ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)
17 octobre 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Marché intérieur – Identification électronique et services de confiance pour les transactions électroniques – Règlement (UE) no 910/2014 – Article 25 – Signatures électroniques – Effet juridique et force probante dans le cadre d’une procédure juridictionnelle – Législation nationale permettant le dépôt, par voie électronique, de pièces de procédure signées électroniquement auprès des juridictions – Nécessité pour ces juridictions de disposer d’un système informatique
approprié »
Dans l’affaire C‑302/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Rejonowy Katowice – Wschód w Katowicach (tribunal d’arrondissement de Katowice-Est à Katowice, Pologne), par décision du 28 avril 2023, parvenue à la Cour le 10 mai 2023, dans la procédure
Marek Jarocki
contre
C. J.,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. D. Gratsias, président de chambre, M. I. Jarukaitis (rapporteur), président de la quatrième chambre, et M. Z. Csehi, juge,
avocat général : Mme T. Ćapeta,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour M. M. Jarocki, par lui-même,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement tchèque, par Mme J. Očková, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement français, par MM. R. Bénard, B. Fodda et Mme E. Timmermans, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de MM. M. La Greca et L. Reali, avvocati dello Stato,
– pour la Commission européenne, par Mme L. Armati, M. O. Gariazzo et Mme U. Małecka, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphes 1 et 3, ainsi que de l’article 25, paragraphes 1 et 2, du règlement (UE) no 910/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 23 juillet 2014, sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE (JO 2014, L 257, p. 73).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Marek Jarocki à C. J. au sujet d’une demande d’apposition de la formule exécutoire afin de poursuivre l’exécution forcée d’un immeuble appartenant en commun à C. J. et à son épouse.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 2, 12, 13, 18, 21, 22 et 49 du règlement no 910/2014 sont libellés comme suit :
« (2) Le présent règlement vise à susciter une confiance accrue dans les transactions électroniques au sein du marché intérieur en fournissant un socle commun pour des interactions électroniques sécurisées entre les citoyens, les entreprises et les autorités publiques et en accroissant ainsi l’efficacité des services en ligne publics et privés, ainsi que de l’activité économique et du commerce électronique dans l’Union [européenne].
[...]
(12) Un des objectifs du présent règlement est de lever les obstacles existants à l’utilisation transfrontalière des moyens d’identification électronique employés dans les États membres pour s’identifier, au moins pour les services publics. Le présent règlement ne vise pas à intervenir en ce qui concerne les systèmes de gestion de l’identité électronique et les infrastructures associées établis dans les États membres. Le présent règlement a pour but de s’assurer que, concernant l’accès aux
services en ligne transfrontaliers proposés par les États membres, l’identification et l’authentification électroniques sécurisées sont possibles.
(13) Les États membres devraient rester libres, aux fins de l’identification électronique, d’utiliser ou d’introduire des moyens d’accès aux services en ligne. Ils devraient également pouvoir décider d’impliquer ou non le secteur privé dans la fourniture de ces moyens. Les États membres ne devraient pas être tenus de notifier leurs schémas d’identification électronique à la Commission [européenne]. Il appartient aux États membres de choisir de notifier à la Commission la totalité ou une partie, ou
de ne notifier aucun des schémas d’identification électronique utilisés au niveau national pour accéder, au moins, aux services publics en ligne ou à des services spécifiques.
[...]
(18) Le présent règlement devrait prévoir la responsabilité de l’État membre notifiant, de la partie qui délivre le moyen d’identification électronique et de la partie qui gère la procédure d’authentification en cas de manquement aux obligations pertinentes au titre du présent règlement. Le présent règlement devrait cependant s’appliquer conformément aux dispositions nationales en matière de responsabilité. Il n’affecte donc pas ces règles nationales, par exemple, celles relatives à la définition
des dommages ou aux règles procédurales applicables en la matière, y compris à la charge de la preuve.
[...]
(21) [...] Le présent règlement ne devrait pas couvrir non plus les aspects relatifs à la conclusion et à la validité des contrats ou autres obligations juridiques lorsque des exigences d’ordre formel sont posées par le droit national ou de l’Union. En outre, il ne devrait pas porter atteinte à des exigences d’ordre formel imposées au niveau national aux registres publics, notamment les registres du commerce et les registres fonciers.
(22) Afin de contribuer à l’utilisation transfrontalière généralisée des services de confiance, il devrait être possible de les utiliser comme moyen de preuve en justice dans tous les États membres. Il appartient au droit national de préciser les effets juridiques des services de confiance, sauf disposition contraire dans le présent règlement.
[...]
(49) Le présent règlement devrait établir le principe selon lequel une signature électronique ne devrait pas se voir refuser un effet juridique au motif qu’elle se présente sous une forme électronique ou qu’elle ne satisfait pas à toutes les exigences de la signature électronique qualifiée. Toutefois, il appartient au droit national de définir l’effet juridique produit par les signatures électroniques, à l’exception de l’exigence prévue dans le présent règlement selon laquelle l’effet juridique
d’une signature électronique qualifiée devrait être équivalent à celui d’une signature manuscrite. »
4 L’article 2 de ce règlement, intitulé « Champ d’application », dispose :
« 1. Le présent règlement s’applique aux schémas d’identification électronique qui ont été notifiés par un État membre et aux prestataires de services de confiance établis dans l’Union.
[...]
3. Le présent règlement n’affecte pas le droit national ou de l’Union relatif à la conclusion et à la validité des contrats ou d’autres obligations juridiques ou procédurales d’ordre formel. »
5 L’article 3 dudit règlement, intitulé « Définitions », prévoit :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
10. “signature électronique”, des données sous forme électronique, qui sont jointes ou associées logiquement à d’autres données sous forme électronique et que le signataire utilise pour signer ;
[...]
12. “signature électronique qualifiée”, une signature électronique avancée qui est créée à l’aide d’un dispositif de création de signature électronique qualifié, et qui repose sur un certificat qualifié de signature électronique ;
[...] »
6 L’article 9 du règlement no 910/2014, intitulé « Notification », énonce, à son paragraphe 1, sous a) :
« L’État membre notifiant notifie les informations suivantes à la Commission et lui communique toute modification ultérieure qui leur est apportée dans les meilleurs délais :
a) une description du schéma d’identification électronique, y compris ses niveaux de garantie et l’entité ou les entités qui délivrent les moyens d’identification électronique relevant de ce schéma ».
7 L’article 25 de ce règlement, intitulé « Effets juridiques des signatures électroniques », prévoit :
« 1. L’effet juridique et la recevabilité d’une signature électronique comme preuve en justice ne peuvent être refusés au seul motif que cette signature se présente sous une forme électronique ou qu’elle ne satisfait pas aux exigences de la signature électronique qualifiée.
2. L’effet juridique d’une signature électronique qualifiée est équivalent à celui d’une signature manuscrite.
[...] »
Le droit polonais
Le code de procédure civile
8 L’article 125, paragraphes 21 et 21a, de l’ustawa – Kodeks postępowania cywilnego (loi portant code de procédure civile), du 17 novembre 1964 (Dz. U. no 43, position 296), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code de procédure civile »), dispose :
« 21. Lorsqu’une disposition spécifique le prévoit ou que le choix a été fait de déposer les pièces de procédure au moyen d’un système informatique, les pièces de procédure dans cette affaire sont déposées uniquement au moyen de ce système informatique. Les pièces de procédure qui n’ont pas été déposées au moyen d’un système informatique ne produisent pas les effets juridiques que la loi attache au dépôt d’une pièce auprès d’une juridiction, ce dont la juridiction informe le déposant.
21a. Le choix de déposer des pièces de procédure au moyen d’un système informatique et de poursuivre le dépôt de ces pièces au moyen de ce système est admissible si cela est techniquement possible pour la juridiction. »
9 L’article 126, paragraphe 1, point 6, de ce code prévoit :
« Toute pièce de procédure doit contenir :
[...]
6) la signature de la partie ou de son représentant légal ou de son mandataire. »
10 L’article 126, paragraphe 5, dudit code dispose :
« Une pièce de procédure déposée par l’intermédiaire d’un système informatique porte une signature électronique qualifiée, une signature de confiance ou une signature personnelle. »
La loi sur l’informatisation des activités des entités investies d’une mission de service public
11 L’article 3 de l’ustawa o informatyzacji działalności podmiotów realizujących zadania publiczne (loi sur l’informatisation des activités des entités investies d’une mission de service public), du 17 février 2005, dans sa version applicable au litige au principal (Dz. U. de 2023, position 57), dispose, à ses points 13 et 14a :
« Aux fins de la présente loi, on entend par :
13) “plate-forme électronique des services de l’administration publique” : un système informatique dans lequel les institutions publiques mettent à disposition des services au moyen d’un point d’accès unique à Internet ;
[...]
14a) “signature de confiance” : [une] signature électronique, dont l’authenticité et l’intégrité sont assurées au moyen du cachet électronique du ministre chargé de l’Informatique [...] ».
Le litige au principal et la question préjudicielle
12 Le 28 novembre 2022, le requérant au principal a introduit auprès du Sąd Rejonowy Katowice – Wschód w Katowicach (tribunal d’arrondissement de Katowice-Est à Katowice, Pologne), qui est la juridiction de renvoi, une demande d’apposition de la formule exécutoire afin de poursuivre l’exécution forcée d’un immeuble appartenant en commun à son débiteur et à l’épouse de ce dernier. Cette demande, qui était accompagnée d’une demande d’aide juridictionnelle, a été envoyée par courriel à l’adresse
électronique de la juridiction. Elle était signée électroniquement au moyen d’une signature de confiance, au sens de l’article 3, point 14a, de la loi sur l’informatisation des activités des entités investies d’une mission de service public.
13 L’auxiliaire de justice chargé d’examiner la demande ayant invité le requérant au principal à régulariser les vices de forme entachant celle-ci, notamment en présentant un formulaire officiel revêtu de sa signature manuscrite, et à la compléter par diverses informations, celui-ci a, le 21 janvier 2023, envoyé à la même adresse électronique de la juridiction une déclaration comportant les informations demandées, de nouveau signée au moyen d’une signature de confiance.
14 Par ordonnance du 8 février 2023, l’auxiliaire de justice a renvoyé la demande d’aide juridictionnelle en raison de l’absence de régularisation des vices de forme qui l’affectaient et, notamment, de l’absence de signature manuscrite de cette demande.
15 Le 4 mars 2023, le requérant au principal a envoyé par voie électronique à la juridiction de renvoi une demande d’exclusion de cet auxiliaire de justice du traitement de l’affaire et d’ouverture d’une procédure disciplinaire à son encontre, en arguant qu’il existait des doutes sérieux sur son impartialité, dès lors que, en violation du droit de l’Union, il refusait d’accepter un acte signé électroniquement.
16 La juridiction de renvoi expose que la plupart des juridictions polonaises ne disposent pas d’un système informatique rendant possible le dépôt de pièces de procédure par voie électronique et qu’elles refusent, en conséquence, la production de pièces signées électroniquement. Seules les pièces revêtues d’une signature manuscrite sont donc acceptées, du moins dans une procédure civile de droit commun.
17 De son point de vue, l’effet juridique de la signature électronique est, en principe, déterminé par le droit national, sauf en ce qui concerne les signatures électroniques qualifiées, pour lesquelles le règlement no 910/2014 prévoit que leur effet est équivalent à celui d’une signature manuscrite. Par ailleurs, l’intention du législateur de l’Union n’aurait pas été d’imposer aux États membres l’adoption de solutions déterminées en ce qui concerne l’utilisation des signatures électroniques dans
les procédures judiciaires.
18 C’est pourquoi la juridiction de renvoi considère que, dans la mesure où elle ne dispose pas d’un système informatique permettant, conformément à la législation nationale, de déposer des pièces de procédure signés électroniquement, elle n’est pas tenue d’accepter une pièce revêtue d’une signature électronique envoyée par courriel à l’adresse électronique de la juridiction.
19 La juridiction de renvoi se demande néanmoins s’il ne conviendrait pas de tenir compte de l’objectif, énoncé au considérant 2 du règlement no 910/2014, consistant à susciter une confiance accrue dans les transactions électroniques au sein du marché intérieur entre les citoyens, les entreprises et les autorités publiques. Selon elle, l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 910/2014 pourrait être interprété à la lumière de cet objectif en ce sens qu’il découlerait du principe de
non-discrimination l’obligation, pour les États membres, d’accepter une pièce de procédure signée électroniquement. Une telle interprétation conduirait à une unification des modalités de dépôt des pièces de procédure devant les juridictions des États membres.
20 Elle se demande, à cet égard, si les dispositions du règlement no 910/2014 relatives à la signature électronique ne s’appliquent qu’aux États membres qui ont notifié à la Commission un schéma d’identification électronique, conformément à l’article 9, paragraphe 1, de ce règlement, ce qui, selon elle, n’aurait pas été fait par la République de Pologne.
21 Dans ces conditions, le Sąd Rejonowy Katowice – Wschód w Katowicach (tribunal d’arrondissement de Katowice-Est à Katowice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 2, paragraphes 1 et 3, lu en combinaison avec l’article 25, paragraphes 1 et 2, ainsi qu’avec les considérants 12, 13, 18, 21, 22 et 49 du [règlement no 910/2014,] doit-il être interprété en ce sens qu’une juridiction d’un État membre est tenue d’accepter une pièce de procédure déposée auprès de cette juridiction et signée au moyen d’une signature électronique visée à l’article 3, point 10, dudit règlement lorsque le droit national de l’État membre ne prévoit pas la possibilité de
déposer des pièces de procédure auprès de la juridiction en utilisant une signature électronique autrement que par l’intermédiaire d’un système informatique ? »
Sur la question préjudicielle
22 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphes 1 et 3, ainsi que l’article 25, paragraphes 1 et 2, du règlement no 910/2014 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle une pièce de procédure ne peut être déposée auprès d’une juridiction, par voie électronique, et signée électroniquement que lorsque cette juridiction dispose d’un système informatique approprié et que le dépôt est effectué au
moyen de ce système.
23 À titre liminaire, il convient de constater, en premier lieu, que la juridiction de renvoi s’interroge sur l’applicabilité ratione materiae du règlement no 910/2014 au litige au principal au motif que ce règlement ne s’appliquerait qu’aux schémas d’identification électronique qui ont été notifiés par les États membres à la Commission. Or, le moyen d’identification électronique utilisé par le requérant au principal pour le dépôt de ses pièces de procédure par voie électronique ne relèverait pas
d’un schéma d’identification électronique notifié par la République de Pologne, qui n’a d’ailleurs, selon la juridiction de renvoi, notifié aucun tel schéma.
24 À cet égard, il convient de relever que la Commission indique que cet État membre a procédé à la notification d’un schéma d’identification électronique conformément à l’article 9 du règlement no 910/2014.
25 En toute hypothèse, quand bien même aucun schéma d’identification électronique n’aurait été notifié par la République de Pologne à la Commission ou que le schéma d’identification électronique qui a été notifié ne serait pas celui en vertu duquel a été délivré au requérant au principal le moyen d’identification électronique qu’il a utilisé pour s’authentifier lors de l’envoi par voie électronique des pièces de procédure à la juridiction de renvoi, il y a lieu d’observer que le fait qu’un schéma
ait été notifié ou non est sans pertinence pour déterminer si les dispositions du règlement no 910/2014 relatives à la signature électronique sont applicables dans une situation telle que celle en cause au principal.
26 En effet, ainsi que le précise l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 910/2014, celui-ci a un double champ d’application. Il s’applique, d’une part, aux schémas d’identification électronique qui ont été notifiés par un État membre et, d’autre part, à l’ensemble des prestataires de services de confiance établis dans l’Union.
27 L’identification électronique aux fins de l’authentification transfrontalière des services en ligne est régie par le chapitre II de ce règlement, qui comporte les articles 6 à 12 de celui-ci, alors que les services de confiance sont régis par le chapitre III dudit règlement, composé des articles 13 à 45 de ce dernier.
28 La notification à la Commission des schémas d’identification électronique est prévue à l’article 9 du règlement no 910/2014. Cette notification, qui demeure facultative, ainsi que le souligne le considérant 13 de ce règlement, constitue une condition préalable à la reconnaissance mutuelle des moyens d’identification électronique, dans une perspective d’utilisation transfrontalière de ceux-ci.
29 En revanche, elle ne conditionne pas l’application des dispositions de la section 4 du chapitre III dudit règlement, relatives aux signatures électroniques, parmi lesquelles figure l’article 25 du règlement no 910/2014, dont la juridiction de renvoi demande l’interprétation.
30 Il en résulte que la circonstance qu’un État membre n’a pas notifié un schéma d’identification électronique, conformément à l’article 9 du règlement no 910/2014, est sans incidence sur l’applicabilité, dans cet État membre, des dispositions de ce règlement relatives aux signatures électroniques.
31 En second lieu, il convient de relever qu’il ressort de la décision de renvoi que la « signature de confiance » utilisée par le requérant au principal est non pas une « signature électronique qualifiée » répondant à la définition de l’article 3, point 12, du règlement no 910/2014, mais une signature électronique simple, telle que définie à l’article 3, point 10, de ce règlement. Il en résulte que le paragraphe 2 de l’article 25 dudit règlement, qui est relatif à l’effet juridique d’une signature
électronique qualifiée, n’est pas pertinent pour répondre à la question posée.
32 Ces précisions liminaires étant apportées, il y a lieu de relever que, aux termes de l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 910/2014, l’effet juridique et la recevabilité d’une signature électronique comme preuve en justice ne peuvent être refusés « au seul motif » que cette signature se présente sous forme électronique ou qu’elle ne satisfait pas aux exigences de la signature électronique qualifiée.
33 La Cour a déjà jugé que cette disposition n’interdit pas aux juridictions nationales d’invalider les signatures électroniques, mais établit un principe général interdisant à ces juridictions de refuser l’effet juridique et la force probante des signatures électroniques dans des procédures en justice au seul motif que ces signatures se présentent sous une forme électronique ou qu’elles ne satisfont pas aux exigences établies par ce règlement pour qu’une signature électronique puisse être
considérée comme une « signature électronique qualifiée » (arrêts du 20 octobre 2022, Ekofrukt, C‑362/21, EU:C:2022:815, point 35, et du 29 février 2024, V.B. Trade, C‑466/22, EU:C:2024:185, point 34).
34 La Cour a également jugé que, si le règlement no 910/2014 vise à garantir, ainsi que cela ressort de son article 2, paragraphe 3, lu à la lumière de son considérant 49, qu’une signature électronique ne se voie pas privée de son effet juridique au seul motif qu’elle se présente sous une telle forme, il n’entrave pas la liberté des États membres de prévoir des exigences d’ordre formel (voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2022, Ekofrukt, C‑362/21, EU:C:2022:815, point 39).
35 Il s’ensuit que les formalités procédurales, telles que celles qui fixent, en droit national, les modalités de dépôt des pièces de procédure auprès des juridictions, ne sont pas affectées par le règlement no 910/2014.
36 En l’occurrence, il ressort du cadre juridique national fourni par la juridiction de renvoi que la réglementation nationale en cause au principal interdit le dépôt, par voie électronique, d’une pièce de procédure revêtue d’une signature électronique auprès d’une juridiction non pas au motif que seule une signature manuscrite pourrait être regardée comme une signature, au sens de l’article 126, paragraphe 1, point 6, du code de procédure civile, mais au motif que, en application de l’article 125,
paragraphe 21a, de ce code, ce dépôt de pièces de procédure par voie électronique auprès d’une juridiction ne peut être effectué qu’au moyen d’un système informatique approprié, dont cette juridiction doit disposer.
37 Il ressort par ailleurs de cette réglementation que, lorsque la juridiction dispose d’un tel système, le dépôt, au moyen de celui-ci, de pièces de procédure signées électroniquement produit les mêmes effets juridiques que ceux que la législation polonaise attribue habituellement au dépôt d’une pièce de procédure auprès d’une juridiction.
38 Dans une situation telle que celle de l’affaire au principal, où une pièce de procédure est déposée à la juridiction par voie électronique, alors que celle-ci ne dispose pas d’un système informatique approprié au moyen duquel le dépôt de pièces doit être effectué, cette pièce n’est donc pas refusée « au seul motif » que la signature de ladite pièce se présente sous forme électronique ou qu’elle ne satisfait pas aux exigences de la signature électronique qualifiée.
39 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 2, paragraphes 1 et 3, ainsi que l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 910/2014 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle une pièce de procédure ne peut être déposée auprès d’une juridiction, par voie électronique, et signée électroniquement que lorsque cette juridiction dispose d’un système informatique
approprié et que le dépôt est effectué au moyen de ce système.
Sur les dépens
40 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :
L’article 2, paragraphes 1 et 3, ainsi que l’article 25, paragraphe 1, du règlement (UE) no 910/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 23 juillet 2014, sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE,
doivent être interprétés en ce sens que :
ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle une pièce de procédure ne peut être déposée auprès d’une juridiction, par voie électronique, et signée électroniquement que lorsque cette juridiction dispose d’un système informatique approprié et que le dépôt est effectué au moyen de ce système.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.