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06/03/2025 | CJUE | N°C-575/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, FT e.a. contre État belge., 06/03/2025, C-575/23


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

6 mars 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins – Artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif – Cession des droits voisins par la voie réglementaire – Directive 2001/29/CE – Article 2, sous b), et article 3, paragraphe 2 – Droits de reproduction et de mise à la disposition du public – Directive 2006/115/CE – Articles 7 à 9 – Droits de fixation, de radiodiffusion

, de communication au public et de
distribution – Directive (UE) 2019/790 – Articles 18 à 23 – Juste rémunération ...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

6 mars 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins – Artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif – Cession des droits voisins par la voie réglementaire – Directive 2001/29/CE – Article 2, sous b), et article 3, paragraphe 2 – Droits de reproduction et de mise à la disposition du public – Directive 2006/115/CE – Articles 7 à 9 – Droits de fixation, de radiodiffusion, de communication au public et de
distribution – Directive (UE) 2019/790 – Articles 18 à 23 – Juste rémunération dans le cadre des contrats d’exploitation – Article 26 – Application dans le temps – Notions d’“actes conclus” et de “droits acquis” »

Dans l’affaire C‑575/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (Belgique), par décision du 31 août 2023, parvenue à la Cour le 15 septembre 2023, dans la procédure

FT,

AL,

ON

contre

État belge,

en présence de :

Orchestre national de Belgique (ONB),

LA COUR (première chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, M. T. von Danwitz, vice-président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, M. A. Kumin, Mmes I. Ziemele (rapporteure) et O. Spineanu-Matei, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme M. Siekierzyńska, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 juin 2024,

considérant les observations présentées :

– pour FT, AL et ON, par Me S. Capiau, avocate,

– pour l’Orchestre national de Belgique (ONB), par Mes C. Bernard, M. Buydens et D. Lagasse, avocats,

– pour le gouvernement belge, par MM. S. Baeyens, P. Cottin et Mme C. Pochet, en qualité d’agents, assistés de Mes R. Fonteyn et A. Joachimowicz, avocats,

– pour la Commission européenne, par Mmes C. Auvret et J. Samnadda, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 24 octobre 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 18 à 23 ainsi que de l’article 26, paragraphe 2, de la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE (JO 2019, L 130, p. 92).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant FT, AL et ON, des musiciens engagés sous statut de droit administratif par l’Orchestre national de Belgique (ONB), à l’État belge au sujet de la légalité de l’arrêté royal du 1er juin 2021 relatif aux droits voisins du personnel artistique de l’Orchestre national de Belgique (Moniteur belge du 4 juin 2021, p. 56936, ci-après l’« arrêté royal du 1er juin 2021 »).

Le cadre juridique

Le droit international

La convention de Rome

3 La convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion a été faite à Rome le 26 octobre 1961 (ci-après la « convention de Rome »).

4 L’Union européenne n’est pas partie à cette convention. En revanche, tous ses États membres, à l’exception de la République de Malte, le sont.

5 L’article 7 de ladite convention, qui porte sur la protection minimale des artistes interprètes ou exécutants, stipule, à son paragraphe 1 :

« La protection prévue par la présente Convention en faveur des artistes interprètes ou exécutants devra permettre de mettre obstacle :

a) à la radiodiffusion et à la communication au public de leur exécution sans leur consentement, sauf lorsque l’exécution utilisée pour la radiodiffusion ou la communication au public est elle-même déjà une exécution radiodiffusée ou est faite à partir d’une fixation ;

b) à la fixation sans leur consentement sur un support matériel de leur exécution non fixée ;

c) à la reproduction sans leur consentement d’une fixation de leur exécution :

(i) lorsque la première fixation a elle-même été faite sans leur consentement ;

(ii) lorsque la reproduction est faite à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont donné leur consentement ;

(iii) lorsque la première fixation a été faite en vertu des dispositions de l’article 15 et a été reproduite à des fins autres que celles visées par ces dispositions. »

6 L’article 8 de la convention de Rome, relatif aux exécutions collectives, prévoit :

« Tout État contractant peut, par sa législation nationale, déterminer les modalités suivant lesquelles les artistes interprètes ou exécutants seront représentés, en ce qui concerne l’exercice de leurs droits, lorsque plusieurs d’entre eux participent à une même exécution. »

7 L’article 12 de cette convention, qui porte sur les utilisations secondaires de phonogrammes, se lit comme suit :

« Lorsqu’un phonogramme publié à des fins de commerce, ou une reproduction de ce phonogramme, est utilisé directement pour la radiodiffusion ou pour une communication quelconque au public, une rémunération équitable et unique sera versée par l’utilisateur aux artistes interprètes ou exécutants, ou aux producteurs de phonogrammes ou aux deux. La législation nationale peut, faute d’accord entre ces divers intéressés, déterminer les conditions de la répartition de cette rémunération. »

8 L’article 15 de ladite convention comporte les exceptions à la protection garantie par celle-ci.

9 L’article 19 de la même convention, qui porte sur la protection des artistes interprètes ou exécutants dans les fixations d’images ou d’images et de sons, se lit comme suit :

« Nonobstant toutes autres dispositions de la présente Convention, l’article 7 cessera d’être applicable dès qu’un artiste interprète ou exécutant aura donné son consentement à l’inclusion de son exécution dans une fixation d’images ou d’images et de sons. »

Le TIEP

10 L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a adopté, le 20 décembre 1996, le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et le traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (ci-après le « TIEP »). Ces traités ont été approuvés au nom de la Communauté européenne par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000, relative à l’approbation, au nom de la Communauté européenne, du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et du traité de l’OMPI sur les
interprétations et exécutions et sur les phonogrammes (JO 2000, L 89, p. 6), et sont entrés en vigueur, en ce qui concerne l’Union, le 14 mars 2010.

11 L’article 2 du TIEP, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins du présent traité, on entend par :

a) “artistes interprètes ou exécutants” les acteurs, chanteurs, musiciens, danseurs et autres personnes qui représentent, chantent, récitent, déclament, jouent, interprètent ou exécutent de toute autre manière des œuvres littéraires ou artistiques ou des expressions du folklore ;

[...] »

12 Les articles 6 à 10 de ce traité portent sur, respectivement, les règles régissant les droits patrimoniaux des artistes interprètes ou exécutants sur leurs interprétations ou exécutions non fixées, le droit de reproduction, le droit de distribution, le droit de location ainsi que le droit de mettre à disposition des interprétations ou exécutions fixées.

Le droit de l’Union

La directive 2001/29/CE

13 Les considérants 9, 10, 15 et 30 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10), énoncent :

« (9) Toute harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l’intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.

(10) Les auteurs ou les interprètes ou exécutants, pour pouvoir poursuivre leur travail créatif et artistique, doivent obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, de même que les producteurs pour pouvoir financer ce travail. [...]

[...]

(15) La Conférence diplomatique qui s’est tenue en décembre 1996, sous les auspices de l’[OMPI], a abouti à l’adoption de deux nouveaux traités, à savoir le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et le [TIEP], qui portent respectivement sur la protection des auteurs et sur celle des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs de phonogrammes. [...] La présente directive vise aussi à mettre en œuvre certaines de ces nouvelles obligations internationales.

[...]

(30) Les droits visés dans la présente directive peuvent être transférés, cédés ou donnés en licence contractuelle, sans préjudice des dispositions législatives nationales pertinentes sur le droit d’auteur et les droits voisins. »

14 L’article 2 de cette directive dispose :

« Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie :

[...]

b) pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions ;

[...] »

15 L’article 3, paragraphe 2, de ladite directive prévoit :

« Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement :

a) pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions ;

[...] »

16 L’article 5 de la même directive énumère les cas dans lesquels les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions et des limitations aux droits exclusifs prévus aux articles 2 à 4 de celle-ci.

17 L’article 10, paragraphe 2, de la directive 2001/29 dispose :

« La présente directive s’applique sans préjudice des actes conclus et des droits acquis avant le 22 décembre 2002. »

La directive 2006/115/CE

18 Les considérants 4, 5 et 7 de la directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (JO 2006, L 376, p. 28), énoncent :

« (4) Le droit d’auteur et la protection par les droits voisins doivent s’adapter aux réalités économiques nouvelles, telles que les nouvelles formes d’exploitation.

(5) La continuité du travail créateur et artistique des auteurs et artistes interprètes ou exécutants exige que ceux-ci perçoivent un revenu approprié [...]

[...]

(7) Il convient de rapprocher les législations des États membres dans le respect des conventions internationales sur lesquelles sont fondées les législations relatives au droit d’auteur et aux droits voisins de nombreux États membres. »

19 L’article 3, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la location et le prêt appartient :

[...]

b) à l’artiste interprète ou exécutant, en ce qui concerne les fixations de son exécution ;

[...] »

20 L’article 7, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« Les États membres prévoient pour les artistes interprètes ou exécutants le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la fixation de leurs exécutions. »

21 L’article 8, paragraphes 1 et 2, de la directive 2006/115 se lit comme suit :

« 1.   Les États membres prévoient pour les artistes interprètes ou exécutants le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques et la communication au public de leurs exécutions, sauf lorsque l’exécution est elle-même déjà une exécution radiodiffusée ou faite à partir d’une fixation.

2.   Les États membres prévoient un droit pour assurer qu’une rémunération équitable et unique est versée par l’utilisateur lorsqu’un phonogramme publié à des fins de commerce, ou une reproduction de ce phonogramme, est utilisé pour une radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques ou pour une communication quelconque au public, et pour assurer que cette rémunération est partagée entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes concernés. Ils peuvent, faute
d’accord entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes, déterminer les conditions de la répartition entre eux de cette rémunération. »

22 L’article 9, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Les États membres prévoient un droit exclusif de mise à la disposition du public des objets visés aux points a) à d), y compris de copies, par la vente ou autrement, ci-après dénommé “droit de distribution” :

a) pour les artistes interprètes ou exécutants, en ce qui concerne les fixations de leurs exécutions ;

[...] »

23 L’article 10 de ladite directive, qui énonce les limitations aux droits voisins que les États membres ont la faculté de prévoir, dispose, à son paragraphe 2 :

« Sans préjudice du paragraphe 1, tout État membre a la faculté de prévoir, en ce qui concerne la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes, des organismes de radiodiffusion et des producteurs des premières fixations de films, des limitations de même nature que celles qui sont prévues par la législation concernant la protection du droit d’auteur sur les œuvres littéraires et artistiques.

Toutefois, des licences obligatoires ne peuvent être prévues que dans la mesure où elles sont compatibles avec la convention de Rome. »

La directive 2019/790

24 Les considérants 4 et 72 de la directive 2019/790 énoncent :

« (4) La présente directive se fonde, tout en les complétant, sur les règles fixées dans les directives actuellement en vigueur dans ce domaine, notamment [la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données (JO 1996, L 77, p. 20), ainsi que les directives 2001/29 et 2006/115].

[...]

(72) Les auteurs et artistes interprètes ou exécutants ont tendance à se trouver dans une position contractuelle moins favorable lorsqu’ils octroient une licence ou transfèrent leurs droits, y compris par l’intermédiaire de leurs propres sociétés, aux fins de l’exploitation en contrepartie d’une rémunération, et ces personnes physiques ont besoin de la protection prévue par la présente directive pour pouvoir jouir pleinement des droits harmonisés en vertu du droit de l’Union. Ce besoin de
protection n’existe pas lorsque l’autre partie au contrat agit en tant qu’utilisateur final et n’exploite pas l’œuvre ou l’exécution elle-même, ce qui pourrait, par exemple, être le cas dans certains contrats de travail. »

25 L’article 1er de la directive 2019/790, intitulé « Objet et champ d’application », dispose :

« 1.   La présente directive fixe des règles visant à poursuivre l’harmonisation du droit de l’Union applicable au droit d’auteur et aux droits voisins dans le cadre du marché intérieur [...].

2.   Sauf dans les cas mentionnés à l’article 24, la présente directive laisse intactes et n’affecte en aucune façon les règles existantes fixées dans les directives actuellement en vigueur dans ce domaine, en particulier [les directives 96/9, 2001/29 et 2006/115]. »

26 Le titre IV de la directive 2019/790, relatif aux mesures visant à assurer le bon fonctionnement du marché du droit d’auteur, comporte un chapitre 3, intitulé « Juste rémunération des auteurs et des artistes interprètes ou exécutants dans le cadre des contrats d’exploitation », et dans lequel figurent les articles 18 à 23 de cette directive.

27 L’article 18 de la directive 2019/790, intitulé « Principe de rémunération appropriée et proportionnelle », dispose :

« 1.   Les États membres veillent à ce que, lorsque les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants octroient sous licence ou transfèrent leurs droits exclusifs pour l’exploitation de leurs œuvres ou autres objets protégés, ils aient le droit de percevoir une rémunération appropriée et proportionnelle.

2.   Aux fins de la mise en œuvre en droit national du principe énoncé au paragraphe 1, les États membres sont libres de recourir à différents mécanismes et tiennent compte du principe de la liberté contractuelle et d’un juste équilibre des droits et des intérêts. »

28 L’article 19 de cette directive, intitulé « Obligation de transparence », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants reçoivent, régulièrement et au minimum une fois par an, et en prenant en compte les spécificités de chaque secteur, des informations actualisées, pertinentes et complètes, sur l’exploitation de leurs œuvres et les exécutions de la part des parties auxquelles ils ont octroyé sous licence ou transféré leurs droits, ou des ayants droit de celles-ci, notamment en ce qui concerne les modes d’exploitation,
l’ensemble des revenus générés et la rémunération due. »

29 L’article 20 de ladite directive, intitulé « Mécanisme d’adaptation des contrats », énonce, à son paragraphe 1 :

« En l’absence d’accord collectif applicable prévoyant un mécanisme comparable à celui énoncé dans le présent article, les États membres veillent à ce que les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants ou leurs représentants aient le droit de réclamer à la partie avec laquelle ils ont conclu un contrat d’exploitation des droits ou aux ayants droit de cette partie, une rémunération supplémentaire appropriée et juste lorsque la rémunération initialement convenue se révèle exagérément faible
par rapport à l’ensemble des revenus ultérieurement tirés de l’exploitation des œuvres ou des interprétations ou exécutions. »

30 L’article 21 de la même directive, intitulé « Procédure extra-judiciaire de règlement des litiges », dispose :

« Les États membres prévoient que les litiges relatifs à l’obligation de transparence prévue à l’article 19 et au mécanisme d’adaptation des contrats prévu à l’article 20 peuvent être soumis à une procédure alternative de règlement des litiges volontaire. Les États membres veillent à ce que les organisations représentant les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants puissent engager ces procédures à la demande spécifique d’un ou plusieurs auteurs et artistes interprètes ou exécutants. »

31 L’article 22 de la directive 2019/790, intitulé « Droit de révocation », prévoit :

« 1.   Les États membres veillent à ce que, lorsqu’un auteur ou un artiste interprète ou exécutant a octroyé sous licence ou transféré les droits qu’il détient sur une œuvre ou autre objet protégé à titre exclusif, cet auteur, artiste interprète ou exécutant puisse révoquer, en tout ou en partie, la licence ou le transfert de droits en cas de non-exploitation de cette œuvre ou autre objet protégé.

[...]

5.   Les États membres peuvent prévoir que toute disposition contractuelle dérogeant au mécanisme de révocation prévu au paragraphe 1 ne peut être appliquée que si elle est fondée sur un accord collectif. »

32 L’article 23 de cette directive, intitulé « Dispositions communes », se lit comme suit :

« 1.   Les États membres veillent à ce que toute disposition contractuelle qui fait obstacle au respect des articles 19, 20 et 21 soit inopposable aux auteurs et aux artistes interprètes ou exécutants.

2.   Les États membres prévoient que les articles 18 à 22 de la présente directive ne s’appliquent pas aux auteurs d’un programme d’ordinateur [...] »

33 L’article 26 de ladite directive, intitulé « Application dans le temps », dispose :

« 1.   La présente directive s’applique à l’égard de l’ensemble des œuvres et autres objets protégés qui sont protégés par le droit national en matière de droit d’auteur au 7 juin 2021 ou après cette date.

2.   La présente directive s’applique sans préjudice des actes conclus et des droits acquis avant le 7 juin 2021. »

34 L’article 29 de la même directive, intitulé « Transposition », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 7 juin 2021. Ils en informent immédiatement la Commission.

Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres. »

Le droit belge

35 Les droits voisins des artistes interprètes ou exécutants ont été consacrés par la loi du 30 juin 1994 relative aux droits d’auteur et aux droits voisins (Moniteur belge du 27 juillet 1994, p. 19297), dont les dispositions ont été intégrées dans le code de droit économique par la loi du 19 avril 2014 portant insertion du livre XI « Propriété intellectuelle » dans le Code de droit économique, et portant insertion des dispositions propres au livre XI dans les livres I, XV et XVII du même Code
(Moniteur belge du 12 juin 2014, p. 44352).

36 L’article XI.205, § 4, du code de droit économique, qui figure sous le livre XI de ce code, prévoit que, lorsque des prestations sont effectuées par un artiste interprète ou exécutant en exécution d’un contrat de travail ou d’un statut, les droits patrimoniaux résultant des droits voisins peuvent être cédés à l’employeur pour autant que la cession des droits soit expressément prévue et que la prestation entre dans le champ du contrat ou du statut.

37 Le préambule de l’arrêté royal du 1er juin 2021 contient le passage suivant :

« Considérant que l’[ONB] est un organisme d’intérêt public de catégorie B ;

Considérant que l’article XI.205, § 4, du Code de droit économique permet que, lorsque des prestations sont effectuées par un artiste interprète ou exécutant en exécution d’un contrat de travail ou d’un statut, les droits patrimoniaux résultant des droits voisins soient cédés à l’employeur pour autant que la cession des droits soit expressément prévue et que la prestation entre dans le champ du contrat ou du statut ;

Considérant que le bon fonctionnement de l’[ONB] requiert que l’ensemble des droits liés à l’exécution et à l’exploitation des prestations des artistes-interprètes ou exécutants de l’[ONB] lui soient cédés ».

38 L’article 1er de cet arrêté royal est ainsi libellé :

« Au sens du présent arrêté, on entend par :

1° Artiste-interprète ou exécutant : le musicien de l’[ONB] engagé sous statut de droit administratif ou sous contrat de travail, à l’exclusion de tout musicien exerçant une fonction de directeur musical ou une fonction de soliste.

[...] »

39 L’article 2 dudit arrêté royal dispose :

« L’artiste-interprète ou exécutant cède à l’[ONB] conformément aux dispositions du présent arrêté, les droits voisins portant sur ses prestations réalisées dans le cadre de sa mission au service de l’[ONB]. »

40 L’article 3, paragraphes 1 et 2, du même arrêté royal prévoit :

« § 1.   Sont cédés à l’[ONB] en vertu de l’article 2 contre les allocations précisées aux articles 4 et 6, les droits voisins suivants :

a) Droit de communication au public :

– Le droit de communiquer au public les prestations des artistes-interprètes ou exécutants réalisées dans le cadre de leur mission au service de l’[ONB], en vue de leur diffusion et retransmission sonore par voie hertzienne, par câble, par satellite, par l’intermédiaire de plateformes Internet, par streaming ou par toute autre technique connue ou inconnue à ce jour ;

– Le droit de communiquer au public les prestations des artistes-interprètes ou exécutants réalisées dans le cadre de leur mission au service de l’[ONB] en vue de leur diffusion et retransmission audiovisuelle, par voie hertzienne, par câble, par satellite, par l’intermédiaire de plateformes Internet, par streaming ou par toute autre technique connue ou inconnue à ce jour ;

b) Droit de reproduction et de distribution :

– Le droit de reproduire les prestations des artistes-interprètes ou exécutants réalisées dans le cadre de leur mission au service de l’[ONB], en intégralité ou partiellement, en un nombre illimité d’exemplaires, sur tous supports phonographiques, vidéographiques ou multimédia, en ce compris les supports numériques, connus ou inconnus à ce jour ;

– Le droit de distribuer les supports reproduisant les prestations des artistes-interprètes ou exécutants, et le droit de les proposer au téléchargement à des fins privées sur un service accessible par un réseau numérique de transmission de données, notamment Internet, et de manière générale le droit d’exploiter ou de faire exploiter les supports en ce compris par la vente et la location.

§ 2.   Les droits cédés conformément à l’article 2 et au paragraphe premier du présent article le sont pour toute la durée des droits voisins et pour le monde entier. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

41 Avant l’adoption de l’arrêté royal du 1er juin 2021, l’exploitation des droits voisins des musiciens de l’ONB était négociée, au cas par cas, au sein d’un comité de concertation.

42 Entre l’année 2016 et l’année 2021, l’ONB et les délégations syndicales des musiciens de cet orchestre ont mené des négociations afin de parvenir à un accord au sujet de la rémunération équitable par l’ONB des prestations de ces musiciens.

43 Ces négociations n’ayant pas abouti, et un « protocole de désaccord » ayant été dressé et signé au mois de mai 2021, l’État belge a adopté l’arrêté royal du 1er juin 2021.

44 Selon le préambule de cet arrêté royal, le bon fonctionnement de l’ONB requiert que l’ensemble des droits liés à l’exécution et à l’exploitation des prestations des artistes interprètes ou exécutants de cet orchestre soient cédés à celui-ci.

45 À cet effet, l’article 2 dudit arrêté royal prévoit que l’artiste interprète ou exécutant cède à l’ONB les droits voisins portant sur ses prestations réalisées dans le cadre de sa mission au service de cet orchestre. Selon l’article 3 du même arrêté royal, sont ainsi cédés, contre le versement des allocations compensatoires visées aux articles 4 et 6 de celui-ci, le droit de communication au public ainsi que le droit de reproduction et de distribution, pour toute la durée des droits voisins et
pour le monde entier.

46 Par une requête introduite le 26 juillet 2021 devant le Conseil d’État (Belgique), qui est la juridiction de renvoi, FT, AL et ON ont demandé l’annulation de l’arrêté royal du 1er juin 2021, en faisant valoir notamment que les dispositions de cet arrêté royal méconnaissent le droit de l’Union.

47 À cet égard, cette juridiction relève, en substance, que, dans le cadre de l’examen de ce recours, se posent les questions de savoir si la cession de droits voisins nés dans le cadre d’une relation de travail statutaire relève du champ d’application de la directive 2019/790, en particulier de ses articles 18 à 23, et, dans l’affirmative, si l’État belge était tenu de respecter ces dispositions lorsqu’il a adopté l’arrêté royal du 1er juin 2021, à savoir à une date où le délai de transposition de
cette directive n’était pas encore expiré.

48 Selon ladite juridiction, ces questions concernent l’interprétation du droit de l’Union et doivent, partant, être soumises à la Cour.

49 Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les articles 18 à 23 de la directive [2019/790] doivent-ils être interprétés comme s’opposant à la cession par la voie réglementaire des droits voisins d’agents statutaires pour les prestations réalisées dans le champ de la relation de travail ?

2) Dans l’affirmative, les notions d’“actes conclus” et de “droits acquis” de l’article 26, paragraphe 2, de la directive [2019/790] doivent-elles être interprétées comme visant notamment la cession de droits voisins opérée par la voie d’un acte réglementaire adopté avant le 7 juin 2021 ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

50 Le gouvernement belge, sans invoquer de manière explicite l’irrecevabilité de la première question, affirme, d’une part, que cette question tend à obtenir de la Cour une opinion consultative sur une question générale et, d’autre part, que la juridiction de renvoi n’expose, dans sa demande de décision préjudicielle, ni les raisons qui l’ont conduite à s’interroger sur l’interprétation des articles 18 à 23 de la directive 2019/790, ni le lien qu’elle établit entre ces dispositions et l’arrêté royal
du 1er juin 2021.

51 À cet égard, il convient de rappeler, premièrement, que, selon une jurisprudence constante, les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature
hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 15 juin 2021, Facebook Ireland e.a., C‑645/19, EU:C:2021:483, point 115 ainsi que jurisprudence citée).

52 En outre, conformément à une jurisprudence également constante, la justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige (arrêt du 15 juin 2021, Facebook Ireland e.a., C‑645/19, EU:C:2021:483, point 116 ainsi que jurisprudence citée).

53 Deuxièmement, ainsi qu’il ressort de l’article 94, sous c), du règlement de procédure de la Cour, une demande de décision préjudicielle doit comporter, à peine d’irrecevabilité, l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal.

54 En l’occurrence, ainsi qu’il a été relevé au point 47 du présent arrêt, il ressort sans équivoque de la décision de renvoi que, dans le cadre du recours en annulation de l’arrêté royal du 1er juin 2021 dont elle est saisie, la juridiction de renvoi doit déterminer si c’est à bon droit que les requérants au principal allèguent que les articles 18 à 23 de la directive 2019/790 s’opposent à la cession, par la voie réglementaire, des droits voisins des musiciens de l’ONB engagés sous statut de droit
administratif pour les prestations réalisées dans le cadre de leur mission au service de cet orchestre, en l’absence de leur consentement préalable.

55 Il s’ensuit que cette juridiction a exposé le lien qu’elle établit entre ces dispositions et l’arrêté royal du 1er juin 2021 et qu’une réponse à la première question est nécessaire afin de lui permettre de statuer sur le litige au principal.

56 Dans ces conditions, la première question est recevable.

Sur le fond

Considérations liminaires

57 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En outre, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes du droit de l’Union auxquelles le
juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question [arrêt du 22 juin 2023, K. B. et F. S. (Relevé d’office dans le domaine pénal), C‑660/21, EU:C:2023:498, point 26 ainsi que jurisprudence citée].

58 En effet, la circonstance qu’une juridiction nationale a, sur un plan formel, formulé une question préjudicielle en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette juridiction tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis
par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige [arrêt du 22 juin 2023, K. B. et F. S. (Relevé d’office dans le domaine pénal), C‑660/21, EU:C:2023:498, point 27 ainsi que jurisprudence citée].

59 En l’occurrence, les questions préjudicielles portent uniquement sur l’interprétation des articles 18 à 23 ainsi que de l’article 26, paragraphe 2, de la directive 2019/790, et visent en particulier à déterminer, en substance, si ces articles 18 à 23 s’opposent à la cession, par la voie réglementaire, au profit de l’employeur, des droits voisins des musiciens d’un orchestre engagés sous statut de droit administratif, pour les prestations réalisées dans le cadre de leur mission au service de cet
employeur, en l’absence de leur consentement préalable.

60 Force est toutefois de constater que les dispositions visées par la juridiction de renvoi dans ses questions sont relatives, respectivement, à la juste rémunération des auteurs et des artistes interprètes ou exécutants dans le cadre des contrats d’exploitation et à l’application dans le temps de la directive 2019/790.

61 Il n’en demeure pas moins, ainsi que l’énonce le considérant 4 de la directive 2019/790, que cette directive se fonde, tout en les complétant, sur les règles fixées notamment dans les directives 2001/29 et 2006/115, qui régissent une telle cession. À cet égard, l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2019/790 prévoit que, sauf dans les cas mentionnés à son article 24, cette directive n’affecte en aucune façon les règles existantes fixées, en particulier, dans les directives 2001/29
et 2006/115.

62 Or, parmi ces règles figurent, s’agissant des droits des artistes interprètes ou exécutants, d’une part, celles énoncées à l’article 2, sous b), et à l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29, qui prévoient, au bénéfice de ces titulaires, et sous réserve des exceptions et des limitations prévues par cette directive, le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction ainsi que la mise à la disposition du public des fixations de leurs exécutions.

63 Y figurent, d’autre part, les règles mentionnées à l’article 3, paragraphe 1, sous b), à l’article 7, paragraphe 1, à l’article 8, paragraphe 1, et à l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/115, qui confèrent aux artistes interprètes ou exécutants, également sous réserve des limitations prévues par cette directive, le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la location et le prêt des fixations de leurs exécutions, le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la fixation de
leurs exécutions, le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la radiodiffusion et la communication au public de leurs exécutions ainsi que le droit exclusif de distribution des fixations de ces exécutions.

64 De telles règles sont, partant, pertinentes afin de déterminer si le droit de l’Union s’oppose à la cession, par la voie réglementaire, au profit de l’employeur, des droits voisins d’artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif, pour les prestations réalisées dans le cadre de leur mission au service de cet employeur, en l’absence de leur consentement préalable.

65 Au demeurant, il semble ressortir de la décision de renvoi que les exécutions des artistes interprètes ou exécutants, dont la cession des droits à l’ONB est opérée par l’arrêté royal du 1er juin 2021, ont vocation à faire l’objet d’une exploitation par cet orchestre, de sorte que l’ONB n’agit pas en tant qu’utilisateur final de telles exécutions, au sens du considérant 72 de la directive 2019/790. Sont, en effet, concernés par cette cession tant les droits de communication au public des
prestations des artistes interprètes ou exécutants en vue de leur diffusion et retransmission sonore ou audiovisuelle, par toute technique, que les droits de reproduction de ces prestations, en intégralité ou partiellement, en un nombre illimité d’exemplaires, sur tous supports et les droits de distribution des prestations ainsi fixées. Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier que tel est effectivement le cas.

66 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, par ses questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, sous b), et l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29, ainsi que l’article 3, paragraphe 1, sous b), l’article 7, paragraphe 1, l’article 8, paragraphe 1, et l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/115, d’une part, et les articles 18 à 23 de la directive 2019/790, d’autre part, doivent
être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit la cession, par la voie réglementaire, aux fins d’une exploitation par l’employeur, des droits voisins d’artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif, pour les prestations réalisées dans le cadre de leur mission au service de cet employeur, en l’absence de leur consentement préalable.

Sur l’applicabilité des directives 2001/29, 2006/115 et 2019/790

– Sur l’applicabilité ratione temporis de la directive 2019/790

67 Dans ses observations écrites, le gouvernement belge fait valoir que l’arrêté royal du 1er juin 2021 est exclu du champ d’application ratione temporis de la directive 2019/790, parce que cet arrêté serait un « acte conclu » antérieurement à la date d’expiration du délai de transposition de cette directive, le 7 juin 2021, et qu’il aurait fait naître, avant cette date, des « droits acquis » au profit de l’ONB, au sens de l’article 26, paragraphe 2, de ladite directive.

68 Il y a lieu de relever que, conformément à l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2019/790, le délai de transposition de cette directive a expiré le 7 juin 2021. L’article 26 de ladite directive dispose, à son paragraphe 1, que celle-ci s’applique à l’égard de l’ensemble des œuvres et autres objets protégés qui sont protégés par le droit national en matière de droit d’auteur au 7 juin 2021 ou après cette date et, à son paragraphe 2, qu’elle s’applique « sans préjudice des actes conclus et
des droits acquis avant le 7 juin 2021 ».

69 Il résulte d’une lecture conjointe de ces dispositions, d’une part, que la directive 2019/790 s’applique à l’ensemble des œuvres et autres objets protégés par le droit national en matière de droit d’auteur à compter du 7 juin 2021.

70 D’autre part, l’application de cette directive est, selon le libellé de son article 26, paragraphe 2, « sans préjudice des actes conclus et des droits acquis avant le 7 juin 2021 ». Ainsi que la Cour l’a jugé à l’égard de l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2001/29, rédigé en des termes substantiellement identiques à ceux de l’article 26, paragraphe 2, de la directive 2019/790, la sauvegarde des actes évoqués résulte d’un principe général en vertu duquel une directive n’a pas d’effet
rétroactif et ne s’applique pas aux actes d’exploitation d’œuvres et autres objets protégés accomplis avant la date à laquelle cette directive doit être transposée par les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2013, VG Wort e.a., C‑457/11 à C‑460/11, EU:C:2013:426, point 28). Il s’ensuit que la directive 2019/790 n’a pas vocation à s’appliquer aux actes d’exploitation survenus avant le 7 juin 2021 et pour lesquels des droits auraient été valablement acquis avant cette date.

71 C’est au regard de ces dispositions qu’il convient de déterminer si, comme le soutient le gouvernement belge, l’arrêté royal du 1er juin 2021 constitue un « acte conclu » antérieurement au 7 juin 2021, au sens de l’article 26, paragraphe 2, de la directive 2019/790, qui aurait fait naître, avant cette date, des « droits acquis » au profit de l’ONB sur les droits voisins des musiciens de cet orchestre, que ces droits portent sur des exécutions effectuées avant l’entrée en vigueur de cette
directive ou postérieurement à celle-ci.

72 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que, en principe, une règle de droit nouvelle s’applique à compter de l’entrée en vigueur de l’acte qui l’instaure. Si elle ne s’applique pas aux situations juridiques nées et définitivement acquises sous l’empire de la loi ancienne, elle s’applique aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne, ainsi qu’aux situations juridiques nouvelles. Il n’en va autrement, et sous réserve du principe de non-rétroactivité des
actes juridiques, que si la règle nouvelle est accompagnée de dispositions particulières qui déterminent spécialement ses conditions d’application dans le temps [arrêt du 21 décembre 2021, Skarb Państwa (Couverture de l’assurance automobile), C‑428/20, EU:C:2021:1043, point 31 et jurisprudence citée].

73 Ainsi, les actes pris pour la transposition d’une directive doivent s’appliquer aux effets futurs des situations nées sous l’empire de la loi ancienne, dès la date d’expiration du délai de transposition, sauf si cette directive en dispose autrement [arrêt du 21 décembre 2021, Skarb Państwa (Couverture de l’assurance automobile), C‑428/20, EU:C:2021:1043, point 32 et jurisprudence citée].

74 Afin de vérifier l’applicabilité temporelle d’une nouvelle règle de l’Union à une situation née sous l’empire de l’ancienne règle qu’elle remplace, il convient de déterminer si cette situation a épuisé ses effets avant l’entrée en vigueur de la nouvelle règle, auquel cas il conviendrait de la qualifier de situation acquise antérieurement à cette entrée en vigueur, ou si ladite situation continue à produire ses effets après celle-ci [arrêt du 21 décembre 2021, Skarb Państwa (Couverture de
l’assurance automobile), C‑428/20, EU:C:2021:1043, point 34].

75 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi, premièrement, que l’arrêté royal du 1er juin 2021 est entré en vigueur le 4 juin 2021, de sorte qu’il doit être considéré comme ayant été « conclu » antérieurement à la date d’expiration, le 7 juin 2021, du délai de transposition de cette directive.

76 Il s’ensuit que cet arrêté, pour autant qu’il ait été valablement adopté, est susceptible d’avoir fait naître, entre le 4 juin et le 7 juin 2021, au profit de l’ONB, des droits qui ne relèveraient pas du champ d’application ratione temporis de la directive 2019/790.

77 Il n’en demeure pas moins, deuxièmement, ainsi qu’il résulte également de la décision de renvoi, que l’arrêté royal du 1er juin 2021 n’a pas épuisé ses effets juridiques à la date de son entrée en vigueur, le 4 juin 2021, et ne saurait, partant, être considéré comme concernant exclusivement des situations acquises antérieurement à cette entrée en vigueur, au sens de la jurisprudence rappelée au point 74 du présent arrêt, mais qu’il a vocation à produire régulièrement ses effets sur les exécutions
des artistes interprètes ou exécutants concernés pendant toute la durée de son application, y compris après l’expiration, le 7 juin 2021, du délai de transposition de ladite directive.

78 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 57 de ses conclusions, l’acquisition valide, par l’ONB, de droits sur les exécutions des musiciens de cet orchestre ne saurait, aux fins de l’application de l’article 26, paragraphe 2, de la directive 2019/790, concerner que celles de ces exécutions qui ont été réalisées, et ont pu faire naître de tels droits, avant la date d’expiration du délai de transposition de cette directive.

79 En outre, une interprétation selon laquelle l’ensemble des exécutions des artistes interprètes ou exécutants visées par l’arrêté royal du 1er juin 2021 et postérieures à la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2019/790 seraient exclues du champ d’application de cette directive au titre de son article 26, paragraphe 2, serait susceptible de porter atteinte à l’effet utile des dispositions de celle-ci, qui visent, ainsi qu’il ressort notamment du considérant 72 de ladite
directive, à protéger les artistes interprètes ou exécutants lors d’un transfert de leurs droits.

80 Il ressort des considérations qui précèdent que la directive 2019/790 est applicable ratione temporis à la cession, opérée par l’arrêté royal du 1er juin 2021, des droits voisins des musiciens de l’ONB afférents aux prestations réalisées après le 7 juin 2021.

– Sur l’applicabilité ratione personae des directives 2001/29, 2006/115 et 2019/790

81 Il ressort du libellé de la première question posée par la juridiction de renvoi que cette dernière s’interroge sur l’applicabilité des articles 18 à 23 de la directive 2019/790 à la cession, par la voie réglementaire, aux fins d’une exploitation par l’employeur, des droits voisins des musiciens d’un orchestre engagés sous statut de droit administratif, pour les prestations réalisées dans le cadre de leur mission au service de cet employeur.

82 Toutefois, ainsi qu’il a été relevé au point 64 du présent arrêt, l’article 2, sous b), et l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 ainsi que l’article 3, paragraphe 1, sous b), l’article 7, paragraphe 1, l’article 8, paragraphe 1, et l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/115 sont également pertinents afin de répondre aux interrogations formulées à cet égard par la juridiction de renvoi, de sorte qu’il convient de déterminer, à titre liminaire, si la notion
d’« artiste interprète ou exécutant », visée à ces dispositions et aux articles 18 à 23 de la directive 2019/790, couvre les musiciens d’un orchestre engagés sous statut de droit administratif.

83 D’emblée, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence bien établie, compte tenu des exigences d’unité et de cohérence de l’ordre juridique de l’Union, les notions utilisées par les directives en vigueur dans le domaine de la propriété intellectuelle doivent avoir la même signification, à moins que le législateur de l’Union n’ait exprimé, dans un contexte législatif précis, une volonté différente (voir, par analogie, arrêts du 4 octobre 2011, Football Association Premier
League e.a., C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 188, ainsi que du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, point 65 et jurisprudence citée).

84 Or, en l’occurrence, rien ne permet d’affirmer que le législateur de l’Union a voulu conférer à la notion d’« artiste interprète ou exécutant » une signification différente dans les contextes respectifs des directives 2001/29, 2006/115 et 2019/790 (voir, par analogie, arrêt du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU:C:2016:379, point 31).

85 S’agissant, en particulier, des notions contenues dans la directive 2019/790, il convient de souligner que, selon l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive, celle-ci fixe des règles « visant à poursuivre l’harmonisation » du droit de l’Union applicable au droit d’auteur et aux droits voisins dans le cadre du marché intérieur. En outre, ainsi qu’il a été rappelé au point 61 du présent arrêt, il ressort spécifiquement de l’article 1er, paragraphe 2, et du considérant 4 de ladite directive que
celle-ci se fonde, tout en les complétant, sur les règles fixées notamment dans les directives 2001/29 et 2006/115.

86 Il s’ensuit que la notion d’« artiste interprète ou exécutant » doit se voir reconnaître la même signification dans les contextes respectifs des directives 2001/29, 2006/115 et 2019/790.

87 À cet égard, selon une jurisprudence constante, les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du libellé de cette disposition, du contexte dans lequel elle s’insère, et notamment de sa genèse ainsi que du droit international, ainsi que des objectifs poursuivis par
la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 18 novembre 2020, Atresmedia Corporación de Medios de Comunicación, C‑147/19, EU:C:2020:935, point 33 et jurisprudence citée).

88 En premier lieu, en ce qui concerne le libellé des dispositions des directives 2001/29, 2006/115 et 2019/790, citées au point 82 du présent arrêt, il convient de relever qu’aucune d’entre elles n’exclut formellement de son champ d’application les artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif.

89 Certes, les articles 18 à 23 de la directive 2019/790, qui figurent dans le chapitre 3 du titre IV de cette directive, intitulé « Juste rémunération des auteurs et des artistes interprètes ou exécutants dans le cadre des contrats d’exploitation », se réfèrent, à divers égards, à une cession de droits par la voie contractuelle. Ainsi, dans ces articles, le législateur de l’Union utilise des expressions telles que le « principe de la liberté contractuelle », le « partenaire contractuel »,
l’« adaptation des contrats », l’« exclusivité d’un contrat » ou encore les « dispositions contractuelles ».

90 Il ne saurait toutefois être déduit de l’utilisation de ces expressions que lesdits articles excluent de leur champ d’application les artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif.

91 En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 62 de ses conclusions, la notion de « contrat » utilisée dans ces mêmes articles doit être entendue au sens large, comme visant tout octroi de licence d’exploitation ou transfert des droits exclusifs, les articles 18, 19 et 22 de la directive 2019/790 se référant d’ailleurs explicitement à l’octroi de licences ou au transfert de droits.

92 De même, est dépourvue de pertinence à cet égard la circonstance, soulignée par l’ONB et le gouvernement belge, que, s’agissant d’artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif, il découlerait des principes d’attribution des compétences et de subsidiarité, visés aux articles 4 et 5 TUE, que l’Union ne dispose d’aucune compétence pour fixer la rémunération des agents de la fonction publique des États membres. En effet, dans l’exercice de leur compétence dans les
domaines ne relevant pas de celle de l’Union, tels que la détermination du niveau des divers éléments constitutifs de la rémunération d’un travailleur, les États membres sont tenus de respecter le droit de l’Union [voir, en ce sens, arrêts du 10 juin 2010, Bruno e.a., C‑395/08 et C‑396/08, EU:C:2010:329, point 39, ainsi que du 5 juin 2023, Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges), C‑204/21, EU:C:2023:442, point 125 et jurisprudence citée].

93 En deuxième lieu, s’agissant du contexte dans lequel s’inscrivent les dispositions des directives 2001/29, 2006/115 et 2019/790, citées au point 82 du présent arrêt, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que les dispositions des directives en vigueur dans le domaine de la propriété intellectuelle doivent être interprétées à la lumière du droit international, et en particulier du droit conventionnel que ces instruments visent précisément à mettre en œuvre, ainsi qu’il est
expressément rappelé au considérant 15 de la directive 2001/29 et au considérant 7 de la directive 2006/115 (voir, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers, C‑263/18, EU:C:2019:1111, points 38 et 39, ainsi que du 18 novembre 2020, Atresmedia Corporación de Medios de Comunicación, C‑147/19, EU:C:2020:935, point 34 et jurisprudence citée).

94 En particulier, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que les notions employées par les directives 2001/29 et 2006/115 doivent être interprétées dans le respect des notions équivalentes que comporte le TIEP, les dispositions de ce traité faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union et y étant dès lors applicables (voir, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers, C‑263/18, EU:C:2019:1111, point 39, ainsi que du 18 novembre
2020, Atresmedia Corporación de Medios de Comunicación, C‑147/19, EU:C:2020:935, point 38 et jurisprudence citée).

95 Or, à cet égard, aux termes de l’article 2, sous a), du TIEP, la notion d’« artistes interprètes ou exécutants » se réfère à l’ensemble des personnes « qui représentent, chantent, récitent, déclament, jouent, interprètent ou exécutent de toute autre manière des œuvres littéraires ou artistiques ou des expressions du folklore ».

96 Ainsi, cette disposition, qui fait référence sans autre précision aux « artistes interprètes ou exécutants », n’établit aucune condition qui aurait pour effet d’exclure de son champ d’application les artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif (voir, par analogie, arrêt du 8 septembre 2020, Recorded Artists Actors Performers, C‑265/19, EU:C:2020:677, point 61).

97 En troisième lieu, une telle interprétation est corroborée par les objectifs poursuivis par les directives 2001/29, 2006/115 et 2019/790, tels qu’ils sont exposés dans les préambules de ces instruments.

98 Ainsi, premièrement, comme l’énoncent, en substance, les considérants 9 et 10 de la directive 2001/29, toute harmonisation des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle, les interprètes ou exécutants, pour pouvoir poursuivre leur travail créatif et artistique, devant obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs objets protégés.

99 Deuxièmement, les considérants 4 et 5 de la directive 2006/115 rappellent la nécessité non seulement d’adapter la protection par les droits voisins aux réalités économiques nouvelles, telles que les nouvelles formes d’exploitation, mais également de garantir un revenu approprié aux artistes interprètes ou exécutants, afin d’assurer la continuité du travail créateur et artistique de ceux-ci.

100 Troisièmement, il ressort expressément du considérant 72 de la directive 2019/790 que les artistes interprètes ou exécutants ont tendance à se trouver dans une position contractuelle moins favorable lorsqu’ils octroient une licence ou transfèrent leurs droits, aux fins de l’exploitation en contrepartie d’une rémunération, et que ces personnes physiques ont besoin de la protection prévue par cette directive pour pouvoir jouir pleinement des droits harmonisés en vertu du droit de l’Union. À cet
égard, la référence faite par ce considérant à la notion de « position contractuelle » ne saurait être interprétée comme excluant une position qui résulterait d’un contrat de travail conclu sous statut de droit administratif.

101 Certes, ledit considérant ajoute que ce besoin de protection n’existe pas lorsque l’autre partie au contrat agit en tant qu’utilisateur final et n’exploite pas elle-même l’exécution. Toutefois, tel n’est pas le cas en l’occurrence, ainsi qu’il a été relevé au point 65 du présent arrêt.

102 Il ressort des considérations qui précèdent que relèvent de la notion d’« artiste interprète ou exécutant », visée à l’article 2, sous b), et à l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29, à l’article 3, paragraphe 1, sous b), à l’article 7, paragraphe 1, à l’article 8, paragraphe 1, et à l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/115 ainsi qu’aux articles 18 à 23 de la directive 2019/790 les artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit
administratif.

Sur la cession, par la voie réglementaire, des droits voisins d’artistes interprètes ou exécutants en l’absence de leur consentement préalable

103 Ainsi qu’il a été relevé aux points 60 à 64 du présent arrêt, la cession des droits voisins des artistes interprètes ou exécutants est régie spécifiquement par les dispositions des directives 2001/29 et 2006/115, qu’il convient, partant, d’examiner d’emblée.

104 En premier lieu, s’agissant du libellé de ces dispositions, d’une part, l’article 2, sous b), et l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 prévoient que les artistes interprètes ou exécutants disposent du droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction ainsi que la mise à la disposition du public des fixations de leurs exécutions. D’autre part, l’article 3, paragraphe 1, sous b), l’article 7, paragraphe 1, l’article 8, paragraphe 1, et l’article 9, paragraphe 1,
sous a), de la directive 2006/115 confèrent aux artistes interprètes ou exécutants le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la location et le prêt des fixations de leurs exécutions, le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la fixation de leurs exécutions, le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la radiodiffusion et la communication au public de leurs exécutions ainsi que le droit exclusif de distribution des fixations de leurs exécutions.

105 La protection que ces dispositions confèrent aux artistes interprètes ou exécutants doit se voir reconnaître une large portée. Partant, cette protection doit être comprise en ce sens qu’elle ne se limite pas à la jouissance des droits garantis par lesdites dispositions, mais s’étend aussi à l’exercice desdits droits [voir, en ce qui concerne l’article 2, sous b), et l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29, arrêt du 14 novembre 2019, Spedidam, C‑484/18, EU:C:2019:970,
points 36 et 37 ainsi que jurisprudence citée].

106 En outre, les droits garantis aux artistes interprètes ou exécutants sont de nature préventive, en ce sens que l’utilisation de leurs exécutions requiert leur consentement préalable. Il en découle que, sous réserve des exceptions et des limitations prévues à l’article 5 de la directive 2001/29 et notamment à l’article 10 de la directive 2006/115, toute utilisation de tels objets protégés effectuée par un tiers sans un tel consentement préalable doit être regardée comme portant atteinte aux
droits du titulaire [voir, en ce qui concerne l’article 2, sous b), et l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29, arrêt du 14 novembre 2019, Spedidam, C‑484/18, EU:C:2019:970, point 38 et jurisprudence citée].

107 Il y a lieu dès lors de considérer, au regard du libellé des dispositions des directives 2001/29 et 2006/115, visées au point 104 du présent arrêt, que ces dispositions s’opposent, en l’absence de consentement préalable des titulaires de droits, à la cession, par la voie réglementaire, des droits exclusifs qui y sont visés, à moins qu’une telle cession ne relève de l’une des exceptions ou des limitations prévues par ces directives, qui revêtent un caractère exhaustif (voir, en ce qui concerne
l’article 5 de la directive 2001/29, arrêt du 24 octobre 2024, Kwantum Nederland et Kwantum België, C‑227/23, EU:C:2024:914, point 76 ainsi que jurisprudence citée).

108 Or, ni la directive 2001/29 ni la directive 2006/115 ne comportent d’exception permettant la cession, sans le consentement préalable des titulaires, de l’ensemble des droits liés à l’exécution et à l’exploitation des prestations des artistes interprètes ou exécutants d’un orchestre, telle que celle opérée par l’arrêté royal du 1er juin 2021 et visée aux points 44 et 45 du présent arrêt.

109 Certes, l’article 8 de la directive 2006/115 prévoit, à son paragraphe 1, une exception au droit exclusif des artistes interprètes ou exécutants d’autoriser ou d’interdire la radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques et la communication au public de leurs exécutions, lorsque l’exécution est elle-même déjà une exécution radiodiffusée ou faite à partir d’une fixation. En outre, ce même article 8 institue, à son paragraphe 2, un droit, au profit des artistes interprètes ou exécutants,
au versement d’une rémunération équitable et unique par l’utilisateur lorsqu’un phonogramme publié à des fins de commerce, ou une reproduction de ce phonogramme, est utilisé pour une radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques ou pour une communication quelconque au public.

110 Toutefois, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 37 de ses conclusions, les exceptions et les limitations apportées de manière circonscrite aux droits des artistes interprètes ou exécutants, telles que prévues par les directives 2001/29 et 2006/115, ne permettent pas la cession obligatoire à caractère général de l’ensemble des droits voisins d’une catégorie d’artistes interprètes ou exécutants.

111 Cette interprétation est confortée, en deuxième lieu, par le contexte, notamment international, dans lequel s’inscrit la protection des droits voisins des artistes interprètes ou exécutants, et dont il y a lieu de tenir compte, conformément à la jurisprudence visée au point 93 du présent arrêt.

112 Premièrement, ainsi qu’il résulte également de l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2006/115, en ce qui concerne la protection des artistes interprètes ou exécutants, des licences obligatoires ne peuvent être prévues que dans la mesure où elles sont compatibles avec la convention de Rome.

113 À cet égard, si les dispositions de cette convention ne font pas partie de l’ordre juridique de l’Union, dès lors que l’Union n’est pas partie à celle-ci, la Cour a déjà eu l’occasion de relever que ladite convention produit des effets indirects au sein de l’Union. En particulier, il ressort de la genèse de la directive 92/100/CEE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle
(JO 1992, L 346, p. 61), que, aux fins de cette directive et, partant, de la directive 2006/115 qui l’a entretemps remplacée, il y a lieu de se référer aux concepts figurant notamment dans ladite convention (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2020, Atresmedia Corporación de Medios de Comunicación, C‑147/19, EU:C:2020:935, points 35 et 36 ainsi que jurisprudence citée).

114 Or, l’article 7, paragraphe 1, de la convention de Rome stipule que la protection qu’elle prévoit en faveur des artistes interprètes ou exécutants doit permettre, en principe, de faire obstacle, en particulier, à la radiodiffusion et à la communication au public de leur exécution sans leur consentement, à la fixation sans leur consentement sur un support matériel de leur exécution non fixée, ainsi qu’à la reproduction sans leur consentement d’une fixation de leur exécution.

115 Il est vrai que cette convention comporte, à ses articles 12, 15 et 19, des limitations aux droits exclusifs des titulaires de droits voisins, en particulier dans les cas d’utilisations secondaires de phonogrammes, d’utilisations privées, d’utilisations de courts fragments à l’occasion du compte rendu d’un événement d’actualité ou d’utilisations uniquement à des fins d’enseignement ou de recherche scientifique, ou lorsque l’artiste interprète ou exécutant a donné son consentement à l’inclusion
de son exécution dans une fixation d’images ou d’images et de sons.

116 Toutefois, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 40 de ses conclusions, aucune de ces dispositions ne permet une cession obligatoire à caractère général de l’ensemble des droits voisins d’une catégorie d’artistes interprètes ou exécutants.

117 Deuxièmement, ainsi qu’il a été rappelé au point 94 du présent arrêt, la directive 2001/29 doit également être interprétée dans le respect des dispositions du TIEP.

118 À cet égard, il convient de relever que, certes, les articles 6 à 10 de ce traité consacrent au profit des artistes interprètes ou exécutants le droit exclusif d’autoriser, respectivement, la radiodiffusion et la communication au public de leurs interprétations ou exécutions non fixées, sauf lorsque l’interprétation ou exécution est déjà une interprétation ou exécution radiodiffusée ainsi que la fixation de leurs interprétations ou exécutions non fixées (article 6), la reproduction directe ou
indirecte de leurs interprétations ou exécutions fixées sur phonogrammes (article 7), la mise à la disposition du public de l’original et de copies de leurs interprétations ou exécutions fixées sur phonogrammes par la vente ou tout autre transfert de propriété (article 8), la location commerciale au public de l’original et de copies de leurs interprétations ou exécutions fixées sur phonogrammes (article 9), ainsi que la mise à la disposition du public de leurs interprétations ou exécutions
fixées sur phonogrammes (article 10). Cela étant, ni ces dispositions ni aucune autre disposition dudit traité n’autorisent une cession obligatoire à caractère général de l’ensemble des droits voisins d’une catégorie d’artistes interprètes ou exécutants.

119 Troisièmement, en vertu de l’article 18, paragraphe 2, de la directive 2019/790, les États membres tiennent compte, aux fins de la mise en œuvre du principe de rémunération appropriée et proportionnelle visé au paragraphe 1 de cet article 18, du principe de la liberté contractuelle et d’un juste équilibre des droits et des intérêts. Or, cette exigence n’est pas respectée en cas de cession des droits voisins d’une catégorie d’artistes interprètes ou exécutants, sans le consentement préalable de
leurs titulaires.

120 En troisième lieu, une telle interprétation est corroborée par les objectifs poursuivis par la directive 2001/29 et par la directive 2006/115, qui, ainsi qu’il a été rappelé aux points 98 et 99 du présent arrêt, visent à assurer un niveau de protection élevé des droits des artistes interprètes ou exécutants ainsi qu’à garantir un revenu approprié à ces derniers.

121 Il s’ensuit que les dispositions visées au point 104 du présent arrêt doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent, en l’absence de consentement préalable des titulaires de droits, à la cession, par la voie réglementaire, des droits exclusifs qui y sont visés.

122 Quant à la forme que doit revêtir le consentement préalable des artistes interprètes ou exécutants, la Cour a déjà relevé que les directives 2001/29 et 2006/115 ne précisent pas la manière dont celui-ci doit se manifester (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2019, Spedidam, C‑484/18, EU:C:2019:970, point 40).

123 Il s’ensuit que les États membres sont compétents, d’une part, ainsi qu’il résulte également du considérant 30 de la directive 2001/29, pour définir les modalités de ce consentement, lequel, comme l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 48 de ses conclusions, doit être obtenu dans le cadre de négociations individuelles ou collectives ou être formalisé, s’agissant d’artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif, dans un acte réglementaire. D’autre
part, ces États sont également libres de déterminer les modalités selon lesquelles les artistes interprètes ou exécutants qui participent à une même exécution sont représentés aux fins de l’exercice de leurs droits, conformément à l’article 8 de la convention de Rome.

124 Il n’en demeure pas moins que de telles modalités doivent être définies strictement, afin de ne pas priver de portée le principe même du consentement préalable (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2019, Spedidam, C‑484/18, EU:C:2019:970, point 40 et jurisprudence citée).

125 En l’occurrence, il est constant que les requérants au principal n’ont pas donné leur consentement préalable à l’exploitation des droits exclusifs dont ils sont titulaires, dont la cession à l’ONB a été opérée par l’arrêté royal du 1er juin 2021 postérieurement à leur engagement au service de cet orchestre, en méconnaissance des dispositions visées au point 104 du présent arrêt. En particulier, ainsi qu’il a été relevé au point 43 de celui-ci, l’absence d’accord entre l’ONB et ses musiciens a
spécifiquement fait l’objet d’un « protocole de désaccord », dressé et signé avant l’adoption de cet arrêté royal.

126 Il s’ensuit que les directives 2001/29 et 2006/115, en l’absence de consentement des artistes interprètes ou exécutants concernés, s’opposent à une cession des droits voisins de ces artistes, telle que celle opérée par l’arrêté royal du 1er juin 2021.

127 Dans ces conditions, il n’y a plus lieu d’examiner si les articles 18 à 23 de la directive 2019/790, qui portent sur la juste rémunération devant être versée aux artistes interprètes ou exécutants pour l’exploitation des exécutions protégées par les droits voisins dont ils sont titulaires, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent également à une telle cession.

128 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 2, sous b), et l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29 ainsi que l’article 3, paragraphe 1, sous b), l’article 7, paragraphe 1, l’article 8, paragraphe 1, et l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/115 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit la cession, par la voie réglementaire, aux fins
d’une exploitation par l’employeur, des droits voisins d’artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif, pour les prestations réalisées dans le cadre de leur mission au service de cet employeur, en l’absence de consentement préalable de ces derniers.

Sur les dépens

129 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  L’article 2, sous b), et l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, ainsi que l’article 3, paragraphe 1, sous b), l’article 7, paragraphe 1, l’article 8, paragraphe 1, et l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit de
location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle,

  doivent être interprétés en ce sens que :

  ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit la cession, par la voie réglementaire, aux fins d’une exploitation par l’employeur, des droits voisins d’artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit

  administratif, pour les prestations réalisées dans le cadre de leur mission au service de cet employeur, en l’absence de consentement préalable de ces derniers.

Lenaerts

von Danwitz

Kumin

Ziemele

Spineanu-Matei
 
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 mars 2025.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président

K. Lenaerts

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-575/23
Date de la décision : 06/03/2025

Analyses

Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins – Artistes interprètes ou exécutants engagés sous statut de droit administratif – Cession des droits voisins par la voie réglementaire – Directive 2001/29/CE – Article 2, sous b), et article 3, paragraphe 2 – Droits de reproduction et de mise à la disposition du public – Directive 2006/115/CE – Articles 7 à 9 – Droits de fixation, de radiodiffusion, de communication au public et de distribution – Directive (UE) 2019/790 – Articles 18 à 23 – Juste rémunération dans le cadre des contrats d’exploitation – Article 26 – Application dans le temps – Notions d’“actes conclus” et de “droits acquis”.


Parties
Demandeurs : FT e.a.
Défendeurs : État belge.

Origine de la décision
Date de l'import : 11/03/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:141

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