ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
17 octobre 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Passation de marchés publics de travaux, de fournitures et de services – Directive 2004/18/CE – Notion de “marchés publics de travaux” – Ensemble contractuel comprenant un contrat de subvention et une promesse d’achat – Intérêt économique direct pour le pouvoir adjudicateur – Ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur – Subvention et promesse d’achat constituant une aide d’État compatible avec le marché intérieur – Directive 89/665/CEE –
Directive 2014/24/UE – Conséquences du constat de l’absence d’effets d’un marché public – Nullité absolue ex tunc »
Dans l’affaire C‑28/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Okresný súd Bratislava III (tribunal de district de Bratislava III, Slovaquie), par décision du 16 janvier 2023, parvenue à la Cour le 24 janvier 2023, dans la procédure
NFŠ a.s.
contre
Slovenská republika konajúca prostredníctvom Ministerstva školstva, vedy, výskumu a športu Slovenskej republiky,
Ministerstvo školstva, vedy, výskumu a športu Slovenskej republiky,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. C. Lycourgos (rapporteur), président de la troisième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, M. S. Rodin et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. I. Illéssy, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er février 2024,
considérant les observations présentées :
– pour NFŠ a.s., par Mes M. Čabák, P. Hodál et L. Královič, advokáti,
– pour la Slovenská republika konajúca prostredníctvom Ministerstva školstva, vedy, výskumu a športu Slovenskej republiky et le Ministerstvo školstva, vedy, výskumu a športu Slovenskej republiky, par Mes P. Horňák, P. Szabó et M. Tomaschek, advokáti,
– pour le gouvernement slovaque, par Mme E. V. Larišová, M. A. Lukáčik et Mme S. Ondrášiková, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement tchèque, par Mme L. Halajová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. G. Gattinara, R. Lindenthal et G. Wils, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 avril 2024,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114), de l’article 2, paragraphe 1, point 6, sous c), de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et
abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65), ainsi que de l’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO 1989, L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 2014/23/UE du Parlement européen et
du Conseil, du 26 février 2014 (JO 2014, L 94, p. 1) (ci-après la « directive 89/665 »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant NFŠ a.s. à la Slovenská republika konajúca prostredníctvom Ministerstva školstva, vedy, výskumu a športu Slovenskej republiky (République slovaque, agissant par l’intermédiaire du ministère de l’Éducation, des Sciences, de la Recherche et des Sports de la République slovaque), et au Ministerstvo školstva, vedy, výskumu a športu Slovenskej republiky (ministère de l’Éducation, des Sciences, de la Recherche et des Sports de la
République slovaque) (ci-après le « ministère de l’Éducation ») au sujet d’une promesse d’achat du stade national de football qui devait être construit par NFŠ en Slovaquie.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 89/665
3 L’article 1er de la directive 89/665, intitulé « Champ d’application et accessibilité des procédures de recours », dispose :
« 1. [...]
[...]
Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés relevant du champ d’application de la directive [2014/24] ou de la directive [2014/23], les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles 2 à 2 septies de la présente directive, au motif que ces décisions ont violé le droit de l’Union en
matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.
[...]
3. Les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée.
[...] »
4 L’article 2 quinquies de la directive 89/665, intitulé « Absence d’effets », prévoit :
« 1. Les États membres veillent à ce qu’un marché soit déclaré dépourvu d’effets par une instance de recours indépendante du pouvoir adjudicateur ou à ce que l’absence d’effets dudit marché résulte d’une décision d’une telle instance dans chacun des cas suivants :
a) si le pouvoir adjudicateur a attribué un contrat sans avoir préalablement publié un avis de contrat au Journal officiel de l’Union européenne, sans que cela soit autorisé en vertu des dispositions de la directive [2014/24] ou de la directive [2014/23] ;
[...]
2. Les conséquences du constat de l’absence d’effets d’un marché sont déterminées par le droit national.
Le droit national peut prévoir l’annulation rétroactive de toutes les obligations contractuelles ou limiter la portée de l’annulation aux obligations qui doivent encore être exécutées. Dans ce deuxième cas, les États membres prévoient l’application d’autres sanctions au sens de l’article 2 sexies, paragraphe 2.
[...] »
5 En vertu de l’article 2 sexies de la directive 89/665, intitulé « Violations de la présente directive et sanctions de substitution », les États membres prévoient, dans certains cas, l’absence d’effets du marché ou des sanctions de substitution.
La directive 2004/18
6 Aux termes de l’article 1er de la directive 2004/18 :
« 1. Aux fins de le présente directive, les définitions figurant aux paragraphes 2 à 15 s’appliquent.
a) Les “marchés publics” sont des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services au sens de la présente directive.
b) Les “marchés publics de travaux” sont des marchés publics ayant pour objet soit l’exécution, soit conjointement la conception et l’exécution de travaux relatifs à une des activités mentionnées à l’annexe I ou d’un ouvrage, soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur. Un “ouvrage” est le résultat d’un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou
technique.
[...]
9. Sont considérés comme “pouvoirs adjudicateurs” : l’État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public et les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou un ou plusieurs de ces organismes de droit public.
[...] »
La directive 2014/24
7 L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2014/24 prévoit :
« La présente directive établit les règles applicables aux procédures de passation de marchés par des pouvoirs adjudicateurs en ce qui concerne les marchés publics, ainsi que les concours, dont la valeur estimée atteint ou dépasse les seuils établis à l’article 4. »
8 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
1. “pouvoirs adjudicateurs”, l’État, les autorités régionales ou locales, les organismes de droit public ou les associations formées par une ou plusieurs de ces autorités ou un ou plusieurs de ces organismes de droit public ;
[...]
5. “marchés publics”, des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services ;
6. “marchés publics de travaux”, des marchés publics ayant l’un des objets suivants :
[...]
c) la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par le pouvoir adjudicateur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception ;
[...] »
9 L’article 83 de ladite directive, intitulé « Suivi de l’application », est libellé comme suit :
« 1. Pour assurer effectivement la bonne application et la mise en œuvre efficace de la présente directive, les États membres veillent à ce que, pour le moins, les tâches énoncées dans le présent article soient accomplies par une ou plusieurs autorités, organismes ou structures. Ils indiquent à la Commission [européenne] toutes les autorités, instances ou structures qui sont compétentes pour ces tâches.
2. Les États membres veillent à ce que l’application des règles relatives à la passation des marchés publics soit contrôlée.
Lorsque les autorités ou structures de contrôle constatent, de leur propre initiative ou après en avoir été informées, des violations précises ou des problèmes systémiques, elles doivent être habilitées à les signaler aux autorités nationales d’audit, aux juridictions ou aux autres autorités ou structures compétentes telles que le médiateur, le parlement national ou les commissions de celui-ci.
[...] »
10 Aux termes de l’article 90, paragraphe 1, de la même directive :
« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 18 avril 2016. [...] »
11 L’article 91, premier alinéa, de la directive 2014/24 prévoit :
« La directive 2004/18/CE est abrogée avec effet au 18 avril 2016. »
Le droit slovaque
La loi no 40/1964
12 L’article 39 du zákon č. 40/1964 Zb. Občiansky zákonník (loi no 40/1964 établissant le code civil), du 26 février 1964, dans sa version applicable aux faits du litige au principal, dispose :
« Est nul l’acte juridique qui, par son contenu ou son objet, contrevient à la loi, la contourne ou est contraire aux bonnes mœurs. »
La loi no 25/2006
13 L’article 3, paragraphe 3, du zákon č. 25/2006 Z. z. o verejnom obstarávaní a o zmene a doplnení niektorých zákonov (loi no 25/2006 relative aux marchés publics, modifiant et complétant certaines lois), du 14 décembre 2005, dans sa version applicable aux faits du litige au principal, prévoit :
« Un marché public de travaux de construction au sens de la présente loi est un contrat ayant pour objet soit l’exécution de travaux de construction, soit conjointement la conception et l’exécution de travaux de construction relatifs à l’une des activités énumérées à la section 45 du vocabulaire commun pour les marchés publics [...], ou la réalisation d’une construction. Une construction au sens de la présente loi est le résultat d’un ensemble de travaux de construction qui remplit une fonction
économique ou une fonction technique, et dont l’exécution répond aux exigences du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice. »
14 Aux termes de l’article 147a de cette loi :
« Si un pouvoir adjudicateur, une entité adjudicatrice ou une personne visée à l’article 7 conclut un contrat, un contrat de concession, un accord-cadre ou un avenant à un contrat, à un contrat de concession ou à un accord-cadre en violation de la présente loi, l’[Úrad pre verejné obstarávanie (autorité de régulation des marchés publics)] ou le procureur introduit, dans un délai d’un an à compter de leur conclusion, une action en nullité devant un tribunal. »
La loi no 343/2015
15 L’article 3, paragraphe 3, du zákon č. 343/2015 Z. z. o verejnom obstarávaní a o zmene a doplnení niektorých zákonov (loi no 343/2015 relative aux marchés publics, modifiant et complétant certaines lois), du 18 novembre 2015, dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « loi no 343/2015 »), prévoit :
« Un marché de travaux au sens de la présente loi est un marché dont l’objet est
[...]
c) l’exécution de travaux de quelque manière que ce soit selon les exigences fixées par le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice, qui a une incidence déterminante sur le type de construction ou le projet de construction. »
16 L’article 181, paragraphes 1 et 11, de cette loi dispose :
« 1. Un soumissionnaire, un candidat, un participant ou une personne qui aurait pu être concernée par l’obtention d’un marché ou d’une concession spécifique dépassant le seuil et dont les droits ou les intérêts légalement protégés ont été ou auraient pu être affectés par la procédure du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice (ci-après l’“intéressé”) peut, après la conclusion du marché, du contrat de concession ou de l’accord-cadre, saisir le tribunal d’une demande de nullité du
marché, du contrat de concession ou de l’accord-cadre.
[...]
11. Le droit de demander la constatation de la nullité d’un contrat, d’un contrat de concession ou d’un accord-cadre s’éteint s’il n’est pas invoqué
a) dans un délai de 30 jours à compter de la date de publication de l’avis relatif au résultat de la procédure de passation des marchés publics au Journal officiel de l’Union européenne conformément à la présente loi, si l’avis contient également une justification de la non publication de l’avis de marché, de l’avis utilisé en tant qu’appel à la concurrence, de l’avis de concession ou de l’avis de concours,
b) dans un délai de six mois
1. à compter de la date de publication de l’avis relatif au résultat du marché au Journal officiel de l’Union européenne, si l’avis ne contient pas de justification au titre du point a) ; ou
2. à compter de la date de conclusion du contrat, du contrat de concession de travaux ou de l’accord-cadre dans les cas autres que ceux visés au point a) et au premier alinéa. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
17 En vue de réaliser le projet de construction du stade national de football slovaque, le gouvernement slovaque a prévu, par la résolution no 400/2013, du 10 juillet 2013, que le ministère de l’Éducation conclurait, sans mise en concurrence, un mémorandum avec la société Národný futbalový štadión, a.s., qui est le prédécesseur en droit de NFŠ. Ce mémorandum, conclu le 11 juillet 2013, définit les conditions d’octroi d’une subvention pour la construction de ce stade ainsi que les conditions de cette
construction.
18 Sur cette base, le 21 novembre 2013, le ministère de l’Éducation a conclu avec Národný futbalový štadión un contrat de subvention, en vertu duquel ce ministère s’est engagé à verser à cette société une subvention de 27200000 euros financée par le budget de l’État pour la construction dudit stade (ci-après le « contrat de subvention »). Ladite société s’est engagée à financer au moins 60 % des coûts de la construction.
19 Le 10 mai 2016, le ministère de l’Éducation et NFŠ ont conclu l’avenant no 1 au contrat de subvention, qui a modifié l’ensemble du texte de ce contrat en supprimant notamment la faculté, initialement prévue au profit du Slovenský futbalový zväz (Fédération slovaque de football), d’utiliser gratuitement certains locaux du même stade.
20 Le même jour, le ministère de l’Éducation, au nom de la République slovaque en tant que futur acquéreur, a conclu avec NFŠ, en tant que futur vendeur, une promesse d’achat précisant les conditions de la conclusion du contrat d’achat du stade national de football slovaque (ci-après la « promesse d’achat »). La promesse d’achat comprend, dans ses annexes, des spécifications techniques détaillées et les paramètres matériels de ce stade.
21 L’entrée en vigueur de la promesse d’achat était subordonnée au respect de certaines conditions, dont le constat, par la Commission, que la subvention et cette promesse constituent une aide d’État compatible avec le marché intérieur, au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. La Commission a constaté que tel était le cas par la décision SA.46530, du 24 mai 2017 (JO 2017, C 354, p. 1).
22 Plusieurs procédures judiciaires sont en cours au sujet du contrat de subvention ou de la promesse d’achat. Devant l’Okresný súd Bratislava III (tribunal de district de Bratislava III, Slovaquie), qui est la juridiction de renvoi, NFŠ a introduit une demande visant à établir le contenu de la promesse d’achat en ce qui concerne la détermination du prix d’achat, afin d’exercer l’option, prévue en sa faveur par cette promesse, de vendre le bâtiment construit. Selon cette société, la promesse d’achat
est valable et ne constitue pas un marché public, car elle n’établit pas une obligation exécutoire de réaliser des travaux. Dès lors, il ne s’agirait pas d’un contrat à titre onéreux.
23 Au contraire, le ministère de l’Éducation soutient, devant la juridiction de renvoi, que le contrat de subvention et la promesse d’achat constituent un ensemble complet de droits et d’obligations réciproques, qui vise intentionnellement, en raison de l’absence de mise en concurrence, à contourner la loi no 343/2015. En particulier, la promesse d’achat aurait un caractère onéreux, manifesté par les modalités de détermination du prix d’achat qu’elle prévoit.
24 Ce ministère fait également valoir qu’il a eu une influence déterminante sur le projet du stade national de football slovaque qui, en vertu du contrat de subvention, doit répondre aux exigences prévues, en ce qui concerne les stades de catégorie 4, par le règlement de l’Union des associations européennes de football (UEFA) sur l’infrastructure des stades. En outre, ledit ministère aurait fixé des exigences supplémentaires par l’intermédiaire de l’organe de direction suprême de ce projet, le
comité de pilotage et de suivi pour la construction de ce stade, au sein duquel il était majoritairement représenté.
25 Par ailleurs, les parties sont en désaccord sur la question de savoir si un contrat contraire à la loi no 25/2006, dans sa version applicable aux faits du litige au principal, ou à la loi no 343/2015 ne peut être frappé que de la nullité, relative et ex nunc, invocable sur la base des dispositions de ces lois, comme le soutient NFŠ, ou si un tel contrat peut être frappé d’une nullité absolue ex tunc, en vertu de l’article 39 de la loi no 40/1964 établissant le code civil, du 26 février 1964, dans
sa version applicable aux faits du litige au principal, comme le soutient le ministère de l’Éducation. La jurisprudence slovaque en la matière serait contradictoire.
26 La juridiction de renvoi précise que le contrat de subvention et la promesse d’achat présentent un lien matériel et temporel, et constituent un cadre d’obligations réciproques entre le ministère de l’Éducation et NFŠ. Plus précisément, le contrat de subvention comporte une obligation à la charge de l’État d’octroyer la subvention prévue ainsi qu’une obligation à la charge de Národný futbalový štadión de construire le stade national de football slovaque conformément aux conditions spécifiées par
le ministère de l’Éducation et de permettre à la Fédération slovaque de football d’en utiliser une partie. La promesse d’achat établit, au bénéfice de NFŠ, une option unilatérale de vente correspondant à une obligation pour l’État d’acheter le bâtiment construit.
27 Dans ces conditions, l’Okresný súd Bratislava III (tribunal de district de Bratislava III) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Un contrat de subvention et une promesse d’achat conclus entre un ministère (l’État) et une entité de droit privé sélectionnée de manière non concurrentielle constituent-ils un “marché public de travaux” au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18 [...] ou de l’article 2, paragraphe 6, sous c), de la directive 2014/24 [...], dans la mesure où le contrat de subvention est une aide d’État approuvée par la Commission en application de l’article 107, paragraphe 3,
sous c), TFUE, que les obligations contenues dans le contrat de subvention comportent une obligation à charge de l’État d’octroyer la subvention ainsi qu’une obligation à charge de l’entité de droit privé de construire un bâtiment conformément aux conditions spécifiées par le ministère et de permettre à une organisation sportive d’en utiliser une partie, et que les obligations contenues dans la promesse d’achat contiennent une option unilatérale au bénéfice de l’entité de droit privé
correspondant à une obligation pour l’État d’acheter le bâtiment construit, sachant que ces contrats constituent un cadre d’obligations réciproques entre le ministère et l’entité de droit privé, présentant un lien matériel et temporel ?
2) L’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18 ou l’article 2, paragraphe 6, sous c), de la directive 2014/24 s’opposent-ils à une réglementation de droit national d’un État membre en vertu de laquelle un acte juridique qui, par son contenu ou son objet, contrevient à la loi ou la contourne ou est contraire aux bonnes mœurs est frappé de nullité absolue (c’est-à-dire est nul ab initio/ex tunc) si cette violation de la loi consiste en une violation grave des règles en matière de
marchés publics ?
3) L’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous a), et l’article 2 quinquies, paragraphe 2, de la directive 89/665 [...] s’opposent-ils à une réglementation de droit national d’un État membre en vertu de laquelle un acte juridique qui, par son contenu ou son objet, contrevient à la loi ou la contourne ou est contraire aux bonnes mœurs est frappé de nullité absolue (c’est-à-dire est nul ab initio/ex tunc) lorsque cette violation de la loi consiste en une violation grave (contournement) des règles en
matière de marchés publics, comme dans l’affaire au principal ?
4) L’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18 ou l’article 2, paragraphe 6, sous c), de la directive 2014/24 doivent-ils être interprétés comme s’opposant à la reconnaissance ex tunc d’effets juridiques d’une promesse d’achat telle que celle en cause au principal ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
28 Par la première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18 et l’article 2, paragraphe 1, point 6, sous c), de la directive 2014/24 doivent être interprétés en ce sens que constitue un « marché public de travaux », au sens de ces dispositions, un ensemble contractuel liant un État membre à un opérateur économique et comprenant un contrat de subvention ainsi qu’une promesse d’achat, conclus en vue de la réalisation d’un
stade de football, lequel ensemble contractuel crée des obligations réciproques entre cet État et cet opérateur économique, qui incluent l’obligation de construire ce stade conformément aux conditions spécifiées par ledit État ainsi qu’une option unilatérale au bénéfice dudit opérateur économique correspondant à une obligation pour le même État d’acheter ledit stade, et octroie au même opérateur économique une aide d’État reconnue par la Commission comme étant compatible avec le marché intérieur.
Sur la recevabilité
29 NFŠ conteste la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, notamment au motif que la première question porterait sur des faits concrets qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier. À cet égard, la formulation de cette première question contiendrait des constats factuels erronés et trompeurs. Par ailleurs, cette juridiction aurait reproduit sans examen critique le texte des questions proposées par une partie au principal, à savoir la République slovaque, et ignoré, en
méconnaissance de la doctrine de l’acte éclairé, la jurisprudence de la Cour selon laquelle un contrat ne constitue pas un marché public en l’absence d’une obligation dont l’exécution peut être réclamée en justice.
30 À cet égard, il y a lieu de constater, d’une part, que, quand bien même la première question contiendrait des constats factuels que la juridiction de renvoi doit vérifier, cette question porte sur l’interprétation de dispositions du droit de l’Union.
31 Par ailleurs, conformément à une jurisprudence constante, la juridiction de renvoi est seule compétente pour constater et apprécier les faits du litige dont elle est saisie ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre cette dernière et les juridictions nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de
renvoi [arrêt du 28 octobre 2021, X-Beteiligungsgesellschaft (TVA – Paiements successifs), C‑324/20, EU:C:2021:880, point 31 et jurisprudence citée].
32 D’autre part, s’agissant de la circonstance que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’imposerait, en l’occurrence, avec une telle évidence qu’elle ne laisserait place à aucun doute raisonnable, il suffit de rappeler que, si une telle circonstance, lorsqu’elle est avérée, peut amener la Cour à statuer par voie d’ordonnance au titre de l’article 99 de son règlement de procédure, cette même circonstance ne saurait pour autant empêcher la juridiction nationale de poser une question
préjudicielle ni avoir pour effet de rendre irrecevable la question ainsi posée (arrêt du 7 septembre 2023, Asociaţia Forumul Judecătorilor din România , C‑216/21, EU:C:2023:628, point 49 et jurisprudence citée).
33 Il s’ensuit que la première question est recevable.
Sur le fond
34 À titre liminaire, il convient de rappeler que la directive applicable ratione temporis à la passation d’un marché public est, en principe, celle en vigueur au moment où le pouvoir adjudicateur choisit le type de procédure qu’il va suivre et tranche définitivement la question de savoir s’il y a ou non obligation de procéder à une mise en concurrence préalable pour l’adjudication de ce marché public. Sont, en revanche, inapplicables les dispositions d’une directive dont le délai de transposition a
expiré après cette date (voir, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2021, RTS infra et Aannemingsbedrijf Norré-Behaegel, C‑387/19, EU:C:2021:13, point 23 ainsi que jurisprudence citée).
35 Dans la présente affaire, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la décision de ne pas procéder à une mise en concurrence pour la réalisation du stade national de football slovaque a été adoptée au moyen de la résolution no 400/2013 du gouvernement slovaque, du 10 juillet 2013, date à laquelle était applicable la directive 2004/18. Sous réserve des vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, il apparaît que cette résolution a tranché définitivement,
pour le ministère de l’Éducation et pour la République slovaque, la question de savoir s’il y avait ou non obligation de procéder à une mise en concurrence.
36 En tout état de cause, quand bien même cette juridiction arriverait à la conclusion que la décision tranchant définitivement la question de savoir s’il y avait ou non obligation de procéder à une telle mise en concurrence est postérieure au 18 avril 2016, date à laquelle l’abrogation de la directive 2004/18 a pris effet et à laquelle a expiré le délai de transposition de la directive 2014/24, le contenu de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18 correspond en substance, en
ce qui concerne la réalisation d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par le pouvoir adjudicateur, au contenu de l’article 2, paragraphe 1, point 6, sous c), de la directive 2014/24.
37 Sous le bénéfice de ces précisions liminaires, il convient de déterminer si un ensemble contractuel présentant les caractéristiques de celui en cause au principal remplit les critères d’un « marché public de travaux », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18, cette notion étant une notion autonome du droit de l’Union, pour laquelle la qualification juridique donnée à un contrat par le droit d’un État membre n’est pas pertinente (voir, en ce sens, arrêt du
18 janvier 2007, Auroux e.a., C‑220/05, EU:C:2007:31, point 40 ainsi que jurisprudence citée).
38 À cet égard, il y a lieu de vérifier, conformément à la définition de la notion de « marché public » figurant à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18, si un tel ensemble contractuel constitue un contrat à titre onéreux conclu par écrit entre des opérateurs économiques et un pouvoir adjudicateur et, dans l’affirmative, si ce contrat a pour objet la réalisation d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par ce pouvoir adjudicateur, au sens de l’article 1er, paragraphe 2,
sous b), de cette directive.
39 En l’occurrence, c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartiendra de se prononcer à ce sujet après avoir procédé aux appréciations requises à cette fin. Il importe, en effet, de rappeler que l’article 267 TFUE habilite la Cour non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union européenne. Toutefois, conformément à une jurisprudence constante, la Cour peut,
dans le cadre de la coopération judiciaire instaurée à cet article 267 TFUE, à partir des éléments du dossier, fournir à la juridiction nationale les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui pourraient lui être utiles dans l’appréciation des effets de telle ou telle disposition de celui-ci (arrêt du 7 septembre 2023, Asociaţia Forumul Judecătorilor din România , C‑216/21, EU:C:2023:628, point 72 et jurisprudence citée).
40 En premier lieu, le terme « contrats » figurant à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18 couvre également des accords de volontés résultant de plusieurs documents, sans que la circonstance que chacun de ces documents constitue un contrat selon le droit national y fasse obstacle.
41 Dans la présente affaire, il ressort de la demande de décision préjudicielle que le contrat de subvention et la promesse d’achat présentent un lien matériel, tant l’un que l’autre ayant été conclus dans le cadre du projet de construction du stade national de football slovaque, et un lien temporel. Ce dernier est confirmé par la décision SA.46530, qui indique que la construction de ce stade n’a commencé qu’à l’automne 2016, c’est-à-dire après la conclusion, le 10 mai 2016, de l’avenant no 1 au
contrat de subvention ainsi que de la promesse d’achat.
42 En deuxième lieu, les contrats composant l’ensemble contractuel en cause au principal ont été conclus par écrit, d’une part, par Národný futbalový štadión, en ce qui concerne le contrat de subvention, et par NFŠ, en ce qui concerne la promesse d’achat, lesquels sont des opérateurs économiques, et, d’autre part, par l’État slovaque, qui est un pouvoir adjudicateur, au sens de l’article 1er, paragraphe 9, premier alinéa, de la directive 2004/18.
43 En troisième lieu, il convient de vérifier si un ensemble contractuel présentant les caractéristiques de celui en cause au principal est conclu à titre onéreux.
44 D’une part, selon la jurisprudence de la Cour, l’expression « à titre onéreux » désigne un contrat par lequel chacune des parties s’engage à réaliser une prestation en contrepartie d’une autre. Le caractère synallagmatique du contrat est ainsi une caractéristique essentielle d’un marché public, qui se traduit obligatoirement par la création d’obligations juridiquement contraignantes pour chacune des parties au contrat, dont l’exécution doit pouvoir être réclamée en justice (voir, en ce sens,
arrêt du 10 septembre 2020, Tax-Fin-Lex, C‑367/19, EU:C:2020:685, points 25 et 26 ainsi que jurisprudence citée).
45 À cet égard, il convient de relever que, lorsqu’un contrat comporte une obligation d’achat par un pouvoir adjudicateur sans qu’une obligation de vente ne pèse sur son cocontractant, cette absence d’obligation de vente ne saurait nécessairement suffire pour exclure le caractère synallagmatique de ce contrat et, partant, l’existence d’un marché public, une telle conclusion ne pouvant être, le cas échéant, atteinte qu’à la suite de l’examen de l’ensemble des éléments pertinents.
46 Dans la présente affaire, la juridiction de renvoi mentionne l’existence d’obligations réciproques entre le ministère de l’Éducation et NFŠ. En outre, cette juridiction indique notamment que le contrat de subvention comporte l’obligation pour l’État d’octroyer la subvention ainsi que les obligations, pour le prédécesseur en droit de NFŠ, de construire le stade national de football slovaque conformément aux conditions spécifiées par le ministère de l’Éducation, de financer au moins 60 % des coûts
de la construction et, dans la version originelle de ce contrat, de permettre à la Fédération slovaque de football d’en utiliser gratuitement une partie. Si l’avenant no 1 au contrat de subvention a supprimé cette dernière obligation, cet avenant n’a pas fait disparaître les autres obligations, qui ont été transférées à NFŠ.
47 D’autre part, dans le cadre d’un marché public de travaux, le pouvoir adjudicateur reçoit une prestation consistant dans la réalisation des travaux qu’il vise à obtenir et qui comporte un intérêt économique direct pour lui. Un tel intérêt économique peut être constaté non seulement lorsqu’il est prévu que le pouvoir adjudicateur deviendra propriétaire des travaux ou de l’ouvrage faisant l’objet du marché, mais également dans d’autres situations, notamment lorsqu’il est prévu que le pouvoir
adjudicateur disposera d’un titre juridique qui lui assurera la disponibilité de ces ouvrages, en vue de leur affectation publique [voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2021, Commission/Autriche (Location d’un bâtiment non encore construit), C‑537/19, EU:C:2021:319, point 44 et jurisprudence citée].
48 Il résulte du dossier dont dispose la Cour que, si le stade national de football slovaque appartient à NFŠ, le contrat de subvention limite le droit de transférer la propriété de ce stade à des tiers, notamment en exigeant pour ce faire un consentement écrit préalable de l’État slovaque. Partant, cet État dispose sur ce stade, en substance, d’un droit de préemption ayant une valeur économique intrinsèque.
49 L’intérêt économique peut encore résider dans les avantages économiques que le pouvoir adjudicateur pourra tirer de l’utilisation ou de la cession futures de l’ouvrage, dans le fait qu’il a participé financièrement à la réalisation de l’ouvrage ou dans les risques qu’il assume en cas d’échec économique de l’ouvrage (arrêt du 25 mars 2010, Helmut Müller, C‑451/08, EU:C:2010:168, point 52 et jurisprudence citée).
50 En l’occurrence, comme l’a indiqué NFŠ dans ses observations écrites et lors de l’audience, l’option dont dispose cette partie en vertu de la promesse d’achat constitue une garantie contre le risque commercial pour le cas où le stade national de football slovaque s’avérerait pour elle commercialement non viable. Ainsi, en s’engageant à acheter ce stade à la demande de NFŠ, le pouvoir adjudicateur a assumé l’intégralité des risques en cas d’échec économique de l’ouvrage.
51 En quatrième lieu, il y a lieu de rappeler que, pour qu’un contrat constitue un « marché public de travaux » ayant pour objet la réalisation d’un ouvrage, cet ouvrage doit être réalisé conformément aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur, les moyens utilisés en vue de cette réalisation étant indifférents (voir, en ce sens, arrêt du 29 octobre 2009, Commission/Allemagne, C‑536/07, EU:C:2009:664, point 55).
52 À cet égard, une influence déterminante du pouvoir adjudicateur sur la conception d’un bâtiment envisagé peut être identifiée, en particulier, s’il peut être démontré que cette influence est exercée sur la structure architecturale de ce bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs [voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2021, Commission/Autriche (Location d’un bâtiment non encore construit), C‑537/19, EU:C:2021:319, point 53].
53 En l’occurrence, la juridiction de renvoi précise, dans la demande de décision préjudicielle, que le stade national de football slovaque devait être construit conformément aux conditions spécifiées par le ministère de l’Éducation. À cet égard, ce dernier s’est référé dans l’affaire au principal, à l’instar de NFŠ dans ses observations écrites devant la Cour, au respect des critères du règlement de l’UEFA sur l’infrastructure des stades en ce qui concerne les stades de catégorie 4.
54 Or, l’obligation de respecter ces critères, l’existence de cette obligation étant à vérifier par la juridiction de renvoi, pourrait permettre d’identifier une influence déterminante de l’État slovaque sur la structure architecturale, dans le cas où ce règlement comporterait des exigences relatives, par exemple, aux dimensions du terrain de jeu, à la capacité du stade en nombre de spectateurs ou au nombre de places de parking prévues, ce qu’il revient également à la juridiction de renvoi
d’examiner.
55 Eu égard aux considérations qui précèdent, et sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, un ensemble contractuel présentant les caractéristiques de celui en cause au principal constitue un « marché public de travaux », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18.
56 Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que la Commission a considéré, dans la décision SA.46530, que la subvention en vue de la construction du stade national de football slovaque et la promesse d’achat de celui-ci constituent une aide d’État compatible avec le marché intérieur, au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.
57 Selon NFŠ, cette décision implique des constats empêchant de qualifier de marché public l’ensemble contractuel en cause au principal. Ainsi, il découlerait, notamment, de ladite décision que cette société n’avait pas l’obligation de réaliser le stade national de football slovaque. En outre, ladite société indique s’être conformée aux règles relatives à la passation des marchés publics dans le choix de ses fournisseurs, conformément à une obligation dont ferait état ladite décision.
58 Or, d’une part, si la décision SA.46530 indique que NFŠ restera le propriétaire du stade national de football slovaque après sa construction, sans qu’il existe une obligation de transférer la propriété de ce stade à l’État slovaque, cette décision ne mentionne pas l’absence d’obligation de construire ledit stade.
59 En tout état de cause, il y a lieu de relever que, certes, les juridictions nationales doivent s’abstenir de prendre des décisions allant contre une décision de la Commission portant sur la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, dont l’appréciation relève de la compétence exclusive de cette institution, agissant sous le contrôle du juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2020, Buonotourist/Commission, C‑586/18 P, EU:C:2020:152, points 90 et 91 ainsi que jurisprudence
citée). Toutefois, des appréciations qui pourraient implicitement découler d’une décision de cette institution relative à une aide d’État ne sauraient, en principe, s’imposer aux juridictions nationales dans un litige, tel que celui au principal, qui est sans rapport avec la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur.
60 D’autre part, lorsqu’un pouvoir adjudicateur a l’obligation de respecter les règles du droit de l’Union relatives à la passation des marchés publics, ce pouvoir adjudicateur ne saurait se libérer de cette obligation, qui pèse spécifiquement sur lui, en imposant à l’opérateur économique avec lequel il conclut un tel marché de se conformer à ces règles lors de l’exécution du marché en question. Partant, en l’occurrence, l’existence d’un marché public liant NFŠ et l’État slovaque ne peut être remise
en cause par le fait que la décision SA.46530 indique que les travaux de construction du stade national de football slovaque feront l’objet d’une procédure de mise en concurrence conforme aux règles applicables en matière de passation des marchés publics.
61 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18 doit être interprété en ce sens que constitue un « marché public de travaux », au sens de cette disposition, un ensemble contractuel liant un État membre à un opérateur économique et comprenant un contrat de subvention ainsi qu’une promesse d’achat, conclus en vue de la réalisation d’un stade de football, dès lors que cet ensemble
contractuel crée des obligations réciproques entre cet État et cet opérateur économique, qui incluent l’obligation de construire ce stade conformément aux conditions spécifiées par ledit État ainsi qu’une option unilatérale au bénéfice dudit opérateur économique correspondant à une obligation pour le même État d’acheter ledit stade, et octroie au même opérateur économique une aide d’État reconnue par la Commission comme étant compatible avec le marché intérieur.
Sur les deuxième à quatrième questions
62 Par ses deuxième à quatrième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 89/665 ou la directive 2014/24 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à l’application, au titre d’une exception de nullité soulevée par le pouvoir adjudicateur, d’une législation nationale prévoyant qu’un contrat conclu en violation de la réglementation en matière de passation des marchés publics est frappé de nullité absolue ex tunc.
Sur la recevabilité
63 NFŠ considère que ces questions sont hypothétiques. La Commission doute également de la recevabilité desdites questions, au motif que la juridiction de renvoi n’indiquerait pas clairement les raisons pour lesquelles elle a besoin d’une réponse.
64 Selon une jurisprudence constante, les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments
de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 30 avril 2024, Procura della Repubblica presso il Tribunale di Bolzano, C‑178/22, EU:C:2024:371, point 27 et jurisprudence citée).
65 Or, il ressort de la demande de décision préjudicielle que le ministère de l’Éducation a invoqué, par voie d’exception, la nullité de l’ensemble contractuel en cause au principal, que cet ensemble contractuel a été conclu sans mise en concurrence et que la législation nationale, telle qu’interprétée par une partie de la jurisprudence nationale, impose de constater la nullité absolue ex tunc d’un contrat conclu en violation de la réglementation en matière de passation des marchés publics.
66 Partant, les deuxième à quatrième questions ne présentent pas un caractère hypothétique et il n’apparaît pas manifeste qu’une réponse à ces questions ne serait pas utile à la juridiction de renvoi pour statuer sur le litige dont elle est saisie. Il en résulte que ces questions sont recevables.
Sur le fond
67 En premier lieu, la directive 89/665 ne saurait être considérée comme procédant à une harmonisation complète et, partant, comme envisageant l’ensemble des voies de recours possibles en matière de marchés publics (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, T-Systems Magyarország, C‑263/19, EU:C:2020:373, point 53).
68 Sous le bénéfice de cette précision, il convient de vérifier si une exception de nullité soulevée par un pouvoir adjudicateur relève du champ d’application de cette directive.
69 À cet égard, l’article 1er de la directive 89/665, intitulé « Champ d’application et accessibilité des procédures de recours », mentionne, à son paragraphe 3, les personnes qui doivent pouvoir introduire des recours en vertu de cette directive. Cette disposition exige que les procédures de recours soient accessibles au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée.
70 Par ailleurs, l’article 1er, paragraphe 1, quatrième alinéa, de ladite directive mentionne les décisions qui doivent pouvoir faire l’objet de recours en vertu de la même directive. Cette disposition se limite à exiger que puissent faire l’objet de tels recours les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs.
71 Il découle d’une lecture conjointe de ces dispositions que la directive 89/665 ne vise pas à établir des procédures ou des voies de recours au profit des pouvoirs adjudicateurs.
72 Cette interprétation est corroborée par la jurisprudence de la Cour, selon laquelle les dispositions de cette directive tendent à protéger les opérateurs économiques contre l’arbitraire du pouvoir adjudicateur (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, T-Systems Magyarország, C‑263/19, EU:C:2020:373, point 51 et jurisprudence citée).
73 En particulier, il y a lieu d’observer que l’article 2 quinquies de la directive 89/665, visé par la troisième question préjudicielle, porte sur les conséquences de la violation de règles du droit de l’Union relatives aux marchés publics, à l’instar de l’article 2 sexies de cette directive. Or, la Cour a jugé que l’article 2 sexies de ladite directive ne se rapporte qu’aux recours engagés par des entreprises ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant
d’être lésées par une violation alléguée (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, T-Systems Magyarország, C‑263/19, EU:C:2020:373, point 54).
74 Il s’ensuit qu’une exception de nullité soulevée par un pouvoir adjudicateur ne relève pas du champ d’application de la directive 89/665.
75 En second lieu, la directive 2014/24 n’établit, comme il ressort de son article 1er, paragraphe 1, que des règles applicables aux procédures de passation des marchés publics, sans régir les conséquences de la violation de ces règles.
76 Cela étant, l’article 83 de la directive 2014/24 prévoit des règles relatives au suivi de l’application de cette directive. Ces règles ayant un caractère procédural, elles sont applicables, à compter du 18 avril 2016, date de l’expiration du délai de transposition de ladite directive, à toutes les procédures de passation de marchés publics nouvelles ou en cours, qui relèvent du champ d’application matériel de cette même directive.
77 À cet égard, la Cour a jugé que l’article 83, paragraphes 1 et 2, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens qu’il n’impose ni n’interdit aux États membres d’adopter une réglementation en vertu de laquelle une autorité de contrôle peut enclencher, pour des motifs de protection des intérêts financiers de l’Union, une procédure de recours d’office afin de contrôler les infractions à la réglementation en matière de marchés publics (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Hungeod e.a.,
C‑496/18 et C‑497/18, EU:C:2020:240, point 84).
78 Toutefois, la Cour a également jugé que, lorsqu’une telle procédure est prévue, elle relève du champ d’application du droit de l’Union dans la mesure où les marchés publics faisant l’objet d’un tel recours relèvent du champ d’application matériel des directives sur les marchés publics. Dès lors, une telle procédure doit respecter le droit de l’Union, y compris les principes généraux de ce droit (arrêt du 26 mars 2020, Hungeod e.a., C‑496/18 et C‑497/18, EU:C:2020:240, points 85 et 86).
79 De la même manière, l’article 83, paragraphes 1 et 2, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens qu’il n’impose ni n’interdit aux États membres d’adopter une législation nationale prévoyant la possibilité, pour un pouvoir adjudicateur, de soulever, à l’occasion d’un litige portant sur un contrat, une exception de nullité absolue ex tunc tirée d’une infraction à la réglementation en matière de marchés publics.
80 Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que le recours qui est à l’origine du litige au principal violerait le droit de l’Union, y compris les principes généraux de ce droit.
81 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux deuxième à quatrième questions que la directive 89/665 et la directive 2014/24 doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à l’application, au titre d’une exception de nullité soulevée par le pouvoir adjudicateur, d’une législation nationale prévoyant qu’un contrat conclu en violation de la réglementation en matière de passation des marchés publics est frappé de nullité absolue ex tunc, à condition que,
s’agissant d’un marché public relevant du champ d’application matériel de la directive 2014/24, la législation prévoyant une telle nullité respecte le droit de l’Union, y compris les principes généraux de ce droit.
Sur les dépens
82 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
1) L’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services,
doit être interprété en ce sens que :
constitue un « marché public de travaux », au sens de cette disposition, un ensemble contractuel liant un État membre à un opérateur économique et comprenant un contrat de subvention ainsi qu’une promesse d’achat, conclus en vue de la réalisation d’un stade de football, dès lors que cet ensemble contractuel crée des obligations réciproques entre cet État et cet opérateur économique, qui incluent l’obligation de construire ce stade conformément aux conditions spécifiées par ledit État ainsi
qu’une option unilatérale au bénéfice dudit opérateur économique correspondant à une obligation pour le même État d’acheter ledit stade, et octroie au même opérateur économique une aide d’État reconnue par la Commission européenne comme étant compatible avec le marché intérieur.
2) La directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, ainsi que la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés
publics et abrogeant la directive 2004/18/CE,
doivent être interprétées en ce sens que :
elles ne s’opposent pas à l’application, au titre d’une exception de nullité soulevée par le pouvoir adjudicateur, d’une législation nationale prévoyant qu’un contrat conclu en violation de la réglementation en matière de passation des marchés publics est frappé de nullité absolue ex tunc, à condition que, s’agissant d’un marché public relevant du champ d’application matériel de la directive 2014/24, la législation prévoyant une telle nullité respecte le droit de l’Union, y compris les
principes généraux de ce droit.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le slovaque.