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10/04/2025 | CJUE | N°C-657/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, M. K. contre Ministerstvo zemědělství., 10/04/2025, C-657/23


 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

10 avril 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique agricole commune (PAC) – Financement, gestion et suivi de la PAC – Règlement (UE) no 1306/2013 – Financement par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) – Article 54 – Protection des intérêts financiers de l’Union européenne – Règlement (CE, Euratom) no 2988/95 – Article 3 – Recouvrement de montants indûment versés d’une subvention – Délai de prescription – Délai d’ordre »

Dans l’affair

e C‑657/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Nejvyšší s...

 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

10 avril 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique agricole commune (PAC) – Financement, gestion et suivi de la PAC – Règlement (UE) no 1306/2013 – Financement par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) – Article 54 – Protection des intérêts financiers de l’Union européenne – Règlement (CE, Euratom) no 2988/95 – Article 3 – Recouvrement de montants indûment versés d’une subvention – Délai de prescription – Délai d’ordre »

Dans l’affaire C‑657/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque), par décision du 4 octobre 2023, parvenue à la Cour le 7 novembre 2023, dans la procédure

M. K.

contre

Ministerstvo zemědělství,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. M. Gavalec (rapporteur), président de chambre, MM. Z. Csehi et F. Schalin, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : Mme R. Stefanova-Kamisheva, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 décembre 2024,

considérant les observations présentées :

– pour M. K., par Me F. Šimák, advokát,

– pour le Ministerstvo zemědělství, par M. R. Pokorný, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement tchèque, par Mmes J. Benešová, J. Očková, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement bulgare, par Mme T. Mitova et M. R. Stoyanov, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mmes L. Radu Bouyon et K. Walkerová, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 54, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) no 352/78, (CE) no 165/94, (CE) no 2799/98, (CE) no 814/2000, (CE) no 1290/2005 et no 485/2008 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 549, et rectificatif JO 2016, L 130, p. 13).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. K. au Ministerstvo zemědělství (ministère de l’Agriculture, République tchèque) au sujet d’une décision ordonnant le recouvrement des montants indûment versés d’une subvention auprès de M. K.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement (CE, Euratom) no 2988/95

3 Le troisième considérant du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO 1995, L 312, p. 1), énonce :

« [...] il importe [...] de combattre dans tous les domaines les atteintes aux intérêts financiers des Communautés [européennes] ».

4 Aux termes de l’article 1er de ce règlement :

« 1.   Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire.

2.   Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue. »

5 L’article 3 dudit règlement prévoit :

« 1.   Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l’irrégularité visée à l’article 1er, paragraphe 1. Toutefois, les réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans.

Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l’irrégularité a pris fin. Pour les programmes pluriannuels, le délai de prescription s’étend en tout cas jusqu’à la clôture définitive du programme.

La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l’autorité compétente et visant à l’instruction ou à la poursuite de l’irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif.

Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que l’autorité compétente ait prononcé une sanction, sauf dans les cas où la procédure administrative a été suspendue conformément à l’article 6 paragraphe 1.

2.   Le délai d’exécution de la décision prononçant la sanction administrative est de trois ans. Ce délai court à compter du jour où la décision devient définitive.

Les cas d’interruption et de suspension sont réglés par les dispositions pertinentes du droit national.

3.   Les États membres conservent la possibilité d’appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 et au paragraphe 2. »

Le règlement no 1306/2013

6 Le considérant 37 du règlement no 1306/2013 énonçait :

« (37) En cas de recouvrement de montants versés par le [Fonds européen agricole de garantie (FEAGA)], les sommes recouvrées devraient être à rembourser au Fonds dès lors qu’il s’agit de dépenses non conformes au droit de l’Union et pour lesquelles il n’existe aucun droit. Afin de laisser un laps de temps suffisant pour toutes les formalités administratives nécessaires, y compris les contrôles internes, les États membres devraient exiger le recouvrement des montants auprès du bénéficiaire dans un
délai de 18 mois à compter de l’approbation et, le cas échéant, de la réception par l’organisme payeur chargé du recouvrement d’un rapport de contrôle ou d’un document similaire, indiquant l’existence d’une irrégularité. Il convient de prévoir un système de responsabilité financière lorsque des irrégularités ont été commises et que le montant total n’a pas été recouvré. À cet effet, il convient d’établir une procédure permettant à la Commission [européenne] de préserver les intérêts du
budget de l’Union [européenne] en décidant d’imputer au compte de l’État membre concerné une partie des sommes qui ont été perdues en raison d’irrégularités et qui n’ont pas été récupérées dans un délai raisonnable. Dans certains cas de négligence de la part de l’État membre, il devrait être justifié d’imputer la totalité de la somme à l’État membre concerné. Toutefois, sous réserve du respect des obligations qui incombent aux États membres au titre de leurs procédures internes, il convient
de répartir de manière équitable la charge financière entre l’Union et l’État membre. Les mêmes règles devraient s’appliquer au [Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader)], sous réserve toutefois de l’exigence selon laquelle les sommes recouvrées ou annulées à la suite d’irrégularités restent à la disposition des programmes de développement rural approuvés dans l’État membre concerné étant donné qu’elles ont été attribuées à cet État. Il convient également d’établir des
dispositions sur l’obligation d’information incombant aux États membres. »

7 Aux termes de l’article 5 du règlement no 1306/2013, intitulé « Dépenses du Feader » :

« Le Feader est mis en œuvre en gestion partagée entre les États membres et l’Union. Le Feader finance la contribution financière de l’Union aux programmes de développement rural mis en œuvre conformément au droit de l’Union concernant le soutien au développement rural. »

8 Le titre IV du règlement no 1306/2013, intitulé « Gestion financière des Fonds », comportait un chapitre IV, intitulé « Apurement comptable », dont la section III était relative aux « Irrégularités ».

9 Au sein de cette section III, l’article 54 de ce règlement, intitulé « Dispositions communes », disposait :

« 1.   Pour tout paiement indu résultant d’irrégularités ou de négligences, les États membres exigent un recouvrement auprès du bénéficiaire dans un délai de 18 mois suivant l’approbation et, le cas échéant, la réception par l’organisme payeur ou l’organisme chargé du recouvrement d’un rapport de contrôle ou document similaire, indiquant l’existence d’une irrégularité. Parallèlement à la demande de recouvrement, les montants correspondants sont inscrits au grand livre des débiteurs de l’organisme
payeur.

2.   Si le recouvrement n’a pas eu lieu dans un délai de quatre ans après la date de la demande de recouvrement, ou dans un délai de huit ans lorsque celui-ci est porté devant les juridictions nationales, 50 % des conséquences financières du non-recouvrement sont pris en charge par l’État membre concerné et 50 % par le budget de l’Union, sans préjudice de l’obligation pour cet État membre de poursuivre les procédures de recouvrement en application de l’article 58.

Lorsque dans le cadre de la procédure de recouvrement, l’absence d’irrégularité est constatée par un acte administratif ou judiciaire ayant un caractère définitif, l’État membre concerné déclare aux Fonds comme dépense la charge financière supportée par lui en vertu du premier alinéa.

Toutefois, si, pour des raisons non imputables à l’État membre concerné, le recouvrement ne peut pas être effectué dans le délai indiqué au premier alinéa et si le montant à récupérer est supérieur à 1 million d’euros, la Commission peut, à la demande de l’État membre, prolonger le délai d’une durée correspondant au maximum à la moitié du délai initialement prévu.

3.   Pour des motifs dûment justifiés, les États membres peuvent décider de ne pas poursuivre le recouvrement. Cette décision ne peut être prise que dans les cas suivants :

a) lorsque les frais déjà engagés et risquant d’être engagés dépassent au total le montant à recouvrer, [...]

[...]

b) lorsque le recouvrement s’avère impossible à cause de l’insolvabilité du débiteur ou des personnes juridiquement responsables de l’irrégularité, constatée et admise conformément au droit national de l’État membre concerné.

Lorsque la décision visée au premier alinéa du présent paragraphe est prise avant que le montant dû ait été soumis aux règles visées au paragraphe 2, la conséquence financière du non-recouvrement est à la charge du budget de l’Union.

4.   Les conséquences financières à la charge de l’État membre en vertu du paragraphe 2 du présent article sont inscrites par l’État membre concerné dans les comptes annuels à transmettre à la Commission conformément à l’article 102, paragraphe 1, point c) iv). La Commission en vérifie l’application correcte et procède, le cas échéant, aux adaptations nécessaires dans l’acte d’exécution visé à l’article 51.

5.   La Commission peut, pour autant que la procédure établie à l’article 52, paragraphe 3, ait été suivie, adopter des actes d’exécution excluant du financement de l’Union les montants imputés au budget de l’Union dans les cas suivants :

a) si l’État membre n’a pas respecté les délais visés au paragraphe 1 ;

b) si elle considère que la décision de ne pas poursuivre le recouvrement prise par l’État membre conformément au paragraphe 3 n’est pas justifiée ;

c) si elle considère que les irrégularités ou l’absence de recouvrement résultent d’irrégularités ou de négligences imputables à l’administration ou à un service ou organisme d’un État membre.

Ces actes d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure consultative visée à l’article 116, paragraphe 2. »

10 Au sein de ladite section III, l’article 56 dudit règlement, intitulé « Dispositions spécifiques au Feader », prévoyait :

« Les États membres effectuent les redressements financiers résultant des irrégularités ou des négligences détectées dans les opérations ou les programmes de développement rural par la suppression totale ou partielle du financement de l’Union concerné. Les États membres prennent en considération la nature et la gravité des irrégularités constatées, ainsi que le niveau de la perte financière pour le Feader.

Les montants retirés du financement de l’Union au titre du Feader et les montants recouvrés ainsi que les intérêts y afférents sont réaffectés au programme concerné. Toutefois, les fonds de l’Union supprimés ou récupérés ne peuvent être réutilisés par l’État membre que pour une opération prévue dans le même programme de développement rural, et sous réserve que ces fonds ne soient pas réaffectés aux opérations ayant fait l’objet d’un redressement financier. Après la clôture d’un programme de
développement rural, l’État membre reverse les montants recouvrés au budget de l’Union. »

11 Le titre V du règlement no 1306/2013, intitulé « Systèmes de contrôle et sanctions », comportait un chapitre I, intitulé « Règles générales », dont faisaient partie les articles 58 à 66 de celui-ci.

12 L’article 58 de ce règlement, intitulé « Protection des intérêts financiers de l’Union », disposait, à son paragraphe 1 :

« 1.   Les États membres prennent, dans le cadre de la [politique agricole commune (PAC)], toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives, ainsi que toute autre mesure nécessaire pour assurer une protection efficace des intérêts financiers de l’Union, en particulier pour :

[...]

e) recouvrer les paiements indus et les intérêts et engager les procédures judiciaires nécessaires à cette fin, le cas échéant. »

Le droit tchèque

13 La juridiction de renvoi explique que, à la date du paiement de la subvention en cause au principal, à savoir le 7 juillet 2015, l’ordre juridique tchèque ne prévoyait pas de délai de prescription pour le recouvrement d’une subvention indûment versée auprès du bénéficiaire de celle-ci.

Le litige au principal et la question préjudicielle

14 Le 28 juin 2012, M. K., une personne physique tchèque, a introduit une demande de subvention au titre du programme de développement rural pour la République tchèque, mesure III.1.2 « Aide à la création d’entreprises et à leur développement » (ci-après le « PDR »), pour un projet intitulé « Adaptation d’un bâtiment en vue d’une activité commerciale ».

15 Le 13 mars 2013, en signant une convention de subvention, M. K. s’engageait à respecter les règles du PDR.

16 Le 7 juillet 2015, une subvention d’un montant de 5239422 couronnes tchèques (CZK) (environ 210000 euros) a été versée à M. K. au titre du projet concerné.

17 À la suite d’un contrôle de ce projet, ayant eu lieu le 29 avril 2016, le Státní zemědělský intervenční fond (Fonds d’intervention agricole), dans un avis du 24 mai 2016, a constaté que le bâtiment en cause n’avait pas été utilisé pour les besoins de l’activité commerciale concernée et que la violation des règles du PDR par M. K. impliquait une réduction de la subvention versée à concurrence de 100 % de son montant.

18 Le 12 septembre 2016, cet avis a été confirmé par la commission de réexamen du ministère de l’Agriculture.

19 Le 11 juin 2018, le Fonds d’intervention agricole a adopté une décision ordonnant le recouvrement, auprès de M. K., de l’intégralité des fonds qui lui avaient été ainsi indûment versés, soit un montant de 5239422 CZK.

20 Le 7 mai 2020, le ministère de l’Agriculture a rejeté le recours administratif formé par M. K. contre cette décision.

21 Saisi du recours judiciaire de M. K. contre la décision portant rejet de ce recours administratif, le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague, République tchèque), après avoir examiné le grief tiré de l’extinction du droit de l’État membre concerné d’exiger le recouvrement de la subvention en cause au principal auprès de M. K., au motif que la demande de recouvrement de cette subvention avait été formée par les autorités compétentes tchèques après l’expiration du délai de 18 mois prévu à
l’article 54, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, a considéré que ce droit n’était pas éteint en l’occurrence, car ce délai constituait un délai d’ordre et non pas un délai de prescription, seul le non-respect de ce dernier étant susceptible d’entraîner une extinction dudit droit.

22 Par son arrêt, cette juridiction s’est écartée, à cet égard, de la jurisprudence du Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque), qui est la juridiction de renvoi, issue d’une décision de la neuvième chambre de cette dernière, ayant jugé qu’un délai tel que celui en cause au principal était un délai de prescription.

23 L’arrêt rendu par le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague) a fait l’objet d’un pourvoi en cassation devant la juridiction de renvoi, au sein de laquelle l’affaire au principal a été attribuée à la cinquième chambre.

24 Or, la cinquième chambre de la juridiction de renvoi a renvoyé cette affaire à la chambre élargie de cette juridiction, car elle a estimé que, le délai de 18 mois prévu à l’article 54, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013 étant un délai d’ordre et l’État membre concerné étant ainsi en droit d’exiger le recouvrement des paiements indus auprès du bénéficiaire de la subvention en cause même après l’expiration de ce délai, il était nécessaire de se départir de la jurisprudence nationale existante.

25 La juridiction de renvoi souligne qu’elle est tenue de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle, en raison, tout d’abord, de l’existence d’une divergence dans sa propre jurisprudence en ce qui concerne la qualification du délai prévu à l’article 54, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, ensuite, de la circonstance que l’une des interprétations envisageables ne peut pas être considérée comme étant claire, plausible et manifestement plus convaincante que les autres et, enfin, de
l’absence de réponse ressortant à cet égard de la jurisprudence de la Cour.

26 S’agissant de l’interprétation à adopter de l’article 54, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, la juridiction de renvoi fait remarquer, d’une part, que, à la différence du délai prévu à l’article 54, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, celui figurant à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2988/95 est expressément qualifié de délai de prescription.

27 D’autre part, cette juridiction relève que l’article 54, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013 régit la relation entre l’État membre concerné et l’Union, et non celle entre cet État membre et le bénéficiaire de la subvention en cause.

28 En revanche, en faisant référence à l’arrêt du 8 mai 2019, Järvelaev (C‑580/17, EU:C:2019:391), ladite juridiction indique que les points 95 et 96 de celui-ci peuvent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une interprétation selon laquelle le délai de 18 mois prévu à l’article 54, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013 est à la fois un délai d’ordre, dans la relation entre l’État membre concerné et l’Union, et un délai de prescription, dans la relation entre cet État membre et le
bénéficiaire de la subvention en cause.

29 C’est dans ce contexte que le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 54, paragraphe 1, du règlement [no 1306/2013] doit-il être interprété en ce sens que le droit de l’État membre d’exiger le recouvrement des paiements indus auprès du bénéficiaire s’éteint par l’expiration du délai de 18 mois prévu à cette disposition ? »

Sur la question préjudicielle

30 À titre liminaire, il convient de relever que, si la question posée vise uniquement l’article 54, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, en ce qui concerne l’extinction du droit de l’État membre concerné d’exiger le recouvrement des paiements indus d’une subvention relevant du Feader auprès du bénéficiaire de celle-ci, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi s’interroge en réalité sur le point de savoir si cette disposition instaure un délai de
prescription dans la relation entre cet État membre et ce bénéficiaire, excluant l’application du délai de prescription prévu à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2988/95.

31 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, par sa question, cette juridiction demande, en substance, si l’article 54, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 2988/95, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que la procédure de recouvrement des montants indûment versés d’une subvention relevant du Feader auprès du bénéficiaire de celle-ci puisse être engagée après l’expiration du délai de
18 mois suivant l’approbation et, le cas échéant, la réception par l’organisme payeur ou l’organisme chargé du recouvrement d’un rapport de contrôle ou d’un document similaire, indiquant l’existence d’une irrégularité.

32 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 2988/95 introduit une « réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit [de l’Union] », et ce, ainsi qu’il ressort du troisième considérant de ce règlement, afin de « combattre dans tous les domaines les atteintes aux intérêts financiers [de l’Union] » (arrêts du 24 juin 2004, Handlbauer, C‑278/02,
EU:C:2004:388, point 31, et du 22 décembre 2010, Corman, C‑131/10, EU:C:2010:825, point 36).

33 Comme il résulte de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 2988/95, ces mesures administratives peuvent consister dans un retrait de l’avantage indûment obtenu par l’obligation de rembourser les montants indûment versés sans toutefois revêtir le caractère d’une sanction (voir, en ce sens, arrêts du 17 septembre 2014, Cruz & Companhia, C‑341/13, EU:C:2014:2230, point 45, ainsi que du 7 avril 2022, IFAP, C‑447/20 et C‑448/20, EU:C:2022:265, point 46).

34 Ainsi, le délai de prescription visé à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2988/95 est applicable tant aux irrégularités conduisant à l’infliction d’une sanction administrative, au sens de l’article 5 de ce règlement, qu’à des irrégularités, telles que celles en cause au principal, faisant l’objet d’une mesure administrative tendant au recouvrement de l’avantage indûment obtenu, conformément à l’article 4 dudit règlement (voir, en ce sens, arrêts du 2 mars 2017, Glencore Céréales France,
C‑584/15, EU:C:2017:160, point 26 et jurisprudence citée, ainsi que du 6 février 2025, Emporiki Serron – Emporias kai Diathesis Agrotikon Proionton, C‑42/24, EU:C:2025:56, point 18).

35 L’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 2988/95 fixe, en matière de poursuites, un délai de prescription qui s’applique notamment à l’égard de telles mesures administratives et qui court à partir de la réalisation de l’irrégularité concernée, cette dernière visant, aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, de ce règlement, « [t]oute violation d’une disposition du droit [de l’Union] résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de
porter préjudice au budget général [de l’Union] » (arrêts du 29 janvier 2009, Josef Vosding Schlacht-, Kühl- und Zerlegebetrieb e.a., C‑278/07 à C‑280/07, EU:C:2009:38, point 21, ainsi que du 7 avril 2022, IFAP, C‑447/20 et C‑448/20, EU:C:2022:265, point 47).

36 En adoptant le règlement no 2988/95, en particulier l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de celui-ci, le législateur de l’Union a décidé d’instituer une règle générale de prescription par laquelle il entendait, d’une part, définir un délai minimal appliqué dans tous les États membres et, d’autre part, exclure la possibilité de poursuivre une irrégularité portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union après l’écoulement d’une période de quatre années postérieure à la réalisation de
cette irrégularité (voir, en ce sens, arrêts du 29 janvier 2009, Josef Vosding Schlacht‑, Kühl- und Zerlegebetrieb e.a., C‑278/07 à C‑280/07, EU:C:2009:38, point 27, ainsi que du 7 avril 2022, IFAP, C‑447/20 et C‑448/20, EU:C:2022:265, point 48).

37 Cet article 3, paragraphe 1, premier alinéa, précise, à sa seconde phrase, que ce délai de prescription de quatre ans est applicable en l’absence de « réglementations sectorielles », à savoir celles adoptées au niveau de l’Union et non pas au niveau national, prévoyant « un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans » (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2010, Corman, C‑131/10, EU:C:2010:825, points 41 et 42 ainsi que jurisprudence citée).

38 Il en résulte que, à partir de la date d’entrée en vigueur du règlement no 2988/95, toute irrégularité portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union peut, en principe et excepté dans des secteurs pour lesquels le législateur de l’Union a prévu un délai inférieur, être poursuivie par les autorités compétentes des États membres dans un délai de quatre années (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, point 117 et jurisprudence citée).

39 Toutefois, dans la mesure où le législateur de l’Union a choisi de créer, dans une autre réglementation générale ou dans une réglementation sectorielle, une obligation de récupérer les fonds mal employés ou irrégulièrement obtenus, c’est cette réglementation qui constitue le fondement juridique pertinent aux fins de la récupération de ces fonds (arrêt du 4 octobre 2024, Commission/PB, C‑721/22 P, EU:C:2024:836, point 53 et jurisprudence citée).

40 Ainsi, lorsque le recouvrement des sommes indûment versées, telles que celles en cause au principal, dans le cadre d’un programme d’aide, approuvé et cofinancé par le Feader au titre de la période de programmation 2007-2013, intervient après la fin de cette période de programmation, à savoir après le 1er janvier 2014, ce recouvrement doit être fondé sur les dispositions du règlement no 1306/2013, et notamment sur l’article 56 de ce règlement [arrêt du 29 février 2024, Eesti Vabariik
(Põllumajanduse Registrite ja Informatsiooni Amet), C‑437/22, EU:C:2024:176, point 44 et jurisprudence citée].

41 À cet égard, il convient de relever que l’article 54 du règlement no 1306/2013, figurant au titre IV de ce règlement, intitulé « Gestion financière des Fonds », et, plus précisément, au chapitre IV de celui-ci, intitulé « Apurement comptable » dispose, à son paragraphe 1, de manière générale, que « [p]our tout paiement indu résultant d’irrégularités ou de négligences, les États membres exigent un recouvrement auprès du bénéficiaire ».

42 L’article 54 du règlement no 1306/2013 régit, dans le cadre du système de responsabilité financière relatif aux irrégularités à la suite desquelles des montants indûment versés d’une subvention doivent être recouvrés auprès du bénéficiaire de celle-ci, la répartition des conséquences financières entre le budget de l’Union et le budget de l’État membre chargé du recouvrement de ces montants.

43 Dans ce cadre, cet article 54, paragraphe 1, prévoit un délai de 18 mois, à compter de la constatation formelle de l’existence d’une irrégularité, dans lequel les États membres « devraient » exiger le recouvrement des montants auprès du bénéficiaire concerné, sous peine de se voir imputer des montants de la subvention concernée, conformément audit article 54, paragraphe 5, sous a).

44 En effet, conformément à cette dernière disposition, la Commission peut, pour autant que la procédure établie à l’article 52, paragraphe 3, du règlement no 1306/2013 ait été suivie, adopter des actes d’exécution excluant du financement de l’Union les montants imputés au budget de l’Union si l’État membre concerné n’a pas respecté le délai de 18 mois visé à l’article 54, paragraphe 1, de ce règlement.

45 En outre, aux termes du considérant 37 dudit règlement, « les États membres devraient exiger le recouvrement des montants auprès du bénéficiaire dans un délai de 18 mois à compter de l’approbation et, le cas échéant, de la réception par l’organisme payeur chargé du recouvrement d’un rapport de contrôle ou d’un document similaire, indiquant l’existence d’une irrégularité », étant observé qu’« [i]l convient de prévoir un système de responsabilité financière lorsque des irrégularités ont été
commises et que le montant total n’a pas été recouvré » et qu’« il convient d’établir une procédure permettant à la Commission de préserver les intérêts du budget de l’Union en décidant d’imputer au compte de l’État membre concerné une partie des sommes qui ont été perdues en raison d’irrégularités et qui n’ont pas été récupérées dans un délai raisonnable ».

46 Dès lors, un État membre qui constate l’existence d’une irrégularité est tenu de procéder au recouvrement de la subvention indûment versée et doit, en particulier, exiger un recouvrement auprès du bénéficiaire dans un délai de 18 mois suivant l’approbation et, le cas échéant, la réception par l’organisme payeur ou l’organisme chargé du recouvrement d’un rapport de contrôle ou d’un document similaire, indiquant l’existence d’une irrégularité. Il s’ensuit qu’un État membre peut et, dans l’intérêt
d’une bonne gestion financière des ressources de l’Union, doit procéder à ce recouvrement dans les meilleurs délais (arrêt du 8 mai 2019, Järvelaev, C‑580/17, EU:C:2019:391, points 95 et 96).

47 Il en découle que l’article 54, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, visant le recouvrement de montants indûment versés en raison d’une irrégularité auprès du bénéficiaire concerné, porte sur la relation financière entre l’Union et l’État membre concerné, de sorte que cette disposition ne s’applique pas à la relation entre ce dernier et le bénéficiaire des paiements indus.

48 Ainsi, l’expiration du délai de 18 mois suivant l’approbation et, le cas échéant, la réception par l’organisme payeur ou l’organisme chargé du recouvrement d’un rapport de contrôle ou d’un document similaire, indiquant l’existence d’une irrégularité, au sens de cette disposition, ne saurait entraîner l’extinction du droit d’un État membre d’exiger le recouvrement des paiements indus d’une subvention auprès du bénéficiaire de celle-ci. En revanche, l’expiration de ce délai est susceptible
d’entraîner pour cet État membre des conséquences relatives aux obligations qui lui incombent en matière de gestion financière des ressources provenant du budget de l’Union.

49 Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 54, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 2988/95, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que la procédure de recouvrement des montants indûment versés d’une subvention relevant du Feader auprès du bénéficiaire de celle-ci puisse être engagée après l’expiration du délai de 18 mois suivant l’approbation
et, le cas échéant, la réception par l’organisme payeur ou l’organisme chargé du recouvrement d’un rapport de contrôle ou d’un document similaire, indiquant l’existence d’une irrégularité.

Sur les dépens

50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

  L’article 54, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) no 352/78, (CE) no 165/94, (CE) no 2799/98, (CE) no 814/2000, (CE) no 1290/2005 et no 485/2008 du Conseil, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection
des intérêts financiers des Communautés européennes,

  doit être interprété en ce sens que :

  il ne s’oppose pas à ce que la procédure de recouvrement des montants indûment versés d’une subvention relevant du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) auprès du bénéficiaire de celle-ci puisse être engagée après l’expiration du délai de 18 mois suivant l’approbation et, le cas échéant, la réception par l’organisme payeur ou l’organisme chargé du recouvrement d’un rapport de contrôle ou d’un document similaire, indiquant l’existence d’une irrégularité.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le tchèque.


Synthèse
Formation : Septième chambre
Numéro d'arrêt : C-657/23
Date de la décision : 10/04/2025

Analyses

Renvoi préjudiciel – Politique agricole commune (PAC) – Financement, gestion et suivi de la PAC – Règlement (UE) no 1306/2013 – Financement par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) – Article 54 – Protection des intérêts financiers de l’Union européenne – Règlement (CE, Euratom) no 2988/95 – Article 3 – Recouvrement de montants indûment versés d’une subvention – Délai de prescription – Délai d’ordre.


Parties
Demandeurs : M. K.
Défendeurs : Ministerstvo zemědělství.

Origine de la décision
Date de l'import : 12/04/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:263

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