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10/04/2025 | CJUE | N°C-481/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Ministerio Fiscal et Abogado del Estado contre JMTB., 10/04/2025, C-481/23


 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

10 avril 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Mandat d’arrêt européen – Article 4, points 4 et 6 – Motifs de non-exécution facultative – Condition selon laquelle les faits relèvent de la compétence de l’État membre d’exécution selon sa propre loi pénale – Condamnation non-définitive – Mandat d’arrêt européen émis aux fins de l’exercice de poursuites pénales »

Dans l’affaire C‑481/23 [Sang

as] ( i ),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Audiencia Nacion...

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

10 avril 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Mandat d’arrêt européen – Article 4, points 4 et 6 – Motifs de non-exécution facultative – Condition selon laquelle les faits relèvent de la compétence de l’État membre d’exécution selon sa propre loi pénale – Condamnation non-définitive – Mandat d’arrêt européen émis aux fins de l’exercice de poursuites pénales »

Dans l’affaire C‑481/23 [Sangas] ( i ),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne), par décision du 24 juillet 2023, parvenue à la Cour le 26 juillet 2023, dans la procédure relative à l’exécution du mandat d’arrêt européen émis contre

JMTB,

en présence de :

Ministerio Fiscal,

Abogado del Estado,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. D. Gratsias, E. Regan (rapporteur), J. Passer et B. Smulders, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 novembre 2024,

considérant les observations présentées :

– pour le Ministerio Fiscal, par Mme R. de Miguel Morante, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz, Mmes A. Gavela Llopis et P. Pérez Zapico, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement lituanien, par M. K. Dieninis et Mme V. Kazlauskaitė-Švenčionienė, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, Mmes J. Schmoll et C. Leeb, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. J. Baquero Cruz, H. Leupold et Mme J. Vondung, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, points 4 et 6, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1, et rectificatif JO 2006, L 279, p. 30), telle que modifiée par la décision‑cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci‑après la « décision-cadre 2002/584 »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre de la procédure relative à l’exécution du mandat d’arrêt européen émis contre JMTB.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 1er de la décision-cadre 2002/584, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », prévoit :

« 1.   Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

2.   Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.

[...] »

4 L’article 3 de cette décision‑cadre prévoit des motifs de non‑exécution obligatoire du mandat d’arrêt européen.

5 L’article 4 de ladite décision-cadre, intitulé « Motifs de non‑exécution facultative du mandat d’arrêt européen », dispose :

« L’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen :

[...]

4) lorsqu’il y a prescription de l’action pénale ou de la peine selon la législation de l’État membre d’exécution et que les faits relèvent de la compétence de cet État membre selon sa propre loi pénale ;

[...]

6) si le mandat d’arrêt européen a été délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, lorsque la personne recherchée demeure dans l’État membre d’exécution, en est ressortissante ou y réside, et que cet État s’engage à exécuter cette peine ou mesure de sûreté conformément à son droit interne ;

[...] »

6 L’article 4 bis de la même décision‑cadre prévoit d’autres circonstances dans lesquelles l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen tandis que l’article 5 de celle‑ci porte sur les garanties à fournir par l’État membre d’émission dans des cas particuliers.

Le droit roumain

7 L’article 99, paragraphe 2, sous c) et g), et paragraphe 3, de la Legea nr. 302/2004 privind cooperarea judiciară internațională în materie penală (loi no 302/2004, relative à la coopération judiciaire internationale en matière pénale), du 28 juin 2004 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 594 du 1er juillet 2004), telle que republiée (Monitorul Oficial al României, partie I, no 411 du 27 mai 2019), dispose :

« 2.   L’autorité judiciaire d’exécution roumaine peut refuser l’exécution du mandat d’arrêt européen dans les cas suivants :

[...]

c) si le mandat d’arrêt européen a été délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, lorsque la personne recherchée est citoyenne roumaine ou y réside, qu’elle séjourne légalement et de manière ininterrompue en Roumanie depuis au moins 5 ans et qu’elle se déclare opposée à l’exécution de la peine ou de la mesure de sûreté dans l’État membre d’émission ;

[...]

g) lorsque, en vertu du droit roumain, il y a prescription de la responsabilité pénale de l’infraction ayant conduit à l’émission du mandat d’arrêt européen ou de l’exécution de la peine prononcée, si les faits relevaient de la compétence des autorités roumaines ;

[...]

3.   Si seul le cas visé au paragraphe 2, sous c), trouve à s’appliquer, l’autorité judiciaire d’exécution roumaine demande à l’autorité judiciaire d’émission, avant de rendre la décision visée à l’article 109, une copie certifiée de la condamnation ainsi que toute autre information nécessaire, en communiquant à l’autorité judiciaire d’émission la raison pour laquelle ces documents sont demandés. La reconnaissance de la condamnation pénale étrangère est effectuée, à titre incident, par la
juridiction devant laquelle la procédure d’exécution du mandat d’arrêt européen est pendante. Si l’autorité judiciaire d’exécution roumaine reconnaît la condamnation pénale étrangère, le mandat d’exécution de la peine est délivré à la date d’adoption de la décision visée à l’article 109. »

La procédure au principal et les questions préjudicielles

8 Par un arrêt du 21 février 2022, précisé par une ordonnance du 3 mars 2022 (ci-après l’« arrêt du 21 février 2022 »), l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne) a condamné JMTB (ci‑après le « prévenu »), un ressortissant espagnol qui réside en Roumanie, en tant que co-auteur de trois infractions fiscales et d’une infraction de blanchiment de capitaux. D’une part, s’agissant du chef de chacune de ces trois infractions fiscales, le prévenu a été condamné à deux ans d’emprisonnement ainsi qu’à une
amende de 23 millions d’euros pour l’exercice 2011, à une amende de 135 millions d’euros pour l’exercice 2012 et à une amende de 140 millions d’euros pour l’exercice 2013, outre des sanctions accessoires. D’autre part, s’agissant du chef de cette infraction de blanchiment de capitaux, il a été condamné à six ans d’emprisonnement et à une amende de 54 millions d’euros.

9 Les faits sous-tendant la condamnation du prévenu consistaient, en substance, en la création de plusieurs sociétés en Espagne, dirigées par des prête-noms agissant en tant qu’administrateurs fictifs, en vue d’éluder le paiement en Espagne, au titre des exercices 2011 à 2013, de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur la vente d’hydrocarbures, pour un montant de plus de 100 millions d’euros au total.

10 À la suite de l’annonce de l’introduction d’un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 21 février 2022 par le prévenu, ce dernier s’est vu refuser l’autorisation de se rendre en Roumanie. Toutefois, après la localisation du prévenu à la frontière croate en direction de la Roumanie, la juridiction de renvoi a adopté, le 6 avril 2022, une décision relative à celui‑ci, accompagnée d’un mandat d’arrêt européen et d’un mandat d’arrêt international à son égard, ordonnant sa recherche, son arrestation et
sa détention provisoire (ci-après la « décision du 6 avril 2022 »).

11 Par un courrier du 4 avril 2023, la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia, Roumanie) a communiqué une copie de l’arrêt par lequel elle avait refusé l’exécution de ce mandat d’arrêt européen.

12 Il ressortirait de cet arrêt que, certes, aucun des motifs de non-exécution obligatoire prévus à l’article 3 de la décision-cadre 2002/584 ne trouvait à s’appliquer au mandat d’arrêt européen délivré à l’encontre du prévenu. Toutefois, en ce qui concerne les motifs de non-exécution facultative prévus à l’article 4 de cette décision-cadre, la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia) aurait constaté, d’une part, que le prévenu avait fourni des pièces justificatives attestant d’un
séjour continu et légal sur le territoire roumain pendant une période d’au moins cinq ans et, d’autre part, qu’il avait déclaré ne pas souhaiter être remis aux autorités judiciaires espagnoles, ce qui équivaudrait à un refus d’exécution de la peine dans l’État membre d’émission, de sorte qu’il existerait un motif justifiant le refus de la remise de l’intéressé.

13 Par ailleurs, la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia) aurait considéré que les infractions pour lesquelles le prévenu avait été condamné en première instance, par l’autorité judiciaire d’émission du mandat d’arrêt européen, étaient définies par la législation espagnole comme des infractions de fraude fiscale et de blanchiment de capitaux, passibles de peines d’emprisonnement de trois à dix ans, de sorte que, si les faits avaient relevé de la compétence des autorités judiciaires
roumaines, le délai de prescription de la responsabilité pénale pour des infractions analogues aurait été de dix ans à compter de la date du dernier acte ou de la dernière omission.

14 En effet, ayant relevé que les trois infractions de fraude fiscale pour lesquelles le prévenu avait été condamné avaient été commises au cours des exercices 2011 à 2013, la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia) en aurait déduit que le délai de prescription avait commencé à courir au plus tard le 31 décembre 2013. Estimant, en outre, que, depuis la commission de ces trois infractions, il n’y aurait pas eu de cause d’interruption du délai de prescription de la responsabilité pénale,
la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia) en aurait conclu que ce délai avait expiré.

15 Au vu dudit arrêt, la juridiction de renvoi observe que, pour refuser la remise du prévenu, la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia) a retenu l’existence de deux motifs de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen en cause au principal tenant, d’une part, à la prescription de l’action pénale en vertu du droit roumain et, d’autre part, à la résidence du prévenu en Roumanie.

16 Or, en ce qui concerne la prescription de l’action pénale en vertu du droit roumain, la juridiction de renvoi relève que la décision portant refus de la remise du prévenu a été adoptée en application des règles de prescription des infractions du droit roumain, alors que tous les faits en cause au principal avaient été commis en Espagne et constituaient des infractions de fraude fiscale portant atteinte aux intérêts économiques du Royaume d’Espagne, ce qui impliquerait que les autorités
judiciaires roumaines ne seraient en aucun cas compétentes pour connaître de ces infractions et ne sauraient, dès lors, se prévaloir de l’article 4, point 4, de la décision-cadre 2002/584.

17 En ce qui concerne la résidence du prévenu en Roumanie, la juridiction de renvoi observe que l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 ne permet de refuser la remise de la personne recherchée que si trois conditions cumulatives sont satisfaites, à savoir, premièrement, le mandat d’arrêt européen doit avoir été délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, deuxièmement, la personne concernée doit demeurer ou résider dans l’État membre
d’exécution ou en être ressortissante et, troisièmement, l’État d’exécution doit s’engager à exécuter cette peine ou cette mesure de sûreté conformément à son droit interne. Or, en l’occurrence, la première de ces conditions ne serait pas satisfaite, le prévenu n’ayant été condamné qu’en première instance et un pourvoi en cassation étant en cours contre cette condamnation. En outre, à supposer même que le prévenu soit considéré comme résidant en Roumanie, le refus de remise de celui-ci n’a été
assorti d’aucun engagement des autorités roumaines à exécuter en Roumanie la peine qui pourrait être définitivement infligée à l’intéressé.

18 Selon la juridiction de renvoi, un tel refus ne se justifie pas à la lumière de la jurisprudence de la Cour issue de l’arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a. (C‑158/21, EU:C:2023:57). En effet, ainsi qu’il ressortirait, en substance, des points 75 et 76 de cet arrêt, admettre qu’un État membre puisse ajouter aux motifs de non‑exécution d’un mandat d’arrêt européen énoncés aux articles 3, 4 et 4 bis de la décision‑cadre 2002/584 d’autres motifs, tirés du droit national, permettant de ne pas
donner suite à ce mandat d’arrêt, ferait obstacle au bon fonctionnement du système simplifié de remise des personnes institué dans cette décision-cadre.

19 Dans ces conditions, l’Audiencia Nacional (Cour centrale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Dans la mesure où l’article 4, point 6, de la [décision‑cadre 2002/584] prévoit, en tant que motif de non‑exécution facultative d’un mandat d’arrêt européen, le fait que ce mandat d’arrêt européen a été délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, que la personne recherchée demeure dans l’État membre d’exécution, en est ressortissante ou y réside, et que cet État s’engage à exécuter cette peine ou mesure de sûreté conformément à son droit
interne :

a) Est-il admissible d’étendre l’application de ce motif facultatif de refus de remise aux cas dans lesquels une décision définitive n’a pas encore été prise à l’encontre de la personne recherchée ?

b) Si cette possibilité est admise, est-il possible de refuser la remise de la personne recherchée au motif que cette dernière est considérée comme résidant dans l’État membre d’exécution sans que ce dernier s’engage à exécuter lui-même cette peine ou cette mesure de sûreté conformément à son droit interne ?

2) Dans la mesure où l’article 4, point 4, de la [décision‑cadre 2002/584] prévoit, en tant que motif de non‑exécution facultative d’un mandat d’arrêt européen, le fait que l’action pénale ou la peine est prescrite selon la législation de l’État membre d’exécution et que les faits relèvent de la compétence de cet État membre selon sa propre loi pénale, est‑il possible d’étendre ce motif de non‑exécution facultative aux cas dans lesquels l’action pénale ou la peine est considérée comme prescrite
selon la législation dudit État membre, même si les juridictions du même État membre ne sont pas compétentes pour connaître des faits ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

20 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, point 6, de la décision‑cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution d’un mandat d’arrêt européen peut refuser d’exécuter ce mandat d’arrêt sur le fondement de cette disposition lorsque ledit mandat d’arrêt n’a pas été émis aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, le prévenu n’ayant pas encore été définitivement condamné, et que
l’État membre d’exécution ne s’est pas engagé à exécuter, conformément à son droit interne, la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté qui pourrait être définitivement prononcée à l’encontre de cette personne.

21 À cet égard, il importe de préciser qu’un mandat d’arrêt européen peut viser, ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 1, de la décision‑cadre 2002/584, deux situations. Ainsi, ce mandat d’arrêt peut être délivré, d’une part, pour l’exercice de poursuites pénales ou, d’autre part, pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté (arrêt du 21 octobre 2010, B., C‑306/09, EU:C:2010:626, point 49).

22 Si le principe de reconnaissance mutuelle sous-tend l’économie de la décision-cadre 2002/584, cette reconnaissance n’implique pas, cependant, une obligation absolue d’exécution du mandat d’arrêt délivré, cette décision-cadre énonçant explicitement les motifs de non‑exécution obligatoire (article 3) et facultative (articles 4 et 4 bis) d’un mandat d’arrêt européen, ainsi que les garanties à fournir par l’État membre d’émission dans des cas particuliers (article 5) [voir, en ce sens, arrêts du
21 octobre 2010, B., C‑306/09, EU:C:2010:626, point 50, ainsi que du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 42 et jurisprudence citée].

23 En particulier, le système de la décision-cadre 2002/584, tel qu’il ressort notamment de ces articles, laisse la possibilité aux États membres de permettre, dans des situations spécifiques, aux autorités judiciaires compétentes de décider qu’une peine infligée doit être exécutée sur le territoire de l’État membre d’exécution (arrêts du 21 octobre 2010, B., C‑306/09, EU:C:2010:626, point 51, et du 13 décembre 2018, Sut, C‑514/17, EU:C:2018:1016, point 30).

24 À cet égard, l’article 4, point 6, de la décision‑cadre 2002/584 dispose que l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen si celui‑ci a été émis aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, lorsque la personne recherchée demeure dans l’État membre d’exécution, en est ressortissante ou y réside, et que cet État s’engage à exécuter cette peine ou cette mesure de sûreté conformément à son droit interne.

25 Ainsi, il ressort du libellé même de l’article 4, point 6, de la décision‑cadre 2002/584 que, pour relever du champ d’application de cette disposition, la personne recherchée doit faire l’objet d’un mandat d’arrêt européen émis « aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté », à savoir la seconde des situations évoquées au point 21 du présent arrêt. En effet, ce n’est que dans cette situation qu’est susceptible d’être satisfaite la dernière condition énoncée à
cette disposition.

26 En l’occurrence, il ressort cependant de la demande de décision préjudicielle que, même si, par l’arrêt du 21 février 2022, le prévenu a été condamné en première instance à plusieurs peines en tant qu’auteur de trois infractions fiscales et d’une infraction de blanchiment de capitaux, celui-ci a introduit un pourvoi en cassation contre cet arrêt, de telle sorte que la procédure pénale relative à cette condamnation est toujours en cours devant les juridictions espagnoles. Or, il ressort des
éléments dont dispose la Cour que, en vertu du droit espagnol, ledit arrêt n’est pas exécutoire en raison de l’introduction de ce pourvoi.

27 Par ailleurs, il découle de ces éléments que la décision de la juridiction de renvoi sur laquelle se fonde le mandat d’arrêt européen en cause au principal n’est pas l’arrêt du 21 février 2022, mais la décision du 6 avril 2022, par laquelle ont été ordonnées la recherche, l’arrestation et la mise en détention provisoire du prévenu. En effet, cette dernière décision a été adoptée par cette juridiction, le prévenu ne s’étant pas conformé aux mesures préventives auxquelles il était soumis dans le
cadre de la procédure pénale engagée contre lui. En particulier, alors que le prévenu était en liberté conditionnelle, avec interdiction expresse de sortir du territoire espagnol et obligation de comparaître aux audiences, il a été localisé à la frontière croate, en direction de la Roumanie. La décision du 6 avril 2022 et le mandat d’arrêt européen délivré sur la base de cette dernière ont, dès lors, été adoptés en vue d’assurer la présence du prévenu lors de la poursuite de cette procédure.

28 Par conséquent, comme le soutiennent le Ministerio Fiscal (ministère public, Espagne), le gouvernement espagnol ainsi que la Commission européenne et comme le fait observer, en substance, la juridiction de renvoi dans la demande de décision préjudicielle, le mandat d’arrêt européen en cause au principal a été adopté non pas « aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté », au sens de l’article 4, point 6, de la décision‑cadre 2002/584, mais aux fins de l’autre
situation prévue à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision‑cadre 2002/584 et rappelée au point 21 du présent arrêt, à savoir l’exercice de poursuites pénales.

29 Il s’ensuit que la situation du prévenu ne relève pas du champ d’application de l’article 4, point 6, de la décision‑cadre 2002/584, de sorte qu’un refus d’exécution du mandat d’arrêt européen délivré contre celui-ci ne saurait être fondé sur cette disposition.

30 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l’article 4, point 6, de la décision‑cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution d’un mandat d’arrêt européen ne saurait refuser d’exécuter ce mandat d’arrêt sur le fondement de cette disposition lorsque ledit mandat d’arrêt n’a pas été émis aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

Sur la seconde question

31 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, point 4, de la décision‑cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution d’un mandat d’arrêt européen peut refuser d’exécuter ce mandat d’arrêt sur le fondement de cette disposition, alors même que les faits ne relèvent pas de la compétence de l’État membre d’exécution selon sa propre loi pénale, au motif que l’action pénale ou la peine aurait été prescrite si la
législation de cet État membre avait été applicable.

32 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 4, point 4, de la décision‑cadre 2002/584 permet à l’autorité judiciaire d’exécution de refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen lorsqu’il y a prescription de l’action pénale selon la législation de l’État membre d’exécution et que les faits relèvent de la compétence de cet État membre selon sa propre loi pénale.

33 Il ressort ainsi du libellé même de l’article 4, point 4, de la décision‑cadre 2002/584 que les deux conditions qu’il énonce s’appliquent de manière cumulative. Il s’ensuit que l’autorité judiciaire d’exécution ne saurait se prévaloir du motif de non-exécution facultative d’un mandat d’arrêt européen prévu à cette disposition lorsque les faits faisant l’objet de l’action pénale ou de la peine ne relèvent pas de la compétence de cet État membre selon sa propre loi pénale, quand bien même cette
action ou cette peine aurait été prescrite si cette loi avait été applicable.

34 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question que l’article 4, point 4, de la décision‑cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution d’un mandat d’arrêt européen ne saurait refuser d’exécuter ce mandat d’arrêt sur le fondement de cette disposition lorsque les faits ne relèvent pas de la compétence de l’État membre d’exécution selon sa propre loi pénale, et ce alors même que l’action pénale ou la peine aurait été prescrite si
la législation de cet État membre avait été applicable.

Sur les dépens

35 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009,

doit être interprété en ce sens que :

l’autorité judiciaire d’exécution d’un mandat d’arrêt européen ne saurait refuser d’exécuter ce mandat d’arrêt sur le fondement de cette disposition lorsque ledit mandat d’arrêt n’a pas été émis aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

  2) L’article 4, point 4, de la décision-cadre 2002/584, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299,

doit être interprété en ce sens que :

l’autorité judiciaire d’exécution d’un mandat d’arrêt européen ne saurait refuser d’exécuter ce mandat d’arrêt sur le fondement de cette disposition lorsque les faits ne relèvent pas de la compétence de l’État membre d’exécution selon sa propre loi pénale, et ce alors même que l’action pénale ou la peine aurait été prescrite si la législation de cet État membre avait été applicable.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.

( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-481/23
Date de la décision : 10/04/2025

Analyses

Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Mandat d’arrêt européen – Article 4, points 4 et 6 – Motifs de non-exécution facultative – Condition selon laquelle les faits relèvent de la compétence de l’État membre d’exécution selon sa propre loi pénale – Condamnation non-définitive – Mandat d’arrêt européen émis aux fins de l’exercice de poursuites pénales.


Parties
Demandeurs : Ministerio Fiscal et Abogado del Estado
Défendeurs : JMTB.

Origine de la décision
Date de l'import : 12/04/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:259

Source

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