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10/04/2025 | CJUE | N°C-607/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, XXX contre État belge., 10/04/2025, C-607/21


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

10 avril 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union – Directive 2004/38/CE – Droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres – Article 3 – Bénéficiaires – Article 2, point 2, sous d) – Membre de la famille – Ascendant direct du partenaire d’un citoyen de l’Union à la charge de ce citoyen de l’Union et/ou de ce partenaire – Appréciation de la condition d’être “à charge” – Date pe

rtinente pour déterminer la dépendance
matérielle – Article 10 – Conditions pour la délivrance d’une carte de séjo...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

10 avril 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union – Directive 2004/38/CE – Droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres – Article 3 – Bénéficiaires – Article 2, point 2, sous d) – Membre de la famille – Ascendant direct du partenaire d’un citoyen de l’Union à la charge de ce citoyen de l’Union et/ou de ce partenaire – Appréciation de la condition d’être “à charge” – Date pertinente pour déterminer la dépendance
matérielle – Article 10 – Conditions pour la délivrance d’une carte de séjour – Caractère déclaratif d’une carte de séjour – Introduction dans l’État membre d’accueil d’une demande de carte de séjour plusieurs années après le départ du pays d’origine – Incidence d’une situation de séjour irrégulier en application de la réglementation nationale sur l’appréciation de la condition d’être “à charge” »

Dans l’affaire C‑607/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (Belgique), par décision du 14 septembre 2021, parvenue à la Cour le 30 septembre 2021, dans la procédure

XXX

contre

État belge,

LA COUR (première chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, M. T. von Danwitz, vice‑président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, MM. A. Kumin (rapporteur), M. Gavalec et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : Mme M. Siekierzyńska, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 juin 2024,

considérant les observations présentées :

– pour XXX, par Mes S. Janssens et P. Vanwelde, avocats,

– pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs, C. Pochet et M. Van Regemorter, en qualité d’agents, assistées de Mes E. Derriks et K. de Haes, avocats,

– pour le gouvernement tchèque, par Mme A. Edelmannová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement danois, par M. M. Jespersen, Mmes V. Pasternak Jørgensen, M. Søndahl Wolff et Y. Thyregod Kollberg, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mmes A. Azéma, F. Blanc et E. Montaguti, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 19 septembre 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, point 2, sous d), de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE
et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, et rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35 ; JO 2005, L 197, p. 34, ainsi que JO 2007, L 204, p. 28).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant XXX à l’État belge au sujet du rejet d’une demande de carte de séjour présentée en qualité de membre de la famille d’un citoyen de l’Union.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Aux termes des considérants 5, 10, 13, 14, 17 et 18 de la directive 2004/38 :

« (5) Le droit de tous les citoyens de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres devrait, pour qu’il puisse s’exercer dans des conditions objectives de liberté et de dignité, être également accordé aux membres de leur famille quelle que soit leur nationalité. Aux fins de la présente directive, la définition de “membre de la famille” devrait aussi comprendre les partenaires enregistrés si la législation de l’État membre d’accueil considère le partenariat
enregistré comme équivalent à un mariage.

[...]

(10) Il convient cependant d’éviter que les personnes exerçant leur droit de séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant une première période de séjour. L’exercice du droit de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leur famille, pour des périodes supérieures à trois mois, devrait, dès lors, rester soumis à certaines conditions.

[...]

(13) Il convient de limiter l’obligation d’avoir une carte de séjour aux membres de la famille des citoyens de l’Union qui ne sont pas ressortissants d’un État membre pour les périodes de séjour supérieures à trois mois.

(14) Les justificatifs requis par les autorités compétentes pour la délivrance d’une attestation d’enregistrement ou d’une carte de séjour devraient être précisés de manière exhaustive, afin d’éviter que des pratiques administratives ou des interprétations divergentes ne constituent un obstacle disproportionné à l’exercice du droit de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leur famille.

[...]

(17) La jouissance d’un séjour permanent pour les citoyens de l’Union qui ont choisi de s’installer durablement dans l’État membre d’accueil renforcerait le sentiment de citoyenneté de l’Union et est un élément clef pour promouvoir la cohésion sociale, qui est l’un des objectifs fondamentaux de l’Union. Il convient dès lors de prévoir un droit de séjour permanent pour tous les citoyens de l’Union et les membres de leur famille qui ont séjourné dans l’État membre d’accueil, conformément aux
conditions fixées par la présente directive, au cours d’une période continue de cinq ans, pour autant qu’ils n’aient pas fait l’objet d’une mesure d’éloignement.

(18) En vue de constituer un véritable moyen d’intégration dans la société de l’État membre d’accueil dans lequel le citoyen de l’Union réside, le droit de séjour permanent ne devrait être soumis à aucune autre condition une fois qu’il a été obtenu ».

4 L’article 2 de cette directive énonce :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

2) “membre de la famille” :

[...]

b) le partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d’un État membre, si, conformément à la législation de l’État membre d’accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l’État membre d’accueil ;

[...]

d) les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ;

3) “État membre d’accueil” : l’État membre dans lequel se rend un citoyen de l’Union en vue d’exercer son droit de circuler et de séjourner librement. »

5 L’article 3 de ladite directive prévoit :

« 1.   La présente directive s’applique à tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu’aux membres de sa famille, tels que définis à l’article 2, point 2), qui l’accompagnent ou le rejoignent.

2.   Sans préjudice d’un droit personnel à la libre circulation et au séjour de l’intéressé, l’État membre d’accueil favorise, conformément à sa législation nationale, l’entrée et le séjour des personnes suivantes :

a) tout autre membre de la famille, quelle que soit sa nationalité, qui n’est pas couvert par la définition figurant à l’article 2, point 2), si, dans le pays de provenance, il est à charge ou fait partie du ménage du citoyen de l’Union bénéficiaire du droit de séjour à titre principal, ou lorsque, pour des raisons de santé graves, le citoyen de l’Union doit impérativement et personnellement s’occuper du membre de la famille concerné ;

[...] »

6 L’article 7 de la directive 2004/38 dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois :

a) s’il est un travailleur salarié ou non salarié dans l’État membre d’accueil ; ou

b) s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil ; ou,

c) – s’il est inscrit dans un établissement privé ou public, agréé ou financé par l’État membre d’accueil sur la base de sa législation ou de sa pratique administrative, pour y suivre à titre principal des études, y compris une formation professionnelle et

– s’il dispose d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil et garantit à l’autorité nationale compétente, par le biais d’une déclaration ou par tout autre moyen équivalent de son choix, qu’il dispose de ressources suffisantes pour lui-même et pour les membres de sa famille afin d’éviter de devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de leur période de séjour ; ou

d) si c’est un membre de la famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l’Union qui lui-même satisfait aux conditions énoncées aux points a), b) ou c).

2.   Le droit de séjour prévu au paragraphe 1 s’étend aux membres de la famille n’ayant pas la nationalité d’un État membre lorsqu’ils accompagnent ou rejoignent dans l’État membre d’accueil le citoyen de l’Union, pour autant que ce dernier satisfasse aux conditions énoncées au paragraphe 1, points a), b) ou c). »

7 Aux termes de l’article 9, paragraphes 1 et 2, de cette directive :

« 1.   Les États membres délivrent une carte de séjour aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union qui n’ont pas la nationalité d’un État membre lorsque la durée du séjour envisagé est supérieure à trois mois.

2.   Le délai imparti pour introduire la demande de carte de séjour ne peut pas être inférieur à trois mois à compter de la date d’arrivée. »

8 L’article 10 de ladite directive énonce :

« 1.   Le droit de séjour des membres de la famille d’un citoyen de l’Union qui n’ont pas la nationalité d’un État membre est constaté par la délivrance d’un document dénommé “Carte de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union” au plus tard dans les six mois suivant le dépôt de la demande. Une attestation du dépôt de la demande de carte de séjour est délivrée immédiatement.

2.   Pour la délivrance de la carte de séjour, les États membres demandent la présentation des documents suivants :

a) un passeport en cours de validité ;

b) un document attestant l’existence d’un lien de parenté ou d’un partenariat enregistré ;

c) l’attestation d’enregistrement ou, en l’absence d’un système d’enregistrement, une autre preuve du séjour dans l’État membre d’accueil du citoyen de l’Union qu’ils accompagnent ou rejoignent ;

d) dans les cas visés à l’article 2, [point] 2, [sous] c) et d), les pièces justificatives attestant que les conditions énoncées dans cette disposition sont remplies ;

[...] »

9 L’article 14 de la directive 2004/38 prévoit, à son paragraphe 2 :

« Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu aux articles 7, 12 et 13 tant qu’ils répondent aux conditions énoncées dans ces articles.

Dans certains cas spécifiques lorsqu’il est permis de douter qu’un citoyen de l’Union ou les membres de sa famille remplissent les conditions énoncées aux articles 7, 12 et 13, les États membres peuvent vérifier si c’est effectivement le cas. Cette vérification n’est pas systématique. »

10 Aux termes de l’article 15, paragraphe 1, de cette directive :

« Les procédures prévues aux articles 30 et 31 s’appliquent par analogie à toute décision limitant la libre circulation d’un citoyen de l’Union ou des membres de sa famille prise pour des raisons autres que d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. »

11 L’article 16, paragraphes 1 et 2, de ladite directive dispose :

« 1.   Les citoyens de l’Union ayant séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans sur le territoire de l’État membre d’accueil acquièrent le droit de séjour permanent sur son territoire. Ce droit n’est pas soumis aux conditions prévues au chapitre III.

2.   Le paragraphe 1 s’applique également aux membres de la famille qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui ont séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans avec le citoyen de l’Union dans l’État membre d’accueil. »

Le droit belge

12 L’article 40 bis de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (Moniteur belge du 31 décembre 1980, p. 14584), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi du 15 décembre 1980 »), dispose :

« § 1.   Sans préjudice de dispositions plus favorables contenues dans les lois ou les règlements européens dont les membres de famille du citoyen de l’Union pourraient se prévaloir, les dispositions ci-après leur sont applicables.

§ 2.   Sont considérés comme membres de famille du citoyen de l’Union :

[...]

4° les ascendants et les ascendants de son conjoint ou partenaire visé [aux points] 1° ou 2°, qui sont à leur charge, qui les accompagnent ou les rejoignent ;

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13 XXX, de nationalité marocaine, est la mère d’un ressortissant belge qui réside en Belgique avec sa partenaire Mme N. E. K., qui est de nationalité néerlandaise et qui a fait une déclaration de cohabitation avec le fils de XXX devant l’officier d’état civil d’Anderlecht (Belgique) le 11 février 2005.

14 XXX est entrée sur le territoire belge le 25 juillet 2011, munie d’un passeport revêtu d’un visa délivré par les autorités néerlandaises, valable jusqu’au 14 octobre 2011.

15 Le 21 septembre 2011, elle a introduit, auprès des autorités belges, une demande de carte de séjour en tant qu’ascendante directe à la charge de son fils.

16 Cette demande a été rejetée par l’État belge au motif que, à la suite d’une modification, la législation belge ne prévoyait plus le regroupement familial pour les ascendants directs des personnes ayant la nationalité belge.

17 Le 26 juin 2015, XXX a introduit une deuxième demande de carte de séjour, mais cette fois-ci en qualité de membre de la famille de Mme N. E. K.

18 Il ressort du dossier dont dispose la Cour que cette demande a été rejetée par l’État belge au motif, premièrement, que XXX n’avait pas fourni la preuve que les membres de la famille rejoints disposaient de ressources suffisantes pour la prendre en charge et, deuxièmement, que les documents produits en vue de démontrer l’existence d’un lien actuel de dépendance entre XXX et ces membres de la famille étaient trop anciens pour pouvoir être pris en considération. Ce rejet a été accompagné d’un ordre
de quitter le territoire belge. En outre, par un arrêt du 14 avril 2016, le Conseil du contentieux des étrangers (Belgique), en se fondant seulement sur le premier de ces motifs, a confirmé ledit rejet ainsi que cet ordre de quitter le territoire belge.

19 Le 9 novembre 2017, XXX a introduit une troisième demande de carte de séjour, en s’appuyant, à nouveau, sur sa qualité de membre de la famille de Mme N. E. K.

20 Cette demande a également été rejetée par l’État belge, qui s’est fondé, à cet égard, notamment, sur le second des motifs visés au point 18 du présent arrêt. De fait, les documents produits comme preuve de l’indigence de XXX seraient tous datés de l’année 2011. De même, les documents produits comme preuve de l’aide financière fournie par le ménage rejoint concerneraient les années 2010 et 2011. Partant, l’ensemble de ces documents serait trop ancien pour établir la prise en charge de XXX dans son
pays d’origine par ce ménage avant l’introduction de ladite demande.

21 Par arrêt du 30 août 2019, le Conseil du contentieux des étrangers a rejeté le recours introduit par XXX contre le rejet de la même demande, notamment en se basant sur les précisions apportées par la Cour dans son arrêt du 9 janvier 2007, Jia (C‑1/05, EU:C:2007:1), quant à la notion de « personne à charge ». Selon cette juridiction nationale, l’ascendant direct doit démontrer qu’il a été à la charge du citoyen de l’Union dans le pays d’origine ou de provenance au moment où il demande à rejoindre
ce citoyen. Il en résulterait qu’il ne suffirait pas, pour pouvoir considérer que cet ascendant est à la charge du membre de la famille rejoint, que ce dernier dispose de ressources suffisantes ou qu’il cohabite avec ledit ascendant. En effet, l’ascendant direct devrait établir que le soutien matériel du membre de la famille rejoint lui était nécessaire au moment de sa demande de carte de séjour. Or, les documents produits par XXX comme preuve de son indigence ou de l’aide financière du ménage
rejoint tendraient à prouver qu’une prétendue situation de dépendance financière de celle-ci à l’égard du ménage rejoint existait en 2010 et 2011, alors que la demande de carte de séjour a été introduite le 9 novembre 2017, soit six ou sept ans plus tard. Partant, ces documents seraient trop anciens pour établir que XXX était à la charge du ménage rejoint à la date de cette demande.

22 XXX a introduit un recours devant le Conseil d’État (Belgique), qui est la juridiction de renvoi, tendant à l’annulation de l’arrêt du 30 août 2019. À l’appui de son recours, XXX fait valoir, notamment, que cet arrêt méconnaîtrait la notion de « personne à charge », au sens de l’article 2, point 2, sous d), de la directive 2004/38, ainsi que l’article 7, paragraphe 2, et l’article 10, paragraphe 2, sous d), de celle-ci.

23 La juridiction de renvoi relève que l’interprétation donnée par la Cour de cette notion ne permettrait pas de déterminer si celle-ci s’applique dans une situation dans laquelle, d’une part, la personne demandant à bénéficier d’un droit de séjour se trouvait déjà depuis de nombreuses années sur le territoire de l’État membre où est établi le citoyen de l’Union rejoint et, d’autre part, cette personne avait déjà introduit, depuis son arrivée sur ce territoire, plusieurs demandes de carte de séjour
qui n’avaient pas été couronnées de succès. Cette juridiction se demande si, dans une telle situation, lors de l’examen d’une nouvelle demande de carte de séjour, l’exigence selon laquelle le membre de la famille doit être « à charge » s’apprécie en tenant compte de la situation existant à la date de l’introduction de cette nouvelle demande ou, au contraire, en tenant compte de la situation antérieure à celle-ci, à savoir celle existant dans le pays d’origine avant que ladite personne n’eût
rejoint le citoyen de l’Union sur le territoire de l’État membre d’accueil.

24 C’est dans ce contexte que le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes :

« 1) Dans le cadre de l’examen de la notion de personne à charge au sens de l’article 2, [point 2, sous d),] de la directive [2004/38], y a‑t‑il lieu de tenir compte de la situation d’un demandeur qui se trouve déjà sur le territoire de l’État dans lequel est établi le regroupant ?

2) En cas de réponse positive à la première question, y a-t-il lieu d’établir une différence de traitement entre le demandeur qui se trouve régulièrement sur le territoire de cet État et le demandeur qui s’y trouve irrégulièrement ?

3) L’article 2, [point 2, sous d),] de la directive [2004/38] doit-il être interprété en ce sens que, pour pouvoir être considéré comme étant à charge et relever ainsi de la définition de “membre de la famille” visée par cette disposition, l’ascendant direct [peut] se [prévaloir] d’une situation de dépendance matérielle réelle dans le pays d’origine établie par des documents qui, au moment où est introduite la demande de carte de séjour en tant que membre de la famille d’un citoyen européen, ont
toutefois été délivrés depuis plusieurs années, au motif que le départ du pays d’origine et le dépôt de la demande de carte [de] séjour dans l’État membre d’accueil ne sont pas concomitants dans le temps ?

4) En cas de réponse négative à la troisième question, quels sont les critères permettant d’apprécier la situation de dépendance matérielle d’un demandeur qui demande à pouvoir rejoindre un citoyen européen ou son partenaire, en qualité d’ascendant, sans avoir pu bénéficier d’un titre de séjour sur la base d’une demande introduite dans la foulée de son départ du pays d’origine ? »

La procédure devant la Cour

25 Par décision du président de la Cour du 28 octobre 2022, la procédure dans la présente affaire a été suspendue, en application de l’article 55, paragraphe 1, sous b), du règlement de procédure de la Cour, dans l’attente de la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑488/21.

26 À la suite du prononcé de l’arrêt du 21 décembre 2023, Chief Appeals Officer e.a. (C‑488/21, EU:C:2023:1013), la Cour a communiqué à la juridiction de renvoi dans la présente affaire une copie de cet arrêt et lui a demandé si, à la lumière de celui-ci, elle souhaitait maintenir ou retirer ses questions préjudicielles. Par lettre du 19 janvier 2024, cette juridiction a répondu à la Cour qu’elle souhaitait maintenir l’ensemble de ses questions préjudicielles.

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et troisième questions

27 Par ses première et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, point 2, sous d), de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens que, afin de déterminer si l’ascendant direct du partenaire d’un citoyen de l’Union est à la charge de ce citoyen de l’Union et/ou de ce partenaire, l’autorité nationale compétente doit tenir compte de la situation de cet ascendant dans son pays d’origine à la date à laquelle il a
quitté celui-ci et rejoint ledit citoyen de l’Union dans l’État membre d’accueil, le cas échéant sur la base de documents délivrés avant cette date, ou de la situation dudit ascendant dans cet État membre à la date d’introduction d’une demande de carte de séjour, lorsque plusieurs années se sont écoulées entre ces deux dates.

28 À titre liminaire, il convient de relever que, durant la procédure devant la Cour, le gouvernement allemand a fait part de doutes quant à l’applicabilité de la directive 2004/38 dans une situation dans laquelle un ressortissant d’un pays tiers, telle XXX, rejoint la partenaire de son fils ainsi que celui-ci, tous deux citoyens de l’Union, dans un État membre dont le fils, mais non sa partenaire, a la nationalité.

29 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, celle-ci s’applique à tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu’aux membres de sa famille, tels que définis à l’article 2, point 2, de ladite directive, qui l’accompagnent ou le rejoignent.

30 L’article 2, point 2, sous d), de la même directive prévoit que, aux fins de l’application de celle-ci, doivent être considérés comme étant les membres de la famille, notamment, « les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel que visé [sous] b) ».

31 Ainsi, selon cet article 2, point 2, sous d), lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38, les ascendants directs à la charge du partenaire d’un citoyen de l’Union qui séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité doivent être considérés, aux fins de l’application des droits garantis par cette directive, notamment d’un droit de séjour de plus de trois mois prévu à l’article 7, paragraphe 2, de ladite directive, comme étant les membres de la
famille d’un citoyen de l’Union, pour autant que le partenariat enregistré réponde aux critères visés à l’article 2, point 2, sous b), de la même directive.

32 En l’occurrence, la juridiction de renvoi semble partir de la prémisse selon laquelle la déclaration de cohabitation, effectuée par le fils de XXX et Mme N. E. K. au cours de l’année 2005 devant l’officier de l’état civil d’Anderlecht, vaut conclusion, en droit belge, d’un partenariat qui satisfait aux conditions de l’article 2, point 2, sous b), de la directive 2004/38.

33 Partant, pour autant que XXX, ascendante directe du partenaire d’une citoyenne de l’Union qui séjourne dans un État membre autre que celui dont elle a la nationalité, puisse démontrer qu’elle est à la charge du ménage rejoint, au sens de l’article 2, point 2, sous d), de la directive 2004/38, elle peut se prévaloir du bénéfice des droits garantis par cette directive et, notamment, d’un droit de séjour de plus de trois mois au titre de l’article 7, paragraphe 2, de ladite directive, sous réserve
que cette citoyenne de l’Union remplisse les conditions énoncées à l’article 7, paragraphe 1, sous a), b) ou c), de la même directive.

34 La directive 2004/38 est donc applicable à une situation telle que celle visée au point 28 du présent arrêt.

35 En ce qui concerne les première et troisième questions posées, telles que reformulées au point 27 du présent arrêt, et, notamment, la date à laquelle doit être appréciée la condition selon laquelle l’ascendant direct du partenaire d’un citoyen de l’Union doit être à la charge de ce citoyen de l’Union et/ou de ce partenaire, énoncée à l’article 2, point 2, sous d), de la directive 2004/38, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que la situation de dépendance doit exister, dans le pays
d’origine ou dans le pays de provenance de cet ascendant, à la date où il demande à rejoindre ce partenaire et ce citoyen de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 9 janvier 2007, Jia, C‑1/05, EU:C:2007:1, point 37, ainsi que du 16 janvier 2014, Reyes, C‑423/12, EU:C:2014:16, points 22 et 30).

36 Cependant, cette jurisprudence a été rendue au regard de situations dans lesquelles la demande d’un titre de séjour introduite par le ressortissant d’un pays tiers et l’arrivée de ce ressortissant sur le territoire de l’État membre d’accueil étaient intervenues de façon concomitante, en ce sens que cette demande avait été introduite quelques jours ou quelques mois après cette arrivée.

37 Dans ces conditions, ainsi que l’a souligné, en substance, Mme l’avocate générale au point 63 de ses conclusions, la référence au pays d’origine dans les affaires ayant donné lieu à ladite jurisprudence était motivée par le fait que les autorités qui décidaient de délivrer ou non un titre de séjour ne pouvaient examiner que la période préalable au déménagement dans l’État membre d’accueil afin d’apprécier si les personnes concernées étaient à la charge d’un citoyen de l’Union. Partant, compte
tenu des situations factuelles en cause dans ces affaires, le lieu d’appréciation de la situation de dépendance, au moment de l’introduction des demandes de titre de séjour, ne pouvait être que le seul pays d’origine dans lequel les intéressés vivaient avant de rejoindre le citoyen de l’Union.

38 Partant, cette même jurisprudence ne saurait être transposée de manière automatique à une situation factuelle dans laquelle plusieurs années se sont écoulées entre le départ du ressortissant d’un pays tiers de son pays d’origine et la demande de carte de séjour par ce ressortissant.

39 S’agissant d’une telle situation, il convient de relever, en premier lieu, que, selon l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2004/38, le droit de séjour des membres de la famille d’un citoyen de l’Union qui n’ont pas la nationalité d’un État membre est constaté par la délivrance d’un document dénommé « Carte de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union », que les États membres sont tenus de délivrer au plus tard dans les six mois suivant le dépôt de la demande.

40 En outre, l’article 10, paragraphe 2, de cette directive, qui énonce de manière exhaustive les documents visant à établir, en particulier, la qualité de « membre de la famille », au sens de ladite directive, prévoit, à son point d), que le ressortissant d’un pays tiers, afin de démontrer qu’il dispose de cette qualité et, partant, d’obtenir une carte de séjour, doit présenter les pièces justificatives attestant que les conditions énoncées à l’article 2, point 2, sous c) et d), de la même
directive sont remplies, à savoir, dans l’hypothèse visée à cette disposition, sous d), d’être un ascendant direct à la charge d’un citoyen de l’Union et/ou du partenaire de ce dernier.

41 Dans ce contexte, il y a lieu de souligner que la Cour a précisé que la délivrance d’un titre de séjour, tel que celui visé à l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2004/38, à un ressortissant d’un pays tiers, doit être considérée non pas comme un acte constitutif de droits, mais comme un acte destiné à constater, de la part de l’État membre, la situation individuelle d’un tel ressortissant au regard des dispositions du droit de l’Union (arrêt du 27 juin 2018, Diallo, C‑246/17,
EU:C:2018:499, point 48 et jurisprudence citée).

42 Le caractère déclaratif des cartes de séjour implique que celles-ci soient destinées à constater un droit de séjour préexistant dans le chef de l’intéressé (arrêt du 27 juin 2018, Diallo, C‑246/17, EU:C:2018:499, point 49 et jurisprudence citée) et acquis indépendamment de la délivrance d’une telle carte par l’autorité compétente d’un État membre (voir, en ce sens, arrêt du 8 avril 1976, Royer, 48/75, EU:C:1976:57, point 32).

43 Ainsi, dans le cadre de la procédure administrative prévue à l’article 10 de la directive 2004/38, l’autorité nationale compétente doit fournir une carte de séjour au demandeur, ressortissant d’un pays tiers, après avoir vérifié que celui-ci remplit les conditions pour bénéficier d’un droit de séjour de plus de trois mois au titre de l’article 7, paragraphe 2, de cette directive, notamment qu’il relève de la notion de « membre de la famille », au sens de ladite directive.

44 Or, si l’autorité nationale compétente, lors de l’examen de la demande de carte de séjour, ne vérifiait pas que l’ascendant direct du partenaire d’un citoyen de l’Union, qui a rejoint physiquement celui-ci dans l’État membre d’accueil quelques années avant l’introduction de cette demande, est, au moment de l’introduction de celle-ci, à la charge de ce citoyen de l’Union et/ou de ce partenaire, au sens de l’article 2, point 2, sous d), de la directive 2004/38, il existerait un risque que cet
ascendant se voit octroyer, conformément à l’article 10 de cette directive, une carte de séjour, alors qu’il ne remplit pas les conditions prévues à l’article 7, paragraphe 2, de ladite directive pour bénéficier d’un droit de séjour de plus de trois mois et ainsi d’une telle carte de séjour (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, Chief Appeals Officer e.a., C‑488/21, EU:C:2023:1013, points 60 et 62).

45 Il résulte de ce qui précède que, lors de l’introduction de la demande de carte de séjour, le ressortissant d’un pays tiers doit démontrer qu’il relève de cette notion et donc, dans une situation telle que celle au principal, qu’il dispose de la qualité d’« ascendant direct à charge », au sens de l’article 2, point 2, sous d), de la directive 2004/38.

46 En deuxième lieu, il convient de considérer que, dans une situation dans laquelle l’ascendant direct du partenaire d’un citoyen de l’Union introduit une demande de carte de séjour, au titre de l’article 7, paragraphe 2, et de l’article 10 de la directive 2004/38, plusieurs années après avoir physiquement rejoint le citoyen de l’Union et le partenaire de ce dernier dans l’État membre d’accueil, cet ascendant doit apporter la preuve, d’une part, qu’il est à la charge de ce citoyen et/ou de ce
partenaire dans cet État membre à la date de l’introduction de cette demande et, d’autre part, qu’il était à la charge dudit citoyen et/ou dudit partenaire, dans son pays d’origine, à la date de son arrivée sur le territoire dudit État membre.

47 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence établie de la Cour, tirent de la directive 2004/38 des droits d’entrée et de séjour dans un État membre non pas tous les ressortissants de pays tiers, mais uniquement ceux qui sont « membre[s] de la famille », au sens de l’article 2, point 2, de cette directive, d’un citoyen de l’Union ayant exercé son droit de libre circulation en s’établissant dans un État membre autre que l’État membre dont il a la nationalité (arrêt du 27 juin
2018, Diallo, C‑246/17, EU:C:2018:499, point 53 et jurisprudence citée).

48 Partant, ainsi qu’il a été rappelé aux points 29 et 31 du présent arrêt, l’applicabilité même de la directive 2004/38 et, par voie de conséquence, l’application des droits garantis par cette directive, notamment le droit d’entrée, au titre de l’article 5 de la directive 2004/38, et le droit de séjour de plus de trois mois, au titre de l’article 7, paragraphe 2, de cette directive, sont soumises, pour le ressortissant d’un pays tiers souhaitant rejoindre un citoyen de l’Union et le partenaire de
ce dernier, notamment à la condition que ce ressortissant dispose de la qualité de « membre de la famille », au sens l’article 2, point 2, de ladite directive, ce qui implique, pour les ascendants directs, d’être à la charge de ce citoyen de l’Union et/ou de ce partenaire.

49 Or, si le contrôle, par l’autorité nationale compétente, de la condition afférente au lien de dépendance était limité à celui de la situation de l’ascendant direct dans l’État membre d’accueil à la date d’introduction de la demande de carte de séjour, cet ascendant pourrait se voir fournir une telle carte, alors que, à la date à laquelle il a rejoint physiquement le citoyen de l’Union, il ne remplissait pas les conditions nécessaires pour bénéficier d’un droit de séjour de plus de trois mois, ce
qui, par ailleurs, irait à l’encontre des objectifs poursuivis par la directive 2004/38.

50 À cet égard, il convient de rappeler que la directive 2004/38 vise à faciliter l’exercice du droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres conféré directement aux citoyens de l’Union par l’article 21, paragraphe 1, TFUE et à renforcer ce droit. Le considérant 5 de cette directive souligne que ledit droit devrait, pour pouvoir s’exercer dans des conditions objectives de dignité, être également accordé aux membres de la famille de ces
citoyens, quelle que soit leur nationalité (arrêt du 14 novembre 2017, Lounes, C‑165/16, EU:C:2017:862, point 31 et jurisprudence citée).

51 Ladite directive n’octroie toutefois aucun droit autonome aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union qui sont ressortissants d’un pays tiers. Ainsi, les éventuels droits conférés à ces ressortissants par cette même directive sont dérivés de ceux dont jouit le citoyen de l’Union concerné du fait de l’exercice de sa liberté de circulation (arrêt du 14 novembre 2017, Lounes, C‑165/16, EU:C:2017:862, point 32 et jurisprudence citée).

52 Dans ce contexte, il convient également de rappeler que la condition, visée à l’article 2, point 2, sous d), de la directive 2004/38, selon laquelle l’ascendant direct doit être à la charge du citoyen de l’Union et/ou du partenaire de ce dernier ne figurait pas dans la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres [COM(2001) 257 final]
(JO 2001, C 279 E, p. 150), présentée par la Commission européenne. Cette condition a été ajoutée au cours de la procédure législative, ce qui démontre que le législateur de l’Union a eu l’intention de limiter le bénéfice des droits prévus par la directive 2004/38 à une catégorie déterminée d’ascendants directs, à savoir seulement ceux qui sont à la charge du citoyen de l’Union et/ou du partenaire de ce dernier.

53 Or, si le fait que l’ascendant direct du partenaire d’un citoyen de l’Union a introduit une demande de carte de séjour plusieurs années après avoir rejoint ce citoyen de l’Union dans l’État membre d’accueil avait pour conséquence que, lors du traitement de cette demande, l’autorité nationale compétente ne doit plus vérifier l’existence d’une situation de dépendance, visée à l’article 2, point 2, sous d), de la directive 2004/38, dans le pays d’origine ou de provenance de cet ascendant, alors que,
en application de la jurisprudence citée au point 35 du présent arrêt, cette vérification serait requise si cette demande avait été introduite de façon concomitante à l’arrivée dudit ascendant sur le territoire de cet État membre, il existerait non seulement le risque d’élargir le nombre des bénéficiaires potentiels des droits conférés par cette directive, contrevenant ainsi à la volonté exprimée par le législateur de l’Union, mais également le risque d’un contournement des exigences posées par
ladite directive.

54 Toutefois, ces risques n’existent pas lorsque l’ascendant direct en question est entré sur le territoire de l’État membre d’accueil et y a séjourné dans un premier temps sur le fondement d’un droit de séjour, autonome ou dérivé, pouvant être accordé en droit de l’Union au titre d’une disposition autre que l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2004/38, voire au titre du droit national. Partant, dans une telle situation, il suffit que cet ascendant apporte la preuve qu’il est à la charge du
citoyen de l’Union et/ou du partenaire de celui-ci dans cet État membre à la date de l’introduction de sa demande de carte de séjour, au titre de l’article 10 de cette directive.

55 En troisième lieu, il convient de rappeler que, en ce qui concerne le mode de preuve admis pour permettre à l’intéressé de démontrer qu’il dispose de la qualité d’« ascendant direct à charge », au sens de l’article 2, point 2, sous d), de la directive 2004/38, l’article 10, paragraphe 2, sous d), de cette directive se limite à préciser que, pour la délivrance de la carte de séjour, les États membres doivent demander des pièces justificatives attestant que les conditions énoncées à cet article 2,
point 2, sous d), y compris donc celle liée au lien de dépendance, sont remplies.

56 En l’absence de précision quant au mode de preuve admis pour que l’intéressé démontre qu’il dispose de la qualité d’« ascendant direct à charge », au sens de l’article 2, point 2, sous d), de la directive 2004/38, il doit être considéré qu’une telle preuve peut être faite par tout moyen approprié (voir, par analogie, arrêt du 9 janvier 2007, Jia, C‑1/05, EU:C:2007:1, point 41 et jurisprudence citée).

57 À cet égard, il y a lieu de préciser qu’un document de l’autorité compétente du pays d’origine ou de provenance attestant de l’existence d’une situation de dépendance, s’il apparaît particulièrement approprié à cette fin, ne peut constituer une condition de la délivrance du titre de séjour, alors que, par ailleurs, le seul engagement de prendre en charge le membre de la famille concerné, émanant du citoyen de l’Union ou de son partenaire, peut ne pas être regardé comme établissant l’existence
d’une situation de dépendance réelle de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 9 janvier 2007, Jia, C‑1/05, EU:C:2007:1, point 42 et jurisprudence citée).

58 Il résulte de ce qui précède que, dans une situation dans laquelle la demande de carte de séjour est introduite plusieurs années après que l’ascendant direct du partenaire d’un citoyen de l’Union a rejoint celui-ci dans l’État membre d’accueil, cet ascendant direct, pour démontrer qu’il dispose de la qualité de « membre de la famille », au sens de l’article 2, point 2, sous d), de la directive 2004/38, et partant, pour bénéficier d’un droit de séjour dérivé, conformément à l’article 7,
paragraphe 2, de cette directive, doit pouvoir produire, à l’appui de cette demande, notamment, des documents délivrés dans le passé et attestant de l’existence d’une situation de dépendance dans son pays d’origine à la date à laquelle il a physiquement rejoint ce citoyen de l’Union et ce partenaire. Ces documents ne sauraient être considérés comme étant trop anciens.

59 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et troisième questions que l’article 2, point 2, sous d), de la directive 2004/38, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 2, et l’article 10 de cette directive, doit être interprété en ce sens que, afin de déterminer si l’ascendant direct du partenaire d’un citoyen de l’Union est à la charge de ce citoyen de l’Union et/ou de ce partenaire, l’autorité nationale compétente doit tenir compte tant de
la situation de cet ascendant dans son pays d’origine à la date à laquelle il a quitté celui-ci et rejoint ledit citoyen de l’Union dans l’État membre d’accueil, le cas échéant sur la base de documents délivrés avant cette date, que de la situation dudit ascendant dans cet État membre à la date d’introduction d’une demande de carte de séjour, lorsque plusieurs années se sont écoulées entre ces deux dates.

Sur la deuxième question

60 Il ressort de la décision de renvoi que la demande de carte de séjour introduite le 26 juin 2015 par XXX auprès de l’autorité belge compétente a été rejetée le 28 septembre 2015. La décision de refus de séjour s’accompagnait d’un ordre de quitter le territoire belge. Ainsi, dans la mesure où cet ordre n’aurait pas été exécuté, XXX séjournerait, depuis cette décision de refus, qui aurait été confirmée par un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers du 14 avril 2016, de manière irrégulière sur
ce territoire.

61 C’est au regard de ces circonstances que, par sa deuxième question, qui est posée dans l’hypothèse dans laquelle l’autorité nationale compétente de l’État membre d’accueil doit, lors de l’examen de la demande de carte de séjour, introduite conformément à l’article 7, paragraphe 2, et à l’article 10 de la directive 2004/38, et, notamment afin de déterminer si la condition relative au lien de dépendance visé à l’article 2, point 2, sous d), de cette directive est remplie, tenir compte de la
situation du demandeur dans cet État membre, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la circonstance que ce demandeur séjourne de manière irrégulière sur le territoire dudit État membre, au regard de la réglementation nationale, a une incidence sur l’appréciation de cette condition.

62 À cet égard, il y a lieu de relever que la directive 2004/38 ne fait pas dépendre la qualité de « membre de la famille », au sens de l’article 2, point 2, sous d), de cette directive, d’une condition de « séjour régulier » dans l’État membre d’accueil. Ainsi, la définition des membres de la famille qui figure à cette disposition n’établit pas de distinction selon qu’ils ont ou non déjà séjourné légalement, en application de la réglementation nationale, dans l’État membre d’accueil.

63 En revanche, comme il a été indiqué au point 48 du présent arrêt, c’est le lien de dépendance, visé, en substance, à l’article 2, point 2, sous d), de la directive 2004/38, qui conditionne, pour les ascendants directs, l’applicabilité de cette directive et constitue l’une des conditions devant être remplies pour pouvoir bénéficier des droits garantis par celle-ci, notamment d’un droit de séjour de plus de trois mois conformément à l’article 7, paragraphe 2, de ladite directive.

64 Ainsi qu’il résulte de la réponse apportée aux première et troisième questions, dès lors que, premièrement, un ascendant direct du partenaire d’un citoyen de l’Union peut démontrer qu’il est, tant à la date de sa demande de carte de séjour, introduite plusieurs années après son arrivée dans l’État membre d’accueil, qu’à la date de cette arrivée, à la charge de ce citoyen de l’Union et/ou de ce partenaire, et, deuxièmement, ledit citoyen de l’Union satisfait aux conditions énoncées à l’article 7
de la directive 2004/38, cet ascendant direct bénéficie d’un droit de séjour dérivé, de plus de trois mois, au titre de l’article 7, paragraphe 2, de cette directive, constaté par la délivrance d’une carte de séjour.

65 Il s’ensuit que, dès lors que les conditions matérielles d’un tel droit de séjour fixées dans la directive 2004/38, notamment celle relative à l’existence d’un lien de dépendance, sont remplies aux dates pertinentes visées au point précédent du présent arrêt, ce droit de séjour ne saurait être refusé au motif que, en application de la réglementation nationale, ledit ascendant direct séjourne, à la date de sa demande de carte de séjour, de manière irrégulière sur le territoire de l’État membre
dans lequel est établi le citoyen de l’Union rejoint et le partenaire de ce dernier.

66 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2004/38, lu en combinaison avec l’article 2, point 2, sous d), et l’article 10 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’un ascendant direct du partenaire d’un citoyen de l’Union qui peut démontrer qu’il est, tant à la date de sa demande de carte de séjour, introduite plusieurs années après son arrivée dans l’État membre d’accueil, qu’à la date de cette
arrivée, à la charge de ce citoyen de l’Union et/ou de ce partenaire, bénéficie d’un droit de séjour dérivé des droits dont jouit un citoyen de l’Union, de plus de trois mois, constaté par la délivrance d’une carte de séjour, si ledit citoyen de l’Union satisfait aux conditions énoncées à l’article 7 de cette directive. Ce droit de séjour ne saurait être refusé au motif que, en application de la réglementation nationale, cet ascendant séjourne, à la date de cette demande, de manière irrégulière
sur le territoire de cet État membre.

Sur la quatrième question

67 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour de déterminer les critères permettant d’apprécier la situation de dépendance matérielle d’un ascendant direct du partenaire d’un citoyen de l’Union, à l’égard de ce citoyen de l’Union et/ou de ce partenaire, dans une situation dans laquelle la demande de carte de séjour est introduite plusieurs années après que cet ascendant a physiquement rejoint ledit citoyen de l’Union dans l’État membre d’accueil.

68 Cette question est posée dans l’hypothèse dans laquelle l’article 2, point 2, sous d), de la directive 2004/38 devrait être interprété en ce sens que l’ascendant direct ne peut pas, pour démontrer qu’il est à la charge d’un citoyen de l’Union qu’il rejoint et/ou du partenaire de ce dernier, se prévaloir de documents délivrés dans son pays d’origine et attestant de l’existence d’un lien de dépendance, au motif que ces documents sont trop anciens pour établir, à la date de l’introduction de la
demande de carte de séjour, l’existence d’un lien de dépendance dans son pays d’origine.

69 Or, il résulte des points 58 et 59 du présent arrêt qu’un tel ascendant, pour démontrer qu’il est à la charge du citoyen de l’Union qu’il rejoint et/ou du partenaire de ce dernier, peut se prévaloir de tels documents à l’appui de sa demande de carte de séjour.

70 Par conséquent, il n’y a pas lieu de répondre à la quatrième question.

Sur les dépens

71 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  1) L’article 2, point 2, sous d), de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 2, et
l’article 10 de cette directive,

doit être interprété en ce sens que :

afin de déterminer si l’ascendant direct du partenaire d’un citoyen de l’Union est à la charge de ce citoyen de l’Union et/ou de ce partenaire, l’autorité nationale compétente doit tenir compte tant de la situation de cet ascendant dans son pays d’origine à la date à laquelle il a quitté celui-ci et rejoint ledit citoyen de l’Union dans l’État membre d’accueil, le cas échéant sur la base de documents délivrés avant cette date, que de la situation dudit ascendant dans cet État membre à la date
d’introduction d’une demande de carte de séjour, lorsque plusieurs années se sont écoulées entre ces deux dates.

  2) L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2004/38, lu en combinaison avec l’article 2, point 2, sous d), et l’article 10 de celle-ci,

doit être interprété en ce sens que :

un ascendant direct du partenaire d’un citoyen de l’Union qui peut démontrer qu’il est, tant à la date de sa demande de carte de séjour, introduite plusieurs années après son arrivée dans l’État membre d’accueil, qu’à la date de cette arrivée, à la charge de ce citoyen de l’Union et/ou de ce partenaire, bénéficie d’un droit de séjour dérivé des droits dont jouit un citoyen de l’Union, de plus de trois mois, constaté par la délivrance d’une carte de séjour, si ledit citoyen de l’Union satisfait
aux conditions énoncées à l’article 7 de cette directive. Ce droit de séjour ne saurait être refusé au motif que, en application de la réglementation nationale, cet ascendant séjourne, à la date de cette demande, de manière irrégulière sur le territoire de cet État membre.

Lenaerts

von Danwitz

Kumin

Gavalec

Ziemele
 
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 avril 2025.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président

K. Lenaerts

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-607/21
Date de la décision : 10/04/2025

Analyses

Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union – Directive 2004/38/CE – Droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres – Article 3 – Bénéficiaires – Article 2, point 2, sous d) – Membre de la famille – Ascendant direct du partenaire d’un citoyen de l’Union à la charge de ce citoyen de l’Union et/ou de ce partenaire – Appréciation de la condition d’être “à charge” – Date pertinente pour déterminer la dépendance matérielle – Article 10 – Conditions pour la délivrance d’une carte de séjour – Caractère déclaratif d’une carte de séjour – Introduction dans l’État membre d’accueil d’une demande de carte de séjour plusieurs années après le départ du pays d’origine – Incidence d’une situation de séjour irrégulier en application de la réglementation nationale sur l’appréciation de la condition d’être “à charge”.


Parties
Demandeurs : XXX
Défendeurs : État belge.

Origine de la décision
Date de l'import : 12/04/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:264

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