ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
13 mars 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Opération de vente requalifiée, par les autorités fiscales, en transmission d’entreprise placée en dehors du champ d’application de la TVA – Absence de correction de la facture dans le délai de prescription – Impossibilité de recouvrer la TVA payée au titre de ladite opération – Principes d’effectivité et de neutralité fiscale – Remboursement de la
taxe »
Dans l’affaire C‑640/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), par décision du 26 juin 2023, parvenue à la Cour le 25 octobre 2023, dans la procédure
Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Galaţi – Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Vrancea,
Direcţia Generală de Administrare a Marilor Contribuabili
contre
Greentech SA,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. A. Kumin, président de chambre, M. F. Biltgen (rapporteur), président de la première chambre, et M. S. Gervasoni, juge,
avocat général : M. R. Norkus,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Greentech SA, par M. D.-D. Dascălu et Mme A. M. Iordache, avocaţi,
– pour le gouvernement roumain, par Mmes M. Chicu, E. Gane et A. Wellman, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. M. Herold et Mme T. Isacu de Groot, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des principes de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ainsi que des articles 2, 19, 168 et 203 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Direcția Generală Regională a Finanțelor Publice Galați – Administrația Județeană a Finanțelor Publice Vrancea [direction générale régionale des finances publiques de Galați – administration départementale des finances publiques de Vrancea, Roumanie] et la Direcția Generală de Administrare a Marilor Contribuabili (direction générale pour l’administration des grands contribuables, Roumanie) à Greentech SA au sujet des rappels de
TVA et des frais accessoires à celle-ci mises à la charge de Greentech.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 2, paragraphe 1, de la directive TVA prévoit :
« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :
a) les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;
[...] »
4 L’article 19 de cette directive dispose :
« Les États membres peuvent considérer que, à l’occasion de la transmission, à titre onéreux ou à titre gratuit ou sous forme d’apport à une société, d’une universalité totale ou partielle de biens, aucune livraison de biens n’est intervenue et que le bénéficiaire continue la personne du cédant.
Les États membres peuvent prendre les dispositions nécessaires pour éviter des distorsions de concurrence dans le cas où le bénéficiaire n’est pas un assujetti total. Ils peuvent aussi prendre toutes mesures utiles pour éviter que l’application de cet article rende la fraude ou l’évasion fiscales possibles. »
5 L’article 29 de ladite directive est libellé comme suit :
« L’article 19 s’applique dans les mêmes conditions aux prestations de services. »
6 Aux termes de l’article 167 de la même directive :
« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »
7 L’article 168 de la directive TVA dispose :
« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :
a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;
b) la TVA due pour les opérations assimilées aux livraisons de biens et aux prestations de services conformément à l’article 18, point a), et à l’article 27 ;
c) la TVA due pour les acquisitions intracommunautaires de biens conformément à l’article 2, paragraphe 1, point b) i) ;
d) la TVA due pour les opérations assimilées aux acquisitions intracommunautaires conformément aux articles 21 et 22 ;
e) la TVA due ou acquittée pour les biens importés dans cet État membre. »
8 Aux termes de l’article 179 de cette directive :
« La déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période imposable, du montant de la TVA pour laquelle le droit à déduction a pris naissance et est exercé en vertu de l’article 178, au cours de la même période.
Toutefois, les États membres peuvent obliger les assujettis qui effectuent des opérations occasionnelles visées à l’article 12 à n’exercer le droit à déduction qu’au moment de la livraison. »
9 L’article 203 de ladite directive prévoit :
« La TVA est due par toute personne qui mentionne cette taxe sur une facture. »
Le droit roumain
Le code des impôts
10 Aux termes de l’article 3, sous a), de la Legea nr. 571/2003, privind Codul fiscal (loi no 571/2003, portant code des impôts), du 22 décembre 2003 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 927 du 23 décembre 2003, ci-après le « code des impôts ») :
« Les impôts et taxes régis par le présent code sont fondés sur les principes suivants :
a) la neutralité des mesures fiscales à l’égard des différentes catégories d’investisseurs et de capitaux ainsi que des formes de propriété, garantissant des conditions égales pour les investisseurs et les capitaux roumains et étrangers ».
11 L’article 126, paragraphe 1, du code des impôts prévoit :
« Aux fins de la TVA, sont imposables en Roumanie les opérations qui remplissent les conditions cumulatives suivantes :
a) les opérations qui, au sens des articles 128 à 130, constituent ou sont assimilées à une livraison de biens ou à une prestation de services, relevant de la TVA, effectuées à titre onéreux ».
12 L’article 128, paragraphe 7, du code des impôts dispose :
« La transmission d’une universalité totale ou partielle de biens, effectuée lors de la transmission d’actifs et/ou de passifs, selon le cas, indépendamment du fait de savoir si cette transmission est réalisée à la suite d’une vente ou à la suite d’opérations telles que la scission, la fusion ou en tant qu’apport en nature au capital d’une société, ne constitue pas une livraison de biens si le cessionnaire des biens est un assujetti. Le cessionnaire des biens est réputé continuer la personne du
cédant en ce qui concerne la régularisation du droit à déduction prévu par la loi. »
13 L’article 145, paragraphe 2, du code des impôts est libellé comme suit :
« Tout assujetti a le droit de déduire la taxe afférente aux achats si ces derniers sont utilisés pour les besoins des opérations suivantes :
a) les opérations taxées ;
b) les opérations résultant d’activités économiques pour lesquelles le lieu de livraison/prestation est réputé être à l’étranger, dans le cas où la taxe serait déductible si ces opérations étaient effectuées en Roumanie ;
c) les opérations exonérées, conformément aux articles 143, 144 et 144 bis ;
d) les opérations exonérées conformément à l’article 141, paragraphe 2, sous a), points 1 à 5, et sous b), lorsque l’acquéreur ou le preneur est établi en dehors de la Communauté [européenne] ou lorsque ces opérations sont directement liées à des biens qui sont destinés à être exportés en dehors de la Communauté ainsi que pour les opérations effectuées par des intermédiaires agissant au nom et pour le compte d’autrui, lorsqu’ils interviennent dans le déroulement de telles opérations ;
e) les opérations visées à l’article 128, paragraphe 7, et à l’article 129, paragraphe 7, si la taxe s’appliquait audit transfert. »
Le code de procédure fiscale
14 L’article 84 de l’Ordonanța Guvernului nr. 92/2003, privind Codul de procedură fiscală (ordonnance du gouvernement no 92/2003, portant code de procédure fiscale, ci‑après le « code de procédure fiscale ») dispose :
« 1) Les déclarations fiscales peuvent être rectifiées par le contribuable, de sa propre initiative, dans le délai de prescription du droit de fixer des obligations fiscales.
2) Les déclarations fiscales peuvent être rectifiées lorsque le contribuable constate des erreurs dans la déclaration initiale, en présentant une déclaration rectificative.
3) Dans le cas de la [TVA], la rectification des erreurs dans les déclarations de taxe est faite conformément aux dispositions du code des impôts. Les erreurs matérielles de la déclaration de la [TVA] sont rectifiées conformément à la procédure approuvée par arrêté du président de l’[Agenția Națională de Administrare Fiscală (agence nationale d’administration fiscale, ANAF)].
4) Les déclarations fiscales ne peuvent être ni déposées ni rectifiées après la levée de la réserve du contrôle ultérieur, excepté dans le cas où la rectification est due au respect ou au non-respect d’une condition légale imposant la rectification de la base d’imposition et/ou de l’impôt correspondant.
5) On entend par “erreurs”, au sens du présent article, les erreurs relatives au montant des impôts, taxes et contributions, des biens et des revenus imposables ainsi que d’autres éléments de la base d’imposition.
6) Si, lors du contrôle fiscal, le contribuable dépose ou rectifie les déclarations fiscales relatives aux périodes et aux impôts, taxes, contributions ainsi qu’autres revenus faisant l’objet du contrôle fiscal, celles-ci ne sont pas prises en considération par l’autorité fiscale. »
15 L’article 90 du code de procédure fiscale prévoit :
« 1) Le montant des obligations fiscales est déterminé sous réserve de contrôle ultérieur.
2) L’avis d’imposition émis sous réserve de contrôle ultérieur peut être annulé ou modifié, à l’initiative de l’autorité fiscale ou à la demande du contribuable, sur la base des constatations de l’autorité fiscale compétente.
3) La réserve du contrôle ultérieur est levée uniquement à l’expiration du délai de prescription ou à la suite du contrôle fiscal effectué dans le délai de prescription.
4) Si le contribuable rectifie les déclarations fiscales conformément à l’article 84, paragraphe 4, la réserve du contrôle ultérieur reprend effet. »
16 L’article 91 du code de procédure fiscale dispose :
« 1) Le droit de l’autorité fiscale d’établir des obligations fiscales est prescrit dans un délai de cinq ans, sauf disposition contraire de la loi.
2) Le délai de prescription du droit prévu au paragraphe 1 commence à courir à compter du 1er janvier de l’année suivant celle au cours de laquelle la créance fiscale est née conformément à l’article 23, sauf disposition contraire de la loi.
3) Le droit d’établir des obligations fiscales est prescrit dans un délai de dix ans lorsque celles-ci résultent de la commission d’un fait prévu par la loi pénale.
4) Le délai prévu au paragraphe 3 court à compter de la date de commission du fait constitutif d’une infraction sanctionnée en tant que telle par une décision judiciaire définitive. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
17 Au cours de la période allant du 23 novembre 2015 au 15 juillet 2016, Greentech a fait l’objet d’un contrôle fiscal qui a abouti à l’émission d’un avis d’imposition lui infligeant des rappels d’un montant de 4388720 lei roumains (RON) (environ 882352 euros) au titre de la TVA et des frais accessoires à celle-ci. L’imposition de ces rappels résultait de la requalification, par l’administration fiscale roumaine, de l’opération de vente d’équipements effectuée par Greenfiber International SA
(ci-après « Greenfiber ») à Greentech, initialement considérée comme étant une livraison de biens soumise à TVA donnant à Greentech le droit de déduire la TVA acquittée en amont, en transmission d’une universalité partielle de biens entre deux sociétés liées, opération non soumise à la TVA conformément à l’article 128, paragraphe 7, du code des impôts.
18 Par ailleurs, au cours de la période allant du 28 mai au 17 novembre 2015, Greenfiber a également fait l’objet d’un contrôle fiscal qui a donné lieu à l’émission d’un avis d’imposition le 26 novembre 2015. Dans le cadre de ce contrôle, cette administration a considéré que le traitement fiscal appliqué par Greenfiber et Greentech à l’opération de transmission de biens, à savoir que l’opération était soumise à la TVA, était correct et que Greenfiber avait donc correctement collecté et versé la TVA
relative à cette opération au Trésor public.
19 La réclamation introduite par Greentech contre l’avis d’imposition concernant les rappels de TVA qui lui avaient été réclamés ayant été partiellement rejetée, Greentech a introduit un recours devant la Curtea de Apel Ploiești (cour d’appel de Ploiești, Roumanie).
20 Le 26 novembre 2018, cette juridiction a fait droit au recours de Greentech en annulant partiellement la décision de rejet de cette réclamation (ci-après le « jugement du 26 novembre 2018 »).
21 Le 12 mars 2019, la Curtea de Apel Ploiești (cour d’appel de Ploiești) a en outre partiellement annulé l’avis d’imposition et le rapport de contrôle fiscal concernant le contrôle effectué auprès de Greentech.
22 L’administration fiscale roumaine a formé un pourvoi contre le jugement du 26 novembre 2018, tel que complété par le jugement du 12 mars 2019, devant l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), qui est la juridiction de renvoi.
23 Le 23 novembre 2021, cette juridiction a admis ledit pourvoi, a partiellement cassé le jugement du 26 novembre 2018 et, en statuant à nouveau, a partiellement fait droit au recours de Greentech, en ce sens qu’elle a annulé les actes administratifs fiscaux attaqués, uniquement en ce qui concerne les rappels établis au titre de l’année 2009 (ci-après l’« arrêt du 23 novembre 2021 »). Le recours de Greentech a été rejeté comme étant non fondé pour le surplus et le montant antérieurement alloué à
celle-ci au titre des dépens a été réduit.
24 Greentech a introduit un recours en révision de cet arrêt devant l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice), en faisant valoir que ledit arrêt méconnaissait la jurisprudence de la Cour, notamment les arrêts du 26 avril 2017, Farkas (C‑564/15, EU:C:2017:302), et du 11 avril 2019, PORR Építési Kft. (C‑691/17, EU:C:2019:327), en vertu de laquelle le droit à déduction de la TVA doit également être reconnu dans les hypothèses où les opérations en cause ne relèvent
pas du champ d’application de la TVA, s’il ressort des circonstances particulières de l’espèce que le recouvrement de la somme ayant été acquittée au titre de la TVA, par celui qui s’est acquitté de celle-ci, serait impossible ou extrêmement difficile, au risque de sinon porter atteinte aux principes de neutralité de la TVA et d’effectivité.
25 Le 31 janvier 2023, l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) a fait droit audit recours en révision et a partiellement annulé l’arrêt du 23 novembre 2021 au regard du moyen du pourvoi relatif à la requalification de la transaction portant sur la vente d’équipements en transmission de biens. Cette juridiction a ordonné qu’il soit statué à nouveau sur ce moyen et a entendu les parties à l’audience du 9 mai 2023.
26 La juridiction de renvoi relève, notamment, que dans la mesure où le jugement du 26 novembre 2018 a confirmé que le traitement fiscal réservé par Greenfiber et Greentech à l’opération en cause était correct, ces sociétés n’avaient aucune raison valable de procéder à la correction de la facture constatant cette opération avant le prononcé de l’arrêt du 23 novembre 2021. En outre, Greenfiber ne pouvait procéder à la correction de cette facture qu’après le prononcé de ce dernier arrêt. Toutefois, à
la date dudit arrêt, le droit de corriger ladite facture était déjà prescrit, le délai de prescription ayant expiré au mois de mai 2021.
27 Cette juridiction considère que la situation dont elle est saisie peut être rapprochée de celle à l’origine de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 avril 2017, Farkas (C‑564/15, EU:C:2017:302), eu égard à l’existence, à tout le moins en apparence, d’une impossibilité objective de récupérer la TVA en raison du fait que Greenfiber est empêchée de corriger la facture et le décompte de TVA à la suite de l’expiration du délai de prescription prévu à cet égard. Cette situation serait également à
rapprocher de celle à l’origine de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 11 avril 2019, PORR Építési Kft. (C‑691/17, EU:C:2019:327), dès lors que la récupération de la TVA auprès de l’émetteur de la facture apparaîtrait impossible ou excessivement difficile. En effet, d’une part, le délai de prescription en matière fiscale aurait expiré, de sorte que Greenfiber ne pourrait pas procéder à la correction des factures, et, d’autre part, l’administration fiscale roumaine aurait confirmé, à la suite
du contrôle fiscal réalisé auprès de Greenfiber, que cette dernière avait correctement facturé et versé la TVA concernée.
28 La juridiction de renvoi se demande encore si, au vu de l’interprétation de la directive TVA, le fait que l’administration fiscale roumaine a traité de deux manières totalement différentes une même opération commerciale relative à un équipement dont le transfert a donné lieu à la perception de la TVA, à savoir, d’une part, comme étant une opération assujettie à la TVA pour Greenfiber auprès de laquelle cet équipement a été acquis et à qui Greentech a payé la TVA, et, d’autre part, comme étant une
opération non assujettie à la TVA pour Greentech, est pertinent.
29 Dans ces conditions, l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Les principes de neutralité, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, régis par les articles 2 et 19 ainsi que par l’article 168 de la [directive TVA], lus en combinaison avec l’article 203 [de celle-ci], s’opposent-ils au refus de reconnaissance du droit à déduction de la TVA acquittée au titre d’une opération de vente, qui a ensuite été requalifiée par l’administration fiscale en tant que transmission d’entreprise en dehors du champ d’application de la TVA, alors que
la TVA a déjà été versée au Trésor public et que son remboursement est, en vertu de la législation nationale, impossible à réaliser ? »
Sur la question préjudicielle
30 À titre liminaire, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En outre, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes et principes du droit
de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2023, Groenland Poultry, C-169/22, EU:C:2023:638, point 47 et jurisprudence citée).
31 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle qu’un élément essentiel caractérisant la situation en cause au principal réside dans le fait que, d’après la juridiction de renvoi, Greentech est désormais dans l’impossibilité matérielle d’obtenir le remboursement de la TVA que le vendeur, à savoir Greenfiber, lui a indûment facturée et a versée au Trésor public. Or, dans une telle situation, le principe dont il convient de tenir plus particulièrement compte est le principe
d’effectivité et non pas le principe de sécurité juridique ou le principe de protection de la confiance légitime.
32 Partant, et afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient de comprendre que, par la question posée, cette juridiction demande, en substance, si les articles 168 et 203 de la directive TVA ainsi que les principes de neutralité de la TVA et d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation ou à une pratique administrative nationale qui ne permet pas à un assujetti d’obtenir la déduction de la TVA payée en amont sur une opération qui,
à la suite d’un contrôle fiscal, a été requalifiée par l’administration fiscale en opération non soumise à la TVA alors même qu’il apparaît impossible ou excessivement difficile pour cet assujetti d’obtenir, de la part du vendeur, le remboursement de la TVA ainsi indûment payée.
33 À cet égard, il convient de rappeler que le droit à déduction fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité (arrêts du 15 juillet 2010, Pannon Gép Centrum, C‑368/09, EU:C:2010:441, point 37, et du 26 avril 2017, Farkas, C‑564/15, EU:C:2017:302, point 42). Le régime des déductions vise à soulager entièrement l’assujetti du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la
neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (arrêts du 22 février 2001, Abbey National, C‑408/98, EU:C:2001:110, point 24, et du 26 avril 2017, Farkas, C‑564/15, EU:C:2017:302, point 43).
34 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’opération ayant eu lieu entre Greenfiber et Greentech a, pour ce qui concerne le second de ces assujettis, été définitivement qualifiée d’opération non soumise à la TVA par l’administration fiscale roumaine et que Greenfiber est empêchée de corriger la facture relative à cette opération ainsi que le décompte de TVA à la suite de l’expiration du délai de prescription prévu pour ce faire.
35 À cet égard, conformément à la jurisprudence de la Cour, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle un assujetti a payé un montant de TVA indûment facturé, il appartient, en principe, à l’émetteur de la facture de procéder à la régularisation de celle-ci étant entendu que, en l’absence de disposition, dans la directive TVA, relative à la régularisation, par l’émetteur de la facture, de la TVA indûment facturée, il appartient, en principe, aux États membres de
déterminer les conditions dans lesquelles cette TVA peut être régularisée (arrêt du 13 octobre 2022, HUMDA, C‑397/21, EU:C:2022:790, point 19 et jurisprudence citée).
36 En effet, afin d’assurer la neutralité de la TVA, il appartient aux États membres de prévoir, dans leur ordre juridique interne, la possibilité de régularisation de toute taxe indûment facturée, dès lors que l’émetteur de la facture démontre sa bonne foi (arrêt du 13 octobre 2022, HUMDA, C‑397/21, EU:C:2022:790, point 20 et jurisprudence citée).
37 Il ressort également de la jurisprudence de la Cour qu’une réglementation nationale en vertu de laquelle, d’une part, le fournisseur qui a versé la TVA par erreur aux autorités fiscales peut en demander le remboursement et, d’autre part, le preneur de services peut exercer une action de droit civil en répétition de l’indu contre ce fournisseur, respecte les principes de neutralité de la TVA et d’effectivité. En effet, un tel système permet au preneur, qui a supporté la charge de la TVA facturée
par erreur, d’obtenir le remboursement des sommes indûment versées (arrêt du 13 octobre 2022, HUMDA, C‑397/21, EU:C:2022:790, point 21 et jurisprudence citée).
38 Si, comme en l’occurrence, le remboursement de la TVA est devenu impossible ou excessivement difficile, les principes de neutralité de la TVA et d’effectivité exigent que les États membres prévoient les instruments nécessaires pour permettre au preneur de récupérer la TVA indûment facturée et payée, notamment en adressant sa demande de remboursement directement à l’administration fiscale (arrêt du 13 octobre 2022, HUMDA, C‑397/21, EU:C:2022:790, point 22 et jurisprudence citée). Ainsi, dès lors
que le vendeur ne peut plus rectifier la facture relative à l’opération concernée et que l’acquéreur se retrouve donc dans l’impossibilité d’obtenir le remboursement de la TVA indûment facturée de la part du vendeur, l’acquéreur doit, conformément à la jurisprudence rappelée ci-dessus, pouvoir diriger sa demande de remboursement directement contre l’administration fiscale.
39 Force est toutefois de constater que, ainsi qu’il ressort du point 45 de l’arrêt du 11 avril 2019, PORR Építési Kft. (C‑691/17, EU:C:2019:327), une telle demande de remboursement doit être distinguée d’une demande de déduction de la TVA telle que celle faisant l’objet du litige au principal.
40 En effet, le régime des déductions vise à soulager entièrement l’assujetti du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques et l’exercice du droit à déduction est limité aux seules taxes dues, c’est-à-dire aux taxes correspondant à une opération soumise à la TVA ou acquittées dans la mesure où elles étaient dues (arrêt du 11 avril 2019, PORR Építési Kft., C‑691/17, EU:C:2019:327, point 36 et jurisprudence citée). Partant, en l’absence d’une opération soumise à
la TVA, un assujetti ne saurait faire valoir de droit à déduction de la TVA en relation avec cette opération (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2019, PORR Építési Kft., C‑691/17, EU:C:2019:327, point 37). Cette constatation n’est pas remise en cause par le fait qu’il n’y a, dans une situation telle que celle en cause au principal, pas de risque de pertes de recettes fiscales.
41 Or, dès lors que l’opération en cause dans l’affaire au principal a été définitivement qualifiée d’opération non soumise à la TVA, la TVA acquittée par Greentech auprès de l’émetteur de la facture, Greenfiber, n’était pas « due », au sens de la jurisprudence de la Cour.
42 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que les articles 168 et 203 de la directive TVA ainsi que les principes de neutralité de la TVA et d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation ou à une pratique administrative nationale qui ne permet pas à un assujetti d’obtenir la déduction de la TVA payée en amont sur une opération qui, à la suite d’un contrôle fiscal, a été requalifiée par
l’administration fiscale en opération non soumise à la TVA, alors même qu’il apparaît impossible ou excessivement difficile pour cet assujetti d’obtenir, de la part du vendeur, le remboursement de la TVA ainsi indûment payée. Ces principes exigent toutefois que, dans une telle situation, cet assujetti puisse diriger sa demande de remboursement directement contre l’administration fiscale.
Sur les dépens
43 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
Les articles 168 et 203 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que les principes de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et d’effectivité
doivent être interprétés en ce sens que :
ils ne s’opposent pas à une réglementation ou à une pratique administrative nationale qui ne permet pas à un assujetti d’obtenir la déduction de la TVA payée en amont sur une opération qui, à la suite d’un contrôle fiscal, a été requalifiée par l’administration fiscale en opération non soumise à la TVA, alors même qu’il apparaît impossible ou excessivement difficile pour cet assujetti d’obtenir, de la part du vendeur, le remboursement de la TVA ainsi indûment payée. Ces principes exigent toutefois
que, dans une telle situation, cet assujetti puisse diriger sa demande de remboursement directement contre l’administration fiscale.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le roumain.