ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
7 novembre 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive 2004/80/CE – Article 12, paragraphe 2 – Régimes nationaux d’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente – Crime d’homicide – Indemnisation des membres de la famille proches de la personne décédée – Notion de “victimes” – Régime d’indemnisation “en cascade” selon l’ordre de dévolution successorale – Réglementation nationale excluant le versement d’une indemnité aux autres membres de la famille de la
personne décédée en présence d’enfants et d’un conjoint survivant – Parents, frères et sœurs de la personne décédée – Indemnisation “juste et appropriée” »
Dans l’affaire C‑126/23 [Burdene] ( 1 ),
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale Ordinario di Venezia (tribunal ordinaire de Venise, Italie), par décision du 15 février 2023, parvenue à la Cour le 2 mars 2023, dans la procédure
UD,
QO,
VU,
LO,
CA
contre
Presidenza del Consiglio dei ministri,
Ministero dell’Interno,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. I. Jarukaitis, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. D. Gratsias et E. Regan (rapporteur), juges,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. C. Di Bella, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 février 2024,
considérant les observations présentées :
– pour QO et UD, par Me G. Sicchiero, avvocato,
– pour LO et VU, par Mes M.G. Bergamo, F. Sicchiero et G. Sicchiero, avvocati,
– pour CA, par Mes E. Pertile et G. Sicchiero, avvocati,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de MM. E. De Bonis, S. Fiorentino et G. Palatiello, avvocati dello Stato,
– pour la Commission européenne, par Mme E. Montaguti et M. S. Noë, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 mai 2024,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80/CE du Conseil, du 29 avril 2004, relative à l’indemnisation des victimes de la criminalité (JO 2004, L 261, p. 15), ainsi que des articles 20 et 21, de l’article 33, paragraphe 1, et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant les parents, la sœur et les enfants de la victime d’un homicide à la Presidenza del Consiglio dei Ministri (présidence du Conseil des ministres, Italie) et au Ministero dell’Interno (ministère de l’Intérieur, Italie) au sujet de l’indemnisation par l’État italien, en raison de l’insolvabilité de l’auteur de cet homicide, du préjudice qu’ils ont subi du fait de celui-ci.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La décision-cadre 2001/220/JAI
3 Aux termes de l’article 1er de la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, du 15 mars 2001, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales (JO 2001, L 82, p. 1), intitulé « Définitions » :
« Aux fins de la présente décision-cadre, on entend par :
a) “victime” : la personne physique qui a subi un préjudice, y compris une atteinte à son intégrité physique ou mentale, une souffrance morale ou une perte matérielle, directement causé par des actes ou des omissions qui enfreignent la législation pénale d’un État membre ;
[...] »
La directive 2004/80
4 Les considérants 5 et 10 de la directive 2004/80 sont ainsi libellés :
« (5) Le 15 mars 2001, le Conseil a adopté la décision-cadre 2001/220/JAI [...]. Fondée sur le titre VI du traité sur l’Union européenne, cette décision permet aux personnes de demander réparation, pendant le déroulement d’une procédure pénale, à l’auteur de l’infraction dont elles ont été victimes.
[...]
(10) Les victimes d’infractions ne parviennent souvent pas à se faire indemniser par l’auteur de l’infraction dont elles ont été victimes, soit parce que ce dernier ne dispose pas des ressources nécessaires pour se conformer à une décision de justice octroyant à la victime des dommages et intérêts, soit parce qu’il ne peut pas être identifié ou poursuivi. »
5 Figurant dans le chapitre II de cette directive, intitulé « Régimes nationaux d’indemnisation », l’article 12 de celle-ci dispose :
« 1. Les dispositions relatives à l’accès à l’indemnisation dans les situations transfrontalières établies par la présente directive fonctionnent sur la base des régimes en vigueur dans les États membres pour l’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente commise sur leurs territoires respectifs.
2. Tous les États membres veillent à ce que leurs dispositions nationales prévoient l’existence d’un régime d’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente commise sur leurs territoires respectifs qui garantisse une indemnisation juste et appropriée des victimes. »
6 Au sein du chapitre III de ladite directive, intitulé « Dispositions d’application », l’article 17 de celle-ci, lui-même intitulé « Dispositions plus favorables », dispose :
« La présente directive n’empêche pas les États membres, dans la mesure où ces dispositions sont compatibles avec la présente directive :
a) d’adopter ou de maintenir des dispositions plus favorables, dans l’intérêt des victimes d’infractions ou de toute autre personne affectée par une infraction ;
b) d’adopter ou de maintenir des dispositions en vue d’indemniser les victimes d’infractions commises en dehors de leur territoire ou toute autre personne affectée par ces infractions, sous réserve d’éventuelles conditions que les États membres peuvent préciser à cet effet. »
La directive 2012/29/UE
7 L’article 2 de la directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil (JO 2012, L 315, p. 57), prévoit :
« 1. Aux fins de la présente directive, on entend par :
a) “victime” :
i) toute personne physique ayant subi un préjudice, y compris une atteinte à son intégrité physique, mentale, ou émotionnelle ou une perte matérielle, qui a été directement causé par une infraction pénale ;
ii) les membres de la famille d’une personne dont le décès résulte directement d’une infraction pénale et qui ont subi un préjudice du fait du décès de cette personne ;
b) “membre de la famille”: le conjoint, la personne qui est engagée dans une relation intime, stable et continue avec la victime et vit en ménage avec elle, les parents en ligne directe, les frères et sœurs et les personnes qui sont à la charge de la victime ;
[...]
2. Les États membres peuvent mettre en place des procédures :
a) visant à limiter le nombre de membres de la famille susceptibles de bénéficier des droits énoncés dans la présente directive, en tenant compte des particularités de chaque cas ; et
b) en ce qui concerne le paragraphe 1, point a) ii), visant à déterminer quels sont les membres de la famille qui ont priorité pour exercer les droits énoncés dans la présente directive. »
Le droit italien
8 L’article 11 de la legge n. 122 – Disposizioni per l’adempimento degli obblighi derivanti dall’appartenenza dell’Italia all’Unione europea – Legge europea 2015-2016 (loi no 122, portant dispositions pour l’exécution des obligations résultant de l’appartenance de l’Italie à l’Union européenne – loi européenne 2015-2016), du 7 juillet 2016 (GURI no 158, du 8 juillet 2016, p. 1), telle que modifiée par l’article 6 de la loi no 167 du 20 novembre 2017 et l’article 1er, paragraphes 593 à 596, de la loi
no 145 du 30 décembre 2018 (ci-après la « loi no 122/2016 »), dispose :
« 1. Sans préjudice des mesures en faveur des victimes d’infractions visées dans d’autres dispositions légales plus favorables, la victime d’une infraction intentionnelle commise avec violence sur sa personne, et en tout état de cause de l’infraction visée à l’article 603 bis du codice penale [(code pénal)], à l’exception des infractions visées aux articles 581 et 582, sauf en cas de circonstances aggravantes prévues à l’article 583 du code pénal, a le droit à l’indemnisation à la charge de
l’État.
2. L’indemnisation pour des crimes d’homicide, d’agression sexuelle ou de coups et blessures très graves, conformément à l’article 583, deuxième alinéa, du code pénal, [...] est accordée à la victime ou aux ayants droit énumérés au paragraphe 2 bis, suivant le barème déterminé par le décret visé au paragraphe 3. Pour les infractions autres que celles qui viennent d’être mentionnées, l’indemnisation est accordée pour le remboursement des frais médicaux et d’assistance.
2 bis. Si la victime décède à la suite du délit, l’indemnisation est accordée au conjoint survivant et aux enfants ; ou, à défaut de conjoint et d’enfants, au père et à la mère ; ou, à défaut du père ou de la mère, aux frères et sœurs cohabitant dont la victime avait la charge au moment où l’infraction a été commise. [...]
2 ter. Si plusieurs ayants droit peuvent prétendre à l’indemnisation, celle-ci est répartie selon les parts prévues par les dispositions du deuxième livre, titre II, du codice civile [(code civil)].
3. Les montants d’indemnisation sont déterminés par un décret du Ministro dell’interno [(ministre de l’Intérieur, Italie)] et du Ministro della giustizia [(ministre de la Justice, Italie)], de concert avec le Ministro dell’economia e delle finanze [(ministre de l’Économie et des Finances, Italie)], qui sera promulgué dans les six mois suivant la date d’entrée en vigueur de la présente loi, dans les limites des fonds dont dispose le [Fondo di rotazione per la solidarietà alle vittime dei reati di
tipo mafioso, delle richieste estorsive, dell’usura e dei reati intenzionali violenti (Fonds de roulement pour la solidarité envers les victimes d’actes de type mafieux, d’actes d’extorsion, d’usure et de criminalité intentionnelle violente, Italie, ci-après le “Fonds de solidarité”)] visé à l’article 14, de manière à garantir une plus grande réparation aux victimes d’agression sexuelle et d’homicide et, en particulier, aux enfants de la victime en cas d’homicide commis par le conjoint, même
séparé ou divorcé, ou par une personne qui est ou a été liée affectivement à la victime. »
9 Adopté en exécution de l’article 11, paragraphe 3, de la loi no 122/2016, l’article 1er, paragraphe 1, sous b), du decreto ministeriale – Determinazione degli importi dell’indennizzo alle vittime dei reati intenzionali violenti (décret ministériel, portant détermination des montants d’indemnisation pour les victimes de crimes intentionnels violents), du 22 novembre 2019 (GURI no 18, du 23 janvier 2020, p. 9, ci-après le « décret ministériel d’exécution »), prévoit :
« en cas d’homicide commis par le conjoint, même séparé ou divorcé, ou par une personne qui est ou a été liée affectivement à la victime : un montant fixe de 60000 euros exclusivement en faveur des enfants de la victime ».
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 Le 18 septembre 2018, le Tribunale di Padova (tribunal de Padoue, Italie) a condamné l’auteur de l’homicide de son ex-partenaire, commis en Italie, à une peine d’emprisonnement de 30 ans et a ordonné qu’il verse une indemnité provisionnelle aux membres de la famille de la victime qui se sont constitués parties civiles. Il a ainsi été alloué 400000 euros à chacun de ses deux enfants, 120000 euros à son père, à sa mère et à sa sœur ainsi que 30000 euros à son conjoint survivant, dont elle était
séparée, mais non divorcée.
11 Conformément à la réglementation nationale, dès lors que l’auteur de l’homicide n’avait ni patrimoine ni revenu et avait été admis à l’assistance judiciaire gratuite, l’État italien a versé, à chacun des deux enfants uniquement, une indemnité d’un montant de 20000 euros chacun, tandis que le conjoint séparé s’est vu accorder une indemnité d’un montant de 16666,66 euros.
12 Le 1er février 2022, les requérants au principal, à savoir les parents, la sœur et les enfants de la victime, estimant que la loi no 122/2016 avait introduit, en violation de la directive 2004/80, d’importantes limitations quant au paiement d’indemnités aux victimes de la criminalité intentionnelle violente, ont saisi le Tribunale Ordinario di Venezia (tribunal ordinaire de Venise, Italie), qui est la juridiction de renvoi.
13 Leurs demandes visent, après qu’aura été écartée l’application du décret ministériel d’exécution pour illégalité de celui-ci, à fixer les montants à leur verser à titre d’indemnisation, en raison de leur degré de parenté avec la victime de l’homicide, de manière « juste et appropriée », au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80, en tenant compte – sous déduction, en ce qui concerne les enfants de cette victime, du montant qui leur a déjà été versé – de la mesure du préjudice
établie par le jugement condamnant l’auteur de cet homicide, et cela même si le Fonds de solidarité ne dispose pas des ressources financières nécessaires. À titre subsidiaire, ces requérants demandent la condamnation de la présidence du Conseil des ministres, représentant l’État italien, à verser les mêmes sommes à titre d’indemnisation du préjudice subi du fait de la mise en œuvre incorrecte de la directive 2004/80, en particulier, de son article 12.
14 En premier lieu, les requérants au principal font valoir que la limitation établie par l’article 11, paragraphe 2 bis, de la loi no 122/2016, qui prévoit la reconnaissance de l’indemnisation aux parents de la victime uniquement en l’absence d’un conjoint survivant et d’enfants et aux frères et sœurs uniquement en l’absence de personnes appartenant aux catégories précédemment citées, violerait l’obligation d’indemnisation prévue à l’article 12 de la directive 2004/80, en ce qu’elle désigne, parmi
les personnes lésées auxquelles le droit à l’indemnisation est abstraitement reconnu, celles qui doivent être concrètement indemnisées d’une manière arbitraire, sans référence à des critères justes et appropriés au cas d’espèce. En outre, en l’occurrence, l’indemnisation aurait également été octroyée au conjoint survivant de la victime de l’homicide dont il était séparé depuis l’année 2006, près de onze ans avant son décès. Le droit à indemnisation serait ainsi reconnu, alors même que le lien
affectif s’est manifestement affaibli au point d’être quasiment inexistant.
15 En deuxième lieu, les requérants au principal soutiennent que le montant de 20000 euros accordé aux enfants de la victime d’un homicide en application du décret ministériel d’exécution, correspondant à 5 % du montant provisoire accordé par décision judiciaire, ne semble pas conforme à ce qui a été établi par la Cour au point 69 de l’arrêt du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri (C‑129/19, EU:C:2020:566), selon lequel une indemnité forfaitaire accordée au titre d’un régime
national d’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente doit, pour être qualifiée de « juste et appropriée », au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80, représenter une contribution adéquate à la réparation du préjudice matériel et moral subi.
16 En troisième lieu, les requérants au principal estiment que la réglementation nationale est également illégale en ce qu’elle subordonne le versement de l’indemnisation à la condition que l’État ait réservé les fonds permettant d’accorder l’indemnisation, ce qui irait à l’encontre du considérant 10 de la directive 2004/80.
17 Les autorités italiennes soulignent que la fixation du montant de l’indemnisation en ce qui concerne la situation des enfants a été effectuée dans le strict respect des dispositions en vigueur, en tenant compte des moyens de subsistance du conjoint survivant. Elles rappellent également que la Cour, après avoir indiqué, au point 58 de l’arrêt du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri (C‑129/19, EU:C:2020:566), que les États membres disposent d’une large marge d’appréciation
s’agissant de la fixation du montant de l’indemnité visée à l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80, a considéré, aux points 65 et 69 de cet arrêt, que cette disposition ne s’oppose pas à une indemnisation forfaitaire des victimes, mais exige seulement que cette indemnisation soit « juste et appropriée », ce qui implique qu’elle représente une contribution adéquate à la réparation du préjudice matériel et moral subi par la victime.
18 La juridiction de renvoi estime que, afin d’apprécier le bien-fondé de la demande de dommages et intérêts dont elle est saisie, fondée sur la transposition incorrecte de la directive 2004/80, il convient, à titre préalable, de déterminer si la réglementation nationale, telle qu’elle ressort de l’article 11, paragraphes 2 bis, 2 ter et 3, de la loi no 122/2016, est conforme au droit de l’Union.
19 Cette juridiction relève que cette réglementation nationale, qui subordonne, même lorsqu’un jugement définitif établit, en faveur de certains membres de la famille, un droit à la réparation de leurs dommages et son montant, le versement de l’indemnisation, en ce qui concerne les parents de la victime du crime d’homicide, à l’absence de conjoint survivant et d’enfants de cette victime et, en ce qui concerne la sœur ou le frère de la victime, à l’absence du père et de la mère, et pour autant qu’ils
cohabitaient avec la victime et étaient à sa charge au moment où l’infraction a été commise, ignore l’aspect non pécuniaire de la souffrance liée à la perte violente de la victime.
20 Par ailleurs, en ce qui concerne le conjoint survivant et les enfants, ladite juridiction observe que l’ampleur du préjudice subi n’est pas prise en compte. Ainsi, en l’occurrence, aucune importance ne serait accordée au fait que le conjoint survivant était séparé de la victime depuis un certain temps, seule étant prévue une répartition de l’indemnisation sur la base des dispositions en matière de succession, sous la réserve de l’alimentation suffisante du Fonds de solidarité. Il ne serait donc
pas tenu compte, en méconnaissance de l’arrêt du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri (C‑129/19, EU:C:2020:566), de la gravité des conséquences de l’acte pour les victimes. En outre, l’indemnisation en faveur des enfants aurait été fixée à un montant correspondant largement au montant accordé au conjoint survivant, lequel serait sans aucune proportion avec le montant de l’indemnisation provisoire fixé dans le cadre de la procédure pénale et ne tiendrait compte d’aucun des
critères communément appliqués en matière de perte du lien parental, tels que l’âge de la victime, l’âge du survivant, le degré de parenté et de cohabitation, avec la possibilité d’appliquer des corrections au montant final selon la particularité de la situation. Le montant accordé aux enfants en l’espèce ne pourrait donc pas être considéré comme étant « juste et appropri[é] », au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80.
21 Dans ces conditions, le Tribunale Ordinario di Venezia (tribunal ordinaire de Venise) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Eu égard à la disposition de l’article 11, paragraphe 2 bis, de la [loi no 122/2016], qui subordonne le versement de l’indemnité au père et à la mère et à la sœur de la victime d’un homicide à la condition de l’absence de conjoint et d’enfants de la victime, même lorsqu’un jugement définitif établit, en leur faveur également, un droit à la réparation des dommages dont il fixe le montant, qu’il met à charge de l’auteur de l’infraction :
si le fait de subordonner le versement de l’indemnité prévue en faveur du père et de la mère et de la sœur d’une victime de la criminalité intentionnelle violente à l’absence d’enfants et de conjoint de cette dernière (en ce qui concerne le père et la mère) et à l’absence du père et de la mère (dans le cas des frères ou des sœurs), comme le prévoit, dans le cas d’un homicide, l’article 11, paragraphe 2 bis, de la [loi no 122/2016], est conforme aux dispositions de l’article 12, paragraphe 2,
de la directive 2004/80 ainsi qu’aux articles 20 (égalité) et 21 (non-discrimination), à l’article 33, paragraphe 1 (protection de la famille), et à l’article 47 (droit à un recours effectif et à un procès équitable) de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi qu’à l’article 1er du protocole no 12 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[, signée à Rome le 4 novembre 1950] (non-discrimination) ;
2) Eu égard à la limitation du versement de l’indemnité :
si une indemnité au versement de laquelle s’attache la réserve énoncée à l’article 11, paragraphe 3, de la [loi no 122/2016], consistant en la formule “dans les limites des fonds dont dispose [le Fonds de solidarité]”, sans aucune disposition imposant à l’État italien de réserver des sommes concrètement suffisantes pour permettre l’indemnisation, même déterminées sur une base statistique et qui s’avèrent en tout état de cause concrètement suffisantes pour permettre l’indemnisation des ayants
droit dans un délai raisonnable, peut être considérée comme une “indemnisation juste et appropriée des victimes” s’agissant de transposer l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80 ».
Sur la compétence de la Cour et la recevabilité des questions
22 Le gouvernement italien s’interroge sur la compétence de la Cour et la recevabilité des questions préjudicielles, au motif que le litige au principal concernerait une situation qui ne relève pas du champ d’application de la directive 2004/80. En effet, la juridiction de renvoi n’aurait pas examiné la qualité de « victimes », au sens de la directive 2004/80, des requérants au principal. Or, dans le contexte de cette directive, la notion de « victimes » devrait être entendue comme désignant
uniquement la personne directement lésée par la criminalité intentionnelle violente. Dès lors, la réglementation nationale en cause au principal, dans la mesure où elle étend la notion de « victimes » à certains membres de la famille proches de la victime d’un homicide, relèverait de la seule compétence des États membres.
23 Par ailleurs, le gouvernement italien et la Commission européenne considèrent que la seconde question est irrecevable. En effet, la décision de renvoi ne contiendrait aucun élément permettant de déterminer si la condition relative à la capacité financière du Fonds de solidarité prévue par le droit national a exercé une incidence sur la détermination des montants d’indemnisation fixés forfaitairement par celui-ci. En outre, si la juridiction de renvoi estime que le montant de l’indemnisation
accordée, en l’occurrence, aux enfants de la victime de l’homicide est insuffisant, elle n’aurait fourni aucun élément à l’appui de cette appréciation ni demandé à la Cour de se prononcer sur ce point.
24 En ce qui concerne, en premier lieu, la compétence de la Cour pour répondre aux questions préjudicielles, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 267 TFUE, la Cour est compétente pour interpréter les actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union.
25 Dans ces conditions, dès lors que les deux questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi portent sur l’interprétation de la directive 2004/80, en particulier, de l’article 12, paragraphe 2, de celle-ci, la Cour est compétente pour répondre à ces questions.
26 En ce qui concerne, en second lieu, la recevabilité de ces questions, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est
possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 11 avril 2024, Sozialministeriumservice, C‑116/23, EU:C:2024:292, point 29 et jurisprudence citée).
27 S’agissant de la première question, il suffit de constater que la question de savoir si, dans le cas d’homicide, la notion de « victimes », au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80, doit être susceptible d’inclure les membres de la famille proches de la personne décédée du fait de la criminalité intentionnelle violente relève du fond de la question posée et non de la recevabilité de celle-ci.
28 S’agissant de la seconde question, il y a lieu de rappeler que, par celle-ci, la juridiction de renvoi vise, en substance, à savoir si l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre prévoyant que l’indemnité accordée par ce dernier à la victime de la criminalité intentionnelle violente est versée à celle-ci dans les limites d’un plafond résultant du budget alloué par cet État membre à un fonds spécial établi
à cet effet.
29 Or, il convient de constater qu’il ne ressort ni de la décision de renvoi ni des observations soumises à la Cour que ce plafond aurait exercé une quelconque incidence sur le montant des indemnités accordées, dans l’affaire au principal, par l’État italien. En outre, si, comme il ressort du point 20 du présent arrêt, la juridiction de renvoi a indiqué, dans cette décision, que le montant de l’indemnité accordée, en l’occurrence, aux enfants de la personne décédée n’est pas, selon elle, suffisant
pour constituer une indemnité « juste et appropriée », au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80, elle n’a adressé à la Cour, ainsi que la Commission l’a observé à juste titre, aucune question préjudicielle à cet égard. De surcroît, cette juridiction n’a fourni aucun élément de droit national permettant de comprendre davantage les modalités de fonctionnement du fonds spécial prévu par celui-ci.
30 Dans ces conditions, il convient de considérer que la seconde question est hypothétique et, partant, irrecevable.
31 Il convient, dès lors, de répondre uniquement à la première question.
Sur la première question
32 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui prévoit un régime d’indemnisation de la criminalité intentionnelle violente subordonnant, dans le cas d’homicide, le droit à l’indemnisation des parents de la personne décédée à l’absence de conjoint survivant et d’enfants de cette dernière et celui des frères et sœurs de celle-ci à
l’absence desdits parents.
33 Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80, tous les États membres sont tenus de veiller à ce que leurs dispositions nationales prévoient l’existence d’un régime d’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente commise sur leurs territoires respectifs qui garantisse une indemnisation juste et appropriée de ces victimes.
34 Ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri (C‑129/19, EU:C:2020:566, points 41 à 45 et 52), cette disposition impose donc à chaque État membre l’obligation de se doter d’un régime d’indemnisation des victimes de toute infraction relevant de la criminalité intentionnelle violente commise sur son territoire, que ces victimes se trouvent ou non dans une situation transfrontalière, et cela, afin que les États membres puissent se conformer à leurs
obligations relatives à l’accès à l’indemnisation dans cette dernière situation, telles qu’elles découlent de cette directive, dans la mesure où, aux termes de l’article 12, paragraphe 1, de celle-ci, les dispositions relatives à l’accès à l’indemnisation dans une situation transfrontalière « fonctionnent sur la base des régimes en vigueur dans les États membres pour l’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente commise sur leurs territoires respectifs ».
35 En vue de répondre à la question posée, il convient, tout d’abord, de déterminer si, dans le cas d’homicide, les « victimes » de la criminalité intentionnelle violente au bénéfice desquelles les États membres doivent instituer, en vertu de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80, un régime national d’indemnisation, incluent, outre la personne décédée du fait de cette criminalité, les membres de la famille proches de celle-ci, tels que ses parents ainsi que ses frères et sœurs, puis,
dans l’affirmative, si un régime national d’indemnisation « en cascade » selon l’ordre de dévolution successorale, tel que celui visé au point 32 du présent arrêt, peut être considéré comme garantissant à ces victimes une indemnité « juste et appropriée », au sens de cette disposition.
36 En ce qui concerne, en premier lieu, la notion de « victimes », au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80, ni cette disposition ni cette directive ne comportant de définition de cette notion et ladite disposition n’opérant aucun renvoi aux droits nationaux en ce qui concerne la signification à retenir de celle-ci, ladite notion, qui vise à déterminer les personnes bénéficiaires des régimes nationaux d’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle, doit être
considérée comme une notion autonome du droit de l’Union, qui doit être interprétée de manière uniforme sur le territoire de cette dernière conformément au sens habituel du terme en question dans le langage courant, en tenant compte des objectifs poursuivis par la réglementation dont il fait partie et du contexte dans lequel il est utilisé (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2023, KRI, C‑323/22, EU:C:2023:641, point 46 et jurisprudence citée).
37 S’agissant, premièrement, du sens habituel du terme « victimes » dans le langage courant, il y a lieu de constater que celui-ci peut se comprendre comme visant tant les personnes ayant, elles-mêmes, été soumises à la criminalité intentionnelle violente, en leur qualité de victimes directes, que les membres de la famille proches de celles-ci lorsqu’ils subissent, par ricochet, les conséquences de cette criminalité, en leur qualité de victimes indirectes.
38 S’agissant, deuxièmement, de l’objectif poursuivi par l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80, il convient de rappeler que cette disposition vise à garantir au citoyen de l’Union le droit à une indemnisation juste et appropriée pour les préjudices qu’il subit sur le territoire de l’État membre où il se trouve, en imposant à chaque État membre de se doter d’un régime d’indemnisation des victimes pour toute infraction relevant de la criminalité intentionnelle violente commise sur son
territoire (voir, en ce sens, arrêt du 11 octobre 2016, Commission/Italie, C‑601/14, EU:C:2016:759, point 45).
39 Si les États membres disposent, en principe, de la compétence pour préciser la portée de la notion de criminalité intentionnelle violente dans leur droit interne, cette compétence ne les autorise toutefois pas à limiter, sous peine de priver l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80 de son effet utile, le champ d’application du régime d’indemnisation des victimes, dont les États membres doivent se doter conformément à cette directive, à certaines seulement des infractions relevant de
cette notion (voir, en ce sens, arrêt du 11 octobre 2016, Commission/Italie, C‑601/14, EU:C:2016:759, point 46).
40 Or, il y a lieu de constater que, si la notion de « victimes », au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80, devait être interprétée, comme le soutient le gouvernement italien, comme incluant exclusivement dans le champ d’application ratione personae de cette disposition les victimes directes de la criminalité intentionnelle violente, les infractions relevant de cette criminalité ayant conduit au décès de la personne ayant été soumise à celle-ci ne relèveraient pas du champ
d’application ratione materiae de ladite disposition, en méconnaissance de son objectif.
41 En effet, selon l’interprétation de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80 préconisée par le gouvernement italien, dans le cas d’homicide, l’État membre concerné ne serait tenu de verser aucune indemnité au titre du régime national d’indemnisation que cette disposition lui impose d’instaurer, puisque, dans un tel cas, la seule « victime » de la criminalité intentionnelle violente étant décédée, aucune autre personne, telle que, notamment, le conjoint survivant ou les enfants, ne
devrait, par principe, être indemnisée en cette même qualité.
42 Une telle interprétation aboutirait à priver l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80 de l’essentiel de son effet utile, dès lors qu’elle imposerait aux États membres l’instauration d’un régime national d’indemnisation de la criminalité intentionnelle violente uniquement lorsque la personne ayant été soumise à cette criminalité survit à ses blessures, mais non lorsque cette personne décède du fait de celles-ci.
43 À cet égard, il convient d’ailleurs de relever que la proposition de directive du Conseil relative à l’indemnisation des victimes de la criminalité [COM(2002) 562 final] (JO 2003, C 45 E, p. 69), laquelle visait non seulement à faciliter l’accès à l’indemnisation dans des situations où l’infraction a été commise dans un autre État membre que celui où réside la victime, mais également à établir des normes minimales en matière d’indemnisation des victimes de la criminalité, prévoyait explicitement,
à l’article 2, paragraphe 1, sous b), figurant dans la partie de la directive établissant ces normes minimales, l’obligation pour les États membres d’indemniser les « proches parents » ainsi que les « personnes à charge » des victimes décédées des suites de leurs blessures.
44 Si une telle précision ne figure, certes, pas dans la directive 2004/80, il ressort, toutefois, des travaux préparatoires de cette directive, en particulier de la proposition de compromis présentée par la présidence du Conseil le 26 mars 2004 (document 7752/04), que cela est dû au seul fait que le législateur de l’Union n’a pas suivi la proposition relative à ce second objectif, consistant à établir des normes minimales en matière d’indemnisation des victimes de la criminalité. Cette circonstance
ne signifie donc aucunement que le législateur de l’Union aurait souhaité exclure complètement du champ d’application ratione personae de cette directive les membres de la famille proches de la personne décédée en raison d’un acte relevant de la criminalité intentionnelle violente et priver, de ce fait, de toute protection des personnes pourtant atteintes par un tel acte.
45 Cette interprétation est corroborée, troisièmement, par le contexte dans lequel s’inscrit l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80.
46 En effet, il convient de relever que la directive 2012/29, qui concerne, notamment, la protection des victimes de la criminalité, définit la notion de « victimes », à son article 2, paragraphe 1, sous a), comme incluant, outre les personnes ayant, elles-mêmes, directement subi un préjudice causé par une infraction pénale, les membres de la famille d’une personne dont le décès résulte directement d’une telle infraction pénale et qui ont subi un préjudice du fait du décès de cette personne, la
notion de « membres de la famille » visant, pour sa part, conformément au paragraphe 1, sous b), de cet article 2, le conjoint, la personne qui est engagée dans une relation intime, stable et continue avec la victime et vit en ménage avec elle, les parents en ligne directe, les frères et sœurs ainsi que les personnes qui sont à la charge de la victime.
47 Selon les travaux préparatoires relatifs à la directive 2012/29, tels qu’ils ressortent de l’exposé des motifs concernant la proposition du Parlement européen et du Conseil, établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité [COM(2011) 275 final, p. 7], cette définition de la notion de « victimes » se justifie par la considération que les membres de la famille subissent aussi un préjudice du fait de l’infraction commise et, en cas de
décès de la victime, sont souvent considérés comme des représentants de celle-ci.
48 Or, il convient de considérer que la définition de la notion de « victimes » énoncée à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2012/29 éclaire la portée de cette même notion, telle qu’elle figure à l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80. En effet, ainsi que la Commission l’a souligné à la page 3 de l’exposé des motifs cité au point précédent, la directive 2012/29 a vocation à définir le « cadre horizontal permettant de répondre aux besoins de l’ensemble des victimes de la
criminalité ». Dans la mesure où les directives 2004/80 et 2012/29 portent sur la protection des victimes de la criminalité, elles ont ainsi, comme il ressort du considérant 5 de la directive 2004/80, des champs d’application qui se chevauchent.
49 Lors de l’audience, le gouvernement italien a cependant fait valoir que ce considérant 5 renvoie non pas à la directive 2012/29, laquelle a été adoptée postérieurement à la directive 2004/80, mais à la décision-cadre 2001/220, qui, si elle a été remplacée par la directive 2012/29, était l’acte en vigueur lors de l’adoption de la directive 2004/80. Or, l’article 1er, sous a), de cette décision-cadre définirait la notion de « victime » comme visant les seules victimes directes d’une infraction
pénale. Dès lors que la directive 2012/29 a été adoptée sur le fondement de l’article 82, paragraphe 2, TFUE selon la procédure législative ordinaire à la majorité qualifiée, elle ne saurait avoir pour effet de modifier la directive 2004/80, laquelle a été adoptée sur le fondement de l’article 352 TFUE selon la règle de l’unanimité. Le renvoi effectué par le considérant 5 de la directive 2004/80 à la décision-cadre 2001/220 devrait donc être considéré comme excluant la prise en compte des
développements législatifs ultérieurs ayant affecté celle-ci.
50 Or, d’une part, il y a lieu d’observer que cette argumentation se fonde sur la prémisse erronée selon laquelle la définition de la notion de « victime » figurant à l’article 1er, sous a), de la décision-cadre 2001/220 excluait déjà nécessairement les victimes indirectes d’une infraction pénale. En effet, si, certes, cette disposition exigeait, pour qu’une personne soit considérée comme ayant la qualité de « victime » d’une infraction pénale, que le préjudice subi par cette personne soit causé
directement par une telle infraction, elle n’exigeait nullement que ladite personne subisse, elle-même, directement cette infraction.
51 D’autre part, ainsi que M. l’avocat général l’a indiqué au point 40 de ses conclusions, ladite argumentation, en tant qu’elle est tirée de la base juridique de la directive 2012/29, est sans pertinence, dès lors que, comme il a été relevé au point 48 du présent arrêt, cette directive a vocation à fixer le cadre général du droit de l’Union applicable aux victimes de la criminalité.
52 Dans cette mesure, la définition de la notion de « victime » figurant à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2012/29 doit être comprise comme ayant pour seul objet de clarifier la portée de celle qui figurait à l’article 1er, sous a), de la décision-cadre 2001/220, à laquelle renvoyait la directive 2004/80. Cette définition ne modifie donc pas la portée de la notion de « victime », telle qu’elle figure à l’article 12, paragraphe 2, de cette directive.
53 L’interprétation qui ressort des points 38 à 48 du présent arrêt ne saurait non plus être remise en cause, contrairement à ce que fait valoir le gouvernement italien, par l’article 17 de la directive 2004/80, selon lequel les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables non seulement pour les « victimes » d’infractions, mais également pour « toute autre personne affectée » par ces infractions. En effet, cette dernière catégorie ne saurait être comprise comme se
confondant nécessairement avec les membres de la famille proches de la personne décédée du fait d’un acte relevant de la criminalité intentionnelle violente, puisque ceux-ci sont précisément susceptibles d’avoir, eux-mêmes, la qualité de « victimes » couvertes par cette directive.
54 L’article 17 de la directive 2004/80, qui fait partie du chapitre III de cette directive relatif aux dispositions d’application, permet ainsi aux États membres, lorsqu’ils mettent en œuvre leur régime national d’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente, d’étendre la catégorie des bénéficiaires de ce régime à des personnes autres que les « victimes », au sens de l’article 12, paragraphe 2, de cette directive.
55 Il convient, dès lors, de considérer que la notion de « victimes », au sens de cette disposition, au bénéfice desquelles les États membres doivent instituer, en vertu de ladite disposition, un régime national d’indemnisation, doit être comprise comme étant susceptible d’inclure des victimes indirectes d’un acte relevant de la criminalité intentionnelle violente, telles que les membres de la famille proches de la personne décédée du fait de cette criminalité, lorsqu’elles subissent, par ricochet,
les conséquences de celle-ci.
56 Dans ces conditions, il convient, en second lieu, d’examiner si une réglementation nationale qui, dans le cas d’homicide, subordonne le droit à l’indemnisation des parents de la personne décédée du fait d’un acte relevant de la criminalité intentionnelle violente à l’absence de conjoint survivant et d’enfants de cette dernière et celui des frères et sœurs de cette victime à l’absence desdits parents peut être considérée comme garantissant à ces victimes une indemnité « juste et appropriée », au
sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80.
57 À cet égard, il convient de rappeler que, compte tenu, d’une part, de la marge d’appréciation reconnue aux États membres par cette disposition en ce qui concerne tant le caractère « juste et approprié » du montant de l’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente que les modalités de détermination d’une telle indemnisation et, d’autre part, de la nécessité d’assurer la viabilité financière des régimes nationaux d’indemnisation, l’indemnisation visée à ladite disposition ne
doit pas nécessairement correspondre aux dommages et intérêts susceptibles d’être octroyés, à charge de l’auteur d’une infraction relevant de la criminalité intentionnelle violente, à la victime de cette infraction. Par conséquent, cette indemnisation ne doit pas forcément assurer une réparation complète du dommage matériel et moral subi par cette victime (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri, C‑129/19, EU:C:2020:566, points 58 à 60).
58 Dans ce contexte, il appartient, en définitive, au juge national d’assurer, au regard des dispositions nationales ayant institué le régime d’indemnisation concerné, que la somme allouée à une victime de la criminalité intentionnelle violente en vertu de ce régime constitue « une indemnisation juste et appropriée », au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80 (arrêt du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri, C‑129/19, EU:C:2020:566, point 61).
59 Toutefois, un État membre irait au-delà de la marge d’appréciation accordée par cette disposition si ses dispositions nationales prévoyaient une indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente purement symbolique ou manifestement insuffisante au regard de la gravité des conséquences, pour ces victimes, de l’infraction commise (arrêt du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri, C‑129/19, EU:C:2020:566, point 63).
60 En effet, dès lors que l’indemnisation octroyée à de telles victimes représente une contribution à la réparation du préjudice matériel et moral subi par celles‑ci, une telle contribution ne peut être considérée comme étant « juste et appropriée » que si elle compense, dans une mesure adéquate, les souffrances auxquelles elles ont été exposées (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri, C‑129/19, EU:C:2020:566, point 64).
61 Par conséquent, si cette contribution peut résulter d’un régime national prévoyant une indemnisation forfaitaire des victimes de la criminalité intentionnelle violente susceptible de varier en fonction de la nature des violences subies, le barème des indemnités doit néanmoins être suffisamment détaillé, de manière à éviter que l’indemnisation forfaitaire prévue pour un type de violence déterminé puisse s’avérer, au regard des circonstances d’un cas particulier, manifestement insuffisante (voir,
en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri, C‑129/19, EU:C:2020:566, points 65 et 66).
62 Dès lors, une indemnité forfaitaire accordée au titre d’un régime national d’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente doit, pour être qualifiée de « juste et appropriée », au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80, être fixée en tenant compte de la gravité des conséquences, pour les victimes, de l’infraction commise et, partant, représenter une contribution adéquate à la réparation du préjudice matériel et moral subi (voir, en ce sens, arrêt du
16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri, C‑129/19, EU:C:2020:566, point 69).
63 Compte tenu de ces considérations, il convient de constater que les États membres peuvent, dans l’exercice de la marge d’appréciation dont ils disposent, décider, à l’instar de la République italienne dans la présente affaire, d’instaurer un régime national d’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente qui limite le bénéfice de ce régime aux membres de la famille proches de la personne décédée, tout en donnant, par ailleurs, priorité à certains de ces membres, tels que le
conjoint survivant et les enfants, sur d’autres membres de cette famille, tels que les parents ainsi que les frères et sœurs.
64 Une telle approche « en cascade » correspond, du reste, à celle explicitement visée à l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2012/29, lequel permet aux États membres de mettre en place des procédures visant à limiter le nombre de membres de la famille susceptibles de bénéficier des droits énoncés dans cette directive en tenant compte des particularités de chaque cas.
65 Toutefois, un régime national d’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente ne saurait, en application de la logique de la dévolution successorale, exclure de manière automatique certains membres de la famille du bénéfice de toute indemnisation du seul fait de la présence d’autres membres de la famille, sans que puissent être prises en compte d’autres considérations que cet ordre de dévolution, telles que, notamment, les conséquences matérielles résultant, pour ces
membres de la famille, du décès par homicide de la personne concernée ou le fait que lesdits membres étaient à la charge de la personne décédée ou cohabitaient avec elle. Un tel régime national d’indemnisation ne tient, en effet, pas compte, en méconnaissance des exigences rappelées aux points 60 et 62 du présent arrêt, de la souffrance et de la gravité des conséquences de l’infraction pour ceux-ci et, partant, ne contribue pas de manière adéquate à la réparation de leur préjudice matériel et
moral.
66 En particulier, le fait de priver, par principe, certains membres de la famille de toute indemnité doit être considéré comme inconciliable avec de telles exigences lorsque, comme dans l’affaire au principal, une juridiction pénale a accordé à ces membres de la famille des dommages et intérêts, au demeurant non négligeables, pour le préjudice subi en raison du décès de la personne ayant été soumise à la criminalité intentionnelle violente, mais que l’auteur de l’infraction n’est pas en mesure, en
raison de son insolvabilité, de payer lui-même ces dommages et intérêts.
67 Il s’ensuit que, ainsi que M. l’avocat général l’a indiqué au point 47 de ses conclusions, un régime national d’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente, tel que celui en cause au principal, dans lequel sont évincées des victimes sans aucune considération pour l’étendue de leurs préjudices, en raison d’un ordre de priorité prédéfini entre les différentes victimes qui ont vocation à être indemnisées, et fondé uniquement sur la nature des liens familiaux, desquels sont
tirées de simples présomptions quant à l’existence ou à l’importance des préjudices, ne peut aboutir à une « indemnisation juste et appropriée », au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80.
68 En conséquence, il convient de répondre à la première question posée que l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui prévoit un régime d’indemnisation de la criminalité intentionnelle violente subordonnant, dans le cas d’homicide, le droit à l’indemnisation des parents de la personne décédée à l’absence de conjoint survivant et d’enfants de cette dernière et celui des frères et sœurs de celle-ci à
l’absence desdits parents.
Sur les dépens
69 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80/CE du Conseil, du 29 avril 2004, relative à l’indemnisation des victimes de la criminalité,
doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui prévoit un régime d’indemnisation de la criminalité intentionnelle violente subordonnant, dans le cas d’homicide, le droit à l’indemnisation des parents de la personne décédée à l’absence de conjoint survivant et d’enfants de cette dernière et celui des frères et sœurs de celle-ci à l’absence desdits parents.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.
( 1 ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.