ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)
24 octobre 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 2008/104/CE – Travail intérimaire – Article 3, paragraphe 1 – Entreprise de travail intérimaire – Entreprise utilisatrice – Notions – Mise à disposition d’une travailleuse – Contrat de prestation de services – Article 5, paragraphe 1 – Principe d’égalité de traitement – Directive 2006/54/CE – Article 15 – Congé de maternité – Licenciement nul ou abusif – Condamnation solidaire des entreprises de travail intérimaire et utilisatrice »
Dans l’affaire C‑441/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Superior de Justicia de Madrid (Cour supérieure de justice de Madrid, Espagne), par décision du 7 juin 2023, parvenue à la Cour le 12 juillet 2023, dans la procédure
LM
contre
Omnitel Comunicaciones SL,
Microsoft Ibérica SRL,
Fondo de Garantía Salarial (Fogasa),
Indi Marketers SL,
Leadmarket SL,
en présence de :
Fiscalía de la Comunidad de Madrid,
LA COUR (septième chambre),
composée de M. F. Biltgen (rapporteur), président de la première chambre, faisant fonction de président de la septième chambre, Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de la cinquième chambre, et M. J. Passer, juge,
avocat général : M. A. Rantos,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour LM, par Me D. J. Álvarez de Blas, abogado,
– pour Microsoft Ibérica SRL, par Me C. A. Hurtado Domínguez, abogado,
– pour le gouvernement espagnol, par Mme M. Morales Puerta, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par Mmes I. Galindo Martín, D. Recchia et E. Schmidt, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/104/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative au travail intérimaire (JO 2008, L 327, p. 9), ainsi que de l’article 2, paragraphe 2, et de l’article 15 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de
traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (JO 2006, L 204, p. 23).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant LM à Omnitel Comunicaciones SL, à Microsoft Ibérica SRL (ci-après « Microsoft »), à Fondo de Garantía Salarial (Fogasa), à Indi Marketers SL et à Leadmarket SL au sujet de la demande d’annulation de la décision de licenciement de LM et d’indemnisation des dommages en résultant.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2008/104
3 Les considérants 12 et 23 de la directive 2008/104 disposent :
« (12) La présente directive établit un cadre protecteur pour les travailleurs intérimaires qui est non discriminatoire, transparent et proportionné, tout en respectant la diversité des marchés du travail et des relations entre les partenaires sociaux.
[...]
(23) Étant donné que l’objectif de la présente directive, à savoir établir un cadre de protection pour les travailleurs intérimaires harmonisé au niveau communautaire, ne peut pas être réalisé de manière suffisante par les États membres et peut donc, en raison de la dimension et des effets de l’action envisagée, être mieux réalisé au niveau communautaire, par le biais de l’introduction de prescriptions minimales applicables dans l’ensemble de la Communauté, la Communauté peut prendre des mesures
conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 du traité. Conformément au principe de proportionnalité, tel qu’énoncé audit article, la présente directive n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ».
4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Champ d’application », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. La présente directive s’applique aux travailleurs ayant un contrat de travail ou une relation de travail avec une entreprise de travail intérimaire et qui sont mis à la disposition d’entreprises utilisatrices afin de travailler de manière temporaire sous leur contrôle et leur direction.
2. La présente directive est applicable aux entreprises publiques et privées qui sont des entreprises de travail intérimaire ou des entreprises utilisatrices exerçant une activité économique, qu’elles poursuivent ou non un but lucratif. »
5 Aux termes de l’article 2 de ladite directive, intitulé « Objet » :
« La présente directive a pour objet d’assurer la protection des travailleurs intérimaires et d’améliorer la qualité du travail intérimaire en assurant le respect du principe de l’égalité de traitement, tel qu’il est énoncé à l’article 5, à l’égard des travailleurs intérimaires et en reconnaissant les entreprises de travail intérimaire comme des employeurs, tout en tenant compte de la nécessité d’établir un cadre approprié d’utilisation du travail intérimaire en vue de contribuer efficacement à la
création d’emplois et au développement de formes souples de travail. »
6 L’article 3 de la même directive, intitulé « Définitions », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
a) “travailleur” : toute personne qui, dans l’État membre concerné, est protégée en tant que travailleur dans le cadre de la législation nationale sur l’emploi ;
b) “entreprise de travail intérimaire” : toute personne physique ou morale qui, conformément au droit national, conclut des contrats de travail ou noue des relations de travail avec des travailleurs intérimaires en vue de les mettre à la disposition d’entreprises utilisatrices pour y travailler de manière temporaire sous le contrôle et la direction desdites entreprises ;
c) “travailleur intérimaire” : un travailleur ayant un contrat de travail ou une relation de travail avec une entreprise de travail intérimaire dans le but d’être mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice en vue d’y travailler de manière temporaire sous le contrôle et la direction de ladite entreprise ;
d) “entreprise utilisatrice” : toute personne physique ou morale pour laquelle et sous le contrôle et la direction de laquelle un travailleur intérimaire travaille de manière temporaire ;
e) “mission”: la période pendant laquelle le travailleur intérimaire est mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice en vue d’y travailler de manière temporaire sous le contrôle et la direction de ladite entreprise ;
f) “conditions essentielles de travail et d’emploi” : les conditions de travail et d’emploi établies par la législation, la réglementation, les dispositions administratives, les conventions collectives et/ou toute autre disposition générale et contraignante, en vigueur dans l’entreprise utilisatrice, relatives :
i) à la durée du travail, aux heures supplémentaires, aux temps de pause, aux périodes de repos, au travail de nuit, aux congés, aux jours fériés ;
ii) à la rémunération. »
7 L’article 5 de la directive 2008/104, intitulé « Principe d’égalité de traitement », dispose, à son paragraphe 1 :
« Pendant la durée de leur mission auprès d’une entreprise utilisatrice, les conditions essentielles de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires sont au moins celles qui leur seraient applicables s’ils étaient recrutés directement par ladite entreprise pour y occuper le même poste.
Aux fins de l’application du premier alinéa, les règles en vigueur dans l’entreprise utilisatrice concernant :
a) la protection des femmes enceintes et des mères en période d’allaitement et la protection des enfants et des jeunes ; ainsi que
b) l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes et toute action visant à combattre les discriminations fondées sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ;
doivent être respectées, telles qu’elles sont établies par la législation, la réglementation, les dispositions administratives, les conventions collectives ou toute autre disposition de portée générale. »
8 L’article 9 de cette directive, intitulé « Exigences minimales », énonce, à son paragraphe 2 :
« La mise en œuvre de la présente directive ne constitue en aucun cas un motif suffisant pour justifier une réduction du niveau général de protection des travailleurs dans les domaines couverts par la présente directive. Les mesures prises pour la mise en œuvre de la présente directive sont sans préjudice des droits des États membres et/ou des partenaires sociaux d’arrêter, eu égard à l’évolution de la situation, des dispositions législatives, réglementaires ou contractuelles différentes de celles
qui existent au moment de l’adoption de la présente directive, pour autant que les exigences minimales prévues par la présente directive soient respectées. »
La directive 2006/54
9 Aux termes de l’article 2 de la directive 2006/54, intitulé « Définitions » :
« 1. Aux fins de la présente directive, on entend par :
a) “discrimination directe” : la situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable en raison de son sexe qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable ;
[...]
2. Aux fins de la présente directive, la discrimination inclut :
[...]
c) tout traitement moins favorable d’une femme lié à la grossesse ou au congé de maternité au sens de la [directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l’article 16 paragraphe 1 de la directive 89/391/CEE) (JO 1992, L 348, p. 1)]. »
10 L’article 14 de la directive 2006/54, intitulé « Interdiction de toute discrimination », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est proscrite dans les secteurs public ou privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne :
[...]
c) les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement ainsi que la rémunération, comme le prévoit l’article [157 TFUE] ;
[...] »
11 L’article 15 de ladite directive, intitulé « Retour de congé de maternité », dispose :
« Une femme en congé de maternité a le droit, au terme de ce congé, de retrouver son emploi ou un emploi équivalent à des conditions qui ne lui soient pas moins favorables et de bénéficier de toute amélioration des conditions de travail à laquelle elle aurait eu droit durant son absence. »
Le droit espagnol
La loi sur le statut des travailleurs
12 L’article 43 du Real Decreto Legislativo 2/2015, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Estatuto de los Trabajadores (décret royal législatif 2/2015, portant adoption du texte consolidé de la loi relative au statut des travailleurs), du 23 octobre 2015 (BOE no 255, du 24 octobre 2015) (ci-après la « loi sur le statut des travailleurs »), intitulé « Mise à disposition de main-d’œuvre », prévoit :
« 1. L’embauche de travailleurs pour les céder temporairement à une autre entreprise ne peut être effectuée que par des entreprises de travail intérimaire dûment autorisées, selon les modalités prévues par la loi.
[...] »
13 Aux termes de l’article 55, paragraphe 6, de la loi sur le statut des travailleurs :
« Le licenciement déclaré nul entraîne la réintégration immédiate du travailleur et le paiement des salaires non perçus. »
La loi 14/1994
14 La Ley 14/1994, por la que se regulan las empresas de trabajo temporal (loi 14/1994 sur les entreprises de travail intérimaire), du 1er juin 1994 (BOE no 131, du 2 juin 1994, p. 17408), dans sa version modifiée par la Ley 35/2010, de medidas urgentes para la reforma del mercado de trabajo (loi 35/2010, sur les mesures urgentes pour la réforme du marché de travail), du 17 septembre 2010 (BOE no 227, du 18 septembre 2010, p. 79278) (ci-après la « loi 14/1994 »), transpose en droit espagnol la
directive 2008/104.
15 L’article 1er de cette loi prévoit :
« Est dénommée entreprise de travail intérimaire une entreprise dont l’activité consiste à mettre à la disposition d’une autre entreprise utilisatrice, à titre temporaire, des travailleurs qu’elle emploie. Le recrutement de travailleurs pour les céder temporairement à une autre entreprise ne peut être effectué que par des entreprises de travail intérimaire dûment autorisées, dans les conditions prévues par la présente loi. »
16 L’article 2 de ladite loi, intitulé « Autorisation administrative », prévoit, à son paragraphe 1, sous a) :
« Les personnes physiques ou morales qui ont l’intention d’exercer l’activité visée à l’article précédent doivent obtenir une autorisation administrative préalable, en justifiant auprès de l’autorité administrative compétente que les conditions suivantes sont remplies :
a) disposer d’une structure organisationnelle lui permettant de s’acquitter des obligations qu’il assume en tant qu’employeur au regard de l’objet social.
[...] »
17 L’article 12 de la même loi, intitulé « Obligations de l’entreprise », énonce, à son paragraphe 1 :
« Il incombe à l’entreprise de travail intérimaire de respecter les obligations salariales et de sécurité sociale à l’égard des travailleurs recrutés pour être mis à la disposition de l’entreprise utilisatrice.
[...] »
18 L’article 15 de la loi 14/1994, intitulé « Direction et contrôle de l’activité professionnelle », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Lorsque des travailleurs exercent des tâches dans le cadre de l’entreprise utilisatrice, conformément aux dispositions de la présente loi, les pouvoirs de direction et de contrôle de l’activité de travail sont exercés par celle-ci pendant la durée de la prestation de services dans son domaine. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
19 Après avoir accompli un stage professionnel au sein de Microsoft pendant la période allant du mois de septembre 2010 au mois de juin 2011, LM a conclu, entre le 24 août 2011 et le 1er août 2017, des contrats de travail successifs avec trois autres entreprises, à savoir Omnitel Comunicaciones, Indi Marketers et Leadmarket. Ces trois entreprises avaient quant à elles conclu successivement des contrats de prestations de services avec Microsoft, dans le cadre desquels LM était chargée d’exécuter les
prestations contractuellement convenues. En vertu du contrat de travail qui avait été conclu le 1er août 2017 entre Leadmarket et LM, cette dernière a été employée en tant que consultante commerciale pour le département d’Original Equipment Manufacturer (OEM) de Microsoft et effectuait des prestations de marketing pour cette dernière société qui n’étaient assurées par aucun de ses salariés.
20 Alors que LM était enceinte, Microsoft, invoquant des motifs budgétaires, a informé Leadmarket que le contrat de prestation de services entre leurs deux entreprises prendrait fin le 30 septembre 2020 et ne serait pas prolongé.
21 À partir du 22 septembre 2020, LM a été frappée d’une incapacité de travail temporaire, puis, ayant accouché le 8 décembre 2020, a bénéficié d’un congé de maternité, lequel a été immédiatement suivi d’un congé parental et de congés annuels. À la date de reprise du travail, soit le 29 avril 2021, LM a reçu une lettre de Leadmarket l’informant de la résiliation de son contrat de travail avec effet au 27 avril 2021. L’employeur invoquait des raisons objectives à ce licenciement, fondées sur une
diminution de la demande due à l’abandon de certains des projets qui étaient prévus.
22 LM a formé un recours devant le Juzgado de lo Social no 39 de Madrid (tribunal du travail no 39 de Madrid, Espagne) tendant à faire prononcer la nullité de son licenciement, voire son caractère abusif, et à obtenir la condamnation solidaire de Leadmarket et de Microsoft aux conséquences qui en découlent.
23 Par un jugement du 30 novembre 2021, le Juzgado de lo Social no 39 de Madrid (tribunal du travail no 39 de Madrid) a mis Microsoft hors de cause, estimant que LM n’avait pas été mise à la disposition de cette société par Leadmarket. Il a, pour ce faire, relevé que Leadmarket, et non Microsoft, organisait le temps et les horaires de travail de LM, lui versait son salaire, lui a dispensé une formation, a autorisé ses congés et organisé son congé de maternité. Il a ensuite considéré que le
licenciement de LM par Leadmarket était illégal et a prononcé sa nullité. Il a toutefois refusé de faire droit à la demande de condamnation au paiement de dommages et intérêts en raison d’une discrimination liée à la maternité, au motif que la cause réelle du licenciement reposait exclusivement sur des motifs budgétaires, quand bien même le licenciement avait eu lieu au cours d’une période de congés annuels consécutive à une période de congés de maternité et de congés parental pour la garde d’un
mineur. Il a néanmoins condamné Leadmarket à verser à LM les salaires qui ne lui avaient pas été payés ainsi qu’une indemnité compensatrice pour congé non pris.
24 LM a interjeté appel de ce jugement devant le Tribunal Superior de Justicia de Madrid (Cour supérieure de justice de Madrid, Espagne), la juridiction de renvoi, en faisant valoir que sa situation en tant que salariée de Leadmarket devait être regardée comme étant une « mise à disposition », laquelle aurait été convenue avec Microsoft, et que, partant, Microsoft devait être condamnée solidairement aux conséquences du licenciement, y compris à la réintégration de LM dans son emploi.
25 La juridiction de renvoi s’interroge, tout d’abord, sur l’applicabilité de la directive 2008/104 au litige pendant devant elle. Elle se demande, en effet, si cette directive s’applique à une entreprise qui, sans être reconnue en droit interne comme étant une entreprise de travail intérimaire, met un travailleur à la disposition d’une autre entreprise. Elle relève à cet égard que, en droit espagnol, une entreprise de travail intérimaire doit être titulaire d’une autorisation administrative
préalable pour exercer son activité, ce que ladite directive ne semblerait toutefois pas prévoir.
26 Ensuite, dans l’hypothèse où la directive 2008/104 devrait être considérée comme étant applicable à ce litige, la juridiction de renvoi se demande si, en l’espèce, LM a été mise à la disposition de Microsoft. Elle rappelle que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2008/104 définit les notions d’« entreprise intérimaire », de « travailleur intérimaire », d’« entreprise utilisatrice » et de « mission » en se fondant sur le fait que le travailleur embauché par l’entreprise de travail
intérimaire fournit ses services « sous le contrôle et la direction » de l’entreprise utilisatrice. Elle relève que, en l’occurrence, il ressortait de l’ensemble des éléments caractérisant le travail accompli par LM que le contrôle et la direction de l’activité de la travailleuse appartenait à Microsoft, qui lui avait remis l’ordinateur avec lequel elle fournissait, depuis son domicile, une assistance à distance aux clients de certains produits Microsoft, avec les responsables de laquelle elle
était en contact régulier et au siège de laquelle elle se rendait une fois par semaine, disposant à cette fin d’une carte d’accès. Elle précise également que, tous les mois, l’administrateur de Leadmarket recevait un rapport mensuel de l’activité de la travailleuse, approuvait ses congés et fixait ses horaires, de sorte que se posait la question de savoir si Leadmarket devait être regardée comme ayant conservé le contrôle et la direction de l’activité professionnelle de celle-ci.
27 La juridiction de renvoi s’interroge enfin sur la possibilité, pour LM, de retrouver l’emploi qu’elle occupait avant son licenciement à la suite de la déclaration de nullité de celui-ci. Elle indique que le poste et les fonctions qu’elle exerçait antérieurement à son congé de maternité n’existent plus au sein de Leadmarket et que la réintégration de LM au même poste ne pourrait être effective que si elle était effectuée au sein de Microsoft. Elle précise que cette obligation de réintégrer les
travailleuses qui ont été licenciées après avoir retrouvé leur poste à la fin des périodes de suspension du contrat pour cause de naissance, d’adoption, de garde à des fins d’adoption ou d’accueil, visées à l’article 45 de la loi sur le statut des travailleurs, s’applique tant à l’entreprise utilisatrice qu’à l’entreprise cédante. En l’occurrence, se poserait la question de savoir si, en raison du fait que LM a été recrutée directement non pas par Microsoft, mais par Leadmarket, le droit qui lui
appartient de retrouver son emploi chez Microsoft disparaît, Leadmarket étant l’unique responsable de sa réintégration ou si, au contraire, l’application de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/104 implique que l’obligation de réintégration et l’application des conséquences de la nullité du licenciement soient exigibles également à l’égard de l’entreprise utilisatrice, à savoir Microsoft.
28 C’est dans ces conditions que le Tribunal Superior de Justicia de Madrid (Cour supérieure de justice de Madrid) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La directive 2008/104 s’applique-t-elle à une entreprise qui met une travailleuse à la disposition d’une autre entreprise même si la première entreprise n’est pas reconnue par la législation interne comme une entreprise de travail intérimaire dès lors qu’elle ne dispose pas d’une autorisation administrative en tant que telle ?
2) Dans le cas où la directive 2008/104 serait applicable à des entreprises qui mettent à disposition des travailleurs sans être reconnues en droit interne comme des entreprises de travail intérimaire, dans une situation telle que celle décrite précédemment, convient-il de considérer la travailleuse comme travailleuse intérimaire au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/104, [Leadmarket] comme une entreprise de travail intérimaire au sens de l’article 3, paragraphe 1,
sous b), de cette directive et [Microsoft] comme une entreprise utilisatrice au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous d), de ladite directive ? Concrètement, [Leadmarket] peut-elle être considérée comme conservant la direction et le contrôle de l’activité professionnelle (en excluant ainsi l’existence d’une mise à la disposition de la travailleuse), du fait que le gérant de cette dernière recevait de la travailleuse un rapport mensuel d’activité et approuvait en outre les congés et horaires
de la travailleuse, même si la prestation quotidienne des services de la travailleuse consistait à fournir une assistance aux clients de Microsoft, à résoudre des incidents en contactant régulièrement les responsables de Microsoft, tout en travaillant à domicile avec un ordinateur mis à sa disposition par Microsoft et en se rendant une fois par semaine dans l’établissement de Microsoft ?
3) Au cas où la directive 2008/104 serait applicable et où nous serions en présence d’une mise à disposition de la travailleuse, en raison de l’application de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive, le salaire de la travailleuse doit-il être au moins le même que celui qui lui serait applicable si elle avait été recrutée directement par [Microsoft] ?
4) Le droit pour une travailleuse de retrouver son emploi ou un emploi équivalent au terme d’un congé de maternité est-il applicable dans les circonstances de l’espèce, conformément à l’article 15 de la directive 2006/54 ? En dépit de l’extinction du contrat entre [Microsoft] et [Leadmarket], dès lors qu’il n’existe aucun emploi équivalent chez [Leadmarket], la réintégration doit‑elle avoir lieu au sein de [Microsoft] ?
5) Au cas où la directive 2008/104 serait applicable du fait que nous serions en présence d’une mise à disposition, en raison de l’application de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive, les dispositions législatives espagnoles prévoyant la nullité du licenciement dans le cas des travailleuses enceintes et allaitantes doivent-elles conduire à déclarer l’entreprise de travail intérimaire et l’entreprise utilisatrice solidairement responsables des conséquences de la nullité du licenciement
prévues par la loi, à savoir la réintégration de la travailleuse dans son emploi, le paiement des salaires non perçus à compter de son licenciement jusqu’à sa réintégration ainsi que l’obligation de verser les indemnités appropriées résultant de l’illégalité du licenciement ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
29 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/104 doit être interprété en ce sens que cette directive s’applique à une entreprise qui met une travailleuse à la disposition d’une autre entreprise même si la première entreprise n’est pas reconnue par la législation interne comme étant une entreprise de travail intérimaire au motif qu’elle ne dispose pas d’une autorisation administrative en tant que telle.
30 Selon une jurisprudence constante, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 12 mai 2022, Luso Temp, C‑426/20, EU:C:2022:373, point 29 et jurisprudence citée).
31 L’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/104 qualifie d’entreprise de travail intérimaire toute personne physique ou morale qui, conformément au droit national, conclut des contrats de travail ou noue des relations de travail avec des travailleurs intérimaires en vue de les mettre à disposition d’entreprises utilisatrices pour y travailler de manière temporaire sous le contrôle et la direction desdites entreprises.
32 Tout d’abord, il ressort du libellé de cette disposition qu’elle ne contient aucune précision quant à la qualité de l’entreprise de travail intérimaire. En effet, elle se borne à indiquer que l’entreprise de travail intérimaire doit être une personne physique ou morale.
33 Ladite disposition précise cependant que ne relèvent de cette notion que les entreprises qui concluent des contrats de travail ou nouent des relations de travail avec des travailleurs intérimaires, conformément au droit national, en ayant l’intention de mettre ces travailleurs à la disposition d’une entreprise utilisatrice (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2023, ALB FILS Kliniken, C‑427/21, EU:C:2023:505, point 44). Il ressort du libellé de la même disposition que l’exigence de conformité au
droit national porte sur la procédure de conclusion des contrats de travail ou sur la manière dont les relations de travail ont été nouées.
34 Il convient également de relever que la directive 2008/104 ne subordonne pas la qualité d’« entreprise de travail intérimaire » à un nombre ou à un pourcentage de travailleurs qu’une entreprise doit mettre à la disposition d’une autre entreprise pour être considérée comme étant une entreprise de travail intérimaire, au sens de son article 3, paragraphe 1, sous b).
35 Aucun élément dans la définition d’« entreprise de travail intérimaire », telle qu’elle figure à l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/104, ne requiert, pour qu’une entreprise puisse être considérée comme étant une entreprise de travail intérimaire au sens de cette directive, qu’elle dispose d’une autorisation administrative préalable d’exercice de cette activité dans l’État membre où elle exerce ses activités.
36 Cette interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/104 est corroborée par le contexte dans lequel s’inscrit cette disposition.
37 À cet égard, il convient de rappeler que la directive 2008/104 a été adoptée pour compléter le cadre réglementaire établi par les directives 97/81/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES (JO 1998, L 14, p. 9), et 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43), sur le fondement de l’article 137, paragraphes 1
et 2, CE, qui habilitait les institutions à arrêter, par la voie des directives, des prescriptions minimales applicables progressivement notamment aux conditions de travail [arrêt du 14 octobre 2020, KG (Missions successives dans le cadre du travail intérimaire), C‑681/18, EU:C:2020:823, point 39].
38 À cette fin, ainsi qu’il ressort de l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2008/104, cette dernière ne prévoit que l’introduction d’exigences minimales [voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2020, KG (Missions successives dans le cadre du travail intérimaire), C‑681/18, EU:C:2020:823, point 41].
39 Il convient de relever que l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/104, qui fait état des entreprises de travail intérimaire en se limitant à indiquer que cette directive est applicable aux « entreprises publiques et privées qui sont des entreprises de travail intérimaire ou des entreprises utilisatrices exerçant une activité économique, qu’elles poursuivent un but lucratif ou non », laisse, par conséquent, une marge d’appréciation importante aux États membres.
40 Cette constatation se trouve d’ailleurs confortée par les objectifs poursuivis par la directive 2008/104, tels qu’ils sont énoncés aux considérants 12 et 23 ainsi qu’à l’article 2 de cette directive, qui visent à établir un cadre protecteur pour les travailleurs, qui soit non discriminatoire, transparent et proportionné, en assurant le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard de ces travailleurs et en reconnaissant les entreprises de travail intérimaire comme étant des employeurs par
l’introduction de prescriptions minimales tout en permettant aux États membres de prévoir des sanctions.
41 Si le champ d’application de la directive 2008/104 devait être interprété en ce sens qu’il recouvre uniquement les entreprises qui disposent, en application de leur droit national, d’une autorisation administrative préalable d’exercer l’activité d’entreprise de travail intérimaire, cela impliquerait, d’une part, que la protection des travailleurs varierait entre les États membres, selon que les droits nationaux exigent ou non une telle autorisation, et au sein d’un même État membre, selon que
l’entreprise en cause détient ou non une telle autorisation, et risquerait de porter atteinte aux objectifs de cette directive, consistant à protéger les travailleurs intérimaires, et, d’autre part, porterait atteinte à l’effet utile de ladite directive en restreignant de manière excessive et injustifiée le champ d’application de celle-ci.
42 En effet, une telle limitation permettrait à toute entreprise qui, sans disposer d’une telle autorisation, met à disposition d’autres entreprises des travailleurs ayant conclu un contrat de travail avec elle, d’échapper à l’application de la directive 2008/104 et, dès lors, ne permettrait pas aux travailleurs de bénéficier de la protection voulue par cette directive, alors même que la relation de travail liant ces personnes à l’entreprise qui les met à disposition ne serait pas substantiellement
différente de celle qui les lierait à une entreprise ayant obtenu l’autorisation administrative préalable exigée en vertu du droit national.
43 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/104 doit être interprété en ce sens que cette directive s’applique à toute personne physique ou morale qui noue un contrat de travail ou des relations de travail avec un travailleur en vue de le mettre à la disposition d’une entreprise utilisatrice pour y travailler de manière temporaire sous le contrôle et la direction de cette dernière, et qui
met ce travailleur à la disposition de cette entreprise, même si cette personne n’est pas reconnue par la législation interne comme étant une entreprise de travail intérimaire au motif qu’elle ne dispose pas d’une autorisation administrative en tant que telle.
Sur la deuxième question
44 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, sous b) à d), de la directive 2008/104 doit être interprété en ce sens que relève de la notion de « travail intérimaire », au sens de cette disposition, premièrement, une entreprise qui n’est pas reconnue par la législation nationale comme étant une entreprise de travail intérimaire, mais qui met, deuxièmement, l’une de ses salariés, dont elle reçoit le rapport mensuel d’activité et conserve la
gestion du temps de travail et des congés, à la disposition, troisièmement, d’une autre entreprise, afin que cette salariée travaille quotidiennement sous le contrôle et la direction de cette autre entreprise.
Sur la recevabilité
45 Microsoft soutient que cette question doit être déclarée irrecevable, étant donné qu’elle vise à ce que la Cour procède à une appréciation des faits rapportés par la juridiction de renvoi concernant l’éventuelle mise à disposition de LM.
46 À cet égard, il convient de rappeler que, lorsque la Cour est saisie d’un renvoi préjudiciel, sa fonction consiste à éclairer la juridiction nationale sur la portée des règles de l’Union afin de permettre à celle-ci de faire une correcte application de ces règles aux faits dont cette juridiction est saisie et non à procéder elle-même à une telle application, et ce d’autant que la Cour ne dispose pas nécessairement de tous les éléments indispensables à cet égard (arrêt du 18 juin 2015, Martin
Meat, C‑586/13, EU:C:2015:405, point 31).
47 Certes, la Cour n’est pas compétente pour apprécier les faits au principal ou pour appliquer à des mesures ou à des situations nationales les règles de l’Union dont elle a donné l’interprétation, ces questions relevant de la compétence exclusive de la juridiction nationale [arrêt du 9 mars 2021, Radiotelevizija Slovenija (Période d’astreinte dans un lieu reculé), C‑344/19, EU:C:2021:182, point 23].
48 Cependant, il convient de relever que, par sa deuxième question, la juridiction de renvoi s’interroge sur le champ d’application des notions d’« entreprise de travail intérimaire », de « travailleur intérimaire » et d’« entreprise utilisatrice »« sous le contrôle et la direction » de laquelle le travailleur intérimaire exerce ses fonctions, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2008/104.
49 Partant, étant donné que cette question porte sur l’interprétation de la directive 2008/104, elle est recevable.
Réponse de la Cour
50 Il convient d’emblée de relever que c’est à la juridiction nationale qu’il appartient de vérifier si un travailleur exerce ses fonctions sous la direction et le contrôle d’une entreprise utilisatrice ou de l’employeur qui l’a embauché et conclu un contrat de prestation de services avec cette dernière. Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider la juridiction de renvoi dans son interprétation (voir, en ce sens, arrêt du
22 novembre 2017, Cussens e.a., C‑251/16, EU:C:2017:881, point 59).
51 S’agissant, en premier lieu, de la notion d’« entreprise de travail intérimaire », il ressort de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/104, relatifs au champ d’application de cette dernière, et de l’article 3, paragraphe 1, sous b) à e), de cette directive qu’une entreprise de travail intérimaire est une entreprise qui conclut des contrats de travail ou noue des relations de travail avec des travailleurs en vue de les mettre à la disposition d’entreprises utilisatrices pour y
travailler de manière temporaire « sous le contrôle et la direction » de ces dernières.
52 Ainsi qu’il découle du point 34 du présent arrêt, la directive 2008/104 ne subordonne pas la qualité d’« entreprise de travail intérimaire » à un nombre ou à un pourcentage de travailleurs qu’une entreprise doit mettre à la disposition d’une autre entreprise. Pour autant, il ne suffit pas, aux fins de la qualification d’entreprise de travail intérimaire, qu’une entreprise mette l’un ou l’autre de ses travailleurs, ou ponctuellement une partie de ses travailleurs, à la disposition d’une autre
entreprise. De telles situations équivaudraient en effet à des prestations de services d’une entreprise à l’égard d’une autre et non à des prestations de travail intérimaire.
53 Dès lors, si la juridiction de renvoi devait estimer que l’employeur de la travailleuse est une entreprise qui a pour activité, principale ou non, de conclure des contrats de travail ou de nouer des relations de travail avec des travailleurs en vue de les mettre, de manière temporaire, à la disposition d’entreprises utilisatrices pour y travailler sous leur contrôle et direction, elle devra considérer que la directive 2008/104 est applicable à l’affaire au principal, laquelle lui permettra de
déterminer si la travailleuse en cause au principal peut être considérée comme étant un travailleur intérimaire exerçant ses fonctions sous le contrôle et la direction d’une entreprise utilisatrice, au sens de la directive 2008/104.
54 S’agissant, en deuxième lieu, de la notion de « travailleur intérimaire », définie à l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/104, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la notion de « travailleur » ne saurait recevoir une interprétation variant selon les droits nationaux, mais revêt une portée propre en droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2007, Kiiski, C‑116/06, EU:C:2007:536, point 25 et jurisprudence citée).
55 Il convient de rappeler que la notion de « travailleur » est définie selon des critères objectifs qui caractérisent la relation de travail en considération des droits et des devoirs des personnes concernées. Or, la caractéristique essentielle de la relation de travail est la circonstance qu’une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération (voir, notamment, arrêt du
11 avril 2019, Bosworth et Hurley, C‑603/17, EU:C:2019:310, point 25 ainsi que jurisprudence citée).
56 Cependant, la mise à disposition de travailleurs intérimaires constitue une figure complexe et spécifique du droit du travail, impliquant une double relation de travail entre, d’une part, l’entreprise de travail intérimaire et le travailleur intérimaire et, d’autre part, ce dernier et l’entreprise utilisatrice, ainsi qu’une relation de mise à disposition entre l’entreprise de travail intérimaire et l’entreprise utilisatrice (arrêt du 11 avril 2013, Della Rocca, C‑290/12, EU:C:2013:235, point 40).
57 La particularité de cette relation de travail réside dans le fait que, dans le cadre de la mise à disposition du travailleur intérimaire, l’entreprise de travail intérimaire conserve une relation de travail avec ce travailleur, mais transfère le contrôle et la direction qui incombent en principe à tout employeur, à l’entreprise utilisatrice, créant ainsi un nouveau lien de subordination entre le travailleur intérimaire et l’entreprise utilisatrice, ledit travailleur fournissant une prestation
contractuellement due par l’entreprise de travail intérimaire à cette dernière entreprise et se trouvant, à cet effet placé sous la direction et le contrôle de celle-ci.
58 Il s’ensuit que l’existence d’un tel lien de subordination ainsi que le degré de subordination du travailleur intérimaire à l’entreprise utilisatrice, dans l’exercice de ses fonctions, doit être apprécié dans chaque cas particulier en fonction de tous les éléments et de toutes les circonstances caractérisant les relations existant entre les parties, appréciation qu’il appartiendra au juge de renvoi d’effectuer (voir, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2018, Sindicatul Familia Constanţa e.a.,
C‑147/17, EU:C:2018:926, point 42 ainsi que jurisprudence citée).
59 À cet égard, le fait que l’entreprise de travail intérimaire reçoive un rapport mensuel d’activité du travailleur mis à disposition de l’entreprise utilisatrice est une circonstance qui peut, le cas échéant, être prise en considération, en fonction de l’objet spécifique poursuivi par ce rapport, dans les relations entre l’entreprise de travail intérimaire et le travailleur. Quant au fait que l’entreprise de travail intérimaire approuve les congés du travailleur intérimaire et fixe ses horaires,
il convient de relever qu’il n’est pas, a priori, anormal que cette entreprise, qui demeure l’employeur de ce travailleur, procède formellement à cette approbation et à cette fixation, sans que cela remette en cause la réalité du contrôle et de la direction du travailleur assumés par l’entreprise utilisatrice dans le cadre de la mise à disposition de ce dernier. Pour autant, il appartiendra au juge national de déterminer, à la lumière de toutes les circonstances du cas d’espèce, si d’autres
circonstances pourraient impliquer de considérer que c’est cette entreprise qui a conservé le contrôle et la direction de son travailleur mis à disposition.
60 S’agissant, en troisième lieu, de la notion d’« entreprise utilisatrice », l’article 3, paragraphe 1, sous d), de la directive 2008/104 prévoit qu’elle exerce un pouvoir de direction et de contrôle sur le travailleur intérimaire. À ce titre, elle peut imposer au travailleur intérimaire le respect de règles internes et de méthodes de travail, mais également exercer sur celui-ci une surveillance et un contrôle sur la manière dont il exécute ses fonctions.
61 À cet égard, il ne suffit pas, pour caractériser l’exercice par l’entreprise utilisatrice d’un pouvoir de direction et de contrôle sur les travailleurs intérimaires, que cette entreprise vérifie le travail accompli ou donne de simples consignes générales à ces travailleurs (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2015, Martin Meat, C‑586/13, EU:C:2015:405, point 40).
62 Par conséquent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 3, paragraphe 1, sous b) à d), de la directive 2008/104 doit être interprété en sens que relève de la notion de « travail intérimaire », au sens de cette disposition, la situation dans laquelle un travailleur est mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice par une entreprise qui a pour activité de conclure des contrats de travail ou de nouer des relations de travail avec des travailleurs dans le but de les mettre
à la disposition d’une entreprise utilisatrice pour une certaine durée, si ce travailleur se trouve sous le contrôle et la direction de cette dernière entreprise et si celle-ci, d’une part, lui impose les prestations à réaliser, la manière de les accomplir ainsi que le respect de ses instructions et de ses règles internes et, d’autre part, exerce une surveillance et un contrôle sur la manière dont le même travailleur exécute ses fonctions.
Sur la troisième question
63 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/104 doit être interprété en ce sens qu’un travailleur intérimaire mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice doit, pendant la durée de sa mission auprès d’elle, percevoir un salaire au moins égal à celui qu’il aurait perçu s’il avait été recruté directement par cette entreprise.
64 En vertu de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104, les travailleurs intérimaires doivent, pendant la durée de leur mission auprès d’une entreprise utilisatrice, bénéficier de conditions essentielles de travail et d’emploi au moins égales à celles qui leur seraient applicables s’ils étaient recrutés directement par cette entreprise pour y occuper le même poste.
65 L’article 3, paragraphe 1, sous f), de ladite directive définit les « conditions essentielles de travail et d’emploi » comme étant celles établies par la législation, la réglementation, les dispositions administratives, les conventions collectives et/ou toute autre disposition générale et contraignante, en vigueur dans l’entreprise utilisatrice, relatives, notamment, à la rémunération.
66 Par conséquent, il convient de répondre à la troisième question que l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/104 doit être interprété en ce sens qu’un travailleur intérimaire mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice, au sens de cette directive, doit, pendant la durée de sa mission auprès d’elle, percevoir un salaire au moins égal à celui qu’il aurait perçu s’il avait été recruté directement par cette entreprise.
Sur les quatrième et cinquième questions
67 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15 de la directive 2006/54 doit être interprété en ce sens qu’une travailleuse enceinte ou allaitante, dont le licenciement a été déclaré nul par un juge national, a le droit de retrouver son emploi ou un emploi équivalent à l’expiration de son congé de maternité auprès de son employeur ou, dans la mesure où le contrat de prestation de services entre l’entreprise utilisatrice et l’employeur a pris fin et qu’il
n’existe aucun poste de travail équivalent chez son employeur, auprès de l’entreprise utilisatrice.
68 Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/104 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la réglementation d’un État membre en vertu de laquelle, dans cette situation, l’entreprise utilisatrice et l’entreprise de travail intérimaire deviennent solidairement responsables des conséquences de la nullité du licenciement, et ont, notamment, l’obligation de réintégrer cette travailleuse.
69 Dès lors que la décision de renvoi sert de fondement à la procédure instituée à l’article 267 TFUE, la juridiction nationale est tenue d’expliciter, dans la décision de renvoi elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et de fournir les explications nécessaires sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui
est soumis (ordonnance du 9 janvier 2024, Bravchev, C‑338/23, EU:C:2024:4, point 19 et jurisprudence citée).
70 À cet égard, il importe de souligner également que les informations contenues dans la décision de renvoi doivent permettre, d’une part, à la Cour d’apporter des réponses utiles aux questions posées par la juridiction nationale et, d’autre part, aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés d’exercer le droit qui leur est conféré par l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne de présenter des observations. Il incombe à la Cour de veiller à ce que ce
droit soit sauvegardé, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (ordonnance du 9 janvier 2024, Bravchev, C‑338/23, EU:C:2024:4, point 20 et jurisprudence citée).
71 Les exigences cumulatives concernant le contenu d’une décision de renvoi figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour et sont rappelées, notamment, au point 15 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).
72 L’article 94, sous c), de ce règlement prévoit ainsi que la demande de décision préjudicielle contient l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union.
73 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de
manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 7 juillet 2022, Coca-Cola European Partners Deutschland, C‑257/21 et C‑258/21, EU:C:2022:529, point 35 ainsi que jurisprudence citée).
74 En l’occurrence, il convient de constater, en premier lieu, qu’il n’est pas établi que l’employeur de la travailleuse en cause au principal est une entreprise de travail intérimaire, c’est-à-dire une entreprise qui a pour activité de mettre des travailleurs à la disposition d’autres entreprises utilisatrices et de conclure des contrats de travail ou de nouer des relations de travail avec des travailleurs en vue de les mettre, de manière temporaire, à la disposition d’entreprises utilisatrices.
75 En second lieu, il ne ressort nullement du dossier soumis à la Cour que des relations de travailleur existaient encore entre Microsoft et LM au moment du licenciement de cette dernière. En effet, d’une part, il n’y avait plus de mise à disposition de LM par Leadmarket à Microsoft à partir du début du congé de maternité de LM et, d’autre part, selon la juridiction de renvoi, la relation contractuelle entre Microsoft et Leadmarket avait cessé depuis le 30 septembre 2020, plusieurs mois avant le
licenciement de LM par Leadmarket, ce qui rend hypothétiques les deux questions posées.
76 En outre, la décision de renvoi ne comporte aucun élément qui permet de déterminer la nature du contrat de travail entre LM et Leadmarket. Par ailleurs, la juridiction de renvoi ne fournit aucune explication sur les raisons pour lesquelles elle estime que, dans ce contexte, l’interprétation de l’article 15 de la directive 2006/54 et de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/104 serait applicable à la situation de LM, étant donné, notamment, que le contrat de prestations de services
conclu entre Microsoft et Leadmarket a pris fin le 30 septembre 2020, plusieurs mois avant le licenciement de LM.
77 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer les quatrième et cinquième questions préjudicielles comme étant irrecevables.
Sur les dépens
78 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :
1) L’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/104/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative au travail intérimaire,
doit être interprété en ce sens que :
cette directive s’applique à toute personne physique ou morale qui noue un contrat de travail ou des relations de travail avec un travailleur en vue de le mettre à la disposition d’une entreprise utilisatrice pour y travailler de manière temporaire sous le contrôle et la direction de cette dernière, et qui met ce travailleur à la disposition de cette entreprise, même si cette personne n’est pas reconnue par la législation interne comme étant une entreprise de travail intérimaire dès lors
qu’elle ne dispose pas d’une autorisation administrative en tant que telle.
2) L’article 3, paragraphe 1, sous b à d) de la directive 2008/104
doit être interprété en ce sens que :
relève de la notion de « travail intérimaire », au sens de cette disposition, la situation dans laquelle un travailleur est mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice par une entreprise qui a pour activité de conclure des contrats de travail ou de nouer des relations de travail avec des travailleurs dans le but de les mettre à la disposition d’une entreprise utilisatrice pour une certaine durée, si ce travailleur se trouve sous le contrôle et la direction de cette dernière entreprise et
si celle-ci, d’une part, lui impose les prestations à réaliser, la manière de les accomplir ainsi que le respect de ses instructions et de ses règles internes et, d’autre part, exerce une surveillance et un contrôle sur la manière dont le même travailleur exécute ses fonctions.
3) L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/104
doit être interprété en ce sens que :
un travailleur intérimaire mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice, au sens de cette directive, doit, pendant la durée de sa mission auprès d’elle, percevoir un salaire au moins égal à celui qu’il aurait perçu s’il avait été recruté directement par cette entreprise.
4) Les quatrième et cinquième questions posées par le Tribunal Superior de Justicia de Madrid (Cour supérieure de justice de Madrid, Espagne) sont irrecevables.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.