ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
10 avril 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) – Décision 2010/279/PESC – Mission de police de l’Union européenne en Afghanistan – Article 7, paragraphe 3 – Dépenses afférentes au personnel détaché – Indemnités versées tant par l’Union européenne que par l’État membre dont relève le membre du personnel – Cumul – Article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE – Article 275, premier alinéa, TFUE – Compétence de la Cour pour interpréter une disposition de droit
de l’Union relative à la PESC »
Dans l’affaire C‑238/24 [Tartisai] ( i ),
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 2 avril 2024, parvenue à la Cour le 2 avril 2024, dans la procédure
NR
contre
Ministero della Difesa,
Comando Generale dell’Arma dei Carabinieri,
Comando Generale Carabinieri – Centro Nazionale Amministrativo – Chieti,
Centro Amministrativo d’Intendenza Interforze del Contingente delle Forze Armate Italiane in Afghanistan,
Centro Nazionale Amministrativo dell’Arma dei Carabinieri,
LA COUR (première chambre),
composée de M. F. Biltgen (rapporteur), président de chambre, M. T. von Danwitz, vice‑président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, M. A. Kumin, Mme I. Ziemele et M. S. Gervasoni, juges,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour NR, par Me A. Pucci, avvocato,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. E. Feola, avvocato dello Stato,
– pour le gouvernement roumain, par Mmes R. Antonie, E. Gane et L. Ghiţă, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes M. Bruti Liberati, M. Carpus-Carcea, M. L. Hohenecker et Mme I. Melo Sampaio, en qualité d’agents,
– pour le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, par Mme M. Almeida Veiga, M. F. Hoffmeister, Mmes E. Orgován et I. Orsini, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2010/279/PESC du Conseil, du 18 mai 2010, relative à la Mission de police de l’Union européenne en Afghanistan (EUPOL AFGHANISTAN) (JO 2010, L 123, p. 4).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant NR au Ministero della Difesa (ministère de la Défense, Italie), au Comando Generale dell’Arma dei Carabinieri (commandement général du corps des carabiniers, Italie), au Comando Generale Carabinieri – Centro Nazionale Amministrativo – Chieti (commandement général des carabiniers – centre administratif national – Chieti, Italie), au Centro Amministrativo d’Intendenza Interforze del Contingente delle Forze Armate Italiane in
Afghanistan (centre administratif inter-forces du contingent des forces armées italiennes en Afghanistan, Italie) et au Centro Nazionale Amministrativo dell’Arma dei Carabinieri (centre administratif national du corps des carabiniers, Italie) (ci-après, ensemble, l’« administration de la Défense ») au sujet du recouvrement, par celle-ci, de l’indemnité de mission à l’étranger perçue par NR au titre de la réglementation italienne.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 2 de la décision 2010/279, intitulé « Objectifs », prévoyait :
« [La Mission de police de l’Union européenne en Afghanistan (ci-après la “mission EUPOL Afghanistan”)] apporte une aide substantielle pour la mise en place, sous gestion afghane, de dispositifs durables et efficaces dans le domaine des opérations civiles de maintien de l’ordre, qui assureront une interaction adéquate avec le système judiciaire pénal au sens large, conformément aux conseils stratégiques fournis par l’Union [européenne], les États membres et les autres acteurs internationaux ainsi
qu’à l’action menée par ces derniers en faveur du renforcement des institutions. En outre, la [mission EUPOL Afghanistan] soutiendra le processus de réforme visant la création d’un service de police efficace et digne de confiance, qui opère conformément aux normes internationales, dans le cadre de l’État de droit, et respecte les droits de l’homme. »
4 L’article 7 de cette décision, intitulé « Personnel », disposait :
«1. L’effectif [de la mission EUPOL Afghanistan] et les compétences de son personnel sont conformes aux objectifs fixés à l’article 2, aux tâches fixées à l’article 3 et à la structure de la [mission EUPOL Afghanistan] fixée à l’article 4.
2. Le personnel [de la mission EUPOL Afghanistan] consiste essentiellement en agents détachés par les États membres ou les institutions de l’Union européenne.
3. Chaque État membre ou institution de l’Union européenne supporte les dépenses afférentes au personnel qu’il détache, y compris les frais de voyage à destination et au départ du lieu de déploiement, les salaires, la couverture médicale et les indemnités, à l’exclusion des indemnités journalières de subsistance, des indemnités pour conditions de travail difficiles et des primes de risque.
[...]
5. Tout le personnel exerce ses fonctions et agit dans l’intérêt de la [mission EUPOL Afghanistan]. Il respecte les principes et les normes minimales de sécurité définis dans la [décision 2001/264/CE du Conseil, du 19 mars 2001, adoptant le règlement de sécurité du Conseil (JO 2001, L 101, p. 1)]. »
5 Aux termes de l’article 8 de ladite décision, intitulé « Statut du personnel [de la mission EUPOL Afghanistan] » :
« 1. Le statut du personnel [de la mission EUPOL Afghanistan] en Afghanistan, y compris, le cas échéant, les privilèges, immunités et autres garanties nécessaires à l’exécution et au bon déroulement de la [mission EUPOL Afghanistan], est précisé dans un accord conclu conformément à l’article 37 du traité [UE].
2. Il appartient à l’État membre ou à l’institution de l’Union européenne ayant détaché un membre du personnel de répondre à toute plainte liée au détachement, qu’elle émane de ce membre ou qu’elle le concerne. Il incombe à l’État membre ou à l’institution de l’Union européenne en question d’intenter toute action contre la personne détachée.
3. Les conditions d’emploi ainsi que les droits et obligations du personnel civil international et local figurent dans les contrats conclus entre le chef de [la mission EUPOL Afghanistan] et les membres du personnel. »
Le droit italien
6 L’article 2 du regio decreto n. 941 – Indennità al personale dell’Amministrazione dello Stato incaricato di missione all’estero (arrêté royal no 941 – Indemnité versée au personnel de l’administration de l’État en mission à l’étranger), du 3 juin 1926 (GURI no 134, du 11 juin 1926, ci-après l’« arrêté royal no 941/26 »), prévoit, pour les personnes participant aux missions internationales, que l’indemnité de mission à l’étranger y visée est due « à partir du jour où la frontière est franchie ou à
partir du jour du débarquement à l’étranger jusqu’au jour où l’on franchit la frontière ou au jour de l’embarquement pour le retour ».
7 L’article 39 unvicies, paragraphe 39, du decreto-legge n. 273 – Definizione e proroga di termini, nonchè conseguenti disposizioni urgenti (décret-loi no 273 – Définition et prorogation des échéances, dispositions d’urgence qui en résultent), du 30 décembre 2005 (GURI no 303, du 30 décembre 2005), converti en loi, après modifications, par la legge n. 51 (loi no 51), du 23 février 2006 (GURI no 49, du 28 février 2006), dispose :
« L’article 1er de l’[arrêté royal no 941/26], l’article 1er, paragraphe 1, sous b), et l’article 3 de la loi no 642 du 8 juillet 1961, ainsi que l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la loi no 838 du 27 décembre 1973, doivent être interprétés en ce sens que les émoluments qui y sont prévus présentent un caractère accessoire et sont versés en compensation des inconvénients et des risques liés à l’emploi, des obligations d’astreinte et de disponibilité à des heures de service pénibles, ainsi qu’en
remplacement des rémunérations pour les heures supplémentaires. »
8 L’article 3, paragraphe 1, de la legge n. 108 – Proroga della partecipazione italiana a missioni internazionali (loi no 108 – Prorogation de la participation italienne à des missions internationales), du 3 août 2009 (GURI no 181, du 6 août 2009, ci-après la « loi no 108/2009 »), prévoit :
« À compter de la date d’entrée sur le territoire, dans les eaux territoriales et dans l’espace aérien des pays concernés et jusqu’à la date de sortie hors de ces pays afin de rentrer sur le territoire national en raison de la fin de la mission, le personnel participant aux missions internationales visées par la présente loi perçoit, net de toute retenue, pendant toute la durée de la période et en plus de son traitement ou salaire et des autres indemnités fixes et continues, l’indemnité de mission
visée dans l’[arrêté royal no 941/26], à hauteur des montants indiqués ci‑après, déduction faite des éventuelles indemnités et cotisations versées au même titre aux personnes intéressées directement par les organismes internationaux [...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
9 Le requérant au principal, qui est membre du corps des carabiniers, a, en cette qualité, rejoint la mission EUPOL Afghanistan au mois de juin 2011.
10 Il était rémunéré au niveau national par une indemnité journalière (« per diem ») prévue à l’article 3 de la loi no 108/2009. Il percevait également des émoluments de la part de la mission EUPOL Afghanistan, composés de trois types d’indemnités, dénommées respectivement « per diem allowance » (indemnité journalière), « hardship allowance » (indemnité pour conditions de travail difficiles) et « risk allowance » (prime de risque).
11 Au mois de mars 2012, l’administration de la Défense a entamé, sur le fondement de la loi no 108/2009, le recouvrement, à l’égard du requérant au principal, des sommes perçues au titre de l’indemnité de mission qui lui avait été versée en vertu de l’arrêté royal no 941/26. L’article 3, paragraphe 1, de la loi no 108/2009 prévoit, en substance, que pour les personnes participant aux missions internationales, l’indemnité qui leur est due au titre de l’arrêté royal no 941/26 leur est versée
déduction faite des éventuelles indemnités qu’elles perçoivent directement des organismes internationaux. À l’issue de son analyse, cette administration a, au courant du mois de décembre 2020, décidé de recouvrer ainsi un montant de 25131,80 euros auprès du requérant au principal.
12 Ce dernier a attaqué cette décision en faisant valoir, notamment, qu’il ressortait d’une lettre datée du 11 août 2011, envoyée par le conseiller juridique du chef de la mission EUPOL Afghanistan au centre administratif inter-forces du contingent des forces armées italiennes en Afghanistan, que, en application de l’article 7 de la décision 2010/279, les États membres devaient supporter les coûts du personnel détaché, y compris les frais de voyage, la couverture médicale, ainsi que les indemnités
applicables. Selon le requérant au principal, les indemnités versées dans le cadre de la mission EUPOL Afghanistan devaient s’ajouter à celles versées en application du droit italien. À l’appui de sa position, il invoquait, en outre, la version en langue anglaise de l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2010/279 et avançait que les termes « other than » y figurant devaient être compris comme signifiant « en sus de ».
13 La juridiction de première instance ayant rejeté le recours introduit par le requérant au principal, ce dernier a fait appel de cette décision auprès du Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), qui est la juridiction de renvoi.
14 Devant cette juridiction, le requérant au principal réitère son argumentation avancée en première instance et fait valoir que l’administration de la Défense est tenue, conformément au principe de primauté du droit de l’Union sur le droit interne, de verser l’indemnité de mission italienne tandis que les indemnités de l’Union, à savoir les indemnités journalières de subsistance, les indemnités pour conditions de travail difficiles et les primes de risque, devraient, comme indiqué par le conseiller
juridique du chef de la mission EUPOL Afghanistan, être versées de manière autonome, puisqu’elles sont prévues par une action commune et ne sont donc pas soumises à la compétence des autorités nationales. À l’appui de son interprétation de l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2010/279, le requérant au principal invoque, une nouvelle fois, la version en langue anglaise de cette disposition et soutient qu’il ressort de celle-ci que les indemnités nationales doivent être payées « en sus de »
celles versées au même titre par l’Union.
15 La juridiction de renvoi doute du sens exact qu’il convient de conférer à l’expression « other than » figurant dans la version en langue anglaise de l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2010/279. Selon cette juridiction, alors que cette expression peut être traduite, en langue italienne, soit par « en sus de », soit par « à l’exclusion de », d’autres versions linguistiques de celle-ci, notamment la version en langue française, ne sont pas sujettes à interprétation en ce qu’elles utilisent
les termes « à l’exclusion des », à l’instar de la version en langue italienne qui utilise les termes « diverse da » (« autres que, différentes de »).
16 Dans ces conditions, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Quelle est l’interprétation exacte de l’article 7, paragraphe 3, de la décision [2010/279] ou, en d’autres termes, cette disposition a‑t‑elle entendu ou non prévoir un cumul entre les indemnités versées par l’État membre et celles accordées par [la mission EUPOL Afghanistan] ?
2) Dans le cas où cette disposition devrait être interprétée en ce sens que les indemnités mentionnées sont cumulables, l’article 7, paragraphe 3, de la décision [2010/279] s’oppose-t-il à une réglementation nationale, telle que celle résultant des dispositions figurant à l’article 3, paragraphe 1, de la loi no 108/2009, dans la mesure où cet article prévoit que “le personnel participant aux missions internationales visées par la présente loi perçoit, nette de toute retenue, pendant toute la
durée de la période et en plus de son traitement ou salaire et des autres indemnités fixes et continues, l’indemnité de mission visée dans l’[arrêté royal no 941/26], déduction faite des éventuelles indemnités et cotisations versées au même titre aux personnes intéressées directement par les organismes internationaux”, ainsi qu’à l’article 1er de l’[arrêté royal no 941/26], à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), et à l’article 3 de la loi no 642 du 8 juillet 1961 et à l’article 4,
paragraphe 1, sous a), de la loi no 838 du 27 décembre 1973, conformément à l’interprétation jurisprudentielle […], qui vise à exclure le cumul d’indemnités ? »
17 Le 11 juillet 2024, la Cour a invité, sur la base de l’article 24, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité à fournir des informations concernant les objectifs poursuivis par l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2010/279.
Sur la compétence de la Cour
18 Le gouvernement roumain considère que, en vertu de l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et de l’article 275, premier alinéa, TFUE, la Cour n’est pas compétente pour interpréter une disposition relative à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), telle que l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2010/279. La Commission européenne estime, quant à elle, que la Cour est compétente pour interpréter une telle disposition.
19 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et à l’article 275, premier alinéa, TFUE, la Cour de justice de l’Union européenne n’est, en principe, pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la PESC ainsi que les actes adoptés sur leur base. Ces dispositions introduisent une dérogation à la règle de la compétence générale que l’article 19 TUE confère à cette institution pour assurer le respect du droit
dans l’interprétation et l’application des traités et, par conséquent, elles doivent être interprétées restrictivement (arrêts du 19 juillet 2016, H/Conseil e.a., C‑455/14 P, EU:C:2016:569, points 39 et 40 ; du 10 septembre 2024, Neves 77 Solutions, C‑351/22, EU:C:2024:723, point 35, ainsi que 10 septembre 2024, KS e.a./Conseil e.a., C‑29/22 P et C‑44/22 P, EU:C:2024:725, point 62).
20 En outre, l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et l’article 275, second alinéa, TFUE établissent explicitement deux exceptions à ce principe, à savoir la compétence de la Cour, d’une part, pour contrôler le respect de l’article 40 TUE et, d’autre part, pour se prononcer sur les recours, formés dans les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, concernant le contrôle de la légalité des décisions du Conseil de l’Union européenne adoptées sur le fondement
des dispositions relatives à la PESC, qui prévoient des mesures restrictives à l’égard de personnes physiques ou morales (arrêts du 10 septembre 2024, Neves 77 Solutions, C‑351/22, EU:C:2024:723, point 36, ainsi que du 10 septembre 2024, KS e.a./Conseil e.a., C‑29/22 P et C‑44/22 P, EU:C:2024:725, point 63 et jurisprudence citée).
21 Force est, en l’occurrence, de constater que les présentes questions préjudicielles ne relèvent d’aucune de ces exceptions.
22 Il convient dès lors encore d’apprécier si la compétence de la Cour peut être fondée sur la circonstance que les actes en cause au principal ne se rattachent pas directement aux choix politiques ou stratégiques effectués par les institutions, les organes et les organismes de l’Union dans le cadre de la PESC, étant entendu que, en l’absence d’un tel rattachement direct à ces choix politiques ou stratégiques, la Cour est compétente, notamment, pour interpréter ces actes (voir, en ce sens, arrêt du
10 septembre 2024, KS e.a./Conseil e.a., C‑29/22 P et C‑44/22 P, EU:C:2024:725, points 116 et 117 ainsi que jurisprudence citée).
23 À cet égard, la Cour a déjà jugé que la portée de la limitation dérogatoire à la compétence de la Cour de justice prévue à l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et à l’article 275, premier alinéa, TFUE ne s’étend pas jusqu’à exclure la compétence du juge de l’Union pour contrôler des actes de gestion du personnel relatifs à des agents détachés par les États membres ayant pour objet de répondre aux besoins, sur le théâtre des opérations, d’une mission telle que la mission
EUPOL Afghanistan, alors même que le juge de l’Union est, en tout état de cause, compétent pour contrôler de tels actes lorsqu’ils concernent des agents détachés par les institutions de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2016, H/Conseil e.a., C‑455/14 P, EU:C:2016:569, point 55).
24 Toute autre interprétation aurait, notamment, comme conséquence que, lorsqu’un même acte de gestion du personnel relatif aux opérations « sur le terrain » concerne à la fois des agents détachés par les États membres et des agents détachés par les institutions de l’Union, la décision rendue à l’égard des premiers serait susceptible d’être inconciliable avec celle rendue par le juge de l’Union à l’égard de ces derniers (arrêt du 19 juillet 2016, H/Conseil e.a., C‑455/14 P, EU:C:2016:569, point 57).
25 En l’occurrence, d’une part, l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2010/279, dont l’interprétation fait l’objet de la présente demande de décision préjudicielle, concerne les dépenses afférentes au personnel détaché dans le cadre de la mission EUPOL Afghanistan, de sorte que cette disposition ne se rattache pas directement aux choix politiques ou stratégiques effectués par les institutions, les organes et les organismes de l’Union dans le cadre de la PESC (voir, par analogie, arrêt du
10 septembre 2024, KS e.a./Conseil e.a., C‑29/22 P et C‑44/22 P, EU:C:2024:725, point 128).
26 D’autre part, et nonobstant le fait que cette disposition n’est pas un acte de gestion du personnel relatif aux opérations « sur le terrain », il n’en demeure pas moins qu’elle concerne, au même titre, les agents détachés respectivement par les États membres et par les institutions de l’Union s’agissant de la prise en charge de ces dépenses. Or, afin d’assurer une interprétation uniforme de ladite disposition et d’éviter que les décisions concernant les agents détachés par les États membres
soient inconciliables avec celles rendues par le juge de l’Union concernant les agents détachés par les institutions de l’Union, au sens de la jurisprudence rappelée au point 24 du présent arrêt, il convient de retenir la compétence de la Cour pour procéder à son interprétation.
27 Partant, il y a lieu de conclure que la Cour est compétente pour interpréter l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2010/279.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
28 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2010/279 doit être interprété en ce sens qu’il prévoit un cumul des indemnités journalières de subsistance, des indemnités pour conditions de travail difficiles et des primes de risque versées par l’Union à un membre du personnel de la mission de police prorogée par cette décision avec les indemnités et les primes de même nature qui lui sont versées au titre de l’exercice des
mêmes fonctions auprès de ladite mission de police par l’État membre dont il relève.
29 En l’occurrence, les doutes de la juridiction de renvoi quant à l’interprétation correcte de l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2010/279 viennent du fait que, d’après le requérant au principal, les termes « other than », figurant dans la version en langue anglaise de cette disposition, doivent être compris comme signifiant « en sus de » et non « à l’exception de ».
30 À cet égard, selon une jurisprudence constante, la nécessité d’une interprétation uniforme des dispositions du droit de l’Union exclut que, en cas de doute, le texte d’une disposition soit considéré isolément et exige au contraire qu’il soit interprété et appliqué à la lumière des versions établies dans les autres langues officielles. En outre, en cas de disparité entre les diverses versions linguistiques d’un texte de l’Union, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de
l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (arrêt du 15 avril 2010, Heinrich Heine, C‑511/08, EU:C:2010:189, point 51 et jurisprudence citée). En revanche, si l’interprétation littérale d’une disposition fait apparaître que le libellé de celle-ci est parfaitement clair et univoque, il n’y a pas lieu de rechercher une autre interprétation de ladite disposition (voir, par analogie, arrêt du 11 avril 2024, OSTP Italy, C‑770/22, EU:C:2024:299, point 47
et jurisprudence citée).
31 S’agissant, en l’occurrence, du libellé de l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2010/279, il convient de relever que, selon la juridiction de renvoi, les termes « other than » figurant dans la version en langue anglaise de cette décision peuvent avoir pour synonymes, dans cette langue, tant « except » (« à l’exception de ») que « in addition to » (« en sus de »).
32 Cela étant, force est de constater que la version en langue française de cette disposition prévoit que chaque État membre ou institution de l’Union supporte les dépenses afférentes au personnel qu’il détache, y compris les frais de voyage à destination et au départ du lieu de déploiement, les salaires, la couverture médicale et les indemnités, « à l’exclusion des » indemnités journalières de subsistance, des indemnités pour conditions de travail difficiles et des primes de risque.
33 Les termes « à l’exclusion des » figurant dans la version en langue française de l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2010/279 trouvent leur équivalent, en substance, dans de nombreuses autres versions linguistiques de cette disposition, notamment dans les versions en langues italienne, tchèque, danoise, allemande, estonienne, croate, lettone, lituanienne, hongroise, néerlandaise, portugaise, slovène, finnoise et suédoise de celle-ci. En effet, en employant respectivement les termes
« diverse da », « s výjimkou », « bortset fra », « anderer [...] als », « välja arvatud », « osim », « izņemot », « išskyrus », « kivételével », « en andere vergoedingen dan », « com excepção das », « razen », « muista [...] kuin » et « andra [...] än », ces versions linguistiques revêtent cette signification.
34 Dans la mesure où les termes « other than » figurant dans la version en langue anglaise de l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2010/279 peuvent notamment signifier « à l’exception de » et que cette signification est pleinement conforme aux termes figurant dans les autres versions linguistiques de cette disposition, il y a lieu de conclure que seule cette signification doit être retenue et qu’il n’y a donc pas de disparité entre les différentes versions linguistiques de cette disposition.
35 Ainsi qu’il découle des points 32 et 33 du présent arrêt, les différentes versions linguistiques concourent à la conclusion selon laquelle le libellé de l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2010/279 ne prévoit pas le cumul des indemnités journalières de subsistance, des indemnités pour conditions de travail difficiles et des primes de risque versées par l’Union à un membre du personnel de la mission EUPOL Afghanistan avec celles de même nature qui lui sont octroyées au titre de l’exercice
des mêmes fonctions auprès de ladite mission de police par l’État membre dont il relève. Le libellé de cette disposition étant suffisamment clair et dépourvu d’ambigüité, il n’y a pas lieu de procéder à une interprétation de cette disposition en fonction de l’économie générale et de la finalité de la décision 2010/279.
36 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 7, paragraphe 3, de la décision 2010/279 doit être interprété en ce sens qu’il ne prévoit pas le cumul des indemnités journalières de subsistance, des indemnités pour conditions de travail difficiles et des primes de risque versées par l’Union à un membre du personnel de la mission de police prorogée par cette décision avec les indemnités et primes de même nature qui lui sont versées au titre
de l’exercice des mêmes fonctions auprès de ladite mission de police par l’État membre dont il relève.
Sur la seconde question
37 La juridiction de renvoi n’ayant posé sa seconde question qu’en cas de réponse affirmative à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à cette seconde question.
Sur les dépens
38 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
L’article 7, paragraphe 3, de la décision 2010/279/PESC du Conseil, du 18 mai 2010, relative à la Mission de police de l’Union européenne en Afghanistan (EUPOL AFGHANISTAN),
doit être interprété en ce sens que :
il ne prévoit pas le cumul des indemnités journalières de subsistance, des indemnités pour conditions de travail difficiles et des primes de risque versées par l’Union européenne à un membre du personnel de la mission de police prorogée par cette décision avec les indemnités et primes de même nature qui lui sont versées au titre de l’exercice des mêmes fonctions auprès de ladite mission de police par l’État membre dont il relève.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.
( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.