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13/03/2025 | CJUE | N°C-137/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, X contre Staatssecretaris van Financiën., 13/03/2025, C-137/23


 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

13 mars 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Droits d’accise – Directive 2003/96/CE – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Exonération des produits énergétiques utilisés comme carburant ou combustible – Article 14, paragraphe 1, sous c) – Navigation dans les eaux de l’Union européenne – Article 15, paragraphe 1, sous f) – Navigation sur des voies navigables intérieures – Directive 95/60/CE – Marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant 

Gazole destiné à être utilisé pour la propulsion
d’un navire et ne faisant pas l’objet d’un marquage fiscal conforme au dro...

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

13 mars 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Droits d’accise – Directive 2003/96/CE – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Exonération des produits énergétiques utilisés comme carburant ou combustible – Article 14, paragraphe 1, sous c) – Navigation dans les eaux de l’Union européenne – Article 15, paragraphe 1, sous f) – Navigation sur des voies navigables intérieures – Directive 95/60/CE – Marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant – Gazole destiné à être utilisé pour la propulsion
d’un navire et ne faisant pas l’objet d’un marquage fiscal conforme au droit de l’Union – Refus d’appliquer l’exonération des droits d’accise – Principe de proportionnalité »

Dans l’affaire C‑137/23 [Alsen] ( i ),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), par décision du 10 février 2023, parvenue à la Cour le 7 mars 2023, dans la procédure

X

contre

Staatssecretaris van Financiën,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. I. Jarukaitis, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. D. Gratsias et E. Regan (rapporteur), juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : Mme A. Lamote, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 mai 2024,

considérant les observations présentées :

– pour X, par Me M. van Dam, advocaat,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et M. H. S. Gijzen, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement espagnol, par Mme A. Pérez-Zurita Gutiérrez, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par Mme A. Armenia, MM. M. Björkland et W. Roels, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 septembre 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO 2003, L 283, p. 51), telle que modifiée par la directive 2004/75/CE du Conseil, du 29 avril 2004 (JO L 157, p. 100, et rectificatif JO L 195, p. 31) (ci-après la « directive 2003/96 »), et de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2008/118/CE du
Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (JO 2009, L 9, p. 12).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le requérant au principal au Staatssecretaris van Financiën (secrétaire d’État aux Finances, Pays-Bas) au sujet d’un redressement fiscal portant sur la taxation aux droits d’accise de gazole utilisé comme carburant pour la navigation fluviale.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 92/81/CEE

3 Le titre III de la directive 92/81/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur les huiles minérales (JO 1992, L 316, p. 12), intitulé « Contrôles », comportait uniquement l’article 9 de cette directive, qui était libellé comme suit :

« Le 31 décembre 1992 au plus tard, le Conseil [des Communautés européennes], statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission [des Communautés européennes], adopte des règles communautaires concernant la coloration et le marquage des huiles minérales exonérées de l’accise ou soumises à un taux réduit en tant que combustible ou carburant. »

La directive 95/60/CE

4 Les premier à quatrième considérants de la directive 95/60/CE du Conseil, du 27 novembre 1995, concernant le marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant (JO 1995, L 291, p. 46), énoncent :

« considérant que les mesures communautaires envisagées dans la présente directive sont non seulement nécessaires mais indispensables à la réalisation des objectifs du marché intérieur ; que ces objectifs ne peuvent être atteints individuellement par les États membres ; que leur réalisation au niveau communautaire est déjà prévue par la directive 92/81/CEE, et notamment son article 9 ; que la présente directive est conforme au principe de la subsidiarité ;

considérant que la directive 92/82/CEE [du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taux d’accises sur les huiles minérales (JO 1992, L 306, p. 19),] fixe les dispositions concernant les taux d’accises minimaux applicables à certaines huiles minérales, et notamment aux différentes catégories de gazole et pétrole lampant ;

considérant que le bon fonctionnement du marché intérieur requiert à présent l’établissement de règles communes pour le marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant qui n’ont pas été taxés au taux normal applicable à ces huiles minérales utilisées comme carburant ;

considérant que certains États membres devraient, en raison de circonstances nationales particulières, être autorisés à déroger aux mesures arrêtées dans la présente directive ».

5 L’article 1er de la directive 95/60 dispose :

« 1.   Sans préjudice des dispositions nationales en matière de marquage fiscal, les États membres appliquent un système de marquage fiscal conforme aux dispositions de la présente directive :

– à tous les types de gazole relevant du code NC 27100069 qui ont été mis à la consommation au sens de l’article 6 de la directive 92/12/CEE [du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO 1992, L 76, p. 1),] et qui ont été exonérés ou frappés d’un droit d’accise à un taux autre que celui prévu à l’article 5 paragraphe 1 de la directive 92/82/CEE,

– au pétrole lampant relevant du code NC 27100055 qui a été mis à la consommation au sens de l’article 6 de la directive 92/12/CEE et qui a été exonéré ou frappé d’un droit d’accise à un taux autre que celui prévu à l’article 8 paragraphe 1 de la directive 92/82/CEE.

2.   Les États membres peuvent autoriser des dérogations à l’application du système de marquage fiscal prévu au paragraphe 1 pour des raisons de santé publique, de sécurité ou d’autres raisons techniques, à condition qu’ils prennent des mesures appropriées de contrôle fiscal.

[...] »

6 Aux termes de l’article 2 de la directive 95/60 :

« 1.   Le marqueur consiste en une combinaison bien définie d’additifs chimiques qui sont ajoutés sous contrôle fiscal au plus tard avant que les huiles minérales concernées ne soient mises à la consommation. Toutefois :

[...]

2.   Le marqueur à utiliser est mis au point conformément à la procédure prévue à l’article 24 de la directive 92/12/CEE. »

7 L’article 3 de la directive 95/60 prévoit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour s’assurer que l’usage abusif des produits marqués est évité et notamment que les huiles minérales en question ne peuvent être utilisées comme carburant dans le moteur d’un véhicule destiné à circuler sur route, ou conservées dans son réservoir à moins qu’une telle utilisation ne soit permise dans des cas spécifiques déterminés par les autorités compétentes des États membres.

Les États membres prévoient que l’utilisation des huiles minérales en question dans les cas indiqués au premier alinéa doit être considérée comme une infraction au droit interne de l’État membre considéré. Chaque État membre prend les mesures appropriées pour assurer la pleine application de toutes les dispositions de la présente directive et, notamment, détermine les sanctions à appliquer en cas de violation desdites mesures ; ces sanctions doivent avoir un caractère effectif, proportionné et
dissuasif. »

8 Aux termes de l’article 4 de cette directive :

« En plus du marqueur prévu à l'article 1er paragraphe 1, les États membres peuvent ajouter une couleur ou un marqueur national.

[...] »

La directive 2003/96

9 Les considérants 2 à 5 et 24 de la directive 2003/96 énoncent :

« (2) L’absence de dispositions communautaires soumettant à une taxation minimale l’électricité et les produits énergétiques autres que les huiles minérales peut être préjudiciable au bon fonctionnement du marché intérieur.

(3) Le bon fonctionnement du marché intérieur et la réalisation des objectifs des autres politiques communautaires nécessitent que des niveaux minima de taxation soient fixés au niveau communautaire pour la plupart des produits énergétiques, y compris l’électricité, le gaz naturel et le charbon.

(4) D’importants écarts entre les niveaux nationaux de taxation de l’énergie appliqués par les États membres pourraient s’avérer préjudiciables au bon fonctionnement du marché intérieur.

(5) La fixation à des niveaux appropriés des minima communautaires de taxation peut permettre de diminuer les écarts actuels entre les niveaux nationaux de taxation.

[...]

(24) Il y a lieu de permettre aux États membres d’appliquer certaines autres exonérations ou des niveaux réduits de taxation, lorsque cela ne nuit pas au bon fonctionnement du marché intérieur et n’entraîne pas de distorsions de concurrence. »

10 Aux termes de l’article 1er de cette directive :

« Les États membres taxent les produits énergétiques et l’électricité conformément à la présente directive. »

11 L’article 14, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« Outre les dispositions générales de la directive 92/12/CEE concernant les utilisations exonérées de produits imposables, et sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent les produits suivants de la taxation, selon les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et claire de ces exonérations et d’empêcher la fraude, l’évasion ou les abus :

[...]

c) les produits énergétiques fournis en vue d’une utilisation, comme carburant ou combustible pour la navigation dans des eaux communautaires (y compris la pêche), autre qu’à bord de bateaux de plaisance privés, et l’électricité produite à bord des bateaux.

Aux fins de la présente directive, on entend par “bateau de plaisance privé” tout bateau utilisé par son propriétaire ou par la personne physique ou morale qui peut l’utiliser à la suite d’une location ou à un autre titre, à des fins autres que commerciales et, en particulier, autres que le transport de passagers ou de marchandises ou la prestation de services à titre onéreux ou pour les besoins des autorités publiques. »

12 L’article 15, paragraphe 1, de la même directive dispose :

« Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres peuvent appliquer sous contrôle fiscal des exonérations totales ou partielles ou des réductions du niveau de taxation :

[...]

f) aux produits énergétiques fournis en vue d’une utilisation, comme carburant ou combustible pour la navigation sur des voies navigables intérieures (y compris la pêche), autre que la navigation de plaisance privée, et l’électricité produite à bord des bateaux ;

[...] »

13 Aux termes de l’article 30 de la directive 2003/96 :

« Nonobstant l’article 28, paragraphe 2, les directives 92/81/CEE et 92/82/CEE sont abrogées le 31 décembre 2003.

Les références aux directives abrogées s’entendent comme faites à la présente directive. »

La directive 2008/118

14 Le considérant 8 de la directive 2008/118 énonçait :

« Étant donné qu’il reste nécessaire, pour le bon fonctionnement du marché intérieur, que la notion d’exigibilité de l’accise et les conditions y afférentes soient identiques dans tous les États membres, il importe de préciser au niveau [de l’Union européenne] à quel moment les produits soumis à accise sont mis à la consommation et qui est le redevable de la taxe. »

15 L’article 7, paragraphes 1 et 2, de cette directive disposait :

« 1.   Les droits d’accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation et dans l’État membre où celle-ci s’effectue.

2.   Aux fins de la présente directive, on entend par “mise à la consommation” :

a) la sortie, y compris la sortie irrégulière, de produits soumis à accise, d’un régime de suspension de droits ;

b) la détention de produits soumis à accise en dehors d’un régime de suspension de droits pour lesquels le droit d’accise n’a pas été prélevé conformément aux dispositions [de l’Union] et à la législation nationale applicables ;

c) la production, y compris la production irrégulière, de produits soumis à accise en dehors d’un régime de suspension de droits ;

d) l’importation, y compris l’importation irrégulière, de produits soumis à accise, sauf si les produits soumis à accise sont placés, immédiatement après leur importation, sous un régime de suspension de droits. »

16 Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, de ladite directive :

« La personne redevable des droits d’accise devenus exigibles est :

a) en ce qui concerne la sortie de produits soumis à accise d’un régime de suspension de droits visée à l’article 7, paragraphe 2, point a) :

i) l’entrepositaire agréé, le destinataire enregistré ou toute autre personne procédant à la sortie des produits soumis à accise du régime de suspension de droits ou pour le compte de laquelle il est procédé à cette sortie ou, en cas de sortie irrégulière de l’entrepôt fiscal, toute autre personne ayant participé à cette sortie ;

[...]

b) en ce qui concerne la détention de produits soumis à accise visée à l’article 7, paragraphe 2, point b) : la personne détenant les produits soumis à accise ou toute autre personne ayant participé à leur détention ;

[...] »

La décision d’exécution 2011/544/UE

17 Les considérants 1 et 4 de la décision d’exécution 2011/544/UE de la Commission, du 16 septembre 2011, relative à l’établissement d’un marqueur commun pour le marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant (JO 2011 L 241, p. 31), énonçaient :

« (1) Pour le bon fonctionnement du marché intérieur et, en particulier, afin d’empêcher la fraude fiscale, la directive 95/60/CE prévoit un système commun de marquage pour identifier le gazole relevant du code NC 27100069 et le pétrole lampant relevant du code NC 27100055, qui sont mis à la consommation en exonération de droits d’accise ou à des taux de droit d’accise réduits. [...]

[...]

(4) Une consultation des États membres a été entreprise dans le cadre de ce processus de réexamen. D’une manière générale, les États membres estiment que le Solvent Yellow 124 a rempli sa fonction dans la lutte contre l’utilisation frauduleuse des huiles minérales exonérées de droit d’accise ou frappées d’un droit d’accise à taux réduit. »

18 L’article 1er de cette décision était libellé comme suit :

« Le marqueur commun prévu par la directive 95/60/CE, pour le marquage fiscal de tous les types de gazole relevant des codes NC 27101941, 27101945 et 27101949, ainsi que du pétrole lampant relevant du code NC 27101925, est le Solvent Yellow 124, comme indiqué à l’annexe de la présente décision.

Les États membres établissent un niveau de marquage de 6 mg au minimum et de 9 mg au maximum de marqueur par litre d’huile minérale. »

Le droit néerlandais

La loi sur les accises

19 L’article 2, paragraphe 1, de la Wet houdende vereenvoudiging en uniformering van de accijnswetgeving (loi portant simplification et unification de la législation sur les accises), du 31 octobre 1991 (Stb. 1991, p. 561), dans sa version applicable au litige au principal (ci‑après la « loi sur les accises »), est libellé comme suit :

« Au sens de la présente loi et des dispositions adoptées en vertu de celle-ci, on entend par mise à la consommation :

[...]

b. la détention de produits soumis à accise en dehors d’un régime de suspension de droits pour lesquels le droit d’accise n’a pas été prélevé conformément aux dispositions du droit de l’Union et à la législation nationale applicables ;

[...] »

20 L’article 66, paragraphe 1, de cette loi dispose :

« Aux conditions et dans les limites à fixer par mesure générale d’administration, est exonérée d’accise la mise à la consommation d’huiles minérales utilisées :

a. pour la propulsion de bateaux ou pour les besoins du bord de ceux-ci ;

[...] »

L’arrêté d’exécution de la loi sur les accises

21 Aux termes de l’article 19 de l’Uitvoeringsbesluit accijns (arrêté d’exécution de la loi sur les accises), dans sa version applicable au litige au principal :

« La mise à la consommation d’huiles minérales utilisées pour la propulsion de bateaux ou pour les besoins du bord de ceux-ci est exonérée si :

[...] »

22 L’article 20, paragraphe 2, de cet arrêté prévoit :

« L’exonération d’accise visée à l’article 19 n’est accordée pour les huiles moyennes et le gazole que si ces huiles sont munies des marqueurs visés à l’article 1a, paragraphe 3, de la [loi sur les accises] ».

Le règlement d’exécution de la loi sur les accises

23 L’article 13, paragraphe 2, de l’Uitvoeringsregeling accijns (règlement d’exécution de la loi sur les accises) disposait, dans sa version applicable au litige au principal :

« Sont ajoutés au gazole, en tant que marqueur visé à l’article 1a, paragraphe 3, de la [loi sur les accises] : au minimum 6 grammes et au maximum 9 grammes de Solvent Yellow 124 par 1000 litres, et à l’huile légère, également une quantité suffisante de colorant pour produire une couleur rouge bien visible et permanente. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

24 X, qui réside en Allemagne, est propriétaire d’un bateau-citerne à moteur qu’il utilise pour transporter, par voie navigable à l’intérieur de l’Union, des huiles minérales pour le compte de tiers contre paiement (ci-après le « bateau-citerne »). Ce bateau-citerne est muni de deux réservoirs de soutes servant à contenir le carburant destiné à sa propulsion.

25 Le 7 juin 2016, lors d’un contrôle réalisé alors que le bateau-citerne se trouvait sur le canal d’Amsterdam au Rhin, aux Pays-Bas, des contrôleurs du Belastingdienst/Douane (service des impôts/douane, Pays-Bas) ont prélevé des échantillons du gazole contenu dans les réservoirs de soutes. Une analyse de ces échantillons effectuée par le laboratoire de ce service a révélé, notamment, que la quantité de marqueur « Solvent Yellow 124 » présente dans ces échantillons s’élevait respectivement, pour
chacun des deux réservoirs, à 5 grammes par 1000 litres et 4,4 grammes par 1000 litres, soit une quantité inférieure à la teneur minimale de 6 grammes par 1000 litres exigée pour la mise à la consommation de gazole en exonération de droits d’accise.

26 Considérant que le gazole concerné ne satisfaisait donc pas à l’ensemble des conditions requises aux fins de l’application de l’exonération des droits d’accise, l’inspecteur van de Belastingdienst/Douane (inspecteur du service des impôts/douanes) (ci-après l’« inspecteur ») a, le 30 janvier 2017, notifié à X son intention de lui imposer un avis de redressement de droits d’accise, aux motifs, d’une part, que la teneur de ce gazole en marqueur « Solvent Yellow 124 » était inférieure à la teneur
minimale requise et, d’autre part, qu’il détenait ledit gazole en tant que propriétaire et batelier du bateau-citerne, alors que les droits d’accise dus au titre du même gazole n’avaient pas été prélevés conformément aux dispositions du droit de l’Union et à la législation nationale applicables.

27 Après que X eut fait part de ses observations, l’inspecteur a adopté un avis de redressement portant, notamment, sur les droits d’accise dus au titre du gazole dont la présence avait été constatée dans les réservoirs de soutes.

28 Saisi de l’appel interjeté par l’inspecteur contre un jugement du rechtbank Gelderland (tribunal de Gueldre, Pays‑Bas), le Gerechtshof Arnhem-Leeuwarden (cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden, Pays‑Bas) a, dans un arrêt du 19 novembre 2019, considéré que c’était à juste titre que X s’était vu imposer un tel redressement fiscal.

29 Cette juridiction a constaté que le gazole contrôlé dans les réservoirs de soutes du bateau-citerne était un produit soumis à accise, que ce gazole n’était pas placé sous un régime de suspension de droits à la date du contrôle par le service des impôts/douane et que X détenait le pouvoir de disposition effectif sur ledit gazole. Ladite juridiction a également considéré que le gazole concerné n’était pas susceptible de bénéficier de l’exonération de droits d’accise au motif qu’il ne satisfaisait
pas à la condition requise pour l’application de celle‑ci, tenant à la présence du marqueur « Solvent Yellow 124 » dans les proportions prescrites par la réglementation applicable.

30 Le Gerechtshof Arnhem-Leeuwarden (cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden) a, en outre, estimé que, en vertu de la législation néerlandaise applicable, il n’était pas nécessaire, aux fins de l’exigibilité des droits d’accise, que X ait su ou eût dû savoir que les droits d’accise applicables au gazole n’avaient pas été prélevés conformément aux dispositions pertinentes.

31 Cette juridiction a également considéré que, aux fins d’un redressement de droits d’accise en raison du fait générateur défini à l’article 2, paragraphe 1, initio et sous b), de la loi sur les accises, le service des impôts/douane n’était pas tenu de prouver qu’aucun droit d’accise n’avait été perçu au titre du gazole présent dans les réservoirs de soutes, mais qu’il incombait à la personne invoquant le bénéfice d’une exonération d’apporter la preuve qu’elle remplissait les conditions pour
bénéficier de celle-ci.

32 Enfin, ladite juridiction a estimé qu’il était proportionné de subordonner l’application de l’exonération en cause à la présence en quantité suffisante du marqueur fiscal dans le gazole contrôlé étant donné que ce marqueur permet de vérifier l’utilisation des produits concernés par cette exonération et qu’il s’agit d’une condition essentielle pour assurer l’application correcte et claire de l’exonération prévue à l’article 66, paragraphe 1, initio et sous a), de la loi sur les accises, ainsi que
pour empêcher la fraude, l’évasion fiscale et les abus.

33 X a introduit un pourvoi en cassation contre le jugement du Gerechtshof Arnhem-Leeuwarden (cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden) devant le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), qui est la juridiction de renvoi.

34 Cette dernière relève que l’article 66, paragraphe 1, initio et sous a), de la loi sur les accises, qui vise notamment à mettre en œuvre l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96, soumet le bénéfice de l’exonération des droits d’accise sur les huiles minérales à certaines conditions. En particulier, il résulterait des dispositions combinées de l’article 20, paragraphe 2, et de l’article 19 de l’arrêté d’exécution en matière d’accises que les huiles légères et le gazole doivent
comporter des moyens d’identification tels que ceux visés à l’article 1a, paragraphe 3, de la loi sur les accises. Cette dernière disposition, lue conjointement avec l’article 13, paragraphe 2, du règlement d’exécution en matière d’accises, prévoirait ainsi que, pour bénéficier de cette exonération, le gazole doit comporter un marqueur d’identification, consistant en 6 à 9 grammes de marqueur « Solvent Yellow 124 » par 1000 litres, et qu’une quantité suffisante de colorant doit être ajoutée au
gazole afin de lui conférer une coloration rouge visible et permanente.

35 La juridiction de renvoi fait observer que cette exigence reflète l’obligation incombant aux États membres en vertu de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 95/60, lu en combinaison avec l’article 1er de la décision d’exécution 2011/544, tandis que l’article 4 de cette directive accorde aux États membres la faculté d’ajouter une couleur ou un marqueur national.

36 Cette juridiction estime que la question qui se pose en l’occurrence est celle de savoir si l’exigence de marquage fiscal prévue par ces dispositions est susceptible d’avoir une incidence sur l’application de l’exonération des droits d’accise prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96.

37 Selon ladite juridiction, l’application d’un marqueur fiscal permet aux autorités compétentes de contrôler de façon simple et efficace si les huiles minérales sont utilisées aux fins visées par les dispositions prévoyant l’exonération ou l’application d’un taux réduit de droits d’accise.

38 Cependant, lorsqu’il est établi que les huiles minérales concernées sont utilisées aux fins qui, en vertu de la réglementation nationale, constituent une condition pour pouvoir bénéficier d’une exonération de droits d’accise, et qu’aucune perte de recettes fiscales n’est constatée, le refus d’appliquer cette exonération pourrait aller au-delà de ce qui est nécessaire pour prévenir une utilisation non conforme de ces huiles.

39 Le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) estime que, afin de trancher le litige pendant devant lui, il doit déterminer si l’autorité nationale compétente est tenue d’écarter l’obligation d’accorder l’exonération de droits d’accise prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96 lorsque le marqueur fiscal prescrit par le droit de l’Union ne se trouve pas en proportion suffisante dans le gazole présent dans le réservoir de soutes d’un bateau-citerne, alors que,
d’une part, il est établi que ce gazole est utilisé pour la navigation dans les eaux de l’Union et, d’autre part, il n’y a aucun indice de nature à éveiller des soupçons quant à l’existence d’une fraude, d’un abus ou d’une évasion fiscale.

40 La juridiction de renvoi souligne que, lors du contrôle effectué par le service des impôts/douane, premièrement, le gazole présent dans les réservoirs de soutes était coloré en rouge et qu’il ne contenait pas de marqueur « Solvent Yellow 124 » en proportion suffisante, deuxièmement, X a présenté des preuves d’achat visant à établir qu’il s’était fait livrer, à deux reprises, peu de temps avant le contrôle, du gazole à bord du bateau-citerne par des fournisseurs de carburant autorisés,
respectivement aux Pays-Bas et en Allemagne, à livrer du gazole en exonération de droits d’accise et, troisièmement, il n’a été constaté, y compris ultérieurement, aucun fait ni aucune circonstance permettant de constater à suffisance que X a été mêlé à une fraude, à un abus ou à une évasion en matière d’accise.

41 Selon la juridiction de renvoi, si la Cour devait considérer que, dans de telles circonstances, le gazole ne peut pas bénéficier de l’exonération prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96, se poserait ensuite la question de savoir qui, du fournisseur de carburant ou du batelier, doit être considéré comme étant redevable des droits d’accise.

42 À cet égard, si la Cour devait considérer que les droits d’accise sont dus sur la base de la détention de produits soumis à de tels droits, visée à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/118, le détenteur de ces produits pourrait être désigné, en vertu de l’article 8, paragraphe 1, sous b), de cette directive, comme étant la personne redevable des droits d’accise devenus exigibles. À cet égard, la juridiction de renvoi estime qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, issue
de l’arrêt du 10 juin 2021, Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs (Agent innocent) (C‑279/19, EU:C:2021:473, points 28 à 30), que le droit de l’Union n’exige pas que la personne redevable des droits d’accise soit consciente ou aurait dû raisonnablement être consciente de l’exigibilité, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, sous b), de ladite directive, de l’accise due sur les produits concernés.

43 Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 14, paragraphe 1, [sous c)], de la [directive 2003/96] doit-il être interprété en ce sens que l’exonération fiscale prévue par cette disposition est d’application aux produits énergétiques dont il est établi qu’ils sont utilisés pour la propulsion des bateaux dans la navigation sur les eaux intérieures de l’Union, même lorsque, au cours de cet usage, ces produits énergétiques (en l’espèce du gasoil) ne contiennent pas la teneur minimale requise en marqueur Solvent Yellow 124, si
les autorités fiscales ne disposent pas d’un ou de plusieurs indices que le propriétaire ou l’exploitant du bateau ou son représentant à bord du bateau (le batelier) est mêlé à une fraude, un abus ou une évasion dans le domaine des droits d’accise concernant le gasoil détenu ?

2) Si la première question appelle une réponse négative, l’article 7, paragraphe 2, de la directive [2008/118] doit-il être interprété en ce sens que, lorsqu’il est établi que le réservoir de soutes d’un bateau de navigation intérieure contient exclusivement du gasoil provenant d’un fournisseur de carburants qui, avec l’autorisation des autorités fiscales, peut mettre ce gasoil à la consommation en exonération de droits d’accise, le seul fait que ce gasoil ne contient pas la teneur minimale
requise en marqueur Solvent Yellow 124 signifie que l’accise est exclusivement devenue exigible au moment de cette mise à la consommation antérieure au titre de l’article 7, paragraphe 2, [sous a)], de cette directive ?

3) Si la deuxième question appelle une réponse négative et donc que, dans le cas qui y est visé, l’article 7, paragraphe 2, [sous b)], de la directive [2008/118] est également d’application, le principe de proportionnalité du droit de l’Union s’oppose-t-il à ce que l’accise devenue exigible au titre de cet article 7, paragraphe 2, [sous b)], soit recouvrée en vertu de l’article 8, paragraphe 1, [sous b)], de cette directive auprès du batelier qui détient les produits soumis à accise, même si
cette personne n’avait aucune raison de douter que le gasoil avait été livré conformément aux dispositions du droit de l’Union et des dispositions nationales en exonération des droits d’accise ?

4) Importe-t-il, pour la réponse à la troisième question, de savoir que le batelier n’exerce pas sa fonction en tant qu’employé, mais qu’il est aussi le propriétaire du bateau ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

44 À titre liminaire, il convient d’observer que le litige au principal résulte de l’imposition aux droits d’accise du gazole présent dans les réservoirs de soutes du bateau-citerne de X, au motif que ce gazole ne faisait pas l’objet d’un marquage fiscal conforme au droit de l’Union, puisqu’il contenait une quantité du marqueur « Solvent Yellow 124 » dans une proportion inférieure au taux minimal de 6 grammes par 1000 litres, prévu à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 95/60, lu en
combinaison avec l’article 1er de la décision d’exécution 2011/544.

45 La juridiction de renvoi se demande, en substance, si cette seule circonstance justifie que soit refusé le bénéfice de l’exonération prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96, alors que, d’une part, il est établi que ledit gazole était utilisé comme carburant pour la navigation dans les eaux intérieures de l’Union et, d’autre part, il n’y a aucun indice de nature à éveiller des soupçons quant à l’existence d’une fraude, d’un abus ou d’une évasion fiscale.

46 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de fournir au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour non seulement de reformuler la question qui lui est soumise, mais aussi de prendre en considération des normes du droit de l’Union auxquelles le juge
national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (arrêt du 19 janvier 2023, CIHEF e.a., C‑147/21, EU:C:2023:31, point 24 ainsi que jurisprudence citée).

47 En l’occurrence, l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96 prévoit que les États membres exonèrent, notamment, selon les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et claire de ces exonérations et d’empêcher la fraude, l’évasion ou les abus, les produits énergétiques fournis en vue d’une utilisation, comme carburant ou combustible pour la navigation dans des eaux de l’Union, autre qu’à bord de bateaux de plaisance privés.

48 À cet égard, il y a lieu de souligner que la notion d’« eaux de l’Union », au sens de cette disposition, doit être comprise comme comprenant les eaux dans lesquelles se pratique normalement la navigation maritime à des fins commerciales (voir, par analogie, arrêt du 1er mars 2007, Jan De Nul, C‑391/05, EU:C:2007:126, point 26).

49 Or, la première question préjudicielle porte sur l’utilisation d’un produit énergétique comme carburant pour la navigation sur les voies navigables intérieures de l’Union. Une telle utilisation relève de l’article 15, paragraphe 1, sous f), de la directive 2003/96, disposition aux termes de laquelle les États membres peuvent notamment appliquer, sous contrôle fiscal, des exonérations totales ou partielles ou des réductions du niveau de taxation, notamment aux produits énergétiques fournis en vue
d’une utilisation comme carburant ou combustible pour la navigation sur des voies navigables intérieures autre que la navigation de plaisance privée.

50 Interrogé à cet égard lors de l’audience, le gouvernement néerlandais a confirmé que le Royaume des Pays‑Bas avait fait usage de cette faculté en exonérant de la taxation, dans son droit national, les produits fournis en vue d’une utilisation comme carburant ou combustible tant pour la navigation dans des eaux de l’Union que pour la navigation sur les voies navigables intérieures de l’Union.

51 Dans ces conditions, il y a lieu de comprendre que, par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15, paragraphe 1, sous f), de la directive 2003/96 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le bénéfice de l’exonération de l’accise en faveur du gazole fourni en vue d’une utilisation comme carburant pour la navigation sur des voies navigables intérieures de l’Union est refusé au motif que ce gazole ne
fait pas l’objet d’un marquage fiscal conforme aux exigences du droit de l’Union, alors que, d’une part, il est établi que ledit gazole est utilisé à une telle fin et, d’autre part, il n’y a aucun indice de nature à éveiller des soupçons quant à l’existence d’une fraude, d’un abus ou d’une évasion fiscale.

52 Selon une jurisprudence constante, pour déterminer la portée d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [arrêt du 13 juin 2024, Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Bydgoszczy (Coût réel de l’énergie), C‑266/23, EU:C:2024:506, point 28 et jurisprudence citée].

53 S’agissant, en premier lieu, du libellé de l’article 15, paragraphe 1, sous f), de la directive 2003/96, tel que rappelé au point 49 du présent arrêt, il y a lieu d’observer que, selon les termes de cette disposition, l’exonération ou la réduction du niveau de taxation applicable aux produits énergétiques concernés est accordée en fonction de l’utilisation à laquelle ceux-ci sont destinés.

54 En particulier, comme cela ressort de cette disposition, lue à la lumière de l’article 14, paragraphe 1, sous c), deuxième alinéa, de cette directive, la faculté ainsi accordée aux États membres, en ce qu’elle exclut les bateaux de plaisance privés, est limitée aux produits énergétiques qui sont utilisés comme carburant pour la navigation sur des voies navigables intérieures de l’Union à des fins commerciales, à savoir des utilisations où un bateau sert directement à la prestation de services à
titre onéreux [voir, par analogie, arrêt du 16 septembre 2021, Commission/Italie (Droits d’accise – Carburant des bateaux de plaisance), C‑341/20, EU:C:2021:744, points 33 et 34 ainsi que jurisprudence citée].

55 Il ressort ainsi du libellé de l’article 15, paragraphe 1, sous f), de la directive 2003/96 que les États membres sont, notamment, en droit d’exonérer de la taxation prévue par cette directive un produit énergétique, tel que le gazole, à la condition que celui-ci soit utilisé comme carburant pour des opérations de navigation dans des eaux intérieures de l’Union à des fins commerciales.

56 En deuxième lieu, concernant le contexte dans lequel s’inscrit l’article 15, paragraphe 1, sous f), de la directive 2003/96, il convient de souligner que l’économie générale de cette directive repose sur le principe selon lequel les produits énergétiques sont taxés en fonction de leur utilisation réelle (voir, en ce sens, arrêt du 25 avril 2024, Bitulpetrolium Serv, C‑657/22, EU:C:2024:353, point 23 et jurisprudence citée).

57 Par conséquent, la marge d’appréciation dont disposent les États membres dans le cadre de l’exercice de la faculté prévue à l’article 15, paragraphe 1, sous f), de cette directive ne saurait aller jusqu’à remettre en cause ce principe (voir, en ce sens, arrêt du 25 avril 2024, Bitulpetrolium Serv, C‑657/22, EU:C:2024:353, point 24 et jurisprudence citée).

58 En l’occurrence, la juridiction de renvoi souligne que, bien que le gazole en cause au principal ne fasse pas l’objet d’un marquage fiscal conforme aux exigences du droit de l’Union, il est établi que ce gazole a été utilisé comme carburant pour la navigation sur des voies navigables intérieures de l’Union.

59 Certes, ainsi qu’il a été exposé au point 44 du présent arrêt, les États membres sont tenus, en vertu de l’article 1er de la directive 95/60, lu à la lumière du troisième considérant de celle-ci, d’appliquer un système de marquage fiscal, notamment, au gazole qui n’est pas taxé au taux plein (arrêt du 17 octobre 2018, Commission/Royaume-Uni, C‑503/17, EU:C:2018:831, point 44).

60 Cette directive, qui a été adoptée conformément aux dispositions de l’article 9 de la directive 92/81, laquelle a été abrogée et remplacée par la directive 2003/96, a ainsi pour objectif, comme cela ressort de ses premier à troisième considérants, lus en combinaison avec l’article 30, second alinéa, de la directive 2003/96, de compléter cette dernière et de favoriser la réalisation et le bon fonctionnement du marché intérieur en permettant l’identification facile et rapide, dans l’ensemble de
l’Union, du gazole non soumis au niveau de taxation normal (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2018, Commission/Royaume-Uni, C‑503/17, EU:C:2018:831, point 46 et jurisprudence citée).

61 À cet égard, il convient de relever que l’article 3 de la directive 95/60 impose aux États membres, d’une part, d’adopter les mesures nécessaires pour s’assurer que l’usage abusif des produits marqués soit évité et, d’autre part, de prévoir qu’une telle utilisation abusive soit considérée comme une infraction au droit interne de l’État membre concerné.

62 Ainsi, le marquage fiscal des huiles minérales, prévu par cette directive, vise, avant tout, à permettre de contrôler et, le cas échéant, de sanctionner l’utilisation des produits énergétiques exonérés ou soumis à un taux réduit de droits d’accise à des fins pour lesquelles le droit de l’Union n’impose ni ne permet de possibilité de dérogation à l’imposition aux droits d’accise.

63 En revanche, ainsi que le soutient, en substance, la Commission, un marquage incorrect ne saurait, en l’absence d’indice quant à l’existence d’une fraude, faire obstacle à l’application des exonérations ou des réductions du niveau du droit d’accise prévues par la directive 2003/96 lorsque les conditions auxquelles cette application est soumise, telles que, comme en l’occurrence, une utilisation comme carburant pour la navigation à des fins commerciales sur des voies navigables intérieures de
l’Union, sont satisfaites.

64 S’agissant, en troisième lieu, de la finalité de la directive 2003/96, il convient de rappeler que celle-ci, en prévoyant un régime de taxation harmonisé des produits énergétiques et de l’électricité, vise, ainsi qu’il ressort de ses considérants 2 à 5 et 24, à promouvoir le bon fonctionnement du marché intérieur dans le secteur de l’énergie, en évitant, notamment, les distorsions de concurrence (arrêt du 7 mars 2018, Cristal Union, C‑31/17, EU:C:2018:168, point 29 et jurisprudence citée).

65 Or, afin d’assurer l’application du niveau correct de taxation aux produits énergétiques relevant de cette directive et, ainsi, d’éviter des distorsions de concurrence entre les opérateurs économiques concernés, il est nécessaire de permettre aux autorités compétentes de contrôler efficacement si un tel produit est utilisé aux fins prévues pour l’application de l’exonération ou du taux réduit de taxation.

66 À cet égard, le marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant constitue, certes, une mesure destinée à assurer le bon fonctionnement du régime de taxation harmonisé des produits énergétiques établi par la directive 2003/96 en permettant aux autorités fiscales des États membres de veiller à ce que ces huiles minérales soient taxées en fonction de leur utilisation réelle.

67 Toutefois, l’exigence de marquage fiscal prévue par la directive 95/60 ne saurait avoir pour effet de permettre aux États membres, dans le cadre de la marge d’appréciation dont ils disposent au titre de l’article 15, paragraphe 1, sous f), de la directive 2003/96, de subordonner au respect de cette exigence l’exonération ou l’application d’un taux réduit du droit d’accise que cette disposition les autorise à établir, notamment, pour les produits énergétiques utilisés comme carburant pour la
navigation sur des voies navigables intérieures à des fins commerciales.

68 Il n’en irait autrement que si l’opérateur concerné a intentionnellement participé à une fraude fiscale qui a mis en péril le fonctionnement du régime de taxation des produits énergétiques et de l’électricité ou si le non-respect de l’exigence tenant au marquage fiscal a pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que le gazole a été utilisé aux fins de l’application d’un niveau réduit de taxation ou d’une exonération (voir, par analogie, arrêt du 20 juin 2018, Enteco Baltic, C‑108/17,
EU:C:2018:473, point 59 et jurisprudence citée).

69 En l’occurrence, toutefois, il convient de souligner que, ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, le litige au principal est caractérisé par l’absence d’indice de nature à éveiller des soupçons quant à l’existence d’une fraude, d’un abus ou d’une évasion fiscale.

70 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 15, paragraphe 1, sous f), de la directive 2003/96, lu en combinaison avec l’article 1er de la directive 95/60, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le bénéfice de l’exonération de l’accise en faveur du gazole fourni en vue d’une utilisation comme carburant pour la navigation à des fins commerciales sur des voies
navigables intérieures de l’Union est refusé au motif que ce gazole ne fait pas l’objet d’un marquage fiscal conforme aux exigences du droit de l’Union, alors que, d’une part, il est établi que ledit gazole est utilisé à une telle fin et, d’autre part, il n’y a aucun indice de nature à éveiller des soupçons quant à l’existence d’une fraude, d’un abus ou d’une évasion fiscale.

Sur les deuxième à quatrième questions

71 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième à quatrième questions.

Sur les dépens

72 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

  L’article 15, paragraphe 1, sous f), de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, telle que modifiée par la directive 2004/75/CE du Conseil, du 29 avril 2004, lu en combinaison avec l’article 1er de la directive 95/60/CE du Conseil, du 27 novembre 1995, concernant le marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant,

  doit être interprété en ce sens que :

  il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le bénéfice de l’exonération de l’accise en faveur du gazole fourni en vue d’une utilisation comme carburant pour la navigation à des fins commerciales sur des voies navigables intérieures de l’Union européenne est refusé au motif que ce gazole ne fait pas l’objet d’un marquage fiscal conforme aux exigences du droit de l’Union, alors que, d’une part, il est établi que ledit gazole est utilisé à une telle fin et, d’autre part, il n’y a
aucun indice de nature à éveiller des soupçons quant à l’existence d’une fraude, d’un abus ou d’une évasion fiscale.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.

( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-137/23
Date de la décision : 13/03/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden.

Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Droits d’accise ‑ Directive 2003/96/CE – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Exonération des produits énergétiques utilisés comme carburant ou combustible – Article 14, paragraphe 1, sous c) – Navigation dans les eaux de l’Union européenne – Article 15, paragraphe 1, sous f) – Navigation sur des voies navigables intérieures – Directive 95/60/CE – Marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant – Gazole destiné à être utilisé pour la propulsion d’un navire et ne faisant pas l’objet d’un marquage fiscal conforme au droit de l’Union – Refus d’appliquer l’exonération des droits d’accise – Principe de proportionnalité.

Fiscalité


Parties
Demandeurs : X
Défendeurs : Staatssecretaris van Financiën.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Regan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:179

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