit que la République de Pologne n’a pas démontré, au regard des conditions exigées par la jurisprudence rappelée au point 100 du présent arrêt, que les restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services consécutives à ladite disposition sont propres à garantir la réalisation de l’objectif de protection de la santé publique consistant à lutter contre la surconsommation de médicaments.
113 En tout état de cause, il y a lieu de constater que cet objectif peut être poursuivi par des mesures moins restrictives que l’interdiction résultant de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée, telles que des mesures réglementant le contenu de la publicité pour certains services offerts par les pharmacies.
114 Dès lors, l’interdiction résultant de cette disposition va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de protection de la santé publique consistant à lutter contre la surconsommation de médicaments.
2) Sur l’indépendance professionnelle des pharmaciens
115 Il résulte de la jurisprudence que, compte tenu de la faculté reconnue aux États membres de déterminer le niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique, ceux-ci peuvent prendre des mesures permettant d’éliminer ou de réduire un risque d’atteinte à l’indépendance professionnelle des pharmaciens (voir, par analogie, arrêt du 16 décembre 2010, Commission/France, C‑89/09, EU:C:2010:772, point 66 et jurisprudence citée).
116 Ainsi, au regard de l’importance de la relation de confiance devant prévaloir entre le pharmacien et son client, qui est, en principe, un patient, la protection de l’indépendance de la profession de pharmacien peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général relative à la santé publique (voir, par analogie, arrêt du 4 mai 2017, Vanderborght, C‑339/15, EU:C:2017:335, point 68).
117 La République de Pologne soutient que l’interdiction résultant de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée protège les pharmaciens d’éventuelles pressions, exercées par les propriétaires de pharmacies ou de points de vente pharmaceutiques, en vue d’augmenter les ventes de certains produits.
118 Or, d’une part, cet argument ne peut pas s’appliquer aux pharmacies exploitées par des pharmaciens qui en détiennent la propriété.
119 D’autre part, en ce qui concerne les autres pharmacies, il n’est pas exclu que les propriétaires de pharmacies qui ne sont pas pharmaciens exercent sur les pharmaciens qu’ils emploient une pression afin que ces derniers prennent, dans l’intérêt financier de la pharmacie, des décisions préjudiciables à la santé des patients. Toutefois, c’est à juste titre que la Commission fait valoir, en substance, que cette problématique n’est pas en corrélation directe avec la question de savoir si les
pharmacies peuvent faire l’objet de publicité.
120 En effet, l’interdiction de toute forme de publicité pour les pharmacies, les points de vente pharmaceutiques et leurs activités n’est pas de nature à préserver les pharmaciens de pressions que les propriétaires des pharmacies pourraient exercer afin d’influencer la manière dont les pharmaciens conseillent leurs clients. Une telle pression pourrait subsister indépendamment de l’existence ou non d’une publicité pour ces pharmacies.
121 En tout état de cause, il convient de relever que l’interdiction résultant de l’article 94a, paragraphe 1, de la loi pharmaceutique modifiée va au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger l’indépendance professionnelle des pharmaciens. En effet, une mesure moins restrictive pourrait consister à autoriser cette publicité dans le respect de conditions qui permettraient de préserver l’éthique professionnelle des pharmaciens, en encadrant, le cas échéant de manière étroite, les formes et les
modalités que ladite publicité peut revêtir (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2017, Vanderborght, C‑339/15, EU:C:2017:335, points 74 et 75).
122 À cet égard, d’une part, ainsi qu’il a été relevé au point 108 du présent arrêt, la publicité en faveur d’un médicament doit favoriser l’usage rationnel de ce dernier, en le présentant de façon objective et sans en exagérer les propriétés, et ne peut être trompeuse. D’autre part, en ce que la publicité porterait sur des services, notamment de dépistage, la République de Pologne n’a pas exposé les raisons pour lesquelles ceux-ci mettraient en danger la santé publique.
123 Dans ces conditions, les deuxième et troisième griefs doivent également être accueillis.
124 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en adoptant l’article 94a, paragraphe 1, de la loi relative au droit pharmaceutique, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31 ainsi que des articles 49 et 56 TFUE.
Sur les dépens
125 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Pologne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) déclare et arrête :
1) En adoptant l’article 94a, paragraphe 1, de l’ustawa – Prawo farmaceutyczne (loi relative au droit pharmaceutique), du 6 septembre 2001, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le
commerce électronique »), ainsi que des articles 49 et 56 TFUE.
2) La République de Pologne est condamnée aux dépens.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.