ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
30 avril 2025 (*)
« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) 2018/1672 – Article 3, paragraphe 1 – Non-déclaration d’une somme d’argent liquide – Détermination de la valeur d’une somme d’argent liquide constituée de devises étrangères – Cours d’une monnaie non publié par la Banque centrale européenne – Hryvnia ukrainienne »
Dans l’affaire C‑745/23 [Alenopik] (i),
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Riigikohus (Cour suprême, Estonie), par décision du 4 décembre 2023, parvenue à la Cour le 5 décembre 2023, dans la procédure
Maksu- ja Tolliamet
contre
UT,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M^me M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. D. Gratsias, E. Regan (rapporteur), J. Passer et B. Smulders, juges,
avocat général : M^me T. Ćapeta,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement estonien, par M^me M. Kriisa, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par M^mes F. Moro et E. Randvere, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 28 novembre 2024,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, du règlement (UE) 2018/1672 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2018, relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant dans l’Union ou sortant de l’Union et abrogeant le règlement (CE) n^o 1889/2005 (JO 2018, L 284, p. 6).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant UT au Maksu – ja Tolliamet (administration fiscale et douanière estonienne, ci-après le « MTA » ou l’« autorité administrative ») au sujet de la valeur en euros d’une somme d’argent liquide composée de devises ukrainiennes, aux fins de l’application de l’obligation de déclaration prévue à l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2018/1672.
Le cadre juridique
La réglementation douanière de l’Union
3 Le règlement (UE) n^o 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union (JO 2013, L 269, p. 1) (ci-après le « CDU »), comporte un titre I, intitulé « Dispositions générales », qui comprend un chapitre 1, intitulé « Champ d’application de la législation douanière, mission de la douane et définitions », dont fait partie l’article 1^er de ce règlement, intitulé « Objet et champ d’application », qui énonce, à son paragraphe 1 :
« Le présent règlement établit le [CDU] fixant les règles et procédures générales applicables aux marchandises entrant dans le territoire douanier de l’Union [européenne] ou en sortant.
[...] »
4 Le titre I de ce règlement comprend un chapitre 3, intitulé « Conversions monétaires et délais », qui inclut l’article 53 dudit règlement, intitulé « Conversions monétaires », lequel prévoit des règles en matière de taux de change applicables lorsqu’une conversion monétaire est nécessaire aux fins de l’application de la législation douanière.
5 Les articles 48 et 146 du règlement d’exécution (UE) 2015/2447 de la Commission, du 24 novembre 2015, établissant les modalités d’application de certaines dispositions du règlement (UE) n^o 952/2013 du Parlement européen et du Conseil établissant le code des douanes de l’Union (JO 2015, L 343, p. 558) (ci-après le « règlement d’application du CDU »), comportent également des règles en cette matière qui mettent en œuvre certaines des règles prescrites à l’article 53 du CDU.
Le règlement 2018/1672
6 Le considérant 4 du règlement 2018/1672 énonce :
« [Le] règlement (CE) n^o 1889/2005 du Parlement européen et du Conseil[, du 26 octobre 2005 relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté (JO 2005, L 309, p. 9)] vise à prévenir et à détecter le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en établissant un système de contrôles applicable aux personnes physiques qui entrent dans l’Union ou sortent de l’Union en transportant de l’argent liquide ou des instruments négociables au porteur d’un montant égal ou
supérieur à 10 000 [euros] ou sa contre-valeur en d’autres monnaies. Il convient de définir l’expression “entrant dans l’Union ou sortant de l’Union” en se référant au territoire de l’Union tel qu’il est défini à l’article 355 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de manière à s’assurer que le présent règlement est doté d’un champ d’application aussi large que possible et qu’aucun espace n’en est exclu et ne risque d’offrir des possibilités de contourner les contrôles applicables. »
7 L’article 1^er de ce règlement, intitulé « Objet », dispose :
« Le présent règlement prévoit un système de contrôles de l’argent liquide entrant dans l’Union ou sortant de l’Union, destiné à compléter le cadre juridique régissant la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme fixé dans la directive (UE) 2015/849 [du Parlement Européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) n^o 648/2012
du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission (JO 2015, L 141, p. 73)]. »
8 L’article 2 dudit règlement, intitulé « Définition », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
a) “argent liquide” :
i) les espèces ;
[...] »
9 L’article 3 de ce même règlement, intitulé « Obligation de déclaration d’argent liquide accompagné », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Les porteurs transportant de l’argent liquide d’une valeur de 10 000 [euros] ou plus déclarent cet argent liquide aux autorités compétentes de l’État membre par lequel ils entrent dans l’Union ou sortent de l’Union et mettent celui-ci à leur disposition à des fins de contrôle. L’obligation de déclaration d’argent liquide n’est pas réputée exécutée si les informations fournies sont incorrectes ou incomplètes ou si l’argent liquide n’est pas mis à disposition à des fins de contrôle. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
10 Le 13 janvier 2023, UT a franchi à pied avec sa fille la frontière entre la Fédération de Russie et la République d’Estonie en passant par le poste frontière de Narva (Estonie). À cette occasion, UT a emprunté le couloir de franchissement de la frontière dénommé « couloir vert », ce qui signifiait qu’elle ne transportait pas de marchandises soumises à une obligation de déclaration ou que leur quantité ne dépassait pas les limites autorisées par la réglementation. UT ayant été contrôlée, un
total de 500 000 hryvnias ukrainiennes en espèces a été trouvé dans ses poches, sous ses vêtements et sous la doublure de la capuche de son anorak. Le même jour, le MTA a dressé un procès-verbal de contravention à l’encontre de UT.
11 Pour déterminer la valeur en euros des 500 000 hryvnias ukrainiennes qu’UT avait sur elle en argent liquide, le MTA s’est fondé sur le taux de change publié sur le site Internet www.xe.com et a conclu que la valeur de ces devises, le jour du passage de la frontière, était d’environ 12 565 euros. Or, aux termes de l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2018/1672, les personnes transportant de l’argent liquide d’une valeur de 10 000 euros ou plus doivent déclarer cet argent liquide aux
autorités compétentes de l’État membre par lequel ils entrent dans l’Union ou sortent de l’Union. Par conséquent, le MTA a estimé que l’argent que transportait UT aurait dû lui être déclaré.
12 Par décision du 13 février 2023, le MTA a infligé à UT une amende de 600 euros pour défaut de déclaration d’argent liquide au titre de la tolliseadus (loi sur les douanes). Le MTA a également décidé de procéder, en application de cette loi et du code pénal estonien, à la confiscation du montant non déclaré de 500 000 hryvnias ukrainiennes.
13 Devant le MTA, UT avait expliqué qu’elle n’était pas au courant de l’obligation de déclarer ce montant d’argent liquide et qu’elle n’avait donc pas eu l’intention d’introduire clandestinement 500 000 hryvnias ukrainiennes en Estonie. En outre, cet argent ne lui appartiendrait pas, car son propriétaire serait un ressortissant ukrainien résidant en Estonie, qui n’était pas en mesure de procéder lui-même à des transactions avec l’argent qu’il possédait, en raison de la guerre faisant suite à
l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie. Ce serait par crainte d’être volée qu’elle avait caché ledit argent sous ses vêtements. Enfin, ce propriétaire aurait vérifié le cours de la hryvnia ukrainienne à la date des faits sur le site Internet www.tavid.ee et il en aurait déduit que UT n’était pas dans l’obligation de déclarer la somme de 500 000 hryvnias ukrainiennes, car la contre-valeur de celle-ci était inférieure à 10 000 euros.
14 UT a contesté la décision du 13 février 2023 devant le Viru Maakohus (tribunal de première instance de Viru, Estonie), qui a partiellement fait droit au recours et qui, par jugement du 28 avril 2023, a annulé cette décision en ce qui concerne la sanction et la mesure de confiscation. Par ce jugement, le Viru Maakohus (tribunal de première instance de Viru) a condamné UT à une amende de 100 jours-amende, soit 400 euros. Il n’a prononcé aucune mesure de confiscation et a ordonné la restitution
à UT des 500 000 hryvnias ukrainiennes qui avaient été saisies en tant que pièces à conviction.
15 Le MTA a introduit un pourvoi en cassation devant la Riigikohus (Cour suprême, Estonie), qui est la juridiction de renvoi.
16 Au cours de la procédure devant cette juridiction, le MTA a expliqué que, pour convertir une monnaie aux fins de la détermination de sa valeur en douane, il se fonde sur la méthode énoncée à l’article 53 du CDU ainsi qu’aux articles 48 et 146 du règlement d’application du CDU. Ainsi, dans le cas de devises pour lesquelles le taux de change n’est pas publié par la Banque centrale européenne (BCE), l’autorité administrative compétente, en l’occurrence le MTA, utilise les taux de change publiés
sur le site Internet www.xe.com, comme le feraient d’ailleurs d’autres États membres.
17 Le MTA a également souligné que des informations sur l’obligation de déclarer l’argent liquide lors du franchissement de la frontière estonienne en provenance d’un pays situé hors de l’Union étaient disponibles sur son site Internet, ainsi que dans des brochures en langue estonienne et en langue russe distribuées aux points de passage frontaliers et sur des panneaux d’information. Si une personne qui franchit la frontière ne s’est pas renseignée sur les modalités d’importation ou
d’exportation d’argent liquide avant de franchir la frontière, elle pourrait choisir le couloir de franchissement de la frontière dénommé « couloir rouge », où, en coopération avec un agent du MTA, il sera décidé s’il est nécessaire de déclarer l’argent liquide.
18 La Riigikohus (Cour suprême) éprouve des doutes quant à la manière de déterminer le taux de change dans l’affaire dont elle est saisie. En effet, la méthode de conversion en euros de l’argent liquide introduit dans l’Union en devises étrangères n’est précisée ni dans le droit de l’Union ni dans le droit national. Pour convertir la valeur des hryvnias ukrainiennes en euros, en l’absence d’un taux de référence publié par la BCE, le MTA s’est appuyé sur le taux de change publié sur le site
Internet www.xe.com, et ce à l’instar de la pratique d’autres États membres. Si ce site est mentionné sur la page web de l’autorité administrative relative à l’obligation de déclarer l’argent liquide (www.emta.ee), il n’existe aucune base juridique permettant de considérer que les taux de change publiés sur ce site seraient juridiquement pertinents. Or, si le taux de change mentionné sur un autre site Internet, à savoir celui de Tavid AS, comme étant celui applicable à la date du franchissement de
la frontière par UT et sa fille avait été appliqué, 500 000 hryvnias ukrainiennes n’auraient valu, à cette date, que 9 487,67 euros.
19 Par ailleurs, l’autorité administrative se serait référée à l’article 53 du CDU relatif à la conversion monétaire, dont le paragraphe 1 dispose que les autorités compétentes publient et/ou communiquent sur Internet le taux de change applicable, lorsqu’une conversion monétaire est nécessaire soit pour déterminer la valeur en douane des marchandises, soit pour déterminer le classement tarifaire de celles-ci. Or, en vertu du paragraphe 2 de cet article, lorsqu’une conversion monétaire est
nécessaire pour des raisons autres que celles visées au paragraphe 1 dudit article, l’État membre devrait prévoir que, pour déterminer le taux de change applicable, la législation douanière fixe ce taux au minimum une fois par an.
20 Pour autant, la juridiction de renvoi doute que l’article 53 du CDU constitue la base juridique appropriée pour déclencher l’obligation prévue à l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2018/1672, dès lors que ce règlement n’y fait pas référence.
21 Dans ces conditions, la Riigikohus (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Comment convient-il d’établir le taux de change pour obtenir la valeur de l’argent liquide aux fins de l’application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement [2018/1672], lorsqu’il s’agit d’une monnaie dont le taux de change n’est pas publié par la Banque centrale européenne ? »
Sur la question préjudicielle
22 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2018/1672 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, afin de déterminer si l’obligation de déclaration prévue à cette disposition s’applique, un État membre établisse la valeur d’une somme en liquide constituée de devises autres que l’euro pour la conversion desquelles la BCE ne publie pas de taux de change de référence, en se fondant sur le taux mentionné sur un site
Internet comme reflétant la parité entre l’euro et la devise en question à la date à laquelle la personne concernée est entrée ou sortie du territoire de l’Union, alors même que ce taux est plus élevé que celui mentionné sur un autre site Internet.
23 À cet égard, il convient de rappeler que le règlement 2018/1672 prévoit, à son article 3, paragraphe 1, l’obligation pour toute personne physique entrant dans l’Union ou sortant de l’Union, de déclarer l’argent liquide d’une valeur de 10 000 euros ou plus qu’elle transporte.
24 Or, d’une part, l’article 2, paragraphe 1, sous a), i), de ce règlement précise que la notion d’« argent liquide », au sens dudit règlement, comprend les espèces.
25 D’autre part, ces dispositions doivent être interprétées à la lumière du considérant 4 du règlement 2018/1672, dont il ressort que ce règlement vise, notamment, à définir l’expression « entrant dans l’Union ou sortant de l’Union » figurant dans le règlement n^o 1889/2005, alors que ce dernier établissait, dans des circonstances identiques, un système de contrôle de l’argent liquide s’appliquant au montant de 10 000 euros ou à sa contre-valeur en d’autres monnaies. Il en découle que le
règlement 2018/1672 a maintenu, tout en le précisant, un tel système de contrôle et, notamment, les seuils qui conditionnent son application.
26 Par conséquent, l’obligation de déclaration prévue à l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2018/1672 s’applique à la situation d’une personne physique entrant dans l’Union ou sortant de l’Union, qui transporte une somme d’argent en liquide constituée de devises autres que l’euro, lorsque cet argent a une valeur de 10 000 euros ou plus.
27 Toutefois, étant donné qu’aucune disposition du règlement 2018/1672 ne précise le taux de change à appliquer pour établir la valeur en euros d’une telle somme, il revient aux États membres de déterminer ce taux.
28 Dans la mesure où, en déterminant ce taux, les États membres mettent en œuvre le règlement 2018/1672, et donc le droit de l’Union, ceux-ci doivent exercer leurs compétences d’une manière qui préserve l’effet utile des dispositions que ce règlement énonce et qui respecte les droits que les justiciables tirent de l’ordre juridique de l’Union, et ce dans les situations couvertes par ce dernier [voir, en ce sens, arrêt du 11 janvier 2024, G (Frais de résiliation anticipée), C‑371/22,
EU:C:2024:21, point 50].
29 À cet égard, contrairement à la position défendue par le MTA dans l’affaire au principal, les États membres ne sont pas tenus, aux fins de cette détermination, de se conformer à l’article 53 du CDU ainsi qu’aux articles 48 et 146 du règlement d’application du CDU. En effet, l’article 1^er du CDU précise que ce dernier fixe les règles et procédures générales applicables aux marchandises entrant dans le territoire douanier de l’Union ou en sortant. Or, comme M^me l’avocate générale l’a relevé
aux points 38 à 50 de ses conclusions, une somme en liquide constituée de devises qui sont considérées sur les marchés monétaires comme équivalentes à des monnaies ne constitue pas une marchandise au sens des dispositions du CDU si bien que, en tout état de cause, les dispositions susmentionnées ne sauraient être appliquées au transport, par des personnes physiques, de sommes d’argent liquide constituées de devises autres que l’euro.
30 En revanche, il convient de relever, d’une part, que l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2018/1672 fixe à 10 000 euros le seuil en valeur en deçà duquel les personnes physiques peuvent transporter une certaine somme d’argent sans devoir la déclarer, ce montant constituant une valeur très précise. Dans ces conditions, il serait porté atteinte à l’effet utile de cette disposition si les États membres pouvaient choisir un taux de change qui ne soit pas de nature à refléter la valeur réelle
de la devise concernée. Par conséquent, bien qu’il n’existe pas nécessairement un seul taux de change applicable pour une même devise, le taux choisi doit, pour être valide, à tout le moins correspondre à l’un de ceux réellement et fréquemment appliqués à des opérations de change en euros de cette devise.
31 D’autre part, le principe de l’État de droit sur lequel, ainsi que le garantit l’article 2 TUE, l’Union est fondée et dont le principe de sécurité juridique constitue l’une des conditions constitutives auquel les États membres sont dès lors tenus de se conformer exige notamment que les justiciables puissent connaître avec exactitude et sans ambiguïté leurs droits et obligations. Cela implique que, pour être opposables aux justiciables, les mesures adoptées par les États membres afin de
mettre en œuvre le droit de l’Union soient claires, précises et prévisibles quant à leurs effets, et ce afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2020, Hungeod e.a., C‑496/18 et C‑497/18, EU:C:2020:240, point 93, ainsi que du 22 février 2022, Stichting Rookpreventie Jeugd e.a., C‑160/20, EU:C:2022:101, points 41, 42 et 45) ainsi que, en outre, librement et facilement
accessibles.
32 Par conséquent, s’agissant de l’application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2018/1672, certes, il revient à chaque État membre de décider du taux de change à appliquer pour déterminer la valeur en euros d’une somme en liquide constituée de devises autres que l’euro pour autant que le taux retenu corresponde à l’un de ceux réellement et fréquemment appliqués, en pratique, à des opérations de change en euros de la devise concernée. Cependant, pour être opposable aux personnes
concernées qui entrent ou qui sortent de l’Union, le taux que l’État membre en cause entend appliquer, doit, tout d’abord, avoir été désigné comme tel d’une manière claire, intelligible et univoque, et ce de façon à permettre à ces personnes de savoir, sans ambiguïté, que c’est ce taux qui s’applique afin de déterminer s’il convient, pour elles, de déclarer l’argent liquide qu’elles transportent.
33 Ensuite, l’information relative audit taux doit être facilement et librement accessible pour lesdites personnes, ce qui implique notamment qu’elles puissent en prendre connaissance gratuitement, et, lorsqu’il est renvoyé pour la détermination du même taux à des informations publiées sur un site Internet, qu’elles n’aient pas besoin de devoir s’inscrire sur ce site. En revanche, une telle obligation d’accessibilité n’impose pas aux États membres d’indiquer à chaque personne physique entrant
ou sortant de l’Union le taux applicable pour chacune des devises existantes, étant entendu qu’il suffit que les informations nécessaires soient à la disposition de tout voyageur souhaitant se renseigner sur la législation applicable.
34 Enfin, s’agissant de la prévisibilité du taux de change retenu, qui est exigée par le principe de sécurité juridique, il convient de souligner que l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2018/1672 vise non pas à interdire le transport de sommes d’argent en liquide constituées de devises autres que l’euro et dont la valeur serait égale ou supérieure à 10 000 euros, mais uniquement à imposer, dans cette situation, une obligation de déclaration. Étant donné que les personnes concernées peuvent
encore apprécier si elles doivent se conformer à une telle obligation au moment même où elles entrent ou sortent du territoire de l’Union, il suffit, pour satisfaire à l’exigence de prévisibilité du taux retenu, que l’État membre concerné ait mis ces personnes en mesure de prendre connaissance, de manière certaine, du taux applicable à un tel moment et ainsi de déterminer, au moment où elles entrent ou sortent du territoire de l’Union, si elles doivent déclarer l’argent liquide qu’elles
transportent.
35 En ce qui concerne le litige au principal, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si le choix de l’État membre concerné de recourir, aux fins de l’application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2018/1672, au taux de change de la hryvnia ukrainienne en euro publié sur le site Internet www.xe.com au moment des faits satisfaisait à ces conditions. Toutefois, afin de guider cette juridiction dans cette appréciation, la Cour peut lui fournir tous les éléments
d’interprétation relevant du droit de l’Union qui pourraient lui être utiles (voir, par analogie, arrêt du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C‑333/20, EU:C:2022:291, point 46).
36 En l’occurrence, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, tout d’abord, il ressort du dossier soumis à la Cour que les informations figurant sur le site Internet www.xe.com indiquent que les taux de change qui y sont publiés sont ceux appliqués sur différents marchés monétaires, de sorte que les taux publiés par ce site correspondent à des taux réellement et fréquemment appliqués à des opérations de change et que, par conséquent, l’État membre concerné pouvait choisir de
tels taux aux fins de l’application de l’obligation de déclaration prévue à l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2018/1672.
37 Ensuite, ainsi que M^me l’avocate générale l’a souligné, en substance, au point 68 de ses conclusions, les autorités de l’État membre concerné avaient indiqué sur leur site Internet, ce qu’il appartient néanmoins à la juridiction de renvoi de vérifier, que les taux de change publiés sur le site www.xe.com étaient ceux devant être utilisés par les personnes physiques entrant ou sortant de l’Union afin de déterminer si l’obligation de déclaration prévue à cet article 3, paragraphe 1, leur
était applicable.
38 Par ailleurs, il semble également que les informations relatives au taux de change publiés sur ce site Internet soient gratuitement et librement accessibles, en ce que notamment aucun enregistrement n’est nécessaire pour y accéder, ce qu’il revient également à la juridiction de renvoi de vérifier.
39 En revanche, le dossier soumis à la Cour ne contient aucune indication quant à la question de savoir si les taux de change mentionnés sur le site www.xe.com sont fixés pour des périodes de temps donné ou s’ils fluctuent en continu et si, par suite, la requérante au principal était en mesure de déterminer, de manière certaine, au moment où elle a pris la décision de ne pas déclarer l’argent liquide qu’elle transportait, que l’obligation de déclaration prévue à l’article 3, paragraphe 1, du
règlement 2018/1672 lui était applicable.
40 Cela étant, eu égard à la portée du principe de sécurité juridique, dans l’hypothèse où le taux de change en cause en l’occurrence fluctuerait de manière continue, il en résulterait uniquement que la requérante au principal devrait se voir reconnaître le droit de se prévaloir du taux de change de la hryvnia ukrainienne en euro le plus avantageux publié par le site www.xe.com pendant une brève période de temps entourant le moment où il peut être raisonnablement considéré que celle-ci a pris
la décision d’entrer dans l’Union sans déclarer la somme d’argent en liquide qu’elle transportait.
41 Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2018/1672 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que, afin de déterminer si l’obligation de déclaration prévue à cette disposition s’applique, un État membre établisse la valeur d’une somme en liquide constituée de devises autres que l’euro pour la conversion desquelles la BCE ne publie pas de taux de change de référence, en se fondant sur le
taux mentionné sur un site Internet comme reflétant la parité entre l’euro et la devise en question à la date à laquelle la personne concernée est entrée ou sortie du territoire de l’Union, alors même que ce taux est plus élevé que celui mentionné sur un autre site Internet, pour autant que :
– premièrement, ce taux corresponde à l’un de ceux réellement et fréquemment appliqués à des opérations de change en euros de la devise concernée,
– deuxièmement, ledit taux ait été désigné par l’État membre concerné d’une manière claire, intelligible et univoque comme étant celui applicable à cette fin,
– troisièmement, l’information relative à ce même taux soit librement et facilement accessible et,
– quatrièmement, les personnes concernées aient été ainsi en mesure d’en prendre connaissance de manière certaine au plus tard au moment où elles sont entrées ou sorties du territoire de l’Union.
Sur les dépens
42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 3, paragraphe 1, du règlement (UE) 2018/1672 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2018, relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant dans l’Union ou sortant de l’Union et abrogeant le règlement (CE) n^o 1889/2005,
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à ce que, afin de déterminer si l’obligation de déclaration prévue à cette disposition s’applique, un État membre établisse la valeur d’une somme en liquide constituée de devises autres que l’euro pour la conversion desquelles la Banque centrale européenne (BCE) ne publie pas de taux de change de référence, en se fondant sur le taux mentionné sur un site Internet comme reflétant la parité entre l’euro et la devise en question à la date à laquelle la personne concernée est entrée
ou sortie du territoire de l’Union européenne, alors même que ce taux est plus élevé que celui mentionné sur un autre site Internet, pour autant que :
– premièrement, ce taux corresponde à l’un de ceux réellement et fréquemment appliqués à des opérations de change en euros de la devise concernée,
– deuxièmement, ledit taux ait été désigné par l’État membre concerné d’une manière claire, intelligible et univoque comme étant celui applicable à cette fin,
– troisièmement, l’information relative à ce même taux soit librement et facilement accessible et,
– quatrièmement, les personnes concernées aient été ainsi en mesure d’en prendre connaissance de manière certaine au plus tard au moment où elles sont entrées ou sorties du territoire de l’Union.
Signatures
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* Langue de procédure : l’estonien.
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i Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.