CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE
MME TAMARA ĆAPETA
présentées le 6 février 2025 ( 1 )
Affaires jointes C‑71/23 P et C‑82/23 P
République française
contre
Commission européenne,
CWS Powder Coatings GmbH,
Billions Europe Ltd,
Cinkarna Metalurško-kemična Industrija Celje d.d. (Cinkarna Celje d.d.),
Evonik Operations GmbH,
Kronos Titan GmbH,
Precheza a.s.,
Tayca Corp.,
Tronox Pigments (Holland) BV,
Venator Germany GmbH,
Brillux GmbH & Co. KG,
Daw SE (C‑71/23 P)
et
Commission européenne
contre
CWS Powder Coatings GmbH,
Billions Europe Ltd,
Cinkarna Metalurško-kemična Industrija Celje d.d. (Cinkarna Celje d.d.),
Evonik Operations GmbH,
Kronos Titan GmbH,
Precheza a.s.,
Tayca Corp.,
Tronox Pigments (Holland) BV,
Venator Germany GmbH,
Brillux GmbH & Co. KG,
Daw SE (C‑82/23 P)
« Pourvoi – Protection de la santé humaine – Règlement (CE) no 1272/2008 – Classification, étiquetage et emballage des substances et des mélanges – Règlement délégué (UE) 2020/217 – Classification du dioxyde de titane comme substance cancérogène de catégorie 2 par inhalation – Critères de classification d’une substance comme étant cancérogène – Intensité du contrôle juridictionnel applicable aux questions scientifiques – Notion de “propriétés intrinsèques” (ou d’“intrinsèquement capables”) »
I. Introduction
1. Le droit et la science ont en commun qu’il y règne bien souvent l’incertitude ( 2 ).
2. S’ils sont habilités et formés à remédier à l’indétermination juridique, les juges ne sont pas des femmes ou hommes de science et ils n’ont donc pas le bagage nécessaire pour décider du caractère utilisable de résultats scientifiques qui sont contradictoires ou tout simplement non concluants.
3. Plusieurs actes de l’Union européenne, parmi lesquels le règlement (CE) no 1272/2008 ( 3 ) qui est en cause dans la présente affaire, confèrent aux agences de l’Union ainsi qu’à la Commission européenne le pouvoir d’adopter des décisions en se fondant sur des évaluations scientifiques.
4. Que doit faire le juge lorsqu’une décision administrative reposant sur des éléments scientifiques non concluants donne matière à un différend juridique ? Comment peut-il procéder au contrôle d’une telle décision – ce qui relève de sa mission dans le cadre d’un ordre juridique fondé sur l’État de droit – sans empiéter, du même coup, sur le pouvoir d’appréciation dont l’administration est investie pour se prononcer en cas d’indétermination scientifique ? Ce n’est pas la première fois que de telles
questions se posent devant les juridictions de l’Union.
5. En l’espèce, l’arrêt concerné est celui rendu dans l’affaire CWS Powder Coatings e.a./Commission ( 4 ), par lequel le Tribunal a annulé la décision de la Commission classifiant le dioxyde de titane en tant que substance suspectée d’être cancérogène pour l’homme.
6. Le gouvernement français et la Commission ont formé, l’un et l’autre, un pourvoi contre cet arrêt. En substance, ces pourvois sont axés sur deux questions : d’une part, celle de savoir si le Tribunal a outrepassé les limites du contrôle juridictionnel admissible d’une décision de la Commission et, d’autre part, celle de savoir si le Tribunal a commis une erreur en réservant une interprétation restrictive à la notion de « propriétés intrinsèques » (ou d’« intrinsèquement capables ») telle qu’elle
figure dans le règlement no 1272/2008 ( 5 ).
II. Les antécédents de la présente procédure
A. Remarques liminaires sur la procédure de classification
7. Le règlement no 1272/2008 établit les règles applicables à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges mis sur le marché de l’Union. Il a pour objet d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, ainsi que la libre circulation des substances, des mélanges et de certains articles spécifiques ( 6 ).
8. Afin de garantir ces objectifs, le règlement no 1272/2008 prévoit que, pour certains dangers, notamment la cancérogénicité, la classification et l’étiquetage des substances et des mélanges doivent être harmonisés au niveau de l’Union ( 7 ). Ce règlement prévoit ainsi une procédure d’adoption de classification et d’étiquetage harmonisés de ces substances et mélanges (ci-après la « procédure de classification »).
9. En résumé, la procédure de classification exige qu’une proposition soit présentée par l’autorité compétente d’un État membre ou par un fabricant, importateur ou utilisateur en aval d’une substance ( 8 ). Le comité d’évaluation des risques (ci-après le « CER ») de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) adopte alors un avis sur la proposition dans un délai de 18 mois à compter de sa réception, en ayant donné aux parties concernées l’occasion de formuler des observations sur cet avis ( 9
). Puis, l’ECHA transmet ledit avis, ainsi que toutes les observations y afférentes, à la Commission aux fins d’une décision. Lorsqu’elle estime que l’harmonisation de la classification et de l’étiquetage de la substance concernée est appropriée, la Commission peut modifier le règlement no 1272/2008 « afin de [l’]adapter au progrès technique et scientifique » ( 10 ). Cette adaptation prend la forme d’un règlement.
10. Le CER formule sa proposition de classification en examinant les informations que les fabricants, importateurs et utilisateurs en aval ont identifiées sur le danger physique, le danger pour la santé ou le danger pour l’environnement d’une substance donnée au regard de leur adéquation, de leur fiabilité et de leur validité scientifique ( 11 ). Ces informations sont alors évaluées en leur appliquant les critères de classification prévus dans le règlement no 1272/2008 ( 12 ).
11. Les critères pertinents pour déterminer la cancérogénicité d’une substance figurent à l’annexe I, section 3.6, du règlement no 1272/2008 ( 13 ).
12. Un cancérogène y est défini comme étant « une substance ou un mélange de substances chimiques qui induisent des cancers ou en augmentent l’incidence. Les substances qui ont provoqué des tumeurs bénignes et malignes chez des animaux au cours d’études expérimentales correctement réalisées sont aussi présumées cancérogènes ou susceptibles de l’être, sauf s’il apparaît clairement que le mécanisme de la formation des tumeurs n’est pas pertinent pour l’être humain » ( 14 ).
13. La classification d’une substance comme étant cancérogène s’effectue en deux opérations connexes : l’évaluation de la force probante des données et l’examen de toutes les autres informations utiles ( 15 ).
14. Sur cette base, comme le présente le tableau 3.6.1 figurant à l’annexe I du règlement no 1272/2008, la classification répartit les cancérogènes en deux catégories :
Image
15. Le dioxyde de titane, la substance en cause dans la présente affaire, a été classifié en tant que substance cancérogène de catégorie 2.
16. Une classification dans cette catégorie a lieu dès lors qu’il existe, à la suite d’études réalisées sur l’être humain et/ou sur l’animal, le moindre soupçon qu’une substance ou un mélange est capable de provoquer le cancer chez l’être humain sans, toutefois, que les résultats de ces études ne soient suffisamment probants pour justifier une classification de cette substance dans la catégorie 1. Inversement, une classification dans la catégorie 1 implique soit qu’il est avéré qu’une substance peut
provoquer le cancer, et ce sur la base de données provenant d’études sur l’être humain établissant le lien de causalité entre l’exposition à la substance concernée et l’apparition du cancer (catégorie 1A), soit qu’il est présumé que la substance présente un potentiel cancérogène pour l’être humain, et ce sur la base d’études sur l’animal dont les résultats sont suffisamment probants pour démontrer le pouvoir cancérogène sur les animaux (catégorie 1B).
17. Qu’elles soient suffisamment probantes ou seulement d’une valeur limitée, les données sur la base desquelles la classification est déterminée doivent provenir d’« études fiables et acceptables » ( 16 ). La première question principale en litige dans les présents pourvois est de savoir si c’était à juste titre qu’une étude utilisée pour conclure à la cancérogénicité de la substance en cause – le dioxyde de titane – avait été considérée comme étant « fiable » dans cet exercice de classification.
18. À part les études humaines et animales, d’autres facteurs, qui figurent aux points 3.6.2.2.4 à 3.6.2.2.6 de l’annexe I du règlement no 1272/2008, doivent être pris en considération pour établir la probabilité qu’une substance représente un effet cancérogène chez l’être humain. Certains des facteurs supplémentaires énumérés sont notamment les « voies d’exposition » ( 17 ) ainsi que le « mode d’action et sa pertinence pour l’être humain » ( 18 ).
19. Lorsque, en raison de l’incertitude des informations scientifiques obtenues, les critères de classification ne peuvent pas s’appliquer directement, l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 1272/2008 et le point 1.1.1.3 de l’annexe I de ce règlement requièrent de procéder à une évaluation fondée sur l’approche de la « force probante des données ». Cette évaluation exige de recourir au jugement d’experts, dans le cadre duquel « toutes les informations disponibles ayant une incidence sur la
détermination du danger sont prises en considération conjointement » ( 19 ).
20. Dans ce processus, « [l]a qualité et la cohérence des données doivent être assurées de manière appropriée. [...] Les résultats positifs et négatifs sont rassemblés et l’ensemble est pris en considération pour déterminer la force probante des données » ( 20 ).
21. Enfin, conformément au point 3.6.2.2.1 de l’annexe I du règlement no 1272/2008, la classification d’une substance comme cancérogène vise les substances qui sont « intrinsèquement capables » (ou qui ont les « propriétés intrinsèques ») de provoquer le cancer. La seconde question principale en litige dans les présents pourvois concerne l’interprétation de cette notion, c’est-à-dire celle de « propriétés intrinsèques » d’une substance (ou d’« intrinsèquement capabl[e] »), qui n’est ni définie ni
expliquée dans le règlement no 1272/2008.
B. La procédure de classification dans la présente affaire et ses effets
22. En mai 2016, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) (France) (ci‑après l’« autorité française compétente ») a soumis à l’ECHA un dossier proposant la classification et l’étiquetage harmonisés du dioxyde de titane en tant que substance cancérogène de catégorie 1B par inhalation (Carc. 1B, H350i) ( 21 ).
23. La substance en cause dans la présente affaire, le dioxyde de titane, est un produit chimique inorganique, dont la formule moléculaire est TiO2.
24. Elle est répertoriée sous le numéro CE 236‑675‑5 ( 22 ) et se présente, en des dimensions différentes, à la fois en tant que particules micrométriques et en tant que particules nanométriques.
25. Eu égard à sa capacité d’absorption du rayonnement ultraviolet, le dioxyde de titane est utilisé dans divers produits, sous forme de poudre, le plus souvent comme pigment donnant de la blancheur et de l’opacité.
26. De ce fait, le dioxyde de titane est utilisé, entre autres, dans les peintures, les matériaux de revêtement, les vernis, les plastiques, le papier laminé, les cosmétiques (y compris les dentifrices et les crèmes solaires), les médicaments et les jouets ( 23 ).
27. L’autorité compétente française a principalement basé sa proposition de classification sur quatre études par inhalation. Deux de ces études montraient le développement de tumeurs à la suite de l’exposition au dioxyde de titane, à savoir l’étude Lee e.a. (1985) (ci‑après l’« étude Lee ») et l’étude Heinrich e.a. (1995) (ci-après l’« étude Heinrich »), tandis que les deux autres ne laissaient paraître aucun développement de tumeur [l’étude Muhle (1989) et l’étude Thyssen (1978)] ( 24 ).
28. À l’issue des consultations, l’ECHA a transmis le dossier au CER. Le 14 septembre 2017, ce dernier a adopté un avis unanime de classification du dioxyde de titane en tant que substance cancérogène de catégorie 2 par inhalation (ci-après l’« avis du CER ») ( 25 ).
29. La conclusion à laquelle le CER est parvenu se fonde sur une approche de la force probante des données. Elle repose sur deux constatations différentes.
30. D’une part, le CER a constaté qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments probants basés sur des études sur l’homme ou sur l’animal pour étayer la classification du dioxyde de titane comme substance cancérogène de catégorie 1A ou de catégorie 1B. En d’autres termes, il a considéré qu’il n’y avait pas d’éléments indiquant à suffisance que le dioxyde de titane constituait un cancérogène « avéré » ou « présumé ».
31. D’autre part, le CER a considéré qu’il existait des éléments probants suffisants pour une classification en tant que cancérogène de catégorie 2, et ce en raison, entre autres : 1) de données de toxicité, figurant dans les études Lee et Heinrich auxquelles il est fait référence au point 27 des présentes conclusions ( 26 ) ; 2) du « mode d’action » chez le rat ( 27 ) ; 3) d’études sur les « différences entre espèces » ( 28 ) ; 4) de données provenant d’études portant sur d’autres particules peu
solubles à faible degré de toxicité ( 29 ) ; 5) de la conclusion d’un groupe de travail du Centre international de recherche sur le cancer, selon laquelle il existait des « preuves suffisantes » de la cancérogénicité du dioxyde de titane chez les animaux de laboratoire ( 30 ), et 6) des données épidémiologiques pour l’homme ( 31 ).
32. Sur la base de l’avis du CER, la Commission a élaboré un projet de règlement visant la classification et l’étiquetage harmonisés, entre autres, du dioxyde de titane, qui a été soumis à consultation publique entre le 11 janvier et le 8 février 2019.
33. Le règlement délégué (UE) 2020/217 de la Commission ( 32 ) (ci‑après le « règlement contesté ») a été publié le 18 février 2020.
34. Le règlement contesté apporte au règlement no 1272/2008 les modifications nécessaires en vue d’y faire apparaître la classification du dioxyde de titane qui en découle ( 33 ). Sous le numéro index 022‑006‑00‑2 dans le tableau figurant à l’annexe VI, il instaure la classification harmonisée du dioxyde de titane « sous la forme d’une poudre contenant 1 % ou plus de particules d’un diamètre ≤ 10 μm » en tant que cancérogène de catégorie 2, avec comme code des mentions de danger l’indication « H351
(inhalation) » ( 34 ).
35. À son considérant 5, le règlement contesté expose que, « [d]ans son avis scientifique du 14 septembre 2017 relatif au dioxyde de titane, le CER a proposé de classer cette substance en tant que cancérogène de catégorie 2 par inhalation. Étant donné que la cancérogénicité du dioxyde de titane pour les poumons est associée à l’inhalation de particules de dioxyde de titane respirables, à la rétention et à la faible solubilité des particules dans les poumons, il convient de définir les particules de
dioxyde de titane respirables dans l’entrée relative à cette substance. Ce sont les particules déposées, et non les solutés de dioxyde de titane, qui sont tenues pour responsables de la toxicité observée pour les poumons et du développement de tumeurs qui s’ensuit. Afin d’éviter une classification injustifiée des formes non dangereuses de cette substance, des notes spécifiques devraient être ajoutées concernant la classification et l’étiquetage de la substance et des mélanges qui en contiennent.
En outre, de la poussière ou des gouttelettes dangereuses étant susceptibles de se former lors de l’utilisation de mélanges contenant du dioxyde de titane, il est nécessaire d’informer les utilisateurs des mesures de précaution qui doivent être prises pour réduire autant que possible le risque pour la santé humaine ».
36. Parmi les notes qui accompagnent la classification dans le règlement contesté, la note W précise ce qui suit :
« On a observé que la cancérogénicité de cette substance se manifeste lorsque de la poussière respirable est inhalée dans des quantités donnant lieu à une réduction sensible des mécanismes d’élimination des particules dans le poumon.
La présente note a pour but de décrire la toxicité particulière de la substance, et ne constitue pas un critère pour la classification en vertu du présent règlement. » ( 35 )
37. En raison des modifications apportées par le règlement contesté, et en application de l’article 4, paragraphe 10, du règlement no 1272/2008, le dioxyde de titane et les mélanges contenant cette substance « ne sont mis sur le marché que s’ils sont conformes au présent règlement ». Cela signifie que les produits contenant du dioxyde de titane doivent également se voir apposer, sur leur l’emballage, certaines phrases et étiquettes d’avertissement et être, le cas échéant, accompagnés d’une fiche de
données de sécurité ( 36 ).
38. La classification d’une substance en tant que « cancérogène » a également des effets en dehors du cadre établi par le règlement no 1272/2008.
39. Ainsi que l’exposent les parties requérantes en première instance dans l’affaire T‑279/20 et dans l’affaire T‑288/20, une telle classification entraîne, entre autres effets, une interdiction d’utiliser du dioxyde de titane dans la production de produits cosmétiques et de jouets ( 37 ), la classification de cette substance en tant que déchet dangereux et les obligations de traitement qui s’y rapportent ( 38 ) ainsi que l’exclusion éventuelle de l’utilisation de certaines étiquettes d’information
destinées aux consommateurs, telles que le label écologique de l’Union européenne ( 39 ).
40. Cependant, une classification en catégorie 2 n’implique pas nécessairement une interdiction totale de l’utilisation d’une substance. Par exemple, tant le règlement no 1223/2009 que la directive 2009/48 prévoient une procédure visant à faire déclarer sûre pour son utilisation une substance classée comme cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction conformément au règlement no 1272/2008 ( 40 ). Ces procédures ont été utilisées, respectivement, afin d’adopter un règlement permettant la
poursuite de l’utilisation du dioxyde de titane dans les produits cosmétiques ( 41 ) et afin de confirmer un risque nul ou négligeable pour les enfants, au moyen d’un rapport, de l’utilisation du dioxyde de titane dans les jouets ( 42 ). Au moment de la rédaction des présentes conclusions, une proposition de règlement sur la sécurité des jouets qui déclarerait certaines utilisations du dioxyde de titane sans danger est en cours de négociation entre les colégislateurs ( 43 ).
C. L’arrêt attaqué
41. Les 12 et 13 mai 2020, la partie CWS Powder Coatings GmbH (dans l’affaire T‑279/20), les parties Billions Europe Ltd, Cinkarna Metalurško-kemična Industrija Celje d.d., Evonik Operations GmbH, Kronos Titan GmbH, Precheza a.s., Tayca Corporation, Tronox Pigments (Holland) BV et Venator Germany GmbH (dans l’affaire T‑283/20) ainsi que les parties Brillux GmbH et Daw SE (dans l’affaire T‑288/20), lesquelles sont toutes fournisseurs ou utilisateurs en aval de dioxyde de titane sur le marché de
l’Union (ci‑après, conjointement, les « parties requérantes en première instance »), ont introduit des recours tendant à l’annulation du règlement contesté ( 44 ).
42. Le 23 novembre 2022, le Tribunal a rendu l’arrêt attaqué, lequel annule le règlement contesté pour deux motifs : d’une part, l’absence de prise en compte par le CER d’éventuelles différences de densité des particules dans l’une des études utilisées (à savoir l’étude Heinrich) pour montrer le développement de tumeurs à la suite de l’exposition au dioxyde de titane et, d’autre part, l’absence d’interprétation correcte de la notion de « propriétés intrinsèques » (ou d’« intrinsèquement capables »),
telle qu’utilisée dans le règlement no 1272/2008 pour conclure que le dioxyde de titane a une « capacité intrinsèque » de provoquer le cancer.
1. Sur le premier motif d’annulation : la densité des particules de dioxyde de titane
43. Le premier motif d’annulation concernait, en substance, la non‑prise en compte, dans l’avis du CER, d’une éventuelle différence de densité entre les particules de dioxyde de titane de taille micrométrique et celles de taille nanométrique pour le calcul de ce qui constitue l’inhalation d’une dose maximale tolérée de particules de dioxyde de titane chez le rat ( 45 ).
44. Ce point donne lieu à discussion en raison de la tentative du CER de répondre à la critique dirigée contre l’étude Lee, selon laquelle le niveau d’exposition des expériences menées dans cette étude avait manifestement dépassé la dose maximale tolérée ( 46 ).
45. Une exposition supérieure à la dose maximale tolérée d’un produit chimique est un aspect important parce qu’une telle dose peut provoquer des effets « [pouvant] conduire au développement de tumeurs comme conséquence secondaire sans rapport avec le potentiel intrinsèque de la substance elle-même à provoquer des tumeurs à des doses moins toxiques » ( 47 ). Ainsi, s’il peut être jugé qu’une étude a dépassé la dose maximale tolérée, cette étude peut ne pas être fiable pour conclure que la substance
ayant fait l’objet de l’expérimentation possède les propriétés intrinsèques d’un agent cancérogène.
46. Pour évaluer si la dose maximale tolérée avait été dépassée dans l’étude Heinrich et l’étude Lee, le CER a utilisé le calcul de surcharge proposé dans deux études Morrow (celle de 1988 et celle de 1992) (ci‑après le « calcul de surcharge de Morrow ») ( 48 ).
47. Sans avoir besoin d’examiner cette analyse en détail, il importe de préciser que, dans son avis, le CER a considéré que les doses d’exposition de l’étude Lee, et donc la surcharge pulmonaire de cette étude, étaient excessives ( 49 ).
48. Or, l’avis du CER n’a pas retenu une telle conclusion pour l’étude Heinrich.
49. Le reproche que le Tribunal formule à l’encontre du règlement contesté – et, par extension, à l’encontre de l’avis du CER –, concerne la conclusion du CER selon laquelle l’étude Heinrich était pertinente.
50. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a déterminé, premièrement, que l’étude Heinrich avait constitué l’« étude décisive » aux fins de l’avis du CER. La classification des dangers en cause a donc été « fondée » sur cette étude, « les autres études, y compris l’étude Lee, [aya]nt été prises en compte à titre uniquement complémentaire » ( 50 ).
51. Deuxièmement, le Tribunal a expliqué qu’« il est constant que les études Heinrich et Lee n’indiquaient pas la densité des particules testées » ( 51 ). Ces études indiquaient uniquement « certaines caractéristiques de ces particules, à savoir, en ce qui concerne l’étude Lee, des particules de taille micrométrique et, en ce qui concerne l’étude Heinrich, des particules de taille nanométrique et de type “P25” » ( 52 ).
52. L’arrêt attaqué a alors constaté que ces particules de type « P25 » ont tendance à s’agglomérer ( 53 ), ce qui résulterait en une densité inférieure à celle supposée par le CER : « l’agglomération crée des espaces vides qui sont moins denses que le matériau » ( 54 ).
53. Troisièmement, le Tribunal a considéré que, « en retenant une valeur de densité correspondant à la densité des particules de 4,3 g/cm3 et, donc, une densité toujours plus élevée que la densité des agglomérats de particules nanométriques de dioxyde de titane [...], le CER n’a pas pris en compte tous les éléments pertinents du cas d’espèce, à savoir les caractéristiques des particules testées dans l’étude Heinrich, notamment leur taille nanométrique et leur type “P25”, le fait que ces particules
avaient tendance à s’agglomérer ainsi que le fait que la densité des agglomérats des particules était inférieure à la densité des particules et que, par conséquent, les agglomérats de particules occupaient plus de volume dans les macrophages alvéolaires des poumons » ( 55 ).
54. En définitive, le Tribunal a conclu que, « en ne prenant pas en compte les éléments indiqués au point 100 ci-dessus [(à savoir l’agglomération des particules et la densité inférieure qui en découle)], le CER a omis de prendre en compte tous les éléments pertinents afin de calculer la surcharge pulmonaire lors de l’étude Heinrich au moyen du calcul de surcharge de Morrow et a, donc, commis une erreur manifeste d’appréciation. Cette erreur prive de toute plausibilité le résultat de l’application
dudit calcul à cette étude et, par conséquent, les conclusions du CER selon lesquelles la surcharge pulmonaire dans le cadre de ladite étude était acceptable et les résultats de ladite étude étaient suffisamment fiables, pertinents et adéquats pour l’évaluation du potentiel cancérogène du dioxyde de titane » ( 56 ).
55. L’étude Heinrich n’étant pas suffisamment fiable et acceptable, au sens du point 3.6.2.2.1 de l’annexe I du règlement no 1272/2008, pour étayer la classification et l’étiquetage contestés ( 57 ) et eu égard au caractère « décisif » de cette étude dans l’évaluation, le Tribunal a donc jugé qu’une telle erreur manifeste justifiait l’annulation du règlement contesté ( 58 ).
2. Sur le second motif d’annulation : l’interprétation de la notion de « propriétés intrinsèques » (ou d’« intrinsèquement capables »)
56. Le second motif d’annulation résultait du fait que le CER avait considéré que le dioxyde de titane était « intrinsèquement capable de provoquer le cancer » et qu’il devait dès lors être classifié comme cancérogène.
57. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré cette conclusion comme étant entachée d’une erreur manifeste étant donné qu’elle reposait sur une interprétation erronée de la notion de « propriétés intrinsèques » (ou d’« intrinsèquement capables »), telle qu’elle apparaît au point 3.6.2.2.1 de l’annexe I du règlement no 1272/2008 ( 59 ).
58. À cet égard, le Tribunal a estimé que la notion de « propriétés intrinsèques », qui n’a pas été définie dans le règlement no 1272/2008, « doit être interprétée dans son sens littéral, comme désignant les “propriétés d’une substance, qui lui appartiennent en propre” » ( 60 ).
59. Cette interprétation serait conforme aux objectifs et à l’objet du règlement no 1272/2008, aux critères de classification du système général harmonisé de classification et d’étiquetage des produits chimiques (ci-après le « SGH ») et au fait que la classification et l’étiquetage harmonisés visent l’évaluation du danger, et non celle du risque ( 61 ).
60. Dans le cadre de cette définition, le Tribunal a alors considéré que le mode d’action de la cancérogénicité décrite dans l’avis du CER ne relevait pas d’une capacité intrinsèque des particules de dioxyde de titane à provoquer le cancer ( 62 ).
61. À ce propos, il a rappelé que l’avis du CER avait indiqué que « les responsables de la toxicité observée ne sont pas les propriétés des particules de dioxyde de titane en elles-mêmes, mais le dépôt et la rétention de ces particules dans les macrophages alvéolaires des poumons dans des quantités suffisantes pour donner lieu à une surcharge pulmonaire qui entraîne la réduction sensible des mécanismes d’élimination des particules dans le poumon » ( 63 ).
62. Or, il a exposé que l’accumulation de particules dans le poumon dans des quantités suffisantes pour provoquer une réduction sensible des mécanismes d’élimination des particules « ne saurait être considérée comme relevant des propriétés intrinsèques des particules en cause » ( 64 ).
63. Au contraire, ce mode d’action doit être considéré comme un « danger qui ne relève pas du critère de classification pour le danger de la cancérogénicité, visé au point 3.6.2.2.1 de l’annexe I du règlement no 1272/2008, selon lequel la substance doit être intrinsèquement capable de provoquer le cancer » ( 65 ).
64. À l’appui de cette interprétation, le Tribunal a invoqué, d’une part, la note W, qui, selon lui, décrit un danger qui ne relève pas de la notion d’« intrinsèquement capable » de provoquer le cancer ( 66 ) et, d’autre part, le fait que, dans son avis, le CER lui-même a jugé que le mode d’action de la cancérogénicité chez le rat ne pouvait pas être considéré comme une « “toxicité intrinsèque” au sens classique » ( 67 ).
D. La procédure devant la Cour
65. Par leurs pourvois déposés, respectivement, les 8 et 14 février 2023, le gouvernement français et la Commission ont demandé à ce qu’il plaise à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, de rejeter les questions pertinentes qui y sont soulevées, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il examine les moyens sur lesquels il ne s’est pas encore prononcé et de réserver les dépens.
66. Cette position est soutenue par l’ECHA ainsi que les gouvernements néerlandais et suédois.
67. Une audience s’est tenue le 7 novembre 2024, au cours de laquelle le gouvernement français, la Commission, les parties requérantes en première instance dans les affaires T‑279/20 et T‑288/20, les parties requérantes en première instance dans l’affaire T‑283/20 et le Conseil européen de l’industrie chimique (Cefic) ont présenté des observations orales.
III. Analyse
68. Les présentes conclusions s’articulent comme suit. J’examinerai tout d’abord les deux moyens principaux du pourvoi, selon lesquels le Tribunal a outrepassé ses compétences en matière de contrôle juridictionnel (section A) et a interprété de manière erronée la notion de « propriétés intrinsèques » (ou d’« intrinsèquement capables ») (section B), et je proposerai à la Cour d’accueillir ces deux moyens. Ensuite, je me pencherai sur les moyens afférents à la dénaturation des éléments probants
(section C) et au défaut de motivation (section D). Dans ma conclusion, je proposerai à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il se prononce sur les autres moyens (partie IV).
A. Le Tribunal a outrepassé ses compétences en matière de contrôle juridictionnel
69. Par le deuxième moyen de leur pourvoi respectif, le gouvernement français et la Commission soutiennent que, dans le cadre du premier motif qu’il a retenu pour annuler le règlement contesté et qui est exposé aux points 43 à 55 des présentes conclusions, le Tribunal a outrepassé les limites du contrôle juridictionnel admissible.
70. En substance, ces parties font valoir que le Tribunal est allé au‑delà d’une appréciation de l’erreur manifeste et a substitué sa propre appréciation à celle du CER lorsqu’il a reproché à ce dernier d’avoir choisi, aux fins du calcul de surcharge de Morrow, une valeur de densité inférieure à celle que le Tribunal a jugée appropriée.
71. Je partage l’avis du gouvernement français et de la Commission sur ce point.
72. Dans deux groupes d’arrêts, la Cour a développé une approche selon laquelle son contrôle juridictionnel se limite à vérifier si l’administration a commis une erreur « manifeste ». L’un de ces deux groupes concerne les cas dans lesquels le législateur de l’Union a laissé à la Commission le pouvoir discrétionnaire de décider, entre différentes options réglementaires possibles, laquelle choisir ( 68 ). En ce sens, un pouvoir discrétionnaire signifie un pouvoir de faire des choix politiques ( 69 ).
Ce pouvoir n’est jamais illimité ; il s’inscrit dans le cadre des principes constitutionnels, celui des droits fondamentaux ainsi que, s’il s’agit d’un pouvoir réglementaire discrétionnaire en matière administrative, celui de la législation applicable. Il appartient aux juridictions de l’Union de vérifier si les règles et principes qui encadrent ce pouvoir discrétionnaire ont été respectés.
73. L’autre groupe d’arrêts, auxquels il est aussi souvent fait référence en tant que cas impliquant un pouvoir discrétionnaire, se rapporte aux situations dans lesquelles la décision de l’administration est basée sur des appréciations scientifiques économiques ou techniques complexes ( 70 ). Je préfère me référer à de tels cas comme étant ceux qui ont trait à l’appréciation de faits complexes, plutôt que comme des cas impliquant un pouvoir discrétionnaire ( 71 ). Une situation comportant
l’appréciation de faits complexes n’implique certes pas de faire des choix politiques, mais, dans certaines situations, le cadre réglementaire au regard duquel cette appréciation est effectuée confère à l’administration le pouvoir discrétionnaire de choisir comment réagir par rapport aux faits établis.
74. La présente affaire relève de ce second groupe d’arrêts.
75. En l’espèce, la classification d’un produit au titre du règlement no 1272/2008 concerne l’identification et la communication du danger potentiel qu’une substance peut présenter pour la santé humaine. Une classification du danger ne constitue que la première partie d’un processus décisionnel fondé sur une évaluation des risques ( 72 ).
76. Toutefois, une évaluation des dangers est un exercice différent de celui d’une évaluation des risques, qui lui succède, et de celui de l’adoption d’une décision fondée sur cette évaluation des risques. La classification du danger dépend de l’appréciation scientifique des effets potentiels de la substance examinée. Toutefois, la question de savoir s’il est nécessaire de prendre certaines mesures en raison de l’existence d’un danger et celle de savoir dans quelles situations de telles mesures
devraient être prises constituent une décision politique fondée sur l’évaluation des risques et sa mise en balance avec les autres intérêts qui sont en jeu ( 73 ).
77. Dans le règlement no 1272/2008, le législateur de l’Union a déjà prévu les conséquences attachées à l’identification par la Commission d’un danger. Ainsi, il a décidé que, lorsqu’un danger est décelé, il faut en informer le public en rendant cette information disponible dans l’annexe pertinente de ce règlement et il faut que la substance dangereuse concernée soit étiquetée et emballée de manière appropriée.
78. De ce fait, selon moi, dans l’adoption d’une décision sur la classification harmonisée d’une substance comme étant nocive pour la santé humaine, la Commission jouit de fort peu de pouvoir discrétionnaire politique ( 74 ). Dans un cas comme celui de la présente affaire, elle est dans l’obligation – sans avoir de choix à cet égard – de procéder à la classification d’une substance soit en tant que cancérogène de la catégorie 1A ou de la catégorie 1B lorsque les preuves scientifiques que cette
substance provoque le cancer sont concluantes chez l’homme ou chez l’animal ( 75 ), soit en tant que cancérogène de la catégorie 2 lorsqu’il n’existe que des études limitées et non concluantes, mais que celles-ci n’en indiquent pas moins une cancérogénicité potentielle ( 76 ). Inversement, lorsqu’aucune étude scientifique n’aboutit à une conclusion quant à la cancérogénicité d’une substance, la Commission ne peut pas, en principe, classifier cette substance en tant que cancérogène.
79. La classification du dioxyde de titane en tant que cancérogène de catégorie 2 à laquelle la Commission a procédé a été contestée par les parties requérantes en première instance au motif que l’étude Heinrich ne constituait pas une preuve fiable de la cancérogénicité de cette substance. Le règlement no 1272/2008 prescrit, en effet, que les preuves scientifiques sur lesquelles la Commission peut se fonder doivent provenir d’études « fiables » ( 77 ).
80. Cette évaluation de la fiabilité constitue une question d’appréciation scientifique dont les conséquences pour la présente affaire sont néanmoins importantes dès lors que, comme je l’ai expliqué, si l’étude Heinrich ne peut pas être considérée comme étant fiable et qu’il n’existe aucune autre étude fiable sur laquelle elle fonde sa décision, la Commission ne peut pas, en principe, classifier le dioxyde de titane en tant que cancérogène.
81. En l’espèce, telle que la Commission l’a avalisée, l’appréciation de la fiabilité de l’étude Heinrich par le CER pourrait avoir donc des répercussions significatives pour les droits et intérêts des parties requérantes en première instance, qui sont des fabricants ou des utilisateurs en aval de dioxyde de titane. Pour cette raison, il est nécessaire de permettre un contrôle juridictionnel de la décision de la Commission.
82. Toutefois, la question demeure de savoir ce que le juge de l’Union peut précisément contrôler.
83. Une situation d’incertitude scientifique implique que les résultats d’une étude peuvent être interprétés de différentes façons. En cela, cette situation s’apparente à celle de l’insécurité juridique qui existe lorsqu’une même règle peut être comprise de différentes manières.
84. Dans les cas d’insécurité juridique, les traités confèrent à la Cour le rôle d’interprète ultime. En d’autres termes, il lui appartient de choisir l’interprétation « correcte ». Dans le cas d’une incertitude scientifique pertinente pour l’identification et la classification des substances dangereuses, le règlement no 1272/2008 confère le rôle d’interprète ultime à la Commission, qui, à son tour, statue sur la base d’une évaluation effectuée par le CER. En d’autres termes, la Commission choisit
l’interprétation « correcte » des données scientifiques.
85. Le Tribunal ne saurait dès lors substituer son appréciation scientifique à celle de la Commission ( 78 ). Il empiéterait, ce faisant, sur les compétences de l’administration.
86. La raison pour laquelle les juridictions de l’Union ne se sont pas vu conférer, par le législateur (ou les traités), le pouvoir de constituer l’interprète ultime dans le cadre d’une insécurité scientifique est certainement due au fait qu’elles ne disposent pas de l’expertise nécessaire pour comprendre les interprétations divergentes possibles de résultats scientifiques et pour opérer un choix à cet égard. Le juge de l’Union n’est pas une femme ou un homme de science et il ne saurait le devenir (
79 ).
87. Que peuvent alors examiner les juridictions de l’Union afin de déterminer si la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation ?
88. La jurisprudence que cite le Tribunal dans l’arrêt attaqué se conforme aux exigences en matière de contrôle procédural ( 80 ). Ces exigences sont souvent énoncées de la manière suivante : « lorsqu’une partie invoque une erreur manifeste d’appréciation qui aurait été commise par l’institution compétente, le juge de l’Union européenne doit contrôler si cette institution a examiné, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce sur lesquels cette appréciation est fondée » (
81 ). Cette vérification est comprise comme étant un contrôle de l’obligation de diligence, laquelle est inhérente au principe du droit à une bonne administration ( 82 ).
89. En vue d’être en mesure d’effectuer un tel contrôle, les juridictions de l’Union pourraient avoir à se plonger profondément dans le monde de la science. Elles auraient à le faire, d’une part, pour comprendre pleinement les arguments opposés des parties et, d’autre part, pour être à même de déterminer quels sont les faits scientifiques pertinents, ce qui, à son tour, constitue une condition préalable afin de vérifier si la Commission a pris « tous les faits pertinents » en considération. Il n’en
reste pas moins qu’apprendre et comprendre une partie de la science qui est pertinente pour le cas de figure concerné ne transforment pas le juge de l’Union en expert scientifique. En effet, les juridictions de l’Union ne peuvent pas substituer leur propre compréhension à celle de la Commission, peu importe la part de science à la base d’une décision particulière qu’elles ont assimilée dans le cours de la procédure juridictionnelle. Cette démarcation est juridiquement importante, car elle
préserve l’équilibre institutionnel tel qu’il est envisagé par les traités.
90. En exerçant, dans le cadre du pourvoi, son rôle de vérification du point de savoir si le Tribunal s’est effectivement limité à un contrôle procédural, la Cour ne saurait se borner à vérifier si, en paroles, le Tribunal a affirmé avoir exercé un tel contrôle procédural ; elle doit, plus exactement, évaluer ce qu’il a décidé sur le fond ( 83 ).
91. En d’autres termes, la Cour doit vérifier si le Tribunal a annulé une décision parce qu’il a conclu que la Commission n’a pas tenu compte des faits pertinents ou parce qu’il a considéré que l’interprétation de ces faits par la Commission était erronée.
92. Dans la présente affaire, les deux possibilités sur lesquelles la Cour est appelée à se prononcer sont les suivantes. Soit le Tribunal a annulé le règlement contesté parce que la Commission n’a pas tenu compte du phénomène d’agglomération des nanoparticules de dioxyde de titane lorsqu’elle a déterminé la valeur de densité appropriée pour le calcul de surcharge de Morrow. Dans cette hypothèse, le Tribunal n’a pas commis d’erreur d’appréciation de la décision de la Commission. Soit le Tribunal a
annulé le règlement contesté parce que, bien que la Commission ait pris en considération toutes les données scientifiques pertinentes, cette institution est parvenue à une conclusion erronée.
93. Ainsi que le gouvernement français l’a exposé, pour rester dans le cadre du contrôle procédural, le Tribunal aurait dû se borner à vérifier si, d’une part, le CER avait connaissance de la possibilité d’une agglomération des nanoparticules de dioxyde de titane et si, d’autre part, en toute objectivité, ce comité avait examiné les éléments nécessaires pour déterminer ce qu’il considérait comme étant la densité pertinente des particules de dioxyde de titane dans ces conditions particulières. Dès
lors que ces éléments sont établis sur la base du dossier dont il dispose, le Tribunal ne saurait annuler la décision de la Commission au motif qu’elle aurait commis une erreur manifeste. Même s’il devait ne pas être d’accord avec la conclusion scientifique de la Commission, le Tribunal doit néanmoins s’incliner devant cette conclusion.
94. Comme le Tribunal le confirme lui-même dans l’arrêt attaqué, l’avis du CER a pris en considération le phénomène d’agglomération et son influence éventuelle sur la valeur de densité à utiliser dans le calcul de surcharge de Morrow. Malgré cette évaluation, le CER est toutefois parvenu à la conclusion qu’il serait approprié d’utiliser la valeur standard de densité ( 84 ).
95. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a pas partagé cette conclusion. Il a expliqué que prendre en considération la valeur standard de densité des particules de dioxyde de titane aux fins du calcul de surcharge de Morrow constituait une erreur ; dans les circonstances de l’espèce, une valeur de densité inférieure aurait dû être utilisée.
96. Ce faisant, le Tribunal a mis en cause la manière dont la Commission a interprété les faits pertinents, il a refusé de s’en remettre à cette interprétation et il a substitué sa propre appréciation à celle de la Commission.
97. Partant, en allant au-delà de la simple vérification que l’administration était consciente de tous les aspects que les connaissances scientifiques actuelles lui imposaient de prendre en considération et qu’elle les avait effectivement évalués, le Tribunal a outrepassé les limites de son pouvoir de contrôle juridictionnel.
98. Il s’ensuit que le Tribunal a annulé la décision de la Commission non pas parce que cette institution n’avait pas tenu compte de tous les éléments (scientifiques) pertinents, mais parce qu’il n’était pas d’accord avec la manière dont l’administration a apprécié ces éléments.
99. À mon sens, une annulation du règlement contesté serait encore possible si l’option choisie par la Commission devait être scientifiquement impossible. Toutefois, devant deux interprétations différentes de données scientifiques mais qui auraient été l’une comme l’autre possibles, le Tribunal n’avait pas à opérer de choix et devait, au contraire, s’incliner devant celui opéré par la Commission.
100. Cela étant précisé, je suis sensible à l’argument, soulevé par les parties requérantes en première instance lors de l’audience, selon lequel, dans son avis, le CER n’explique pas clairement pourquoi il a opté pour la valeur standard de densité des particules, alors qu’il connaissait le phénomène de l’agglomération. En réponse à cet argument, la Commission et l’ECHA ont expliqué que la question du choix de la valeur standard de densité n’avait été évoquée que postérieurement à la phase de
finalisation de l’avis du CER, raison pour laquelle elle n’y figurait pas. À mon avis, si la densité standard des particules de dioxyde de titane constitue un critère que le CER aurait dû apprécier d’office, eu égard au niveau actuel des connaissances scientifiques, ce comité aurait dû expliquer les raisons qui sous-tendaient son choix de la valeur appropriée de la densité dans son rapport. Cependant, une explication insuffisante dans un rapport ne constitue pas, en soi, une raison pour
conclure que le CER n’a pas pris en considération tous les éléments pertinents ; une explication insuffisante touche à la motivation qui sous-tend l’avis du CER et, par extension, à celle du règlement contesté.
101. Pour les raisons qui précèdent, je propose à la Cour d’accueillir le deuxième moyen des pourvois respectifs du gouvernement français et de la Commission.
B. Le Tribunal a interprété et appliqué de manière erronée la notion de « propriétés intrinsèques » (ou d’« intrinsèquement capables »)
102. Par le quatrième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑71/23 P et par le troisième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑82/23 P, le gouvernement français et la Commission font valoir, chacun en ce qui les concerne, que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a considéré que la Commission avait appliqué à tort la notion d’« intrinsèquement capables ». Ces parties soutiennent, en substance, que, en raison de sa mauvaise interprétation de la notion d’« intrinsèquement capables » au sens du
point 3.6.2.2.1 de l’annexe I du règlement no 1272/2008, le Tribunal a mal appliqué cette notion lorsqu’il a conclu que la Commission avait commis une erreur manifeste en décidant de classifier le dioxyde de titane en tant que cancérogène de catégorie 2.
103. L’interprétation des notions du droit de l’Union relève de la compétence des juridictions de l’Union ( 85 ).
104. Dans cet exercice, à la différence de ce qui vaut pour l’interprétation de la science, la Cour n’est pas limitée par le principe d’équilibre interinstitutionnel, qui circonscrit ses compétences par rapport à celles de l’administration de l’Union.
105. Bien au contraire, le droit – en l’espèce le règlement no 1272/2008 – impose des contraintes à l’administration. Ainsi, le principe constitutionnel d’équilibre institutionnel, qui impose de respecter l’appréciation, faite par l’administration, d’éléments économiques, scientifiques et techniques complexes, est celui-là même qui exige que le juge de l’Union soit libre d’exercer son plein contrôle sur l’interprétation du droit opérée par l’administration ( 86 ).
106. Par conséquent, il relevait de la compétence du Tribunal d’interpréter la notion d’« intrinsèquement capables ».
107. En l’espèce, l’argument qui est soulevé dans le cadre du pourvoi est que le Tribunal a commis, à cet égard, une erreur d’interprétation. Je suis du même avis.
108. Le point 3.6.2.2.1 de l’annexe I du règlement no 1272/2008 prévoit que « [l]a classification d’un cancérogène [...] vise les substances intrinsèquement capables de provoquer le cancer ».
109. La notion de « propriétés intrinsèques » (ou d’« intrinsèquement capables ») apparaît également dans plusieurs autres dispositions du règlement no 1272/2008 : au considérant 27 de ce règlement ( 87 ) ainsi qu’aux points 3.4.2.2.2.2 ( 88 ), 4.1.1.1 et 4.1.2.4 ( 89 ) de l’annexe I dudit règlement. Or, le règlement no 1272/2008 ne définit pas cette notion, et aucune des dispositions dans lesquelles elle figure ne l’explicite davantage. Ainsi, le seul libellé de cette notion ne suffit pas pour
permettre d’en comprendre le sens visé.
110. Dans ces conditions, au-delà des termes, il y a lieu d’examiner également le contexte dans lequel la notion de « propriétés intrinsèques » ou d’« intrinsèquement capables » apparaît ainsi que l’objet de l’acte dont elle fait partie ( 90 ).
111. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que la notion de « propriétés intrinsèques » ou d’« intrinsèquement capables » devait être interprétée dans son sens littéral, qui, selon lui, désigne les « propriétés d’une substance, qui lui appartiennent en propre » ( 91 ).
112. Outre le fait que le Tribunal n’explique pas en quoi une telle définition représente le sens littéral de l’expression concernée, cette proposition suscite des problèmes supplémentaires ( 92 ).
113. D’une part, comme le déclare la Commission, une définition de ce genre est une définition circulaire, autrement dit une tautologie. En quelque sorte, elle en vient presque à dire que, par « propriété intrinsèque », on entend une propriété intrinsèque.
114. D’autre part, ainsi que le gouvernement français l’explique également, une telle définition apporte peu d’éclaircissements : on peut aisément convenir que l’expression « propriété intrinsèque » vise les « propriétés d’une substance, qui lui appartiennent en propre ». Toutefois, la définition du Tribunal ne permet pas, en soi, de comprendre pourquoi il a estimé que l’étude Heinrich ne saurait être considérée comme étant fiable pour établir la capacité intrinsèque du dioxyde de titane de
provoquer le cancer.
115. D’ailleurs, l’erreur commise par le Tribunal dans l’interprétation de la notion de « propriétés intrinsèques » ou d’« intrinsèquement capables » ne découle pas nécessairement du libellé qu’il a utilisé pour la définir, à savoir les « propriétés d’une substance, qui lui appartiennent en propre ». Plus précisément, l’erreur qu’il a commise se manifeste dans la manière dont il a appliqué cette interprétation.
116. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal exclut la possibilité que la cancérogénicité découlant de l’inhalation du dioxyde de titane sous forme de poudre puisse être liée à ses propriétés intrinsèques. Il aboutit à cette conclusion en expliquant, d’une part, que cette cancérogénicité n’apparaît que si une certaine quantité de cette substance est inhalée et, d’autre part, que ladite cancérogénicité ne résulte que d’une inflammation pulmonaire due à l’accumulation de particules de dioxyde de titane dans
les poumons. Dans la conception du Tribunal, il s’agit là de propriétés qui sont extrinsèques à la substance elle-même ( 93 ).
117. Cette conception de la notion de « propriétés intrinsèques » me paraît trop étroite. Même si le Tribunal a expliqué que son interprétation était conforme aux objectifs et à l’objet du règlement no 1272/2008 ainsi qu’aux critères du SGH ( 94 ), je suis encline à admettre les arguments en sens contraire des parties requérantes au pourvoi.
118. En effet, à mes yeux, eu égard au contexte et à l’objet du règlement no 1272/2008, la notion de « propriétés intrinsèques » doit être interprétée de manière large. Dans les développements qui suivent, je présenterai des arguments à l’appui de ce point de vue, en examinant tout d’abord l’objet ainsi que l’économie de ce règlement et en m’attachant ensuite à son contexte externe.
L’objet du règlement no 1272/2008
119. Pour commencer, je rappelle que le règlement no 1272/2008 a pour objet d’« assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement » ( 95 ). Ce but doit être atteint en « harmonisant les critères de classification des substances et des mélanges », en identifiant les substances et mélanges dangereux sur la base de ces critères ainsi qu’en informant le public à leur sujet au moyen d’une liste de ces substances et mélanges qui sont considérés comme étant dangereux ( 96 ).
Le processus d’identification des substances intrinsèquement capables de provoquer le cancer et de l’établissement de la liste qui en est dressée permet donc d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine.
120. Le règlement no 1272/2008 vise à identifier et à classifier chaque substance ou mélange chimique dont la dangerosité pour la santé humaine est avérée, présumée ou suspectée. Les substances et mélanges auxquels il ne s’applique pas, par exemple les substances et mélanges radioactifs, ont été explicitement exclus de son champ d’application ( 97 ).
121. Il semble donc clair que, sauf autre indication, la notion de « propriétés intrinsèques » doit couvrir également les dangers découlant d’une forme spécifique, d’un état physique spécifique, d’une caractéristique ou utilisation spécifiques d’une substance et ne peut pas être limitée à la seule composition chimique de cette substance.
122. À cet égard, le fait qu’il soit prouvé que, dans seulement certaines circonstances et en fonction de seulement une certaine quantité, une substance est susceptible de provoquer le cancer ne signifie pas que cette substance n’a pas la « propriété intrinsèque » d’être cancérogène ou n’est pas « intrinsèquement capable » de l’être ( 98 ). Si la nocivité découlant de la seule inhalation d’une certaine quantité d’une substance devait ne pas être identifiée et mentionnée dans la liste, le but
d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine serait compromis.
123. De même, ne pas inscrire une substance comme étant cancérogène parce que l’étude scientifique ayant démontré ses effets nocifs pourrait être comprise en ce sens que ces effets seraient dus à une inflammation résultant de l’accumulation des particules de cette substance dans les poumons, et non à une inflammation résultant de l’influence directe de ladite substance sur les cellules du poumon, serait contraire au but d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine ( 99 ).
124. Comme l’a expliqué l’ECHA à l’audience, lorsqu’un effet nocif est observé dans le cadre d’une étude expérimentale menée sur une substance spécifique, cette circonstance suffit à elle seule pour établir un lien entre cette substance et la conséquence et, donc, sous réserve de l’approche de la force probante des données, peut conduire à la conclusion que ladite substance spécifique présente un danger potentiel.
125. Dès lors, le fait de limiter la notion de « propriétés intrinsèques » à la seule composition chimique d’une substance – à l’exclusion de ses autres caractéristiques, telles que, par exemple, sa faible solubilité – ou d’exiger que cette substance « en tant que telle », sous toutes ses formes et quel que soit le type d’interaction avec le corps humain, ait la capacité de provoquer le cancer exclurait du champ d’application du cadre établi par le règlement no 1272/2008 plusieurs marqueurs
importants de dangers potentiels de ladite substance, ce qui serait, à nouveau, contraire au but d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine que ce règlement poursuit.
L’économie du règlement no 1272/2008
126. La cohérence interne du règlement no 1272/2008 dans son ensemble vient à l’appui d’arguments supplémentaires en faveur d’une interprétation large de la notion de « propriété intrinsèque » (ou d’« intrinsèquement capables »).
127. Ainsi, comme le soulignent à juste titre le gouvernement suédois et la Commission, en définissant les propriétés dangereuses d’une substance, telles que sa cancérogénicité, les dispositions de l’article 5, paragraphe 1, de l’article 6, paragraphe 1, de l’article 8, paragraphe 6, et de l’article 9, paragraphe 5, du règlement no 1272/2008, qui font partie du titre II (« Classification des dangers ») ainsi que du système d’autoclassification établi par ce règlement, se réfèrent toutes aux
« formes » ou aux « états physiques » d’une substance. Contrairement à la position du Tribunal dans l’arrêt attaqué ( 100 ), ces règles s’appliquent, mutatis mutandis, lorsque la Commission adopte une classification harmonisée pour une substance conformément au titre V dudit règlement ( 101 ).
128. De même, le règlement no 1272/2008 établit une distinction entre différentes classes de dangers par voie d’exposition. À titre d’exemple, tel est le cas de la classe de danger « toxicité aiguë » au point 3.1 de l’annexe I de ce règlement, laquelle se subdivise en « toxicité aiguë par voie orale », en « toxicité aiguë par voie cutanée » et en « toxicité aiguë par inhalation » (voir point 3.1.1.2 de cette annexe). À son tour, la « toxicité par inhalation » est subdivisée, en vertu du
point 3.1.2.1 de ladite annexe, selon qu’il s’agit de gaz, de vapeurs ou de poussières et brouillards, permettant ainsi une différentiation claire en fonction de l’état physique d’une substance.
129. Enfin, une interprétation large de la notion de « propriété intrinsèque » (ou d’« intrinsèquement capables ») se voit confirmer par le libellé du règlement no 1272/2008 dans la partie consacrée aux dangers pour l’environnement. Ainsi, le point 4.1.2.4 de l’annexe I de ce règlement mentionne l’« absence de dégradabilité rapide et/ou le potentiel de concentration dans les organismes vivants, combiné[s] à la toxicité aiguë » comme étant des propriétés intrinsèques pertinentes pour la
classification en tant que dangers pour l’environnement ( 102 ).
130. Partant, la seule interprétation de la notion de « propriété intrinsèque » (ou d’être « intrinsèquement capables ») qui correspond à l’économie du règlement no 1272/2008 est celle qui ne se borne pas à la seule composition chimique de la substance.
Le contexte externe du règlement no 1272/2008
131. Une appréciation de l’utilisation de la notion de « propriété intrinsèque » (ou d’« intrinsèquement capables ») dans le SGH donne lieu également à la conclusion que cette notion doit être interprétée de manière large.
132. À cet égard, j’observe que le règlement no 1272/2008 vise à maintenir une cohérence entre les notions qui sont utilisées, au niveau des Nations unies, dans le SGH et celles qui sont utilisées, au niveau de l’Union, dans le règlement no 1272/2008 ( 103 ).
133. Lorsqu’elle apparaît dans le SGH, la notion de « propriétés intrinsèques » (ou d’« intrinsèquement capables ») n’est pas présentée restrictivement : le SGH s’y réfère en tant que « capacité » d’une substance « d’interférer avec un processus biologique normal » ( 104 ).
134. Par conséquent, l’interprétation restrictive du Tribunal ne conformerait pas le règlement no 1272/2008 au SGH et elle établirait – à l’encontre de l’objectif même que le législateur de l’Union a fixé dans ce règlement – un sens spécifique, propre à l’Union, de cette notion.
135. Enfin, l’interprétation large proposée plus haut concorde également avec le règlement REACH ( 105 ).
136. À cet égard, j’observe que le considérant 12 du règlement no 1272/2008 déclare spécifiquement qu’il convient que la terminologie et les définitions utilisées dans ce règlement correspondent à celles du règlement REACH.
137. Le règlement REACH, qui impose l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances, peut définir une « substance » au regard de sa composition chimique ( 106 ), mais il établit également les caractéristiques spécifiques requises pour l’identification de la substance concernée. Ces caractéristiques comprennent la dimension des particules, leur forme et autres caractéristiques morphologiques ( 107 ).
138. Il s’ensuit que, pour des raisons tenant à la cohérence externe avec le contexte dans lequel le règlement no 1272/2008 s’inscrit, la notion de « propriété intrinsèque » (ou d’« intrinsèquement capables ») ne saurait être limitée à la seule composition chimique de la substance.
Conclusion intermédiaire
139. Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, c’est à tort que le Tribunal a retenu une interprétation restrictive de la notion de « propriété intrinsèque » (ou d’« intrinsèquement capables »).
140. Contrairement à ce que le Tribunal a conclu, aux fins de la classification des dangers du dioxyde de titane, il est dénué de pertinence que l’avis du CER n’ait pas constaté une toxicité fondée sur les propriétés de cette substance « qui lui appartiennent en propre » ( 108 ).
141. Comme je l’ai expliqué, ce qui importe est que, sur la base de la forme, de la dimension et de la faible solubilité du dioxyde de titane, l’avis du CER ait conclu – et la Commission ait admis – que, en cas d’inhalation dans certaines quantités, des effets toxicologiques peuvent se manifester dans le poumon, conduisant ainsi au développement de tumeurs.
142. Étant donné que, tels qu’interprétés correctement, ces éléments relèvent de la notion d’une « substance intrinsèquement capable de provoquer le cancer », entendue au sens large, la Commission n’a commis aucune erreur manifeste en suivant l’avis du CER lorsqu’elle a adopté le règlement contesté.
143. Les arrêts rendus par la Cour dans les affaires Nickel Institute et Etimine ne permettent pas de tirer une conclusion différente. Pour ce qui est de l’arrêt Nickel Institute, le Tribunal en tire des conclusions sans tenir compte du contexte dans lequel s’inscrivait l’affirmation concernée ( 109 ). Or, comme l’observe le gouvernement français, dans cet arrêt, la Cour n’a pas déclaré qu’une évaluation des dangers liés aux propriétés intrinsèques d’une substance doit obligatoirement être
indépendante des niveaux d’exposition à la substance ou de son mode d’action. Plus exactement, la Cour a jugé que l’évaluation des dangers d’une substance « peut être réalisée de manière valable indépendamment du lieu d’utilisation de la substance » ( 110 ), même si l’évaluation sous-jacente est menée uniquement dans des conditions de laboratoire.
144. De même, dans l’arrêt Etimine, lequel a été examiné lors de l’audience, la Cour n’avait pas exclu que, aux fins de l’évaluation des dangers, les propriétés intrinsèques d’une substance puissent être établies au moyen d’études fondées sur son administration par voie orale à des animaux ( 111 ), même s’il a été affirmé que, dans des conditions normales, l’exposition à cette substance se produirait par inhalation ou par pénétration cutanée ( 112 ).
145. Enfin, ma proposition de conclusion n’est pas affectée par l’avis du CER, selon lequel le dioxyde de titane ne présente pas la propriété intrinsèque de provoquer le cancer au « sens classique » du terme. Mis à part le fait que l’on ne voit pas clairement ce que le CER entend exactement par une toxicité intrinsèque en ce sens, ce comité n’en a pas moins conclu que l’étude Heinrich démontrait une capacité intrinsèque du dioxyde de titane à provoquer le cancer.
146. En conclusion, je propose que la Cour accueille également le quatrième moyen du pourvoi du gouvernement français dans l’affaire C‑71/23 P ainsi que le troisième moyen du pourvoi de la Commission dans l’affaire C‑82/23 P, et qu’elle rejette cette partie du recours en première instance.
C. Le Tribunal n’a pas dénaturé les éléments de preuve qui lui ont été soumis, mais il a méconnu les principes énoncés dans le règlement no 1272/2008
147. La première branche du premier moyen soulevé par le gouvernement français dans l’affaire C‑71/23 P et le premier moyen soulevé par la Commission dans l’affaire C‑82/23 P font valoir que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve. Premièrement, le gouvernement français et la Commission soutiennent tous deux que, en considérant que l’étude Heinrich était « déterminante » pour la proposition du CER de classifier le dioxyde de titane en tant que cancérogène, le Tribunal a dénaturé les éléments
de preuve dont il disposait ( 113 ). Deuxièmement, la Commission ajoute que le Tribunal a également dénaturé ces éléments de preuve lorsqu’il a conclu que le calcul de surcharge de Morrow n’était pas « décisif » pour étayer l’évaluation du CER du niveau de surcharge pulmonaire ( 114 ). La seconde branche du premier moyen soulevé par le gouvernement français dans l’affaire C‑71/23 P fait valoir que, en attribuant un caractère « décisif » à l’étude Heinrich, le Tribunal a également méconnu les
principes établis dans le règlement no 1272/2008 concernant la classification de substances en tant que substances cancérogènes.
148. Je peux m’en tenir à un bref examen de ces arguments.
149. Premièrement, lorsqu’une dénaturation des éléments de preuve est invoquée, il ne suffit pas de démontrer qu’un document pourrait faire l’objet d’une interprétation différente de celle retenue par le Tribunal ( 115 ).
150. Ce qu’il y a lieu d’établir est que le Tribunal a manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable de ce document, notamment en faisant une lecture de celui-ci qui est contraire à son libellé ( 116 ).
151. Je ne suis pas convaincue qu’il en soit ainsi dans l’arrêt attaqué.
152. Comme le reflètent les arguments respectifs avancés par le gouvernement français et la Commission, ce que ces parties critiquent est que la lecture faite par le Tribunal de l’avis du CER accorde à l’étude Heinrich et au calcul de surcharge de Morrow une importance supérieure à celle que leur a donnée, selon elles, cet avis.
153. Quoi qu’il en soit, le gouvernement français et la Commission ne démontrent pas que, dans sa lecture de l’avis du CER, le Tribunal a outrepassé les limites de ce qui est raisonnable.
154. Effectivement, dans cet avis, le CER écarte lui-même la possibilité de se fonder sur l’étude Lee, de sorte qu’elle ne devrait pas avoir une influence « déterminante » sur la classification du dioxyde de titane ( 117 ). Étant donné que l’étude Heinrich constituait l’une des « deux études clés de la cancérogénicité » ( 118 ) (l’une des deux seules études montrant le développement de tumeurs, l’autre étant l’étude Lee), il n’est pas déraisonnable – même si ce serait à tort au regard du critère
juridique applicable – de déduire des déclarations du CER que cette étude a été « déterminante » pour la classification du dioxyde de titane qui en a résulté. De même, dans la mesure où, dans son avis, le CER a lui-même estimé nécessaire de recourir au calcul de surcharge de Morrow – bien qu’il ne s’agisse pas d’un « concept généralement accepté » – pour confirmer les conclusions tirées sur la base de l’étude Heinrich, il n’est pas déraisonnable de qualifier ce calcul de surcharge de « décisif
pour étayer les conclusions du CER » ( 119 ).
155. Il s’ensuit que, selon moi, la première branche du premier moyen du pourvoi du gouvernement français dans l’affaire C‑71/23 P et le premier moyen de la Commission dans l’affaire C‑82/23 P doivent être considérés comme étant non fondés.
156. Deuxièmement, il me paraît manifeste que ce que le gouvernement français et la Commission critiquent, en réalité, est l’introduction, dans l’évaluation légale que l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 1272/2008 et le point 1.1.1.3 de l’annexe I de ce règlement prévoient, d’un critère faisant prévaloir le « caractère décisif ».
157. Dans la seconde branche de son premier moyen dans l’affaire C‑82/23 P, c’est précisément là le grief que soulève le gouvernement français, et c’est celui avec lequel je suis d’accord ( 120 ).
158. Comme le souligne à juste titre cette partie, soutenue en cela par la Commission, l’ECHA ainsi que les gouvernements néerlandais et suédois, la détermination de la « force probante des données » constitue une approche exigeant que toutes les informations disponibles qui ont une incidence sur la détermination d’un danger soient prises en considération conjointement.
159. Or, dans l’arrêt attaqué, aux fins d’apprécier les données sur lesquelles le CER s’est fondé pour classifier le dioxyde de titane en tant que cancérogène, le Tribunal a introduit le concept du « caractère décisif » ( 121 ).
160. Ce concept, qui implique le caractère déterminant qu’un élément de preuve présente par rapport à un autre, ne se retrouve pas dans le règlement no 1272/2008.
161. En fait, ledit concept se heurte à l’idée même d’une évaluation de la force probante des différents éléments probants les uns par rapport aux autres afin de déterminer – compte tenu également de l’objectif du règlement no 1272/2008 – un niveau élevé de protection de la santé humaine. Il s’oppose ainsi diamétralement à une détermination de la « force probante des données ».
162. Il n’y a donc guère lieu de s’étonner que l’avis du CER n’ait pas eu recours à ce même concept ( 122 ).
163. Dans ces conditions, ainsi que le gouvernement français l’affirme, en recourant au concept du « caractère décisif » dans son contrôle de l’avis du CER, le Tribunal s’est écarté du cadre juridique établi par le législateur de l’Union.
164. Eu égard à ce qui précède, je propose que la Cour rejette comme étant non fondés la première branche du premier moyen du pourvoi du gouvernement français dans l’affaire C‑71/23 P et le premier moyen de la Commission dans l’affaire C‑82/23 P et qu’elle accueille la seconde branche du premier moyen du pourvoi du gouvernement français dans l’affaire C‑71/23 P et rejette la partie pertinente du recours en première instance.
D. Le Tribunal n’a pas manqué à son obligation de motivation
165. Par son troisième moyen dans l’affaire C‑82/23 P, le gouvernement français soutient que le Tribunal a manqué à son obligation de motivation en jugeant que le mode d’action de la cancérogénicité décrite dans l’avis du CER ne relevait pas d’une « capacité intrinsèque » du dioxyde de titane ( 123 ).
166. L’obligation de motivation est consacrée à l’article 296 TFUE et se retrouve à l’article 36 et à l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Elle constitue donc une formalité substantielle ( 124 ).
167. Toutefois, cette formalité doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de la question litigieuse ( 125 ).
168. En l’espèce, le gouvernement français fait spécifiquement grief au Tribunal d’avoir conclu que le dioxyde de titane ne présenterait pas les propriétés intrinsèques de provoquer le cancer à moins d’être inhalé dans certaines quantités, tout en ayant considéré que la quantité de particules inhalées ne constituerait qu’« un des éléments clés de la toxicité observée » ( 126 ).
169. Certes, une motivation contradictoire peut constituer, en soi, une violation de l’obligation découlant de l’article 296 TFUE, lorsque les parties concernées ne sont pas en mesure de comprendre les motifs sur lesquels repose l’arrêt attaqué ( 127 ).
170. Toutefois, même à supposer que les constatations mises en exergue par le gouvernement français soient contradictoires, je ne pense pas que c’est sur la base de ces constatations que le Tribunal a considéré que le « mode d’action » de la cancérogénicité décrite dans l’avis du CER ne relevait pas d’une « capacité intrinsèque » des particules de dioxyde de titane à provoquer le cancer.
171. En réalité, le Tribunal a amplement expliqué comment il est parvenu à cette conclusion ( 128 ).
172. Dans ces conditions, j’estime que l’arrêt attaqué permet à toutes les parties concernées, ainsi que le gouvernement français et la Commission en particulier, de comprendre les motifs de l’arrêt attaqué. Il fournit également suffisamment d’informations à la Cour pour lui permettre d’exercer son contrôle dans les présentes procédures de pourvoi.
173. Plus exactement – et comme les parties requérantes en première instance l’expliquent en substance –, il apparaît que la critique du gouvernement français à l’encontre de la motivation du Tribunal est liée au bien-fondé de la conclusion à laquelle il est parvenu, ce qui constitue un élément relevant du fond de l’arrêt attaqué. Dès lors, le gouvernement français ne saurait prétendre que le Tribunal a manqué à son obligation de motivation.
174. Dans ces conditions, je propose que la Cour rejette le troisième moyen du pourvoi du gouvernement français dans l’affaire C‑82/23 P comme étant non fondé.
IV. Conséquences
175. En application de l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour peut, lorsque le litige est en état d’être jugé, statuer elle‑même définitivement sur celui-ci.
176. Cette condition n’est pas remplie en l’espèce.
177. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a examiné qu’un certain nombre des arguments avancés en ce qui concerne la densité des particules de dioxyde de titane et la nature intrinsèque de cette substance ( 129 ). Il n’a pas non plus apprécié tous les moyens soulevés par les parties requérantes en première instance ( 130 ).
178. Étant donné que la densité des particules de dioxyde de titane et la nature intrinsèque de cette substance impliquent des appréciations de fait qui nécessiteraient qu’elle adopte des mesures supplémentaires d’organisation de la procédure ou d’instruction du dossier, la Cour n’est pas en mesure de statuer dans la présente affaire ( 131 ).
179. Par conséquent, je suis d’avis que l’affaire doit être renvoyée devant le Tribunal ( 132 ).
V. Conclusion
180. Je propose donc à la Cour :
– d’annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 23 novembre 2022, CWS Powder Coatings e.a./Commission (T‑279/20, T‑283/20 et T‑288/20, EU:T:2022:725) ;
– de renvoyer l’affaire au Tribunal pour qu’il se prononce sur les moyens sur lesquels il n’a pas été statué, et
– de réserver les dépens.
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( 1 ) Langue originale : l’anglais.
( 2 ) Pour ce qui est de la science, voir, par exemple, Pouyat, R. V., « Science and environmental policy – making them compatible », BioScience, 1999, vol. 49(4), p. 281 à 286, en particulier p. 282, qui ne cache pas que « [l]a science se caractérise foncièrement par le fait qu’il y aura toujours de l’incertitude » (traduction par mes soins).
( 3 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) no 1907/2006 (JO 2008, L 353, p. 1).
( 4 ) Arrêt du 23 novembre 2022, CWS Powder Coatings e.a./Commission (T‑279/20, T‑283/20 et T‑288/20, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:725).
( 5 ) Au moment de la rédaction des présentes conclusions, la question de savoir quelle interprétation donner à la notion de « propriétés intrinsèques » (ou d’« intrinsèquement capables »), au sens du règlement no 1272/2008, paraît faire l’objet également du recours introduit le 24 mars 2023 dans l’affaire T‑167/23, LAT Nitrogen Piesteritz et Cornerstone/ECHA (Mélamine), ainsi que du recours introduit le 27 mars 2024 dans l’affaire T‑169/24, PMC Vlissingen Netherlands/Commission. Par ailleurs, dans
les arrêts du 27 novembre 2024, Evonik Operations/Commission (T‑449/22, EU:T:2024:866, points 118 à 120), et du 27 novembre 2024, BASF e.a./Commission (T‑453/22, EU:T:2024:867, points 52 à 54), le Tribunal a réaffirmé l’interprétation qu’il a retenue dans l’arrêt attaqué. Dans ces conditions, la décision que rendra la Cour fournira des orientations allant au-delà du cadre des présents pourvois.
( 6 ) Voir considérant 1 et article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1272/2008.
( 7 ) Voir, en ce sens, considérant 8 du règlement no 1272/2008.
( 8 ) Voir article 37, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1272/2008.
( 9 ) Voir article 37, paragraphe 4, du règlement no 1272/2008.
( 10 ) Voir article 53, paragraphe 1, et considérant 77 du règlement no 1272/2008.
( 11 ) Voir article 5 du règlement no 1272/2008.
( 12 ) Voir article 9 du règlement no 1272/2008.
( 13 ) Ainsi que le prévoit l’article 36, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1272/2008.
( 14 ) Voir point 3.6.1.1 de l’annexe I du règlement no 1272/2008.
( 15 ) Voir point 3.6.2.2.2 de l’annexe I du règlement no 1272/2008.
( 16 ) Voir point 3.6.2.2.1 de l’annexe I du règlement no 1272/2008.
( 17 ) Voir point 3.6.2.2.6, sous h), de l’annexe I du règlement no 1272/2008.
( 18 ) Voir point 3.6.2.2.6, sous k), de l’annexe I du règlement no 1272/2008.
( 19 ) Mise en italique par mes soins.
( 20 ) Voir point 1.1.1.3 de l’annexe I du règlement no 1272/2008.
( 21 ) Cette proposition a été introduite au titre de l’article 37, paragraphe 1, du règlement no 1272/2008, aux termes duquel « une autorité compétente peut soumettre à l’[ECHA] une proposition de classification et d’étiquetage harmonisés de substances ».
( 22 ) Le numéro CE est un identifiant unique à sept chiffres attribué aux substances chimiques. Le profil résumé (« brief profile ») du dioxyde de titane, tel qu’il est publié sur le site Internet de l’ECHA, est consultable par le lien suivant : https://echa.europa.eu/brief-profile/-/briefprofile/100.033.327.
( 23 ) Il était antérieurement aussi utilisé comme colorant alimentaire. Toutefois, après que l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) a exprimé des craintes que la consommation de particules de dioxyde de titane pouvait altérer l’ADN (en d’autres termes que cette substance avait des propriétés « génotoxiques »), le règlement (UE) 2022/63 de la Commission, du 14 janvier 2022, modifiant les annexes II et III du règlement (CE) no 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil en ce qui
concerne l’additif alimentaire dioxyde de titane (E171) (JO 2022, L 11, p. 1) a retiré l’autorisation d’utiliser le dioxyde de titane en tant qu’additif alimentaire. Voir, également, EFSA, « Safety assessment of titanium dioxide (E171) as a food additive », EFSA Journal, 2021, vol. 19(5), 6585.
( 24 ) Lors de l’audience, le gouvernement français a exposé qu’il avait fondé sa proposition de classification sur l’étude Lee dans la mesure où il avait considéré que l’étude Heinrich n’était pas suffisamment fiable. Pour sa part, en revanche, le CER a basé son avis sur l’étude Heinrich parce qu’il a estimé cette étude comme étant fiable et l’étude Lee comme l’étant moins.
( 25 ) ECHA, Opinion of the Committee for Risk Assessment on a dossier proposing harmonised classification and labelling at EU level (EC No.: 236-675-5; CAS No : 13463-67-7), report no CLH-O-0000001412-86-163/F, adopté le 14 septembre 2017.
( 26 ) Voir avis du CER, p. 10 à 16.
( 27 ) Voir avis du CER, p. 19 à 20.
( 28 ) Voir avis du CER, p. 20 à 26 et 39.
( 29 ) Voir avis du CER, p. 15 et 21 à 25.
( 30 ) Voir avis du CER, p. 27.
( 31 ) Voir avis du CER, p. 27 à 32.
( 32 ) Règlement du 4 octobre 2019 modifiant, aux fins de son adaptation au progrès technique et scientifique, le règlement (CE) no 1272/2008 et corrigeant ce règlement (JO 2020, L 44, p. 1, et rectificatif JO 2021, L 214, p. 72).
( 33 ) Voir arrêt attaqué, points 9 à 13.
( 34 ) Voir règlement contesté, p. 11.
( 35 ) Voir règlement contesté, p. 8.
(
36
) Voir arrêt attaqué, point 9, pour l’utilisation du pictogramme « H 351 » (
Image
), et point 12, pour l’apposition sur l’étiquette des mentions « EUH211 : “Attention ! Des gouttelettes respirables dangereuses peuvent se former lors de la pulvérisation. Ne pas respirer les aérosols ni les brouillards” » et « EUH212 : “Attention ! Une poussière respirable dangereuse peut se former lors de l’utilisation. Ne pas respirer cette poussière” ».|
( 37 ) Voir, à cet égard, article 15, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif aux produits cosmétiques (JO 2009, L 342, p. 59) et article 4, paragraphe 1, de la directive 2009/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 18 juin 2009, relative à la sécurité des jouets (JO 2009, L 170, p. 1).
( 38 ) Voir, à cet égard, article 3, point 2, de la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative aux déchets et abrogeant certaines directives (JO 2008, L 312, p. 3), chapitres III et VI de cette directive et entrée « H 7 “Cancérogène” » figurant à l’annexe III de ladite directive.
( 39 ) Voir, à cet égard, les critères 5 et 5 a) figurant à l’annexe de la décision 2014/312/UE de la Commission, du 28 mai 2014, établissant les critères écologiques pour l’attribution du label écologique de l’Union européenne aux peintures et aux vernis d’intérieur ou d’extérieur (JO 2014, L 164, p. 45).
( 40 ) Voir, respectivement, article 15 du règlement no 1223/2009 et article 46 de la directive 2009/48.
( 41 ) Règlement (UE) 2021/850 de la Commission, du 26 mai 2021, modifiant et rectifiant l’annexe II et modifiant les annexes III, IV et VI du règlement no 1223/2009 (JO 2021, L 188, p. 44).
( 42 ) Voir Comité scientifique des risques sanitaires, environnementaux et émergents (CSRSEE), Opinion on the safety of titanium dioxide in toys (publié sur son site Internet le 12 octobre 2023).
( 43 ) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la sécurité des jouets et abrogeant la directive 2009/48 [COM(2023) 462 final, du 28 juillet 2023]. Voir, également, secrétariat général du Conseil, proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la sécurité des jouets et abrogeant la directive 2009/48, ST 9740/1/24-REV-1, p. 18.
( 44 ) Par ordonnance du 11 mars 2022, la présidente de la neuvième chambre du Tribunal a joint les affaires T‑279/20, T‑283/20 et T‑288/20 aux fins de la phase orale de la procédure et de la décision mettant fin à l’instance.
( 45 ) Si le règlement no 1272/2008 ne se réfère pas à la notion de « dose maximale tolérée », l’ECHA la définit, en page 385 de son document d’orientation « Guidance on the Application of the CLP Criteria, Guidance to Regulation (EC) No 1272/2008 on classification, labelling and packaging (CLP) of substances and mixtures », version 5.0, juillet 2017 (ci-après le « guide de l’ECHA »), comme étant « la dose la plus élevée de l’agent d’essai au cours de l’essai biologique dont il peut être prédit
qu’elle ne modifiera pas la longévité normale de l’animal en raison d’effets autres que la cancérogénicité » (traduction par mes soins).
( 46 ) Voir avis du CER, p. 16.
( 47 ) Voir guide de l’ECHA, p. 385 (traduction par mes soins).
( 48 ) Voir, en ce sens, arrêt attaqué, point 52, et avis du CER, p. 17. Au point 86 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a expliqué que « le calcul de surcharge de Morrow met en relation la quantité de particules inhalées et la réduction du fonctionnement des mécanismes d’élimination des particules avec le volume occupé par les particules dans les macrophages alvéolaires des poumons ».
( 49 ) Arrêt attaqué, point 90. Voir, également, avis du CER, p. 39, où il est précisé que « le CER estime que ces conditions d’exposition représentent une exposition excessive qui invalide en soi les résultats de l’étude Lee e.a. (1985) aux fins d’une classification » (traduction par mes soins).
( 50 ) Voir arrêt attaqué, points 75 à 78 et 121.
( 51 ) Arrêt attaqué, point 92.
( 52 ) Arrêt attaqué, point 92.
( 53 ) Arrêt attaqué, points 100 et 107.
( 54 ) Arrêt attaqué, point 99.
( 55 ) Arrêt attaqué, point 100.
( 56 ) Arrêt attaqué, point 103.
( 57 ) Arrêt attaqué, point 121.
( 58 ) Voir, en ce sens, arrêt attaqué, points 121 et 122.
( 59 ) Arrêt attaqué, point 160.
( 60 ) Arrêt attaqué, point 138.
( 61 ) Arrêt attaqué, points 139 à 141.
( 62 ) Arrêt attaqué, points 156 à 160.
( 63 ) Arrêt attaqué, point 156.
( 64 ) Arrêt attaqué, point 158.
( 65 ) Arrêt attaqué, point 159.
( 66 ) Arrêt attaqué, point 159.
( 67 ) Arrêt attaqué, point 154.
( 68 ) Voir, par exemple, arrêts du 12 juillet 2005, Alliance for Natural Health e.a. (C‑154/04 et C‑155/04, EU:C:2005:449, point 52), du 7 juillet 2009, S.P.C.M. e.a. (C‑558/07, EU:C:2009:430, point 42), du 22 décembre 2010, Gowan Comércio Internacional e Serviços (C‑77/09, EU:C:2010:803, point 82), et du 22 novembre 2018, Swedish Match (C‑151/17, EU:C:2018:938, point 36).
( 69 ) Voir, à cet égard, Mendes, J., « Bounded Discretion in EU Law : A Limited Judicial Paradigm in a Changing EU », The Modern Law Review, vol. 80(3), 2017, p. 461, qui décrit le pouvoir discrétionnaire comme étant « l’absence de normes ou principes juridiques qui, une fois interprétée, permettrait d’indiquer la solution qui devrait s’appliquer dans un cas spécifique » (traduction par mes soins).
( 70 ) Voir, par exemple, arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München (C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14), du 21 juillet 2011, Nickel Institute (C‑14/10, ci-après l’« arrêt Nickel Institute , EU:C:2011:503, point 60), du 21 juillet 2011, Etimine (C‑15/10, ci-après l’« arrêt Etimine , EU:C:2011:504, point 60), du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, ci-après l’« arrêt Bilbaína , EU:C:2017:882, point 34), et du 9 mars 2023, PlasticsEurope/ECHA
(C‑119/21 P, EU:C:2023:180, point 46).
( 71 ) Certains auteurs expriment cette différence en se référant à des appréciations « cognitives » et des appréciations « volitives » ; voir, entre autres, Nehl, H. P., « Judicial review of complex socio-economic, technical, and scientific assessments », dans Mendes, J. (éd.), EU Executive Discretion and the Limits of Law, Oxford University Press, Oxford, 2019, p. 162 et 163.
( 72 ) Selon la communication de la Commission sur le recours au principe de précaution [COM(2000) 1 final, du 2 février 2000, point 5.1.2], l’évaluation des risques comporte quatre étapes, à savoir l’identification du danger, la caractérisation du danger, l’évaluation de l’exposition et la caractérisation du risque. À l’annexe III de cette communication, les deux premières étapes sont décrites comme suit : « [l]’“identification du danger” consiste à déceler les agents biologiques, chimiques ou
physiques susceptibles d’avoir des effets défavorables. [...] La “caractérisation du danger” consiste à déterminer, en termes quantitatifs et/ou qualitatifs, la nature et la gravité des effets défavorables liés aux agents ou à l’activité en cause. C’est à ce stade qu’il y a lieu d’établir une relation entre la quantité de la substance dangereuse et l’effet ».
( 73 ) Voir, par exemple, Vos, E., « The European Court of Justice in the face of scientific uncertainty and complexity », dans Dawson, M., de Witte, B., et Muir, E. (éds.), Judicial activism at the European Court of Justice, Edward Elgar, 2013, p. 142 à 166, qui, aux pages 164 et 165, souligne que « l’évaluation du risque n’est pas neutre, mais constitue une construction sociale et, en tant que telle, un acte politique ». En ce sens, une décision prise en vertu de l’application du principe de
précaution et une décision prise sans appliquer ce principe au même type de risques peuvent différer considérablement sur le plan des restrictions justifiables qu’une mesure peut imposer.
( 74 ) L’une des raisons pour lesquelles le règlement no 1272/2008 a d’ailleurs été adopté était de régir la classification des dangers. Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, sous a), ce règlement harmonise les critères de classification des substances et des mélanges ainsi que les règles relatives à l’étiquetage et à l’emballage de ces substances et mélanges qui sont identifiés comme étant dangereux. Ainsi, cet acte législatif prévoit largement, lui-même, les critères de classification des
dangers.
( 75 ) Voir tableau 3.6.1 de l’annexe I du règlement no 1272/2008, reproduit au point 14 des présentes conclusions.
( 76 ) En retenant cette seconde possibilité, le législateur de l’Union a certainement dû être inspiré par le principe de précaution. La Cour a déjà confirmé que ce principe trouvait à s’appliquer dans le cadre de la classification de produits chimiques sur le fondement du règlement no 1272/2008 ; voir arrêt du 16 juin 2022, SGL Carbon e.a./Commission (C‑65/21 P et C‑73/21 P à C‑75/21 P, EU:C:2022:470, point 97). Voir, de manière plus générale, concernant le principe de précaution, Donati, A., Le
principe de précaution en droit de l’Union européenne, Bruylant, Bruxelles, 2021, p. 49 et suiv., et Goldner Lang, I., « “Laws of Fear” in the EU : The Precautionary Principle and Public Health Restrictions to Free Movement of Persons in the Time of COVID-19 », vol. 14(1), European Journal of Risk Regulation, 2023, p. 141 à 164.
( 77 ) Voir point 3.6.2.2.1 de l’annexe I du règlement no 1272/2008.
( 78 ) Voir, en ce sens, entre autres, arrêt Nickel Institute, point 60 et jurisprudence citée, où la Cour déclare que, « [d]ans un tel contexte, le juge de l’Union ne peut en effet substituer son appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique à celle des institutions à qui, seules, le traité CE a conféré cette tâche ».
( 79 ) Voir, en ce sens, Vos, E., note en bas de page 73 des présentes conclusions, p. 164 (qui estime que « les juges doivent rester des juges. Ils ne devraient pas se transformer en “femmes ou hommes de science amateurs” »), et Jasanoff, S., « Judging Science : Issues, Assumptions, Models », dans Report of the 1997 Forum for State Court Judges : Scientific Evidence in the Courts, Concepts & Controversies, Roscoe Pound Foundation, 1997, p. 19 (qui explique qu’« [i]l convient que les juges rejettent
tant le mythe de la “science pure” que celui de la “science bidon”. [...] Avant tout, ils doivent rester convaincus qu’une juridiction constitue une instance destinée non pas à trancher définitivement des différends scientifiques, mais plutôt à rendre justice, au cas par cas, à l’aide de toutes les connaissances scientifiques disponibles qui satisfont aux critères de pertinence et de fiabilité ») (traduction par mes soins).
( 80 ) Arrêt attaqué, point 42.
( 81 ) Voir arrêt Bilbaína, point 35.
( 82 ) Voir arrêt Bilbaína, point 35, où il est fait référence à l’arrêt du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen (C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 34 et jurisprudence citée).
( 83 ) À cet égard, dans un excellent examen de jurisprudence, Giulia Claudia Leonelli expose que la ligne de démarcation entre le contrôle procédural et le contrôle sur le fond peut aisément s’estomper et elle montre comment la conception procédurale du contrôle dans l’arrêt Bilbaína rend les implications de fond de l’adoption de différentes méthodologies scientifiques plus obscures. Voir Leonelli, G. C., « The fine line between procedural and substantive review in cases involving complex
technical-scientific evaluations : Bilbaína », Common Market Law Review, vol. 55(4), 2018, p. 1230.
( 84 ) Voir, à cet égard, points 98 et 105 de l’arrêt attaqué ainsi que p. 8 de l’avis du CER (mettant en évidence que le CER avait conscience que « les particules primaires, notamment celles de taille nanométrique, ont tendance à s’agglomérer ») et point 105 de l’arrêt attaqué ainsi que p. 17 de l’avis du CER (mettant en évidence que, sur la base des éléments probants dont il disposait, le CER a estimé qu’il devait appliquer la valeur standard de densité des particules de dioxyde de titane aux fins
du calcul de surcharge de Morrow pour comparer l’étude Heinrich et l’étude Lee). Voir, également, p. 12 de l’avis du CER quant aux caractéristiques des particules qui ont été testées dans l’étude Heinrich : « [d]u TiO2 (P25, Degussa, matériau de test TiO2 de taille nanométrique classique, ici sans autre caractérisation de la pureté) ayant une taille de particule primaire de 15 à 40 nm et composé d’environ 80 % d’anatase et de 20 % de rutile a été utilisé pour générer l’atmosphère d’essai avec un
DAMM de 0,8 μm (DGS de 1,80) » (traduction par mes soins).
( 85 ) Voir, pour des exemples, arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, EU:C:1979:36, point 89), sur l’interprétation de la notion de « position dominante » tirée de l’article 102 TFUE ; du 14 novembre 1984, Intermills/Commission (323/82, EU:C:1984:345, points 16 et suiv.), sur l’interprétation de la notion d’« intéressés » au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, et du 13 décembre 1989, Brother International (C‑26/88, EU:C:1989:637, point 11), sur l’interprétation de la
notion de « subvention », telle qu’elle apparaît dans ce qui est devenu l’article 3 du règlement (UE) 2016/1037 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet de subventions de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 55).
( 86 ) Jusqu’à l’année 2024, les juridictions des États-Unis d’Amérique adoptaient une approche très différente de celle suivie par les juridictions de l’Union. À la suite de l’arrêt de l’US Supreme Court (Cour suprême des États-Unis) rendu dans l’affaire Chevron v Natural Resources Defense Council, 467 U.S. 837 (1984), p. 843, en cas d’une loi ambiguë, une juridiction était tenue d’adopter l’interprétation donnée par une agence gouvernementale tant que la lecture de cette dernière constituait une
« interprétation admissible de la loi » (« permissible construction of the statute », ). Toutefois, en juin 2024, la Supreme Court (Cour suprême) a opéré un revirement de l’approche retenue dans cet arrêt, en exposant que l’US Administrative Procedure Act (loi sur la procédure administrative) « prévoit la conception traditionnelle de la fonction juridictionnelle, selon laquelle les juridictions doivent exercer un jugement indépendant dans la détermination du sens de dispositions législatives, de
sorte que l’expertise d’une agence gouvernementale peut être de nature à éclairer le juge mais non pas à le lier » [Loper Bright Enterprises et al. v Raimondo, Secretary of Commerce, et al., 603 U.S., 369 (2024), p. 16 et 35] (traduction par mes soins).
( 87 ) Pour, entre autres, produire des informations sur les propriétés intrinsèques des substances et des mélanges, ce considérant préconise l’utilisation de méthodes se substituant à celles d’essais sur les animaux.
( 88 ) Ce point figure dans la section, à l’annexe I du règlement no 1272/2008, qui porte sur les dangers par contact cutané. Dans la partie qui intéresse la présente affaire, il prévoit que « [l]es données humaines doivent donc être évaluées avec prudence, la fréquence des cas reflétant, outre les propriétés intrinsèques de la substance, des facteurs tels que les circonstances de l’exposition, la biodisponibilité, la prédisposition individuelle et les mesures de prévention prises ».
( 89 ) Ces points relèvent de la partie relative aux dangers pour le milieu aquatique. Le point 4.1.1.1 prévoit que, « [p]ar “toxicité aquatique aiguë”, on entend la propriété intrinsèque d’une substance à provoquer des effets néfastes sur des organismes lors d’une exposition de courte durée » et que, « [p]ar “toxicité aquatique chronique”, on entend la propriété intrinsèque d’une substance de provoquer des effets néfastes sur des organismes aquatiques lors d’expositions déterminées en relation avec
le cycle de vie de ces organismes ». Le point 4.1.2.4 prévoit que « [l]es propriétés intrinsèques que sont l’absence de dégradabilité rapide et/ou le potentiel de concentration dans les organismes vivants, combinées à la toxicité aiguë, sont utilisées pour classer une substance dans une catégorie de danger de toxicité chronique (à long terme) ».
( 90 ) Voir, en ce sens, entre autres, arrêt du 17 novembre 1983, Merck (292/82, EU:C:1983:335, point 12), et du 7 juin 2005, VEMW e.a. (C‑17/03, EU:C:2005:362, point 41 et jurisprudence citée).
( 91 ) Arrêt attaqué, point 138.
( 92 ) Même une rapide recherche sur Internet révèle que diverses disciplines de la science ont des interprétations différentes quant à la propriété intrinsèque d’une substance. De surcroît, cette notion est tout sauf simple d’un point de vue philosophique, y compris celui de la philosophie de la physique. Voir, à cet égard, « Intrinsic vs. Extrinsic Properties », Stanford Encyclopaedia of Philosophy, consultable à l’adresse électronique suivante :
https://plato.stanford.edu/entries/intrinsic-extrinsic/.
( 93 ) L’exemple fréquemment utilisé pour expliquer la différence entre une propriété « intrinsèque » et une propriété « extrinsèque » est celui de la différence entre la masse et le poids. La masse est la propriété intrinsèque d’un corps, alors que son poids est fonction de la gravitation de la planète sur laquelle ce corps se trouve et qu’il constitue ainsi une propriété extrinsèque. En l’espèce, le Tribunal semble comprendre la forme (poudre), la quantité (contenant 1 % ou plus de particules d’un
diamètre ≤ 10 μm), l’insolubilité et le mode d’action (inhalation) par lesquels cette substance provoque le cancer comme étant des propriétés extrinsèques du dioxyde de titane, c’est-à-dire – pour utiliser mes analogies – comme étant ce qui constitue le « poids » de ladite substance et non sa « masse ».
( 94 ) Voir arrêt attaqué, points 139 et 140.
( 95 ) Voir article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1272/2008.
( 96 ) Voir article 1er, paragraphe 1, sous a), d) et e), du règlement no 1272/2008.
( 97 ) Voir, à cet égard, article 1er, paragraphe 2, du règlement no 1272/2008.
( 98 ) Ainsi que le gouvernement suédois l’a relevé, une « propriété intrinsèque » d’une substance d’être nocive est inextricablement liée à la dose, raison pour laquelle les essais sur l’animal sont conçus de manière à soumettre les animaux à différentes doses d’une substance. La circonstance que des effets négatifs soient constatés à des doses plus élevées de la substance, et non toutefois, par exemple, à des doses plus faibles, n’exclut pas que ces effets négatifs puissent être considérés comme
étant provoqués par une « propriété intrinsèque » de la substance.
( 99 ) Lors de l’audience, le Cefic a observé que d’autres substances présentant des caractéristiques similaires (telles que la faible solubilité) peuvent également provoquer le cancer dans un mode d’action similaire (l’inhalation de grandes quantités, par exemple). Cela démontrerait que le cancer n’est pas provoqué par la propriété intrinsèque de la substance testée, mais qu’il constitue plus exactement un effet secondaire d’une inflammation causée par l’accumulation de grandes quantités de
particules, par exemple dans les poumons. Toutefois, bien qu’il soit exact que l’avis du CER, comme le soutient le gouvernement français, n’indique pas si les effets cancérogènes sont seulement provoqués par une inflammation due à l’accumulation de particules dans les poumons, ou bien par la capacité du dioxyde de titane à générer un stress oxydatif pouvant conduire à une génotoxicité, ou encore par le fait que ces deux mécanismes entrent en jeu, il n’en demeure pas moins qu’aucune de ces
possibilités n’exclut de conclure que les propriétés intrinsèques du dioxyde de titane peuvent conduire au développement d’un cancer.
( 100 ) Voir arrêt attaqué, points 165 et 166.
( 101 ) Par exemple, comme le prévoit l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1272/2008, lorsqu’il n’existe pas encore d’entrée pour la substance, la classification est effectuée conformément aux règles du titre II de ce règlement.
( 102 ) Voir note 89 des présentes conclusions.
( 103 ) Voir considérant 12 du règlement no 1272/2008, qui précise qu’« [il] convient que la terminologie et les définitions utilisées dans le présent règlement correspondent [...] aux définitions énoncées au niveau des Nations unies dans le SGH, afin d’assurer une cohérence maximale dans l’application de la législation relative aux substances chimiques au sein de la Communauté dans le contexte de la mondialisation ».
( 104 ) Voir point 1.1.2.6.2.1 du SGH. Voir, également, point 4.1.1.1 du SGH et la définition qu’il contient de la notion de « toxicité aquatique chronique » (à savoir « la propriété intrinsèque d’une substance de provoquer des effets néfastes sur des organismes aquatiques, au cours d’expositions en milieu aquatique déterminées en relation avec le cycle de vie de ces organismes ») ainsi que point 3.6.2.2 du SGH précisant que « [l]a classification d’un cancérogène repose sur des données obtenues par
des méthodes fiables et acceptables et vise les substances intrinsèquement capables de produire ces effets toxiques ». Voir, enfin, note en bas de page 1 du point 1.1.1.6 du SGH, qui indique que, « [d]ans certains cas, il est également nécessaire de prendre en compte les dangers résultant d’autres propriétés, que ce soit l’état physique de la substance ou du mélange [...] ou les propriétés des substances résultant des réactions chimiques ».
( 105 ) Règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les
directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, ci-après le « règlement REACH »).
( 106 ) Voir article 3, paragraphe 1, du règlement REACH, qui prévoit que, par « substance », on entend « un élément chimique et ses composés à l’état naturel ou obtenus par un processus de fabrication, y compris tout additif nécessaire pour en préserver la stabilité et toute impureté résultant du processus mis en œuvre, mais à l’exclusion de tout solvant qui peut être séparé sans affecter la stabilité de la substance ou modifier sa composition ».
( 107 ) Voir, par exemple, section 2.4 de l’annexe VI du règlement REACH. Voir, également, considérant 8 du règlement (UE) 2018/1881 de la Commission, du 3 décembre 2018, modifiant les annexes I, III, VI, VII, VIII, IX, X, XI, et XII du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), aux fins de couvrir les nanoformes des substances
(JO 2018, L 308, p. 1), qui expose que « [d]es informations spécifiques minimales caractérisant les nanoformes devraient être fournies parmi les informations sur la composition, dans le cadre de l’identification de la substance. La dimension particulaire, la forme et les propriétés de surface d’une nanoforme peuvent avoir une incidence sur son profil toxicologique ou écotoxicologique, sur l’exposition à cette nanoforme ainsi que sur le comportement de celle-ci dans l’environnement ».
( 108 ) Voir, à cet égard, arrêt attaqué, point 156.
( 109 ) Au point 39 de l’arrêt attaqué, le Tribunal se réfère au point 82 de l’arrêt Nickel Institute pour affirmer qu’une évaluation des dangers liés aux propriétés intrinsèques d’une substance ne doit pas être limitée aux circonstances spécifiques de son utilisation. Cité dans son entièreté, le point 82 de cet arrêt énonce que, « [a]insi, une évaluation des dangers liés aux propriétés intrinsèques des substances ne doit pas être limitée en considération de circonstances d’utilisation spécifiques,
comme dans le cas d’une évaluation des risques, et peut être réalisée de manière valable indépendamment du lieu d’utilisation de la substance (laboratoire ou autre), de la voie par laquelle pourrait se produire le contact avec celle-ci et des niveaux éventuels d’exposition à la substance ».
( 110 ) Voir point 82 de l’arrêt Nickel Institute (mise en italique par mes soins).
( 111 ) Voir, en ce sens, arrêt Etimine, point 75, où il est précisé que, « [a]insi, une évaluation des dangers liés aux propriétés intrinsèques des substances ne doit pas être limitée en considération de circonstances d’utilisation spécifiques, comme dans le cas d’une évaluation des risques, et peut être réalisée de manière valable indépendamment du lieu d’utilisation de la substance, de la voie par laquelle pourrait se produire le contact avec celle-ci (par ingestion, par inhalation ou par
pénétration cutanée) et des niveaux éventuels d’exposition à la substance ».
( 112 ) Voir, en ce sens, arrêt Etimine, point 70.
( 113 ) Cette partie des pourvois du gouvernement français et de la Commission est dirigée contre le point 74 de l’arrêt attaqué.
( 114 ) Cette partie du pourvoi de la Commission est dirigée contre le point 120 de l’arrêt attaqué.
( 115 ) Voir, en ce sens, arrêts du 10 février 2011, Activision Blizzard Germany/Commission (C‑260/09 P, EU:C:2011:62, point 54), du 26 septembre 2013, France/Commission (C‑115/12 P, EU:C:2013:596, point 60), et du 27 juin 2024, Commission/Servier e.a. (C‑176/19 P, EU:C:2024:549, point 128 et jurisprudence citée), qui, tous, concernent des documents permettant différentes interprétations raisonnables.
( 116 ) Voir, en particulier, arrêt du 25 février 2021, Dalli/Commission (C‑615/19 P, EU:C:2021:133, point 139 et jurisprudence citée)
( 117 ) Voir, par exemple, avis du CER, p. 39 [« Le CER estime que ces conditions d’exposition sont excessives, ce qui invalide, en soi, les résultats de l’étude Lee e.a (1985) à des fins de classification »] et p. 35 [« En raison de l’arrêt complet de la clairance alvéolaire, le CER estime que les résultats de l’étude Lee e.a. (1985) sur le rat ne devraient pas avoir une influence déterminante sur la classification du TiO2 »] (traduction par mes soins). Voir, également, avis du CER, p. 36.
( 118 ) Voir avis du CER, p. 13.
( 119 ) Voir arrêt attaqué, point 120, et avis du CER, p. 17.
( 120 ) La Commission ne conteste pas cette question dans l’affaire C‑71/23 P.
( 121 ) Voir, en particulier, points 76 à 78, 120 et 121 de l’arrêt attaqué.
( 122 ) Voir avis du CER, p. 39, qui expose que le « CER estime que les données expérimentales et humaines ne permettent pas de classer le dioxyde de titane en tant que cancérogène de catégorie 1A ou de catégorie 1B. Il a également examiné si le TiO2 remplissait les critères de la classification en tant que cancérogène de la catégorie 2 ou s’il était plus approprié de ne pas le classer en tant que cancérogène. Soupesant les raisons d’une classification en catégorie 2 ou d’une non‑classification, le
CER a examiné attentivement les conditions expérimentales des études sur l’inhalation chez le rat et les différences entre espèces ». Voir, également, avis du CER, p. 35, qui indique que « [d]ans le contexte d’une approche conseillée de force probante des données, le CER s’est penché sur des considérations supplémentaires de classification [...]. Il a estimé essentiel d’examiner, supplémentairement, les éléments suivants : le concept de surcharge, spécifiquement le mode d’action y afférent pour la
génotoxicité et la cancérogénicité et les différences entre espèces, y compris la pertinence pour l’homme des données résultant de l’expérimentation animale ».
( 123 ) Ce moyen du pourvoi paraît être dirigé contre les points 157 et 158 de l’arrêt attaqué.
( 124 ) Voir, en ce sens, arrêts du 20 mars 1959, Nold/Haute Autorité (18/57, EU:C:1959:6, p. 51), et du 2 septembre 2021, EPSU/Commission (C‑928/19 P, EU:C:2021:656, point 108 et jurisprudence citée).
( 125 ) Voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France (C‑367/95 P, EU:C:1998:154, points 66 à 68), et du 6 octobre 2020, Bank Refah Kargaran/Conseil (C‑134/19 P, EU:C:2020:793, point 62 et jurisprudence citée).
( 126 ) Arrêt attaqué, point 158.
( 127 ) Voir, entre autres, arrêt du 20 septembre 2016, Mallis e.a./Commission et BCE (C‑105/15 P à C‑109/15 P, EU:C:2016:702, point 45 et jurisprudence citée).
( 128 ) Voir arrêt attaqué, points 135 à 177.
( 129 ) Voir, à cet égard, arrêt attaqué, points 122 et 178.
( 130 ) Comme il l’a indiqué au point 21 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est limité à apprécier le deuxième moyen, les première et cinquième branches du septième moyen ainsi que le huitième moyen dans les affaires jointes T‑279/20 et T‑288/20 et le premier moyen dans l’affaire T‑283/20. Les moyens non examinés sont ainsi tous ceux résumés aux points 22 à 27 de l’arrêt attaqué.
( 131 ) Voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2023, Land Rheinland-Pfalz/Deutsche Lufthansa (C‑466/21 P, EU:C:2023:666, point 112).
( 132 ) Voir seconde possibilité offerte à l’article 61, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.